Language of document : ECLI:EU:C:2008:491

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme VERICA Trstenjak

présentées le 11 septembre 2008 (1)

Affaire C‑52/07

Kanal 5 Ltd

TV 4 AB

contre

Föreningen Svenska Tonsättares Internationella Musikbyrå (STIM)

[demande de décision préjudicielle formée par le Marknadsdomstolen (Suède)]


«Article 82 CE – Position dominante – Abus – Organisme de gestion collective du droit d’auteur – Monopole de fait – Diffusion télévisuelle – Mode de calcul de la rémunération»








Table des matières


I –   Introduction

II – Cadre juridique

A –   Droit communautaire

B –   Droit national

III – Faits, procédure au principal et question préjudicielle

A –   Les faits

B –   Procédure au principal et question préjudicielle

IV – Procédure devant la Cour

V –   Arguments des parties

VI – Appréciation juridique

A –   Observations liminaires

B –   Sur la première question préjudicielle

1.     La prestation fournie par la STIM

2.     La rémunération

3.     Rapport entre la rémunération et la prestation

a)     Part fixe des recettes

b)     Part variable des recettes

4.     Bilan

C –   Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles

1.     Méthodes de calcul comme celle actuellement pratiquée par la STIM

a)     Constatation et quantification de l’utilisation d’œuvres musicales protégées par un droit d’auteur

b)     Identification et quantification du nombre de téléspectateurs

c)     Prise en compte d’autres explications pour l’augmentation des recettes

d)     Bilan

2.     Autres méthodes de calcul possibles

D –   Sur la quatrième question préjudicielle

1.     Conditions inégales pour prestations équivalentes

2.     Situation de concurrence

3.     Bilan

VII – Conclusion

I –    Introduction

1.        La présente affaire préjudicielle a pour objet la rémunération perçue par un organisme suédois de gestion collective du droit d’auteur auprès de chaînes de télévision pour l’utilisation d’œuvres musicales protégées incluses dans son répertoire. Les questions ont été soulevées dans un litige opposant des chaînes de télévision privées à l’organisme suédois de gestion collective du droit d’auteur. Dans ce litige, les chaînes privées demandent que certaines méthodes de calcul de la rémunération soient interdites à l’organisme de gestion collective. La juridiction de renvoi veut savoir si le recours à certaines méthodes pour calculer cette rémunération constitue un abus de position dominante au sens de l’article 82 CE.

II – Cadre juridique

A –    Droit communautaire

2.        L’article 82 CE déclare incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à:

a)      imposer de façon directe ou indirecte des prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables;

b)      limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs;

c)      appliquer à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence;

d)      subordonner la conclusion de contrats à l’acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n’ont pas de lien avec l’objet de ces contrats.

B –    Droit national

3.        En Suède, le droit d’auteur est réglementé par la loi (1960:729) sur la propriété littéraire et artistique [lagen om upphovsrätt till litterära och konstnärliga verk, ci-après la «loi URL»]. Cette loi reconnaît à l’auteur d’une œuvre musicale un droit exclusif, qui lui permet de contrôler en particulier la représentation publique de son œuvre (ci-après les «droits de représentation») ainsi que l’enregistrement et la reproduction de celle-ci (ci-après les «droits mécaniques»). Les tiers ne peuvent en principe exécuter, enregistrer ou reproduire l’œuvre sans l’autorisation de l’auteur (licence). Ce dernier peut subordonner l’attribution de la licence au paiement d’une redevance.

4.        Pour les chaînes de télévision, le droit d’auteur suédois prévoit une réglementation particulière. D’après les articles 42 bis et 42 sexies de la loi URL, ces chaînes peuvent passer un «accord de concession de licence» avec un organisme de gestion collective du droit d’auteur représentant les auteurs suédois dans un secteur du droit d’auteur. Dès lors qu’ils ont passé un tel «accord de concession de licence», le gouvernement suédois peut leur accorder une licence forfaitaire pour l’utilisation des œuvres protégées en question. Il n’est alors plus nécessaire d’avoir l’autorisation individuelle de chaque auteur.

5.        L’article 23 de la loi (1993:20) sur la concurrence [konkurrenslagen (1993:20), ci‑après la «KL»] prévoit que la Konkurrensverket (l’autorité suédoise de la concurrence) peut enjoindre à une entreprise de mettre fin à une violation de l’article 82 CE. Il permet également de saisir le Marknadsdomstolen (une juridiction nationale) si l’autorité nationale de la concurrence ne fait pas droit à la réclamation.

III – Faits, procédure au principal et question préjudicielle

A –    Les faits

6.        Kanal 5 Ltd (ci-après «Kanal 5») et TV 4 AB (ci-après «TV 4») sont des chaînes de télévision privées. Sverige Television (ci-après «SVT») est une chaîne de télévision publique.

7.        La Föreningen Svenska Tonsättares Internationella Musikbyrå u. p. a. (ci‑après la «STIM») est un organisme de gestion collective du droit d’auteur. Ses membres sont des auteurs d’œuvres musicales et des éditeurs de musique. En adhérant à cet organisme, les membres lui transfèrent leurs droits à rémunération pour l’utilisation de leurs œuvres par des chaînes de télévision. La STIM fait valoir ces droits auprès des chaînes de télévision et répartit les rémunérations qu’elle perçoit entre ses membres.

8.        La STIM a passé des accords de réciprocité avec des organismes jouant le même rôle qu’elle dans d’autres États membres ou dans des États tiers. Ces accords de réciprocité lui permettent d’exploiter en Suède non seulement son propre répertoire (2), mais également celui de ces autres organismes.

9.        Pour déterminer le montant de la rémunération du droit d’auteur, la STIM applique trois méthodes différentes:

–        Kanal 5 et TV 4 sont soumises au barème dit «principal». La STIM leur demande une fraction de leurs recettes publicitaires ou subsidiairement des recettes qu’elles tirent de la publicité et des contrats d’abonnement (ci‑après les «recettes publicitaires et d’abonnement»). Cette fraction n’est pas fixe, mais déterminée pour tenir compte de la part de musique annuellement diffusée par la chaîne de télévision. Si elle peut augmenter ou baisser avec elle, elle est toutefois nettement inférieure et non égale à cette part (3). Au demeurant, un certain nombre de déductions sont appliquées au titre des frais de commercialisation (4).

La part de musique annuelle est la fraction du temps de diffusion annuel pendant laquelle la chaîne de télévision utilise des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur. Elle est déterminée sur la base de rapports remis par Kanal 5 et TV 4 à la STIM. Ces rapports permettent de déterminer combien de temps une œuvre musicale protégée a été utilisée dans les diverses émissions. La part de musique annuelle est déterminée ex post pour une année entière.

–        Pour SVT, la STIM applique un autre mode de calcul de la rémunération. SVT est financée pour l’essentiel par des redevances étatiques et elle n’a guère de recettes publicitaires. C’est pourquoi on détermine pour elle des recettes publicitaires fictives (5). La STIM demande à SVT de lui verser, sur ces recettes fictives, une fraction qui tienne compte de la part de musique annuelle de SVT. En revanche, la part de musique annuelle de SVT fait l’objet d’une estimation ex ante. Il n’est pas tenu compte de la part de musique réelle ex post.

–        Le barème dit minimum est appliqué par la STIM aux chaînes de télévision qui n’ont pas encore atteint un chiffre d’affaires très important. Il tient compte du nombre d’heures de musique diffusées chaque année ainsi que de l’audience réelle de la chaîne. Cette audience réelle se calcule en nombre de personnes par jour (6).

B –    Procédure au principal et question préjudicielle

10.      En octobre 2004, Kanal 5 et TV 4 ont saisi la Konkurrensverket contre la STIM, pour cause d’abus de position dominante. La Konkurrensverket ayant estimé que rien n’indiquait une violation de l’article 82 CE, Kanal 5 et TV 4 ont demandé au Marknadsdomstolen (ci‑après la «juridiction de renvoi») d’interdire à la STIM le recours à certaines méthodes de calcul de la rémunération qu’elle exige. Les demandes en cessation de Kanal 5 et de TV 4 sont pour partie formulées de façon générale, sans se référer à la méthode de calcul actuellement appliquée par la STIM.

11.      La juridiction de renvoi a constaté que le marché géographique et de produit pertinent était le marché suédois de la diffusion à la télévision d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur, sur lequel la STIM occupe une position dominante due à son monopole de fait. Elle a également constaté que le comportement de la STIM était susceptible d’affecter le commerce entre États membres. Dans sa décision de renvoi, la juridiction nationale relève, tout d’abord, que la méthode de calcul est également appliquée à la rémunération pour l’utilisation d’œuvres musicales protégées dont les auteurs sont des ressortissants d’autres États membres. D’autre part, une partie des entreprises ayant acheté des espaces publicitaires à Kanal 5 et à TV 4 seraient établies dans d’autres États membres. Enfin, Kanal 5 émettrait à partir du Royaume-Uni.

12.      Dans ces conditions, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de demander à la Cour de statuer à titre préjudiciel sur les questions suivantes:

«1)      L’article 82 CE doit-il être interprété en ce sens que des agissements doivent être considérés comme constitutifs d’un abus de position dominante si un organisme de gestion collective du droit d’auteur pour la musique, qui jouit d’un monopole de fait dans un État membre, applique ou impose à des chaînes de télévision privées un barème de redevances pour avoir le droit de diffuser des œuvres musicales dans des émissions de télévision destinées au grand public, selon lequel ces redevances sont déterminées comme une part des recettes tirées desdites émissions par lesdites chaînes?

2)      L’article 82 CE doit-il être interprété en ce sens que des agissements doivent être considérés comme constitutifs d’un abus de position dominante si un organisme de gestion collective du droit d’auteur pour la musique, qui jouit d’un monopole de fait dans un État membre, applique ou impose à des chaînes de télévision privées un barème de redevances pour avoir le droit de diffuser des œuvres musicales dans des émissions de télévision destinées au grand public, selon lequel ces redevances sont déterminées comme une part des recettes tirées desdites émissions par lesdites chaînes en l’absence de rapport évident entre les recettes et les prestations de cet organisme, à savoir accorder le droit de diffuser une œuvre musicale protégée par le droit d’auteur; tel est souvent le cas par exemple des émissions d’information et sportives et quand les recettes augmentent en raison de changements dans la grille de programmation, d’investissements technologiques et de développements de produits adaptés à la clientèle?

3)      La réponse à la première et à la deuxième question est-elle susceptible d’être influencée par le fait qu’il est possible d’identifier et de quantifier tant la musique diffusée que l’audience?

4)      La réponse à la première et à la deuxième question est-elle susceptible d’être influencée par le fait que le barème de redevances (basé sur les recettes) n’est pas appliqué de la même manière aux sociétés de service public?»

IV – Procédure devant la Cour

13.      La demande de décision préjudicielle est entrée à la Cour le 6 février 2007. Au cours de la procédure écrite, des observations écrites ont été déposées par Kanal 5 et TV 4, par la STIM, par le gouvernement du Royaume-Uni, le gouvernement polonais et la Commission des Communautés européennes. Kanal 5, la STIM, le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission ont complété leurs observations écrites à l’audience du 12 juin 2008.

