Language of document : ECLI:EU:C:2018:368

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

31 mai 2018 (*)

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) n° 604/2013 – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale présentée dans un État membre par un ressortissant de pays tiers – Procédures de prise en charge et de reprise en charge – Article 26, paragraphe 1 – Adoption et notification de la décision de transfert avant l’acceptation de la requête aux fins de reprise en charge par l’État membre requis »

Dans l’affaire C‑647/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal administratif de Lille (France), par décision du 1er décembre 2016, parvenue à la Cour le 15 décembre 2016, dans la procédure

Adil Hassan

contre

Préfet du Pas-de-Calais,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič (rapporteur), président de chambre, M. A. Rosas, Mmes C. Toader, A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement français, par M. D. Colas ainsi que par Mmes E. de Moustier et E. Armoet, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mme M. Condou-Durande, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 décembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 26, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci-après le « règlement Dublin III »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Adil Hassan, ressortissant irakien, au préfet du Pas-de-Calais (France) au sujet de la légalité de la décision ordonnant son transfert vers l’Allemagne.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement (UE) n° 603/2013

3        Aux termes du considérant 4 du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relatif à la création d’Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) n° 1077/2011 portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (JO 2013, L 180, p. 1) :

« Il est nécessaire, aux fins de l’application du règlement [Dublin III] d’établir l’identité des demandeurs d’une protection internationale et des personnes interpellées à l’occasion du franchissement illégal d’une frontière extérieure de l’Union. Aux fins de l’application efficace du règlement [Dublin III], et en particulier de son article 18, paragraphe 1, points b) et d), il est également souhaitable que tout État membre puisse vérifier si un ressortissant de pays tiers ou un apatride se trouvant illégalement sur son territoire a demandé une protection internationale dans un autre État membre. »

4        L’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 603/2013 prévoit :

« Il est créé un système, appelé “Eurodac”, dont l’objet est de contribuer à déterminer l’État membre qui, en vertu du règlement [Dublin III], est responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans un État membre par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et de faciliter à d’autres égards l’application du règlement [Dublin III] dans les conditions prévues par le présent règlement. »

5        L’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 603/2013 énonce :

« Chaque État membre relève sans tarder l’empreinte digitale de tous les doigts de chaque demandeur d’une protection internationale âgé de 14 ans au moins et la transmet au système central dès que possible et au plus tard 72 heures suivant l’introduction de la demande de protection internationale telle que définie à l’article 20, paragraphe 2, du règlement [Dublin III] [...]. »

 Le règlement Dublin III

6        Les considérants 4, 5, 9 et 19 du règlement Dublin III énoncent :

« (4)      Les conclusions [du Conseil européen, adoptées lors de sa réunion spéciale] de Tampere [les 15 et 16 octobre 1999,] ont également précisé que le [régime d’asile européen commun] devrait comporter à court terme une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile.      

(5)      Une telle méthode devrait être fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées. Elle devrait, en particulier, permettre une détermination rapide de l’État membre responsable afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale.

[...]

(9)      Au vu des résultats des évaluations réalisées portant sur la mise en œuvre des instruments de la première phase, il convient, à ce stade, de confirmer les principes sur lesquels repose le règlement [(CE) n° 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 50, p. 1)], tout en apportant les améliorations nécessaires, à la lumière de l’expérience, à l’efficacité du système de Dublin et à la protection octroyée aux demandeurs au titre dudit système. [...]

[...]

(19)      Afin de garantir une protection efficace des droits des personnes concernées, il y a lieu d’instaurer des garanties juridiques et le droit à un recours effectif à l’égard de décisions de transfert vers l’État membre responsable conformément, notamment, à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Afin de garantir le respect du droit international, un recours effectif contre de telles décisions devrait porter à la fois sur l’examen de l’application du présent règlement et sur l’examen de la situation en fait et en droit dans l’État membre vers lequel le demandeur est transféré. »

7        L’article 3 du règlement Dublin III, intitulé « Accès à la procédure d’examen d’une demande de protection internationale », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l’un quelconque d’entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. »

8        L’article 5 dudit règlement prévoit :

« 1.      Afin de faciliter le processus de détermination de l’État membre responsable, l’État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. [...]

2.      L’entretien individuel peut ne pas avoir lieu lorsque :

[...]

b)      après avoir reçu les informations visées à l’article 4, le demandeur a déjà fourni par d’autres moyens les informations pertinentes pour déterminer l’État membre responsable. L’État membre qui se dispense de mener cet entretien donne au demandeur la possibilité de fournir toutes les autres informations pertinentes pour déterminer correctement l’État membre responsable avant qu’une décision de transfert du demandeur vers l’État membre responsable soit prise conformément à l’article 26, paragraphe 1.

3.      L’entretien individuel a lieu en temps utile et, en tout cas, avant qu’une décision de transfert du demandeur vers l’État membre responsable soit prise conformément à l’article 26, paragraphe 1.

