Language of document : ECLI:EU:T:2015:205

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

14 avril 2015(*)

« Renvoi après annulation – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban – Règlement (CE) n° 881/2002 – Gel des fonds et des ressources économiques d’une personne incluse dans une liste établie par un organe des Nations unies – Inclusion du nom de cette personne dans la liste figurant à l’annexe I du règlement (CE) n° 881/2002 – Recours en annulation – Droits fondamentaux – Droits de la défense – Droit à une protection juridictionnelle effective – Droit au respect de la propriété »

Dans l’affaire T‑527/09 RENV,

Chafiq Ayadi, demeurant à Dublin (Irlande), représenté par MM. H. Miller, solicitor, P. Moser, QC, E. Grieves, barrister, et R. Graham, solicitor,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. E. Paasivirta, T. Scharf et M. Konstantidinis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Irlande, représentée par Mme E. Creedon, en qualité d’agent, assistée initialement de MM. E. Regan et N. Travers, SC, puis de M. Travers,

et par

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme E. Finnegan et M. G. Étienne, en qualité d’agents,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation du règlement (CE) n° 954/2009 de la Commission, du 13 octobre 2009, modifiant pour la cent quatorzième fois le règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al‑Qaida et aux Taliban (JO L 269, p. 20), pour autant que cet acte concerne le requérant,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Papasavvas, président, N. J. Forwood (rapporteur) et E. Bieliūnas, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 novembre 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige et procédure avant renvoi

1        Le requérant, M. Chafik Ayadi, est un ressortissant tunisien. Il réside en Irlande depuis 1997, avec son épouse et leurs six enfants. Il déclare posséder des comptes bancaires en Irlande et au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord.

2        Le 19 octobre 2001, le nom de M. Ayadi a été ajouté à la liste établie par le comité des sanctions institué par la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité des Nations unies, du 15 octobre 1999, sur la situation en Afghanistan (ci-après, respectivement, la « liste du comité des sanctions » et le « comité des sanctions »).

3        Le nom de M. Ayadi a dès lors été inclus dans la liste des personnes et des entités dont les fonds et autres ressources économiques devaient être gelés, d’abord en vertu du règlement (CE) n° 467/2001 du Conseil, du 6 mars 2001, interdisant l’exportation de certaines marchandises et de certains services vers l’Afghanistan, renforçant l’interdiction des vols et étendant le gel des fonds et autres ressources financières décidés à l’encontre des Taliban d’Afghanistan, et abrogeant le règlement n° 337/2000 (JO L 67, p. 1), puis du règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil, du 27 mai 2002, instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al-Qaida et aux Taliban, et abrogeant le règlement n° 467/2001 (JO L 139, p. 9).

4        Le 26 août 2002, M. Ayadi a saisi le Tribunal d’un recours visant à l’annulation du règlement n° 881/2002, pour autant que cet acte le concernait, aux motifs, notamment, que celui-ci violait les principes de proportionnalité et de respect des droits de l’homme.

5        Par son arrêt du 12 juillet 2006, Ayadi/Conseil (T‑253/02, Rec, EU:T:2006:200), le Tribunal a rejeté ce recours.

6        Le 22 septembre 2006, M. Ayadi a formé un pourvoi contre cet arrêt.

7        Dans des affaires similaires ayant donné lieu à l’arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, ci-après l’ « arrêt Kadi I », Rec, EU:C:2008:461), la Cour a fait droit aux pourvois introduits par les requérants et, statuant sur les recours en annulation que ces derniers avaient formés, a annulé le règlement n° 881/2002 en tant qu’il incluait les noms de ceux-ci dans la liste des personnes et des entités visées par le gel des fonds au motif, notamment, que les droits de la défense, en particulier le droit d’être entendu, n’avaient manifestement pas été respectés.

8        En vue de permettre à la Commission européenne de se conformer à cet arrêt dans le cas de M. Ayadi, la présidence du Conseil de l’Union européenne a demandé au comité des sanctions de lui fournir un résumé des motifs ayant présidé à l’inscription de M. Ayadi sur la liste de ce comité.

9        À la suite de cette démarche, la Commission a envoyé, le 24 juin 2009, une lettre à M. Ayadi, l’informant que le gel de ses fonds dans l’Union européenne reposait sur les motifs précisés dans le résumé des motifs fourni par le comité des sanctions et joint à ladite lettre. La Commission a ajouté que cette lettre avait pour objet de donner à M. Ayadi la possibilité de présenter ses observations sur les motifs indiqués dans le résumé des motifs et de fournir à la Commission toute information qu’il jugerait pertinente, avant que celle-ci ne statue de manière définitive en la matière. Un délai lui était accordé à cette fin jusqu’au 23 juillet 2009.

10      Le résumé des motifs joint à cette lettre (ci-après le « résumé des motifs ») est libellé comme suit :

« Shafiq ben Mohamed ben Mohamed al-Ayadi (QI.A.25.0l) a été inscrit sur la liste [du comité des sanctions] le 17 octobre 2001 en application de l’alinéa c) du paragraphe 8 de la résolution 1333 (2000) [du Conseil de sécurité], en tant qu’associé à Al-Qaida, à Oussama ben Laden ou aux Taliban, en raison de sa participation au financement, à l’organisation, à la facilitation, à la préparation ou à l’exécution d’actes ou d’activités en association avec Al-Qaida (QE.A.4.01) et Oussama ben Laden (QI.B.8.01) sous leur nom, pour leur compte ou pour les soutenir ; et du fait qu’il avait recruté des personnes pour le compte de ces derniers ou soutenu, de toute autre manière, des actes et des activités commis par eux.

