Language of document : ECLI:EU:T:2021:558

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

8 septembre 2021 (*)

« Aides d’État – Aide en faveur de Litgas en vue de la fourniture d’une quantité minimale de GNL au terminal GNL situé au port maritime de Klaipėda – Décision de ne pas soulever d’objections – Sauvegarde des droits procéduraux – Encadrement de l’Union applicable aux aides d’État sous forme de compensations de service public – Service d’intérêt économique général – Compensation pour un service d’intérêt économique général – Coûts liés à l’évaporation – Coûts d’équilibrage – Sécurité de l’approvisionnement – Article 14 de la directive 2004/18/CE – Faisceau d’indices concordants »

Dans l’affaire T‑193/19,

Achema AB, établie à Jonava (Lituanie),

Achema Gas Trade UAB, établie à Jonava,

représentées par Mes J. Ruiz Calzado, J. Wileur et N. Solárová, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par Mme K. Herrmann et M. A. Bouchagiar, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République de Lituanie, représentée par MM. K. Dieninis et R. Dzikovič, en qualité d’agents,

et par

Ignitis UAB, anciennement Lietuvos energijos tiekimas UAB, établie à Vilnius (Lituanie), représentée par Me K. Kačerauskas, avocat,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2018) 7141 final de la Commission, du 31 octobre 2018, relative à l’aide d’État SA.44678 (2018/N), concernant la modification de l’aide pour le terminal GNL en Lituanie,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé de M. A. Kornezov (rapporteur), président, Mme K. Kowalik‑Bańczyk et M. G. Hesse, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 10 février 2021,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Les requérantes, Achema AB et Achema Gas Trade UAB, sont des sociétés de droit lituanien faisant partie du groupe Achemos Grupe. Achema a pour activité la production et la fourniture d’engrais azotés et de produits chimiques. Achema Gas Trade, filiale d’Achema, est un fournisseur de gaz naturel.

A.      Sur la décision de 2013

2        Le 20 novembre 2013, la Commission européenne a adopté la décision C(2013) 7884 final, par laquelle l’aide d’État SA.36740 (2013/NN) a été déclarée compatible avec le marché intérieur (ci-après la « décision de 2013 »).

3        Cette décision avait pour objet des mesures d’aide, adoptées par la République de Lituanie en faveur de Klaipėdos Nafta AB (ci-après « KN »), détenue majoritairement par l’État lituanien. Ces mesures visaient à financer la construction et l’exploitation par KN d’un terminal de gaz naturel liquéfié (ci-après le « terminal GNL ») dans le port maritime de Klaipėda (Lituanie), avec l’objectif d’assurer la sécurité de l’approvisionnement en gaz en Lituanie. L’aide prévoyait trois composants principaux de financement du terminal GNL, à savoir :

–        un prélèvement spécial imposé à l’ensemble des utilisateurs du réseau de transport du gaz (ci-après le « supplément GNL »), collecté par l’opérateur du réseau de transmission et transféré à KN après approbation de l’autorité nationale de régulation (ci-après l’« ANR »), afin de financer une partie des coûts de la construction du terminal GNL et de l’infrastructure s’y rapportant et ne pouvant être financés par d’autres sources, ainsi que les coûts d’exploitation fixes du terminal ; il était prévu de collecter le supplément GNL pendant une période de 55 ans à partir de la mise en opération du terminal GNL ;

–        une obligation imposée à certains producteurs de chauffage et d’électricité (ci-après les « acheteurs obligés ») d’acheter un quota obligatoire minimal de gaz importé par le biais du terminal GNL (ci-après l’« obligation d’achat ») ; l’objectif de cette obligation était de garantir la fourniture du minimum technique de volume de GNL nécessaire pour que le terminal GNL soit en permanence opérationnel, estimé, à ce moment-là, à 0,54 milliard de mètres cubes (billion cubic meters, ci-après les « bcm ») par an (ci-après la « quantité obligatoire de GNL ») ; un quota de soutirage était ainsi fixé pour chaque acheteur obligé sous la forme d’un pourcentage de la quantité obligatoire de GNL ; les quotas devaient être achetés auprès du fournisseur désigné (ci-après le « fournisseur désigné ») ; le prix d’achat payé par les acheteurs obligés au fournisseur désigné était réglementé par l’ANR et couvrait les coûts totaux supportés par le fournisseur désigné pour la fourniture de la quantité obligatoire de GNL (cost plus) ; ce système faisait peser les coûts liés à la fourniture de la quantité obligatoire de GNL sur les acheteurs obligés, lesquels pouvaient, à leur tour, répercuter ces coûts sur leurs consommateurs finaux ; il était prévu que l’obligation d’achat durerait dix années, mais cette période pourrait être raccourcie si le développement et l’intégration du marché lituanien du gaz permettaient de garantir un niveau minimal d’achats permettant au terminal GNL de fonctionner de façon stable, sans l’obligation d’achat ;

–        le financement de la construction de l’infrastructure du terminal GNL était couvert par une garantie d’État.

4        Dans la décision de 2013, la Commission a conclu, d’une part, que les mesures d’aide à l’investissement, à savoir la garantie d’État et une partie du supplément GNL (dans la mesure où il couvrait les coûts d’investissement), étaient compatibles avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, et, d’autre part, que les mesures d’aide au fonctionnement, à savoir l’obligation d’achat et une autre partie du supplément GNL (dans la mesure où il couvrait les coûts d’exploitation fixes du terminal GNL), étaient compatibles avec le marché intérieur sur le fondement de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

5        Par arrêt du 12 septembre 2019, Achemos Grupė et Achema/Commission (T‑417/16, non publié, EU:T:2019:597), le Tribunal a rejeté le recours en annulation formé par Achema et Achemos Grupė à l’encontre de cette décision. Par arrêt du 29 avril 2021, Achemos Grupė et Achema/Commission (C‑847/19 P, non publié, EU:C:2021:343), la Cour a rejeté le pourvoi introduit par Achema et Achemos Grupė à l’encontre de l’arrêt du 12 septembre 2019, Achemos Grupė et Achema/Commission (T‑417/16, non publié, EU:T:2019:597).

B.      Faits postérieurs à la décision de 2013

6        Le 10 février 2014, à l’issue d’un appel d’offres, le ministère de l’énergie lituanien a désigné la société publique Litgas UAB en tant que fournisseur désigné.

7        Le 21 août 2014, à l’issue d’un appel d’offres, Litgas a signé avec la société Statoil un contrat de fourniture de GNL pour une durée de cinq ans, c’est-à-dire jusqu’en 2019, pour une quantité de 0,54 bcm de GNL par an, devant être livrée selon un calendrier préfixé, à savoir quatre cargaisons par an, une fois par trimestre.

8        Le 1er janvier 2015, le terminal GNL est entré en exploitation commerciale et Litgas a commencé à fournir, en amont, du GNL au terminal GNL, et, en aval, du gaz aux acheteurs obligés.

9        Ensuite, les autorités lituaniennes ont décidé, sans les notifier préalablement à la Commission, d’apporter certaines modifications aux mesures d’aide faisant l’objet de la décision de 2013 (ci-après les « modifications de 2016 »). Ces modifications sont entrées en vigueur le 1er janvier 2016 et sont restées applicables jusqu’au 31 décembre 2018, et se résument comme suit :

–        Litgas, en tant que fournisseur désigné, a été chargée d’un service d’intérêt économique général, consistant en une obligation de fournir une quantité obligatoire de GNL au terminal GNL (ci-après le « SIEG en cause ») ; le SIEG en cause serait financé par un nouveau composant du supplément GNL en faveur de Litgas, ayant pour objet de compenser les coûts supportés par celle-ci liés au SIEG en cause qui n’étaient pas entièrement couverts par les recettes dégagées par la revente du gaz en aval à un prix réglementé ; ce nouveau composant du supplément GNL en faveur de Litgas s’ajouterait au supplément GNL en faveur de KN mentionné au point 3 ci-dessus ;

–        la méthodologie pour le calcul du prix réglementé payé par les acheteurs obligés à Litgas pour l’achat de la quantité obligatoire de GNL a été modifiée ; ce prix était désormais calculé par l’ANR par référence au prix de marché, sur la base des prix moyens du marché du gaz, en prenant en considération des données relatives aux contrats de fourniture de gaz négociés sur la bourse du gaz de Lituanie et sur une base bilatérale ;

–        la quantité obligatoire de GNL a été réduite de 0,54 bcm/an à 0,37 bcm/an ;

–        la quantité de gaz que chaque acheteur obligé devait acheter à Litgas était désormais déterminée exclusivement par rapport à sa demande individuelle de gaz ; si la demande de gaz de tous les acheteurs obligés pris ensemble était inférieure à la quantité obligatoire de GNL, Litgas devait vendre les quantités non revendues aux acheteurs obligés sur le marché national ou international.

10      L’objectif des modifications de 2016 était, en substance, de faire peser la charge économique liée à la fourniture de la quantité obligatoire de GNL non pas sur les acheteurs obligés, comme c’était le cas auparavant, mais sur l’ensemble des consommateurs de gaz. En effet, selon les modifications de 2016, les acheteurs obligés devaient acheter auprès du fournisseur désigné uniquement les quantités dont ils avaient besoin à des prix, certes régulés, mais reflétant le prix moyen du marché. En revanche, c’étaient les consommateurs de gaz, désormais redevables du nouveau composant du supplément GNL dont le bénéficiaire était Litgas, qui financeraient la différence entre les coûts pour la fourniture du SIEG en cause et les revenus de Litgas.

11      Le 18 février 2016, à la suite d’une renégociation du contrat visé au point 7 ci-dessus, Litgas et Statoil ont signé un avenant, selon lequel, premièrement, la quantité annuelle de GNL fournie par Statoil à Litgas a été réduite à 0,37 bcm par an, deuxièmement, la durée du contrat a été prorogée jusqu’en 2024 et, troisièmement, le prix du GNL a été réduit.

C.      Procédure administrative et décision attaquée

12      Le 26 février 2016, les autorités lituaniennes ont prénotifié à la Commission les modifications de 2016.

13      Le 7 juillet 2016, Achema et Achemos Grupė ont déposé une plainte auprès de la Commission à l’encontre de la République de Lituanie, alléguant que les modifications de 2016 étaient constitutives d’une aide d’État illégale et incompatible avec le marché intérieur (ci-après la « plainte »).

14      En janvier 2018, les autorités lituaniennes ont informé la Commission de leur intention d’apporter des amendements aux modifications de 2016 à partir du 1er janvier 2019 (ci-après les « modifications de 2019 »). Ces modifications, applicables du 1er janvier 2019 jusqu’au 31 décembre 2023, se résument comme suit :

–        la compensation accordée à Litgas pour la fourniture du SIEG en cause, financée par le biais du nouveau composant du supplément GNL, serait désormais calculée selon une nouvelle méthodologie ;

–        l’obligation d’achat serait éliminée ; ainsi, les acheteurs obligés pourraient désormais s’approvisionner librement en gaz sur le marché, et Litgas serait exposée aux forces du marché en aval.

15      Le 9 juillet 2018, les autorités lituaniennes ont notifié à la Commission, conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, tant la mesure d’aide faisant l’objet des modifications de 2016 que celle faisant l’objet des modifications de 2019.

16      Le 31 octobre 2018, la Commission a adopté la décision C(2018) 7141 final, relative à l’aide d’État SA.44678 (2018/N), concernant la modification de l’aide pour le terminal GNL en Lituanie, dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2019, C 14, p. 1, ci-après la « décision attaquée »).

17      Dans la décision attaquée, en premier lieu, la Commission a analysé aux considérants 102 à 208 de ladite décision, les modifications de 2016 et a conclu, en substance, que le nouveau composant du supplément GNL en faveur de Litgas destiné à compenser le SIEG en cause constituait une aide d’État illégale, mais compatible avec le marché intérieur, conformément à la communication de la Commission sur l’encadrement de l’Union européenne applicable aux aides d’État sous forme de compensations de service public (2011) (JO 2012, C 8, p. 15, ci-après l’« encadrement SIEG »), et à l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

18      En second lieu, aux considérants 209 à 226 de la décision attaquée, la Commission a analysé les modifications de 2019 et a conclu, en substance, que le composant du supplément GNL en faveur de Litgas destiné à compenser le SIEG en cause, tel que modifié en 2019, constituait une aide d’État compatible avec le marché intérieur, conformément à l’encadrement SIEG et à l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

19      En conclusion, tout en regrettant que la République de Lituanie ait mis en œuvre le nouveau composant du supplément GNL en faveur de Litgas, pendant la période allant de 2016 à 2019, en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’encontre des mesures d’aide faisant l’objet des modifications de 2016 et de 2019, conformément à l’article 4, paragraphe 3, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9). Ce faisant, la Commission a autorisé les modifications de 2016 et de 2019 sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

II.    Procédure et conclusions des parties

20      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 avril 2019, les requérantes ont introduit le présent recours.

21      Le 19 juin 2019, la Commission a déposé le mémoire en défense.

22      Le 4 septembre 2019, les requérantes ont déposé leur réplique.

23      Le 25 octobre 2019, la Commission a déposé la duplique.

24      Le 11 novembre 2019, le président de la dixième chambre du Tribunal a admis la République de Lituanie et Ignitis UAB, le successeur légal de Litgas, à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

25      Le 6 février 2020, la République de Lituanie et Ignitis ont déposé leurs mémoires en intervention.

26      Le 1er avril 2020, la Commission a informé le Tribunal qu’elle n’avait pas d’observations sur les mémoires en intervention de la République de Lituanie et d’Ignitis.

27      Le 3 avril 2020, les requérantes ont fait parvenir leurs observations sur les mémoires en intervention de la République de Lituanie et d’Ignitis.

28      Le 8 mai 2020, en application de l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, les requérantes ont présenté une demande motivée d’audience de plaidoiries.

29      Le 20 novembre 2020, au titre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, de son règlement de procédure, le Tribunal a demandé à la Commission de produire certains documents. La Commission a déféré à la demande du Tribunal le 18 décembre 2020.

30      Le 13 janvier 2021, au titre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, de son règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties à prendre position sur les documents produits par la Commission le 18 décembre 2020. La Commission et les requérantes ont déféré à cette invitation par lettres, respectivement, du 26 et du 29 janvier 2021.