[...] »

9        L’article 18 du même règlement, intitulé « Obligations de l’État membre responsable », énonce, à son paragraphe 1 :

« L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de :

a)      prendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 21, 22 et 29, le demandeur qui a introduit une demande dans un autre État membre ;

b)      reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ;

c)      reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29 le ressortissant de pays tiers ou l’apatride qui a retiré sa demande en cours d’examen et qui a présenté une demande dans un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ;

d)      reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. »

10      Aux termes de l’article 19 du règlement Dublin III :

« 1.      Si un État membre délivre au demandeur un titre de séjour, les obligations prévues à l’article 18, paragraphe 1, lui sont transférées.

2.      Les obligations prévues à l’article 18, paragraphe 1, cessent si l’État membre responsable peut établir, lorsqu’il lui est demandé de prendre ou reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des États membres pendant une durée d’au moins trois mois, à moins qu’elle ne soit titulaire d’un titre de séjour en cours de validité délivré par l’État membre responsable.

[...]

3.      Les obligations prévues à l’article 18, paragraphe 1, points c) et d), cessent lorsque l’État membre responsable peut établir, lorsqu’il lui est demandé de reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des États membres en exécution d’une décision de retour ou d’une mesure d’éloignement délivrée à la suite du retrait ou du rejet de la demande.

[...] »

11      Selon l’article 21, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement :

« L’État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu’un autre État membre est responsable de l’examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’introduction de la demande au sens de l’article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. »

12      L’article 22 dudit règlement prévoit :

« 1.       L’État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de prise en charge d’un demandeur dans un délai de deux mois à compter de la réception de la requête.

[...]

7.      L’absence de réponse à l’expiration du délai de deux mois mentionné au paragraphe 1 et du délai d’un mois prévu au paragraphe 6 équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. »

13      Aux termes de l’article 24 du même règlement :

« 1.      Lorsqu’un État membre sur le territoire duquel une personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), se trouve sans titre de séjour et auprès duquel aucune nouvelle demande de protection internationale n’a été introduite estime qu’un autre État membre est responsable conformément à l’article 20, paragraphe 5, et à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), il peut requérir cet autre État membre aux fins de reprise en charge de cette personne.

2.      Par dérogation à l’article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier [(JO 2008, L 348, p. 98)], lorsqu’un État membre sur le territoire duquel une personne se trouve sans titre de séjour décide d’interroger le système Eurodac [...], la requête aux fins de reprise en charge d’une personne visée à l’article 18, paragraphe l, point b) ou c), du présent règlement ou d’une personne visée à son article 18, paragraphe 1, point d), dont la demande de protection internationale n’a pas été rejetée par une décision finale, est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac [...] 

[...]

5.      La requête aux fins de reprise en charge de la personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point b), c) ou d), est présentée à l’aide d’un formulaire type et comprend des éléments de preuve ou des indices tels que décrits dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, et/ou des éléments pertinents tirés des déclarations de cette personne, qui permettent aux autorités de l’État membre requis de vérifier s’il est responsable au regard des critères définis dans le présent règlement.

[...] »

14      L’article 25 du règlement Dublin III prévoit :

« 1.      L’État membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n’excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines.

2.      L’absence de réponse à l’expiration du délai d’un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l’acceptation de la requête, et entraîne l’obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l’obligation d’assurer une bonne organisation de son arrivée. »

15      L’article 26 de ce règlement, intitulé « Notification d’une décision de transfert », dispose :

« 1.      Lorsque l’État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d’un demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l’État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l’État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale. [...]

2.      La décision visée au paragraphe 1 contient des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l’exercice de ces voies de recours et à la mise œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l’État membre responsable.

[...] »

16      L’article 27 dudit règlement, intitulé « Voies de recours », est libellé comme suit :

« 1.      Le demandeur ou une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre la décision de transfert ou d’une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction.

2.      Les États membres accordent à la personne concernée un délai raisonnable pour exercer son droit à un recours effectif conformément au paragraphe 1.

3.      Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national :

a)      le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l’État membre concerné en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision ; ou

b)      le transfert est automatiquement suspendu et une telle suspension expire au terme d’un délai raisonnable, pendant lequel une juridiction, après un examen attentif et rigoureux de la requête, aura décidé s’il y a lieu d’accorder un effet suspensif à un recours ou une demande de révision ; ou

c)      la personne concernée a la possibilité de demander dans un délai raisonnable à une juridiction de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision. Les États membres veillent à ce qu’il existe un recours effectif, le transfert étant suspendu jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la première demande de suspension. [...]

4.      Les États membres peuvent prévoir que les autorités compétentes peuvent décider d’office de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue du recours ou de la demande de révision. 