 Renseignements complémentaires :

En 1992, Shafiq al-Ayadi a été recruté par Yasin Abdullah Ezzedine [K]adi (QI.Q.22.01), qui l’a placé à la tête des opérations de la Fondation Muwafaq en Europe. La Fondation Muwafaq a de tout temps été coiffée par le Bureau afghan [Makhtab al-Khidamat, MAK] (QE.M.12.01), une organisation fondée par Abdullah Azzam (non inscrit sur la liste [du comité des sanctions]) et Oussama ben Laden (QI.B.8.01), qui avait précédé Al-Qaida (QE.A.4.0l). Après la dissolution du MAK, au début de juin 2001, et son intégration dans Al-Qaida, plusieurs organisations non gouvernementales qui lui étaient autrefois associées, notamment la Fondation Muwafaq, se sont également ralliées à Al-Qaida. M. Al-Ayadi a été recruté sur la recommandation d’un bailleur de fonds d’Al-Qaida bien connu, Wa’el Hamza Abd Al-Fatah Julaidan, qui s’était battu aux côtés d’Oussama ben Laden en Afghanistan dans les années 80.

Au moment de sa nomination par M. [K]adi au poste de directeur pour l’Europe de la Fondation Muwafaq, M. Al-Ayadi travaillait sous contrat pour le compte de ben Laden. M. Al-Ayadi s’est rendu en Afghanistan au début des années 90 pour recevoir un entraînement paramilitaire, puis est allé, en compagnie d’autres personnes, au Soudan, pour y rencontrer M. ben Laden, avec lequel ils ont conclu un accord formel concernant l’accueil de Tunisiens et leur entraînement au terrorisme. Ils ont ultérieurement rencontré M. ben Laden une deuxième fois et obtenu un accord visant à ce que les collaborateurs de M. ben Laden en Bosnie-Herzégovine accueillent des combattants tunisiens venus d’Italie.

M. Al-Ayadi et Safet Durguti (QI.D.153.03) ont fondé Vezir, une organisation qui a succédé à la fondation islamique Al-Haramain (QE.A.71.02).

[…] »

11      Par lettre du 23 juillet 2009, M. Ayadi a soumis des observations détaillées en réponse à la Commission, précisant notamment, de façon circonstanciée, quels étaient les faits reconnus et ceux qu’il contestait. Par cette même lettre, M. Ayadi a également invité la Commission à fournir un certain nombre de précisions et de renseignements supplémentaires, concernant notamment la production des éléments de preuve corroborant les affirmations contenues dans le résumé des motifs ainsi que les modalités de leur appréciation par la Commission.

12      Le 13 octobre 2009, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 954/2009, modifiant pour la cent quatorzième fois le règlement n° 881/2002 (JO L 269, p. 20, ci-après le « règlement attaqué »), qui a confirmé la mention du nom de M. Ayadi dans la liste figurant à l’annexe I du règlement n° 881/2002 (ci-après la « liste litigieuse »).

13      Les considérants 3 à 6, 8 et 9 du règlement attaqué sont libellés comme suit :

« (3) Selon la jurisprudence récente de la Cour de justice, le [comité des sanctions] a communiqué, au printemps 2009, les raisons de sa décision d’inscription de [M. Ayadi] sur la liste [...]. [L]es raisons de cette inscription ont été notifiées [à M. Ayadi], pour lui permettre de formuler des commentaires sur ces raisons et de faire connaître son point de vue.

(4)       La Commission a reçu des observations de [M. Ayadi] et les a examinées.

(5)       La liste des personnes, groupes et entités auxquels devrait s’appliquer le gel des fonds et des ressources économiques, établie par le [comité des sanctions], comprend actuellement [M. Ayadi].

(6)       Après avoir attentivement examiné les observations formulées par [M. Ayadi] dans une lettre datée du 23 juillet 2009, la Commission estime, au vu du caractère préventif du gel des fonds et des ressources économiques, que l’inscription de [M. Ayadi] se justifie en raison de ses rapports avec le réseau Al-Qaida.

[…]

(8)       Compte tenu de ce qui précède, l[a] décisio[n] d’inscription de M. Ayadi sur la liste doi[t] être remplacé[e] par [une] nouvell[e] décisio[n] confirmant [son] inscription à l’annexe I du règlement [...] n° 881/2002.

(9)       Il convient d’appliquer ce[tte] nouvell[e] décisio[n] à compter du 30 mai 2002 en ce qui concerne [M. Ayadi], compte tenu du caractère et des objectifs préventifs du gel des fonds et des ressources économiques imposé par le règlement [...] n° 881/2002, ainsi que de la nécessité de protéger les intérêts légitimes des opérateurs économiques qui se sont fiés [à la décision prise en 2002]. »

14      Aux termes de l’article 1er et de l’annexe du règlement attaqué, la mention concernant M. Ayadi, à l’annexe I du règlement n° 881/2002, est confirmée.

15      Aux termes de l’article 2 du règlement attaqué, celui-ci est entré en vigueur le jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne et s’applique à compter du 30 mai 2002 en ce qui concerne M. Ayadi.

16      Par lettre du 21 octobre 2009, la Commission a, d’une part, communiqué à M. Ayadi sa décision de le maintenir sur la liste litigieuse et, d’autre part, répondu à ses observations du 23 juillet 2009, en indiquant notamment que le résumé des motifs était la seule information ou preuve qui lui avait été fournie par le comité des sanctions et qu’il englobait la totalité des griefs à l’encontre de l’intéressé.

