Language of document : ECLI:EU:T:2007:235

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

19 juillet 2007 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Décision ordonnant la restitution d’aides d’État accordées par la France à la société Stardust Marine – Annulation de la décision par un arrêt de la Cour »

Dans l’affaire T‑360/04,

FG Marine SA, établie à Roissy Charles De Gaulle (France), représentée par Me M.‑A. Michel, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Rozet et C. Giolito, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de réparation du dommage prétendument causé par la décision 2000/513/CE de la Commission, du 8 septembre 1999, concernant les aides accordées par la France à l’entreprise Stardust Marine,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. M. Jaeger, président, J. Azizi et Mme E. Cremona, juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 février 2007,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l'origine du litige

1        La société Stardust Marine (ci-après « Stardust ») a été créée en 1989 et s’est développée sur le marché de la plaisance nautique. L’activité de la société était la vente de croisières sur bateaux sans équipage dont elle avait la gestion et qui étaient détenus par des copropriétaires dits « quiritaires », c’est à dire titulaires de parts de copropriétés, ou de quirats, sur les bateaux en question.

2        Altus Finance (ci-après « Altus ») faisant partie du groupe du Crédit Lyonnais, a accordé des financements importants à Stardust jusqu’en 1993 sous forme de prêts directs à la société ainsi que sous forme de garanties octroyées aux quiritaires pour l’acquisition de leurs quirats.

3        Le Crédit Lyonnais ayant enregistré d’importants résultats négatifs en 1992 et en 1993, les autorités françaises ont pris, en 1994, des décisions portant soutien financier en sa faveur. Celles-ci comprenaient, d’une part, une augmentation de capital de 4,9 milliards de francs français (FRF) et, d’autre part, la prise en charge des risques et des coûts liés aux engagements qui ont ensuite été transférés à une structure spécifique de cantonnement, le Consortium de réalisations (ci-après le « CDR »), filiale à 100 % du Crédit Lyonnais, qui a été créé en 1995 dans le cadre d’une opération dite « de défaisance ». Le CDR a acheté pour environ 190 milliards de FRF d’actifs du Crédit Lyonnais. Conformément au plan de restructuration, tous les actifs concernés devaient être cédés ou liquidés.

4        En 1994, Altus a pris le contrôle de Stardust par la souscription d’une augmentation de capital d’un montant de 44,3 millions de FRF. Lors du plan de défaisance de 1995, Stardust a été cédée au CDR en raison de ses faibles résultats et des pertes prévisibles qu’elle pouvait générer. À partir de ce moment, le Crédit Lyonnais a cessé d’avoir un rôle direct dans la gestion de Stardust en raison de la séparation totale de gestion entre cette dernière et le Crédit Lyonnais.

5        Le CDR a ensuite procédé à des augmentations du capital de Stardust en trois étapes. Une première augmentation de capital, pour un montant total de 112 millions de FRF, a eu lieu en avril 1995. Une deuxième augmentation de capital, de 250,5 millions de FRF, a été décidée le 26 juin 1996 et elle a été effectuée en deux tranches souscrites, respectivement, en juin 1996 et en mars 1997. Enfin, une troisième augmentation de capital a été réalisée en juin 1997, pour un montant de 89 millions de FRF.

6        Par contrat conclu le 6 mars 1997, le CDR a vendu sa participation dans Stardust (soit 99,9 % du capital de celle-ci) à la requérante pour un montant de 2 millions de FRF, le transfert de propriété ayant été reporté au 30 juin 1997.

7        À la suite d’une plainte dirigée contre la République française concernant les recapitalisations successives de Stardust et les conditions dans lesquelles cette dernière avait été cédée par le CDR à la requérante, la Commission a, le 5 novembre 1997, décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, en ce qui concerne les mesures de soutien en faveur de Stardust et en a informé la République française par lettre du 8 décembre 1997, en l’invitant à lui fournir tous les renseignements nécessaires à l’instruction de l’affaire.