[...] »

17      L’article 28 du même règlement, intitulé « Placement en rétention », énonce :

« 1.      Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle fait l’objet de la procédure établie par le présent règlement.

2.      Les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément au présent règlement lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d’une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées.

3.      Le placement en rétention est d’une durée aussi brève que possible et ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue jusqu’à l’exécution du transfert au titre du présent règlement.

Lorsqu’une personne est placée en rétention en vertu du présent article, le délai de présentation d’une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge ne dépasse pas un mois à compter de l’introduction de la demande. L’État membre qui mène la procédure conformément au présent règlement demande dans ce cas une réponse urgente. Cette réponse est donnée dans un délai de deux semaines à partir de la réception de la requête. L’absence de réponse à l’expiration de ce délai de deux semaines équivaut à l’acceptation de la requête et entraîne l’obligation de prendre ou de reprendre en charge la personne, y compris l’obligation d’assurer la bonne organisation de son arrivée.

[...] »

18      L’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III prévoit :

« 1.      Le transfert du demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue conformément au droit national de l’État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3.

[...]

2.      Si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert en raison d’un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. »

 Le règlement (CE) n° 1560/2003

19      L’article 4 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission, du 2 septembre 2003, portant modalités d’application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 222, p. 3, ci-après le « règlement d’exécution »), intitulé « Traitement d’une requête aux fins de reprise en charge », prévoit :

« Lorsqu’une requête aux fins de reprise en charge est fondée sur des données fournies par l’unité centrale d’Eurodac et vérifiées par l’État membre requérant [...], l’État membre requis reconnaît sa responsabilité, à moins que les vérifications auxquelles il procède ne fassent apparaître que sa responsabilité a cessé en vertu des dispositions de l’article [20, paragraphe 5, deuxième alinéa, ou de l’article 19, paragraphes 1, 2 ou 3, du règlement Dublin III]. La cessation de la responsabilité en vertu de ces dispositions ne peut être invoquée que sur la base d’éléments de preuve matériels ou de déclarations circonstanciées et vérifiables du demandeur d’asile. »

20      Conformément à l’article 6 du règlement d’exécution, intitulé « Réponse positive » :

« Lorsque l’État membre requis reconnaît sa responsabilité, la réponse mentionne ce fait en précisant sur la base de quelle disposition du [règlement Dublin III] et comporte les indications utiles pour l’organisation ultérieure du transfert, telles que, notamment, les coordonnées du service ou de la personne à contacter. »

 Le droit français

21      L’article L. 512-1, point III, premier alinéa, du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, dans sa version en vigueur à l’époque des faits au principal (ci-après le « Ceseda »), énonce :

« En cas de placement en rétention en application de l’article L. 551-1, l’étranger peut demander au président du tribunal administratif l’annulation de l’obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d’interdiction de retour sur le territoire français ou d’interdiction de circulation sur le territoire français qui l’accompagnent le cas échéant, dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention. [...] »

22      L’article L. 551-1, premier alinéa, de ce code est libellé comme suit :

« Dans les cas prévus aux 1° à 7° du I de l’article L. 561-2, l’étranger qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque mentionné au 3° du II de l’article L. 511-1 peut être placé en rétention par l’autorité administrative [...] pour une durée de quarante-huit heures. »

23      L’article L. 561-2, point I, dudit code prévoit :

« L’autorité administrative peut prendre une décision d’assignation à résidence à l’égard de l’étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l’éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger :

1°      Doit être remis aux autorités compétentes d’un État membre de l’Union européenne [...] ou fait l’objet d’une décision de transfert en application de l’article L. 742‑3 ;

[...]

7°      Ayant fait l’objet d’une décision d’assignation à résidence en application des 1° à 6° du présent article ou de placement en rétention administrative [...], n’a pas déféré à la mesure d’éloignement dont il fait l’objet ou, y ayant déféré, est revenu en France alors que cette mesure est toujours exécutoire.

[...] »

24      L’article L. 742-1, premier alinéa, du Ceseda, figurant au chapitre II, intitulé « Procédure de détermination de l’État responsable de l’examen de la demande d’asile », du livre VII de ce code, lui-même intitulé « Le droit d’asile », dispose :

« Lorsque l’autorité administrative estime que l’examen d’une demande d’asile relève de la compétence d’un autre État qu’elle entend requérir, l’étranger bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu’à la fin de la procédure de détermination de l’État responsable de l’examen de sa demande et, le cas échéant, jusqu’à son transfert effectif à destination de cet État. [...] »

25      L’article L. 742-3 dudit code énonce :

« Sous réserve du second alinéa de l’article L. 742-1, l’étranger dont l’examen de la demande d’asile relève de la responsabilité d’un autre État peut faire l’objet d’un transfert vers l’État responsable de cet examen.

Toute décision de transfert fait l’objet d’une décision écrite motivée prise par l’autorité administrative.