V –    Arguments des parties

14.      Kanal 5 et TV 4 estiment que les méthodes de calcul appliquées par la STIM constituent un abus de position dominante. La STIM imposerait des prix de vente disproportionnés, restreindrait la production, les débouchés et le développement technique au détriment des consommateurs et introduirait une inégalité de traitement entre chaînes de télévision.

15.      Concernant les trois premières questions, Kanal 5 et TV 4 font valoir en substance qu’il n’y a pas de lien suffisant entre la prestation fournie par la STIM et les recettes qu’une chaîne de télévision tire de contrats publicitaires et d’abonnement. Dans ce contexte, elles relèvent que l’essentiel des recettes publicitaires serait réalisé aux heures de grande écoute, pendant lesquelles la part de musique serait relativement faible. La place de la musique serait également limitée dans les émissions d’information et sportives. Même si l’application d’une méthode de rémunération forfaitaire est sans doute propre à réduire le coût de la gestion collective de droits, la méthode appliquée par la STIM devrait néanmoins tenir compte des moyens techniques d’identifier et de quantifier la diffusion d’œuvres musicales protégées et le nombre des téléspectateurs.

16.      Sur la quatrième question préjudicielle, Kanal 5 et TV 4 soutiennent que l’application d’une pluralité de barèmes serait discriminatoire. Elles relèvent également que Kanal 5, TV 4 et SVT seraient les clients sur le marché suédois de la diffusion à la télévision d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur.

17.      La STIM soutient que la réponse aux questions préjudicielles relève de la théorie de l’acte clair. L’article 82 CE ne serait pas applicable en l’espèce, parce que l’exercice d’un droit d’auteur exclusif concernerait la substance du droit d’auteur. Il ne saurait donc relever du champ d’application de l’article 82 CE. À cet égard, la STIM renvoie aux articles 295 CE et 307 CE, en combinaison avec la convention de Berne (7).

18.      Sur le fond, la STIM observe, au sujet des trois premières questions préjudicielles, que sa méthode de calcul tiendrait compte de tous les aspects essentiels. Elle reposerait sur des critères objectifs et transparents et son application serait simple et peu coûteuse. Elle tiendrait compte de la part de musique annuelle des chaînes de télévision, de l’audience potentielle ainsi que du contexte économique de l’exploitation des droits d’auteur. Elle serait en outre adaptable et faciliterait l’accès au marché pour les chaînes de télévision nouvelles et de taille plus réduite. Enfin, elle refléterait correctement la valeur du droit d’auteur. C’est pourquoi l’existence de moyens techniques pour chiffrer avec précision l’utilisation d’œuvres musicales protégées et leur audience ne saurait avoir pour conséquence de rendre abusive la méthode actuellement appliquée.

19.      En ce qui concerne la quatrième question préjudicielle, la STIM soutient que l’utilisation d’une autre méthode de calcul n’a rien de discriminatoire. La diversité des marchés sur lesquels les chaînes de télévision interviennent exclurait d’emblée que Kanal 5 et TV 4 subissent un désavantage concurrentiel. Il conviendrait de distinguer entre le marché de la télévision publique et celui de la télévision payante. Celui de la télévision publique devrait, à son tour, être scindé en chaînes de télévision de droit public, financées par des redevances publiques, et chaînes de télévision privées, financées par des recettes publicitaires. L’absence d’inégalité de traitement serait encore confirmée par le fait que SVT est financée par des redevances publiques.

20.      Le gouvernement polonais soutient, à propos des trois premières questions préjudicielles, qu’une méthode de calcul comme celle actuellement appliquée par la STIM n’a en soi rien d’abusif, pourvu que le montant des rémunérations reflète la valeur économique de l’utilisation d’œuvres musicales protégées et de la prestation fournie par la société de gestion collective. Dans ce contexte, il serait essentiel d’identifier et de quantifier la musique diffusée.

21.      Concernant la quatrième question préjudicielle, le gouvernement polonais observe que l’application de méthodes de calcul différentes pour les chaînes de télévision privées, d’une part, et pour celles de droit public, d’autre part, peut constituer une discrimination illicite si elle conduit à appliquer à la même prestation des conditions inégales, sans que cela soit justifié.

22.      Le gouvernement du Royaume-Uni observe à propos des trois premières questions que l’application d’une méthode de calcul définissant la rémunération du droit d’auteur en termes de fraction des recettes publicitaires et d’abonnement ne serait pas abusive en soi. Elle correspondrait à un exercice normal du droit d’auteur. Quant à savoir si la méthode de calcul présente un lien suffisant avec l’utilisation des œuvres musicales protégées, ce serait une question de fait qu’il incomberait à la juridiction nationale de trancher. Le gouvernement du Royaume-Uni observe également que les inconvénients d’une méthode forfaitaire peuvent être compensés par des gains d’efficacité.

23.      Sur la quatrième question préjudicielle, le gouvernement du Royaume-Uni fait valoir qu’il incombe à la juridiction nationale de dire si Kanal 5 et TV 4 sont des concurrentes de SVT. Il lui appartiendrait également de vérifier la présence d’une discrimination.

24.      Sur les trois premières questions, la Commission observe qu’une méthode de calcul définissant la rémunération du droit d’auteur en termes de fraction de recettes publicitaires et d’abonnement n’a rien d’abusif en soi. Il serait difficile de dire la valeur que l’utilisation d’œuvres musicales protégées peut avoir pour les téléspectateurs et pour les chaînes de télévision. En matière de droit d’auteur, il serait légitime de fixer la rémunération au moins pour partie en fonction de l’audience actuelle ou potentielle et de la valeur économique de l’utilisation pour les chaînes de télévision. Il serait également difficile d’établir un lien de causalité entre l’utilisation d’œuvres musicales protégées et le succès économique d’une émission ou d’une chaîne de télévision. L’existence d’un lien raisonnable entre le nombre de téléspectateurs et les recettes publicitaires et d’abonnement pourrait en principe être présumée. Le nombre de téléspectateurs serait toutefois susceptible de varier d’une émission à l’autre.

25.      Selon la Commission, une méthode de calcul définissant la rémunération du droit d’auteur en termes de fraction du chiffre d’affaires doit tenir compte de l’ampleur de l’usage qui est fait des œuvres musicales protégées. Le progrès dans la détermination de la valeur économique irait de pair avec l’accroissement des possibilités d’identifier et de quantifier la musique diffusée et son audience. Toutefois, la possibilité technique d’une analyse très précise ne rendrait pas abusive l’application d’une méthode moins précise. Dans ce contexte, il conviendrait de tenir compte de la fiabilité de l’analyse plus précise et de son coût.

26.      Quant à la quatrième question préjudicielle, la Commission observe que la juridiction nationale doit tout d’abord déterminer si Kanal 5 et TV 4 sont des concurrentes de SVT. Elle doit ensuite vérifier l’existence d’une discrimination. L’application d’un mode de calcul particulier n’aurait rien de discriminatoire s’il conduit à rapprocher SVT des chaînes de télévision privées au moyen d’une simulation de recettes publicitaires et d’abonnement fictives. La juridiction nationale devrait cependant examiner si une discrimination peut découler du fait que la part de musique effective de SVT n’est pas prise en compte ex post.

VI – Appréciation juridique

A –    Observations liminaires

27.      Les questions préjudicielles concernent un secteur dont l’importance économique et sociale ne cesse de croître. Les barèmes des rémunérations que les sociétés de gestion collective demandent aux utilisateurs des droits qu’elles gèrent sont un domaine particulièrement délicat de la perception collective du droit d’auteur. Il a dans le passé déjà souvent conduit à des conflits entre les sociétés de gestion collective du droit d’auteur et leurs utilisateurs. La Cour a déjà eu l’occasion d’aborder la question de la compatibilité avec l’article 82 CE des méthodes de calcul appliquées par les sociétés de gestion collective.

28.      Les questions posées en l’espèce sont assez proches de celles que la Cour a eu à trancher dans les affaires sur les discothèques (8). La présente espèce se distingue cependant de ces affaires par le fait que, pendant leur temps d’émission, les chaînes de télévision utilisent les œuvres musicales protégées de façon moins intensive que les discothèques ne le font pendant leurs heures d’ouverture.

29.      Les questions posées par la juridiction de renvoi sont recevables. Certes, la STIM soutient que les réponses figureraient déjà dans la jurisprudence. Cependant, même si tel était le cas, cela n’entraînerait pas l’irrecevabilité des questions (9).

30.      La juridiction de renvoi a constaté que le marché pertinent sur les plans matériel et géographique est le marché suédois de la diffusion à la télévision d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur et que, en raison de son monopole de fait, la STIM occupe une position dominante sur ce marché. Elle considère, également, que le comportement de la STIM peut affecter le commerce entre les États membres. Les questions posées en l’espèce portent donc uniquement sur l’interprétation de la notion de comportement abusif au sens de l’article 82 CE (10).

31.      Avec les trois premières questions préjudicielles, la juridiction de renvoi voudrait savoir si un organisme de gestion collective du droit d’auteur occupant une position dominante sur le marché se comporte de façon abusive lorsqu’il applique certaines méthodes au calcul de la rémunération de la prestation qu’il fournit à certaines chaînes de télévision privées comme Kanal 5 et TV 4. Dans ce contexte, on observera que la juridiction de renvoi ne veut pas savoir si une méthode de calcul est abusive parce qu’elle aboutit à une rémunération trop élevée. Elle veut, en réalité, déterminer si ces méthodes de calcul sont abusives lorsqu’elles n’établissent pas de lien suffisant entre la prestation fournie par l’organisme de gestion collective et la rémunération demandée.

32.      On observe, également, que la juridiction de renvoi a libellé ses questions en termes très généraux, sans se référer expressément à la méthode de calcul actuellement appliquée par la STIM. Cela pourrait s’expliquer par des raisons de procédure, puisqu’une procédure préjudicielle au titre de l’article 234, premier alinéa, sous a), CE ne peut avoir pour objet que l’interprétation du droit communautaire primaire et non l’appréciation d’une situation de fait nationale (11). Cependant, les actions en cessation intentées par Kanal 5 et TV 4 dans la procédure au principal sont pour partie formulées en termes généraux, sans référence à la méthode de calcul actuellement employée par la STIM. Dans ce contexte, il faut tenir compte du fait que la STIM est libre de fixer sa méthode de calcul comme elle l’entend. Il n’est donc pas exclu que les actions en cessation de Kanal 5 et de TV 4 non seulement visent la méthode de tarification actuellement employée par la STIM, mais veuillent faire systématiquement interdire à cette dernière l’utilisation de certaines méthodes de calcul. C’est un point qui doit être pris en compte dans le cadre de l’interprétation des questions préjudicielles.

33.      Avec sa quatrième question préjudicielle, la juridiction de renvoi voudrait savoir s’il faut considérer comme un abus l’application de méthodes de calcul différentes pour des chaînes de télévision privées comme Kanal 5 et TV 4, d’une part, et pour une chaîne de télévision de droit public comme SVT, d’autre part.