8        Le 24 décembre 1997, le CDR a informé la requérante de l’existence de l’enquête de la Commission en soulignant qu’il entendait conserver « la maîtrise totale des procédures, tant parisienne que bruxelloise, concernant directement ou indirectement la cession à FG Marine du capital de Stardust ». Il a ajouté que, en contrepartie de cet accord, il confirmait que, dans l’hypothèse où il serait mis à la charge de Stardust une quelconque responsabilité financière en remboursement des soi-disant aides d’État et si la requérante en faisait la demande, le CDR accepterait de lui racheter sa participation dans le capital de Stardust, et ce moyennant un prix égal au prix d’achat (convention d’option de rétrocession).

9        Par lettre du 26 juillet 1999 faisant allusion au « risque bruxellois » et à ce qu’elle avait « connaissance du projet de décision négative préparé […] par des fonctionnaires de la “DG 4” », la requérante s’est adressée au CDR en lui demandant de reprendre, au prix d’acquisition, la propriété des actions composant le capital de Stardust.

10      Le 8 septembre 1999, la Commission a adopté la décision 2000/513/CE concernant les aides accordées par la France à l’entreprise Stardust Marine (JO 2000, L 206, p. 6, ci-après la « Décision »). En substance, elle a considéré que divers concours financiers octroyés à Stardust par le groupe Crédit Lyonnais n’avaient pas le caractère de concours financier qu’aurait consentis une banque privée en économie de marché. D’après la Commission, ces mesures de soutien, au-delà de la prudence requise d’un banquier, avaient un caractère d’aides d’État puisque les ressources publiques mobilisées dans le cadre de ce soutien par le canal du Crédit Lyonnais, étaient des ressources d’État au sens de l’article 87 CE (considérant 27 de la Décision). Par ailleurs, s’agissant de la période qui a suivi l’opération de cantonnement de 1995, la Commission a considéré que les injections en capital à fonds perdus par le CDR, postérieures au cantonnement sont le coût différé des aides accordées depuis plusieurs années à l’entreprise par l’État sous forme de soutien du Crédit Lyonnais » (considérant 58 de la Décision).

11      Le dispositif de la Décision est libellé comme suit :

« Article premier

Les augmentations de capital de Stardust Marine […] effectuées par Altus Finance […] et […] par le CDR sont des mesures d’aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, du traité. Ces mesures, d’une valeur totale actualisée au 31 octobre 1994 de 450,4 millions de FRF, ne peuvent être déclarées compatibles avec le marché commun au sens de l’article 87, paragraphes 2 et 3, du traité et avec l’article 61, paragraphes 2 et 3, de l’accord EEE.

Article 2

La France est tenue d’exiger la restitution par Stardust à l’État, ou au CDR, des 450,4 millions de FRF correspondant au contenu en aides des mesures en question, en valeur actualisée au 31 octobre 1994. S’y ajoutent les intérêts calculés sur ce montant, à compter de cette date, au taux d’intérêt de référence établi par la Commission pour le calcul de l’équivalent-subvention net des aides en France.

Article 3

La France informe la Commission dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision des mesures prises pour s’y conformer.

Article 4

La République française est destinataire de la présente décision. »

12      Le 13 septembre 1999, la requérante a formalisé la levée d’option (voir points 8 et 9 ci-dessus) et rétrocédé sa participation dans Stardust au CDR pour le prix de 2 millions de FRF (304 898 euros).

13      Le 24 septembre 1999, Stardust a fait une déclaration de cessation de paiement auprès du tribunal de commerce de Paris aux fins d’ouvrir une procédure de redressement judiciaire.

14      Par jugement du 30 septembre 1999, le tribunal de commerce de Paris a considéré que Stardust était en état de cessation de paiement et ouvert la procédure de redressement judiciaire.

15      Le 13 octobre 1999, la Commission a notifié la Décision aux autorités françaises.

16      Le 20 décembre 1999, la République française a saisi la Cour d’un recours visant à l’annulation de la Décision (affaire C‑482/99).

