Language of document : ECLI:EU:C:2024:330

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME LAILA MEDINA

présentées le 18 avril 2024 (1)

Affaire C394/22

Oilchart International NV

contre

O.W. Bunker (Pays-Bas) BV,

ING Bank NV

[demande de décision préjudicielle formée par le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers, Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 1er, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b) – Notion de “matière civile et commerciale” – Matières exclues – Faillites, concordats et autres procédures analogues – Règlement (CE) no 1346/2000 – Article 3, paragraphe 1 – Actions dérivant directement d’une procédure d’insolvabilité et s’y insérant étroitement »






1.        Oilchart International NV (ci-après « Oilchart ») est une société de droit belge qui cherche à obtenir le recouvrement d’une facture impayée relative au soutage d’un navire de haute mer dans le port de Sluiskil (Pays-Bas). Cette facture était toujours impayée lorsque le débiteur, la société de droit néerlandais O.W. Bunker BV NL (ci-après « OWB NL »), est devenu insolvable. L’action au principal a été intentée en Belgique à la suite de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité aux Pays-Bas.

2.        Cette situation soulève la question de savoir si le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers, Belgique), une juridiction qui n’a pas été saisie de la procédure d’insolvabilité, peut être compétent pour connaître de l’action par laquelle Oilchart cherche à obtenir le recouvrement de cette facture.

3.        La présente affaire offre à la Cour une nouvelle occasion d’affiner sa jurisprudence relative à la délimitation des champs d’application respectifs du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (2) (ci-après le « règlement Bruxelles I bis ») (3), d’une part, et du règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (4) (ci-après le « règlement relatif aux procédures d’insolvabilité ») (5), d’autre part.

4.        Afin de trancher la question de la compétence internationale, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si l’action intentée par le créancier devant une juridiction nationale – autre que celle qui est saisie de la procédure d’insolvabilité – et ayant pour objet une facture produite pour vérification auprès du curateur relève du champ d’application du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité ou bien de celui du règlement Bruxelles I bis.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      Le règlement Bruxelles I bis

5.        L’article 1er, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), dispose :

« 1. Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. […]

2. Sont exclus de son application :

[…]

b) les faillites, concordats et autres procédures analogues ;

[…] »

2.      Le règlement relatif aux procédures d’insolvabilité

6.        L’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité dispose :

« Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire. »

B.      Le droit néerlandais

7.        La Wet van 30 september 1893, op het faillissement en de surséance van betaling (loi du 30 septembre 1893 sur la faillite et le sursis de payement), qui est la loi néerlandaise sur les faillites (ci-après la « NFW »), dispose à son article 25 :

« 1. Les actions en justice ayant pour objet des droits ou des obligations faisant partie de la masse de la faillite sont intentées tant contre le curateur que par celui-ci.

2. Si, étant intentées ou poursuivies par le failli ou contre celui-ci, elles aboutissent à la condamnation du failli, cette condamnation n’est pas opposable à la masse de la faillite. »

8.        L’article 26 de la NFW dispose :

« Les actions en justice, tendant à l’exécution d’une obligation dans la masse, ne peuvent pas non plus être intentées contre le failli au cours de la procédure de faillite d’une autre manière que celle prévue à l’article 110. »

9.        Aux termes de l’article 110, paragraphe 1, de la NFW, « [l]a production des créances est faite au curateur par la remise d’une facture ou d’une autre déclaration écrite indiquant la nature et le montant de la créance, accompagnée des pièces justificatives ou d’une copie de celles‑ci, et de l’indication de la revendication éventuelle d’un privilège, d’un gage, d’une hypothèque ou d’un droit de rétention. »

II.    Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

10.      Le 21 octobre 2014, Oilchart a livré des soutes dans le port de Sluiskil (Pays-Bas) au navire de haute mer MS Evita K, qui appartenait à Sharsburg Navigation SA. Le propriétaire de ce navire avait commandé ces soutes, par l’intermédiaire de son agent Orient Shipping Rotterdam, à la société danoise OW Bunker & Trading A/S (ci-après « OWB A/S »), laquelle avait ensuite transmis cette commande à OWB NL, une entreprise qui appartenait au même groupe. OWB NL avait, à son tour, acquis les soutes auprès d’Oilchart.

11.      Le 21 octobre 2014, OWB A/S a adressé à Orient Shipping Rotterdam une facture d’un montant de 117 179 dollars des États-Unis (USD).

12.      Le 22 octobre 2014, Oilchart a adressé à OWB NL une facture de 116 471,45 USD au titre de la livraison des soutes (ci-après la « facture litigieuse »). Le 21 novembre 2014, OWB NL a été déclarée en faillite par le rechtbank te Rotterdam (tribunal de Rotterdam, Pays-Bas). Par conséquent, la facture litigieuse est restée impayée. Sur la base de cette facture, Oilchart a produit sa créance pour vérification auprès des curateurs d’OWB NL.

13.      À la suite de la faillite d’OWB NL, Oilchart a été confrontée à une série de factures impayées qu’elle avait adressées à OWB NL (dont la facture litigieuse) et a obtenu la saisie conservatoire de certains navires de haute mer auxquels elle avait livré des soutes. Afin d’obtenir la mainlevée de ces saisies conservatoires, les propriétaires des navires ou les associations d’assurance mutuelle (ci-après les « P&I clubs ») ont constitué des garanties en faveur d’Oilchart à concurrence des montants que celle-ci avait facturés à OWB NL. Ces garanties précisaient qu’elles pouvaient être sollicitées sur la base d’une décision judiciaire ou d’une sentence arbitrale condamnant en Belgique soit OWB NL, soit le propriétaire du navire.

14.      Le 11 mars 2015, Oilchart a assigné OWB NL devant le rechtbank van koophandel Antwerpen (tribunal de commerce d’Anvers, Belgique). ING Bank NV (ci-après « ING »), en tant que créancier d’OWB NL (6), est intervenue volontairement dans cette procédure. Dans sa requête, Oilchart a présenté sa demande comme étant de nature commerciale et visant à obtenir le recouvrement d’une facture impayée. Elle a également formé une demande incidente à l’encontre d’ING qui, à son tour, a formé une demande reconventionnelle. Par jugement du 15 mars 2017, le rechtbank van koophandel Antwerpen (tribunal de commerce d’Anvers) s’est déclaré compétent pour statuer sur l’action d’Oilchart, mais a déclaré irrecevable la demande de paiement au motif que, en vertu de la NFW, Oilchart ne pouvait introduire une demande relative à des créances qu’auprès du curateur de la procédure d’insolvabilité.

15.      Le 16 mai 2017, Oilchart a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers). Cette juridiction a estimé qu’elle était tenue d’examiner sa compétence internationale, conformément à l’article 28, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis (7).

16.      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi, en citant la jurisprudence de la Cour, émet des doutes quant à la nécessité de déterminer si l’action intentée par Oilchart contre OWB NL est fondée sur les règles communes du droit civil et commercial au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis ou si elle est soumise aux règles spécifiques aux procédures d’insolvabilité. En outre, cette juridiction se demande si l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité s’oppose à une disposition nationale qui permet à un créancier de saisir les juridictions d’un État membre d’une action en paiement d’une créance qu’il a déjà déclarée dans la masse de l’insolvabilité dans un autre État membre.

17.      La juridiction de renvoi estime que la nature exacte de l’action et de la possibilité d’intenter une telle action à l’encontre de la société insolvable ne peut être appréciée qu’en appliquant les règles dérogatoires propres aux procédures d’insolvabilité. Toutefois, cette juridiction estime que la détermination de la compétence internationale devrait précéder l’application des règles dérogatoires propres au droit néerlandais de la faillite, et non être opérée en application de ces règles.