31      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 10 février 2021.

32      Les requérantes concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission, la République de Lituanie et Ignitis aux dépens.

33      La Commission, soutenue par la République de Lituanie et Ignitis, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

III. En droit

34      À l’appui du recours, les requérantes avancent un moyen unique, par lequel elles font valoir que la Commission a violé son obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE et, partant, leurs droits procéduraux, au motif que, selon elles, la Commission aurait dû nourrir des doutes quant à la compatibilité des mesures d’aide faisant l’objet des modifications de 2016 et de 2019 avec le marché intérieur.

A.      Sur la recevabilité du recours

35      En l’espèce, ni la Commission ni les intervenantes ne contestent la recevabilité du recours. Toutefois, les conditions de recevabilité d’un recours fondé sur l’article 263 TFUE étant d’ordre public, il convient de les examiner d’office (voir, en ce sens, arrêt du 25 mars 2009, Alcoa Trasformazioni/Commission, T‑332/06, non publié, EU:T:2009:79, point 33).

36      Selon la jurisprudence, si la qualité particulière de partie intéressée au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, liée à l’objet spécifique du recours, est reconnue à une partie requérante, elle suffit à l’individualiser, selon l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, lorsque ledit recours tend, comme en l’espèce, à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’elle tire de l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 48, et du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher-Fleisch e.a., C‑47/10 P, EU:C:2011:698, point 44).

37      En l’occurrence, il n’est pas contesté que les requérantes sont des « parties intéressées » au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, « dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide », qui ont ainsi par définition un « intérêt » à l’ouverture de la procédure formelle d’examen devant conduire à l’adoption d’une décision par la Commission et, corrélativement, un intérêt à former un recours contre la décision attaquée. Il importe de souligner, en effet, que les requérantes figuraient parmi les contribuables principaux du supplément GNL, qu’Achema était un des auteurs de la plainte introduite à l’encontre des modifications de 2016, qu’elle avait participé à la procédure administrative ayant abouti à la décision attaquée et qu’Achema Gas Trade était un concurrent de Litgas, le bénéficiaire de l’aide.

38      Il s’ensuit que les requérantes sont recevables à contester la décision attaquée en leur qualité de parties intéressées au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, en soulevant un moyen unique, tiré d’une violation par la Commission de son obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE et, partant, de leurs droits procéduraux.

B.      Sur le fond

39      Les requérantes font valoir un faisceau d’indices visant à démontrer les doutes que la Commission aurait dû éprouver lors de l’examen préliminaire des mesures d’aide faisant l’objet des modifications de 2016 et de 2019, tirés, premièrement, de la durée de la procédure, deuxièmement, d’autres circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée et, troisièmement, du contenu de celle-ci.

40      Il convient de rappeler d’emblée les principes régissant le contrôle de légalité, sur le fondement de l’article 263 TFUE, d’une décision de ne pas soulever d’objections, avant d’examiner le faisceau d’indices avancé par les requérantes.

1.      Principes applicables

41      Selon la jurisprudence, la phase préliminaire prévue par l’article 108, paragraphe 3, TFUE a seulement pour objet de ménager à la Commission un délai de réflexion et d’investigation suffisant pour se former une première opinion sur les projets d’aides qui lui ont été notifiés afin de conclure, sans qu’un examen approfondi soit nécessaire, qu’ils sont compatibles avec le traité FUE ou, au contraire, de constater que leur contenu soulève des doutes quant à cette compatibilité (arrêt du 3 mai 2001, Portugal/Commission, C‑204/97, EU:C:2001:233, point 34).

42      À cet égard, lorsqu’une partie requérante demande l’annulation d’une décision de ne pas soulever d’objections sur le fondement de l’article 263 TFUE, elle met en cause essentiellement le fait que la décision prise par la Commission à l’égard de la mesure litigieuse a été adoptée sans que cette institution ouvre la procédure formelle d’examen, violant ce faisant ses droits procéduraux. Dans le cadre de ce type de recours, ladite partie peut invoquer, aux fins de la préservation des droits procéduraux dont elle bénéficie dans le cadre de la procédure formelle d’examen, uniquement des moyens de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait ou pouvait disposer, lors de la phase d’examen préliminaire de la mesure notifiée, aurait dû susciter des doutes quant à la compatibilité de cette dernière avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 81 ; du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, EU:C:2009:435, point 35, et du 24 mai 2011, Commission/Kronoply et Kronotex, C‑83/09 P, EU:C:2011:341, point 59), étant rappelé à cet égard que les éléments d’information dont la Commission « pouvait disposer » sont ceux qui apparaissaient pertinents pour l’appréciation à effectuer et dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la phase préliminaire d’examen (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice, C‑300/16 P, EU:C:2017:706, point 71).

43      L’existence de doutes de nature à justifier l’ouverture de la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE se traduit par l’existence objective de difficultés sérieuses que la Commission a rencontrées lors de l’examen de la qualification d’aide de la mesure en cause ou de sa compatibilité avec le marché intérieur. Il ressort, en effet, à cet égard, de la jurisprudence que la notion de difficultés sérieuses revêt un caractère objectif (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 31).

44      L’existence de telles difficultés doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de l’acte attaqué que dans son contenu, d’une manière objective, en mettant en rapport les motifs de la décision avec les éléments dont la Commission disposait et pouvait disposer lorsqu’elle s’est prononcée sur la compatibilité des aides litigieuses avec le marché intérieur. Il en découle que le contrôle de légalité effectué par le Tribunal sur l’existence de difficultés sérieuses, par nature, ne peut se limiter à la recherche de l’erreur manifeste d’appréciation. En effet, une décision adoptée par la Commission sans ouverture de la phase formelle d’examen peut être annulée pour ce seul motif, en raison de l’omission de l’examen contradictoire et approfondi prévu par le traité FUE, même s’il n’est pas établi que les appréciations portées sur le fond par la Commission étaient erronées en droit ou en fait (voir arrêt du 6 mai 2019, Scor/Commission, T‑135/17, non publié, EU:T:2019:287, point 100 et jurisprudence citée).

45      Par ailleurs, conformément à la finalité de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et au devoir de bonne administration qui lui incombe, la Commission peut, notamment, engager un dialogue avec l’État notifiant ou des tiers afin de surmonter, au cours de l’examen préliminaire, des difficultés éventuellement rencontrées. Cette faculté présuppose que la Commission puisse adapter sa position en fonction des résultats du dialogue engagé, sans que cette adaptation doive être a priori interprétée comme établissant l’existence de difficultés sérieuses (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, C‑131/15 P, EU:C:2016:989, point 35). Ce n’est que si ces difficultés n’ont pu être surmontées qu’elles se révèlent être sérieuses et qu’elles doivent conduire la Commission à avoir des doutes, l’amenant ainsi à ouvrir la procédure formelle d’examen (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission, C‑431/07 P, EU:C:2009:223, point 61, et du 27 octobre 2011, Autriche/Scheucher‑Fleisch e.a., C‑47/10 P, EU:C:2011:698, point 70).

46      Il appartient à la partie requérante de prouver l’existence de doutes, preuve qu’elle peut fournir à partir d’un faisceau d’indices concordants, relatifs, d’une part, aux circonstances et à la durée de la procédure d’examen préliminaire et, d’autre part, au contenu de la décision attaquée (arrêts du 27 septembre 2011, 3F/Commission, T‑30/03 RENV, EU:T:2011:534, point 55 ; du 8 janvier 2015, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, T‑58/13, non publié, EU:T:2015:1, point 40, et du 6 mai 2019, Scor/Commission, T‑135/17, non publié, EU:T:2019:287, points 102 et 104).

47      Selon la jurisprudence, le contenu partiellement incomplet et insuffisant de la décision attaquée peut attester que la Commission a pris cette décision malgré l’existence de difficultés sérieuses (voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, point 118).

48      C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner le faisceau d’indices avancé par les requérantes afin de déterminer si, pris ensemble, ces indices démontrent que la Commission aurait dû éprouver des doutes lors de l’examen préliminaire des mesures d’aide faisant l’objet des modifications de 2016 et de 2019.

2.      Sur les indices relatifs à la durée de la procédure administrative

49      Les requérantes soutiennent, en substance, que la durée extrêmement longue de la procédure administrative dans son ensemble, à savoir environ deux ans et neuf mois, met en évidence la complexité des mesures en cause et constitue un indice objectif de l’existence de difficultés sérieuses dans l’examen de leur compatibilité avec le marché intérieur.

50      La Commission, soutenue par la République de Lituanie et par Ignitis, fait valoir, en substance, que la durée de la procédure était raisonnable au regard des circonstances particulières de l’affaire et que, en tout état de cause, la durée de la procédure administrative ne permet pas à elle seule de considérer qu’elle aurait dû ouvrir une procédure formelle d’examen.

51      À cet égard, il y a lieu de constater que, en l’espèce, la Commission a fusionné, dans une seule et même procédure, l’examen, d’une part, de la mesure d’aide issue des modifications de 2016, laquelle a fait l’objet à la fois d’une prénotification de la part des autorités lituaniennes et d’une plainte, avec l’examen, d’autre part, de la mesure d’aide issue des modifications de 2019. Dans ces circonstances, il y a lieu d’examiner, en premier lieu, la durée de la procédure concernant les modifications de 2016 et, en second lieu, la durée de la procédure concernant les modifications de 2019.

52      À titre liminaire, il importe de rappeler que la question en l’espèce n’est pas celle du caractère raisonnable ou non de la durée de l’examen préliminaire, mais celle de savoir si cette durée est révélatrice de difficultés sérieuses (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2011, 3F/Commission, T‑30/03 RENV, EU:T:2011:534, point 69). Il n’appartient donc pas au Tribunal d’examiner, dans le cadre du présent litige, si la longueur de la procédure pouvait être justifiée et si, en conséquence, la Commission a enfreint ou non son obligation de statuer dans un délai raisonnable, mais uniquement si la longueur de la procédure peut objectivement constituer un indice de l’existence de difficultés sérieuses lors de l’examen des mesures en cause.

53      En premier lieu, s’agissant de la durée de la procédure administrative concernant la mesure d’aide issue des modifications de 2016, il y a lieu de relever que celle-ci a, tout d’abord, été prénotifiée par les autorités lituaniennes à la Commission le 26 février 2016, puis, fait l’objet d’une plainte le 7 juillet 2016 et, enfin, été notifiée par lesdites autorités à la Commission le 9 juillet 2018. La décision attaquée ayant été adoptée le 31 octobre 2018, il s’ensuit que la procédure administrative concernant les modifications de 2016 a duré, au total, 2 ans, 8 mois et 5 jours, à compter de la date de leur prénotification.

54      Premièrement, s’agissant de la procédure de prénotification, il convient de rappeler que celle-ci a été formalisée dans le code de bonnes pratiques pour la conduite des procédures de contrôle des aides d’État (JO 2009, C 136, p. 13 ; ci-après le « code de bonnes pratiques de 2009 »).

55      Ce code, applicable rationae temporis au moment de la prénotification, a mis en place un dispositif procédural ayant pour objectif de rendre les procédures dans le domaine d’aides d’État plus efficaces, plus faciles à appliquer et plus prévisibles. Ainsi, si, comme l’énonce d’ailleurs le paragraphe 8 du code de bonnes pratiques de 2009, celui-ci n’altère aucun droit, ni aucune obligation énoncée dans le traité FUE et les différents règlements qui encadrent les procédures relatives aux aides d’État, la Commission ne saurait se départir de ses propres règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que les principes d’égalité de traitement ou de protection de la confiance légitime (voir arrêt du 3 septembre 2020, Vereniging tot Behoud van Natuurmonumenten in Nederland e.a./Commission, C‑817/18 P, EU:C:2020:637, point 100 et jurisprudence citée).

56      Le code de bonnes pratiques de 2009 prévoit, en substance, au paragraphe 10, que la phase de prénotification a pour objet de faciliter la notification du projet envisagé, et ce afin de permettre à la Commission de procéder de manière optimale, dès la réception de cette notification, à son examen préliminaire. En effet, en application de l’article 2, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, la notification doit fournir tous les renseignements nécessaires pour permettre à la Commission de prendre une décision conformément à l’article 4 (décisions sur l’examen préliminaire de la notification) et à l’article 9 (décisions de clore la procédure formelle d’examen) de ce règlement. L’objectif essentiel de la phase de prénotification consiste ainsi à réduire le risque que la notification puisse être considérée comme étant incomplète, ce qui retarderait d’autant la procédure d’examen du projet notifié.

57      S’agissant de la durée de la phase de prénotification, il ressort du paragraphe 14 du code de bonnes pratiques de 2009 que, en règle générale, les contacts de prénotification ne devraient pas durer plus de deux mois et devraient aboutir à une notification complète. Si ces contacts ne débouchent pas sur les résultats escomptés, les services de la Commission peuvent déclarer que la phase de prénotification est close. Le même paragraphe dudit code indique que les contacts peuvent néanmoins durer plusieurs mois dans les cas complexes.

58      Or, en l’espèce, la phase de prénotification de la mesure d’aide issue des modifications de 2016, déclenchée le 26 février 2016, a duré 2 ans, 4 mois et 13 jours jusqu’à la notification formelle de celle-ci, intervenue le 9 juillet 2018. Il s’ensuit que les délais indicatifs dans lesquels la phase de prénotification devrait généralement être achevée ont été très largement dépassés, ce qui constitue un indice, ainsi qu’il ressort du libellé même des passages susvisés du code de bonnes pratiques de 2009, de la complexité du cas d’espèce.

59      Deuxièmement, le Tribunal constate que la Commission a également largement dépassé les délais indicatifs applicables pour l’examen des plaintes en matière d’aides d’État.

60      En effet, il convient de rappeler que l’article 12, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement 2015/1589, dans sa version en vigueur au moment du dépôt de la plainte, obligeait la Commission à examiner « sans délai » toute plainte déposée par une partie intéressée. En outre, conformément au paragraphe 47 du code de bonnes pratiques de 2009, la Commission s’est engagée à mettre tout en œuvre pour examiner une plainte dans un délai indicatif de douze mois à compter de sa réception.

