Language of document : ECLI:EU:T:2007:223

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

12 juillet 2007 (*)

« Concurrence – Ententes – Cartes bancaires – Décision ordonnant une vérification – Article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 – Motivation – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑266/03,

Groupement des cartes bancaires (CB), établi à Paris (France), représenté par Mes A. Georges et J. Ruiz Calzado, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. T. Christoforou et Mme O. Beynet, puis par MM. Christoforou et F. Arbault, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation de la décision C (2003) 1524/9 de la Commission, du 7 mai 2003, dans l’affaire COMP/D1/38.606, ordonnant au Groupement des cartes bancaires et à ses filiales de se soumettre à une vérification en application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), tel que modifié, et, d’autre part, une demande visant au retrait du dossier de toutes les pièces et des autres éléments portés à la connaissance de la Commission au cours de la vérification et à leur restitution au requérant,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. H. Legal, président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. V. Vadapalas, juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 janvier 2007,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        L’article 14 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), tel que modifié, énonce :

« 1. [L]a Commission peut procéder à toutes les vérifications nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises.

À cet effet, les agents mandatés par la Commission sont investis des pouvoirs ci-après :

a)      contrôler les livres et autres documents professionnels ;

b)      prendre copie ou extrait des livres et documents professionnels ;

c)      demander sur place des explications orales ;

d)      accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises.

[...]

3. Les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre aux vérifications que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l’objet et le but de la vérification, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues à l’article 15, paragraphe 1, [sous] c), et à l’article 16, paragraphe 1, [sous] d), ainsi que le recours ouvert devant la Cour [...] contre la décision.

4. La Commission prend les décisions visées au paragraphe 3 après avoir entendu l’autorité compétente de l’État membre sur le territoire duquel la vérification doit être effectuée.

5. Les agents de l’autorité compétente de l’État membre sur le territoire duquel la vérification doit être effectuée peuvent, sur la demande de cette autorité ou sur celle de la Commission, prêter assistance aux agents de la Commission dans l’accomplissement de leurs tâches.

6. Lorsqu’une entreprise s’oppose à une vérification ordonnée en vertu du présent article, l’État membre intéressé prête aux agents mandatés par la Commission l’assistance nécessaire pour leur permettre d’exécuter leur mission de vérification [...] »

 Faits à l’origine du litige

2        Le Groupement des cartes bancaires (CB) (ci-après le « groupement » ou le « requérant ») est un groupement d’intérêt économique de droit français créé en 1984 par les principaux établissements de crédit français afin de réaliser l’interopérabilité totale de leurs systèmes de paiement par carte de paiement et de retrait par le biais du système CB. Cette interopérabilité permet, en pratique, d’effectuer des paiements avec une carte émise par l’un des membres du groupement dans tous les établissements des commerçants affiliés au système CB par l’intermédiaire d’un autre membre du groupement et de réaliser des retraits auprès de tous les autres membres de ce dernier. Le groupement comprend actuellement 170 membres, tous étant des établissements financiers français ou étrangers opérant en France. En vertu du contrat constitutif du groupement, ce dernier est dirigé par un conseil de direction, composé de onze membres, dits « chefs de file », et investi des pouvoirs les plus étendus pour prendre toutes les décisions définissant les grandes options du groupement, sous réserve de ceux attribués aux assemblées générales des membres et à l’administrateur.

3        En décembre 2002, le groupement a adopté plusieurs mesures établissant, en son sein, une nouvelle tarification pour l’adhésion et l’émission de cartes relevant du système CB par les nouveaux membres ou les membres dits « dormants » – c’est-à-dire ceux sans activité significative dans le domaine des cartes bancaires – ainsi que de nouvelles règles de vote et de répartition des actifs.

4        Ces mesures, destinées à entrer en vigueur le 1er janvier 2003, comportaient quatre volets distincts, à savoir :

–        un dispositif dénommé MERFA (mécanisme de régulation de la fonction acquéreur) ayant pour objet d’inciter les membres du groupement qui émettent davantage de cartes CB qu’ils ne développent le champ d’acceptation de celles-ci, en affiliant de nouveaux commerçants ou en ouvrant de nouveaux distributeurs (fonction dite d’« acquéreur »), à développer leur fonction d’acquéreur par le biais d’un prélèvement à la charge des membres davantage émetteurs qu’acquéreurs, reversé aux membres davantage acquéreurs qu’émetteurs ;

–        une modification du droit d’adhésion, composé dorénavant d’un droit fixe de 50 000 euros et d’un droit de douze euros par carte CB émise au cours des années suivant l’adhésion du nouveau membre ;

–        un droit de douze euros par carte CB émise, applicable aux membres du groupement inactifs ou peu actifs avant la date d’entrée en vigueur des nouvelles mesures et s’engageant, à compter de cette date, dans une activité d’émission importante (dispositif dit de « réveil des dormants ») ;

–        un réaménagement du mode de calcul des droits de vote des membres au sein du groupement et de leurs droits sur les actifs de celui-ci.