Cette décision est notifiée à l’intéressé. Elle mentionne les voies et délais de recours ainsi que le droit d’avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. [...] »

26      L’article L. 742-4, point I, du Ceseda prévoit :

« L’étranger qui a fait l’objet d’une décision de transfert mentionnée à l’article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l’annulation au président du tribunal administratif.

Le président ou le magistrat qu’il désigne à cette fin [...] statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine.

[...] »

27      Aux termes de l’article L. 742-5 de ce même code :

« Les articles L. 551-1 et L. 561-2 sont applicables à l’étranger faisant l’objet d’une décision de transfert dès la notification de cette décision.

La décision de transfert ne peut faire l’objet d’une exécution d’office ni avant l’expiration d’un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l’article L. 551-1 ou d’assignation à résidence prise en application de l’article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l’expiration d’un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s’il a été saisi. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

28      M. Adil Hassan a été interpellé, le 26 novembre 2016, par les services de la police de l’air et des frontières du Pas-de-Calais (France) dans la zone d’accès restreint du terminal du port de Calais (France). Une recherche dans le système Eurodac par ces services a fait apparaître que ses empreintes avaient été relevées par les autorités allemandes les 7 novembre et 14 décembre 2015 et qu’il avait sollicité, à ce moment, la protection internationale en Allemagne, sans toutefois former une telle demande en France.

29      Le jour même de cette interpellation et de cette consultation du système Eurodac, le préfet du Pas-de-Calais a saisi les autorités allemandes d’une demande de reprise en charge de M. Hassan et a décidé, concomitamment, de transférer ce dernier vers l’Allemagne et de le placer en rétention administrative. Cette décision a été notifiée à M. Hassan à la même date.

30      M. Hassan a contesté la mesure de placement en rétention administrative auprès du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Lille (France) sur le fondement de l’article L. 512-1, point III, du Ceseda. Par jugement du 29 novembre 2016, ce juge a ordonné la mainlevée de cette mesure.

31      M. Hassan a en outre introduit un recours suspensif auprès du tribunal administratif de Lille (France) contre la décision du 26 novembre 2016 en tant qu’elle ordonne son transfert vers l’Allemagne.

32      Dans le cadre de ce dernier recours, M. Hassan fait notamment valoir que cette décision méconnaît l’article 26 du règlement Dublin III, dès lors qu’elle a été prise et lui a été notifiée avant même que l’État membre requis, en l’occurrence la République fédérale d’Allemagne, n’ait expressément ou implicitement répondu à la requête des autorités françaises aux fins de sa reprise en charge.

33      Le préfet du Pas-de-Calais soutient, pour sa part, que ni cet article 26 ni aucune disposition de droit national ne faisaient obstacle à ce qu’il prenne, dès le placement en rétention, une décision de transfert et qu’il la notifie à l’intéressé, ce dernier disposant à l’encontre de celle-ci des voies de recours prévues à l’article 27 du règlement Dublin III. Conformément au droit national, il aurait même été obligé, pour pouvoir procéder au placement en rétention de M. Hassan, de prendre préalablement une décision de transfert, sans attendre la réponse de l’État membre requis. En tout état de cause, le transfert ne pourrait être exécuté tant que l’État membre requis n’aura pas accepté de reprendre en charge l’intéressé.

34      À cet égard, la juridiction de renvoi fait observer que le préfet du Pas‑de‑Calais n’était pas obligé de prendre la décision de transfert pour pouvoir placer M. Hassan en rétention administrative, dès lors qu’une telle rétention est prévue à l’article 28 du règlement Dublin III qui est d’application directe. Elle reconnaît cependant que le droit national sur lequel s’est appuyé le préfet pour adopter ladite décision de transfert n’interdisait pas l’adoption d’une telle décision concomitamment avec la décision de placement de rétention. Elle s’interroge ainsi sur la compatibilité d’une telle pratique administrative avec l’article 26 du règlement Dublin III.

35      La juridiction de renvoi souligne que les juridictions nationales sont divisées à ce sujet, expliquant que certains tribunaux administratifs considèrent qu’une décision de transfert peut être prise et notifiée à la personne concernée avant que n’intervienne la réponse de l’État membre requis, tandis que d’autres tribunaux estiment que l’État membre requérant est tenu d’attendre l’issue de la procédure de détermination de l’État membre responsable, telle que prévue aux articles 20 à 25 du règlement Dublin III, avant de prendre et de notifier une telle décision.

36      La juridiction de renvoi estime, pour sa part, que tant la lecture littérale des différentes versions linguistiques de l’article 26 du règlement Dublin III que l’interprétation téléologique de ladite disposition et de celles dans le contexte desquelles elle s’insère militent en faveur de cette deuxième interprétation, ce que confirmerait du reste l’examen des travaux préparatoires du règlement Dublin III.