17      Par arrêt du 3 décembre 2009, Hassan et Ayadi/Conseil et Commission (C‑399/06 P et C‑403/06 P, Rec, EU:C:2009:748), la Cour a annulé l’arrêt Ayadi/Conseil, point 5 supra (EU:T:2006:200), et a annulé le règlement n° 881/2002, dans la mesure où il visait M. Ayadi, en se fondant essentiellement sur des motifs de droit tirés de son arrêt Kadi I, point 7 supra (EU:C:2008:461). Aux points 62 à 65 dudit arrêt Hassan et Ayadi/Conseil et Commission, précité (EU:C:2009:748), la Cour a estimé que l’adoption du règlement attaqué n’avait pas rendu le pourvoi sans objet, notamment eu égard au fait que ledit règlement pouvait encore faire l’objet d’un recours en annulation.

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 avril 2010, M. Ayadi a introduit le présent recours en annulation du règlement attaqué, pour autant que celui-ci le concernait.

19      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, M. Ayadi a introduit une demande visant à ce qu’il soit statué selon une procédure accélérée, conformément à l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal. La Commission entendue, cette demande a été rejetée par décision du Tribunal (septième chambre) du 18 mai 2010.

20      Par ordonnance du 6 juillet 2010, les parties entendues, le président de la septième chambre du Tribunal a admis l’intervention du Conseil au soutien des conclusions de la Commission.

21      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à partir de la nouvelle année judiciaire, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

22      Par ordonnance du président de la deuxième chambre du Tribunal du 22 octobre 2010, M. Ayadi a été admis au bénéfice de l’aide judiciaire et MM. B. Emmerson, S. Cox et H. Miller ont été désignés pour le représenter.

23      Le 17 octobre 2011, le comité des sanctions a décidé de radier le nom de M. Ayadi de sa liste.

24      Par le règlement d’exécution (UE) n° 1081/2011 de la Commission, du 25 octobre 2011, modifiant pour la cent soixantième fois le règlement n° 881/2002 (JO L 280, p. 17), la mention du nom de M. Ayadi a, dès lors, été supprimée de la liste litigieuse.

25      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 octobre 2011, la Commission a demandé à ce dernier de déclarer que le recours en annulation était devenu sans objet et qu’il n’y avait plus lieu de statuer.

26      Par ordonnance du 31 janvier 2012 (ci-après l’ « ordonnance de non-lieu »), le Tribunal (deuxième chambre) a décidé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le recours en annulation. Le Tribunal a également condamné la Commission à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par M. Ayadi.

27      Par requête introduite au greffe de la Cour le 12 avril 2012, M. Ayadi a formé un pourvoi contre l’ordonnance de non-lieu.

28      L’Irlande a été admise à intervenir devant la Cour au soutien des conclusions de la Commission.

29      Par arrêt du 6 juin 2013, Ayadi/Commission (C‑183/12 P, EU:C:2013:369), la Cour a annulé l’ordonnance de non-lieu, en tant qu’elle avait décidé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur le recours en annulation, et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue de nouveau sur le recours en annulation de M. Ayadi, tout en réservant les dépens. La Cour a, en substance, considéré que le Tribunal avait commis une erreur de droit en concluant que M. Ayadi avait perdu son intérêt à agir en annulation, à la suite de l’adoption du règlement n° 1081/2011.

 Procédure et conclusions des parties après renvoi

30      L’affaire a été attribuée à la deuxième chambre du Tribunal. La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à compter de la nouvelle année judiciaire, le juge rapporteur a été affecté à la troisième chambre, à laquelle la présente affaire a, dès lors, été réattribuée.

31      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 novembre 2013, l’Irlande a demandé à obtenir l’accès au dossier de l’affaire en première instance. Les autres parties entendues, il a été fait droit à cette demande par décision du président de la troisième chambre du Tribunal du 17 février 2014.

32      Conformément à l’article 119, paragraphe 1, du règlement de procédure, les parties ont déposé des mémoires d’observations écrites.

33      M. Ayadi conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué, pour autant qu’il le concerne ;

–        lui accorder le remboursement des dépens relatifs à la procédure devant le Tribunal, tant avant qu’après renvoi par la Cour, et, en tout état de cause, à la procédure devant la Cour.

34      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner M. Ayadi aux dépens.

35      Le Conseil et l’Irlande soutiennent le premier chef de conclusions de la Commission.

36      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a invité la Commission à produire, le cas échéant, toutes informations et tous éléments de preuve, confidentiels ou non, dont cette institution pourrait disposer concernant les faits allégués dans l’exposé des motifs du comité des sanctions et qu’elle estime pertinents aux fins du contrôle juridictionnel à exercer par le Tribunal dans les conditions et limites fixées par la Cour dans l’arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi (C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, ci-après l’« arrêt Kadi II », Rec, EU:C:2013:518). Par lettre du 14 octobre 2014, la Commission a informé le Tribunal qu’elle ne disposait pas d’autres informations. Par lettre du 4 novembre 2014, la Commission a produit une lettre du comité des sanctions du 23 octobre 2014, à laquelle était annexé le seul résumé des motifs.

37      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l’audience du 7 novembre 2014, à l’issue de laquelle la procédure orale a été close et l’affaire prise en délibéré. Au cours de cette audience, la Commission a produit le communiqué de presse SC/10413 du comité des sanctions, du 17 octobre 2011, faisant état, notamment, de la radiation du nom de M. Ayadi de la liste dudit comité. Sans opposition de M. Ayadi, ce document a été versé au dossier.