5        Le groupement a présenté ces mesures aux services compétents de la direction générale de la concurrence de la Commission au cours d’une réunion qui s’est tenue au mois de novembre 2002.

6        Le 9 décembre 2002, le groupement a présenté une demande d’attestation négative concernant les mesures notifiées à la Commission, en vertu de l’article 2 du règlement n° 17.

7        Après avoir reçu, à sa demande, des informations complémentaires, la Commission a considéré la notification comme complète le 19 février 2003.

8        Au mois de mars 2003, la Commission a adressé, en application de l’article 11 du règlement n° 17, des demandes de renseignements à plusieurs établissements financiers et de crédit, tous membres du groupement, ainsi qu’au groupement lui-même, le 3 mars 2003.

9        Le 3 avril 2003, en vertu de l’article 19, paragraphe 3, du règlement n° 17, une communication invitant les tiers à présenter leurs observations a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne (JO C 80, p. 13).

10      Par décision C (2003) 1524/9, du 7 mai 2003, la Commission a ordonné au groupement et à ses filiales de se soumettre à une vérification en application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 (ci-après la « décision attaquée »).

11      L’article 1er de cette décision est ainsi libellé :

« [Le groupement] et ses filiales sont tenus de se soumettre à une vérification portant sur sa participation éventuelle à des accords ou [à des] comportements anticoncurrentiels contraires aux articles 81 [CE] ou 82 [CE] sur le marché de l’émission des cartes bancaires de paiement. Les éventuels accords ou comportements anticoncurrentiels consisteraient notamment en […] l’échange entre concurrents d’informations commerciales confidentielles comme le nombre de cartes émises, la mesure de l’activité d’acquisition, [et en] la fixation de formules et paramètres, sans autre but que celui d’exclure des entrants potentiels du marché de l’émission des cartes bancaires de paiement, et ce lors de réunions, discussions et autres contacts entre les entreprises en cause.

L’entreprise visée permettra aux agents mandatés par la Commission pour procéder à la vérification et aux agents de l’État membre qui les assistent d’accéder à tous ses locaux, terrains et moyens de transport pendant les heures normales d’ouverture des bureaux. Elle présentera pour contrôle ses livres et autres documents professionnels requis par lesdits agents ; elle leur permettra de contrôler ses livres et autres documents professionnels aux endroits où ils se trouvent et d’en prendre [une] copie ou [des] extraits. En outre, l’entreprise fournira immédiatement toutes les explications orales que lesdits agents pourraient demander en relation avec l’objet de la vérification.

La vérification peut avoir lieu dans n’importe [lequel] des locaux utilisés par [le groupement] et/ou ses filiales, et notamment dans les locaux situés à […] »

12      À l’article 2 de la décision attaquée, la Commission précise que la vérification aura lieu à compter du 20 mai 2003. À l’article 3, elle indique que la décision attaquée sera notifiée aux entreprises destinataires immédiatement avant la vérification.

13      Les motifs de la décision attaquée énoncent ce qui suit :

« La Commission a reçu des informations concordantes (notamment sous forme de témoignages confidentiels) selon lesquelles certaines grandes banques françaises veulent empêcher le secteur de la grande distribution, via leurs propres banques, ainsi que d’autres opérateurs, notamment étrangers, d’entrer sur le marché français de l’émission des cartes bancaires de paiement.

Selon ces informations, ces grandes banques, parmi lesquelles la destinataire de cette décision, se seraient concertées en secret pendant au moins deux ans pour : i) échanger des informations commerciales confidentielles comme le nombre de cartes émises, la mesure de leur activité d’acquisition et ii) fixer des formules et paramètres, qu’elles feraient ensuite entériner par l’ensemble du [groupement]. Ces formules et paramètres ont été notifiés à la Commission.

L’application de ces formules conduit prima facie à décourager très fortement toute banque souhaitant mettre en oeuvre un programme d’émission de cartes de paiement CB. C’est tout particulièrement le cas pour les banques détenues par certains groupes de grande distribution. Cela est également vrai pour des banques étrangères qui ont l’intention d’entrer sur le marché français.

Du reste, l’incidence de ces comportements anticoncurrentiels sur les consommateurs (renchérissement du prix des cartes bancaires CB de paiement, diminution du choix des banques émettrices) ou sur les tiers (notamment les acteurs de la grande distribution) est manifeste.

Or, il ressort des éléments extérieurs à la notification dont dispose la Commission que le seul but de l’action de certaines banques au sein du [groupement] est d’exclure des entrants potentiels du marché de l’émission des cartes bancaires de paiement.

Si les soupçons de la Commission relatifs à un tel objectif se révélaient fondés, le comportement pourrait être constitutif d’une grave infraction aux dispositions communautaires de la concurrence, et notamment aux articles 81 [CE] et 82 [CE].