18.      Dans ces conditions, le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« (a) L’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement [Bruxelles I bis] lu conjointement avec l’article 3, paragraphe 1, du règlement [relatif aux procédures d’insolvabilité] doit-il être interprété en ce sens que relève également des notions de “faillites, concordats et autres procédures analogues” figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement [Bruxelles I bis] une procédure dans laquelle l’action est présentée dans la citation comme une simple créance client, sans faire état de la faillite antérieurement ouverte du défendeur, alors que le véritable fondement juridique de cette action procède des dispositions dérogatoires de [la NFW] et dans laquelle :

–        il y a lieu de décider si une telle action doit être considérée comme une action vérifiable (article 26 lu conjointement avec l’article 110 de la NFW) ou comme une action non vérifiable (article 25, paragraphe 2, de la NFW) ;

–        la question de savoir si ces deux actions peuvent être intentées parallèlement et si une action ne semble pas exclure l’autre, compte tenu des conséquences juridiques spécifiques découlant de chacune d’elles (notamment en ce qui concerne la possibilité de solliciter le payement d’une garantie bancaire émise après la faillite), semble être tranchée selon les règles propres au droit néerlandais de la faillite ?

et, en outre,

(b) Les dispositions de l’article 25, paragraphe 2, de [la NFW] peuvent‑elles être considérées comme conformes à l’article 3, paragraphe 1, du règlement [relatif aux procédures d’insolvabilité], dans la mesure où cette disposition législative permettrait d’intenter une telle action (article 25, paragraphe 2, de la NFW) devant le juge d’un autre État membre au lieu de l’intenter devant le juge de l’insolvabilité de l’État membre d’ouverture de la faillite ? »

19.      Des observations écrites ont été déposées par Oilchart, ING, le gouvernement néerlandais ainsi que par la Commission européenne. Le 31 mars 2023, la Cour a adressé une demande d’informations à la juridiction de renvoi portant sur le cadre juridique du litige au principal, à laquelle celle-ci a répondu le 28 avril 2023. ING et la Commission ont été entendues en leurs plaidoiries lors de l’audience qui s’est tenue le 1er février 2024.

III. Appréciation

20.      Dans le cadre de la détermination de sa compétence internationale pour connaître de l’action intentée par Oilchart, la juridiction de renvoi émet des doutes quant à la question de savoir si, en l’espèce, l’action en cause doit être qualifiée d’action en matière d’insolvabilité et relève ainsi de l’exclusion sur les faillites prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement Bruxelles I bis (ci-après l’« exclusion sur l’insolvabilité ») (8). Étant donné que ses doutes sur ce point semblent découler du contexte factuel et de la nature de l’action intentée par Oilchart, j’aborderai ces éléments dans mes remarques liminaires (section A), avant d’examiner les deux questions posées par la juridiction de renvoi (sections B et C).

A.      Remarques liminaires concernant les constatations factuelles effectuées par la juridiction de renvoi

21.      Il convient de relever que, selon la juridiction de renvoi, bien qu’Oilchart n’ait pas cité le fondement juridique de son action dans la requête, celle-ci a toujours fondé sa demande sur l’article 25, paragraphe 2, de la NFW. Toutefois, la juridiction de renvoi relève également qu’Oilchart a introduit la même demande, d’une part, auprès du curateur aux Pays-Bas, au titre des articles 26 et 110 de la NFW (en tant qu’action vérifiable dans la masse), et, d’autre part, devant les juridictions belges, au titre de l’article 25, paragraphe 2, de la NFW, contre le failli (9), OWB NL (en tant qu’action non vérifiable en dehors de la masse) (10). Par conséquent, il est de la plus haute importance de relever qu’Oilchart a introduit la même demande deux fois : une fois auprès du curateur dans le cadre de la procédure d’insolvabilité et une autre fois devant les juridictions belges en tant que prétention de droit civil. Cependant, selon la juridiction de renvoi, la même demande ne saurait être à la fois vérifiable et non vérifiable.

22.      En outre, il convient de relever qu’ING et le gouvernement néerlandais ont tous les deux contesté le fondement juridique invoqué par Oilchart à l’appui de son action intentée devant la juridiction de renvoi, à savoir l’article 25, paragraphe 2, de la NFW.

23.      À cet égard, il y a lieu d’observer que la disposition susmentionnée dispose en substance que, lorsque des actions en justice sont intentées contre le failli (et non contre le curateur), la décision statuant sur cette demande n’est pas opposable à la masse de la faillite. En d’autres termes, il semble que, en vertu de cette disposition, si le créancier intente une action contre le débiteur en dehors de la procédure d’insolvabilité, la décision peut produire ses effets uniquement « en dehors de la masse » et être inopposable au curateur ou à la masse de la faillite. ING et le gouvernement néerlandais font valoir, de manière assez convaincante, que ladite disposition ne saurait servir de fondement juridique à une action qui affecte la masse.

24.      Dès lors que la juridiction de renvoi ne s’est pas prononcée sur la question du fondement juridique approprié de l’action dont elle est saisie, il est impossible de déterminer si cette juridiction peut être internationalement compétente. La présente affaire place donc la Cour devant un dilemme. D’une part, comme l’indique la juridiction de renvoi, le fondement juridique formel de la demande est l’article 25, paragraphe 2, de la NFW, en vertu duquel une action intentée en dehors de la procédure d’insolvabilité ne saurait produire d’effet sur la masse de la faillite. D’autre part, la juridiction de renvoi souligne que les effets de cette action se répercutent sur la masse et sur la procédure d’insolvabilité.

25.      À mon avis, il appartient à la juridiction de renvoi de qualifier la demande en cause dès lors que, dans le cadre de la procédure établie à l’article 267 TFUE, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier l’interprétation des dispositions du droit national ou de juger si l’interprétation que la juridiction nationale en donne est correcte (11). Il s’ensuit que, dans l’exercice de la compétence qui lui est conférée, la Cour ne saurait connaître des moyens relatifs au fondement juridique approprié de l’action au titre du droit national ni se prononcer sur la qualification de cette action intentée devant la juridiction de renvoi.

26.      Dès lors qu’il appartient à la juridiction de renvoi, aux fins de la détermination de sa compétence internationale, de qualifier de manière appropriée l’action en cause, il lui appartient également, dans le cadre de l’exercice de son autonomie procédurale, d’établir la nature véritable de la demande.

27.      Dans l’analyse qui suit, je partirai du principe que la demande a été introduite (et a été qualifiée comme telle par la juridiction de renvoi) sur le fondement d’une disposition de la NFW, la lex concursus, et qu’elle a des répercussions sur la masse, les fondements juridiques exacts devant être déterminés par cette juridiction.

B.      Sur la première question

28.      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si une action ayant pour objet une demande relative à une obligation contractuelle de payer pour une livraison de biens dirigée contre une société insolvable relève de la notion de « matière civile et commerciale » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis et, partant, du champ d’application matériel de ce règlement, ou si cette action relève du champ d’application du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité, puisque cette demande fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité dans un autre État membre.

29.      En particulier, il ressort des questions préjudicielles que cette juridiction nourrit des doutes quant à sa compétence pour connaître de l’action en cause, une telle compétence pouvant être retenue uniquement dans l’hypothèse où la demande ne serait pas liée à la procédure d’insolvabilité ouverte et se déroulant aux Pays-Bas. Selon une jurisprudence constante, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité, la compétence des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité principale a été ouverte pour connaître des actions révocatoires fondées sur l’insolvabilité du débiteur est exclusive (12).

30.      Afin de répondre à cette question, j’examinerai, dans un premier temps, l’incidence d’une action parallèle ayant pour objet la même créance contractuelle, en me concentrant sur la raison d’être de l’exclusion sur l’insolvabilité (section 1). Dans un second temps, j’analyserai le contenu des deux critères dégagés par la jurisprudence (section 2).

1.      L’incidence d’une action parallèle

31.      Comme l’a relevé un professeur de droit commercial, les procédures d’insolvabilité sont des artefacts jurisprudentiels et réglementaires. En effet, une procédure d’insolvabilité n’a pas de « nature » de laquelle découleraient certaines de ses caractéristiques. Ce qui importe, aux fins de la définition ou de la qualification des actions, ce sont les conséquences juridiques (et économiques) qui découlent d’une telle définition ou qualification et les conditions dans lesquelles ces conséquences peuvent être justifiées (13). Ainsi, les procédures d’insolvabilité sont des procédures qui visent, par la mise en place d’une procédure collective, à traiter le problème de la masse commune d’actifs (14) auquel les créanciers sont confrontés (ci-après le « problème de la masse commune ») (15). La procédure collective, qui vise à empêcher l’accaparement destructeur d’actifs et justifie l’existence de préférences entre créanciers, est la raison d’être de l’exclusion sur l’insolvabilité. Aux fins des présentes conclusions, je me référerai à une « approche axée sur les résultats ».