61      Or, en l’espèce, la période entre la date de dépôt de la plainte, à savoir le 7 juillet 2016, et l’adoption de la décision attaquée, le 31 octobre 2018, dans laquelle la Commission a pris position sur la plainte, a été de 2 ans, 3 mois et 24 jours. La durée de l’examen de la plainte a donc dépassé très largement le délai indicatif de douze mois prévu dans le code de bonnes pratiques de 2009.

62      Le simple fait que la Commission a dû examiner en parallèle tant la prénotification de la mesure d’aide issue des modifications de 2016 que la plainte n’est pas susceptible d’expliquer la durée extrêmement longue de la procédure. En effet, d’une part, l’objet de la prénotification et celui de la plainte étaient le même, à savoir les modifications de 2016. La plainte n’a donc pas élargi l’étendue de l’examen des mesures en cause. D’autre part, force est de constater que les modifications de 2016 intervenaient dans un contexte factuel et juridique déjà connu par la Commission, dans la mesure où celles-ci avaient pour objet de modifier certains aspects d’une partie des mesures d’aide ayant fait l’objet de la décision de 2013, d’autant plus que ces modifications ont été adoptées à peine trois ans après la décision de 2013.

63      Il s’ensuit que la durée particulièrement longue de la procédure administrative concernant la mesure d’aide issue des modifications de 2016 constitue un indice objectif de la complexité du cas d’espèce et de l’existence de difficultés sérieuses rencontrées par la Commission lors de l’examen de celui-ci. Par ailleurs, au point 51 de son mémoire en défense, la Commission reconnaît elle-même que les modifications de 2016 se caractérisaient par « un certain degré de complexité ».

64      En deuxième lieu, s’agissant de la mesure d’aide issue des modifications de 2019, il y a lieu de relever que celle-ci a été, d’abord, prénotifiée par les autorités lituaniennes en janvier 2018, selon ce qu’a indiqué la Commission dans son mémoire en défense, puis notifiée le 9 juillet 2018. La décision attaquée ayant été adoptée le 31 octobre 2018, la procédure administrative concernant les modifications de 2019 a duré environ 10 mois au total, à compter de la date de leur prénotification.

65      Ainsi qu’il a été rappelé au point 57 ci-dessus, les contacts de prénotification ne devraient généralement pas durer plus de deux mois, sauf dans les cas complexes. Or, en l’espèce, la phase de prénotification de la mesure d’aide issue des modifications de 2019 a duré environ 7 mois jusqu’à la notification formelle, intervenue le 9 juillet 2018, ce qui tend à démontrer que lesdites modifications revêtaient une certaine complexité, ce que reconnaît la Commission elle-même au point 51 de son mémoire en défense.

66      En troisième lieu, contrairement à ce que soutient la Commission, la longueur très significative de la procédure administrative en l’espèce, prise dans son ensemble, ne saurait s’expliquer par le fait qu’elle a choisi d’examiner conjointement, dans une même procédure et décision, deux mesures d’aide distinctes, à savoir celle résultant des modifications de 2016 et celle résultant des modifications de 2019.

67      En effet, d’une part, si la Commission n’éprouvait aucun doute quant à la compatibilité de la mesure d’aide faisant l’objet des modifications de 2016 avec le marché intérieur, elle aurait pu clôturer son examen de celle-ci dans les délais indicatifs prévus dans le code de bonnes pratiques de 2009, et donc bien avant que les autorités lituaniennes n’aient envisagé d’introduire les modifications de 2019 et qu’elle en prenne connaissance.

68      D’autre part, à supposer même que, à partir de la prénotification, en janvier 2018, de la mesure d’aide issue des modifications de 2019, la Commission n’ait examiné que cette dernière, de sorte que la phase de prénotification relative aux modifications de 2016 n’aurait duré que du 26 février 2016 à janvier 2018, il n’en reste pas moins qu’une telle durée, revenant à plus de 22 mois, est, elle aussi, très largement supérieure aux délais indicatifs prévus dans le code de bonnes pratiques de 2009.

69      De même, si la Commission tente d’expliquer la durée de la procédure par la « langue utilisée » et la « nécessité d’une traduction », cet argument n’est aucunement étayé. En effet, la Commission ne précise ni le nombre, ni la longueur des documents ayant dû être traduits, ni les délais qu’aurait occasionnés la nécessité d’une telle traduction.

70      Il convient donc de conclure que la durée de la procédure administrative concernant la mesure d’aide issue des modifications de 2016 et, dans un moindre degré, celle de la procédure concernant la mesure d’aide issue des modifications de 2019, constituent un indice de l’existence de difficultés sérieuses.

71      Cela étant, il convient de rappeler que, si la durée de l’examen préliminaire peut constituer un indice de l’existence de difficultés sérieuses, elle ne suffit pas en soi à démontrer l’existence de telles difficultés (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2013, 3F/Commission, C‑646/11 P, non publié, EU:C:2013:36, point 32 et jurisprudence citée). Ce n’est que s’il est conforté par d’autres éléments que l’écoulement d’un délai peut conduire à constater que la Commission a rencontré des difficultés sérieuses exigeant que soit ouverte la procédure prévue par l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2014, Ryanair/Commission, T‑512/11, non publié, EU:T:2014:989, point 75).

3.      Sur les indices relatifs aux circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée

72      Les requérantes soutiennent, en substance, que plusieurs circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée confirment que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la compatibilité des mesures en cause avec le marché intérieur.

73      Les circonstances invoquées par les requérantes concernent, en substance, premièrement, les échanges entre la Commission, les autorités lituaniennes et les requérantes, deuxièmement, le fait que les autorités lituaniennes auraient présenté des données incomplètes ou incorrectes dans le cadre de la procédure ayant conduit à la décision de 2013, troisièmement, le fait que le recours en annulation introduit à l’encontre de la décision de 2013 était pendant devant le Tribunal au moment de l’adoption de la décision attaquée et, quatrièmement, le fait que, dans la décision attaquée, la Commission aurait omis d’analyser certains faits importants et cette décision contiendrait des déclarations fallacieuses ou erronées.

74      La Commission, soutenue par la République de Lituanie et par Ignitis, rétorque que les circonstances invoquées par les requérantes ne permettent pas de prouver l’existence de doutes justifiant l’ouverture d’une procédure formelle d’examen.

75      Il convient de rappeler, à titre liminaire, que le seul fait que des discussions se soient instaurées entre la Commission et l’État membre intéressé durant la phase d’examen préliminaire et que, dans ce cadre, des informations complémentaires aient pu être demandées par la Commission sur les mesures soumises à son contrôle ne peut pas, en soi, être considéré comme un indice de ce que cette institution se trouvait face à des difficultés sérieuses d’appréciation. Toutefois, il ne saurait être exclu que la teneur des discussions engagées entre la Commission et l’État membre notifiant durant cette phase de la procédure puisse, dans certaines circonstances, révéler l’existence de telles difficultés. De plus, un nombre élevé de demandes d’information adressées à l’État membre notifiant par la Commission peut, associé à la durée de l’examen préliminaire, constituer un indice de difficultés sérieuses (voir, en ce sens, arrêts du 9 décembre 2014, Netherlands Maritime Technology Association/Commission, T‑140/13, non publié, EU:T:2014:1029, points 73 et 74, et du 8 janvier 2015, Club Hotel Loutraki e.a./Commission, T‑58/13, non publié, EU:T:2015:1, point 47).

76      Il convient donc d’examiner d’abord le nombre, puis la teneur, des échanges entre la Commission, les autorités lituaniennes et les requérantes.

77      En premier lieu, s’agissant du nombre d’échanges entre la Commission, les autorités lituaniennes et les requérantes, il y a lieu de relever que, en l’espèce, la Commission a adressé au moins huit demandes de renseignements aux autorités lituaniennes, les 18 avril et 15 novembre 2016, 2 février, 7 février, 21 avril et 6 juillet 2017, 31 juillet et 20 septembre 2018. Les autorités lituaniennes ont répondu à ces demandes de renseignements, respectivement, les 9 juin 2016, 27 janvier et 7 avril 2017 (cette réponse concernait les demandes de renseignements du 2 et du 7 février 2017), 24 avril et 22 septembre 2017, 3 septembre et 24 septembre 2018.

78      En outre, il y a eu au moins six réunions entre la Commission et les autorités lituaniennes, le 25 juin 2016, à une date inconnue en novembre 2016, et les 9 novembre 2017, 8 février, 16 mars et 10 avril 2018.

79      Par ailleurs, les plaignantes se sont réunies avec la Commission le 30 juin 2016 et le 19 décembre 2017. Le 4 octobre 2016, la Commission a informé les plaignantes par courriel de l’état d’avancement de la plainte.

80      Il ressort du contenu et de la chronologie de ces échanges que la plupart d’entre eux concernaient les modifications de 2016. En effet, six des demandes de renseignements mentionnées au point 77 ci-dessus, à savoir celles des 18 avril et 15 novembre 2016, 2 février, 7 février, 21 avril et 6 juillet 2017, portaient exclusivement sur les modifications de 2016, alors que les deux autres, à savoir celles du 31 juillet et du 20 septembre 2018, portaient à la fois sur les modifications de 2016 et sur celles de 2019. La plainte portait, quant à elle, sur les modifications de 2016 uniquement. De même, il ressort du contenu et de la chronologie des discussions ayant eu lieu lors des réunions entre la Commission et les autorités lituaniennes que celles du 25 juin, de novembre 2016 et du 9 novembre 2017 portaient exclusivement sur les modifications de 2016, alors que celles du 8 février et du 10 avril 2018 concernaient surtout les modifications de 2019, et celle du 16 mars 2018 concernait tant les modifications de 2016 que celles de 2019. Les réunions entre la Commission et les plaignantes du 30 juin 2016 et du 19 décembre 2017 portaient, quant à elles, sur les modifications de 2016.

81      En second lieu, s’agissant de la teneur des échanges entre la Commission, les autorités lituaniennes et les requérantes, il convient de relever que ceux-ci mettent en exergue la complexité des modifications de 2016 ainsi que les difficultés que la Commission a rencontrées lors de l’examen de celles-ci.

82      Premièrement, les demandes de renseignements adressées par la Commission aux autorités lituaniennes exposent une longue liste de, au total, plus d’une centaine de questions et sous-questions, certaines complexes, concernant divers aspects des modifications de 2016, comme la possibilité d’exploiter le terminal GNL en régime de veille, le calcul et la portée de la compensation accordée à Litgas, ainsi que les coûts encourus par cette dernière dans le cadre du SIEG en cause, la nécessité de l’obligation d’achat et la structure du prix régulé payé, en aval, par les acheteurs obligés à Litgas.

83      Deuxièmement, il ressort de ces échanges que l’idée d’amender certains éléments essentiels des modifications de 2016, ayant conduit à l’adoption ultérieure des modifications de 2019, a émergé au cours des échanges entre la Commission et les autorités lituaniennes, ce qui suggère que la Commission a vraisemblablement entretenu des doutes en ce qui concerne la compatibilité des modifications de 2016 avec le marché intérieur. Cela constituerait un indice du fait que la Commission a rencontré des difficultés sérieuses d’appréciation pendant son enquête.

84      Ainsi, tout d’abord, dans sa demande de renseignements du 15 novembre 2016, la Commission a interrogé les autorités lituaniennes sur la possibilité de raccourcir la période de dix années pendant laquelle il était prévu que l’obligation d’achat soit en vigueur et leur a demandé si elles étaient prêtes à modifier la mesure prénotifiée afin de limiter l’obligation d’achat aux seules périodes durant lesquelles il n’était pas possible d’atteindre la capacité minimale de regazéification compte tenu des réservations de capacités qui n’étaient pas déclenchées par l’obligation d’achat (questions 15 et 16).

85      Ensuite, selon le procès-verbal de la réunion du 9 novembre 2017, établi par la Commission, les autorités lituaniennes étaient « prêtes à considérer » la possibilité de supprimer l’obligation d’achat et de limiter la compensation accordée à Litgas. En outre, selon le procès-verbal de la réunion entre la Commission et les plaignantes du 19 décembre 2017, établi par la Commission, la Commission a indiqué qu’« il pourrait être nécessaire de réévaluer le mécanisme de compensation » du SIEG en cause et qu’elle « pourrait essayer d’introduire une pression concurrentielle sur le marché en aval ».

86      Selon un courriel de l’avocat des requérantes figurant en annexe à la requête et contenant un résumé des échanges ayant eu lieu pendant cette dernière réunion, la Commission aurait informé les plaignantes qu’elle envisageait d’exiger des autorités lituaniennes, d’une part, l’élimination de l’obligation d’achat pour « permettre à la filiale d’Achema ainsi qu’à d’autres fournisseurs de gaz potentiels de concurrencer Litgas sur le marché en aval » et, d’autre part, la modification de la méthodologie de calcul de la compensation accordée à Litgas pour « réduire les distorsions de concurrence et rapprocher la situation des conditions normales de marché ». L’argument de la Commission selon lequel ce courriel n’aurait pas de force probante doit être rejeté, car le contenu de ce courriel, rédigé in tempore non suspecto, correspond, en substance, à celui du procès-verbal de la même réunion établi par la Commission.

87      De surcroît, selon le procès-verbal de la réunion entre la Commission et les autorités lituaniennes du 10 avril 2018, établi par la Commission, les autorités lituaniennes avaient insisté sur la nécessité de compenser les coûts d’équilibrage de Litgas, alors que la Commission avait réitéré que Litgas devait être exposée aux forces du marché sur le marché en aval.

88      Enfin, il ressort de la réponse des autorités lituaniennes du 3 septembre 2018 à la cinquième question de la Commission contenue dans la demande de renseignements du 31 juillet 2018 que la Commission a demandé aux autorités lituaniennes de ne plus compenser les coûts d’équilibrage de Litgas à partir de 2019.

89      Ces circonstances indiquent que les échanges en cause ne portaient pas exclusivement sur des informations d’ordre factuel ou technique, ayant pour but de permettre à l’État membre de préparer une notification complète, mais contenaient aussi des indices faisant apparaître l’existence de doutes dans l’esprit de la Commission quant à certains éléments essentiels des modifications de 2016, témoignant ainsi des difficultés sérieuses d’appréciation rencontrées par la Commission.