17      Les 23 décembre 1999 et 4 janvier 2000, les autorités françaises ont adressé à Stardust un titre de perception ainsi qu’une déclaration définitive de la somme due.

18      Par jugement du 7 février 2000, le tribunal de commerce de Paris a approuvé un plan de cession d’un montant de 30 222 000 FRF (4 607 314 euros) portant sur certains éléments de l’actif de Stardust présenté par la société anglaise Sunsail International Ltd (ci-après « Sunsail »).

19      Par jugement du 27 novembre 2001, le tribunal de commerce de Paris a condamné le CDR à payer à la requérante à titre de réparation la somme de 30 222 000 FRF eu égard aux fautes commises par le CDR pour violation des articles 87 et 88 CE et pour négligences dans la conduite de ce dossier. Ce jugement a été infirmé par arrêt de la cour d’appel de Paris du 16 janvier 2004.

20      Par l'arrêt du 16 mai 2002, France/Commission (C‑482/99, Rec. p. I‑4397), la Cour a annulé la Décision en accueillant deux moyens d’annulation invoqués par la France qui portaient sur la notion d’aide au sens de l’article 87 CE. Le premier moyen était tiré d’une interprétation erronée du critère de l’imputabilité à l’État des mesures de soutien financier prises en faveur de Stardust. Le second était tiré d’une mauvaise application du critère de l’investisseur privé dans une économie de marché.

 Procédure et conclusions des parties

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 septembre 2004, la requérante a introduit le présent recours.

22      À la suite de la demande de la Commission, déposée le 19 octobre 2004, le président de la troisième chambre du Tribunal lui a permis de limiter ses mémoires aux principes juridiques concernés dans l’établissement de son éventuelle responsabilité non contractuelle, en particulier l’exigence de comportements fautifs imputables à la Commission, la nature et les catégories de dommages ainsi que le lien de causalité entre les comportements reprochés et le préjudice allégué, sans se prononcer sur les questions relatives à l’évaluation du montant du dommage.

23      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, a invité la requérante et la Commission à répondre à certaines questions. Il a été déféré à cette demande dans le délai imparti.

24      Par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 12 janvier 2007, les affaires T‑344/04 et T‑360/04 ont été jointes aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

25      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 8 février 2007.

26      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal condamner la Commission au paiement d’une indemnisation au moins égale à 30 489 803, 44 euros.

27      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 Sur la recevabilité

 Arguments des parties

28      La Commission rappelle que l’engagement de la responsabilité non contractuelle au sens de l’article 288 CE suppose que trois conditions soient réunies, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que cette violation soit suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre ladite violation et le dommage causé.

29      En ce qui concerne la faute alléguée en l’espèce, la requérante n’établirait pas à en quoi les illégalités constatées dans l’arrêt de la Cour du 16 mai 2002 sont susceptibles d’engager la responsabilité de la Communauté, mais dénoncerait seulement certaines erreurs manifestes d’appréciation, telles que celle d’avoir considéré le CDR comme un banquier et non pas comme un actionnaire, celle de ne pas avoir appliqué le critère de l’investisseur privé en économie de marché, celle de ne pas avoir considéré les restructurations de capital incriminées dans le contexte de l’époque ainsi que celle de ne pas avoir envisagé les perspectives de redressement de l’entreprise.

30      Quant au lien de causalité, la requérante affirmerait simplement que la Décision est la cause directe et inéluctable du préjudice subi, lequel serait né du dépôt de bilan de Stardust, sans démontrer cette causalité dans la requête.

31      S’agissant du dommage causé, la requérante se limiterait à considérer que le montant à indemniser « ne saurait […] être inférieur à 200 millions de FRF (30 489 803,44 euros) ».