37      Elle précise néanmoins que l’adoption et la notification d’une décision de transfert avant la réponse de l’État membre requis n’empêcheraient pas la personne concernée de contester utilement cette décision devant le juge compétent dans le contexte d’un recours doté d’un effet suspensif, conformément à l’article 27 du règlement Dublin III. S’il devait s’avérer que l’État membre requis n’est pas responsable au regard des critères fixés par le règlement, la décision de transfert pourrait alors être annulée.

38      C’est dans ces conditions que le tribunal administratif de Lille a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question suivante :

« Les dispositions de l’article 26 du règlement [Dublin III] font-elles obstacle à ce que les autorités compétentes de l’État membre qui a formulé, auprès d’un autre État membre qu’il considère comme étant l’État responsable par application des critères fixés par [ce] règlement, une demande de prise en charge ou de reprise en charge d’un ressortissant d’un pays tiers ou d’un apatride qui a présenté une demande de protection internationale sur laquelle il n’a pas encore été statué définitivement ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), [de ce même] règlement, prennent une décision de transfert et la notifient à l’intéressé avant que l’État requis ait accepté cette prise ou cette reprise en charge ? »

 Sur la question préjudicielle

39      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’État membre ayant formulé, auprès d’un autre État membre qu’il considère comme étant responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en application des critères fixés par ce règlement, une requête aux fins de prise ou de reprise en charge d’une personne visée à l’article 18, paragraphe 1, dudit règlement, adopte une décision de transfert et la notifie à ladite personne avant que l’État membre requis ait donné son accord explicite ou implicite à cette requête.

40      Selon une jurisprudence constante de la Cour, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte des termes de celle-ci, de sa genèse, ainsi que de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, en ce sens, arrêts du 20 décembre 2017, Acacia et D’Amato, C‑397/16 et C‑435/16, EU:C:2017:992, point 31, ainsi que du 17 avril 2018, Egenberger, C‑414/16, EU:C:2018:257, point 44 et jurisprudence citée).

41      À cet égard, en ce qui concerne, tout d’abord, les termes de l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III, cette disposition énonce que, lorsque l’État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d’un demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de ce règlement, l’État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l’État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

42      Il découle ainsi du libellé même de l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III, et ce, ainsi que l’a également relevé M. l’avocat général au point 35 de ses conclusions, dans la quasi-totalité de ses versions linguistiques, que la notification d’une décision de transfert à la personne concernée ne peut intervenir que si et, partant, après que l’État membre requis a répondu favorablement à la requête aux fins de prise ou de reprise en charge ou, le cas échéant, après l’expiration des délais dans lesquels l’État membre requis doit répondre à cette requête, l’absence de réponse équivalant, conformément à l’article 22, paragraphe 7, et à l’article 25, paragraphe 2, du règlement Dublin III, à l’acceptation d’une telle requête.

43      Les termes mêmes de l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III mettent donc en évidence que le législateur de l’Union a établi un ordre procédural précis entre l’acceptation de la requête aux fins de prise ou de reprise en charge par l’État membre requis et la notification de la décision de transfert à la personne concernée.

44      S’agissant, ensuite, de la genèse dudit article 26, paragraphe 1, il convient de faire observer, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 36 de ses conclusions, que la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale présentée dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (COM/2008/0820 final), relative à la refonte du règlement n° 343/2003 et qui a conduit à l’adoption du règlement Dublin III, énonçait qu’il était nécessaire de préciser davantage la procédure de notification de la décision de transfert à la personne intéressée, afin de garantir un droit de recours plus effectif de celle-ci.

45      Ainsi qu’il ressort de l’exposé des motifs de ladite proposition de règlement, ces précisions devaient porter, notamment, sur le moment, la forme et le contenu de la notification des décisions de transfert. Or, l’article 25, paragraphe 1, de la même proposition, devenu l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III, qui contenait lesdites précisions, n’a subi, au cours de la procédure législative, aucune modification substantielle à cet égard.

46      Dès lors, il résulte des termes mêmes de l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III, lus à la lumière de la genèse de ladite disposition, qu’une décision de transfert ne saurait être notifiée à la personne concernée qu’après que l’État membre requis a, implicitement ou explicitement, accepté la prise ou la reprise en charge de cette personne (voir, en ce sens, arrêt du 26 juillet 2017, A.S., C‑490/16, EU:C:2017:585, point 33).

47      L’économie générale du règlement Dublin III confirme cette interprétation.

48      À cet égard, il convient de relever que l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III figure au chapitre VI de celui-ci, intitulé « Procédures de prise en charge et de reprise en charge », lequel comporte des dispositions précisant les étapes successives desdites procédures, ainsi qu’une série de délais impératifs qui contribuent à déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2017, Shiri, C‑201/16, EU:C:2017:805, point 39 et jurisprudence citée).