90      Partant, contrairement à ce que soutiennent la Commission et les parties intervenantes, le nombre et la teneur des échanges entre celle-ci, les autorités lituaniennes et les requérantes quant aux modifications de 2016 doivent être considérés comme révélateurs de difficultés sérieuses, d’autant plus que les modifications de 2016 avaient pour objet de modifier les mesures d’aide faisant l’objet de la décision de 2013, de sorte que la Commission connaissait déjà le contexte factuel et juridique dans lequel ces modifications s’inscrivaient.

91      Pris conjointement avec la durée particulièrement longue de la procédure administrative concernant la mesure d’aide issue des modifications de 2016, ces circonstances constituent des indices de l’existence de difficultés sérieuses lors de l’examen de cette mesure.

92      En revanche, s’agissant des modifications de 2019, il ressort du dossier que seulement deux demandes de renseignements ainsi que trois réunions entre la Commission et les autorités lituaniennes portaient, en partie, sur celles-ci. Or, ces demandes de renseignements ne contenaient qu’un nombre réduit de questions d’ordre purement factuel et les procès-verbaux des réunions, établis par la Commission et rédigés dans des termes généraux, se limitaient à indiquer, en substance, que lesdites réunions avaient porté sur les modifications de 2019. Partant, le nombre et la teneur des échanges entre la Commission, les autorités lituaniennes et les requérantes ne font pas apparaître de difficultés particulières en ce qui concerne les modifications de 2019.

93      Par ailleurs, les autres indices soulevés par les requérantes, résumés au point 73 ci-dessus, ne démontrent pas l’existence de difficultés sérieuses en ce qui concerne les modifications de 2016 ou de 2019, dans la mesure où soit ils critiquent, en réalité, la décision de 2013, alors que la légalité de celle-ci ne fait pas l’objet du présent litige, soit ils font référence au contenu de la décision attaquée et seront donc examinés ci-après. De même, le seul fait que la décision de 2013 fasse l’objet d’un litige pendant devant le Tribunal, au moment de l’adoption de la décision attaquée, n’est pas un indice de l’existence de difficultés sérieuses.

94      Il convient donc d’examiner si la conclusion intermédiaire tirée sur la base des indices se rapportant à la durée de la procédure administrative et aux circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée, telle que résumée aux points 91 et 92 ci-dessus, est confortée ou infirmée par les indices invoqués par les requérantes se rapportant au contenu de la décision attaquée.

4.      Sur les indices relatifs au contenu de la décision attaquée

95      Les requérantes font valoir six indices relatifs au contenu de la décision attaquée démontrant, selon elles, l’existence d’erreurs d’appréciation et de défauts de motivation, et donc de doutes quant à la compatibilité des mesures en cause avec le marché intérieur.

96      Il convient d’analyser, d’abord, le deuxième indice soulevé par les requérantes, concernant la nécessité et l’étendue du SIEG confié à Litgas, et, ensuite, les autres indices soulevés par elles, suivant leur ordre de présentation.

a)      Sur l’indice relatif à l’analyseprétendument défaillante et insuffisante de la nécessité et del’étendue du SIEG en cause

97      Les requérantes soutiennent, en substance, que le SIEG en cause n’était pas nécessaire pour assurer la sécurité de l’approvisionnement en gaz en Lituanie, et que, en tout état de cause, il était disproportionné. En outre, la Commission n’aurait pas analysé si le SIEG en cause était compatible avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (JO 2009, L 211, p. 94), ce qui, selon les requérantes, ne serait pas le cas.

98      La Commission, soutenue par la République de Lituanie et Ignitis, conteste les arguments des requérantes.

99      Aux termes de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, les entreprises chargées de la gestion de SIEG sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie, sous la réserve que le développement des échanges ne soit pas affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union.

100    Le point 12 de l’encadrement SIEG précise que l’aide octroyée par un État membre en vertu de l’article 106, paragraphe 2, TFUE doit concerner un « véritable » SIEG, au sens de cette disposition, auquel il convient de donner une définition correcte. Ainsi, le point 13 de l’encadrement SIEG indique, en particulier, que les États membres ne peuvent pas assortir d’obligations spécifiques de service public des services qui sont déjà fournis ou peuvent l’être de façon satisfaisante et dans des conditions (prix, caractéristiques de qualité objectives, continuité et accès au service) compatibles avec l’intérêt général, tel que le définit l’État, par des entreprises exerçant leurs activités dans des conditions normales de marché.

101    Or, selon une jurisprudence constante, les États membres ont un large pouvoir d’appréciation quant à la définition de ce qu’ils considèrent comme des SIEG, cette définition ne pouvant être remise en question par la Commission qu’en cas d’erreur manifeste. L’étendue du contrôle effectué par le Tribunal sur les appréciations de la Commission tient nécessairement compte de cette limitation (voir arrêt du 7 novembre 2012, CBI/Commission, T‑137/10, EU:T:2012:584, points 99 et 100 et jurisprudence citée).

102    Il convient donc d’examiner d’abord la nécessité, et puis la proportionnalité du SIEG en cause, et enfin, la compatibilité de celui-ci avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/73.

103    Ainsi, en premier lieu, s’agissant de la nécessité du SIEG en cause, il convient de relever que, aux considérants 119 à 128 de la décision attaquée, la Commission a considéré, en substance, que, en vertu des modifications de 2016 et de 2019, les autorités lituaniennes avaient confié à Litgas un véritable SIEG, consistant en une obligation de fournir une quantité minimale obligatoire de GNL au terminal GNL, à savoir 0,37 bcm/an, lequel était nécessaire pour garantir le fonctionnement stable dudit terminal et la sécurité de l’approvisionnement en gaz en Lituanie. Selon la Commission, la simple construction du terminal GNL ne garantissait pas la sécurité de l’approvisionnement en Lituanie. En effet, pour atteindre cet objectif, il était également nécessaire de maintenir le terminal GNL opérationnel tout le temps. Pour ce faire, il était nécessaire de stocker une certaine quantité de GNL dans les réservoirs du terminal GNL et de libérer en continu du GNL dans le système de gaz naturel. Selon la Commission, le SIEG en cause garantissait un approvisionnement régulier en gaz au terminal GNL suivant un calendrier fixe au cours de l’année, y compris pendant les périodes où la demande en gaz était faible, ce qui permettait d’assurer le fonctionnement stable du terminal GNL.

104    À cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, que, compte tenu du large pouvoir d’appréciation dont disposent les États membres quant à la définition de ce qu’ils considèrent comme des SIEG, conformément à la jurisprudence citée au point 101 ci-dessus, ainsi que de la situation spécifique dans laquelle se trouvait la Lituanie, caractérisée par une dépendance presque totale d’une seule source d’approvisionnement en gaz (telle que décrite aux considérants 20 à 23 de la décision attaquée), les requérantes n’ont pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant au caractère véritable et nécessaire du SIEG en cause.

105    En effet, les requérantes ne contestent ni la nécessité d’un approvisionnement régulier en gaz au terminal GNL pour garantir son fonctionnement stable, ni la conclusion de la Commission dans la décision attaquée selon laquelle le SIEG en cause permettait d’atteindre cet objectif. En outre, en garantissant le fonctionnement stable du terminal GNL, le SIEG en cause permettait d’assurer la diversification des sources d’approvisionnement en gaz en Lituanie et, partant, la sécurité de l’approvisionnement et l’indépendance énergétique de cet État membre, étant précisé qu’auparavant, compte tenu du caractère isolé de son marché énergétique, la Lituanie dépendait presque totalement du gaz provenant d’une seule source d’approvisionnement.

106    Deuxièmement, l’argument des requérantes selon lequel, en substance, la Commission aurait dû évaluer si les forces du marché étaient suffisantes pour garantir la quantité minimale de GNL requise pour permettre au terminal GNL de demeurer opérationnel sans qu’il soit besoin de confier le SIEG en cause à Litgas ne peut qu’être rejeté.

107    En effet, il ressort du considérant 125 de la décision attaquée que la Commission a examiné les options alternatives au SIEG en cause, telles que les réservations annuelles de capacités (annual capacity bookings) ou les réservations immédiates (spot bookings). Or, elle a conclu que celles-ci n’étaient pas aptes à atteindre l’objectif poursuivi, à savoir assurer le fonctionnement stable du terminal GNL, car, d’une part, les réservations annuelles de capacités permettraient de rediriger les quantités réservées vers un autre point de livraison si les prix du GNL le justifiaient et, d’autre part, les réservations immédiates n’étaient pas suffisamment fiables, dans la mesure où les activités du terminal GNL doivent être planifiées deux semaines à l’avance.

108    Les requérantes ne fournissent pas d’indices susceptibles de démontrer que la Commission aurait dû éprouver des doutes à cet égard. Lors de l’audience, elles ont invoqué la réponse des autorités lituaniennes du 9 juin 2016 à la demande de renseignements de la Commission du 18 avril 2016, dont il ressort, en substance, que, si Litgas avait besoin d’acheter des quantités additionnelles de GNL, en sus de celles fournies en vertu du contrat avec Statoil, elle pourrait les acheter sur le marché des réservations immédiates. Or, cette circonstance ne signifie aucunement que le fonctionnement en permanence du terminal GNL pouvait être assuré uniquement sur la base de ce type de réservations, indépendamment donc du SIEG en cause.

109    En outre, les requérantes ne fournissent pas d’indices susceptibles de démontrer que, en l’absence du SIEG en cause, un ou plusieurs opérateurs sur le marché seraient en mesure, de manière individuelle ou collective, de garantir l’approvisionnement de la quantité minimale obligatoire de GNL au terminal GNL dans des conditions comparables à celles du SIEG en cause, c’est-à-dire un approvisionnement régulier suivant un calendrier fixe au cours de l’année. Au contraire, le fait, non contesté, que, pendant certaines périodes de l’année, Litgas était le seul utilisateur du terminal GNL démontre que, en l’absence du SIEG en cause, les opérateurs économiques n’auraient recours audit terminal que de façon intermittente, pendant seulement certaines périodes de l’année, en fonction de la demande, ce qui risquerait d’occasionner des ruptures d’approvisionnement et de ne pas garantir le fonctionnement en continu, pendant toute l’année, dudit terminal.

110    Troisièmement, les requérantes font valoir qu’il existe des terminaux GNL situés ailleurs dans l’Union ne nécessitant pas un SIEG pour être opérationnels, ce qui démontrerait, selon elles, que le SIEG en cause n’était pas nécessaire.

111    Or, à la supposer avérée, cette circonstance ne saurait permettre de considérer que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la nécessité du SIEG en l’espèce. En effet, les requérantes n’identifient pas les terminaux GNL situés ailleurs dans l’Union qui seraient comparables à celui de Klaipėda et qui opéreraient dans des conditions de marché comparables à celles caractérisant le marché du gaz en Lituanie, notamment en ce qui concerne la nécessité de diversifier les sources d’approvisionnement et de garantir, à cette fin, le fonctionnement stable du terminal GNL.

112    Par ailleurs, les requérantes ne sauraient tirer argument de l’annexe O.1, qu’elles ont fournie dans le cadre de leur réponse à la mesure d’organisation de la procédure du 13 janvier 2021. En effet, cette annexe reproduit des déclarations faites par un ancien ministre de l’Énergie lituanien en décembre 2020. Or, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée par le juge de l’Union en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée (voir arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 91 et jurisprudence citée).

113    En deuxième lieu, il convient d’examiner si la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la proportionnalité du SIEG en cause. À cet égard, les requérantes se bornent à affirmer, en substance, que la Commission n’aurait pas dû se fier au volume de la quantité minimale de GNL requise pour permettre au terminal GNL de demeurer opérationnel, tel qu’indiqué par les autorités lituaniennes, mais aurait dû déterminer elle-même ce volume, étant donné que les autorités lituaniennes l’auraient calculé de manière erronée dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision de 2013.

114    Or, cet argument ne saurait être accueilli. En effet, les requérantes n’ayant pas précisé, et encore moins fourni d’indices susceptibles de suggérer que la quantité minimale de GNL requise pour permettre au terminal GNL de demeurer opérationnel de 0,37 bcm/an, retenue dans la décision attaquée, était disproportionnée ou excessive, elles n’ont pas démontré non plus que la Commission aurait dû éprouver des doutes à cet égard. Le seul fait que le volume initial de la quantité minimale de GNL requise pour permettre au terminal GNL de demeurer opérationnel, à savoir 0.54 bcm/an, ait dû, par la suite, être revu à la baisse, à savoir 0,37 bcm/an, n’est pas révélateur de doutes, mais tend plutôt à démontrer que les mesures d’aide issues des modifications de 2016 et de 2019 auraient réduit l’étendue et, par là, le coût du SIEG en cause. Par cet argument, les requérantes semblent critiquer, en réalité, la décision de 2013, alors que la légalité de celle-ci ne fait pas l’objet du présent litige.

115    Les requérantes allèguent également que la Commission aurait omis d’analyser les causes de la baisse de la demande en gaz en Lituanie depuis l’adoption de la décision de 2013. S’il est vrai que la Commission ne s’est pas penchée sur les causes de cette baisse, elle a néanmoins examiné en détail, aux considérants 26 à 28 de la décision attaquée, la baisse de la demande en gaz en Lituanie à partir de l’année 2011. Or, les requérantes n’expliquent pas les raisons pour lesquelles, selon elles, l’absence d’une analyse spécifique des causes de la baisse de la demande en gaz en Lituanie aurait eu un impact sur les appréciations de la Commission.

116    En troisième lieu, s’agissant de l’argument des requérantes tiré de la non-conformité alléguée des mesures en cause avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/73, il y a lieu de relever que, aux termes de cette disposition, en tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité FUE, en particulier de son article 106, les États membres peuvent imposer aux entreprises opérant dans le secteur du gaz, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l’environnement, y compris l’efficacité énergétique, l’énergie produite à partir de sources d’énergie renouvelables et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables et garantissent aux entreprises de gaz naturel de l’Union un égal accès aux consommateurs nationaux.

117    À cet égard, la Commission a relevé, au considérant 122 de la décision attaquée, que, conformément à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/73, la sécurité d’approvisionnement était un objectif qui est susceptible de justifier une obligation de service public.