B –    Sur la première question préjudicielle

34.      La première question préjudicielle vise à savoir s’il faut considérer comme abusive au sens de l’article 82 CE l’application d’une méthode de calcul définissant la rémunération du droit d’auteur comme une fraction des recettes que les chaînes de télévision tirent d’émissions de télévision destinées au grand public. La lecture combinée des deux premières questions montre que, par sa première question, la juridiction de renvoi voudrait savoir si une méthode de calcul doit être d’emblée considérée comme abusive lorsqu’elle définit la rémunération en termes de fraction des recettes des chaînes de télévision (12).

35.      L’article 82 CE n’interdit pas aux entreprises d’occuper une position dominante. Il leur impose cependant une responsabilité particulière en leur interdisant d’abuser de cette position (13). La notion d’abus est une notion objective qui vise notamment les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, en raison, précisément, de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (14).

36.      Certes, même une entreprise en position dominante a le droit de veiller à ses intérêts. Elle se comporte cependant de façon abusive lorsqu’elle exploite les possibilités résultant de sa position dominante pour obtenir des avantages commerciaux qu’elle n’aurait pas obtenus dans le cadre d’une concurrence normale et suffisamment efficace (15).

37.      L’article 82 CE contient une liste non exhaustive d’abus de position dominante. Elle inclut, en particulier, l’imposition directe ou indirecte de prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables [article 82, second alinéa, sous a), CE], la limitation de la production, des débouchés ou du développement technique au préjudice des consommateurs [article 82, second alinéa, sous b), CE] et l’application à l’égard de partenaires commerciaux de conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence [article 82, second alinéa, sous c), CE].

38.      Comme il s’agit en l’espèce de savoir si l’application d’une méthode de calcul déterminée revêt un caractère abusif, c’est de prime abord l’article 82, second alinéa, sous a), CE qui est en cause, c’est-à-dire l’imposition directe ou indirecte de prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables. Certes, Kanal 5 et TV 4 se sont également penchées sur les cas de figure évoqués aux points b) et c) de l’article 82, second alinéa, CE. Cependant, comme leurs arguments postulent l’existence d’une rémunération non équitable au sens de l’article 82, second alinéa, sous a), j’aborderai d’abord ce premier exemple (16).

39.      Ainsi qu’il découle de la jurisprudence de la Cour, l’imposition de prix de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables doit en particulier être présumée lorsque l’entreprise en position dominante exige une compensation ou une rémunération disproportionnée par rapport à la valeur économique de la prestation qu’elle fournit (17). Pour cette difficile appréciation (18), il faut analyser la valeur de la prestation et de la contrepartie ainsi que le rapport entre les deux. J’aborderai donc, tout d’abord, la valeur économique de la prestation d’un organisme de gestion collective du droit d’auteur comme la STIM (1), avant d’examiner la rémunération demandée (2) et de considérer enfin s’il y a ou non un rapport adéquat entre les deux (3).

1.      La prestation fournie par la STIM

40.      La prestation d’un organisme de gestion collective du droit d’auteur comme la STIM consiste à accorder une licence forfaitaire pour l’utilisation de l’ensemble du répertoire d’œuvres musicales protégées qu’il gère. Cette description est très abstraite et je voudrais préciser la nature de la prestation ci-après pour donner une meilleure image de sa valeur économique.

41.      Il faut, tout d’abord, considérer que le répertoire d’un organisme de gestion collective se compose des droits d’auteur individuels (19) de ses membres. Sans exploitation collective par le truchement d’un organisme ad hoc, chaque auteur devrait contrôler lui-même l’utilisation qui est faite de son œuvre et faire valoir son droit à rémunération auprès des utilisateurs. De même, sans licence forfaitaire, une chaîne de télévision devrait, avant toute utilisation d’une œuvre musicale protégée, obtenir une licence de l’auteur ou de l’éditeur de musique. L’utilisation et l’exploitation individuelle d’œuvres musicales protégées deviendraient ainsi très coûteuses à la fois pour les auteurs et pour les chaînes de télévision (20).

42.      L’exploitation collective par le truchement d’un organisme de gestion collective du droit d’auteur et l’octroi de licences forfaitaires présentent ainsi des avantages à la fois pour les auteurs et pour les chaînes de télévision. L’exploitation est facilitée pour les auteurs, pour ne pas dire qu’elle est rendue possible. Du point de vue des chaînes de télévision, les droits d’auteur individuels sont transformés en un répertoire global, aux éléments duquel la licence forfaitaire permet d’accéder plus facilement sans avoir à négocier d’abord une licence individuelle (21). Grâce aux contrats de réciprocité, cette licence forfaitaire permet d’accéder aux répertoires d’organismes de gestion collective du droit d’auteur établis dans d’autres États membres et dans des États tiers (22).

2.      La rémunération

43.      Dans sa question, la juridiction de renvoi décrit la rémunération comme une part des recettes tirées par les chaînes de télévision d’émissions de télévision destinées au grand public. D’après la décision de renvoi, il faut entendre par là les recettes publicitaires et d’abonnement.

44.      Lorsqu’une chaîne de télévision se finance par des contrats publicitaires, les émissions qu’elle diffuse sont généralement gratuites pour les téléspectateurs et elle se finance par les blocs publicitaires, en faisant payer aux acheteurs l’accès qu’elle leur donne aux téléspectateurs et le temps d’émission qu’elle met à leur disposition pour diffuser de la publicité. Lorsqu’une chaîne de télévision tire ses recettes de contrats d’abonnement, elle fait payer aux téléspectateurs l’accès à son programme (23).

45.      Selon la juridiction de renvoi, la méthode de calcul définit la rémunération «comme une part» des recettes. Cette formulation garde un caractère ouvert. Elle inclut des méthodes de calcul se référant à une quote-part fixe des recettes, par exemple un pourcentage de celles-ci. Elle englobe également celles fondées sur une fraction variable des recettes, c’est-à-dire sur une part susceptible de fluctuer en fonction de certains critères. Certes, la méthode de calcul actuellement appliquée par la STIM comporte une part variable. Cependant, comme la question préjudicielle ne semble pas être limitée à la méthode de calcul actuellement appliquée par la STIM (24), j’examinerai ci-après tant les méthodes de calcul comportant une part fixe que celles comportant une part variable.

3.      Rapport entre la rémunération et la prestation

46.      Comme nous l’avons souligné ci-dessus (25), il y a imposition de prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction non équitables au sens de l’article 82, second alinéa, sous a), CE lorsque la rémunération exigée est disproportionnée par rapport à la valeur économique de la prestation fournie. Avant d’aborder la question du rapport entre la rémunération et la prestation pour une méthode de calcul comportant une part fixe [a)] et pour une méthode de calcul comportant une part variable [b)], je souhaite attirer l’attention sur le critère appliqué en l’espèce.

47.      Premièrement, il ne s’agit pas ici d’examiner le caractère équitable d’une rémunération, au sens où l’entendent les dispositions nationales qui prévoient un droit de l’auteur à une rémunération équitable. Il s’agit bien plutôt d’exercer un contrôle‑cadre du point de vue du droit de la concurrence (26). Il n’appartient donc pas à la Cour de déterminer, dans la présente procédure, si une certaine rémunération doit être considérée comme équitable au sens du droit d’auteur (27). La question est de savoir si une méthode de calcul appliquée par un organisme de gestion collective va au-delà de ce que permet le droit de la concurrence (28).

48.      Deuxièmement, force est de constater que les compétences de la Communauté en matière de droit d’auteur sont limitées. C’est ainsi que la Cour s’est montrée très réservée notamment dans son arrêt SENA (29), où il s’agissait de l’interprétation, au regard du droit d’auteur, de la notion de rémunération équitable contenue dans la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (30). Cet arrêt a constaté que, faute de définition contenue dans la directive, il ne pouvait incomber à la Cour de fixer les critères de détermination de la rémunération équitable (31).

49.      Les points précités doivent être pris en compte à l’occasion du contrôle‑cadre au regard du droit de la concurrence. Quant à la question du contenu et de la valeur d’un droit d’auteur, j’estime que la Cour doit faire preuve de retenue. Faute de réglementation communautaire, ces questions ressortissent à la compétence des États membres (32). Cependant, pour ce qui est de savoir si une méthode de calcul aboutit à supprimer tout lien raisonnable entre l’utilisation du droit d’auteur et sa rémunération, cela relève, selon moi, du contrôle‑cadre au regard du droit de la concurrence, qui doit être appliqué sur la base de l’article 82 CE.

a)      Part fixe des recettes

50.      Dans l’arrêt Basset (33), la Cour a examiné une méthode de calcul fondée sur une part fixe des recettes. Dans cette affaire, l’organisme français de gestion collective du droit d’auteur exigeait des exploitants de discothèque un pourcentage fixe de leurs recettes. La Cour a estimé que cette méthode n’avait rien d’abusif. Elle a constaté que c’était là une façon usuelle d’exploiter le droit d’auteur et qu’il n’était donc pas abusif qu’un organisme de gestion collective exploite les possibilités qui lui sont ouvertes par les dispositions nationales (34).

51.      Même si la Cour n’a pas été expressément confrontée à la question de savoir si l’utilisation d’une méthode de calcul s’appuyant sur une quote-part fixe des recettes devait être considérée comme abusive, j’interprète cet arrêt pour ma part en ce sens que, dans cette affaire, la Cour a implicitement nié le caractère abusif d’une telle méthode de calcul.

52.      Cet arrêt ne peut cependant être transposé tel quel à la présente espèce. Pour dire s’il y a abus de position dominante, il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce (35). La transposition intégrale de l’arrêt Basset paraît exclue en raison des différences significatives entre l’activité d’une discothèque et celle d’une chaîne de télévision, lorsqu’il s’agit de l’exploitation d’œuvres musicales protégées. Pour une discothèque, l’utilisation de telles œuvres forme une partie essentielle de son activité. On peut donc présumer que les discothèques dépendent, pour leur activité, d’œuvres musicales qu’elles utiliseront normalement de façon intensive pendant toute la durée de leur exploitation. Il en va autrement pour les chaînes de télévision, qui utilisent également des œuvres musicales protégées, mais avec une ampleur qui peut varier en fonction de la chaîne, de l’heure de diffusion et de l’émission.

53.      L’application aux chaînes de télévision d’une méthode de calcul prévoyant une quote-part fixe aboutirait donc à couper le lien entre le montant de la rémunération et l’utilisation réelle des œuvres musicales protégées. Les chaînes de télévision n’utilisant pas ou guère d’œuvres musicales protégées devraient alors s’acquitter d’une rémunération dépourvue de lien, ou en tout cas de lien suffisant, avec la valeur économique de la prestation fournie par la STIM. Cela grèverait certains utilisateurs de façon disproportionnée, par rapport à d’autres qui font un usage plus intensif d’œuvres musicales protégées (36).