Eu égard à ce qui précède, pour permettre à la Commission de prendre connaissance de tous les éléments de fait concernant ces éventuels accords et/ou pratiques, ainsi que du véritable contexte économique dans lequel ils s’inscrivent, il est nécessaire d’effectuer des vérifications au titre de l’article 14 du règlement n° 17.

Les informations relatives à une éventuelle concertation secrète […] ne peuvent être trouvées que dans les locaux des banques, notamment dans ceux du groupement. La découverte sur place d’éléments établissant l’existence d’un comportement restrictif de la concurrence permettrait à la Commission de prendre rapidement des mesures d’interdiction des comportements anticoncurrentiels soupçonnés.

D’après les informations dont dispose la Commission, les comportements anticoncurrentiels présumés s’appuient sur une organisation très sophistiquée et fonctionnent dans le secret. La connaissance de leur existence et de leur fonctionnement est limitée à un nombre restreint de personnes de confiance dans chacune des entreprises concernées. Les documents relatifs aux pratiques anticoncurrentielles suspectées sont vraisemblablement limités au strict minimum et conservés dans des lieux et sous une forme qui facilitent leur dissimulation ou leur destruction en cas de vérification.

Afin de sauvegarder l’efficacité de la présente vérification, il est donc indispensable que cette dernière soit effectuée sans que l’entreprise suspectée de comportements anticoncurrentiels en [ait] été préalablement informée.

Il est par conséquent nécessaire d’adopter une décision au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, ordonnant à l’entreprise mentionnée ci-dessus de se soumettre à une vérification. »

14      Le deuxième considérant de la décision attaquée renvoie à la note en bas de page n° 3 qui comprend la définition suivante :

« Le [groupement] est un groupement d’intérêt économique de droit français. Il gère le système français de carte de paiement CB qui représente environ 70 % des paiements par carte en France. Il compte quelque 170 membres, obligatoirement affiliés à l’un des 11 chefs de file. »

15      L’avis des autorités françaises compétentes a été recueilli et une demande préventive de mesures d’assistance a été déposée auprès du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris (ci-après le « juge des libertés »). Par ordonnance du 16 mai 2003, ce juge a accordé l’assistance de la force publique nationale.

16      Les 20 et 21 mai 2003, quatre représentants de la Commission ont effectué des vérifications au siège du groupement en application de la décision attaquée.

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 juillet 2003, le groupement a introduit le présent recours.

18      À la suite du dépôt du mémoire en duplique, le requérant a, par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 30 mars 2004, au titre de l’article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, demandé à ce qu’il plaise au Tribunal déclarer irrecevables et ordonner le retrait du dossier de deux pièces produites par la Commission en annexe à la duplique et déclarer irrecevables ou, à tout le moins, écarter des débats deux phrases d’un point du mémoire en duplique.

19      Par ordonnance du 26 mai 2004, le Tribunal (première chambre) a ordonné, d’une part, que l’une des pièces produite par la Commission et intitulée « Rapport d’inspection » soit retirée du dossier de procédure, au motif que la production par la Commission de ce document au stade de la duplique était tardive et, d’autre part, que l’une des phrases du mémoire en duplique, qui y faisait référence, soit écartée des débats. Le Tribunal a rejeté l’incident pour le surplus et a réservé les dépens.

20      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

21      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal à l’audience qui s’est tenue le 18 janvier 2007.

22      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        ordonner le retrait du dossier de toutes les pièces saisies et autres éléments portés à la connaissance de la Commission au cours de la vérification et leur restitution au groupement ;

–        condamner la Commission aux dépens.

23      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        rejeter la demande du requérant tendant à faire ordonner le retrait des pièces et des éléments découlant de la vérification ainsi que leur restitution au groupement ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation

24      Le requérant soulève deux moyens, tirés de la violation, respectivement, de l’obligation de motivation et du principe de proportionnalité.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

–       Arguments des parties

25      En premier lieu, le requérant prétend que la décision attaquée ne lui permet pas de comprendre les soupçons qui pouvaient peser sur lui et qui auraient déterminé la Commission à procéder à la vérification en cause.

26      Tout d’abord, le groupement rappelle que, eu égard, d’une part, à la coopération qu’il a menée avec la Commission dans le cadre de la notification des mesures visées au point 4 ci-dessus, consistant en la tenue de réunions informelles avec des membres de la direction générale de la concurrence de la Commission et, d’autre part, au libellé de la demande de renseignements que la Commission lui a adressée le 3 mars 2003, qui soulignait que le groupement n’était pas directement concerné par les pratiques en question, il ne pouvait pas se considérer comme étant concerné par les éventuelles pratiques anticoncurrentielles identifiées dans la décision attaquée, à défaut d’indication claire et précise dans celle-ci des soupçons pesant sur lui. Il ajoute que la Commission, dans la décision attaquée, en omettant de détailler le contexte dans lequel elle s’insère, n’explique aucunement si la vérification vise les mesures notifiées et comment ladite décision s’articule avec ces dernières. En outre, le requérant critique l’utilisation, à son égard, d’une motivation identique à celle présente dans les décisions adressées aux banques et aux organismes de crédit concernés, ne prenant pas en compte les spécificités du groupement.