118    Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir analysé, dans la décision attaquée, si les mesures en cause étaient « non discriminatoires » et garantissaient aux entreprises de gaz naturel de l’Union un « égal accès aux consommateurs nationaux », au sens de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/73. Elles font valoir, d’une part, que l’obligation d’achat réserve une quote-part des consommateurs nationaux à Litgas et ne garantit donc pas un égal accès aux consommateurs de Lituanie, la Commission n’ayant pas analysé cette question. D’autre part, le SIEG en cause serait discriminatoire en ce qu’il aurait été confié à Litgas sans une procédure d’appel d’offres adéquate.

119    Il est certes vrai que, comme le soutiennent les requérantes, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas explicitement analysé si les mesures en cause étaient non discriminatoires et garantissaient un égal accès aux consommateurs nationaux, au sens de l’article 3, paragraphe 2, de ladite directive 2009/73.

120    Toutefois, il convient de relever, premièrement, que, selon une jurisprudence constante, la motivation d’une décision de la Commission doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2020, Hongrie/Commission, C‑456/18 P, EU:C:2020:421, point 57 et jurisprudence citée).

121    Partant, la décision attaquée doit être lue à la lumière de la décision de 2013, laquelle fait partie de son contexte, et dans laquelle la Commission avait déjà conclu que l’obligation d’achat était compatible avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/73, y compris avec les exigences de non-discrimination et d’égal accès aux consommateurs nationaux.

122    Dans ces conditions, l’obligation d’achat ayant été introduite en 2013, et sa compatibilité avec l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/73 ayant déjà été examinée dans la décision de 2013, sans que les conclusions de la Commission sur ce point aient été contestées devant le juge de l’Union, la Commission pouvait à bon droit considérer que cette question ne suscitait pas de difficultés sérieuses en l’espèce.

123    Deuxièmement, l’argument des requérantes selon lequel le SIEG en cause serait discriminatoire en ce qu’il aurait été confié à Litgas sans une procédure d’appel d’offres adéquate se chevauche avec l’indice concernant la prétendue violation des règles de l’Union en matière de marchés publics et sera donc examiné aux points 130 à 149 ci-après.

124    Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que les requérantes n’ont pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes en ce qui concerne la nécessité et l’étendue du SIEG en cause.

b)      Sur l’indice relatif à l’absence d’examen des mesures en cause à l’aune de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE

125    Les requérantes soutiennent, en substance, que l’absence d’analyse, dans la décision attaquée, des raisons pour lesquelles la Commission a décidé de ne pas examiner la compatibilité des mesures en cause à l’aune de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE, et, en particulier, des lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 (JO 2014, C 200, p. 1), mais uniquement à l’aune de l’article 106, paragraphe 2, TFUE et de l’encadrement SIEG, constitue un indice de l’existence de doutes quant à la compatibilité des mesures en cause avec le marché intérieur.

126    La Commission, soutenue par la République de Lituanie et Ignitis, conteste les arguments des requérantes.

127    Ainsi qu’il a été exposé aux points 97 à 124 ci-dessus, les requérantes n’ont pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes en ce qui concerne la qualification des mesures en cause en tant que véritable SIEG et en ce qui concerne leur nécessité et leur étendue. Partant, dans ces circonstances, la Commission n’était pas en présence de doutes quant à la base juridique appropriée pour apprécier la compatibilité avec le marché intérieur d’une mesure d’aide visant à financer un SIEG, à savoir l’article 106, paragraphe 2, TFUE. Par conséquent, la Commission pouvait, sans éprouver de doutes, analyser la compatibilité des mesures en cause avec le marché intérieur à l’aune de cette disposition et de l’encadrement SIEG.

128    L’argument des requérantes selon lequel, en substance, la Commission aurait dû analyser les mesures en cause également à la lumière de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE et des lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 ne saurait, dès lors, être accueilli. En effet, étant donné que, dans la décision attaquée, la Commission a conclu que les mesures en cause pouvaient bénéficier de la dérogation prévue par l’article 106, paragraphe 2, TFUE, il n’était pas nécessaire d’examiner si elles étaient aussi et par ailleurs compatibles avec le marché intérieur en vertu d’autres bases juridiques telles que l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.

129    Dans ces circonstances, il y a lieu d’écarter les arguments des requérantes résumés au point 125 ci-dessus.

c)      Sur l’indice relatif à une prétendue violation des règles de l’Union en matière de marchés publics

130    Les requérantes soutiennent, en substance, que, dans la décision attaquée, la Commission a conclu, à tort, que la désignation par les autorités lituaniennes de Litgas en tant que fournisseur désigné était conforme au point 19 de l’encadrement SIEG, car, d’après les requérantes, les règles de l’Union en matière de marchés publics n’auraient pas été respectées.

131    La Commission, soutenue par la République de Lituanie et Ignitis, conteste les arguments des requérantes.

132    Selon le point 19 de l’encadrement SIEG, une aide ne peut être considérée comme compatible avec le marché intérieur sur la base de l’article 106, paragraphe 2, TFUE que si l’autorité responsable, au moment de confier la prestation du service à l’entreprise concernée, s’est conformée ou s’est engagée à se conformer aux règles de l’Union applicables dans le domaine des marchés publics. Cela comprend toutes les exigences en matière de transparence, d’égalité de traitement et de non-discrimination découlant directement du traité et, s’il y a lieu, du droit dérivé de l’Union. Toute aide ne respectant pas ces règles et exigences est réputée affecter le développement des échanges dans une mesure contraire aux intérêts de l’Union, au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE.

133    En l’espèce, il ressort des considérants 158 et 159 de la décision attaquée que Litgas a été sélectionnée en tant que fournisseur désigné chargé du SIEG en cause à l’issue d’une procédure d’appel d’offres à laquelle pouvaient participer seules les entreprises dont l’État lituanien détenait au moins deux tiers des droits de vote et dont les activités ne comprenaient pas la transmission ou la distribution de gaz. La Commission a considéré, aux considérants 150 à 160 de la décision attaquée, que l’attribution à Litgas du SIEG en cause était conforme au point 19 de l’encadrement SIEG au motif, en substance, que le marché en cause était exclu du champ d’application de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114), en vertu de l’article 14 de celle-ci, car ledit marché touchait à la protection des intérêts essentiels de la République de Lituanie.

134    Aux termes de l’article 14 de la directive 2004/18, cette directive ne s’applique pas aux marchés publics lorsqu’ils sont déclarés secrets ou lorsque leur exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité, conformément aux dispositions législatives, réglementaires ou administratives en vigueur dans l’État membre considéré ou lorsque la protection des intérêts essentiels de cet État membre l’exige.

135    La Cour a déjà eu l’occasion de préciser qu’il appartenait aux États membres de définir leurs intérêts essentiels de sécurité. Néanmoins, les mesures que les États membres adoptent dans le cadre des exigences légitimes d’intérêt national ne sont pas soustraites dans leur ensemble à l’application du droit de l’Union du seul fait qu’elles interviennent notamment dans l’intérêt de la sécurité publique [voir arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État), C‑187/16, EU:C:2018:194, points 75 et 76 et jurisprudence citée].

136    La dérogation prévue par l’article 14 de la directive 2004/18, comme il est de jurisprudence constante pour celles relatives aux libertés fondamentales, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. En outre, bien que l’article 14 de la directive 2004/18 laisse aux États membres une marge d’appréciation pour décider des mesures jugées nécessaires à la protection des intérêts essentiels de leur sécurité, cet article ne saurait toutefois être interprété de manière à conférer aux États membres le pouvoir de déroger aux dispositions du traité FUE par la seule invocation desdits intérêts. En effet, l’État membre qui invoque le bénéfice de cette dérogation doit démontrer la nécessité de recourir à celle‑ci dans le but de protéger les intérêts essentiels de sa sécurité. Partant, l’État membre qui invoque le bénéfice de cette dérogation doit établir que le besoin de protéger de tels intérêts n’aurait pas pu être atteint dans le cadre d’une mise en concurrence telle que prévue par la directive 2004/18 [voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État), C‑187/16, EU:C:2018:194, points 77 à 79 et jurisprudence citée].

137    Il convient donc d’examiner, d’abord, si, en l’espèce, les autorités lituaniennes ont invoqué un véritable intérêt essentiel de leur État, au sens de l’article 14 de la directive 2004/18, et, ensuite, dans l’affirmative, si cet intérêt essentiel aurait pu être protégé dans le cadre d’une mise en concurrence telle que celle prévue par la directive 2004/18.

138    S’agissant, en premier lieu, de l’existence d’un véritable intérêt essentiel de l’État lituanien, la Commission a souligné, au considérant 156 de la décision attaquée, que la mission consistant à maintenir en permanence le terminal GNL opérationnel devait être considérée comme étant essentielle pour garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz en Lituanie, car toute perturbation pourrait compromettre le fonctionnement du terminal même, et donc, en définitive, l’approvisionnement en gaz en Lituanie.

139    Les requérantes ne contestent ni la nécessité d’un approvisionnement régulier en gaz au terminal GNL pour garantir le fonctionnement continu dudit terminal, ni le fait que toute perturbation à la livraison de la quantité obligatoire de GNL pourrait compromettre le fonctionnement continu dudit terminal et, par conséquent, l’approvisionnement en gaz en Lituanie. La circonstance, invoquée par les requérantes, que le SIEG en cause serait « moins stratégique » que celui relatif à la construction du terminal GNL, n’ôte en rien l’intérêt essentiel de l’État lituanien à maintenir ledit terminal opérationnel pendant toute l’année afin de garantir, en définitive, la sécurité de l’approvisionnement en gaz et l’indépendance énergétique de la République de Lituanie. En effet, la construction dudit terminal ne garantit pas en soi les intérêts essentiels de l’État lituanien, à moins que ce terminal ne soit opérationnel de manière stable et permanente, afin d’assurer la diversification des sources d’approvisionnement de cet État membre.

140    S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si cet intérêt essentiel aurait pu être protégé dans le cadre d’une mise en concurrence telle que celle prévue par la directive 2004/18, premièrement, les requérantes font valoir, en substance, que la Commission n’aurait pas analysé s’il existait d’autres moyens de garantir la protection de la sécurité de l’approvisionnement en gaz en Lituanie, tout en permettant une mise en concurrence selon les procédures prévues par la directive 2004/18.

141    Toutefois, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ressort du considérant 156 de la décision attaquée que la Commission a analysé la possibilité d’adopter des mesures alternatives permettant une mise en concurrence selon les procédures prévues par la directive 2004/18, en les écartant au motif que l’attribution du SIEG en cause à une entreprise non contrôlée par l’État lituanien risquerait de miner l’accomplissement du SIEG en raison du risque que l’entreprise sélectionnée puisse entretenir ou nouer à l’avenir des liens avec l’ancien fournisseur de gaz unique.

142    Deuxièmement, les requérantes soutiennent, en substance, qu’il aurait été possible de sauvegarder les intérêts essentiels invoqués par l’État lituanien par le biais d’autres mesures, tout en mettant en concurrence le marché en cause.

143    Tout d’abord, elles considèrent que lesdits intérêts pourraient être sauvegardés tout aussi bien en imposant aux entreprises soumissionnaires la condition d’être « indépendantes vis-à-vis de Gazprom », sous peine de sanctions en cas de violation desdites clauses. Or, comme le fait valoir Ignitis, une telle condition n’aurait pas été apte à garantir que l’attributaire soit à l’abri de l’influence de l’ancien fournisseur de gaz unique, étant donné qu’une telle influence peut se matérialiser sous diverses formes, parfois dissimulées et difficilement identifiables, susceptibles, en outre, d’évoluer au fil du temps, de sorte que le risque de contournement demeurerait une menace réelle. Le fait de prévoir des sanctions ou la résiliation du contrat faisant l’objet du SIEG en cause en cas de non-respect de ladite condition ne constitue pas un remède adéquat, dans la mesure où de telles sanctions ou une telle résiliation du contrat pourraient résulter en des ruptures d’approvisionnement, ce qui mettrait en péril les intérêts essentiels de l’État lituanien.

144    Ensuite, les requérantes considèrent que l’État lituanien aurait pu assurer la protection de ses intérêts essentiels en exigeant qu’il détienne une action privilégiée (golden share) dans le capital du fournisseur désigné. Cet argument n’est pas suffisamment étayé, dans la mesure où il existe de multiples mesures de nature différente pouvant être qualifiées d’action privilégiée. Partant, en l’absence de précisions de la part des requérantes quant à la portée exacte d’une telle mesure, il est impossible d’en juger le caractère prétendument moins intrusif, ainsi que sa compatibilité avec d’autres dispositions du droit de l’Union, telles que la libre circulation des capitaux et la directive 2004/18.

145    Enfin, les requérantes préconisent la mise en œuvre d’une procédure d’appel d’offres ouverte à des sociétés publiques d’autres États membres. Toutefois, une telle démarche aurait pu aboutir à conférer la protection des intérêts essentiels de l’État lituanien à un autre État. Or, le ratio legis de la dérogation prévue à l’article 14 de la directive 2004/18 est précisément celle de permettre à l’État membre concerné d’assurer lui-même la protection de ses propres intérêts essentiels.

146    Les requérantes ne sauraient non plus tirer argument de l’arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État) (C‑187/16, EU:C:2018:194). En effet, l’intérêt essentiel invoqué par l’État lituanien en l’espèce s’explique par la dépendance presque totale de cet État membre à une seule source d’approvisionnement en gaz et par le besoin impérieux d’intérêt général de diversifier, aussi rapidement et aussi durablement que possible, ses sources d’approvisionnement, afin de réduire sa dépendance à cette seule source d’approvisionnement. Dans ces circonstances, la Commission pouvait, sans éprouver des doutes, conclure qu’il aurait été impossible ou excessivement difficile de garantir la sécurité de l’approvisionnement en gaz en Lituanie si le fournisseur désigné était une entreprise non contrôlée par l’État lituanien, car une telle entreprise pourrait, avant et même après la passation du marché, nouer des liens d’actionnariat ou commerciaux avec l’ancien fournisseur de gaz unique, permettant à ce dernier d’influencer son comportement d’une façon pouvant affecter négativement l’accomplissement du SIEG en cause. Cet objectif de diversification des sources d’approvisionnement, lequel est par ailleurs un objectif poursuivi et soutenu par l’Union elle-même et dont la portée concerne, en définitive, la sécurité de l’Union dans son ensemble, était absent dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 20 mars 2018, Commission/Autriche (Imprimerie d’État) (C‑187/16, EU:C:2018:194).