54.      L’application aux chaînes de télévision d’une méthode de calcul prévoyant une quote-part fixe peut dès lors conduire à une disproportion notable entre la valeur économique de la prestation fournie par un organisme de gestion collective et la rémunération demandée par cet organisme.

55.      En principe, il faudrait encore examiner à ce stade s’il y a une autre méthode de calcul, qui refléterait mieux le rapport entre la rémunération et la valeur économique de la prestation que la méthode fondée sur une quote-part fixe des recettes (37). Cela peut d’emblée être présumé en l’espèce, puisque la STIM applique une méthode de calcul intégrant une quote-part variable.

56.      Il faudrait également voir si le recours à une méthode à quote-part fixe au lieu d’une méthode à quote-part variable peut se justifier par des raisons d’efficacité (38). Toutefois, comme l’application aux chaînes de télévision d’une méthode de calcul à quote-part fixe aboutirait à une disproportion manifeste entre la valeur de la prestation et la rémunération, la justification par des gains d’efficacité semble être exclue en l’espèce.

57.      L’application aux chaînes de télévision d’une méthode de calcul à quote-part fixe doit donc être qualifiée d’abusive au sens de l’article 82 CE.

b)      Part variable des recettes

58.      En revanche, une méthode de calcul intégrant une quote-part variable des recettes permet, grâce à l’élément variable, de tenir compte de l’ampleur de l’utilisation d’œuvres musicales protégées (39). L’utilisation d’une méthode à quote-part variable ne peut donc revêtir un caractère intrinsèquement abusif que si le rattachement de la rémunération aux recettes publicitaires et d’abonnement des chaînes de télévision est déjà suffisant pour pouvoir conduire à une grave distorsion du rapport entre la rémunération et la valeur économique de la prestation de l’organisme de gestion collective.

59.      Certes, on ne saurait exclure a priori qu’une entreprise occupant une position dominante adopte un comportement abusif lorsqu’elle fait dépendre les prix de ses produits du chiffre d’affaires réalisé par les clients grâce à l’utilisation desdits produits (40). Il faut cependant tenir compte ici des circonstances du cas d’espèce (41), et notamment des particularités de la prestation fournie par des organismes de gestion collective du droit d’auteur.

60.      Premièrement, il faut bien voir que, derrière le répertoire global de la STIM, il y a en dernière analyse les droits individuels des auteurs. Il est tout à fait habituel que l’attribution d’une licence pour des droits d’auteur soit subordonnée au versement d’une redevance représentant une fraction du chiffre d’affaires réalisé avec le produit pour l’élaboration duquel le droit d’auteur a été utilisé (42). Cela illustre la «propension à être exploité» qui est inhérente au droit d’auteur (43) et l’idée qu’un auteur a droit à une part raisonnable du chiffre d’affaires réalisé en recourant à son œuvre (44).

61.      Certes, dans l’affaire United Brands et United Brands Continental/Commission (45), la Cour a estimé que le caractère disproportionné d’une rémunération peut être constaté notamment au moyen d’une comparaison entre le coût de production et le prix de vente. Une telle approche présuppose implicitement que la valeur de la prestation puisse, dans une certaine mesure, être déduite des coûts de production. Or, ce n’est pas vrai pour les droits d’auteur, tant il paraît difficile de déterminer le coût de la création d’une œuvre musicale ou d’en tirer des conclusions quant à la valeur de la prestation (46).

62.      Selon moi, on ne saurait pas non plus alléguer qu’il en irait différemment lorsque le droit d’auteur visé dans l’accord de licence n’est pas l’élément principal du produit. Ainsi un tel système de rémunération n’est-il pas inhabituel dans le cadre de l’octroi de licences de brevets et de savoir-faire, même si le produit est constitué non pas uniquement par le brevet, mais également par d’autres éléments (par exemple, le matériel, le design, etc.) (47).

63.      Deuxièmement, il faut tenir compte de la difficulté à déterminer la valeur économique de la prestation de l’organisme de gestion collective (48). L’aménagement du système décrit ci-dessus (49) fait qu’il n’y a pas en Suède de marché sur lequel les prix seraient déterminés par l’offre et la demande (50). Pour savoir si le montant de la rémunération est abusif, il est certes possible de se réfèrer au montant qu’elle peut atteindre dans d’autres États membres (critère de marché géographique analogue) (51). Cependant, quand il s’agit, comme en l’espèce, d’apprécier la validité d’une méthode de calcul déterminée, il me semble que l’on ne peut appliquer purement et simplement une telle comparaison (52).

64.      Comme la méthode de calcul n’a premièrement rien d’inhabituel (53), qu’elle applique deuxièmement un critère qui se rattache à la valeur du droit d’auteur (54), et compte tenu, troisièmement, des difficultés qu’il y a à déterminer la valeur de la prestation d’un organisme de gestion collective du droit d’auteur, je ne puis rien voir d’abusif dans le fait de définir la rémunération en termes de quote-part des recettes que les chaînes de télévision tirent de contrats publicitaires et d’abonnement. Cela me semble, par ailleurs, conforme à la jurisprudence de la Cour, qui a constaté dans son arrêt Basset (55) qu’une méthode de calcul intégrant une fraction des recettes doit être considérée comme une forme normale d’exploitation des droits d’auteur. Sur ce dernier point, cet arrêt me semble transposable au présent cas d’espèce.

65.      Ce résultat n’est pas contredit par le fait que d’autres points de rattachement sont concevables, voire appliqués dans d’autres États membres. Une méthode de calcul intégrant une quote-part variable des recettes est une manifestation de la «propension à être exploité» qui est inhérente au droit d’auteur ainsi que du droit des auteurs à une quote-part raisonnable du chiffre d’affaires réalisé par le recours à leurs œuvres. Il est certes parfaitement imaginable que d’autres méthodes de calcul (56) mettent l’accent sur d’autres aspects. Il n’incombe cependant pas à la Cour de déterminer, dans le cadre de la présente procédure, la méthode de calcul qui est la mieux à même d’établir un équilibre entre les intérêts des auteurs et ceux des chaînes de télévision (57).

66.      Une méthode de calcul basée sur une part variable des recettes tirées des abonnements et de la publicité devra cependant tenir compte de l’ampleur de l’utilisation d’œuvres musicales protégées.

4.      Bilan

67.      Une méthode de calcul aboutissant à exiger le versement d’une quote-part fixe des recettes que les chaînes de télévision tirent de contrats publicitaires et de contrats d’abonnement revêt un caractère abusif au sens de l’article 82 CE. En revanche, le fait d’exiger une quote-part variable n’est pas intrinsèquement abusif. Une telle méthode peut cependant devenir abusive si elle ne tient pas assez compte de l’ampleur de l’utilisation d’œuvres musicales protégées.

C –    Sur les deuxième et troisième questions préjudicielles

68.      La deuxième question préjudicielle vise à savoir s’il est abusif qu’un organisme de gestion collective applique à des chaînes de télévision une méthode de calcul à quote-part variable, sans que cette méthode permette d’établir un rapport évident entre les recettes et la prestation fournie par l’organisme de gestion collective. Selon la juridiction de renvoi, le rapport est absent notamment dans les émissions d’information et dans les émissions sportives et lorsque les recettes des chaînes augmentent en raison d’une programmation plus large, d’investissements techniques et du développement de produits adaptés à la clientèle. La troisième question vise à savoir si la possibilité d’identifier et de quantifier tant la musique diffusée que l’audience a une importance aux fins de la réponse aux deux premières questions.

69.      J’interprète, pour ma part, ces deux questions comme visant à savoir si une méthode de calcul est rendue abusive parce qu’elle ne tient pas compte de l’ampleur de l’utilisation d’œuvres musicales protégées par des chaînes de télévision ou encore parce qu’elle ne tient pas compte de la mesure dans laquelle l’utilisation de ces œuvres contribue aux recettes. Il me semble impossible de traiter séparément la question de savoir dans quelle mesure il faut tenir compte de la possibilité technique d’identifier et de quantifier la musique diffusée ou le nombre de téléspectateurs (58).

70.      Comme je l’ai observé ci-dessus (59), il n’est pas à exclure que les questions de la juridiction de renvoi visent non seulement la méthode de calcul actuellement employée par la STIM, mais également celles différentes qu’elle pourrait employer à l’avenir. J’examinerai donc ces questions, tout d’abord, au regard de méthodes de calcul comme celle actuellement pratiquée par la STIM (1). Je verrai ensuite dans quelle mesure il est également possible de répondre à ces questions pour d’autres méthodes de calcul éventuelles, qui seraient aménagées différemment (2).

1.      Méthodes de calcul comme celle actuellement pratiquée par la STIM

71.      Nous avons déjà constaté ci-dessus (60) qu’une méthode de calcul peut avoir un caractère abusif au sens de l’article 82 CE lorsqu’elle ne tient pas suffisamment compte de l’ampleur de l’utilisation d’œuvres musicales protégées par un droit d’auteur.

72.      C’est là avant tout une question de fait. C’est pourquoi il faut d’emblée souligner que le rôle de la Cour se limite en l’espèce à interpréter l’article 82 CE. Elle n’est pas compétente pour apprécier les faits au principal ou pour appliquer à des mesures ou à des situations nationales les règles communautaires dont elle a donné l’interprétation, ces questions relevant de la compétence exclusive de la juridiction nationale (61).

73.      Avant d’aborder les différentes parties des questions préjudicielles, je souhaiterais exposer les étapes que la juridiction nationale devra suivre pour exercer le contrôle‑cadre au regard du droit de la concurrence.

74.      La juridiction nationale devra premièrement examiner s’il existe des indications qu’une méthode de calcul comme celle actuellement appliquée par la STIM aboutit à une disproportion notable entre la rémunération de la prestation et sa valeur économique (62). Cela ne peut, selon moi, être affirmé que si une autre méthode de calcul permet d’appréhender la valeur économique du droit d’auteur de façon plus précise.

75.      Si la juridiction nationale conclut qu’une telle méthode existe, elle devra deuxièmement comparer les avantages et les inconvénients respectifs des deux méthodes. La seule existence d’une méthode de calcul plus précise ne permet pas automatiquement de conclure au caractère abusif de la méthode de calcul plus forfaitaire. Cette dernière peut en effet être justifiée par un surcroît d’efficacité (63), en particulier sous forme d’économies sur les frais de gestion des contrats et de surveillance de l’utilisation des œuvres musicales protégées (64).

76.      Dans ce contexte, on pourra par exemple tenir compte de la facilité d’application de la méthode de calcul plus forfaitaire ou, corrélativement, du coût supplémentaire engendré par la méthode de calcul plus précise. Ainsi une méthode fondée sur des critères objectifs et aisément déterminables sera-t-elle normalement plus facile à manier qu’une méthode fondée sur des critères subjectifs, ressortissant à la discrétion d’une des deux parties et que l’autre ne peut que difficilement contrôler. Il peut également être important, dans ce contexte, de savoir si les données nécessaires sont déjà disponibles, parce qu’on en a déjà besoin à d’autres fins, ou si elles doivent être déterminées spécialement pour le calcul de la rémunération. L’appréciation de l’efficacité d’une méthode de calcul peut également avoir à tenir compte des litiges qu’elle est susceptible de provoquer, de sa stabilité et du besoin qu’elle peut avoir d’être adaptée.