49      Ces procédures de prise en charge et de reprise en charge doivent obligatoirement être conduites en conformité avec les règles énoncées, notamment, audit chapitre VI (voir, en ce sens, arrêt du 26 juillet 2017, Mengesteab, C‑670/16, EU:C:2017:587, point 49 et jurisprudence citée).

50      Ainsi, il ressort des sections II et III du chapitre VI du règlement Dublin III, relatives aux procédures applicables aux requêtes aux fins de prise et de reprise en charge, que, dans un premier temps, l’État membre requérant peut requérir un autre État membre, selon les cas, de prendre ou de reprendre en charge la personne concernée, conformément aux dispositions, respectivement, de l’article 21, paragraphe 1, de l’article 23, paragraphe 1, et de l’article 24, paragraphe 1, dudit règlement.

51      Dans un deuxième temps, il revient à l’État membre requis de procéder, conformément à l’article 22, paragraphe 1, ou à l’article 25, paragraphe 1, du règlement Dublin III, selon les cas, aux vérifications nécessaires à l’effet de déterminer s’il est responsable de l’examen de la demande de protection internationale au regard des critères définis au chapitre III de ce règlement et, partant, de statuer sur la requête aux fins de prise ou de reprise en charge dans les délais prévus à ces dispositions.

52      Dès lors, ce n’est qu’une fois que l’État membre requis a procédé auxdites vérifications qu’il peut statuer sur la requête aux fins de prise ou de reprise en charge et répondre à l’État membre requérant. À cet égard, une réponse favorable vaut acceptation dans son principe du transfert de la personne concernée, acceptation qui est, de manière générale, suivie de l’exécution dudit transfert, conformément aux dispositions de l’article 29 du règlement Dublin III (voir, en ce sens, arrêt du 26 juillet 2017, A.S., C‑490/16, EU:C:2017:585, point 50).

53      L’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III, qui figure, ensemble avec l’article 27 de ce règlement, relatif aux voies de recours, dans la section IV, intitulée « Garanties procédurales », du chapitre VI dudit règlement, vise ainsi, en obligeant l’État membre requérant à notifier à la personne concernée la décision de transfert, à renforcer la protection des droits de cette personne en assurant qu’elle est, lorsque le transfert est dans son principe acquis entre les États membres impliqués dans la procédure de prise ou de reprise en charge, informée de l’ensemble des motifs qui sous-tendent ladite décision, de façon à lui permettre, le cas échéant, de la contester devant le juge compétent et de demander la suspension de son exécution.

54      L’économie générale du règlement Dublin III plaide dès lors également en faveur d’une interprétation de l’article 26, paragraphe 1, de ce règlement selon laquelle une décision de transfert ne saurait être notifiée à la personne concernée qu’après que l’État membre requis a accepté la prise ou la reprise en charge de cette personne.

55      Il en va de même de l’objectif poursuivi par le règlement Dublin III, contrairement à ce que semble considérer la Commission européenne.

56      À cet égard, il importe de rappeler d’emblée que le règlement Dublin III a pour objectif, selon une jurisprudence constante de la Cour, d’établir une méthode claire et opérationnelle, fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées, permettant une détermination rapide de l’État membre responsable afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et de ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale, tout en garantissant, conformément au considérant 19 dudit règlement, un recours effectif instauré par ledit règlement contre des décisions de transfert (voir, en ce sens, arrêts du 7 juin 2016, Ghezelbash, C‑63/15, EU:C:2016:409, point 42, ainsi que du 25 octobre 2017, Shiri, C‑201/16, EU:C:2017:805, points 31 et 37 ainsi que jurisprudence citée).

57      Par ailleurs, la Cour a déjà précisé que le législateur de l’Union n’a pas entendu sacrifier la protection juridictionnelle des demandeurs de protection internationale à ladite exigence de célérité (voir, en ce sens, arrêts du 7 juin 2016, Ghezelbash, C‑63/15, EU:C:2016:409, point 57, et du 13 septembre 2017, Khir Amayry, C‑60/16, EU:C:2017:675, point 65).

58      S’agissant de la protection juridictionnelle effective garantie, notamment, à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux, il ressort de l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III que le demandeur de protection internationale dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre la décision de transfert ou d’une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction. Un tel recours, dont la portée ne saurait être interprétée restrictivement, doit porter, d’une part, sur l’examen de l’application de ce règlement, en ce qui concerne tant la mise en œuvre des critères énoncés à son chapitre III que le respect des garanties procédurales prévues notamment à son chapitre VI, et, d’autre part, sur l’examen de la situation en fait et en droit dans l’État membre vers lequel le demandeur est transféré (voir, en ce sens, arrêts du 26 juillet 2017, A.S., C‑490/16, EU:C:2017:585, points 26 à 28 ; du 26 juillet 2017, Mengesteab, C‑670/16, EU:C:2017:587, points 43, 47 et 48, ainsi que du 25 octobre 2017, Shiri, C‑201/16, EU:C:2017:805, points 36 et 37).