147    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que les requérantes n’ont pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes au sujet de l’applicabilité de l’article 14 de la directive 2004/18.

148    Enfin, l’argument des requérantes selon lequel la Commission aurait considéré, à tort, aux considérants 158 à 160 de la décision attaquée, que, indépendamment de l’applicabilité de la dérogation de l’article 14 de la directive 2004/18, la procédure d’appel d’offres aurait été conforme au point 19 de l’encadrement SIEG, est inopérant, dans la mesure où il a été conclu que l’application de la dérogation prévue à l’article 14 de la directive 2004/18 ne soulevait pas de doutes en l’espèce.

149    Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que les requérantes n’ont pas démontré l’existence de doutes quant au respect des exigences découlant du point 19 de l’encadrement SIEG.

d)      Sur l’indice relatif à la motivation prétendument insuffisante de la décision attaquée en ce qui concerne les modifications de 2019

150    Les requérantes soutiennent, en substance, que la motivation de la décision attaquée en ce qui concerne la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure d’aide faisant l’objet des modifications de 2019 est insuffisante, ce qui constituerait un indice de l’existence de doutes quant à la compatibilité de celle-ci avec le marché intérieur.

151    La Commission, soutenue par la République de Lituanie et Ignitis, conteste les arguments des requérantes.

152    Il convient de relever, à titre liminaire, que la motivation de la décision attaquée en ce qui concerne la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure d’aide faisant l’objet des modifications de 2019 ressort d’une lecture conjointe des points 7.3 et 8.3 de la décision attaquée. En effet, au point 8.3 de la décision attaquée, portant sur la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure d’aide faisant l’objet des modifications de 2019, la Commission s’est limitée, en substance, à apprécier si les modifications de 2019 étaient susceptibles de remettre en cause l’analyse contenue au point 7.3 de la décision attaquée, portant sur la compatibilité avec le marché intérieur de la mesure d’aide faisant l’objet des modifications de 2016. S’agissant de deux mesures successives, dont la seconde modifie la première, il ne saurait être reproché, en l’espèce, à la Commission d’avoir suivi une telle approche, contrairement à ce que soutiennent les requérantes.

153    Cela étant précisé, il y a lieu de relever que les requérantes critiquent trois aspects spécifiques de la motivation de la décision attaquée à cet égard.

154    Premièrement, elles font valoir que la Commission aurait omis d’analyser l’existence d’une défaillance de marché en 2019 ainsi que la nécessité de continuer à confier le SIEG en cause à Litgas au-delà de 2019.

155    Or, la Commission a démontré, aux considérants 119 à 128 de la décision attaquée, que le SIEG en cause était nécessaire et constituait un « véritable » SIEG, au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE. Dans ces conditions, elle pouvait, sans éprouver de doutes, aux considérants 213 et 214 de la décision attaquée, conclure, en substance, que, étant donné que les modifications de 2019 n’avaient aucun impact sur la nature du SIEG en cause, celui-ci continuait à être considéré comme étant un « véritable » SIEG, au sens de ladite disposition.

156    Les requérantes n’expliquent pas les raisons pour lesquelles, selon elles, l’évolution du marché entre 2016 et 2019 aurait remis en cause les conclusions figurant aux considérants 119 à 128 de la décision attaquée en ce qui concerne la nécessité et l’étendue du SIEG en cause. En particulier, elles ne prétendent pas que, entre 2016 et 2019, la Lituanie aurait atteint une diversification suffisante en matière d’approvisionnement en gaz de sorte que le SIEG en cause ne serait plus nécessaire, ni que le terminal GNL pouvait fonctionner de façon ininterrompue sur une base purement commerciale. Le seul changement auquel les requérantes se réfèrent consiste en l’élimination de l’obligation d’achat intervenue en vertu des modifications de 2019. Toutefois, l’élimination de l’obligation d’achat, laquelle concerne le marché en aval, ne garantit aucunement l’approvisionnement stable et en permanence du terminal GNL et encore moins la diversification des sources d’approvisionnement que le SIEG en cause vise à assurer. La Commission pouvait donc, sans entretenir des doutes, considérer que cette élimination n’avait aucun impact sur la nécessité du SIEG en cause.

157    Deuxièmement, les requérantes considèrent que la motivation de la décision attaquée en ce qui concerne les méthodes de calcul de la compensation en vertu des modifications de 2019 est insuffisante, car la Commission n’aurait consacré qu’un seul considérant à cette question, renvoyant à son raisonnement afférent à la situation en 2016.

158    Cet argument ne saurait être accueilli. En effet, aux considérants 220 à 224 de la décision attaquée, la Commission a expliqué de manière détaillée la nouvelle méthodologie de calcul de la compensation accordée à Litgas pour le SIEG en cause, en vertu des modifications de 2019, ainsi que les raisons pour lesquelles celle-ci ne donnerait pas lieu à une surcompensation.

159    Troisièmement, les requérantes font valoir l’existence d’incohérences dans la décision attaquée en ce qui concerne la question de savoir si Litgas exerce une activité non réglementée sur le marché du gaz, lesquelles constitueraient un indice révélateur de l’existence de doutes quant à la compatibilité avec le marché intérieur des modifications de 2019.

160    Le Tribunal relève, à cet égard, que, certes, la décision attaquée contient des constatations contradictoires sur cette question. D’une part, au considérant 148 de la décision attaquée et à la note en bas de page nº 17 de celle-ci, la Commission a relevé que Litgas « n’exerçait aucune autre activité à part celle faisant l’objet du SIEG en cause », tandis que, d’autre part, au considérant 197 de la décision attaquée, la Commission a constaté que Litgas « exerçait également un nombre limité d’activités en dehors du SIEG ». Lors de l’audience, tant la Commission qu’Ignitis ont confirmé que Litgas exerçait certaines activités non réglementées, en dehors du SIEG en cause.

161    Toutefois, il n’est pas contesté que Litgas devait conserver des comptes séparés pour ses activités relevant du SIEG en cause et pour ses activités non réglementées, et donc étrangères au SIEG en cause, ce qui permettrait de séparer nettement les coûts encourus par Litgas en lien avec le SIEG de ceux encourus en dehors du SIEG, et de calculer la compensation du SIEG en fonction uniquement des premiers. La contradiction entachant la décision attaquée, pour regrettable qu’elle soit, n’est donc pas un indice révélateur de difficultés sérieuses, dans la mesure où elle n’est pas susceptible de susciter des doutes sur l’étendue de la compensation du SIEG en cause.

162    Dans ces circonstances, les requérantes n’ont pas démontré que la motivation de la décision attaquée en ce qui concerne les modifications de 2019 était insuffisante ou incomplète ou que la Commission aurait dû éprouver des doutes à cet égard.

e)      Sur l’indice relatif à la compensation pour le SIEG en cause

163    Cet indice avancé par les requérantes comporte deux volets qui portent, d’une part, sur le caractère non nécessaire et disproportionné de la compensation du SIEG en cause consentie en vertu des modifications de 2016, tel que mis en évidence par les modifications de 2019, et, d’autre part, sur la prorogation, sans appel d’offres, du contrat entre Litgas et Statoil.

1)      Sur le caractère non nécessaire et disproportionné de la compensation du SIEG en cause consentie en vertu des modifications de 2016, tel que mis en évidence par les modifications de 2019

164    Les requérantes soutiennent, en substance, que la compensation du SIEG en cause issue des modifications de 2019 met en évidence le caractère non nécessaire et disproportionné de la compensation du SIEG consentie en vertu des modifications de 2016. En effet, la décision attaquée serait incohérente et n’expliquerait pas les raisons pour lesquelles, dans le cadre des modifications de 2016, il aurait été jugé nécessaire de compenser l’intégralité des coûts liés à l’évaporation et des coûts d’équilibrage supportés par Litgas, alors que, en vertu des modifications de 2019, la compensation pour le SIEG en cause ne comprenait désormais qu’une partie des coûts liés à l’évaporation et pas du tout les coûts d’équilibrage.

165    Les requérantes font également valoir, d’une part, que, puisque les autres utilisateurs du terminal GNL supportaient eux aussi des coûts liés à l’évaporation et des coûts d’équilibrage, la compensation accordée à Litgas en vertu des modifications de 2016 n’aurait pas dû excéder la différence entre les coûts supportés par celle-ci et ceux supportés par les autres utilisateurs. D’autre part, le fait que les coûts d’équilibrage supportés par Litgas ne faisaient plus l’objet d’une compensation en vertu des modifications de 2019 remettrait en cause la nécessité d’une telle compensation en vertu des modifications de 2016.

166    La Commission, soutenue par la République de Lituanie et Ignitis, fait valoir notamment que la réduction de la compensation du SIEG en cause en 2019 par rapport à celle en vigueur de 2016 à 2019, notamment en ce qui concerne la partie de la compensation relative aux coûts liés à l’évaporation et aux coûts d’équilibrage, était une conséquence de l’élimination de l’obligation d’achat, intervenue en 2019.

167    Le Tribunal constate à cet égard que, en vertu des modifications de 2016, la compensation octroyée à Litgas pour le SIEG en cause, financée par le nouveau composant du supplément GNL, était calculée, en substance, sur la base des trois éléments suivants : premièrement, la différence entre le prix de GNL payé, en amont, par Litgas à Statoil, et le prix de marché régulé auquel Litgas vendait, en aval, aux acheteurs obligés et au marché libre ; à laquelle s’ajoutait, deuxièmement, une compensation pour les coûts « justifiés » encourus se rapportant au SIEG en cause, à savoir les coûts d’exploitation, les coûts liés à l’évaporation, les coûts d’équilibrage et les coûts de financement d’une garantie à long terme de l’État ; à laquelle s’ajoutait, troisièmement, une marge bénéficiaire régulée, déterminée par l’ANR.

168    Cette méthodologie a été modifiée en 2019. Selon la nouvelle méthodologie issue des modifications de 2019, la compensation octroyée à Litgas pour le SIEG en cause, laquelle continuait à être financée par le nouveau composant du supplément GNL introduit en 2016, était calculée, en substance, sur la base des deux éléments suivants : premièrement, la différence entre le prix de GNL payé, en amont, par Litgas à Statoil, et le prix moyen réel du marché du gaz importé en Lituanie, calculé par l’ANR ; à laquelle s’ajoutait, deuxièmement, une compensation d’une partie des coûts liés à l’évaporation, ainsi que les coûts de financement d’une garantie à long terme de l’État.

169    Il s’ensuit, notamment, que, tandis que la totalité des coûts liés à l’évaporation et des coûts d’équilibrage encourus par Litgas était inclue dans la compensation du SIEG en cause pendant la période allant de 2016 à 2019, Litgas n’était plus compensée, en vertu des modifications de 2019, que pour une partie des coûts liés à l’évaporation et pas du tout pour les coûts d’équilibrage qu’elle encourait.

170    Il convient donc d’examiner si la Commission aurait dû éprouver des doutes lors de l’appréciation, premièrement, de la compensation des coûts liés à l’évaporation et, deuxièmement, de celle des coûts d’équilibrage, inclue dans la compensation du SIEG en cause conformément aux modifications de 2016.

i)      Sur la compensation des coûts liés à l’évaporation

171    Selon la décision attaquée, les coûts liés à l’évaporation sont ceux causés par l’évaporation d’une partie de GNL qui a lieu lorsque le GNL est stocké dans les réservoirs du terminal GNL avant d’être libéré dans le système de gaz naturel. Il s’agit donc, en substance, des quantités de GNL perdues à cause de l’évaporation. Ces coûts représentaient 56 % des coûts totaux encourus par Litgas liés au SIEG en cause en 2017.

172    Comme il a été relevé au point 169 ci-dessus, Litgas était compensée pour la totalité de ces coûts en vertu des modifications de 2016, tandis que, en vertu des modifications de 2019, elle n’est dorénavant compensée que d’une partie de ces coûts, comme suit : lorsqu’elle est le seul utilisateur du terminal GNL, elle est compensée pour la totalité de ces coûts ; en revanche, lorsqu’elle n’est pas le seul utilisateur du terminal GNL, elle n’est compensée que pour la différence entre les coûts liés à l’évaporation encourus par elle et la moyenne de ce type de coûts supportés par les autres utilisateurs du terminal GNL pendant la même période.

173    Il n’est pas contesté que la nature de ces coûts est restée inchangée entre 2016 et 2019, et que, tant avant qu’après les modifications de 2019, le terminal GNL était utilisé aussi bien par Litgas que par d’autres utilisateurs, de sorte que tant la première que les seconds encouraient des coûts liés à l’évaporation, quoique dans des proportions différentes. Plus particulièrement, il ressort de la décision attaquée à cet égard que le calendrier rigide d’importation en vertu du SIEG en cause oblige Litgas d’importer, en amont, des quantités prédéfinies de GNL à intervalles réguliers, indépendamment de la demande en aval. Cette discordance entre les quantités fournies en amont et la demande en aval l’oblige ainsi de stocker du GNL pendant des périodes de basse demande et de ne libérer les quantités stockées que plus tard, lorsque la demande augmente, en encourant ainsi des coûts liés à l’évaporation occasionnés lors dudit stockage. Il en ressort également que, pendant une partie de l’année, notamment en hiver, Litgas était le seul utilisateur du terminal GNL. Pendant les autres périodes de l’année, notamment en été, tant Litgas que d’autres fournisseurs utilisaient le terminal GNL et encouraient de tels coûts. Toutefois, les autres fournisseurs utilisaient le terminal GNL en fonction de la demande et pouvaient donc regazéifier et revendre leur GNL plus rapidement, raison pour laquelle leurs coûts liés à l’évaporation étaient plus bas.

174    Or, comme le relèvent les requérantes à juste titre, la Commission n’a pas explicité dans la décision attaquée les raisons pour lesquelles, selon elle, dans le cadre des modifications de 2016, il était nécessaire de compenser l’intégralité des coûts liés à l’évaporation, alors que, en vertu des modifications de 2019, il n’était plus nécessaire d’en compenser l’intégralité, mais seulement, en substance, la différence entre ceux supportés par Litgas et ceux supportés par les autres utilisateurs du terminal GNL.