77.      Il ne me semble cependant pas que les avantages en termes d’efficacité puissent justifier sans réserve le recours à une méthode de calcul plus forfaitaire. Certes, dans l’arrêt Tournier (65), la Cour a constaté que le caractère forfaitaire d’une méthode de calcul ne peut être critiqué au titre de l’article 82 CE que pour autant que d’autres méthodes sont également aptes à réaliser le but légitime qui est la protection des intérêts des auteurs, sans pour autant entraîner une augmentation des frais encourus en vue de la gestion des contrats et de la surveillance de l’utilisation des œuvres musicales protégées. Cela ne peut cependant, selon moi, être interprété en ce sens que n’entreraient en ligne de compte que des méthodes de calcul alternatives qui n’accroissent pas les frais de gestion des contrats et de surveillance de l’utilisation des œuvres musicales protégées. Je pense, au contraire, que la méthode plus forfaitaire peut être abusive, même en étant un peu moins coûteuse qu’une méthode plus précise, lorsque cet avantage en termes de coûts est sans commune mesure avec les distorsions causées par la méthode plus forfaitaire et qui pourraient être évitées par la méthode plus précise.

78.      Certes, il faut tenir compte, dans le cadre de l’article 82 CE, de l’objectif de garantir aux auteurs une rémunération adéquate. Il faut cependant également tenir compte de l’intérêt des consommateurs (66). Une rémunération équitable des auteurs encourage la création d’œuvres musicales (67) et ne peut donc qu’être dans l’intérêt du consommateur. L’application d’une méthode d’évaluation plus forfaitaire permet de réduire les coûts. Si cette économie tourne à l’avantage des auteurs, elle entraînera des rémunérations plus élevées et renforcera l’incitation à la création d’œuvres artistiques.

79.      Mais le consommateur a également un intérêt à accéder à des chaînes de télévision de la meilleure qualité et au meilleur prix. Lorsqu’une méthode de calcul forfaitaire conduit à une disproportion notable entre la rémunération d’un organisme de gestion collective et la prestation qu’il fournit, cela peut accroître les coûts de production des chaînes et tourner indirectement au désavantage des consommateurs. Il convient, à cet égard, de pondérer les avantages et les inconvénients d’une méthode de calcul plus forfaitaire par rapport à ceux d’une méthode plus précise.

80.      J’examinerai maintenant le point de savoir dans quelle mesure une méthode de calcul comme celle actuellement appliquée par la STIM doit être considérée comme abusive au sens de l’article 82 CE, parce qu’elle ne tient pas, ou pas suffisamment, compte de la durée d’utilisation d’œuvres musicales protégées dans certaines émissions [a)] ou du nombre de téléspectateurs [b)]. J’analyserai aussi si une telle méthode peut être abusive lorsqu’elle ne tient pas compte du fait que les recettes d’une chaîne de télévision peuvent croître en raison de circonstances étrangères à toute utilisation d’œuvres musicales protégées [c)].

a)      Constatation et quantification de l’utilisation d’œuvres musicales protégées par un droit d’auteur

81.      Une méthode de calcul comme celle actuellement appliquée par la STIM comporte la fixation d’un pourcentage déterminé, qui varie en fonction du temps pendant lequel la chaîne de télévision diffuse de la musique chaque année. Elle tient, par conséquent, compte de la durée annuelle d’utilisation d’œuvres musicales protégées.

82.      Cependant, en calculant tout d’abord la part de musique annuelle avant d’appliquer la quote-part qui en découle aux recettes annuelles de Kanal 5 et de TV 4, cette méthode néglige le fait que les recettes de publicité et d’abonnement peuvent varier en fonction de l’émission et de l’heure de diffusion.

83.      La juridiction nationale devra d’abord examiner si les recettes publicitaires subissent de fortes fluctuations en fonction de l’émission et de l’heure à laquelle elle est diffusée (68). Elle devra également voir si certaines émissions produisent habituellement des recettes publicitaires élevées, alors qu’elles ne font qu’un usage modéré d’œuvres musicales protégées. Si ces deux critères sont remplis, l’application d’une méthode de calcul comme celle appliquée par la STIM peut conduire à une disproportion notable entre la rémunération exigée par l’organisme de gestion collective et la prestation fournie par cet organisme.

84.      Des considérations analogues peuvent être développées pour les recettes tirées de contrats d’abonnement. Lorsque certaines émissions d’une chaîne de télévision sont particulièrement importantes aux yeux des abonnés, alors qu’elles ne font qu’un usage limité d’œuvres musicales protégées, l’application de la méthode de calcul en question peut conduire à une disproportion entre la rémunération demandée et la prestation fournie par l’organisme de gestion collective.

85.      Si la juridiction de renvoi constate une disproportion, elle devra vérifier s’il y a des moyens techniques de mieux cibler la répartition des recettes publicitaires et d’abonnement, par exemple en prenant en considération les tranches horaires et les émissions, prises individuellement ou par catégories (69). Si ces moyens existent, elle devra faire la pondération entre les avantages d’une répartition plus précise et la plus grande efficacité apportée par la méthode de calcul plus forfaitaire.

86.      Dans ce contexte, la juridiction de renvoi devra notamment prendre en considération les critères indiqués ci-dessus (70). Pour pondérer les avantages et les inconvénients, elle devra en particulier considérer qu’une méthode de calcul fondée sur les recettes annuelles tirées de la publicité et des abonnements est sans doute bien plus simple d’application qu’une méthode permettant d’imputer les recettes de façon plus précise. Il faudra également, me semble-t-il, tenir compte du fait que le nombre des chaînes de télévision est apparemment limité, mais que ces chaînes attirent un public relativement large et qu’il y a une assez bonne possibilité de contrôle pour les émissions diffusées publiquement.

b)      Identification et quantification du nombre de téléspectateurs

87.      L’ampleur de l’utilisation d’une œuvre musicale protégée dépend également du nombre de personnes qui en ont la jouissance. Il faut distinguer ici entre la question de savoir si une méthode de calcul comme celle actuellement appliquée par la STIM tient compte de cet aspect de l’utilisation des œuvres musicales protégées et celle de savoir si elle en tient compte dans une mesure suffisante.

88.      Sur la première question, il y a lieu de constater qu’une méthode de calcul comme celle actuellement appliquée par la STIM ne tient pas directement compte du nombre réel de téléspectateurs des diverses chaînes. La juridiction de renvoi devra cependant examiner si une telle méthode appréhende directement ou indirectement le nombre potentiel ou attendu de téléspectateurs et si, dans ce contexte, les recettes publicitaires et d’abonnement sont en proportion du nombre escompté de téléspectateurs (71).

89.      Si elle constate que les recettes publicitaires et d’abonnement sont proportionnelles au nombre potentiel ou attendu de téléspectateurs, il se posera la question de savoir si une méthode de calcul comme celle appliquée par la STIM doit d’emblée être considérée comme abusive parce qu’elle ne tient pas compte du nombre réel de téléspectateurs. Ce n’est pas mon avis. Je pense que ces deux critères (téléspectateurs réels ou potentiels, voire attendus) se réfèrent à des aspects différents d’un droit d’auteur. La référence au nombre réel de téléspectateurs met l’accent sur l’étendue de l’utilisation (usure) de l’œuvre musicale protégée, tandis que la référence au nombre potentiel ou attendu de téléspectateurs met plutôt l’accent sur la propension à être exploité, qui est inhérente au droit d’auteur, et souligne l’idée qu’un auteur a droit à une part raisonnable du chiffre d’affaires réalisé en recourant à son œuvre (72).

90.      Ces deux aspects portent non pas sur le degré de précision de la méthode de calcul, au sens indiqué ci-dessus (73), mais sur la teneur du droit d’auteur et sur ce qui en fait la valeur. Comme nous l’avons vu ci-dessus (74), je crois que, en l’état actuel du droit communautaire, il n’appartient pas à la Cour de dire quelle approche doit être préférée et cela ne saurait d’ailleurs faire l’objet du contrôle‑cadre au regard du droit de la concurrence qu’il s’agit d’appliquer en l’espèce. Partant, si une méthode de calcul comme celle actuellement appliquée par la STIM établit un rapport suffisamment étroit avec le nombre potentiel ou attendu de téléspectateurs, je ne crois pas qu’il soit intrinsèquement abusif qu’elle ne tienne pas compte du nombre réel de téléspectateurs.

91.      Concernant la deuxième question, relative au degré suffisant d’identification du nombre de téléspectateurs, il faut relever qu’une méthode de calcul comme celle actuellement appliquée par la STIM ne tient pas compte du fait que l’audience peut varier suivant l’émission et la tranche horaire.

92.      Si la juridiction de renvoi constate que les recettes publicitaires varient suivant l’émission et la tranche horaire, de sorte qu’il y a une corrélation entre les recettes et le nombre de téléspectateurs, et si elle constate que certaines émissions ont régulièrement une forte audience, alors qu’elles ne font que très peu appel à des œuvres musicales protégées, l’application d’une telle méthode de calcul peut aboutir à une disproportion entre la rémunération exigée et la prestation fournie par l’organisme de gestion collective du droit d’auteur.

93.      Des considérations analogues s’appliquent aux recettes tirées de contrats d’abonnement. Si certaines émissions d’une chaîne de télévision attirent un nombre de téléspectateurs plus élevé, alors qu’elles ne font que très peu appel à des œuvres musicales protégées, une méthode de calcul comme celle actuellement appliquée par la STIM peut créer une disproportion entre la rémunération demandée et la prestation fournie par l’organisme de gestion collective du droit d’auteur.

94.       Si la juridiction de renvoi constate une disproportion notable, elle devra examiner s’il y a des possibilités techniques d’évaluer le nombre de téléspectateurs avec plus de précision, par exemple en fonction de certaines tranches horaires, de certaines émissions ou de certains types d’émissions (75). Si ces possibilités existent, elle devra, comme indiqué ci-dessus (76), pondérer les avantages et les inconvénients des méthodes de calcul plus précises et de celles qui le sont moins.

c)      Prise en compte d’autres explications pour l’augmentation des recettes

95.      Une méthode de calcul comme celle actuellement appliquée par la STIM ne fait pas de différence entre la progression des recettes due à l’utilisation d’œuvres musicales protégées et celle due à d’autres facteurs, étrangers à la musique, comme l’extension de l’offre de programmes, les investissements technologiques et le développement de produits adaptés à la clientèle.

96.      Je ne crois toutefois pas que l’utilisation d’une méthode de calcul tenant suffisamment compte de l’ampleur de l’utilisation d’œuvres musicales protégées doive d’emblée être considérée comme abusive parce qu’elle ne tient pas compte du point de savoir si une augmentation des recettes s’explique par d’autres facteurs que le recours à des œuvres musicales protégées.