 En droit

 Sur la recevabilité des griefs articulés dans les observations de M. Ayadi sur la suite de la procédure après renvoi

38      Dans sa requête, M. Ayadi a formellement invoqué quatre moyens au soutien de son recours, respectivement tirés d’un abus de pouvoir, d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective, d’une violation des droits de la défense et d’une violation du droit de propriété. Par ces moyens, M. Ayadi reprochait essentiellement à la Commission d’avoir violé ses obligations procédurales, telles qu’énoncées par la Cour dans son arrêt Kadi I, point 7 supra (EU:C:2008:461).

39      Dans ses observations écrites sur la suite de la procédure après renvoi, M. Ayadi met désormais l’accent sur les arrêts du 4 juin 2013, ZZ (C‑300/11, Rec, EU:C:2013:363), et Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518), à la lumière desquels il conviendrait de reprendre l’ensemble de son argumentation. Il développe, à cet égard, une série de griefs de fond, visant à contester comme dénuées de fondement ou comme non prouvées les allégations formulées à son endroit  dans le résumé des motifs.

40      Dans ses observations écrites sur la suite de la procédure après renvoi ainsi que dans sa plaidoirie, la Commission insiste sur le fait que les quatre moyens initialement invoqués au soutien du recours portaient uniquement sur la manière dont elle-même avait exercé ses pouvoirs au cours de la procédure ayant abouti à l’inscription du nom de M. Ayadi sur la liste litigieuse, ce que la Cour aurait d’ailleurs confirmé au point 72 de l’arrêt Ayadi/Commission, point 29 supra (EU:C:2013:369). À la différence du requérant dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518), M. Ayadi n’aurait soulevé aucun moyen à l’encontre de l’appréciation des faits de l’espèce ou des motifs de son inscription sur la liste litigieuse. Il n’aurait pas prétendu non plus que les motifs invoqués manquaient de précision et de spécificité.

41      La Commission fait dès lors valoir que les observations de M. Ayadi sur la suite de la procédure contiennent de nouveaux moyens de droit liés, d’une part, à l’appréciation des faits et, d’autre part, à l’obligation de motivation. Elle considère qu’il convient de rejeter ces moyens nouveaux comme irrecevables, en application de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure. Il n’existerait aucune possibilité d’introduire de nouveaux moyens de droit dans le cadre d’une procédure après renvoi par la Cour, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit ou de fait qui se sont révélés au cours de la procédure. La Commission est d’avis que l’arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518), ne peut être considéré comme un tel élément.

42      La Commission admet que, si M. Ayadi avait contesté l’appréciation des faits, il aurait appartenu au Tribunal de vérifier les allégations figurant dans le résumé des motifs. À cette fin, il aurait pu demander, le cas échéant, à la Commission de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, points 117 à 120). Toutefois, en l’espèce, la Commission estime qu’il n’y a pas lieu de procéder à un tel examen.

43      Dans leurs observations écrites sur la suite de la procédure après renvoi ainsi que dans leur plaidoirie, le Conseil et l’Irlande soutiennent cette argumentation de la Commission.

44      Pour autant que l’argumentation de la Commission vise l’invocation d’un moyen nouveau tiré d’un défaut de motivation, il suffit de rappeler que, dans le cadre d’un recours en annulation, le moyen tiré d’un défaut ou d’une insuffisance de motivation d’un acte constitue un moyen d’ordre public qui peut, voire doit, être soulevé d’office par le juge de l’Union et qui, par conséquent, peut être invoqué par les parties à tout stade de la procédure (voir arrêt du 12 octobre 2011, Alliance One International/Commission, T‑41/05, Rec, EU:T:2011:586, point 170 et jurisprudence citée).

45      Pour autant que l’argumentation de la Commission vise l’invocation d’un moyen nouveau tiré d’une erreur d’appréciation des faits, le Tribunal rappelle que, selon une jurisprudence constante, un moyen, ou un argument, qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d’instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable [voir arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, Rec, EU:C:2013:513, point 46 et jurisprudence citée ; voir également arrêt du 18 septembre 2014, Holcim (Romania)/Commission, T‑317/12, Rec, EU:T:2014:782, point 218 et jurisprudence citée].

46      Il est, certes, exact que, au vu de leur seul libellé, aucun des quatre moyens énoncés dans la requête ne vise explicitement à contester l’appréciation des faits opérée par la Commission.

47      Toutefois, au cours de la procédure ayant conduit à l’adoption du règlement attaqué, M. Ayadi a vigoureusement contesté, point par point, les allégations formulées à son égard dans le résumé des motifs et il n’a eu de cesse, depuis lors, de soutenir que ces allégations étaient dénuées de fondement ou qu’elles n’étaient fondées sur aucun élément de preuve.

48      Or, le Tribunal constate que M. Ayadi a maintenu l’essentiel de son argumentation à cet égard dans le cadre de la présente procédure.

49      Ainsi, au point 16 de la requête, M. Ayadi a fait état de la lettre de ses avocats à la Commission du 23 juillet 2009, en faisant valoir que celle-ci « précisait les faits visés à l’exposé des motifs du comité des sanctions que le requérant reconnaissait et ceux qu’il déniait ». Ladite lettre, qui contient ses observations circonstanciées sur les faits et qui invite la Commission à fournir un certain nombre de précisions et de renseignements supplémentaires, concernant notamment la production des éléments de preuve corroborant les affirmations contenues dans le résumé des motifs ainsi que les modalités de leur appréciation par la Commission, a par ailleurs été jointe en annexe 5 de la requête.

50      Il ne ressort, par ailleurs, d’aucun autre élément de la requête que M. Ayadi aurait modifié sa position quant aux faits qu’il reconnaissait et aux allégations qu’il contestait.