175    Premièrement, étant donné que, ainsi qu’il a été relevé au point 171 ci-dessus, les coûts liés à l’évaporation représentaient une partie importante des coûts de Litgas et, dès lors, de la compensation du SIEG en cause en vertu des modifications de 2016, la Commission devait s’interroger avec une attention particulière sur la façon dont ces coûts étaient compensés, afin de s’assurer que seulement soient compensés les coûts nécessaires pour l’accomplissement du SIEG.

176    Deuxièmement, il ressort des considérants 54, 62, 138 et 141 de la décision attaquée que la Commission a souligné que la compensation due à Litgas en vertu des modifications de 2016 couvrait uniquement les coûts « économiquement justifiés », c’est-à-dire des coûts liés au SIEG en cause et encourus de manière efficace. Or, en l’absence d’une quelconque explication dans la décision attaquée, il paraît à tout le moins incohérent de considérer à la fois que la totalité des coûts liés à l’évaporation était des coûts « économiquement justifiés », liés au SIEG en cause et encourus de manière efficace pour la période allant de 2016 à 2019, alors que seule une partie de ces coûts était considérée comme étant « économiquement justifiée », liée au SIEG et encourue de manière efficace à partir de 2019.

177    Troisièmement, selon le point 11 de l’encadrement SIEG, les aides d’État peuvent être déclarées compatibles avec l’article 106, paragraphe 2, TFUE si, notamment, elles sont « nécessaires au fonctionnement des [SIEG] concernés ». Il incombait donc à la Commission de vérifier si la compensation de l’intégralité des coûts liés à l’évaporation en vertu des modifications de 2016 était « nécessaire » pour le fonctionnement du SIEG en cause, étant donné que seule une partie de ceux-ci était considérée comme nécessaire à partir de 2019.

178    À cet égard, il convient de noter que, en l’absence des obligations découlant du SIEG en cause, Litgas aurait pu importer du GNL selon les fluctuations saisonnières de la demande, à l’instar des autres utilisateurs du terminal, en évitant ainsi une partie des coûts liés à l’évaporation, mais en encourant tout de même de tels coûts en dehors de tout SIEG, quoique plus réduits, comme les autres opérateurs économiques.

179    Dans ces conditions, la Commission aurait dû s’interroger sur la question de savoir si la compensation de l’intégralité des coûts liés à l’évaporation encourus par Litgas devait être considérée comme étant « nécessaire » pour le fonctionnement du SIEG en cause, ou si, au contraire, il aurait été seulement nécessaire de compenser les coûts encourus par Litgas que celle-ci n’aurait pas encourus en l’absence du SIEG.

180    Quatrièmement, la Commission tente d’expliquer la différence entre la compensation des coûts liés à l’évaporation issue des modifications de 2016 et celle issue des modifications de 2019 par l’élimination de l’obligation d’achat intervenue en 2019. Selon la Commission, cette élimination aurait permis à Litgas de libérer, à partir de 2019, dans le système de transmission, du gaz de manière plus efficace, parce qu’elle n’était plus obligée de fournir le quota obligatoire de GNL aux acheteurs obligés, et, par conséquent, de réduire ses pertes liées à l’évaporation.

181    Toutefois, il ne ressort d’aucun passage de la décision attaquée que la Commission aurait considéré que la différence dans la compensation desdits coûts était due à l’existence de l’obligation d’achat durant la période allant de 2016 à 2019 et à l’élimination de ladite obligation en 2019. Or, la Commission ne saurait compléter la motivation de la décision attaquée en cours d’instance (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2007, Duales System Deutschland/Commission, T‑289/01, EU:T:2007:155, point 132).

182    En tout état de cause, cette explication démontre, en réalité, le caractère incomplet et insuffisant de l’examen mené par la Commission à cet égard. En effet, la décision attaquée laisse apparaître que la Commission n’a aucunement examiné si l’obligation d’achat déterminait, de quelque façon que ce soit, l’ampleur des coûts liés à l’évaporation encourus par Litgas dans le cadre du SIEG en cause.

183    Ainsi qu’il a été expliqué au point 173 ci-dessus et ainsi qu’il ressort des considérants 65 à 67, 168 et 169 de la décision attaquée, la raison d’être des coûts élevés liés à l’évaporation encourus par Litgas résidait non pas dans l’obligation d’achat, applicable en aval, mais dans le calendrier rigide et prédéfini des importations de GNL en amont. À cet égard, la Commission a explicitement souligné, au considérant 213 de la décision attaquée, que l’élimination de l’obligation d’achat en 2019 ne changeait pas « de quelque manière que ce soit la nature du [SIEG] » et que, en dépit de cette élimination, Litgas continuait à être obligée de fournir la quantité minimale de 0,37 bcm/an au terminal GNL afin de le maintenir opérationnel. Aux points 110 et 111 de son mémoire en défense, la Commission a confirmé que l’élimination de l’obligation d’achat en 2019 n’avait « aucune incidence » sur « la nécessité de la mission de SIEG », sur « sa portée », ou sur « la méthode de compensation [ou] sur l’aide accordée à Litgas ».

184    Partant, l’examen effectué dans la décision attaquée en ce qui concerne la compensation de l’intégralité des coûts liés à l’évaporation, selon les modifications de 2016, était incomplet, insuffisant et incohérent, ce qui constitue un indice objectif des doutes que la Commission aurait dû éprouver à cet égard.

185    En revanche, les requérantes n’avancent aucun indice susceptible de démontrer que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la compensation, réduite, de ces coûts, conformément aux modifications de 2019.

ii)    Sur la compensation des coûts d’équilibrage

186    Selon la décision attaquée, les coûts d’équilibrage sont ceux encourus notamment dans le cadre des contrats d’échange (swap) conclus par Litgas avec d’autres fournisseurs de gaz, afin de répondre, de façon ponctuelle, aux fluctuations de la demande. La conclusion de tels contrats de swap est nécessaire en raison du caractère rigide du calendrier de l’approvisionnement en gaz en amont, tel que convenu dans le contrat entre Litgas et Statoil, lequel ne correspond pas à la demande en aval, cette dernière connaissant des fluctuations saisonnières importantes. Ainsi, en vertu desdits contrats de swap, Litgas pouvait soit prêter du gaz à d’autres fournisseurs, lorsqu’elle disposait de quantités excédentaires de gaz, soit emprunter du gaz, lorsqu’elle disposait de quantités insuffisantes de gaz. Ces coûts représentaient (0-10 %) des coûts totaux encourus par Litgas liés au SIEG en cause en 2017. Les coûts d’équilibrage pouvaient aussi inclure des coûts encourus par Litgas pour stocker du GNL de manière temporaire dans une installation de stockage à Inčukalns (Lettonie), même si, à la date de l’adoption de la décision attaquée, Litgas n’avait pas encore fait usage de cette installation.

187    Il n’est pas contesté que la nature de ces coûts est restée inchangée entre 2016 et 2019, et que, tant avant qu’après 2019, tant Litgas que les autres utilisateurs du terminal GNL encouraient de tels coûts, quoique dans des proportions différentes, ainsi qu’il ressort du considérant 70 de la décision attaquée, selon lequel, étant donné que les autres utilisateurs avaient des contrats gaziers flexibles, leurs coûts d’équilibrage étaient « minimaux ».

188    Comme le relèvent les requérantes à juste titre, la Commission n’a pas expliqué, dans la décision attaquée, les raisons pour lesquelles, selon elle, dans le cadre des modifications de 2016, il était nécessaire de compenser l’intégralité des coûts d’équilibrage, alors que, en vertu des modifications de 2019, Litgas n’était plus compensée du tout pour ceux-ci.

189    À cet égard, il y a lieu de relever que les considérations effectuées aux points 175 à 184 ci-dessus en ce qui concerne les coûts liés à l’évaporation, valent, mutatis mutandis, pour les coûts d’équilibrage également.

190    En effet, premièrement, comme il a été relevé au point 186 ci-dessus, les coûts d’équilibrage représentaient une partie non négligeable des coûts de Litgas et, dès lors, de la compensation du SIEG en cause en vertu des modifications de 2016. Partant, la Commission devait s’interroger avec une attention particulière sur la façon dont ces coûts étaient compensés, afin de s’assurer que soient seulement compensés les coûts nécessaires. Or, dans la décision attaquée, la Commission n’a aucunement explicité les raisons pour lesquelles elle a considéré que la compensation du même SIEG, dont la nature et la portée sont restées inchangées, était compatible avec le marché intérieur tant dans sa version issue des modifications de 2016 que dans celle issue des modifications de 2019, malgré les différences patentes quant à la compensation desdits coûts.

191    Deuxièmement, en l’absence d’une quelconque explication dans la décision attaquée, il paraît à tout le moins incohérent de considérer à la fois que la totalité des coûts d’équilibrage étaient des coûts « économiquement justifiés », liés au SIEG en cause et encourus de manière efficace pour la période comprise entre 2016 et 2019, alors qu’ils n’étaient plus considérés comme tels à partir de 2019.

192    Troisièmement, il est constant, d’une part, que Litgas encourait de tels coûts tant durant la période comprise entre 2016 et 2019 qu’après. D’autre part, il n’est pas non plus contesté que les autres utilisateurs du terminal GNL supportaient eux aussi, en dehors de tout SIEG, de tels coûts, même si, selon la décision attaquée, les coûts d’équilibrage de ces derniers étaient « minimaux ». Partant, la Commission aurait dû s’interroger sur la question de savoir si la compensation de l’intégralité des coûts d’équilibrage encourus par Litgas devait être considérée comme étant « nécessaire » pour le fonctionnement du SIEG en cause, ou si, au contraire, il aurait été seulement nécessaire de compenser les coûts encourus par Litgas que celle-ci n’aurait pas encourus en l’absence du SIEG.

193    Quatrièmement, la décision attaquée laisse apparaître que la Commission n’a aucunement examiné si l’obligation d’achat déterminait, de quelque façon que ce soit, l’ampleur des coûts d’équilibrage encourus par Litgas dans le cadre du SIEG en cause. En effet, aucun élément de la décision attaquée ne démontre que, à la suite de l’abolition de l’obligation d’achat, il existerait une correspondance parfaite entre le calendrier d’approvisionnement en gaz convenu entre Litgas et Statoil en amont et les fluctuations de la demande sur le marché libre en aval, de sorte que Litgas ne serait plus contrainte, à partir de 2019, de recourir à des contrats de swap ou à l’installation de stockage d’Inčukalns. En réalité, il ressort de la décision attaquée que la cause principale de l’engagement de coûts d’équilibrage était la rigidité du calendrier d’approvisionnement en vertu du contrat avec Statoil, et non l’obligation d’achat.

194    De surcroît, il ressort du dossier que c’était la Commission qui avait demandé aux autorités lituaniennes de cesser de compenser les coûts d’équilibrage de Litgas dans le cadre des modifications de 2019 afin d’éviter des distorsions de concurrence. En effet, la réponse des autorités lituaniennes du 3 septembre 2018 à la cinquième question de la Commission contenue dans la demande de renseignements du 31 juillet 2018 confirme que la Commission avait demandé aux autorités lituaniennes de ne plus compenser les coûts d’équilibrage de Litgas à partir de 2019. Il ressort de ce document que la Commission semble avoir entretenu des doutes quant à la nécessité de compenser Litgas desdits coûts sur la base des modifications de 2016. Or, aucun élément objectif de la décision attaquée ne démontre que la Commission a pu surmonter ces doutes à l’issue de la procédure.

195    Partant, l’examen effectué par la Commission dans la décision attaquée en ce qui concerne la compensation de l’intégralité des coûts d’équilibrage, selon les modifications de 2016, était incomplet, insuffisant et incohérent, ce qui constitue un indice objectif de l’existence de difficultés sérieuses rencontrées lors de son examen et, dès lors, de doutes que la Commission aurait dû éprouver à cet égard.

2)      Sur la prorogation, sans appel d’offres, du contrat entre Litgas et Statoil

196    Les requérantes soutiennent, en substance, que, en raison de la prorogation, en 2016, du contrat entre Litgas et Statoil, sans une procédure d’appel d’offres, le prix payé par Litgas à Statoil pour l’approvisionnement en GNL était plus élevé que le prix de marché. Par conséquent, la compensation accordée à Litgas dans le cadre des modifications de 2016 et de 2019, laquelle couvrait notamment la différence entre le prix payé par Litgas à Statoil et le prix moyen du marché, n’aurait pas été limitée au minimum nécessaire pour fournir le SIEG en cause, et aurait partant été disproportionnée.

197    La Commission, soutenue par la République de Lituanie et Ignitis, conteste les arguments des requérantes.

198    Il convient de relever que, en 2012, les autorités lituaniennes ont lancé une procédure d’appel d’offres pour sélectionner un opérateur économique chargé de fournir la quantité obligatoire de GNL au fournisseur désigné, à la suite de laquelle l’offre de Statoil a été considérée comme étant économiquement la plus avantageuse. Par conséquent, le 21 août 2014, Litgas a signé avec Statoil un contrat de fourniture de GNL pour une durée de cinq ans et pour une quantité de 0,54 bcm de GNL par an. Ce contrat a ensuite été renégocié, sans qu’une nouvelle procédure d’appel d’offres soit engagée. Ainsi, le 18 février 2016, Litgas et Statoil ont signé un avenant, dont les amendements principaux étaient, premièrement, la réduction de 0,54 à 0,37 bcm par an de la quantité annuelle de GNL fournie par Statoil à Litgas, deuxièmement, la prorogation de la durée du contrat jusqu’en 2024, c’est-à-dire une prorogation de cinq années supplémentaires par rapport à la durée quinquennale initialement prévue et, troisièmement, la réduction du prix du GNL.

199    À cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, que ni le contrat initial de 2014 ni son avenant signé en 2016 ne constituent l’objet des mesures d’aides d’État en cause dans la présente affaire. En effet, celles-ci consistent exclusivement en le nouveau composant du supplément GNL destiné à compenser le SIEG en cause dans le cadre des modifications de 2016 et de 2019.

200    Deuxièmement, les requérantes n’allèguent pas que la prorogation dudit contrat précitée était contraire aux règles de l’Union applicables en matière de marchés publics, comme elles le précisent au point 106 de la réplique, mais que Litgas aurait bénéficié d’une surcompensation, dès lors que, en n’organisant aucune procédure concurrentielle pour le nouveau contrat, elle aurait payé un prix trop élevé pour l’approvisionnement en GNL, de sorte que la compensation qui lui a été accordée n’aurait pas été limitée au minimum nécessaire pour fournir le SIEG en cause.