32      La requérante conteste le bien-fondé de la fin de non-recevoir soulevée par la Commission.

 Appréciation du Tribunal

33      En vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer, notamment, l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Ces indications doivent être suffisamment claires et précises pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autre information à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels il se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (ordonnance du Tribunal du 29 novembre 1993, Koelman/Commission, T‑56/92, Rec. p. II‑1267, point 21 ; arrêts du Tribunal du 6 mai 1997, Guérin automobiles/Commission, T‑195/95, Rec. p. II‑679, point 20, et du 25 mai 2004, Distilleria Palma/Commission, T‑154/01, Rec. p. II‑1493, point 58).

34      Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre ce comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (arrêts du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T‑387/94, Rec. p. II‑961, point 107, et Distilleria Palma/Commission, précité, point 59).

35      S’agissant de la faute alléguée en l’espèce, la requérante reproche, au point 6 de la requête, à la Commission d’avoir commis une violation caractérisée d’une règle supérieure de droit et d’avoir méconnu de façon manifeste et grave les limites de son pouvoir d’appréciation. Aux points 64 à 88 de la requête, elle explicite davantage cette faute.

36      Quant au prétendu préjudice, il est développé aux points 129 à 170 et 173 de la requête. Ainsi, la requérante précise les différents paramètres de ce préjudice et, notamment, les conditions de la reprise de Stardust par Sunsail, la valeur à laquelle Stardust a été vendue et les éléments permettant de déterminer la valeur réelle de celle-ci.

37      En ce qui concerne le lien de causalité entre la faute et le préjudice, la requérante indique, aux points 11 et 12 de la requête, que la Décision avait pour effet direct de détériorer la situation financière de Stardust et d’entraîner la cessation de ses paiements ainsi que sa faillite inéluctable ; en ce qui concerne plus particulièrement les actionnaires de Stardust, ils auraient vu anéantir la valeur de cette société et ruiner leurs efforts du fait qu’ils se trouvaient dans l’obligation de rétrocéder au CDR leur participation pour un prix dérisoire.

38      La requête contient, dès lors, les éléments permettant tant à la Commission qu’au Tribunal d’identifier le comportement reproché à l’institution, le caractère et l’étendue du préjudice que la requérante prétend avoir subi ainsi que les raisons pour lesquelles elle estime qu’il existe un lien de causalité entre ce comportement et ledit préjudice.

39      Il s’ensuit que le recours est recevable.

 Sur le fond

 Observations liminaires

40      Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté, au titre des articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE, suppose que le requérant prouve l’illégalité du comportement reproché à l’institution concernée, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêts de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16, ainsi que du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T‑175/94, Rec. p. II‑729, point 44, du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T‑336/94, Rec. p. II‑1343, point 30, du 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II‑1239, point 20, et du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T‑113/96, Rec. p. II‑125, point 54).

41      Dès lors que l’une des trois conditions d'engagement de responsabilité extracontractuelle de la Communauté n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de ladite responsabilité (arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, point 81). Par ailleurs, le juge communautaire n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec. p. I‑5251, point 16).

42      En l'espèce, il convient d’examiner, en premier lieu, la condition relative à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement prétendument fautif de la Commission et le dommage invoqué par la requérante.

 Sur le lien de causalité

 Arguments des parties

43      La requérante prétend que la Décision a fait naître chez Stardust une dette d’environ 600 millions de FRF à l’égard de l’État français. La situation nette de cette société au 30 juin 1999 s’élevant à 12,8 millions de FRF, son passif serait donc devenu très supérieur à son actif disponible, de sorte qu’elle se serait alors trouvée dans une situation irrémédiablement compromise. Étant actionnaire majoritaire de Stardust, la requérante aurait vu la valeur de sa participation réduite du jour au lendemain à néant du fait même de la Décision. Elle n’aurait dès lors eu d’autre choix que de céder ledit actif au CDR.

44      En cédant Stardust à son prix d’achat, la requérante aurait perdu l’intégralité du fruit de ses efforts et donc renoncé à valoriser sa participation dans le capital de Stardust.