51      Bien au contraire, dans le cadre du premier moyen de son recours, formellement tiré d’un détournement de pouvoir, M. Ayadi a fait valoir ce qui suit, en renvoyant à nouveau à ses observations du 23 juillet 2009 et à la lettre en réponse de la Commission du 21 octobre 2009, aux points 27 à 30 de la requête :

« 27      La Commission est tenue d’examiner s’il existe des motifs permettant de suspecter ou de penser que le requérant est un terroriste ou lève des fonds à des fins terroristes. Le requérant estime que de tels ‘motifs’ ne peuvent exister que sur la base d’éléments probants suffisants. L’obligation imposée à la Commission d’examiner tous les aspects du dossier consiste en une obligation de vérifier les preuves, tant à charge qu’à décharge, aux fins de constater si de tels motifs existent.

28      La lettre de la Commission du 21 octobre 2009 [en réponse aux observations écrites du 23 juillet 2009] révèle que celle-ci ne disposait pas d’informations ni de preuves autres que l’exposé des motifs du comité des sanctions. Cet exposé des motifs ne contenait aucune indication des éléments probants ayant servi de base à ses affirmations. Comme la Commission ne disposait d’aucun autre indice, elle n’a pas pu examiner d’autres preuves censées démontrer le bien-fondé des constatations de fait énoncées dans cette déclaration.

29      La Commission n’a fourni aucune explication des raisons pour lesquelles elle n’avait pas obtenu, du comité des sanctions ou d’autres sources, des preuves à charge ou à décharge à propos des allégations figurant dans l’exposé des motifs et dans les affirmations de fait émises par le requérant.

30      Il s’ensuit que la Commission a commis un abus de pouvoir en n’examinant pas tous les éléments pertinents de l’affaire. »

52      De même, dans le cadre du second moyen de son recours, tiré d’une violation du droit à une protection juridictionnelle effective, M. Ayadi a fait valoir, au point 36 de la requête, que « la décision prise [par la Commission à son égard] ne repos[ait] sur aucun élément probant ».

53      De même encore, dans le cadre du troisième moyen de son recours, tiré d’une violation des droits de la défense, M. Ayadi a fait valoir, au point 37 de la requête, que la Commission ne lui avait pas fourni les « éléments relevés à sa charge ». Il a ajouté, au point 39 de la requête, qu’à défaut de ces éléments il n’était « pas en mesure de répondre à la Commission sur les vices de preuves ou d’interprétation de celles-ci ».

54      Enfin, M. Ayadi a produit, en annexes 1 à 3 de la réplique, certaines décisions de juridictions anglaises en vue d’établir que certaines des preuves visant à étayer les affirmations contenues dans le résumé des motifs pouvaient avoir été obtenues par le recours à la torture et qu’elles étaient, dès lors, irrecevables en justice.

55      Dans ces conditions, il ne saurait être soutenu que M. Ayadi n’aurait pas entendu contester, dans le cadre du présent recours, l’appréciation des faits contenue dans le résumé des motifs et le caractère probant des éléments d’information et de preuve les étayant.

56      Au contraire, sous le couvert de moyens formellement tirés d’un détournement de pouvoir ou de la violation de ses droits procéduraux, M. Ayadi a entendu mettre en cause ladite appréciation et ledit caractère probant des éléments avancés au soutien de cette appréciation. Par ces moyens, M. Ayadi entendait avant tout être mis en mesure de pouvoir contester utilement, devant le Tribunal et au besoin grâce aux pouvoirs d’instruction de celui-ci, les allégations relatives à ses prétendus liens avec Al-Qaida, ce qui constitue également la substance même des observations qu’il a adressées à la Commission en réponse au résumé des motifs.

57      Il convient de relever qu’une telle démarche procédurale est essentiellement conforme à celle dégagée par la Cour dans son arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518), en cas de contestation par l’intéressé de la légalité des motifs de son inclusion dans la liste litigieuse (voir, notamment, points 119 et 120 dudit arrêt). C’est ainsi, par exemple, que la Cour a examiné dans le détail, aux points 154 à 156 de son arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518), la question des rapports entre M. Kadi et M. Julaidan, également pertinente en l’espèce au vu de l’allégation du résumé des motifs concernant les relations de M. Ayadi avec la Fondation Muwafaq, alors même que le nom de M. Julaidan n’était pas mentionné dans les écrits de procédure de M. Kadi, mais seulement dans ses observations écrites du 10 novembre 2008 à la Commission, qu’il avait annexées auxdits écrits de procédure. De même, la Cour a examiné, aux points 157 à 159 de son arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518), la question des rapports entre M. Kadi et M. Talad Fuad Kassem, alors que le nom de celui-ci n’était pas mentionné dans les écrits de procédure de M. Kadi, mais seulement dans lesdites observations écrites du 10 novembre 2008. Il en va de même, encore, de l’examen, par la Cour, aux points 160 à 162 de son arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518), de la question des rapports entre M. Kadi et la Depozitna Bank, lequel s’est fait au regard des mêmes observations écrites du 10 novembre 2008 plutôt qu’au regard des seuls arguments factuels énoncés dans les écrits de procédure de M. Kadi.

58      Il convient d’ajouter qu’un grief tel que celui tiré d’une absence de communication des éléments de preuve étayant les allégations formulées à l’encontre d’une personne, ou de l’absence de caractère probant de ces éléments, ne peut être juridiquement opérant, et ne peut même faire sens, que si l’intéressé conteste également la substance desdites allégations. Une telle contestation constitue ainsi la prémisse implicite, mais certaine, de tout grief de cet ordre.