32.      En l’espèce, s’agissant des conséquences économiques et juridiques de l’action, la juridiction de renvoi indique clairement que l’action en cause a des répercussions sur la masse de la faillite (16). En particulier, elle estime qu’Oilchart, en intentant l’action en cause devant une juridiction belge après la faillite d’OWB NL, cherche à obtenir un jugement en sa faveur afin de solliciter ensuite le bénéfice des garanties. En conséquence, la juridiction de renvoi relève que, en cherchant à obtenir l’exécution individuelle de la créance, Oilchart cherche en réalité à obtenir, en dehors du cadre du concours, le recouvrement du produit de la créance qu’OWB NL détient sur la société danoise OW Bunker. L’action parallèle pendante devant les juridictions belges aurait une incidence directe sur le rang des créanciers et, éventuellement, sur la composition de la masse de la faillite (17). Ainsi, la procédure collective engagée par les créanciers au titre des règles néerlandaises en matière d’insolvabilité pourrait être annulée par une décision du juge belge favorable à Oilchart, qui, en tant que créancier non privilégié, recouvrirait sa créance en dehors de la « masse commune ». Il s’ensuit que l’action en cause constituerait un contournement du mécanisme collectif de recouvrement de créances, ce que la mise en place d’une exclusion sur l’insolvabilité vise précisément à empêcher.

33.      En ce qui concerne les actions parallèles, dans un système national purement interne, une suspension des paiements est généralement imposée aux créanciers afin d’empêcher l’exécution ou le recouvrement individuels de créances en dehors de la procédure d’insolvabilité. Dans une situation transfrontalière, lorsqu’une procédure d’insolvabilité est ouverte, les autres États membres doivent reconnaître cette procédure (18). Cela signifie que, lorsqu’une telle suspension est imposée aux créanciers (19), elle devrait également être reconnue par ces États membres. En l’espèce, la Cour n’a reçu aucune indication quant à l’existence d’un tel mécanisme et à l’intention de la juridiction de renvoi d’en faire usage. Il s’ensuit que, dès lors qu’il a été établi que la demande en cause a été introduite auprès du curateur de la procédure d’insolvabilité aux Pays-Bas, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer si Oilchart se heurte à une telle suspension ou à une autre limitation de la possibilité d’introduire une procédure parallèle. Si tel était le cas, l’on pourrait également soutenir que la demande en cause fait partie de la procédure d’insolvabilité sur les plans matériel et procédural et relève donc du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité. Par conséquent, si les créanciers se voyaient imposer une suspension ou une limitation, une juridiction étrangère ne devrait pas être compétente pour connaître de l’action.

34.      D’une part, cette approche est conforme à l’impératif de protection des intérêts des créanciers et aux principes de l’unité et de l’universalité de la procédure d’insolvabilité (20) qui sous-tendent le règlement relatif aux procédures d’insolvabilité (21). Dès lors que la procédure d’insolvabilité est une procédure collective (22), le tribunal dans le ressort duquel se situe le centre des intérêts principaux du débiteur traitera de l’essentiel des affaires de ce dernier (23). Cette approche vise à protéger les intérêts et le rang des créanciers en cas d’insolvabilité et à garantir aux créanciers un mode de paiement plus efficace et effectif (24).

35.      Dans ce contexte, les procédures d’insolvabilité ouvertes dans un État membre devraient se voir donner plein effet dans les autres États membres. Je rappelle que l’un des principaux objectifs du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité est de garantir l’effectivité des procédures d’insolvabilité tout en empêchant le forum shopping, ce qui ressort, notamment, des considérants 2 et 4 de ce règlement. À cet égard, la Cour a expressément jugé, dans l’arrêt Seagon (25), que la concentration de l’ensemble des actions directement liées à l’insolvabilité d’une entreprise devant les juridictions de l’État membre compétent pour l’ouverture de la procédure d’insolvabilité apparaît également conforme à l’objectif d’amélioration de l’efficacité et de la rapidité des procédures d’insolvabilité ayant des effets transfrontaliers (26). Au lieu d’avoir des enquêtes visant les actifs du débiteur et établissant la réalité des créances pour défaut de paiement menées par chaque créancier, au cours d’une procédure d’insolvabilité, cela est réalisé par le curateur au profit de l’ensemble des créanciers, ce qui favorise la réduction des coûts ainsi que l’efficacité opérationnelle (27).

36.      Il s’ensuit que, lorsqu’une créance fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité, elle relève de la compétence du praticien de l’insolvabilité qui exerce ses activités sous le contrôle du juge de l’insolvabilité. Ainsi, en principe, cette créance ne devrait pas être retirée artificiellement de la procédure collective.

37.      D’autre part, le principe de priorité devrait être appliqué. Le fait que la procédure d’insolvabilité au sens de l’article 1, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité a été ouverte signifie que le statut de l’une des parties a changé. La conséquence la plus importante de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité est que la loi applicable à cette procédure en vertu de ce règlement est celle de l’État membre sur le territoire duquel elle est ouverte et que ladite procédure sera reconnue de plein droit dans tous les autres États membres (28). Cette reconnaissance implique que la juridiction d’un autre État membre n’a pas le pouvoir de contrôler la décision du juge de l’insolvabilité (29). Cela a pour effet que les actifs qui font partie de la masse du failli ne peuvent pas faire l’objet d’un recouvrement de créance par un seul créancier et d’une soustraction à la procédure d’insolvabilité. Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, toute juridiction (autre que la juridiction saisie en premier lieu) devrait éviter de rendre une décision inconciliable avec la procédure d’insolvabilité (30).

38.      À cet égard, il importe de souligner que, aux termes d’un arrêt récemment rendu par la grande chambre de la Cour, bien que l’article 1er, paragraphe 2, sous d), du règlement no 44/2001 – le précurseur du règlement Bruxelles I bis qui contient la même exclusion – exclue explicitement l’arbitrage de son champ d’application, la règle de litispendance s’applique, en particulier, à la sentence arbitrale. La Cour a jugé que « la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie, puis, lorsque cette compétence est établie, se dessaisit en faveur de cette juridiction » (31). Ainsi, la Cour a souligné (même dans le cas d’une matière manifestement exclue du champ d’application du règlement Bruxelles I bis) l’importance de la priorité accordée à la juridiction saisie en premier lieu. En appliquant ce raisonnement par analogie en l’espèce, il importe de respecter la priorité du juge néerlandais de l’insolvabilité.

39.      À cet égard, lors de l’audience, la Commission a fait valoir que l’ouverture de la procédure d’insolvabilité n’a pas d’incidence sur la compétence de la juridiction saisie d’une action parallèle, mais sur la loi applicable à cette action. Selon la Commission, la lex concursus détermine la recevabilité ou le bien-fondé de cette action parallèle, qui devrait être rejetée. À mon avis, d’une part, une telle approche vide de leur substance les règles de compétence prévues par le règlement relatif aux procédures d’insolvabilité et, en particulier, à son article 3, paragraphe 1. D’autre part, en affirmant qu’il appartient à la juridiction de l’autre État membre de rejeter l’action parallèle, la Commission admet en substance que, en principe, l’action parallèle pose problème. Cela est toutefois laissé à l’appréciation d’une juridiction nationale qui, sur la base d’une lex concursus étrangère, devrait statuer sur l’action parallèle (en la rejetant au fond). Selon moi, afin de préserver les objectifs susmentionnés (32), la juridiction de renvoi, sans devoir procéder à l’examen des dispositions d’une lex concursus étrangère, devrait pouvoir se déclarer incompétente au motif que l’action en cause relève de la compétence exclusive du juge de l’insolvabilité situé dans un autre État membre. Cette approche apporterait une plus grande sécurité juridique aux parties à la procédure d’insolvabilité et impliquerait une certaine cohérence dans la mise en œuvre de l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité dans les différents États membres après qu’une telle procédure a été ouverte dans un État membre (33).