45      Selon la requérante, l’unique façon dont elle pouvait limiter son dommage consistait à se faire consentir une option de vente à prix fixe de la part du CDR, dès lors que la promesse de sa part de garantir le passif résultant du remboursement des prétendues aides aurait consisté en une aide incompatible avec le marché commun. Par ailleurs, si ce mécanisme d’option n’avait pas été mis en place, le CDR, devenu créancier de Stardust au titre des aides illicites, en aurait poursuivi le recouvrement et la requérante ainsi que sa filiale Stardust auraient été débitrice de 600 millions de FRF vis-à-vis du CDR ou de l’État français. Par ailleurs, le CDR aurait normalement poursuivi les procédures afin de faire annuler la Décision et refusé toute indemnisation supplémentaire de la requérante.

46      La Commission conteste l’existence d’un lien de causalité entre ses prétendues fautes et le préjudice invoqué par la requérante.

47      En effet, le préjudice aurait été causé par la requérante elle-même en ce qu’elle a formalisé le 13 septembre 1999 la levée de l’option qui lui avait été consentie le 24 décembre 1997 afin de rétrocéder sa participation dans Stardust au CDR. En outre, Stardust aurait, de sa propre initiative, décidé de se déclarer en cessation de paiement alors que, d'une part, la somme à restituer en vertu de la Décision n’aurait pas fait partie du passif exigible de l’entreprise, d'autre part, les autorités françaises n’ont jamais émis d’ordre de recouvrement à son encontre et, enfin, Stardust n’a pas formé de demande de sursis à exécution de la Décision.

48      Par ailleurs, le 7 février 2000, le tribunal de commerce de Paris aurait autorisé le CDR à céder les actifs incorporels et corporels de Stardust à Sunsail pour un montant de 25 millions d’euros, soit 100 fois supérieur à celui de la cession initiale.

49      La Commission en conclut que l’origine du préjudice allégué ne réside pas dans la Décision elle-même, mais dans le choix de la requérante de revendre précipitamment Stardust à vil prix.

 Appréciation du Tribunal

50      Selon une jurisprudence constante en matière de responsabilité non contractuelle de la Communauté, le préjudice allégué doit découler de façon suffisamment directe du comportement reproché, ce dernier devant constituer la cause déterminante du préjudice, alors qu’il n’y a pas d’obligation de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, d’une situation illégale (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier Frères e.a./Conseil, 64/76 et 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21, et arrêt International Procurement Services/Commission, précité, point 55). Il appartient à la partie requérante d’apporter la preuve d’un tel lien de causalité (arrêt du Tribunal du 30 septembre 1998, Coldiretti e.a./Conseil et Commission, T‑149/96, Rec. p. II‑3841, point 101, et la jurisprudence citée).

51      Il a également été jugé que, lors de l’examen du lien de causalité entre le comportement reproché à l’institution communautaire et le préjudice allégué par la personne lésée, il y a lieu de vérifier si cette dernière, au risque de devoir supporter son dommage elle-même, a fait preuve, en justiciable averti, d’une diligence raisonnable pour éviter le préjudice ou en limiter la portée (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 4 février 1975, Compagnie Continentale/Conseil, 169/73, Rec. p. 117, points 22 et 23, et du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C‑104/89 et C‑37/90, Rec. p. I‑3061, point 33 ; arrêt du Tribunal du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission, T‑178/98, Rec. p. II‑3331, point 121).

52      Par conséquent, même si le comportement incriminé de l’institution communautaire a contribué à la réalisation du préjudice allégué, ce lien de causalité peut être rompu par un comportement négligent de la personne lésée, dès lors que ce dernier s’avère constituer la cause déterminante du préjudice.

53      Un tel comportement négligent peut, notamment, consister dans le fait que la personne lésée n’a pas utilisé les voies de droit qui étaient à sa disposition pour éviter le préjudice et qu’elle s’est abstenue d’introduire une demande en référé lui permettant d’obtenir une diminution du préjudice invoqué, pourvu que les conditions dont dépend l’octroi de mesures provisoires soient remplies (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 28 janvier 1999, BAI/Commission, T‑230/95, Rec. p. II‑123, point 36).