59      Or, en l’espèce, M. Ayadi a bien formulé de tels griefs au soutien de son recours.

60      Force est, dès lors, de reconnaître, à tout le moins, qu’il a implicitement, mais nécessairement, contesté également les allégations formulées à son endroit dans le résumé des motifs et qu’il est fondé à demander au Tribunal d’examiner le bien-fondé de ces allégations ainsi que les éléments d’information et de preuve qui les étayent, ainsi que l’a prescrit la Cour dans son arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518).

 Sur le fond

61      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient d’examiner ensemble les quatre moyens du recours au regard des observations écrites de M. Ayadi sur la suite de la procédure après renvoi ainsi qu’au regard de ses observations écrites du 23 juillet 2009 à la Commission, lesquelles concernent principalement le bien-fondé des allégations formulées contre lui dans le résumé des motifs ainsi que les éléments d’information et de preuve qui les étayent.

62      Or, s’agissant de la procédure juridictionnelle, la Cour a jugé, dans son arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518, point 119), que, en cas de contestation par la personne concernée de la légalité de la décision d’inscrire ou de maintenir son nom sur la liste litigieuse, le juge de l’Union doit notamment, au titre du contrôle juridictionnel de la légalité des motifs sur lesquels une telle décision est fondée, s’assurer que cette décision repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés.

63      À cette fin, il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 120 ; voir également, par analogie, arrêt ZZ, point 39 supra, EU:C:2013:363, point 59). C’est précisément en vue de se conformer, en l’espèce, à ces modalités dont la Cour a assorti le contrôle juridictionnel incombant au juge de l’Union que le Tribunal a adopté la mesure d’organisation de la procédure décrite au point 36 ci-dessus.

64      C’est, en effet, à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 121).

65      À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’exposé fourni par le comité des sanctions. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 122).

66      Si l’autorité compétente de l’Union est dans l’impossibilité d’accéder à la demande du juge de l’Union, il appartient alors à ce dernier de se baser sur les seuls éléments qui lui ont été communiqués, à savoir, en l’occurrence, les indications contenues dans l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions, les observations et les éléments à décharge produits par la personne concernée ainsi que la réponse de l’autorité compétente de l’Union à ces observations. Si ces éléments ne permettent pas de constater le bien-fondé d’un motif, le juge de l’Union écarte ce dernier en tant que support de la décision d’inscription ou de maintien de l’inscription en cause (arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 123).

67      Si, par contre, l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne concernée à leur sujet (arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 124), le cas échéant en mettant en œuvre des techniques permettant de concilier, d’une part, les considérations légitimes de sécurité quant à la nature et aux sources de renseignements ayant été pris en considération pour l’adoption de l’acte concerné et, d’autre part, la nécessité de garantir à suffisance au justiciable le respect de ses droits procéduraux, selon la marche à suivre indiquée par la Cour aux points 125 à 129 de son arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518).

68      Eu égard à la nature préventive des mesures restrictives en cause, si, dans le cadre de son contrôle de la légalité de l’acte attaqué, tel que défini aux points 117 à 129 de l’arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518), le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés dans l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cet acte, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation dudit acte. Dans l’hypothèse inverse, il procédera à l’annulation de l’acte attaqué (arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 130).

69      Il résulte des éléments d’analyse qui précèdent que le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige, d’une part, de l’autorité compétente de l’Union qu’elle communique à la personne concernée l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions sur lequel est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom de ladite personne sur la liste litigieuse, qu’elle lui permette de faire connaître utilement ses observations à ce sujet et qu’elle examine, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués à la lumière des observations formulées et des éventuels éléments de preuve à décharge produits par cette personne (arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 135).

70      Le respect desdits droits implique, d’autre part, que, en cas de contestation juridictionnelle, le juge de l’Union contrôle, notamment, le caractère suffisamment précis et concret des motifs invoqués dans l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions ainsi que, le cas échéant, le caractère établi de la matérialité des faits correspondant au motif concerné à la lumière des éléments qui ont été communiqués (arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 136).

71      En revanche, le fait, pour l’autorité compétente de l’Union, de ne pas rendre accessibles à la personne concernée et, ultérieurement, au juge de l’Union des informations ou des éléments de preuve, en la seule possession du comité des sanctions ou du membre de l’Organisation des Nations unies (ONU) concerné, afférents à l’exposé des motifs qui sous-tend la décision en cause, ne saurait, en tant que tel, fonder un constat de violation de ces mêmes droits. Toutefois, dans une telle situation, le juge de l’Union, qui est appelé à contrôler le bien-fondé factuel des motifs contenus dans l’exposé fourni par le comité des sanctions en tenant compte des observations et des éléments à décharge éventuellement produits par la personne concernée ainsi que de la réponse de l’autorité compétente de l’Union à ces observations, ne disposera pas d’informations supplémentaires ou d’éléments de preuve. Par conséquent, s’il lui est impossible de constater le bien-fondé de ces motifs, ces derniers ne sauraient servir de fondement à la décision d’inscription attaquée (arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 137).

72      En l’espèce, s’agissant, d’une part, de la régularité de la procédure suivie par la Commission à l’égard de M. Ayadi en 2009, les griefs de celui-ci sont en substance les mêmes que ceux formulés par M. Kadi dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518). Il fait essentiellement grief à la Commission de ne pas avoir satisfait à son obligation d’examiner pour son propre compte, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués, à la lumière de ses observations et des éléments à décharge joints à celles-ci (voir arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 114). La Commission aurait également échoué à obtenir, voire à demander, la communication d’informations ou d’éléments de preuve, confidentiels ou non, qui lui auraient permis de s’acquitter de ce devoir d’examen soigneux et impartial (voir arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 115). Au demeurant, et en tout état de cause, la Commission n’aurait eu aucune intention de s’écarter de l’avis du comité des sanctions, ainsi que le révéleraient tant ses écritures dans la présente affaire que ses explications dans d’autres affaires similaires. Cette approche serait incompatible avec l’arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518).