40.      En conclusion, il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi que la demande dont elle est saisie est identique à celle introduite dans le cadre de la procédure d’insolvabilité aux Pays‑Bas. Étant donné que le débiteur a été déclaré en faillite et que la question relève des règles néerlandaises en matière d’insolvabilité, la juridiction de renvoi devrait vérifier s’il existe une suspension empêchant d’autres juridictions de connaître de l’affaire. Dans l’affirmative, j’estime qu’une action fondée sur une obligation contractuelle – qui fait l’objet de la procédure d’insolvabilité aux Pays‑Bas et qui devrait, en principe, être visée par la suspension des actions individuelles des créanciers – relève du champ d’application du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité et de la compétence de la juridiction d’ouverture de la procédure d’insolvabilité. Toutefois, la jurisprudence de la Cour, qui va parfois dans le sens contraire, est quelque peu incohérente.

2.      Le double critère dégagé par la jurisprudence

41.      Tandis que l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité fait référence à la « procédure d’insolvabilité », en vertu de la jurisprudence de la Cour, cette disposition vise également les « actions liées à l’insolvabilité ». Dans ses arrêts de principe Gourdain (34) et Seagon (35), la Cour a jugé que les actions liées à l’insolvabilité sont exclues du champ d’application du précurseur du règlement Bruxelles I bis et relèvent du champ d’application du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité. À cette fin, la Cour a appliqué le double critère dégagé dans l’arrêt Gourdain (ci-après les « critères Gourdain »).

42.      En particulier, selon la formule adoptée dans cette jurisprudence, une action qui dérive directement d’une procédure d’insolvabilité (premier critère) et s’y insère étroitement (second critère) relève du champ d’application du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité (36), et donc pas de celui du règlement Bruxelles I bis (37). Combinée à l’exigence d’interprétation large de la notion de « matière civile et commerciale » figurant à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis (38), l’exclusion sur l’insolvabilité prévue par ce règlement est limitée aux affaires dans lesquelles les critères Gourdain sont remplis (39). Si la Cour a constamment rappelé les critères Gourdain, ces derniers ont, en pratique, été appliqués de manière incohérente (40).

43.      En particulier, étant donné que la Cour tend à examiner ensemble les deux critères (41), il est très difficile d’en déterminer la portée et le contenu exact. Par exemple, la jurisprudence ne suit pas toujours la formule susmentionnée et la relation entre les deux critères ainsi que leur contenu sont incertains (42). Parfois, la Cour n’examine qu’un seul critère (43). D’autre fois, elle juge qu’un critère est déterminant et qu’il l’emporte sur l’autre (44), ce qui amène à s’interroger sur le caractère cumulatif de ces critères. La jurisprudence de la Cour n’aboutit donc pas toujours à des règles cohérentes. Dans ce contexte, j’examinerai successivement le contenu et la mise en œuvre desdits critères.

a)      Le premier critère :  une action qui dérive directement d’une procédure d’insolvabilité

44.      Afin de déterminer si une action dérive directement d’une procédure d’insolvabilité, la Cour examine le fondement juridique de cette action (45). À cet égard, la Cour exige de rechercher si le droit ou l’obligation qui sert de base à l’action trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial ou dans des règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d’insolvabilité (46). La Cour a souligné qu’il convient de déterminer si l’action en cause trouve son origine dans le droit des procédures d’insolvabilité ou dans d’autres règles (47).

45.      Tout d’abord, avant d’examiner la jurisprudence de la Cour relative à ce critère, je ferai une remarque liminaire sur les faits de l’espèce. La juridiction de renvoi relève que, à la suite de la faillite d’OWB NL, Oilchart a sollicité et obtenu la saisie conservatoire de certains navires de haute mer en Belgique. Afin d’obtenir la mainlevée de ces saisies conservatoires, les propriétaires des navires ou les P&I clubs ont constitué des garanties en faveur d’Oilchart à concurrence des montants que celle-ci avait facturés à OWB NL. Selon cette juridiction, ces garanties précisaient notamment qu’elles pouvaient être sollicitées par Oilchart sur la base d’une décision judiciaire condamnant OWB NL.

46.      À cet égard, j’observe que, si la juridiction de renvoi devait juger que l’affaire relève de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, il conviendrait encore d’établir la compétence de la juridiction belge, compte tenu du fait que la livraison des soutes a eu lieu aux Pays‑Bas et que c’est également dans cet État membre où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur que la procédure d’insolvabilité a été ouverte. Par ailleurs, je précise que, dans la présente affaire, il importe d’opérer une distinction entre le fondement juridique de l’obligation et le mécanisme d’exécution de cette obligation. Si le fondement juridique de l’action réside dans les obligations découlant des relations contractuelles entre le créancier et le débiteur, l’exécution de ces obligations a eu lieu par la saisie de navires et la constitution de garanties. Par conséquent, selon moi, ces garanties constituent une mise à exécution des droits d’Oilchart, mais pas en soi la source de l’obligation.

47.      Cela étant précisé, j’entends à présent examiner la jurisprudence de la Cour relative au premier critère, qui varie largement en fonction de l’approche retenue.

48.      Parfois, la Cour semble opter pour une approche formaliste. Dans l’arrêt Riel, par exemple, la Cour a expressément souligné que la disposition sur le fondement de laquelle l’action en constatation de l’existence de créances avait été introduite « constitu[ait] un élément de la législation autrichienne en matière d’insolvabilité », ajoutant qu’il résultait « des termes de cette disposition que cette action a vocation à être exercée dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, par des créanciers participant à celle-ci, en cas de contestation portant sur l’exactitude ou le rang de créances déclarées par ces créanciers » (48). Plus récemment, dans l’arrêt Tiger e.a., la Cour a jugé qu’une action du syndic désigné par une juridiction de l’État membre d’ouverture de la procédure d’insolvabilité trouvait son fondement juridique dans les règles de droit du Royaume-Uni qui avaient spécifiquement trait à l’insolvabilité (49).

49.      Toutefois, la Cour semble également examiner si l’action en cause peut être introduite par les créanciers individuellement, que ce soit avant, pendant ou après le déroulement de la procédure d’insolvabilité. Dans l’arrêt Nickel & Goeldner Spedition, la Cour a relevé qu’une action en paiement d’une créance née de la fourniture de services en exécution d’un contrat de transport aurait pu être introduite par le créancier lui-même, avant qu’il n’ait été dessaisi par l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à son égard et que, dans cette hypothèse, elle aurait été régie par les règles de compétence judiciaire applicables en matière civile ou commerciale (50).  De même, dans l’arrêt NK, la Cour a jugé que l’action en cause, qui, d’une part, pouvait être introduite par le créancier lui-même, de telle sorte qu’elle ne relevait pas de la compétence exclusive du syndic, et, d’autre part, était indépendante de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité, ne pouvait pas être considérée comme étant une conséquence directe et indissociable d’une telle procédure (51).

50.      Par conséquent, en l’espèce, si l’on devait prendre au pied de la lettre la formule adoptée dans les arrêts Riel et Tiger, dès lors que la juridiction de renvoi a jugé que l’action avait pour fondement juridique l’article 25, paragraphe 2, de la NFW et en l’absence de toute qualification de la demande à ce stade, la demande introduite par Oilchart relève du champ d’application des dispositions de la NWF et constitue partant un élément de la législation néerlandaise en matière d’insolvabilité. Toutefois, si l’on applique le raisonnement adopté dans les arrêts Nickel & Goeldner Spedition et NK, l’action en cause peut être introduite par les créanciers individuellement et elle peut donc ne pas avoir de lien direct avec une procédure d’insolvabilité.

51.      Cela étant, afin de tenir compte des conséquences juridiques et économiques de l’exclusion sur l’insolvabilité et, en particulier, du problème de la masse commune, la Cour devrait appliquer le premier critère d’une manière qui, d’une part, préserve tant la compétence exclusive du juge de l’insolvabilité (52) que les intérêts des autres créanciers et, d’autre part, empêche le forum shopping (53). Partant, lorsque la demande en cause au principal est identique à celle en cause dans la procédure d’insolvabilité, la Cour devrait examiner si cette demande relève de la procédure d’insolvabilité.