97.       Premièrement, il sera sans doute difficile de déterminer les facteurs qui ont permis d’accroître le nombre de téléspectateurs et les recettes d’une chaîne de télévision. Le succès d’une chaîne ou d’une émission dépend d’un grand nombre de facteurs. Je ne crois pas qu’il soit possible de dire avec une précision suffisante lequel a contribué au succès économique et la mesure dans laquelle il y a contribué.

98.      Il n’est pas contesté que l’utilisation d’œuvres musicales protégées peut avoir une incidence sur le succès d’une émission ou d’une chaîne. Dans cette mesure, il sera sans doute pratiquement impossible de démontrer que la progression de l’audience et celle des recettes ne sont pas dues à l’utilisation d’œuvres musicales protégées, d’autant que la valeur d’usage de la musique sera sans doute différente d’un téléspectateur à l’autre. De ce seul fait déjà, il me paraît extrêmement douteux qu’il existe une méthode permettant d’appréhender cette circonstance de façon suffisamment précise (77).

99.      Au demeurant, il faudrait vérifier si une autre méthode de calcul, à supposer qu’elle soit possible, n’aurait pas un coût tel que ses inconvénients seraient totalement disproportionnés par rapport à ses avantages.

100. Deuxièmement, il faut souligner que, en matière de droit de la propriété intellectuelle, il n’est pas inhabituel que l’attribution d’une licence pour des droits d’auteur donne lieu au versement d’une redevance représentant une fraction du chiffre d’affaires réalisé avec le produit pour l’élaboration duquel le droit en question a été utilisé (78). Cela est confirmé par l’arrêt Basset (79), dans lequel la Cour a jugé qu’il n’était pas abusif qu’un organisme de gestion collective du droit d’auteur exige une part des recettes de discothèques, sans considération du point de savoir si ces recettes s’expliquaient par d’autres circonstances que le recours à des œuvres musicales protégées. Cette décision de la Cour peut, selon moi, être transposée à la présente espèce (80).

d)      Bilan

101. En résumé, nous pouvons retenir ce qui suit: lorsqu’une juridiction nationale constate qu’il y a, entre la prestation fournie par un organisme de gestion collective du droit d’auteur, d’une part, et la rémunération exigée par cet organisme, d’autre part, une disproportion due à l’application d’une méthode de calcul définissant la rémunération comme une fraction variable des recettes tirées par les chaînes de télévision de contrats publicitaires et d’abonnement, cette méthode doit être considérée comme abusive si une autre méthode permet de fixer la rémunération en tenant mieux compte de l’ampleur de l’utilisation et si le recours à la méthode de calcul moins précise n’est pas justifié par un gain d’efficacité, en particulier en termes d’économies sur les frais de gestion des contrats et de surveillance de l’utilisation des œuvres musicales protégées.

102. Dès lors qu’une telle méthode de calcul tient suffisamment compte de l’audience potentielle ou escomptée, le fait qu’elle ne tient pas compte du nombre réel de téléspectateurs ne la rend pas automatiquement abusive au sens de l’article 82 CE.

103. Dès lors qu’une telle méthode de calcul tient suffisamment compte de l’ampleur de l’utilisation d’œuvres musicales protégées, elle ne peut être déclarée abusive au seul motif qu’elle ne tient pas compte de la mesure dans laquelle la progression des recettes s’explique par d’autres circonstances que cette utilisation.

104. Sur ce point aussi, la juridiction de renvoi devra appliquer le contrôle‑cadre au regard du droit de la concurrence, tel qu’il a été exposé ci-dessus, si et dans la mesure où elle constate qu’une méthode de calcul comme celle actuellement appliquée par la STIM induit encore d’autres distorsions entre la prestation de la STIM et la rémunération demandée, par exemple en ne tenant pas compte de la nature de l’utilisation de l’œuvre musicale protégée par le droit d’auteur (81).

2.      Autres méthodes de calcul possibles

105. Pour autant que les deuxième et troisième questions préjudicielles se réfèrent à la compatibilité avec l’article 82 CE d’autres méthodes de calcul que celle actuellement employée par la STIM, il y a lieu de relever ce qui suit: la multiplicité des méthodes de calcul possibles rend impossible d’apprécier dans l’abstrait si une méthode ne tenant pas compte des critères indiqués par la juridiction de renvoi est abusive au sens de l’article 82 CE. Cependant, si la juridiction de renvoi constate que la méthode de calcul aboutit à des distorsions, elle devra appliquer les principes indiqués ci-dessus (82).

D –    Sur la quatrième question préjudicielle

106. La quatrième question préjudicielle vise à savoir si l’application à une chaîne de service public, la SVT, d’une méthode de calcul s’écartant du barème principal (83) revêt un caractère abusif au sens de l’article 82 CE.

107. Selon moi, il convient, à cet égard, de s’attacher au cas de figure visé à l’article 82, second alinéa, sous c), CE. L’interdiction de discrimination énoncée dans cette disposition fait partie du régime assurant, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur. Le comportement commercial de l’entreprise en position dominante ne doit pas fausser la concurrence sur un marché situé en amont ou en aval, c’est-à-dire la concurrence entre fournisseurs ou entre clients de cette entreprise. Les cocontractants de ladite entreprise ne doivent pas être favorisés ou défavorisés sur le terrain de la concurrence qu’ils se livrent entre eux (84).

108. Il y a deux conditions au cas visé à l’article 82, second alinéa, sous c), CE. Premièrement, l’entreprise dominante doit appliquer à ses partenaires commerciaux des conditions inégales pour des prestations équivalentes (1). Deuxièmement, ses partenaires commerciaux doivent de ce fait être désavantagés dans la concurrence (2).

1.      Conditions inégales pour prestations équivalentes

109. Des prestations équivalentes font l’objet d’un traitement inégal lorsqu’il n’y a pas de correspondance entre les valeurs respectives de la prestation et de la contre-prestation des partenaires commerciaux. La juridiction de renvoi doit donc déterminer si la STIM exige des rémunérations différentes pour des services équivalents.

110. Quant à la prestation, elle est, pour Kanal 5 et TV 4, d’une part, comme pour SVT, d’autre part, constituée par l’accès à tout le répertoire d’œuvres musicales protégées détenu par la STIM. L’ampleur de l’utilisation varie d’une chaîne de télévision à l’autre.

111. La juridiction de renvoi devra également examiner si la STIM exige des rémunérations différentes. Tout d’abord, il y a lieu de constater que les tarifs appliqués à Kanal 5 et à TV 4, d’une part, et à SVT, d’autre part, ne sont pas les mêmes. Certes, il découle de l’ordonnance de renvoi que SVT ne tire guère de recettes des contrats publicitaires et absolument aucune des contrats d’abonnement (85). L’inégalité de traitement peut donc s’expliquer par le fait que, dans le cas de SVT, la méthode de calcul se fonde sur des recettes publicitaires et d’abonnement fictives. Or, cela ne saurait en soi constituer une discrimination illicite si, du point de vue du rapport entre la valeur de la prestation et celle de la contre-prestation, cela conduit à des résultats comparables à ceux découlant de l’application du barème principal à Kanal 5 et à TV 4.

112. Toutefois, comme la part de musique annuelle de SVT est fixée ex ante, donc de façon prévisionnelle, tandis que celle de Kanal 5 et de TV 4 est déterminée ex post, la juridiction de renvoi devra vérifier si cette différence peut conduire à une inégalité de traitement à caractère discriminatoire. Cette possibilité existe en particulier lorsque l’utilisation réelle par SVT d’œuvres musicales protégées est plus importante que les prévisions faites en début d’année (86).

2.       Situation de concurrence

113. Pour remplir les conditions de l’article 82, second alinéa, sous c), CE, il faut encore que l’inégalité de traitement inflige à Kanal 5 et à TV 4 un désavantage dans la concurrence. Il faudrait que la situation concurrentielle de Kanal 5 et de TV 4 ait été entravée par rapport à celle de SVT (87). Cela présuppose que Kanal 5 et TV 4, d’une part, et SVT, d’autre part, soient concurrentes.

114. Dans ce contexte, il ne s’agit pas des rapports entre SVT, Kanal 5 et TV 4 sur le marché, situé en amont, de l’offre et de la demande de licence globale pour des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur, mais de leurs rapports sur le marché de la télévision, qui est situé en aval. La juridiction de renvoi devra vérifier si, dans ce domaine, Kanal 5 et SVT ou TV 4 et SVT sont des entreprises concurrentes. Cette vérification requiert une appréciation des faits du litige au principal. Or, la Cour n’est pas compétente pour apprécier les faits au principal ou pour appliquer à des mesures ou à des situations nationales les règles communautaires dont elle a donné l’interprétation, ces questions relevant de la compétence exclusive de la juridiction nationale (88).

3.      Bilan

115. L’application de méthodes de calcul différentes à une chaîne de télévision de droit public, d’une part, et à des chaînes privées, d’autre part, peut être abusive au sens de l’article 82 CE lorsque, de ce fait, la chaîne de droit public se trouve avantagée par rapport aux chaînes privées et à condition qu’elle soit la concurrente d’au moins l’une des chaînes privées.

VII – Conclusion

116. Eu égard aux considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour de statuer comme suit:

«1)      L’article 82 CE doit être interprété en ce sens que constitue un abus de position dominante le fait, pour un organisme de gestion collective du droit d’auteur qui jouit d’un monopole de fait dans un État membre, d’appliquer, pour calculer la rémunération qu’il exige pour l’utilisation des œuvres musicales protégées incluses dans son répertoire global, une méthode selon laquelle cette rémunération est égale à une quote-part fixe des recettes que les chaînes de télévision tirent de contrats publicitaires et d’abonnement. En revanche, une méthode de calcul selon laquelle la rémunération est une quote-part variable des recettes n’est pas abusive, à condition que cette méthode tienne compte de la mesure dans laquelle une chaîne de télévision a recours aux œuvres musicales protégées.

2)      Une méthode de calcul peut être abusive au sens de l’article 82 CE si une autre méthode permet de fixer la rémunération en tenant mieux compte de l’ampleur de l’utilisation des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur et si le recours à la méthode de calcul actuelle, moins précise, n’est pas justifié par un gain d’efficacité, en particulier en termes d’économies sur les frais de gestion des contrats et de surveillance de l’utilisation des œuvres musicales protégées.

Le recours à une méthode de calcul ne saurait être qualifié d’abusif au sens de l’article 82 CE, au seul motif que cette méthode ne tient pas compte de la mesure dans laquelle la progression des recettes s’explique par d’autres facteurs que l’utilisation des œuvres musicales protégées par le droit d’auteur.

3)      Dès lors que l’on peut supposer qu’une méthode de calcul tient suffisamment compte de l’audience potentielle ou escomptée, le fait qu’elle ne tient pas compte du nombre réel de téléspectateurs ne la rend pas automatiquement abusive au sens de l’article 82 CE.