27      Ensuite, le requérant relève que plusieurs motifs de la décision attaquée peuvent laisser entendre que le groupement n’était effectivement pas concerné par les pratiques anticoncurrentielles qui y sont exposées. Il renvoie, à cet égard, au premier et au cinquième considérants de la décision attaquée. Le requérant souligne qu’il n’est pas un opérateur sur le marché de l’émission des cartes bancaires de paiement et qu’il lui est, dès lors, difficile de comprendre comment il aurait pu participer aux pratiques visées consistant, notamment, en une concertation entre « concurrents ». Selon le requérant, l’ordonnance du juge des libertés met en évidence la carence affectant la motivation de la décision attaquée sur ce point, le juge des libertés ayant interprété cette décision comme visant seulement les banques membres du groupement, et non le groupement lui-même.

28      Le requérant soutient également avoir été maintenu dans l’ignorance des raisons qui ont conduit aux vérifications en cause, de la nature et de l’étendue de l’implication reprochée au groupement, alors que ces explications auraient pu figurer dans les motifs de la décision attaquée, notifiée au requérant le jour où les vérifications ont débuté, sans porter atteinte à la nécessité de préserver l’effet utile des vérifications en cause. Cela aurait permis au groupement de bien comprendre leur périmètre et de déterminer le degré de collaboration active qu’il devait adopter à l’égard des agents de la Commission. L’omission de ces explications l’aurait conduit à laisser saisir certaines pièces qui ne tombaient pas dans l’objet de la vérification. Le requérant souligne qu’il ne lui incombe toutefois pas de rapporter la preuve concrète d’un quelconque effet préjudiciable à son égard, puisque la méconnaissance de l’obligation de motivation doit être appréciée de manière objective.

29      Enfin, au moment de la notification de la décision attaquée, une incertitude totale aurait également plané sur l’existence et sur la nature même des soupçons pesant sur le groupement du fait que certains de ses membres seraient présentés comme étant les victimes des pratiques anticoncurrentielles visées par la décision attaquée. Dans ces circonstances, le groupement n’aurait pu raisonnablement penser qu’il était soupçonné de participer à ces pratiques. Le requérant relève que le seul motif qui pourrait éventuellement infirmer une telle appréciation, à savoir le deuxième considérant de la décision attaquée, est entaché d’une erreur factuelle manifeste en ce qu’il présente le groupement comme une banque. En outre, la Commission ne pourrait pas, en l’espèce, invoquer la jurisprudence sur les erreurs factuelles non déterminantes, les décisions de vérification devant être immédiatement compréhensibles et donc particulièrement bien motivées.

30      En second lieu, le requérant soutient que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas exposé le lien existant entre, d’une part, l’objet et le but de la vérification et, d’autre part, les mesures qu’il a notifiées à la Commission. Or, dans la décision attaquée, celle-ci aurait dû décrire non seulement le contexte dans lequel s’inscrivait la procédure de vérification, mais également préciser si cette dernière portait sur les mesures notifiées, qui bénéficiaient de l’immunité contre le risque d’amende, ou sur d’autres pratiques susceptibles d’être sanctionnées. Cette ambiguïté serait confirmée par les propos du porte-parole du commissaire en charge de la politique de concurrence, rapportés par le quotidien Le Monde du 29 mai 2003, expliquant que ce serait la complexité des nouvelles règles notifiées qui aurait conduit la Commission à diligenter une procédure de vérification dans les locaux du groupement.

31      La Commission rappelle que, dans le contexte d’une décision ordonnant des vérifications, l’obligation de motivation lui impose d’indiquer clairement les présomptions qu’elle entend vérifier.

32      Elle expose que, dans la décision attaquée, elle a pleinement respecté cette condition et est même allée au-delà des exigences de motivation fixées dans l’arrêt de la Cour du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, Rec. p. 2859), en ce qu’elle donne des exemples concrets de possibles mises en œuvre des pratiques anticoncurrentielles suspectées.

33      Selon la Commission, à l’article 1er de la décision attaquée, elle fait clairement état des soupçons pesant sur le requérant susceptibles de constituer de graves infractions à l’article 81 CE et/ou à l’article 82 CE. Elle renvoie également au deuxième considérant de la décision attaquée.