59      À cet égard, s’il devait être admis qu’une décision de transfert puisse être notifiée à la personne concernée avant que l’État membre requis ait répondu à la requête aux fins de prise ou de reprise en charge, il pourrait en résulter que cette personne soit tenue, pour contester cette décision, d’introduire un recours dans un délai expirant au moment où l’État membre requis est censé fournir sa réponse, voire, comme dans l’affaire au principal, avant que n’intervienne ladite réponse, dès lors que, conformément à l’article 27, paragraphe 2, du règlement Dublin III, il appartient aux États membres de fixer le délai dans lequel la personne concernée peut exercer son droit à un recours effectif, la seule obligation imposée par cette disposition étant que ce délai présente un caractère raisonnable.

60      Dans ces conditions, la personne concernée serait, le cas échéant, contrainte, de manière préventive, avant même que l’État membre requis ait répondu à la requête aux fins de prise ou de reprise en charge de la personne concernée, d’introduire, sur la base de l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III, un recours contre la décision de transfert ou une demande de révision de celle-ci. Du reste, la Cour a déjà jugé que, par principe, un tel recours ou une telle demande de révision ne peuvent intervenir que dans une situation où l’État membre requis a répondu favorablement à cette requête (voir, par analogie, arrêt du 26 juillet 2017, Mengesteab, C‑670/16, EU:C:2017:587, point 60).

61      Par ailleurs, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 46 à 48 de ses conclusions, la portée du droit de recours effectif visé à l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III serait susceptible d’être restreinte, dès lors qu’une décision de transfert prise et notifiée à la personne concernée avant que l’État membre requis ait répondu à la requête aux fins de prise ou de reprise en charge ne serait fondée que sur les éléments de preuve et des indices recueillis par l’État membre requérant et non sur ceux provenant de l’État membre requis, tels que la date de sa réponse à la requête aux fins de prise ou de reprise en charge ou la teneur des motifs l’ayant conduit à accepter cette requête, lorsque sa réponse est explicite.

62      Or, il convient de souligner, comme l’a également relevé M. l’avocat général au point 48 de ses conclusions, que de tels éléments provenant de l’État membre requis sont d’une importance particulière dans le cadre des recours ou des demandes de révision introduites contre une décision de transfert prise à l’issue d’une procédure aux fins de prise en charge, dès lors que l’État membre requis est tenu de vérifier de manière exhaustive sa responsabilité au regard des critères prévus par le règlement Dublin III et de tenir compte également d’informations qui ne sont pas nécessairement connues de l’État membre requérant (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash, C‑63/15, EU:C:2016:409, point 43).

63      Il y a également lieu de rappeler que l’État membre requis peut être amené, même en cas d’un résultat positif Eurodac, à répondre par la négative à une requête aux fins de prise ou de reprise en charge lorsque, notamment, il considère que sa responsabilité a cessé en vertu de l’article 19 ou de l’article 20, paragraphe 5, deuxième alinéa, du règlement Dublin III, ainsi que le confirme également l’article 4 du règlement d’exécution, le demandeur devant avoir la possibilité de se prévaloir d’une telle circonstance dans le cadre de son recours (voir, à cet égard, arrêt du 7 juin 2016, Karim, C‑155/15, EU:C:2016:410, points 26 et 27).

64      Par ailleurs, en ce qui concerne la circonstance, relevée au point 33 du présent arrêt, que, dans une situation telle que celle au principal, l’exécution d’une décision de transfert serait suspendue jusqu’à la réponse de l’État membre requis, il suffit de relever qu’aucune disposition du règlement Dublin III ne prévoit une telle suspension. En effet, les règles relatives à l’effet suspensif des recours, énoncées à l’article 27, paragraphes 3 et 4, de ce règlement, visent les possibilités de suspension de la décision de transfert d’une durée comprise entre la date d’introduction du recours ou de la demande de révision, et, au plus tard, l’issue dudit recours ou de ladite demande de révision, sans que leur introduction implique nécessairement la suspension de la décision de transfert (voir, en ce sens, arrêts du 13 septembre 2017, Khir Amayry, C‑60/16, EU:C:2017:675, points 64 et 68, ainsi que du 25 janvier 2018, Hasan, C‑360/16, EU:C:2018:35, point 38).

65      Ainsi, admettre que la notification d’une telle décision, au sens de l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III, puisse intervenir avant la réponse de l’État membre requis reviendrait, dans des ordres juridiques qui, à la différence de celui en cause au principal, ne prévoient pas la suspension d’une telle décision avant ladite réponse, à exposer la personne concernée au risque d’un transfert vers cet État membre avant même que celui-ci n’y ait consenti dans son principe.