4)      L’application de méthodes de calcul différentes à une chaîne de télévision de droit public, d’une part, et à des chaînes privées, d’autre part, est abusive au sens de l’article 82 CE lorsque, premièrement, elle aboutit à ce que, pour une prestation équivalente fournie par l’organisme de gestion collective du droit d’auteur, la chaîne de droit public verse une rémunération moins élevée que celle exigée des chaînes privées et que, deuxièmement, la chaîne de droit public est la concurrente de l’une des chaînes privées.»


1 – Langue originale: le slovène.


2 – Dans ce contexte, il faut relever que, en ce qui concerne la diffusion de Kanal 5 par satellite, c’est l’organisme de gestion collective britannique Performing Right Society qui perçoit les rémunérations pour l’utilisation d’œuvres musicales protégées.


3 – Ainsi, pour une part de musique de 1 à 10 %, c’est 0,2 % des recettes publicitaires et 0,15 % des recettes d’abonnement qui sont demandés; pour une part de musique de 51 à 55 %, la rémunération est de 4,7 % des recettes publicitaires et de 3,48 % des recettes d’abonnement.


4 – Kanal 5 et TV 4 ont droit à une déduction de 10 % au titre des frais de commercialisation. TV 4 a droit à une déduction supplémentaire pour tenir compte du fait qu’elle doit verser des redevances à l’État suédois pour pouvoir émettre sur le réseau câblé.


5 – Ce mode de calcul tient également compte de frais de commercialisation fictifs.


6 – Cette évaluation est assurée par Mediamätning i Skandinavien AB (ci-après «MMS»). MMS est une société créée notamment par des chaînes de télévision.


7 – Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques (acte de Paris du 24 juillet 1971), modifiée le 28 septembre 1979 (voir à l’adresse http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/berne/trtdocs_wo001.html).


8 – Arrêts du 9 avril 1987, Basset (402/85, Rec. p. 1747); du 13 juillet 1989, Lucazeau e.a. (110/88, 241/88 et 242/88, Rec. p. 2811), et du 13 juillet 1989, Tournier (395/87, Rec. p. 2521).


9 – Dans les cas où la jurisprudence contient déjà la réponse à la question d’interprétation dont dépend la solution dans le litige au principal, la juridiction nationale peut certes être dispensée de l’obligation de soumettre cette question à la Cour, mais elle garde la possibilité de le faire; voir arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (283/81, Rec. p. 3415, point 15).


10 – Dans la mesure où la STIM soutient que l’article 82 CE ne serait pas applicable en l’espèce, il faut tout d’abord souligner qu’aucune disposition du droit positif ne vient expressément restreindre l’applicabilité du droit de la concurrence aux droits d’auteur. Même les articles 295 CE et 307 CE, pris en combinaison avec l’article 11 bis de la convention de Berne, n’autorisent aucune autre conclusion. La détermination d’une méthode de calcul pour une rémunération du droit d’auteur concerne l’exercice des droits d’auteur. Indépendamment de la question de savoir si la STIM peut en l’occurrence invoquer la convention de Berne au titre de l’article 307 CE, un conflit entre l’article 82 CE et l’article 11 bis de cette convention est d’emblée exclu par le fait que cet article 11 bis garantit simplement un droit à une rémunération équitable. Cette garantie minimale n’est pas mise en cause par l’encadrement de la rémunération par le droit des ententes. Au demeurant, la Cour a déjà affirmé l’applicabilité de l’article 82 CE à des méthodes de calcul utilisées par des sociétés de gestion collective (voir, en particulier, arrêts Basset, Lucazeau e.a. et Tournier, précités à la note 8) et, pour l’essentiel, la doctrine ne la conteste pas (Faull, J., et Nikpay, A., The EC Law of Competition, Oxford University Press, deuxième édition 2007, points 8.234 à 8.236; Liaskos, E.‑P., La gestion collective des droits d’auteur dans la perspective du droit communautaire, Bruylant, 2004, point 699). Toutefois, l’article 82 CE doit être appliqué aux droits d’auteur avec prudence: voir points 47 à 49 des présentes conclusions.


11 – En ce sens, les questions préjudicielles sont toujours rédigées de façon à les abstraire dans une certaine mesure de la procédure au principal.


12 – La deuxième question préjudicielle réitère la première question, mais en ajoutant certains critères (voir point 12 des présentes conclusions). J’interprète la deuxième question en ce sens que la juridiction de renvoi veut savoir s’il faut considérer comme abusive une méthode de calcul qui ne tiendrait pas compte de ces critères (voir point 69 des présentes conclusions).


13 – Arrêt du 9 novembre 1983, Michelin/Commission (322/81, Rec. p. 3461, point 57).


14 – Arrêts du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission (85/76, Rec. p. 461, point 91), et du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 69).


15 – Arrêt du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission (27/76, Rec. p. 207, points 248/257).


16 – Cela ne vaut que pour les trois premières questions. La quatrième question préjudicielle se rapporte au cas de figure visé à l’article 82, second alinéa, sous c), CE.


17 – Voir arrêts United Brands et United Brands Continentaal/Commission (précité à la note 15, points 248/257), et du 13 novembre 1975, General Motors Continental/Commission (26/75, Rec. p. 1367, points 11 et 12).


18 – Wish, R., Competition Law, Reed Elsevier, 5e éd. 2003, p. 195, ainsi que Faull, J., et Nikpay, A., loc. cit. (note 10), point 3.298.


19 – Concernant le rang de la propriété intellectuelle dans la hiérarchie du droit communautaire, voir Reinbothe, J., «Der Stellenwert des geistigen Eigentums im Binnenmarkt», dans Schwarze, J., et Becker, J. (éd.), Geistiges Eigentum und Kultur im Spannungsfeld von nationaler Regelungskompetenz und europäischem Wirtschafts- und Wettbewerbsrecht, Nomos, 1998, p. 31 et suiv.


20 – C’est pourquoi il faut souligner que l’exploitation du droit d’auteur n’est en fait souvent possible que par le regroupement des auteurs et des éditeurs de musique au sein d’un organisme de gestion collective; voir Dworkin, G., «Monopoly, non‑participating rightowners, relationship authors/producers, Copyright Tribunal», dans Jehoram, H. C., Collective Administration of Copyrights in Europe, Kluwer – Deventer, 1995, p. 12. Wünschmann, C., Die kollektive Verwertung von Urheber- und Leistungsschutzrechten nach europäischem Wettbewerbsrecht, Nomos, 2000, p. 20 et suiv., souligne que les coûts de transactions sont prohibitifs et que le contrôle et l’exploitation de droits d’auteur, précisément dans le domaine des œuvres musicales, sont rendus particulièrement difficiles par l’«utilisation massive et diffuse qui en est faite». Pour les détails, voir Mestmäcker, E.‑J., «Geistiges Eigentum und Kultur im Spannungsfeld von nationaler Regelungskompetenz und europäischem Wirtschafts- und Wettbewerbsrecht aus Sicht der Verwertungsgesellschaften», dans Schwarze, J., et Becker, J. (éd.), Geistiges Eigentum und Kultur im Spannungsfeld von nationaler Regelungskompetenz und europäischem Wirtschafts- und Wettbewerbsrecht, Nomos, 1998, p. 55.


21 – Voir Vinje, T., et Niiranen, O., «The application of Competition Law to Collecting Societies in a Borderless Digital Environment», dans European Competition Law Annual 2005: The Interaction between Competition Law and Intellectual Property Law, Ehlermann, C. D. (éd.), Hart, 2007, p. 402; Wünschmann, C., loc. cit. (note 20), p. 19, et Trampuz, M., Avtorsko pravo, Cankarjeva zalozba, 2000, p. 73.


22 – Wünschmann, C., loc. cit. (note 20), p. 25. Dans ce contexte, il faut cependant tenir compte du fait que, par sa décision COMP/36.698 – CISAC, du 16 juillet 2008, la Commission a interdit aux organismes européens de gestion collective de fausser la concurrence en limitant leur offre de services en dehors de leur territoire national. Cette décision leur permet toutefois de conserver le système existant d’accords bilatéraux et le droit de fixer le niveau des redevances. Comme cette décision n’a pas été publiée, je renvoie au communiqué de presse de la Commission IP/08/1165 du 16 juillet 2008 et à son mémorandum MEMO/08/511 du même jour.


23 – Dans ce cas, les clients sont en règle générale des exploitants de réseaux câblés ou des entreprises comparables, qui vendent des bouquets de chaînes au consommateur final.


24 – Voir point 32 des présentes conclusions.


25 – Voir point 39 des présentes conclusions.


26 – Comme nous l’avons observé (points 35 à 37 des présentes conclusions), l’article 82 CE n’a pas pour effet de supprimer complètement la liberté d’action économique d’une entreprise occupant une position dominante.


27 – Wünschmann, C., loc. cit. (note 20), p. 163, observe que le contrôle de la tarification pratiquée par des monopoles doit être assuré par le truchement de mécanismes internes.


28 – D’après le point 3.294 de Faull, J., et Nikpay, A., loc. cit. (note 10), les autorités de la concurrence et les juridictions doivent faire preuve de retenue dans ce domaine en n’intervenant que si l’atteinte aux intérêts des consommateurs est particulièrement manifeste.


29 – Arrêt du 6 février 2003, SENA (C‑245/00, Rec. p. I‑1251).


30 – JO L 346, p. 61.


31 – Arrêt SENA (précité à la note 29, points 34 à 36 et 40 à 46). Concernant le mandat (limité) conféré à la Communauté européenne pour légiférer sur le droit d’auteur, voir Reinbothe, J., loc. cit. (note 19), p. 33.


32 – Faull, J., et Nikpay, A., loc. cit. (note 10), relèvent, aux points 8.35 à 8.37, que l’ampleur exacte du droit d’auteur peut varier, que son objet spécifique ne peut pas toujours être identifié avec clarté et que la protection de l’auteur peut différer d’un État membre à l’autre.


33 – Arrêt précité à la note 8, point 5.


34 – Ibidem, points 16 et 18. Au point 19 de cet arrêt, elle a cependant relevé que l’on peut parler d’abus lorsque l’organisme de gestion collective exige une rémunération disproportionnée.


35 – Arrêts du 15 mars 2007, British Airways/Commission (C‑95/04 P, Rec. p. I‑2331, point 67), et du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission (T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 73).


36 – Dans le même sens, voir Temple Lang, J., «Media, Multimedia and European Community law», dans International antitrust law & policy, 1997, 377, 424.


37 – Pour un exposé détaillé à ce sujet, voir point 74 des présentes conclusions.


38 – Pour un exposé détaillé à ce sujet, voir points 75 à 77 des présentes conclusions.


39 – L’appréciation du point de savoir si le recours à une telle méthode de calcul revêt un caractère abusif dépend alors des critères pris en compte par le truchement de l’élément variable. Je renvoie, à cet égard, à ma réponse aux deuxième et troisième questions (points 68 à 105 des présentes conclusions), qui sont relatives à ce problème.


40 – Dans son arrêt United Brands et United Brands Continentaal/Commission (précité à la note 15, aux points 227/233), la Cour a observé que le jeu de l’offre et de la demande ne devrait essentiellement s’appliquer qu’à chaque stade où celui-ci s’exprime réellement. Les mécanismes du marché seraient altérés si le prix était calculé en prenant en considération non pas la loi de l’offre et de la demande entre le vendeur et l’acheteur, mais, en sautant un échelon du marché, entre le vendeur et le consommateur final.