52.      À cet égard, dès lors que la Cour a jugé, dans l’arrêt Riel, qu’une action en constatation de l’existence de créances prévue par la réglementation nationale a vocation à être exercée dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, s’y insère étroitement et trouve son origine dans la procédure d’insolvabilité (54), il conviendrait d’appliquer mutatis mutandis cette appréciation à l’exercice d’un droit du créancier au paiement, tel que celui en cause au principal.

53.      En outre, l’on peut relever que, dans l’arrêt H (55), la Cour a jugé que le fait qu’une action puisse « en principe [être introduite] même dans l’hypothèse où aucune procédure d’insolvabilité portant sur les biens de la société débitrice concernée ne serait ouverte, […] ce fait, par lui-même, ne saurait s’opposer à la qualification d’une telle action comme une action dérivant directement d’une procédure d’insolvabilité et s’y insérant étroitement, à supposer que cette action soit effectivement introduite dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité ». De telles créances « dérogent » aux règles communes du droit civil et commercial précisément en raison de l’état d’insolvabilité du débiteur. Il s’ensuit que l’élément déterminant réside dans la déclaration de faillite du débiteur (56). Lorsque le débiteur est déclaré insolvable et que l’action tend au recouvrement d’une créance qui relève de la masse formée dans le cadre de la procédure d’insolvabilité, le fondement juridique de cette créance devient une disposition de la législation en matière d’insolvabilité de la lex concursus et cette action doit être qualifiée d’action dérivant directement d’une procédure d’insolvabilité.  

54.      Il convient d’ajouter que, en toute logique, la plupart des créances qui relèvent de la masse de l’insolvabilité trouvent leur source dans les règles communes du droit civil et commercial, surtout lorsqu’elles impliquent, comme en l’espèce, le caractère exécutoire d’une obligation contractuelle de payer pour une livraison de biens. En d’autres termes, lorsqu’une créance relève de la masse de l’insolvabilité en raison de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité et de la production d’une créance auprès du curateur, elle relève des règles dérogatoires qui régissent cette procédure. S’il en était autrement, toutes les créances de nature civile ou commerciale produites auprès du curateur pourraient être invoquées devant une autre juridiction d’un autre État membre, ce qui viderait de leur substance les principes de concentration des demandes et de vis attractiva concursus (57).

55.      Ainsi, selon moi, si la Cour adoptait une approche axée sur les résultats en ce qui concerne le premier critère (le critère du fondement juridique), elle mettrait en œuvre la règle de compétence exclusive prévue à l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité (58), ce qui accroîtrait l’effectivité de la procédure d’insolvabilité et contribuerait à la réalisation de l’objectif d’empêcher le forum shopping (59). Je considère donc le critère du « fondement juridique » comme un critère sur la base duquel la Cour détermine si l’origine de l’obligation relève de la masse de l’insolvabilité.

56.      Par conséquent, je suis d’avis que la portée des obligations d’OWB NL ainsi que les droits correspondants d’Oilchart constituent le fondement juridique de la demande. L’exécution de cette demande est subordonnée à l’application de la législation néerlandaise en matière d’insolvabilité concernant l’effet de l’insolvabilité prononcée aux Pays‑Bas (60). Je propose donc à la Cour de conclure que la demande d’Oilchart dérive directement de la procédure d’insolvabilité et trouve son fondement juridique dans une demande qui relève de la masse de la faillite.

b)      Le second critère : l’intensité du lien entre cette action et la procédure d’insolvabilité

57.      En ce qui concerne le second critère, afin de déterminer si une action s’insère étroitement dans une procédure d’insolvabilité, conformément à la formule retenue par la Cour, c’est l’intensité du lien existant entre cette action et la procédure d’insolvabilité qui est déterminante (61).  Ce critère permet ainsi de tenir compte d’éléments contextuels autres que ceux relatifs au fondement juridique.

58.      En principe, le second critère vise à répondre à la question de savoir si une action semblable à celle en cause peut être introduite concomitamment à une procédure d’insolvabilité ou indépendamment de cette dernière. Par exemple, dans l’arrêt German Graphics Graphische Maschinen, la Cour a jugé que l’action introduite contre l’administrateur judiciaire sur le fondement d’une clause de réserve de propriété ne présentait pas de lien suffisamment étroit avec la procédure d’insolvabilité au motif, en substance, que la question de droit soulevée dans le cadre d’une telle action était indépendante de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité (62). Plus récemment, dans l’arrêt Feniks, la Cour a jugé qu’une action paulienne, par laquelle le créancier demandait de faire déclarer inopposable à son égard l’acte, prétendument préjudiciable à ses droits, par lequel son débiteur avait cédé un bien à un tiers, ne s’insérait pas dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité (63). En l’espèce, si la Cour devait appliquer un tel « critère de la possibilité », elle devrait juger que l’action en cause était indépendante de la procédure d’insolvabilité, dès lors qu’elle peut être introduite indépendamment de toute procédure d’insolvabilité, à moins que sa suspension ne soit prévue par la loi régissant la procédure d’insolvabilité.

59.      Dans le même ordre d’idées, la Cour prend parfois en considération le contexte procédural en examinant si le créancier poursuit un intérêt collectif ou individuel. Par exemple, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt F-Tex, les parties ont fait valoir que l’origine et le contenu de l’action engagée par le cessionnaire sont, en substance, les mêmes que ceux d’une action révocatoire intentée par le syndic (64). Toutefois, la Cour a considéré que « l’exercice du droit acquis par le cessionnaire obéit à d’autres règles que celles applicables dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité » (65). En premier lieu, à la différence du syndic, qui est, en principe, tenu d’agir dans l’intérêt des créanciers, le cessionnaire est libre d’exercer ou non le droit de créance qu’il a acquis. En second lieu, le cessionnaire, lorsqu’il décide d’exercer son droit de créance, agit dans son intérêt propre et pour son bénéfice personnel. La Cour a donc jugé que l’action en cause dans cette affaire-là ne s’insérait pas étroitement dans la procédure d’insolvabilité (66). Si la Cour devait appliquer ces considérations en l’espèce, elle devrait conclure que l’exercice du droit acquis par Oilchart obéissait à d’autres règles que celles applicables dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, étant précisé que cette société, à la différence d’un curateur, est libre d’exercer ou non ce droit et agit dans son intérêt propre. Par conséquent, son action ne s’insère pas étroitement dans la procédure d’insolvabilité.

60.      Une approche plus axée sur les résultats a été adoptée dans l’arrêt Valach e.a., dans lequel la Cour a examiné l’étendue des obligations incombant au comité des créanciers qui rejette un plan de redressement. En particulier, celle-ci a jugé que, afin de vérifier si la responsabilité des membres du comité des créanciers est susceptible d’être engagée en raison du rejet du plan de redressement, il convient d’analyser notamment l’étendue des obligations incombant à ce comité dans le cadre de la procédure d’insolvabilité et la compatibilité dudit rejet avec ces obligations. Le lien entre cette action et la procédure d’insolvabilité a été jugé comme étant suffisamment étroit (67). Bien que la Cour n’ait pas exposé dans cet arrêt les raisons sous-tendant cette conclusion, selon moi, son approche peut s’expliquer par la nécessité de prendre en considération l’incidence de l’action sur la masse et, en particulier, l’obligation sous-jacente de préserver les actifs qui font partie la masse. En application de ce critère, il y a lieu de conclure que, dans le cadre de la procédure d’insolvabilité, Oilchart est empêchée de recouvrer sa créance. Par conséquent, il convient de considérer qu’il existe un lien suffisamment étroit entre l’action en cause et la procédure d’insolvabilité.

61.      Enfin, dans l’arrêt SCT Industri, la Cour s’est essentiellement penchée sur le lien entre les actions des parties et l’actif. Elle a jugé que l’action en revendication de propriété de parts sociales introduite par une société faisant l’objet d’une procédure d’insolvabilité après la vente de ces parts à une autre société s’insérait étroitement dans la procédure d’insolvabilité, dès lors que cette vente avait eu lieu sur le fondement de dispositions en matière d’insolvabilité. La Cour a souligné que l’actif de l’entreprise faisant l’objet de la procédure d’insolvabilité s’était accru à la suite de la vente des parts sociales en cause par le syndic (68). De même, en l’espèce, les actions d’Oilchart affectent clairement la masse. Ainsi, en application de ce critère, il existe un lien suffisamment étroit entre l’action en cause et la procédure d’insolvabilité.