34      Elle rejette aussi l’ensemble des critiques exposées par le requérant dans ses écritures.

–       Appréciation du Tribunal

35      Selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver une décision individuelle, qui résulte de manière générale de l’article 253 CE, a pour but de permettre au juge communautaire d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision et de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est bien fondée ou si elle est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité, étant précisé que la portée de cette obligation dépend de la nature de l’acte en cause et du contexte dans lequel il a été adopté (arrêts de la Cour du 11 janvier 1973, Pays-Bas/Commission, 13/72, Rec. p. 27, point 11, et du Tribunal du 15 juin 2005, Corsica Ferries France/Commission, T‑349/03, Rec. p. II‑2197, point 63).

36      S’agissant plus particulièrement d’une décision de la Commission ordonnant une vérification, l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 définit les éléments essentiels de motivation en prévoyant qu’elle indique l’objet et le but de celle-ci, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues à l’article 15, paragraphe 1, sous c), et à l’article 16, paragraphe 1, sous d), ainsi que le recours ouvert devant la Cour contre la décision. La Cour a précisé que cette exigence constituait une garantie fondamentale des droits de la défense des entreprises concernées. Il s’ensuit que la portée de l’obligation de motivation des décisions de vérification ne peut être restreinte en fonction de considérations tenant à l’efficacité de l’enquête. À cet égard, s’il est vrai que la Commission n’est tenue ni de communiquer au destinataire d’une telle décision toutes les informations dont elle dispose à propos d’infractions présumées, ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions, elle doit, en revanche, indiquer clairement les hypothèses qu’elle entend vérifier (arrêt de la Cour du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, Rec. p. 3165, point 45).

37      En outre, il incombe à la Commission d’indiquer, dans une telle décision, avec autant de précision que possible, ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter la vérification, une telle exigence étant propre à préserver les droits de la défense des entreprises concernées (arrêt du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, Rec. p. I‑9011, point 48).

38      En l’espèce, il ressort des termes de la décision attaquée, reproduits aux points 11 à 14 ci-dessus, qu’elle contient les éléments essentiels exigés par l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, tel que précisé par la jurisprudence.

39      En effet, l’objet et le but de la vérification, ainsi que les éléments sur lesquels elle porte, apparaissent dans la décision attaquée. La Commission se réfère au comportement de certaines grandes banques françaises au sein du groupement, consistant en l’échange d’informations commerciales confidentielles ainsi qu’en l’adoption de mesures qui seraient destinées à exclure des entrants potentiels – banques étrangères ou relevant de la grande distribution notamment – du marché de l’émission des cartes bancaires de paiement, en violation du droit communautaire de la concurrence. Dans la décision attaquée, la Commission expose que le but de la vérification est de rechercher, d’une part, des éléments de preuve concernant l’intention des banques concernées de restreindre la concurrence sur le marché des cartes de paiement, et, d’autre part, des éléments d’information sur le contexte économique dans lequel ces comportements s’inscrivent.

40      En outre, le requérant était en mesure de comprendre les raisons pour lesquelles une vérification était diligentée dans ses locaux. Du fait de sa nature d’association d’entreprises, et plus précisément de groupement d’intérêt économique de droit français, ayant pour but, selon la définition qu’en donne l’article L 251‑1 du code de commerce français, de faciliter ou de développer l’activité économique de ses membres, d’améliorer ou d’accroître les résultats de cette activité, sans pour autant réaliser des bénéfices pour lui-même, il était à même de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission suspectait la présence, dans ses locaux, de documents afférant à son enquête et avait décidé de diligenter une procédure de vérification à son égard.

41      De plus, à l’article 1er de la décision attaquée, la Commission indique que le requérant est tenu de se soumettre à la vérification et quels sont les pouvoirs conférés aux agents de la Commission. À l’article 2 de cette décision, elle précise la date du début de la vérification. La Commission informe également le requérant de la possibilité de former un recours contre cette décision devant le juge communautaire et des sanctions prévues à l’article 15, paragraphe 1, sous c), et à l’article 16, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 17.

42      Dès lors, force est de constater que la décision attaquée contient les éléments essentiels exigés, au vu des principes rappelés aux points 35 à 37 ci-dessus, pour qu’une décision ordonnant une vérification en vertu de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 soit considérée comme motivée à suffisance de droit.

43      Cette conclusion n’est pas remise en cause par les différents arguments avancés par le requérant.

44      Premièrement, s’agissant de la rédaction de la décision attaquée, il convient de remarquer que, contrairement aux allégations du requérant, sa lecture lui permettait de comprendre en quoi il était concerné par les pratiques anticoncurrentielles qui y sont exposées, comme indiqué au point 40 ci-dessus.

45      La circonstance que la même motivation ait été adoptée pour l’ensemble des décisions ordonnant des enquêtes sans distinguer selon la nature spécifique du destinataire est, en l’espèce, sans conséquence, dans la mesure où cette motivation permet cependant à chaque entité qui en est destinataire de comprendre précisément pourquoi elle est soumise à la vérification.

