Language of document : ECLI:EU:C:2023:240

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 23 mars 2023 (1)

Affaire C726/21

Županijsko državno odvjetništvo u Puli-Pola

contre

GR,

HS,

IT,

et

INTER CONSULTING d.o.o.

[demande de décision préjudicielle formée par le Županijski sud u Puli‑Pola (tribunal de comitat de Pula, Croatie)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Convention d’application de l’accord de Schengen – Principe ne bis in idem – Parties des actes de procédure auxquelles doit se référer la juridiction nationale lors de l’examen des effets du principe ne bis in idem – Dispositif – Exposé des motifs – Faits ayant donné lieu à un classement sans suite de la procédure pénale »






I.      Introduction

1.        Les faits de la présente affaire sont relativement complexes. Dans l’affaire au principal, pendante en Croatie, plusieurs personnes ont été accusées d’avoir causé un préjudice financier à une société croate dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet d’hébergement touristique situé en Croatie. Au cours de ces procédures, il est apparu que deux de ces personnes ont été acquittées en Autriche d’infractions pénales liées au détournement de fonds d’une banque autrichienne qui finançait ce projet. En outre, les poursuites pénales initiales à l’encontre de ces personnes ont fait l’objet en Autriche d’un classement partiel en raison d’un manque de preuves en ce qui concerne d’autres faits relatifs au même projet. Toutefois, après un examen des informations figurant dans le dossier, l’étendue précise de la partie des poursuites pénales ayant fait l’objet du classement sans suite en Autriche demeure quelque peu floue.

2.        Le Županijski sud u Puli-Pola (tribunal de comitat de Pula, Croatie), la juridiction de renvoi, relève que le principe ne bis in idem peut faire obstacle à la procédure pendante devant lui au regard de la procédure qui s’est déroulée en Autriche. Néanmoins, la conclusion précise qu’il convient de tirer sur ce point dépend, en substance, de la mesure dans laquelle les informations relatives à cette procédure pénale antérieure, mentionnées dans les actes de procédure adoptés dans ce cadre, sont prises en compte. En effet, il apparaît que, en vertu de la pratique judiciaire croate, pour apprécier si la protection conférée par le principe ne bis in idem est déclenchée, les juridictions croates ne peuvent prendre en considération que les faits mentionnés dans certaines parties d’actes de procédure, telles que le dispositif d’un acte d’accusation ou d’un jugement définitif.

3.        Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge plus particulièrement sur le point de savoir si, aux fins de l’application du principe ne bis in idem, consacré à l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen (ci‑après la « CAAS ») (2), il y a lieu de tenir compte uniquement des faits déterminants mentionnés dans le dispositif de l’acte d’accusation, délivré par un parquet d’un autre État membre, et dans le dispositif d’un jugement définitif rendu dans un autre État membre, ou s’il y a lieu de tenir compte également des faits mentionnés dans les motifs de ce jugement, ayant donné lieu à un classement sans suite des poursuites pénales.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        L’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») dispose que « [n]ul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ».

5.        L’article 54 de la CAAS prévoit qu’« [u]ne personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation ».

6.        L’article 57 de la CAAS est libellé comme suit :

« 1.      Lorsqu’une personne est accusée d’une infraction par une Partie Contractante et que les autorités compétentes de cette Partie Contractante ont des raisons de croire que l’accusation concerne les mêmes faits que ceux pour lesquels elle a déjà été définitivement jugée par une autre Partie Contractante, ces autorités demanderont, si elles l’estiment nécessaire, les renseignements pertinents aux autorités compétentes de la Partie Contractante sur le territoire de laquelle une décision a déjà été rendue.

2.      Les informations demandées seront données aussitôt que possible et seront prises en considération pour la suite à réserver à la procédure en cours.

[...] »

B.      Le droit croate

7.        En vertu de l’article 31, deuxième alinéa, de l’Ustav Republike Hrvatske (Constitution de la République de Croatie) (3), nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement pénal définitif conformément à la loi.

8.        En vertu de l’article 12, paragraphe 1, du Zakon o kaznenom postupku (loi relative à la procédure pénale) (4), nul ne peut être poursuivi pénalement à nouveau pour un fait pour lequel il a déjà été jugé et pour lequel une décision définitive de justice a été rendue.

III. Les faits, la procédure nationale et la question préjudicielle

9.        Au cours de la période pertinente, GR était membre du conseil de gérance de Skiper Hoteli d.o.o. et d’Interco Umag d.o.o., qui est devenue par la suite INTER CONSULTING (ci-après « Interco », en liquidation). GR était également membre du conseil de gérance de Rezidencija Skiper d.o.o. et détenteur de parts sociales dans Alterius d.o.o.. Il semble que toutes ces sociétés sont (ou étaient) enregistrées en Croatie. HS, pour sa part, était gérant d’Interco, tandis que IT effectuait des évaluations de biens immobiliers.

10.      Le 28 septembre 2015, le Županijsko državno odvjetništvo u Puli (parquet du comitat de Pula, Croatie, ci-après le « parquet de Pula ») a délivré un acte d’accusation à l’encontre de GR, HS, IT et Interco. Il a accusé GR et Interco d’avoir commis l’infraction d’abus de confiance dans des transactions commerciales au sens de l’article 246, paragraphes 1 et 2, du Kazneni zakon (code pénal croate). Il a, en outre, accusé HS d’être l’instigateur de cette infraction et IT d’avoir été complice de sa commission.