54      En l’espèce, la requérante identifie le fait générateur du préjudice allégué comme étant la Décision, dans la mesure où cette dernière aurait eu pour effet immédiat d’accroître le passif de Stardust à un niveau très supérieur à son actif disponible, ce qui aurait contraint la requérante de vendre sa participation dans Stardust pour limiter son dommage et, notamment, pour exclure le risque de devoir payer les dettes de sa filiale.

55      Afin d’examiner s’il existe un lien direct de cause à effet entre la Décision et cette vente à perte de Stardust, il convient de rappeler la chronologie des événements pertinents. Dans ce contexte, il est constant que :

–        le 26 juillet 1999, la requérante a demandé au CDR de pouvoir exercer son option de vente en de lui rétrocédant sa participation dans Stardust ;

–        le 8 septembre 1999, la Décision a été adoptée par la Commission ;

–        le 13 septembre 1999, la requérante a exercé son option de vente et rétrocédé sa participation dans Stardust au CDR ;

–        le 24 septembre 1999, Stardust a fait une déclaration de cessation de paiement auprès du tribunal de commerce de Paris aux fins d’ouvrir une procédure de redressement judiciaire ;

–        le 30 septembre 1999, le tribunal de commerce de Paris a jugé que Stardust était en état de cessation de paiement et ouvert la procédure de redressement judiciaire ;

–        le 13 octobre 1999, la Décision a été notifiée aux autorités françaises ;

–        le 20 décembre 1999, la République française a saisi la Cour d’un recours visant à l’annulation de la Décision ;

–        le 23 décembre 1999 et le 4 janvier 2000, les autorités françaises ont adressé à Stardust un titre de perception ainsi qu'une déclaration définitive de la somme due ;

–        le 7 février 2000, Stardust a été cédé à Sunsail pour un montant de 30 222 000 FRF (4 607 314 euros).

56      Conformément à l’article 254, paragraphe 3, CE, la Décision n’a pris effet que par la notification intervenue le 13 octobre 1999. Il s’ensuit que, à la date du 13 septembre 1999, lorsque la requérante a exercé son option de vente et rétrocédé sa participation dans Stardust au CDR, la Décision n’a pu produire aucun effet juridique.

57      Il convient d’ajouter que la Décision n’impose aucune obligation directe de paiement dans le chef de Stardust. En effet, en vertu de l'article 2 de la Décision, c'est à la France qu'il appartient d’exiger la restitution par Stardust de la somme de 450,4 millions de FRF. Conformément à l’article 249, quatrième alinéa, CE, la Décision est donc obligatoire à l'égard des seules autorités françaises, lesquelles en sont les seules destinataires, étant précisé que lesdites autorités disposaient d’un certain délai pour la mise en œuvre de la restitution (article 3 de la Décision) et que celle-ci devait s’opérer selon les modalités du droit national applicable.

58      Il résulte de ce qui précède que, à la date du 13 septembre 1999, la Décision ne pouvait juridiquement être considérée comme étant susceptible de contraindre la requérante à rétrocéder sa participation dans Stardust au CDR. Il ne saurait notamment être prétendu que la somme à restituer en vertu de la Décision ait constitué, à cette date, une dette exigible de Stardust dont les autorités françaises auraient été en droit d’exiger le paiement immédiat.

59      Dans la mesure où la requérante invoque le code de commerce français applicable lors de la survenance des faits, il suffit de relever que, si l’article L‑621‑1 de ce code dispose qu’une entreprise se trouve en état de cessation des paiements lorsqu’elle est dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, la jurisprudence française écarte du passif exigible les créances qui font l’objet de contestations judiciaires, si le litige est sérieux (Cass. com. du 15 avril 1986, Bull. civ., IV, n° 61, et du 22 février 1994, JCP, éd. G, 1995 II 22447). Or, il est évident que doivent être écartées, à plus forte raison, les créances, qui comme, en l'espèce, ne sont pas encore exigibles.