46      En outre, si la motivation de la décision attaquée est effectivement erronée en fait, en ce qu’elle qualifie, au deuxième et au huitième considérants, le groupement de « banque », cette circonstance est sans conséquence, dès lors que les autres éléments de la décision attaquée permettaient au groupement de comprendre les raisons pour lesquelles une vérification était diligentée dans ses locaux.

47      Deuxièmement, quant au contexte dans lequel la décision attaquée s’inscrit, force est de constater que les différents éléments avancés par le requérant ne démontrent pas en quoi le contexte de la décision attaquée implique que la Commission a manqué à son obligation de motivation.

48      D’une part, contrairement à ce que soutient le requérant, ni la notification d’un accord ni la tenue de réunions informelles entre le requérant et la Commission ne sont de nature à influencer l’exercice par la Commission des pouvoirs dont elle est investie au titre de l’article 14 du règlement n° 17.

49      D’autre part, la précision, dans la demande d’informations au titre de l’article 11 du règlement n° 17 adressée au groupement le 3 mars 2003, selon laquelle « en l’occurrence votre entreprise n’[était] pas directement concernée par les pratiques en question » est sans conséquence sur la compréhension par le requérant des raisons pour lesquelles une vérification était diligentée dans ses locaux, la motivation de la décision attaquée étant suffisamment claire sur ce point.

50      Troisièmement, l’argument tiré de ce que le juge des libertés aurait interprété la décision attaquée comme ne concernant que les banques et non le groupement doit être rejeté comme inopérant. En effet, comme le souligne la Commission, cette interprétation ne peut avoir aucune influence sur la motivation et la légalité de la décision attaquée.

51      Quatrièmement, s’agissant de la prétendue impossibilité pour le requérant d’apprécier l’étendue de son devoir de collaboration, il suffit ici de rappeler que la décision attaquée respecte les exigences de motivation fixées à l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, qui n’ont pas pour objet de permettre à l’entreprise concernée d’apprécier s’il y a lieu de présenter à la Commission les documents que celle-ci lui demande (arrêt de la Cour du 18 mai 1982, AM & S/Commission, 155/79, Rec. p. 1575, point 17).

52      Cinquièmement, s’agissant de la critique de ce que la prétendue absence de mention du lien existant entre, d’une part, l’objet et le but de la vérification et, d’autre part, les mesures notifiées à la Commission aurait empêché le requérant de savoir si la vérification portait sur les mesures notifiées ou sur d’autres pratiques susceptibles d’être sanctionnées, il convient de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission précise avec suffisamment de clarté l’objet et le but de la vérification ainsi que les hypothèses qu’elle entendait vérifier.

53      Sixièmement, en ce qui concerne la référence opérée par le requérant aux propos du porte-parole du commissaire en charge de la politique de la concurrence, rapportés dans le quotidien Le Monde, il y a lieu de constater que de tels propos, exprimés en toute hypothèse postérieurement à l’adoption de la décision attaquée, ne sont pas de nature à affecter l’appréciation de sa motivation.

54      Le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation, doit donc être rejeté.

 Sur le second moyen, présenté à titre subsidiaire et tiré de la violation du principe de proportionnalité

–       Arguments des parties

55      Le requérant fait valoir que, dans l’hypothèse où le Tribunal considérerait la décision attaquée comme étant suffisamment motivée pour rendre son contrôle possible, celle-ci violerait le principe de proportionnalité dès lors que la vérification que la Commission a ordonnée ne constitue manifestement pas le moyen nécessaire et approprié pour obtenir davantage d’informations sur le groupement et sur la modification des règles de fonctionnement du système des cartes bancaires CB.

56      En premier lieu, le requérant expose que les circonstances dans lesquelles est intervenue la décision attaquée ne justifiaient pas le recours à une procédure de vérification, compte tenu du contexte de coopération dans lequel elle a été adoptée. Si la Commission avait eu connaissance d’informations extérieures à la notification, il aurait été plus approprié qu’elle l’interroge sur ces informations dans le cadre de l’instruction de la notification, préalablement à toute vérification sur place. Le requérant fait également observer que, en procédant directement à une vérification dans ses locaux, la Commission a ignoré la neutralité du groupement dans l’exercice de ses fonctions, qui visaient la promotion de l’intérêt collectif de ses membres, et s’est introduite dans leur sphère privée.

57      En second lieu, le requérant soutient qu’il n’y avait pas lieu, en l’espèce, d’avoir recours à une procédure de vérification contraignante, en application de l’article 14, paragraphes 3 et 6, du règlement n° 17, puisque la décision attaquée ne fournissait aucun élément de nature à démontrer qu’il existait un risque de destruction ou de dissimulation de documents de la part du groupement, qui aurait toujours coopéré loyalement avec la Commission. De plus, le juge des libertés aurait été empêché d’exercer son contrôle sur la mesure de contrainte demandée, contrairement à ce qu’impose la jurisprudence de la Cour. La circonstance que la Commission n’a pas eu à recourir, en l’espèce, aux pouvoirs de contrainte conférés par l’ordonnance de la juridiction nationale serait sans conséquence à cet égard. Le requérant conteste également le caractère approprié des mesures de contrainte demandées par la Commission aux fins d’assurer l’exécution de la décision.