62.      Au vu de ce qui précède, je suis parvenu à la conclusion que les critères Gourdain doivent être interprétés d’une manière qui tienne compte de l’objectif et de la raison d’être de la procédure d’insolvabilité, à savoir le problème de la masse commune et la gestion efficace des actifs. Une interprétation restrictive de ces critères rend possibles le contournement par le créancier des règles de la procédure d’insolvabilité, l’accaparement d’actifs et la diminution des droits des autres créanciers. Ce contournement pourrait avoir lieu en raison de l’existence de plusieurs juridictions compétentes et de la qualification de l’action parallèle d’action « civile et commerciale » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. Toutefois, selon moi, l’application de ce règlement ne saurait permettre de porter atteinte à la compétence exclusive du juge de l’insolvabilité (69), à l’effectivité de la procédure d’insolvabilité (70) et à l’impératif de protection des intérêts des créanciers (71). En effet, accepter la compétence de la juridiction de renvoi au titre du règlement Bruxelles I bis conduit à sortir du cadre du fonctionnement efficace et effectif des procédures d’insolvabilité, ce qui porte atteinte au « bon fonctionnement du marché intérieur » (72). En l’espèce, dès lors que la demande en cause est identique à celle introduite auprès du curateur aux Pays-Bas, je suggère à la Cour de juger qu’une action telle que celle en cause au principal dérive directement d’une procédure d’insolvabilité et s’y insère étroitement, de sorte qu’elle relève du champ d’application du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité.

63.      Par conséquent, je propose à la Cour de répondre que l’article 1er, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), du règlement Bruxelles I bis ainsi que l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité doivent être interprétées en ce sens que, lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’une procédure d’insolvabilité portant sur une demande relative à une obligation contractuelle de payer pour une livraison de biens et que cette même demande fait l’objet d’une action contre une société insolvable au titre de cette procédure d’insolvabilité, cette action relève du champ d’application du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité.

C.      Sur la seconde question

64.      La seconde question vise l’hypothèse où la Cour répondrait à la première question que l’action en cause relève du champ d’application du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité.

65.      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande si l’article 25, paragraphe 2, de la NFW est compatible avec l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité, dans la mesure où cette disposition législative permet d’intenter une action contre la société insolvable, telle que celle en cause au principal, devant le juge d’un État membre autre que celui d’ouverture de la procédure d’insolvabilité.

66.      Tout d’abord, je rappelle qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre de la procédure préjudicielle, sur la compatibilité de dispositions du droit national avec le droit de l’Union. La Cour limite son examen à une interprétation des dispositions du droit de l’Union qui soit utile à la juridiction de renvoi, à laquelle il appartient d’apprécier, in fine, la conformité des dispositions nationales avec le droit de l’Union aux fins de trancher le litige au principal (73).

67.      Il ressort de la demande de décision préjudicielle que les parties au principal sont en désaccord sur la question de savoir si l’article 25, paragraphe 2, de la NFW constitue le véritable fondement de l’action ainsi que sur l’interprétation correcte de cette disposition. Dès lors, comme je l’ai mentionné ci-dessus, avant de se prononcer sur la compatibilité de ladite disposition avec le droit de l’Union, il appartiendra à la juridiction de renvoi de qualifier la demande et de déterminer si cette même disposition peut constituer le véritable fondement de l’action en cause (74).

68.      En ce qui concerne la compatibilité de la disposition susmentionnée avec l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité, comme je l’ai déjà indiqué (75), cette disposition du droit de l’Union vise à identifier la juridiction compétente pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Ladite disposition prévoit donc une règle de compétence internationale (76). Toutefois, la Cour l’a interprétée d’une manière qui confère une compétence exclusive au juge de l’insolvabilité (77).

69.      En l’espèce, l’article 25, paragraphe 2, de la NFW semble prévoir que la condamnation d’un failli n’est pas opposable à la masse de la faillite. En substance, cette disposition semble permettre d’intenter des actions en dehors de la masse, mais précise que celles-ci ne sont pas opposables à la masse de la faillite.

70.      Ainsi, il ressort à première vue du libellé même de l’article 25, paragraphe 2, de la NFW que cette disposition ne semble pas relever du champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité, dès lors que ladite disposition ne traite pas de l’« ouverture » de « la procédure d’insolvabilité », mais autorise simplement les actions non vérifiables en dehors de cette procédure. En tout état de cause, l’article 25, paragraphe 2, de la NFW semble, de prime abord, être conforme à l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité, étant donné que cette disposition nationale n’a pas de répercussions sur la masse.

71.      Cependant, si l’application de l’article 25, paragraphe 2, de la NFW conduit à une pratique permettant de contourner la procédure d’insolvabilité ainsi que la compétence exclusive du juge de l’insolvabilité, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, l’on peut considérer que la mesure nationale a pour effet de contourner l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité, et qu’elle est donc contraire à cette disposition.

72.      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi devrait examiner si l’application de l’article 25, paragraphe 2, de la NFW entraîne une modification économique ou juridique de la situation des créanciers en ce qui concerne la masse de la faillite ou la procédure d’insolvabilité (par exemple le statut ou le rang des créanciers ou encore la composition de la masse). À cet égard, il importe de relever qu’ING a fait valoir, lors de l’audience devant la Cour, que les actions d’Oilchart peuvent avoir des effets sur la mise en œuvre des garanties fournies par les propriétaires des navires ou les P&I clubs, c’est-à-dire à l’égard des tiers. Si, au contraire, l’application de cette disposition n’a pas de tels effets, l’action dont est saisie la juridiction de renvoi est « neutre » à l’égard de cette procédure.

73.      Au vu de tout ce qui précède, je propose à la Cour de répondre à la question posée que l’article 3, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité et le principe de la compétence exclusive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale qui a pour effet de contourner la compétence exclusive d’une juridiction d’un État membre saisie en premier lieu d’une procédure d’insolvabilité portant sur une demande relative à une obligation contractuelle de payer pour une livraison de biens qui relève de la masse de l’insolvabilité.

IV.    Conclusion

74.      Sur la base de l’analyse exposée dans les présentes conclusions, je propose à la Cour de répondre aux questions présentées par le hof van beroep te Antwerpen (Cour d’appel d’Anvers, Belgique) de la manière suivante :

1) L’article 1er, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, et l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité,

doivent être interprétés en ce sens que :

lorsqu’une juridiction d’un État membre est saisie d’une procédure d’insolvabilité portant sur une demande relative à une obligation contractuelle de payer pour une livraison de biens et que cette même demande fait l’objet d’une action contre une société insolvable au titre de cette procédure d’insolvabilité, cette action relève du champ d’application du règlement no 1346/2000.

2) L’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1346/2000 et le principe de la compétence exclusive,

doivent être interprétées en ce sens que :

ils s’opposent à une réglementation ou à une pratique nationale qui a pour effet de contourner la compétence exclusive d’une juridiction d’un État membre saisie en premier lieu d’une procédure d’insolvabilité portant sur une demande relative à une obligation contractuelle de payer pour une livraison de biens qui relève de la masse de l’insolvabilité.


1      Langue originale : l’anglais.


2      JO 2012, L 351, p. 1.


3      Ce règlement a remplacé le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1) (le « règlement Bruxelles I »), lequel avait remplacé la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle qu’elle a été modifiée par les conventions successives d’adhésion de nouveaux États membres à cette convention (ci-après la « convention de Bruxelles »).


4      JO 2000, L 160, p. 1.


5      Le règlement relatif aux procédures d’insolvabilité a été remplacé par le règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2015, L 141, p. 19), qui n’est pas applicable ratione temporis à la présente affaire.


6      Il est allégué que, avant cette déclaration de faillite, ING avait accordé un prêt à OWB NL qui, conjointement avec d’autres entités du groupe, avait cédé à ING, à titre de garantie, toutes les créances actuelles et à venir sur les clients finaux.