41 – Arrêts British Airways/Commission (précité à la note 35, point 67) et du 30 septembre 2003, Michelin/Commission (précité à la note 35, point 73).


42 – Voir Bellamy & Child, European Community Law of Competition, Sweet & Maxwell, 6e éd. 2008, point 10.109. Temple Lang, J., loc. cit. (note 36), 425. C’est une pratique parfaitement normale notamment pour les contrats d’édition passés avec des écrivains ou pour les contrats d’enregistrement sonore passés avec des musiciens.


43 – Voir Mestmäcker, E.‑J., loc. cit. (note 20), p. 55.


44 – Becker, J., «Governmental and judicial control over licensing and tariffs», dans Collective Administration of Copyrights in Europe, Kluwer – Deventer, 1995, p. 44.


45 – Arrêt précité dans la note 15, points 239/241).


46 – Voir point 53 des conclusions de l’avocat général Jacobs du 26 mai 1987 dans les affaires Tournier (précitée à la note 8) et Lucazeau e.a. (précitée à la note 8); Allendesalazar, R., et Vallina, R., Collecting Societies: The Usual Supects, loc. cit. (note 22); Liaskos, E.‑P., loc. cit. (note 10), points 704 et suiv. Cela peut être illustré notamment par le fait que l’utilisation d’une œuvre musicale, une fois créée n’entraîne plus aucun coût supplémentaire pour son auteur.


47 – Cela est corroboré notamment par le point 156 des lignes directrices établies par la Commission au sujet de l’application de l’article 81 du traité CE aux accords de transfert de technologie (JO 2004, C 101, p. 2). D’après ce texte, il n’est normalement pas contraire à la concurrence que la redevance prévue dans le cadre d’un accord de licence soit fixée sur la base du prix du produit final, si ce dernier contient la technologie concédée. Il me semble que cela confirme le caractère usuel de ce type de règle de rémunération dans le domaine du droit de la propriété intellectuelle. Lorsqu’un cumul de redevances conduit à un résultat déraisonnable pour un produit déterminé, le problème doit, selon moi, être résolu en modulant le montant des redevances, sans qu’il soit besoin de dissocier lesdites redevances des recettes.


48 – Becker, J., loc. cit. (note 44), p. 44, et Liaskos, E.‑P., loc. cit. (note 10), point 699.


49 – Points 40 à 42 des présentes conclusions.


50 – La valeur économique d’un produit pourrait, par exemple, être déterminée à partir du prix moyen de ce produit (valeur économique prise en tant que prix moyen objectivé). Cependant, ne serait-ce qu’en raison des droits exclusifs des organismes de gestion collective, il n’y a pas dans ce domaine de concurrence susceptible d’avoir un effet sur les prix. Pour une analyse générale de ce problème, voir Faull, J., et Nikpay, A., loc. cit. (note 10), point 3.293.


51 – Arrêt Tournier (précité à la note 8, point 38).


52 – Dans ce contexte, il faut tenir compte du fait que la Cour doit se montrer prudente, pour les raisons exposées ci-dessus (point 48 des présentes conclusions), lorsque la méthode de calcul appliquée dans un État membre s’appuie sur un critère présentant un lien concevable avec le droit d’auteur et que celle appliquée dans un autre État membre s’appuie sur un autre critère, dont le rattachement au droit d’auteur est également concevable, et que cela conduit à des résultats divergents.


53 – Bellamy & Child, loc. cit. (note 42), point 9‑065, soulignent qu’il faut tenir compte du recours habituel à une pratique déterminée dans les branches industrielles concernées.


54 – À cet égard, il faut souligner que si, comme nous l’avons vu aux points 40 à 42, il n’y a certes pas de négociations sur les licences pour des droits individuels, puisque la licence forfaitaire pour le répertoire global de la STIM épargne aux chaînes de télévision d’avoir à négocier des licences pour l’utilisation d’œuvres musicales individuelles protégées par des droits d’auteur, il reste que, dans l’hypothèse où il y aurait de telles négociations pour déterminer la valeur de la licence globale, il ne serait pas anormal que les auteurs exigent une quote-part du chiffre d’affaires réalisé. Je ne crois pas que cette appréciation puisse être modifiée par le seul fait que les droits d’auteur sont exercés par le truchement de l’organisme de gestion collective.


55 – Arrêt précité à la note 8, points 16 et 18.


56 – Cependant, dans la mesure où Kanal 5 et TV 4 observent qu’il serait également possible de se référer au bénéfice réalisé par les chaînes de télévision, je doute d’emblée que cette méthode refléterait avec justesse la valeur de la prestation d’un organisme de gestion collective. Dans ce cas, la détermination de la valeur de la prestation intégrerait non seulement le chiffre d’affaires, mais également la totalité des coûts des chaînes de télévision. Or, je ne vois pas en quoi la structure des coûts d’une chaîne de télévision peut aider à déterminer la valeur économique de la prestation d’un organisme de gestion collective.


Au demeurant, c’est à tort que Kanal 5 et TV 4 soutiennent que la STIM ne serait pas associée au risque économique supporté par les chaînes de télévision. La rémunération de la STIM dépend des recettes tirées par les chaînes de télévision des contrats de publicité et d’abonnement et elle subira donc immédiatement l’impact d’une diminution de ces recettes.


57 – Voir points 47 et 48 des présentes conclusions.


58 – Dans la mesure où la troisième question du renvoi se réfère à la première question, je renvoie à ma réponse à cette dernière.


59 – Point 32 des présentes conclusions.


60 – Points 52 à 57 des présentes conclusions.


61 – Voir arrêts du 19 décembre 1968, Salgoil (13/68, Rec. p. 661, 690); du 23 janvier 1975, Van der Hulst (51/74, Rec. p. 79, point 12); du 8 février 1990, Shipping and Forwarding Enterprise Safe (C‑320/88, Rec. p. I‑285, point 11); du 5 octobre 1999 Lirussi et Bizzaro (C‑175/98 et C‑177/98, Rec. p. I‑6881, point 38); du 15 mai 2003 RAR (C‑282/00, Rec. p. I‑4741, point 47), et du 30 mars 2006, Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti (C‑451/03, Rec. p. I‑2941, points 68 et suiv.).


62 – Arrêt Basset (précité à la note 8, point 18).


63 – Arrêt Tournier (précité à la note 8, point 45).


64 – Ibidem.


65 – Ibidem.


66 – Voir Bellamy & Child, European Community Law of Competition, loc. cit. (note 42), point 9065; arrêt du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission (6/72, Rec. p. 215, point 26).


67 – Liaskos, E.‑P., loc. cit. (note 10), point 699.


68 – D’un point de vue publicitaire, certaines émissions sont particulièrement intéressantes, par exemple si elles attirent un plus grand nombre de téléspectateurs. Ces émissions permettent normalement aux chaînes de télévision d’obtenir des recettes publicitaires plus élevées.


69 – Cela devrait être plus difficile avec les contrats d’abonnement qu’avec les contrats publicitaires; nous renvoyons à cet égard à la note 75.


70 – Points 75 à 77 des présentes conclusions.


71 – Pour ce qui est des recettes publicitaires, un bon nombre d’éléments plaident, selon moi, en faveur d’une forte corrélation entre le nombre attendu de téléspectateurs et le montant des recettes. Même les recettes d’abonnement augmentent sans doute en proportion de l’audience attendue ou potentielle.


72 – Voir points 58 à 61 des présentes conclusions.


73 – Voir point 74 des présentes conclusions.


74 – Points 47 à 49 des présentes conclusions.


75 – Dans ce contexte, il faut tenir compte du fait que, pour les chaînes de télévision financées exclusivement par des contrats d’abonnement et à la différence de celles financées par des recettes publicitaires, il n’y a sans doute, entre les recettes et le nombre de téléspectateurs, aucune corrélation spécifique à l’émission ou à la tranche horaire. Il faudrait donc que la juridiction de renvoi examine si les recettes tirées de contrats d’abonnement peuvent être distribuées de façon plus précise, par exemple en déterminant le nombre réel de téléspectateurs par tranche horaire ou par émission.


76 – Voir points 75 à 77 des présentes conclusions.


77 – Il me semble que ces éléments sont plus faciles à prendre en compte par le biais de la quote-part brute. Dans ce contexte, il faut relever que la quote-part perçue sur les recettes publicitaires et d’abonnement est nettement inférieure à la part de musique. Cependant, comme la juridiction de renvoi n’a pas posé la question de savoir si une rémunération comme celle exigée par la STIM est excessive, il n’y a pas lieu d’approfondir ce point.


78 – Voir points 60 à 64 des présentes conclusions.


79 – Arrêt précité à la note 8, points 16 et 18.


80 – Dans ce contexte, il faut observer que les recettes des discothèques ne dépendent pas seulement de l’utilisation d’œuvres musicales protégées, mais également d’autres facteurs, comme l’emplacement, la publicité, le public et les équipements de la discothèque, qui n’ont pour certains qu’un rapport fort lointain avec l’utilisation d’œuvres musicales protégées par le droit d’auteur.


81 – Quant à la prise en compte de la nature de l’utilisation, il faut en particulier déterminer si une distinction fondée sur la nature de l’utilisation (par exemple, entre émissions n’utilisant des œuvres musicales protégées qu’en toile de fond et émissions ayant pour objet principal la diffusion d’œuvres musicales protégées) pourrait s’appuyer sur des critères suffisamment objectifs. Il faudra notamment considérer si une telle méthode de substitution accroît les coûts. Dans ce contexte, il peut être important de savoir si l’organisme de gestion collective du droit d’auteur applique une distinction analogue dans ses relations internes. Enfin, il conviendra de faire une pondération des avantages et des inconvénients.


82 – Points 74 à 79 des présentes conclusions.


83 – À ce sujet, voir point 9 des présentes conclusions.


84 – Arrêt British Airways/Commission (précité à la note 35,  point 143).


85 – SVT est financée par des redevances publiques. À la différence des recettes publicitaires et d’abonnement, le montant de ces redevances ne permet pas nécessairement de tirer des conclusions sur l’ampleur de l’utilisation d’œuvres musicales protégées.


86 – L’idée que la mission de service public de SVT puisse justifier une inégalité de traitement entre Kanal 5 et TV 4, d’une part, et SVT, d’autre part, doit être exclue d’emblée, puisque, au cours de l’audience, la STIM a précisé que la seule raison de la différence de traitement est le fait que SVT n’a guère de recettes publicitaires et ne perçoit rien au titre de contrats d’abonnement.


87 – Arrêts British Airways/Commission (précité à la note 35, point 144), et du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission (40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, points 523 et 524).


88 – Voir arrêts, précités à la note 61, Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, points 68 et suiv.; Van der Hulst, point 12; Shipping and Forwarding Enterprise Safe, point 11; Lirussi et Bizzaro, point 38, et RAR point 47.