201    Partant, l’argument des requérantes pourrait revêtir une pertinence pour la solution du présent litige uniquement si elles parvenaient à fournir des indices susceptibles de suggérer que ladite prorogation aurait eu pour conséquence de rendre disproportionnée la compensation pour le SIEG en cause.

202    Toutefois, l’argument des requérantes à cet égard n’est pas suffisamment étayé. En effet, elles se bornent à affirmer que, si une nouvelle procédure d’appel d’offres avait eu lieu, le prix du GNL obtenu à la suite d’un tel appel aurait « probablement » été inférieur, et à reprocher à la Commission de ne pas avoir analysé si, au lieu de la prorogation du contrat, il existait d’« autres solutions » permettant à Litgas de minimiser ses coûts, comme la résiliation de son contrat avec Statoil et la conclusion d’un nouveau contrat avec un autre fournisseur dans le cadre d’une procédure concurrentielle.

203    Ainsi, les requérantes restent en défaut de fournir des indices susceptibles de suggérer concrètement que le prix revu à la baisse en vertu de l’avenant du 18 février 2016 était supérieur aux prix pratiqués sur le marché européen. En effet, elles se bornent à mentionner que les prix « asiatiques » du GNL auraient baissé en 2016 et qu’il y aurait eu un « déclin global des prix » du GNL, sans pour autant démontrer que le prix convenu avec Statoil lors de la modification du contrat a été supérieur à ceux résultant dudit « déclin ». Par ailleurs, les requérantes ne sauraient tirer argument de l’annexe O.1, fournie par celles-ci dans le cadre de leur réponse à la mesure d’organisation de la procédure du 13 janvier 2021, pour les raisons exposées au point 112 ci-dessus.

204    En outre, les requérantes focalisent leurs critiques sur le prix convenu, alors que la Commission était tenue de prendre en considération l’ensemble des éléments essentiels dudit contrat. À cet égard, ainsi qu’il a été relevé au point 198 ci-dessus, les modifications, intervenues à peine un an après la première livraison de GNL par Statoil à Litgas, prévoyaient, outre la prorogation du contrat, également une réduction significative de la quantité annuelle de GNL que Litgas s’obligeait à acheter. Ainsi, en l’absence de ces modifications, Litgas aurait été obligée soit de résilier unilatéralement son contrat avec Statoil, sous risque de se voir exposée au paiement d’éventuelles pénalités, soit de continuer à importer des quantités plus importantes de GNL pendant la durée restante du contrat, à savoir de 2016 jusqu’en 2020, même si lesdites quantités dépassaient ce qui était nécessaire pour garantir l’accomplissement du SIEG en cause.

205    Partant, les requérantes n’ont pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes en ce qui concerne la question de savoir si la prorogation du contrat entre Litgas et Statoil aurait rendu disproportionnée la compensation pour le SIEG en cause.

f)      Sur l’indice relatif aux prétendus effets négatifs du SIEG en cause sur la concurrence et sur les échanges entre les États membres

206    Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission n’a pas évalué de manière suffisante dans la décision attaquée les effets négatifs du SIEG en cause sur la concurrence dans le secteur de la fourniture de gaz en Lituanie et sur les échanges entre la Lituanie et d’autres États membres, en méconnaissance du point 2.9 de l’encadrement SIEG.

207    La Commission, soutenue par la République de Lituanie et par Ignitis, conteste les arguments des requérantes.

208    Ainsi qu’il a déjà été rappelé au point 99 ci-dessus, aux termes de l’article 106, paragraphe 2, TFUE, les entreprises chargées de la gestion de SIEG sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie, sous la réserve que le développement des échanges ne soit pas affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union.

209    Le point 2.9 de l’encadrement SIEG prévoit des règles visant à garantir que le développement des échanges n’est pas affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union, au sens de l’article 106, paragraphe 2, TFUE. Il convient d’analyser les arguments invoqués par les requérantes pour déterminer si la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la conformité des mesures en cause avec les exigences de ce point.

210    Premièrement, il convient de rejeter l’argument des requérantes selon lequel la Commission n’a pas évalué l’incidence des mesures en cause sur la fourniture du gaz en Lituanie et dans la région de la mer Baltique, en méconnaissance du point 54 de l’encadrement SIEG. En effet, d’une part, le point 54 de l’encadrement SIEG vise des cas « exceptionnels » qui auraient des « effets négatifs significatifs sur d’autres États membres et sur le fonctionnement du marché intérieur ». Or, les requérantes n’expliquent pas pourquoi, selon elles, en l’espèce, les mesures d’aide en cause présenteraient un cas « exceptionnel » et auraient des « effets négatifs significatifs sur d’autres États membres et sur le fonctionnement du marché intérieur », au sens du point 54 de l’encadrement SIEG.

211    D’autre part, le seul argument concret avancé par les requérantes à cet égard revient, en substance, à alléguer que l’Agence exécutive pour l’innovation et les réseaux (INEA) et la Commission auraient refusé le financement de la construction d’un terminal GNL situé en Estonie au motif que celui-ci ne serait plus nécessaire à la sécurité d’approvisionnement en gaz de la région de la mer Baltique en raison de la construction du terminal GNL à Klaipėda. Toutefois, à supposer que cet argument repose sur une base factuelle avérée, il est sans conséquence sur l’examen des mesures d’aide en cause, lesquelles concernent uniquement le nouveau composant du supplément GNL en faveur de Litgas visant à octroyer à cette dernière une compensation pour le SIEG en cause. Ces mesures ne concernent donc pas la construction du terminal GNL à Klaipėda. Partant, il ne s’agirait pas d’une distorsion « provoquée par » les mesures d’aide en cause, au sens du point 54 de l’encadrement SIEG.

212    Deuxièmement, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel la Commission n’aurait pas analysé de manière « sérieuse » si la durée du mandat confié à Litgas était justifiée au regard de critères objectifs, en méconnaissance du point 55 de l’encadrement SIEG, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du considérant 144 de la décision attaquée, la durée du SIEG en cause, à savoir 10 ans, était liée à la durée du contrat conclu entre Litgas et Statoil, telle que prorogée en 2016. Les requérantes n’ont pas expliqué pourquoi, selon elles, ce critère ne constituerait pas un critère objectif au sens du point 55 de l’encadrement SIEG.

213    S’agissant, troisièmement, de l’argument des requérantes selon lequel la Commission aurait méconnu le point 56 de l’encadrement SIEG, il convient de relever que, selon ce point, une situation dans laquelle une appréciation plus détaillée peut se révéler nécessaire est lorsque l’État membre charge, sans passer par une procédure concurrentielle, un prestataire de services publics de fournir un SIEG sur un marché non réservé sur lequel des services « très similaires » sont déjà fournis ou sont susceptibles d’être fournis dans un avenir proche en l’absence du SIEG.

214    Or, à supposer même que, en l’espèce, la procédure d’appel d’offres ayant conduit à l’attribution du SIEG en cause à Litgas ne puisse pas être considérée comme étant une « procédure concurrentielle » au sens du point 56 de l’encadrement SIEG, les requérantes n’ont fourni aucun indice susceptible de suggérer que le SIEG confié à Litgas était fourni sur un marché sur lequel des services « très similaires » étaient déjà fournis ou étaient susceptibles d’être fournis dans un avenir proche en l’absence du SIEG, au sens dudit point 56. En effet, il ressort de la décision attaquée que le SIEG en cause avait pour objectif d’assurer le fonctionnement stable du terminal GNL durant toute l’année, indépendamment des fluctuations significatives de la demande selon les saisons. Il en ressort également que les autres fournisseurs de GNL en Lituanie qui utilisaient le terminal GNL, en dehors de tout SIEG, ne le faisaient qu’en fonction desdites fluctuations, et que, pendant certaines périodes de l’année, Litgas était le seul utilisateur du terminal GNL. Partant, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne ressort pas de la décision attaquée que d’autres fournisseurs de GNL fournissaient ou étaient susceptibles de fournir dans un avenir proche des services « très similaires » à ceux couverts par le SIEG en cause.

215    Quatrièmement, les requérantes font valoir que, dans la décision attaquée, la Commission n’aurait pas analysé si, en vertu des modifications de 2016, Litgas aurait pu, en dépit de l’exigence de maintenir des comptes séparés pour les activités réglementées et non réglementées, obtenir un avantage indu dans les activités non réglementées. Or, cet argument est purement spéculatif, les requérantes n’ayant fourni aucun indice susceptible de suggérer qu’une telle possibilité serait probable ou se serait matérialisée, en dépit de ladite séparation des comptes.

216    Cinquièmement, s’agissant de l’argument des requérantes selon lequel, dans la décision attaquée, la Commission n’aurait pas analysé l’incidence des modifications de 2019 sur la concurrence, il convient de relever que, pour les raisons exposées au point 152 ci-dessus, la motivation de la décision attaquée sur ce point ressort d’une lecture conjointe des points 7.3.9 et 8.3 de celle-ci. À cet égard, aux considérants 204 et 205 de la décision attaquée, lesquels se trouvent sous le point 7.3.9 de celle-ci, d’une part, la Commission a considéré que les effets négatifs potentiels sur la concurrence et les échanges étaient minimaux, car la quantité obligatoire de GNL faisant l’objet du SIEG en cause n’était que de 0,37 bcm/an, alors que le terminal GNL disposait d’une capacité de 3.75 bcm, de sorte qu’une grande partie de la capacité de cette infrastructure pouvait également être utilisée par d’autres fournisseurs de gaz. D’autre part, elle a relevé que les mesures en cause n’auraient qu’une durée limitée, à savoir du 1er janvier 2016 au 1er janvier 2019 pour les modifications de 2016 et du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2024 pour les modifications de 2019, ce qui empêcherait l’émergence de distorsions de concurrence à long terme. Partant, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ressort de la décision attaquée que la Commission a analysé l’incidence des modifications de 2019 sur la concurrence.

217    Par ailleurs, les requérantes n’ont pas réussi à démontrer que la Commission aurait dû éprouver des doutes en ce qui concerne la possibilité que l’aide accordée au titre des modifications de 2019 puisse évincer les concurrents de Litgas. En effet, la quantité obligatoire de GNL en vertu des modifications de 2019 n’était que de 0,37 bcm/an, ce qui correspondait à un pourcentage limité du volume total de gaz vendu en Lituanie.

218    Dans ces circonstances, il y a lieu de conclure que les requérantes n’ont pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant aux prétendus effets négatifs du SIEG en cause sur la concurrence et sur les échanges entre les États membres.

C.      Appréciation globale

219    Il convient, enfin, de procéder à une appréciation globale du faisceau d’indices avancé par les requérantes afin de déterminer si, pris ensemble, ces indices démontrent que la Commission n’était pas en mesure, à la date d’adoption de la décision attaquée, de surmonter toutes les difficultés sérieuses rencontrées en ce qui concerne la compatibilité avec le marché intérieur des mesures en cause.

220    En premier lieu, s’agissant des modifications de 2016, il ressort des considérations qui précèdent que la durée particulièrement longue de la procédure administrative (points 53 à 63 ci-dessus), les circonstances entourant l’adoption de la décision attaquée (points 75 à 91 ci-dessus), et l’examen incomplet, insuffisant et incohérent en ce qui concerne la compensation de l’intégralité des coûts liés à l’évaporation et des coûts d’équilibrage de Litgas (points 164 à 195 ci-dessus) sont révélateurs de doutes que la Commission aurait dû éprouver à cet égard. Ce dernier indice revêt un poids significatif dans le cadre de l’appréciation d’ensemble, dans la mesure où lesdits coûts représentent une partie importante des coûts totaux de Litgas et, dès lors, affectent significativement le montant de la compensation pour le SIEG en cause pendant la période allant de 2016 à 2019. Ces indices objectifs et concordants de difficultés sérieuses, pris dans leur ensemble, tendent à démontrer que la compatibilité avec le marché intérieur de l’aide d’État issue des modifications de 2016 soulevait des doutes au sens de l’article 4 du règlement 2015/1589 qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.

221    En second lieu, s’agissant de l’aide issue des modifications de 2019, le seul indice invoqué par les requérantes qui suggère que la Commission aurait pu éprouver des doutes quant à la compatibilité de celle-ci avec le marché intérieur est celui tiré de la durée de la procédure administrative (points 64 et 65 ci-dessus). Or, selon une jurisprudence constante, si la durée de l’examen préliminaire peut constituer un indice de l’existence de difficultés sérieuses, elle ne suffit pas en soi à démontrer l’existence de telles difficultés (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2013, 3F/Commission, C‑646/11 P, non publié, EU:C:2013:36, point 32 et jurisprudence citée). Partant, les requérantes n’étant pas parvenues à démontrer l’existence d’autres indices de difficultés sérieuses concernant les modifications de 2019, elles n’ont pas démontré que la Commission aurait dû éprouver des doutes quant à la compatibilité de l’aide issue de ces modifications avec le marché intérieur.

222    Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’accueillir le moyen unique soulevé par les requérantes dans la mesure où il vise l’aide d’État issue des modifications de 2016 et de le rejeter pour le surplus.

223    Par voie de conséquence, il y a lieu d’annuler la décision attaquée en ce que la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’égard de l’aide d’État issue des modifications de 2016 et de rejeter le recours pour le surplus.

IV.    Sur les dépens

224    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens.

225    En l’espèce, les requérantes et la Commission ayant succombé en partie, il y a lieu de décider qu’elles supporteront chacune leurs propres dépens.

226    En application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La République de Lituanie supportera donc ses propres dépens.

227    En outre, en vertu de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut décider qu’un intervenant autre que ceux mentionnés aux paragraphes 1 et 2 dudit article supportera ses propres dépens. Ignitis supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision C(2018) 7141 final de la Commission, du 31 octobre 2018, relative à l’aide d’État SA.44678 (2018/N), concernant la modification de l’aide pour le terminal GNL en Lituanie, est annulée en ce que la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections à l’égard de l’aide d’État issue des modifications de 2016.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Achema AB, Achema Gas Trade UAB, la Commission européenne, la République de Lituanie et Ignitis UAB supporteront chacune leurs propres dépens.

Kornezov

Kowalik-Bańczyk

Hesse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 septembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.