7      En vertu de l’article 28, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, lorsque le défendeur domicilié sur le territoire d’un État membre est attrait devant une juridiction d’un autre État membre et ne comparaît pas, la juridiction se déclare d’office incompétente, sauf si sa compétence découle des dispositions de ce règlement.


8      Bien que cette disposition contienne le terme « faillites », compte tenu du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité et du règlement 2015/848, le terme « insolvabilité » est manifestement plus approprié en l’espèce et je l’emploierai dans les présentes conclusions. Voir, également, directive (UE) 2019/1023 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, relative aux cadres de restructuration préventive, à la remise de dettes et aux déchéances, et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes, et modifiant la directive (UE) 2017/1132 (directive sur la restructuration et l’insolvabilité) (JO 2019, L 172, p. 18).


9      Le dossier de la Cour contient le terme « faillite ». Partant, dans les présentes conclusions, j’emploierai ce terme lorsque j’évoquerai les circonstances de l’affaire ou le droit néerlandais. Toutefois, le terme « insolvabilité » sera employé dans le contexte du droit de l’Union, étant donné que le règlement relatif aux procédures d’insolvabilité et le règlement 2015/848 font tous deux référence aux procédures d’insolvabilité.


10      Le fait qu’il s’agissait d’une demande identique – en ce que la facture et le montant étaient identiques – a été confirmé par ING, créancier d’OWB NL, lors de l’audience devant la Cour.


11      Arrêts du 21 septembre 2016, Etablissements Fr. Colruyt (C-221/15, EU:C:2016:704, point 15), et du 5 juin 2018, Grupo Norte Facility (C‑574/16, EU:C:2018:390, point 32).


12      Voir, notamment, arrêt du 14 novembre 2018, Wiemer & Trachte (C‑296/17, EU:C:2018:902, point 23).


13      Eidenmuller, H., « What is an insolvency proceeding ? », American Bankruptcy Law Journal, 92(1), p. 53 à 72.


14      Selon la théorie dominante en matière de faillite, connue sous le nom de « théorie de la négociation des créanciers », l’insolvabilité est un problème de la masse commune et, partant, le droit de l’insolvabilité est un ensemble de règles spéciales visant à surmonter ce problème. Le problème de la masse commune posé par l’insolvabilité est que les créanciers sont tous titulaires de créances sur la société, dont les actifs sont insuffisants pour satisfaire toutes les créances. Ainsi, l’insolvabilité repose sur l’idée qu’une meilleure procédure consisterait à empêcher des actions individuelles en exécution et à répartir équitablement les actifs du débiteur entre les créanciers. Une procédure collective est préférable (voir Jackson, T., The Logic and Limits of Bankruptcy Law, Beard Books, 2001, p. 11 et suivantes).


15      Voir, par analogie, Guide législatif de la CNUDCI sur le droit de l’insolvabilité (Nations unies, 2005, p. 83, point 26), aux termes duquel « l’un des principes fondamentaux de la loi sur l’insolvabilité est le caractère collectif de la procédure d’insolvabilité, qui exige de protéger les intérêts de tous les créanciers contre l’action individuelle de l’un d’entre eux ».


16      À cet égard, il importe de relever que la juridiction de renvoi souligne que l’action en cause a des « répercussions sur la masse », notamment parce qu’il s’agit d’une action visant à contourner la répartition de l’actif total ou à en réduire le montant.


17      Ainsi qu’ING l’a expliqué dans ses observations écrites et lors de l’audience, si la demande d’Oilchart était accueillie par les juridictions belges, cette dernière serait en mesure d’obtenir d’ING un paiement faisant disparaître de la masse néerlandaise la créance qu’elle a produite dans la procédure de faillite néerlandaise.


18      Voir article 16, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité. La Cour a jugé que la règle de priorité définie à cet article repose sur le principe de la confiance mutuelle. C’est, en effet, ce principe qui a permis non seulement la mise en place d’un système obligatoire de compétences que toutes les juridictions entrant dans le champ d’application de ce règlement sont tenues de respecter, mais encore la renonciation corrélative par les États membres à leurs règles internes de reconnaissance et d’exequatur au profit d’un mécanisme simplifié de reconnaissance et d’exécution des décisions rendues dans le cadre de procédures d’insolvabilité (voir arrêt du 5 juillet 2012, ERSTE Bank Hungary, C‑527/10, EU:C:2012:417, point 34).


19      Voir, par analogie, article 29, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis. Voir également, par exemple, directive 2019/1023, qui définit à son article 2, paragraphe 1, point 4, la « suspension des poursuites individuelles » comme étant « une suspension temporaire, soit ordonnée par une autorité judiciaire ou administrative, soit appliquée de plein droit, du droit d’un créancier de réaliser une créance à l’encontre d’un débiteur et, si le droit national le prévoit, à l’encontre d’un tiers garant, dans le contexte d’une procédure judiciaire, administrative ou autre, ou du droit de saisir ou de réaliser les actifs ou l’entreprise du débiteur par voie extrajudiciaire ».


20      Le « principe de l’unité » signifie qu’il n’y a qu’une seule procédure d’insolvabilité. Le « principe de l’universalité » signifie que cette procédure s’étend à l’ensemble des biens du débiteur, où qu’ils se trouvent. À cet égard, je relève que le règlement relatif aux procédures d’insolvabilité est fondé sur la distinction, énoncée à son article 3, entre la procédure principale (universelle) et la procédure secondaire (territoriale) (voir arrêt du 2 mai 2006, Eurofood IFSC, C‑341/04, EU:C:2006:281, point 28). Voir, également, arrêt du 14 novembre 2018, Wiemer & Trachte (C‑296/17, EU:C:2018:902, point 40).


21      À cet égard, il convient de relever que le règlement relatif aux procédures d’insolvabilité « permet d’ouvrir les procédures d’insolvabilité principales dans l’État membre où se situe le centre des intérêts principaux du débiteur » et il précise que « [c]es procédures ont une portée universelle et visent à inclure tous les actifs du débiteur ». Au point 21 de ses conclusions dans l’affaire Senior Home (C‑195/15, EU:C:2016:369), M. l’avocat général Szpunar a relevé que ce règlement répond non pas à un modèle basé sur le principe de l’universalité des procédures d’insolvabilité mais à un modèle d’universalité atténué (également appelée « universalité modifiée »), dès lors que ledit règlement part d’un modèle universel, tout en prévoyant une série de règles spéciales qui opèrent comme des exceptions et qui corrigent ou atténuent son universalité.


22      Voir point 31 des présentes conclusions.


23      Par exemple, au point 39 de l’arrêt du 16 janvier 2014, Schmid (C‑328/12, EU:C:2014:6), la Cour a jugé que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel s’est ouverte la procédure d’insolvabilité sont compétentes pour connaître d’une action révocatoire fondée sur l’insolvabilité. Voir, également, rapport explicatif de M. Virgós et E. Schmit sur la convention relative aux procédures d’insolvabilité du 3 mai 1996, document du Conseil de l’Union européenne, 6500/96, DRS 8 (CFC), point 3 (ci-après le « rapport Virgós/Schmit »).


24      Il ressort des considérants 2 et 8 du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité que celui-ci vise à permettre le fonctionnement efficace et effectif des procédures d’insolvabilité transfrontalières, tout en les améliorant et en les accélérant.


25      Arrêt du 12 février 2009 (C‑339/07, EU:C:2009:83, point 22).


26      Voir, également, considérants 8 et 16 du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité.


27      Voir, par analogie, en ce qui concerne l’objectif visant à assurer un fonctionnement efficace et effectif des procédures d’insolvabilité transfrontalières, arrêt du 22 novembre 2012, Bank Handlowy et Adamiak (C‑116/11, EU:C:2012:739, point 62).


28      Voir article 4, paragraphe 1, et article 16 du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité.


29      À cet égard, la Cour a mis en avant le principe de confiance mutuelle, qui exige que les juridictions des autres États membres reconnaissent la décision ouvrant une telle procédure, sans pouvoir contrôler l’appréciation portée par la première juridiction sur sa compétence (voir, par analogie, arrêt du 2 mai 2006, Eurofood IFSC, C‑341/04, EU:C:2006:281, point 42).