60      Cette conclusion n’est pas infirmée par le jugement du tribunal de commerce de Paris du 30 septembre 1999, en ce qu’il a tenu compte de « l’information par le trésor public de la décision de la Commission » et considéré que Stardust était « dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible » en ajoutant qu’« un plan de redressement [était] envisageable dans le cas d’un plan de cession compte tenu du passif mis à la charge de la société Stardust par une décision de la Commission ».

61      En effet, le jugement du tribunal de commerce ne fait qu’une référence très vague à la Décision. En particulier, il ne comporte nulle part la constatation claire et motivée que, même avant son existence juridique, la Décision elle-même donnait naissance à une dette exigible dans le chef de Stardust.

62      Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 16 janvier 2004 (voir point 19 ci-dessus), la requérante a elle-même estimé, devant cette cour, que la décision de déclarer la cessation des paiements de Stardust le 24 septembre 1999 était « précipitée » et « injustifiée puisque la société Stardust n’avait pas à cette date à faire face à un passif exigible, aucune poursuite n’ayant encore été engagée » (page 5 de l’arrêt).

63      La requérante souligne encore que les réalités de l’économie l’obligeaient à tenir compte de la Décision dès la date de son adoption et même avant celle-ci. En effet, dans la vie des affaires, un opérateur averti devrait être sensible à toute rumeur qui émane des pouvoirs publics et réagir au plus vite pour minimiser les possibles effets préjudiciables sur son entreprise. Ainsi, la requérante aurait été tenue de céder sa participation dans le capital de Stardust aussitôt que possible.

64      À supposer que le principe d’une telle approche économique puisse être retenu dans le présent contexte, il importe de relever que la requérante n’a apporté aucun élément de preuve permettant de considérer que le fait pour elle de rétrocéder le 13 septembre 1999 sa participation dans le capital de Stardust était la réaction raisonnable d’un opérateur averti et diligent face à l’information selon laquelle la Décision avait été adoptée le 8 septembre 1999.

65      À cet égard, il y a lieu d’écarter, d’emblée, le risque que la requérante, en sa qualité d’actionnaire de Stardust, pourrait être débitrice des aides d’État dont la restitution par Stardust avait été ordonnée dans la Décision. En effet, la requérante a expressément admis, en réponse à une question du Tribunal, qu’un tel risque de paiement n’existait pas en vertu du droit français. Par conséquent, la requérante ne saurait s’en prévaloir au titre d’une urgence à céder sa participation dans Stardust.

66      Au demeurant, il ne ressort pas du dossier que le comportement de la requérante à la date pertinente aurait été celui d’un opérateur averti et diligent.

67      En effet, il convient de rappeler que c'est dès le 26 juillet 1999, sur le fondement de la simple information quant à un projet de décision négative de la Commission, que la requérante s’est adressée au CDR aux fins d’une rétrocession de sa participation dans Stardust. Or, un opérateur averti et diligent se serait gardé de céder sa participation dans le capital de Stardust, à une date où il courait le risque de perdre le fruit de ses efforts de valorisation de cette participation, sur la foi d'une simple rumeur quant à l'adoption ou la notification imminente de la Décision, sans même en connaître le contenu avec précision et certitude.

68      Il convient d’ajouter que l’option de vente qui était ouverte à la requérante ne devait pas être exercée dans un délai déterminé. La requérante n’était donc nullement contrainte de l’exercer en juillet ou en septembre 1999, au prix de 2 millions de FRF, mais aurait pu attendre d'être en possession de tous les éléments d'information nécessaires pour apprécier la situation juridique résultant de l'adoption de la Décision et, le cas échéant, exercer son droit d'option à une date ultérieure. Dans ce contexte, il est rappelé que, à la suite de la rétrocession de Stardust, le CDR a vendu cette dernière à Sunsail au prix de 30 222 000 FRF.