73      Il y a lieu de considérer que ces griefs sont fondés, tant au regard des éléments du dossier dont dispose le Tribunal qu’au regard du comportement procédural de la Commission déjà constaté dans des affaires parallèles d’imposition de mesures restrictives datant de la même période. C’est ainsi que, au point 171 de l’arrêt du 30 septembre 2010, Kadi/Commission (T‑85/09, Rec, EU:T:2010:418), le Tribunal a considéré comme établi « de toute évidence », au vu des arguments et des explications avancés par la Commission et par le Conseil, notamment dans le cadre de leurs observations préliminaires sur le niveau de contrôle juridictionnel approprié dans les circonstances de l’espèce, que les droits de la défense du requérant M. Kadi n’avaient été « respectés » que de manière purement formelle et apparente, la Commission s’étant en réalité estimée rigoureusement tenue par les appréciations du comité des sanctions et n’ayant dès lors à aucun moment envisagé de remettre celles-ci en cause à la lumière des observations du requérant. Cette considération, non remise en cause par la Cour dans le cadre du pourvoi formé contre cet arrêt qui a donné lieu à l’arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518), est également applicable en l’espèce, nonobstant le changement d’argumentation de la Commission qui soutient, dans ses observations sur la suite de la procédure après renvoi, qu’elle a pleinement respecté ses obligations procédurales, telles qu’énoncées par la Cour dans l’arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518), et qu’elle a, notamment, étudié attentivement les commentaires et informations transmis par M. Ayadi.

74      S’agissant, d’autre part, de la contestation des griefs retenus à l’encontre de M. Ayadi dans le résumé des motifs, force est tout d’abord de constater que de tels griefs ont, pour la plupart, déjà été examinés et rejetés par la Cour dans son arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518), au motif que soit ils n’étaient pas prouvés, soit ils ne justifiaient pas, au vu de leur ancienneté, une mesure de gel des fonds de l’intéressé.

75      Ainsi, s’agissant, en premier lieu, de l’allégation du résumé des motifs concernant les relations de M. Ayadi avec la Fondation Muwafaq et avec M. Julaidan, laquelle a également été reprise dans la lettre de la Commission du 21 octobre 2009 en réponse à ses observations du 23 juillet 2009, M. Ayadi fait observer, à juste titre, que la Cour l’a déjà examinée dans son arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518), puisqu’elle était également formulée à l’encontre de M. Kadi (voir point 28 de l’arrêt). Au point 153 de cet arrêt, la Cour a examiné le lien que M. Kadi aurait prétendument entretenu avec Al-Qaida par le biais de ses rapports avec la Fondation Muwafaq et elle a constaté qu’« aucun élément d’information ou de preuve n’a[vait] été avancé pour étayer les allégations relatives à une implication de la Fondation Muwafaq dans le terrorisme international dans le cadre de liens avec le Bureau afghan et le réseau Al-Qaida ». Elle a conclu que, dans ces circonstances, les indications relatives au rôle et aux fonctions de M. Kadi en rapport avec cette fondation n’étaient pas de nature à fonder l’adoption, au niveau de l’Union, de mesures restrictives à l’égard de celui-ci.

76      Bien qu’il ne soit pas lié en droit par cette appréciation de la Cour, le Tribunal estime que celle-ci peut s’appliquer par analogie au cas de M. Ayadi, en l’absence de tout autre élément d’information ou de preuve à charge concernant ce dernier.

77      Il convient d’ajouter que M. Ayadi a également fourni, notamment dans ses observations du 23 juillet 2009 à la Commission, un compte rendu détaillé de son engagement dans la Fondation Muwafaq et de ses missions humanitaires dans le cadre du conflit bosniaque, lesquelles auraient cessé en 1998. M. Ayadi a déclaré qu’il avait fait la connaissance de M. Julaidan lorsqu’il travaillait pour une organisation humanitaire au Pakistan. M. Julaidan aurait été l’un des dirigeants de cette organisation et il aurait accepté de le recommander à M. Kadi pour travailler à la Fondation Muwafaq. Il a également déclaré que ses contacts avec M. Julaidan avaient été réduits au minimum entre 1992 et 1999 et que, depuis 1999, il n’avait reçu qu’un seul appel téléphonique de lui, lorsque sa fille avait été tuée dans un accident de la route en Irlande. Aucune de ces affirmations n’est susceptible de remettre en cause le constat opéré au point précédent.

78      S’agissant, en deuxième lieu, de l’allégation du résumé des motifs concernant le recrutement de M. Ayadi par M. Kadi en 1992 (laquelle a également été reprise dans la lettre de la Commission du 21 octobre 2009 en réponse à ses observations du 23 juillet 2009), la Cour a fait les observations suivantes, au point 156 de son arrêt Kadi II, point 36 supra (EU:C:2013:518) :