30      Arrêt du 18 septembre 2019, Riel (C‑47/18, EU:C:2019:754, point 42).


31      Voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2022, London Steam-Ship Owners’ Mutual Insurance Association (C‑700/20, EU:C:2022:488, points 43 et 69). J’ajoute que, dès lors que la Cour a jugé que la règle de litispendance s’applique à l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous d), du règlement no 44/2001, la même conclusion s’impose, mutatis mutandis, en ce qui concerne l’exclusion prévue à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement Bruxelles I bis.


32      Voir points 34 à 37 des présentes conclusions.


33      Voir, par analogie, arrêt du 1er mars 2005, Owusu (C‑281/02, EU:C:2005:120, points 31 à 42), dans lequel la Cour a mis en exergue les principes de sécurité juridique, de protection juridique des personnes établies dans l’Union et d’application uniforme des règles de compétence, rappelant que « le but de la convention de Bruxelles est précisément de prévoir des règles communes à l’exclusion des règles nationales exorbitantes ». Pour ce qui est de l’application uniforme du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité, voir arrêt du 16 avril 2015, Lutz (C‑557/13, EU:C:2015:227, point 48).


34      Arrêt du 22 février 1979 (133/78, EU:C:1979:49).


35      Arrêt du 12 février 2009 (C‑339/07, EU:C:2009:83, point 20).


36      Voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2019, Riel (C‑47/18, EU:C:2019:754, point 34 et jurisprudence citée).


37      Il convient de souligner que cette approche a été confirmée par la codification de ces critères à l’article 6 du règlement 2015/848, en vertu duquel les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte sont compétentes pour connaître de toute action qui découle directement de la procédure d’insolvabilité et y est étroitement liée.


38      Voir, notamment, arrêt du 10 septembre 2009, German Graphics Graphische Maschinen (C‑292/08, EU:C:2009:544, point 23).


39      Garcimartin, F., « Insolvency-Related Judgments and Vis Attractiva Concursus : The EU Approach », Insolvency Intelligence 1, 2018. Voir rapport Virgós/Schmit, point 77.


40      Voir critiques portant sur l’application de ces critères formulées par M. l’avocat général Bobek aux points 44 à 53 de ses conclusions dans l’affaire NK (C‑535/17, EU:C:2018:850).


41      Voir, notamment, arrêts du 4 décembre 2019, Tiger e.a. (C‑493/18, EU:C:2019:1046), et du 20 décembre 2017, Valach e.a. (C‑649/16, EU:C:2017:986).


42      Voir conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire NK (C‑535/17, EU:C:2018:850, points 44 à 46).


43      Voir, par exemple, arrêt du 18 septembre 2019, Riel (C‑47/18, EU:C:2019:754, point 37).


44      Voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2019, CeDe Group (C‑198/18, EU:C:2019:1001, points 31 et 32).


45      Voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau (C‑641/16, EU:C:2017:847, point 22 et jurisprudence citée).


46      Ibidem. Voir, également, arrêts du 6 février 2019, NK (C‑535/17, EU:C:2019:96, point 28), et du 18 septembre 2019, Riel (C‑47/18, EU:C:2019:754, point 36).


47      Voir arrêt du 4 septembre 2014, Nickel & Goeldner Spedition (C‑157/13, EU:C:2014:2145, point 26).


48      Voir arrêt du 18 septembre 2019 (C‑47/18, EU:C:2019:754, point 37).


49      Voir, en ce sens, arrêt du 4 décembre 2019 (C‑493/18, EU:C:2019:1046, points 30 et 31).


50      Voir arrêt du 4 septembre 2014 (C‑157/13, EU:C:2014:2145, point 28). La Cour a ensuite ajouté que « [l]e fait que, après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité à l’encontre du prestataire de services, l’action en paiement soit exercée par le syndic désigné dans le cadre de cette procédure et que ce dernier agisse dans l’intérêt des créanciers ne modifie pas substantiellement la nature de la créance invoquée, qui continue d’être soumise, quant au fond, à des règles de droit inchangées ».


51      Voir arrêt du 6 février 2019 (C‑535/17, EU:C:2019:96, points 35 et 36). Voir, également, arrêt du 10 septembre 2009, German Graphics Graphische Maschinen (C‑292/08, EU:C:2009:544, point 31). Toutefois, dans ce dernier arrêt, la Cour n’a pas clarifié la question de savoir si le critère de l’« indépendance » se rapportait au premier ou au second critère.


52      Voir point 29 des présentes conclusions.


53      Voir point 35 des présentes conclusions.


54      Arrêt du 18 septembre 2019 (C‑47/18, EU:C:2019:754, points 33 à 40).


55      Arrêt du 4 décembre 2014 (C‑295/13, EU:C:2014:2410).


56      En revanche, dans son arrêt du 6 février 2019, NK (C‑535/17, EU:C:2019:96), la Cour a jugé que le fait que la demande pouvait également être introduite par les créanciers individuellement, que ce soit avant, pendant ou après le déroulement de la procédure d’insolvabilité, faisait qu’elle relevait du règlement Bruxelles I bis. Il n’est pas clair pourquoi cela a été jugé pertinent par la Cour dans son arrêt NK, mais pas dans son arrêt du 4 décembre 2014, H (C‑295/13, EU:C:2014:2410). Voir, en ce sens, Bork, R., et van Zwieten, K. (directeurs de la publication), « Jurisdiction for actions which derive directly from the insolvency proceedings and are closely linked with them », Commentary on the European Insolvency Regulation, 2e éd (Oxford University Press, Oxford, 2022, p. 221 à 243, édition en ligne, Oxford Academic, 19 mai 2022).


57      Je ne suis donc pas d’accord avec l’argument de la Commission selon lequel l’action en cause est indépendante de la procédure d’insolvabilité parce qu’elle est soumise, quant au fond, à des règles de droit commun.


58      Voir point 29 des présentes conclusions.


59      Voir point 35 des présentes conclusions.


60      En vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité, la loi applicable aux effets de la procédure d’insolvabilité est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte. En l’espèce, les effets de l’insolvabilité relèvent du droit néerlandais.


61      Voir arrêts du 2 juillet 2009, SCT Industri (C-111/08, EU:C:2009:419, points 22 à 25), du 9 novembre 2017, Tünkers France et Tünkers Maschinenbau (C‑641/16, EU:C:2017:847, point 28 et jurisprudence citée), et du 6 février 2019, NK (C‑535/17, EU:C:2019:96, point 30).


62      Arrêt du 10 septembre 2009 (C‑292/08, EU:C:2009:544, points 30 et 31).


63      Arrêt du 4 octobre 2018 (C‑337/17, EU:C:2018:805, point 32).


64      Arrêt du 19 avril 2012 (C‑213/10, EU:C:2012:215). La Cour a même admis qu’« il ne saurait être nié que le droit sur lequel le demandeur au principal fonde son action présente un lien avec l’insolvabilité du débiteur, puisqu’il tire son origine du droit de révocation conféré au syndic par la loi nationale applicable à la procédure d’insolvabilité ».


65      Voir point 42 de cet arrêt.


66      Voir arrêt du 19 avril 2012 (C‑213/10, EU:C:2012:215, points 41 à 47).


67      Arrêt du 20 décembre 2017 (C‑649/16, EU:C:2017:986, point 38).


68      Arrêt du 2 juillet 2009 (C‑111/08, EU:C:2009:419, points 26 à 29).


69      Voir point 29 des présentes conclusions.


70      Voir point 35 des présentes conclusions.


71      Voir point 34 des présentes conclusions.


72      Voir considérant 2 du règlement relatif aux procédures d’insolvabilité.


73      Voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2021, Consulmarketing (C‑652/19, EU:C:2021:208, point 33 et jurisprudence citée).


74      Voir points 25 et 26 des présentes conclusions.


75      Voir point 23 des présentes conclusions.


76      Arrêt du 16 janvier 2014, Schmid (C‑328/12, EU:C:2014:6, point 27).


77      Voir point 29 des présentes conclusions.