58      La Commission expose, tout d’abord, que la procédure de vérification, décidée en application de l’article 14 du règlement n° 17, est autonome par rapport aux demandes de renseignements adoptées en vertu de l’article 11 dudit règlement. Cette autonomie s’imposerait également dans les relations entre la procédure de notification et la procédure de vérification. Au demeurant, la Commission relève que le requérant n’indique pas le fondement juridique sur lequel il prétend que, comme en l’espèce, une vérification ne pourrait être ordonnée dès lors qu’une entreprise ou une association d’entreprises lui aurait préalablement notifié un accord.

59      Ensuite, la Commission expose que, si elle avait adressé une demande de renseignements au groupement portant sur un accord secret non notifié, la vérification ultérieure aurait été privée de tout effet utile, puisque les éléments de preuve dudit accord auraient vraisemblablement déjà disparu au moment d’y procéder.

60      Enfin, elle considère comme non fondés les autres arguments du requérant, portant notamment sur l’intrusion de la Commission dans la sphère privée des membres du groupement, la vérification n’ayant aucunement porté sur des éléments étrangers à son objet et à son but, et relatifs à l’impossibilité pour le juge national de procéder à un contrôle de proportionnalité des mesures de contrainte demandées par la Commission, l’ordonnance du juge des libertés n’ayant pas été mise en œuvre. En tout état de cause, la décision attaquée serait suffisamment motivée pour permettre au juge national d’exercer son contrôle de proportionnalité, conformément à la jurisprudence de la Cour.

–       Appréciation du Tribunal

61      Parmi les arguments invoqués par le requérant, il convient de distinguer selon que ceux-ci visent, en substance, à démontrer le caractère disproportionné, d’une part, de la décision attaquée adoptée sur le fondement de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17, et, d’autre part, des mesures de contrainte demandées par la Commission au juge national, en application de l’article 14, paragraphe 6, du même règlement.

62      En premier lieu, concernant la proportionnalité de la décision attaquée, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit communautaire, exige que les actes des institutions communautaires ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec. p. I‑4023, point 13, et du 14 juillet 2005, Pays-Bas/Commission, C‑180/00, Rec. p. I‑6603, point 103).

63      Le choix à opérer par la Commission entre la vérification par simple mandat et la vérification ordonnée par voie de décision ne dépend pas de circonstances telles que la gravité particulière de la situation, l’extrême urgence ou la nécessité d’une discrétion absolue, mais des nécessités d’une instruction adéquate, eu égard aux particularités de l’espèce (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission, 136/79, Rec. p. 2033, points 28 et 29).

64      Par ailleurs, les articles 11 et 14 du règlement n° 17, relatifs, respectivement, aux demandes de renseignements et aux pouvoirs de la Commission en matière de vérification, instituent deux procédures possédant chacune son autonomie (arrêt de la Cour du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, Rec. p. 3283, point 14). Ces procédures répondent ainsi à des besoins différents. Alors que la demande de renseignements repose essentiellement sur la collaboration préalable des entreprises concernées, la vérification, opérée par voie d’un simple mandat ou ordonnée par voie de décision, permet à la Commission de procéder par elle-même à la recherche des informations nécessaires.

65      En l’espèce, la décision attaquée visait à recueillir des informations relatives à l’intention supposée de certaines grandes banques françaises d’exclure des entrants potentiels – notamment des banques étrangères ou relevant de la grande distribution – du marché français de l’émission des cartes bancaires de paiement ainsi que sur l’échange d’informations commerciales confidentielles, que la Commission considérait pouvoir trouver dans les locaux du groupement. Au vu, tant de la nature des informations recherchées que du rôle que ces banques jouent dans la structure du groupement, il est difficile de concevoir que la Commission aurait pu entrer en possession de ces informations autrement que par le biais d’une décision ordonnant une vérification. La Commission n’a donc pas, dans la présente affaire, agi de manière disproportionnée par rapport au but poursuivi et, partant, n’a pas méconnu le principe de proportionnalité, le recours à une vérification ordonnée par voie de décision étant adéquat au regard des particularités de l’espèce. La circonstance que le groupement ait, antérieurement, fourni à la Commission des informations sur les mesures notifiées est, à cet égard, sans conséquence.

66      Cette conclusion n’est pas infirmée par les différents arguments invoqués par le requérant.

67      D’une part, pour les raisons évoquées au point 65 ci-dessus, l’argument tiré de la prétendue absence d’éléments attestant l’existence d’un risque de destruction de documents doit être rejeté.

68      D’autre part, le choix de la Commission de recourir à une décision ordonnant une vérification ne constitue pas une intrusion disproportionnée dans la sphère privée de l’ensemble des membres du groupement.