66      Au demeurant, dans la mesure où le règlement Dublin III a pour objectif, ainsi qu’il a été rappelé au point 56 du présent arrêt, d’établir une méthode claire et opérationnelle de la détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile, il ne saurait être admis que l’interprétation de l’article 26, paragraphe 1, dudit règlement, par lequel le législateur a visé à renforcer la protection des droits de la personne concernée, puisse varier en fonction de la réglementation des États membres impliqués dans la procédure de détermination de l’État membre responsable.

67      Suivant la même logique, s’agissant du fait que le droit français ne permettrait pas le placement de la personne concernée en rétention administrative avant la notification à celle-ci de la décision de transfert, une telle difficulté qui, ainsi que le confirme la juridiction de renvoi, résulte exclusivement du droit national ne saurait remettre en cause l’interprétation de l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III, telle que donnée au point 46 du présent arrêt. Du reste, il ressort clairement de l’article 28, paragraphes 2 et 3, de ce règlement que les États membres sont autorisés à placer les personnes concernées en rétention avant même que la requête aux fins de prise ou de reprise en charge soit présentée à l’État membre requis, lorsque les conditions prévues à cet article sont remplies, la notification de la décision de transfert ne constituant ainsi pas un préalable nécessaire à un tel placement (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 2017, Al Chodor, C‑528/15, EU:C:2017:213, point 25, ainsi que du 13 septembre 2017, Khir Amayry, C‑60/16, EU:C:2017:675, points 25 à 27, 30 et 31).

68      Ainsi, l’objectif du règlement Dublin III, loin d’infirmer l’interprétation retenue au point 46 du présent arrêt, plaide également en faveur de celle-ci.

69      Cela étant, les interrogations de la juridiction de renvoi portent non seulement sur le moment auquel la notification de la décision de transfert doit intervenir mais également sur le moment auquel cette décision doit être adoptée.

70      À cet égard, il est vrai que le libellé de l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III fait référence à la notification de la décision de transfert et non pas à son adoption. Toutefois, l’article 5, paragraphe 2, sous b), et l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, qui précisent, respectivement, les conditions dans lesquelles l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable peut se dispenser de l’entretien avec le demandeur et le moment auquel celui-ci doit avoir lieu, énoncent qu’un tel entretien ou toute autre possibilité pour le demandeur de fournir les informations pertinentes doivent avoir lieu avant que la décision de transfert ne soit prise conformément audit article 26, paragraphe 1.

71      Par ailleurs, il convient de relever que, selon l’article 26, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement Dublin III, la décision de transfert doit contenir des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l’exercice de ces voies de recours et à la mise en œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l’État membre responsable.

72      Or, de telles informations dépendent en principe, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 44 de ses conclusions, tant du moment auquel l’État membre requis répond à la requête aux fins de prise ou de reprise en charge que de la teneur de ladite réponse, conformément aux modalités précisées à l’article 6 du règlement d’exécution, lorsqu’elle est explicite.

73      En tout état de cause, une décision de transfert ne saurait être opposable à la personne concernée avant qu’elle lui ait été notifiée, le moment auquel la notification doit intervenir étant, ainsi qu’il ressort des considérations qui précèdent, défini avec précision à l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III. Il en résulte que l’adoption d’une telle décision avant la réponse de l’État membre requis, quand bien même sa notification n’interviendrait qu’après cette réponse, ne pourrait contribuer ni à l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale ni à l’objectif d’assurer une protection juridictionnelle effective des droits de ladite personne, dès lors que l’introduction d’un recours contre une décision de transfert est nécessairement postérieure à la notification de celle-ci (voir, à cet égard, arrêt du 26 juillet 2017, A.S., C‑490/16, EU:C:2017:585, point 54).

74      Dans ces conditions, l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III s’oppose également à l’adoption d’une décision de transfert avant la réponse, explicite ou implicite, de l’État membre requis à la requête aux fins de prise ou de reprise en charge.

75      Il résulte de tout ce qui précède que l’article 26, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’État membre ayant formulé, auprès d’un autre État membre qu’il considère comme étant responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en application des critères fixés par ce règlement, une requête aux fins de prise ou de reprise en charge d’une personne visée à l’article 18, paragraphe 1, dudit règlement adopte une décision de transfert et la notifie à ladite personne avant que l’État membre requis ait donné son accord explicite ou implicite à cette requête.

 Sur les dépens

76      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L’article 26, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’État membre ayant formulé, auprès d’un autre État membre qu’il considère comme étant responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en application des critères fixés par ce règlement, une requête aux fins de prise ou de reprise en charge d’une personne visée à l’article 18, paragraphe 1, dudit règlement adopte une décision de transfert et la notifie à ladite personne avant que l’État membre requis ait donné son accord explicite ou implicite à cette requête.

Ilešič

Rosas

Toader

Prechal

 

Jarašiūnas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 31 mai 2018.

Le greffier

Le président de la IIème chambre

A. Calot Escobar

 

M. Ilešič


*      Langue de procédure : le français.