« [S]ans qu’il soit exclu que les éléments invoqués dans l’exposé des motifs fourni par le comité des sanctions en ce qui concerne le recrutement par M. Kadi, en 1992, de M. Al-Ayadi sur la recommandation de M. Julaidan et la prétendue implication de MM. Al-Ayadi et Julaidan dans des activités terroristes en association avec Oussama ben Laden auraient pu être considérés comme suffisants pour justifier l’inscription initiale, en 2002, du nom de M. Kadi sur la liste des personnes figurant à l’annexe du règlement n° 881/2002, il est à noter que ces mêmes éléments, non autrement étayés, ne peuvent pas justifier le maintien, après 2008, de l’inscription du nom de celui-ci sur la liste dudit règlement, tel que modifié par le règlement litigieux. En effet, eu égard à la distance temporelle qui sépare les deux actes, ces éléments, qui se réfèrent à l’année 1992, ne suffisent plus à eux seuls pour justifier, en 2008, le maintien, au niveau de l’Union, du nom de M. Kadi sur la liste des personnes et des entités visées par les mesures restrictives en cause. »

79      M. Ayadi fait valoir, à juste titre, qu’il doit lui aussi pouvoir bénéficier du « principe de distance temporelle » appliqué par la Cour au cas de M. Kadi, à défaut de tout autre élément justifiant une autre approche. Il convient de relever, à cet égard, que le résumé des motifs le concernant porte uniquement sur le « début des années 1990 », alors que le règlement attaqué a été adopté en octobre 2009.

80      En troisième lieu, outre ces allégations concernant la Fondation Muwafaq, M. Julaidan et M. Kadi, M. Ayadi conteste également, de la manière la plus énergique, les autres allégations contenues dans le résumé des motifs. Dans ses observations du 23 juillet 2009 à la Commission, il a notamment nié avoir subi un entraînement paramilitaire en Afghanistan au début des années 1990. Il a également nié s’être rendu au Soudan, que ce soit seul ou avec d’autres personnes. Il a encore déclaré ne pas avoir rencontré Oussama ben Laden et a nié avoir jamais conclu un quelconque accord avec celui-ci ou avec ses représentants. Il a pareillement nié connaître ou avoir, à sa connaissance, rencontré Safet Durguti et il a affirmé ne pas connaître l’organisation Vezir. Enfin, il a déclaré n’avoir jamais travaillé pour la fondation islamique Al-Haramain et n’avoir jamais accompli aucune activité pour le compte de celle-ci.

81      La Commission n’a formulé aucun commentaire en réponse à ces observations, que ce soit dans sa lettre du 21 octobre 2009 ou dans ses écrits de procédure au cours de la présente instance, et elle a confirmé, au point 7 de ladite lettre, que le comité des sanctions ne lui avait communiqué aucune autre information ou élément de preuve et que ledit résumé des motifs englobait la totalité des griefs à l’encontre de M. Ayadi.

82      Il apparaît ainsi que les divers motifs contenus dans le résumé des motifs, tels que communiqués par le comité des sanctions, ne sont étayés par aucun élément d’information ou de preuve, alors même qu’ils sont contestés point par point, de façon vigoureuse et circonstanciée, par M. Ayadi.

83      En l’espèce, aucun élément d’information tiré de l’exposé des motifs ne permet donc d’établir à suffisance de droit que M. Ayadi était matériellement lié à Al-Qaida à la date de son inscription sur la liste litigieuse.

84      Les documents annexés à la réponse de la Commission à la mesure d’organisation de la procédure, déposés au greffe du Tribunal le 4 novembre 2014, ne permettent pas davantage de constater le bien-fondé des motifs retenus contre M. Ayadi, dès lors qu’ils consistent en une simple lettre du comité des sanctions communiquant à nouveau, en annexe à celle-ci, le résumé des motifs déjà fourni à la Commission en 2009.

85      Il en va de même du document produit par la Commission à l’audience, qui consiste en un simple communiqué de presse du comité des sanctions faisant état, notamment, de la radiation du nom de M. Ayadi de la liste dudit comité, en novembre 2011.

86      Il ressort de l’analyse qui précède et des seuls éléments du dossier dont le Tribunal dispose qu’aucune des allégations formulées à l’encontre de M. Ayadi dans le résumé des motifs fourni par le comité des sanctions n’était de nature à justifier l’adoption, au niveau de l’Union, de mesures restrictives à l’encontre de celui-ci, et ce en raison soit d’une insuffisance de motivation, soit de l’absence d’éléments d’information ou de preuve qui seraient venus étayer le motif concerné face aux dénégations circonstanciées de l’intéressé (voir, en ce sens, arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 163).

87      Dans ces conditions, le règlement attaqué ne peut qu’être annulé, pour les motifs de droit énoncés au point précédent (voir, en ce sens, arrêt Kadi II, point 36 supra, EU:C:2013:518, point 164), sans qu’il soit dès lors besoin de se prononcer sur les autres moyens, griefs et arguments de M. Ayadi.

 Sur les dépens

88      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, en ce compris ceux exposés dans la procédure sur pourvoi devant la Cour, conformément aux conclusions de M. Ayadi.

89      Conformément à l’article 97, paragraphe 3, du même règlement, M. Ayadi ayant été admis au bénéfice de l’aide judiciaire et le Tribunal ayant condamné l’institution défenderesse aux dépens, celle-ci sera tenue de rembourser à la caisse du Tribunal les sommes avancées au titre de l’aide judicaire.

90      Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le règlement (CE) n° 954/2009 de la Commission, du 13 octobre 2009, modifiant pour la cent quatorzième fois le règlement (CE) n° 881/2002 du Conseil instituant certaines mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités liées à Oussama ben Laden, au réseau Al‑Qaida et aux Taliban, est annulé, pour autant qu’il concerne M. Chafiq Ayadi.

2)      La Commission européenne est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, les dépens exposés par M. Ayadi ainsi que les sommes avancées par le Tribunal au titre de l’aide judiciaire.

3)      L’Irlande et le Conseil de l’Union européenne supporteront leurs propres dépens.

Papasavvas

Forwood

Bieliūnas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 avril 2015.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.