69      Certes, l’exigence d’une protection contre des interventions de la puissance publique dans la sphère privée d’une personne, qu’elle soit physique ou morale, qui seraient arbitraires ou disproportionnées, constitue un principe général du droit communautaire (arrêts Hoechst/Commission, point 32 supra, point 19, et Roquette Frères, point 37 supra, point 27).

70      Lors de la détermination de la portée de ce principe, il convient de tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dont il ressort que la protection du domicile garantie par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales peut être étendue, dans certaines circonstances particulières, aux locaux commerciaux des entreprises (voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêt Société Colas Est e.a. c. France du 16 avril 2002, Recueil des arrêts et décisions, 2002‑III, § 41).

71      Toutefois, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, tant la finalité du règlement n° 17 que l’énumération, par son article 14, des pouvoirs dont sont investis les agents de la Commission font apparaître que les vérifications peuvent avoir une portée très large. Le droit d’accéder à tous les locaux, terrains et moyens de transport des entreprises présente une importance particulière dans la mesure où il doit permettre à la Commission de recueillir les preuves des infractions aux règles de concurrence dans les lieux où elles se trouvent normalement, c’est-à-dire dans les locaux commerciaux des entreprises (arrêt Hoechst/Commission, point 32 supra, point 26). Il s’ensuit que la Commission peut exercer son pouvoir de vérification dans tous les locaux commerciaux de l’entreprise visée par la décision prise par elle dès lors que les droits de la défense sont respectés (arrêts Hoechst/Commission, point 32 supra, points 14 et 15, et Roquette Frères, point 37 supra, point 48).

72      À cet égard, il y a lieu de rappeler que les droits des entreprises membres du groupement sont sauvegardés par l’obligation imposée à la Commission par l’article 14 du règlement n° 17 d’indiquer l’objet et le but de la vérification. En effet, il résulte de l’article 20, paragraphe 1, et de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 que les informations recueillies au cours des vérifications ne doivent pas être utilisées dans des buts autres que ceux indiqués dans le mandat de vérification ou dans la décision de vérification (arrêt de la Cour du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, 85/87, Rec. p. 3137, point 17). Ainsi qu’il ressort des points 36 et 39 ci-dessus, la motivation de la décision attaquée doit indiquer avec suffisamment de clarté l’objet et le but de la vérification. Dès lors, la décision attaquée ne saurait s’apprécier en une intrusion disproportionnée dans la sphère privée des membres du groupement, l’étendue de la vérification étant clairement circonscrite et la Commission ne disposant pas de la possibilité d’utiliser légalement les documents qui n’ont pas trait aux comportements faisant l’objet de la vérification.

73      En second lieu, les arguments du requérant qui ne concernent pas la décision attaquée, mais qui visent à contester le caractère approprié de la demande préventive de mesures de contrainte opérée par la Commission au juge national, en application de l’article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17, ou la proportionnalité de ces mesures doivent être écartés.

74      En effet, le contrôle de la proportionnalité des mesures de contrainte demandées par la Commission, en application de l’article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17, relève du juge national et non du Tribunal.

75      Ainsi que la Cour a eu l’occasion de le préciser, le juge national saisi d’une demande d’assistance émanant de la Commission sur le fondement de l’article 14, paragraphe 6, du règlement n° 17 est seul compétent pour vérifier que les mesures de contrainte sollicitées ne sont pas disproportionnées par rapport à l’objet de la vérification (voir, en ce sens, arrêt Roquette Frères, point 37 supra, point 40) et peut, à cet effet, demander à la Commission de lui fournir un complément d’information s’il estime que les éléments présents dans la décision ordonnant une vérification ne lui permettent pas d’opérer son contrôle .

76      La circonstance, invoquée par la Commission, selon laquelle l’ordonnance autorisant le recours à la force publique n’aurait, en l’espèce, pas été mise en œuvre est donc, en tout état de cause, dépourvue de pertinence.

77      Il y a donc lieu de rejeter le second moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité, et, par voie de conséquence, les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée.

  Sur les conclusions tendant à ce que le Tribunal ordonne le retrait du dossier de toutes les pièces saisies et autres éléments portés à la connaissance de la Commission au cours de la vérification et leur restitution au groupement 

78      Le juge communautaire n’étant pas habilité à adresser des injonctions aux institutions communautaires dans le cadre de la compétence d’annulation qui lui est conférée par l’article 230 CE, de telles conclusions sont irrecevables. Au surplus, à les supposer recevables, elles ne pourraient qu’être rejetées par voie de conséquence du rejet des conclusions aux fins d’annulation de la décision attaquée auxquelles elles sont étroitement liées.

79      Il s’ensuit que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

80      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Le requérant est condamné aux dépens.

Legal

Wiszniewska-Białecka

Vadapalas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 juillet 2007.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       H. Legal


* Langue de procédure : le français.