69       À supposer qu'un tel opérateur ait disposé du texte intégral de la Décision, il aurait pu constater, le cas échéant avec l'assistance d'un conseil, d’une part, que la Décision ne créait aucune obligation directe de paiement à son égard, ni pour Stardust.

70      D’autre part, il aurait pu observer que, en vertu de la Décision (article 3), les autorités françaises disposaient d’un certain délai pour la mise en œuvre de la restitution. Par ailleurs, en pratique, après la notification d'une décision de récupération notifiée par la Commission à l’État concerné, de nombreux mois peuvent s’écouler sans que des mesures soient prises par l’État en question en vue d’obtenir la restitution exigée en vertu de la décision litigieuse.

71      Enfin, il aurait pu se rendre compte que, en vertu de l’article 254, paragraphe 3, CE, la Décision ne prendrait effet que par sa notification aux autorités françaises.

72      Dans ces circonstances, un opérateur averti et diligent aurait pris contact avec les autorités françaises, y compris le CDR, afin de se renseigner sur la date de notification de la Décision et, notamment, sur la question de savoir si ces autorités entendaient s’y conformer en procédant immédiatement au recouvrement de la somme à restituer ou si elles envisageaient, au contraire, de contester la Décision devant la Cour. Cette dernière alternative était loin d’être purement hypothétique, d’autant plus que, selon la requérante, la Décision est entachée de plusieurs erreurs graves et manifestes de la Commission.

73      Cela est d'ailleurs confirmé par le fait que, en l’espèce, ces autorités françaises ont, d’une part, contesté la légalité de la Décision devant la Cour et n’ont, d’autre part, jamais procédé au recouvrement forcé de la somme dont la restitution par Stardust a été imposée à la République française. En effet, il est constant que cette somme n’a jamais été restituée à l’État français, la Décision ayant entre-temps été annulée par l’arrêt de la Cour du 16 mai 2002.

74      En tout état de cause, dans l’hypothèse où les contacts avec les autorités françaises se seraient avérés infructueux, un opérateur averti et diligent, actionnaire majoritaire (99,9 %) de Stardust, aurait incité cette dernière à saisir soit le juge national d’une action visant à empêcher un éventuel recouvrement forcé de la somme à restituer, soit le juge communautaire d’un recours, au titre de l’article 230, quatrième alinéa, CE, visant à l’annulation de la Décision, assorti, le cas échéant, d’une demande en référé au titre des articles 242 et 243 CE. La requérante n’a pas affirmé, et encore moins établi, que ces voies de droit n’auraient pas été accessibles à Stardust avant une quelconque déclaration de cessation de paiement.

75      Par conséquent, il ne saurait être considéré que le comportement de la requérante – consistant à rétrocéder sa participation dans Stardust au CDR pour le prix de 2 millions de FRF alors que Stardust ne faisait l’objet d’aucune demande de restitution des aides, mais que, en outre, la Décision n’avait pas même encore été notifiée aux autorités françaises – est celui qu’un opérateur averti et diligent aurait adopté.

76      Contrairement à la thèse défendue par la requérante, le préjudice allégué résultant de la rétrocession de sa participation dans Stardust ne saurait donc être considéré comme la conséquence directe de la Décision. Il s’agit d’un risque économique que la requérante a librement choisi de courir, de sorte que le préjudice allégué est imputable au seul comportement de la requérante.

77      Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'existe pas de lien de causalité direct entre le comportement reproché à la Commission et le préjudice allégué. Dès lors, le recours doit être rejeté, sans qu’il soit nécessaire d’examiner, d’une part, la question de savoir si les vices entachant la Décision constituent une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire et, d’autre part, celle relative à la réalité du préjudice.

 Sur les dépens

78      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté comme non fondé.

2)      La requérante est condamnée aux dépens.

Jaeger

Azizi

Cremona

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 juillet 2007.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      J. Azizi


* Langue de procédure : le français.