11.      Pour leur part, GR et à HS ont été accusés d’avoir agi, dans le cadre d’un projet de construction de nouveaux logements touristiques à Savudrija (une commune croate), de manière à faire bénéficier Interco d’un avantage financier illicite aux dépens de Skiper Hoteli, lorsqu’ils ont organisé une acquisition par Skiper Hoteli, par l’intermédiaire d’Interco, d’un bien immobilier situé à Savudrija, à des prix nettement supérieurs à sa valeur de marché.

12.      L’acte d’accusation indique également que GR, HS et IT ont causé un préjudice financier supplémentaire à Skiper Hoteli en ayant agi de manière à ce que cette dernière acquière, à un prix nettement supérieur à leur valeur réelle, des parts sociales d’une autre société croate (Alterius).

13.      La juridiction de renvoi a confirmé l’acte d’accusation délivré par le parquet de Pula.

14.      Toutefois, au cours de la procédure initiale, HS avait fait valoir qu’il faisait déjà l’objet de poursuites pénales en Autriche pour les mêmes faits. Le parquet de Pula a donc contacté la Staatsanwaltschaft Klagenfurt (ministère public de Klagenfurt, Autriche, ci-après le « parquet de Klagenfurt ») en 2014 pour vérifier si des procédures similaires y avaient effectivement été engagées. Le Državno odvjetništvo Republike Hrvatske (parquet national de la République de Croatie) a adressé une demande similaire au ministère autrichien de la Justice en 2016. Selon la juridiction de renvoi, il ressort des réponses des autorités autrichiennes que des poursuites pénales avaient été engagées en Autriche à l’encontre de BB et CC, deux anciens membres du directoire de Hypo Alpe Adria Bank International AG (ci-après « Hypo Bank »), établie en Autriche, en lien avec l’infraction d’abus de confiance au sens de l’article 153, paragraphes 1 et 2, du Strafgesetzbuch (code pénal autrichien, ci-après le « StGB »), ainsi que contre HS et GR en tant que complices de cette infraction.

15.      Plus précisément, selon l’acte d’accusation que le parquet de Klagenfurt a porté devant le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt, Autriche) le 9 janvier 2015, BB et CC ont été accusés d’avoir approuvé, entre septembre 2002 et juillet 2005, l’octroi de plusieurs prêts à Rezidencija Skiper et Skiper Hoteli – alors même qu’une documentation suffisante concernant le projet et une projection en termes de capacité de remboursement de crédit faisaient défaut – causant ainsi un préjudice financier à Hypo Bank pour un montant d’au moins 105 millions d’euros. HS et GR ont, respectivement, été accusés d’avoir incité, en sollicitant l’octroi de ces crédits, BB et CC à commettre ces infractions ou d’avoir été complices de leur commission.

16.      Le 3 novembre 2016, le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt) a rendu un jugement par lequel BB et CC ont été condamnés pour avoir approuvé le prêt HR/1061 en faveur de Skiper Hoteli. Ils ont été acquittés en ce qui concerne les autres charges. GR et HS ont été acquittés. Plus précisément, HS a été acquitté du chef d’incitation de BB et CC à la commission d’infractions en ayant, à plusieurs reprises, sollicité des prêts et produit des documents de prêt entre 2002 et 2005. GR a été acquitté du chef de complicité dans la commission, entre 2003 et 2005, des infractions commises par BB et CC, en ayant sollicité l’octroi des prêts – y compris le prêt HR/1061 –, négocié le prêt, produit des documents de prêt et signé les contrats de prêt pertinents. La juridiction de renvoi mentionne que les éléments qui précèdent ressortent du dispositif du jugement du Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt), tandis que les motifs de ce jugement font apparaître que Skiper Hoteli a utilisé le prêt HR/1061 pour acquérir le bien immobilier et les parts sociales en cause à des prix nettement supérieurs à leur valeur du marché.

17.      Ce jugement est devenu définitif à la suite du rejet par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) d’un recours formé à son encontre.

18.      La juridiction de renvoi indique également que, préalablement à la délivrance, le 9 janvier 2015, de l’acte d’accusation visé au point 15 des présentes conclusions, le parquet de Klagenfurt a mené, mais a classé sans suite en raison d’un manque de preuves, l’enquête à l’encontre de GR et de HS en ce qui concerne d’autres faits que ceux visés par l’acte d’accusation ultérieur, à savoir l’utilisation du prêt HR/1061 pour le projet de Skiper Hoteli. À cet égard, la juridiction de renvoi souligne que le parquet de Klagenfurt a notifié à GR, le 9 janvier 2015, le classement sans suite de l’enquête dans l’« affaire Skiper ». Cette notification était fondée sur l’article 190, paragraphe 2, de la Strafprozeßordnung (code de procédure pénale autrichien, ci-après la « StPO ») et contenait des informations relatives au classement sans suite de la procédure en ce qui concerne HS, GR, BB et CC quant à l’infraction d’abus de confiance visée à l’article 153, paragraphes 1 et 2, du StGB, dans la mesure où elle ne figurait pas dans l’acte d’accusation porté par le parquet de Klagenfurt à la même date devant le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt), en raison d’un manque de preuves, notamment quant à l’intention de causer un préjudice, ou du fait de l’absence de preuves spécifiques et suffisantes de nature à étayer un comportement passible de sanctions pénales. Il ressort également de la décision de renvoi que HS a sollicité et obtenu des autorités autrichiennes une communication confirmant ce classement sans suite.

19.      Selon la juridiction de renvoi, dans ces circonstances, il est possible que i) les faits mentionnés dans le dispositif de l’acte d’accusation du parquet de Pula ; ii) les faits mentionnés dans le dispositif de l’acte d’accusation du parquet de Klagenfurt ; iii) les faits mentionnés dans le dispositif et les motifs du jugement définitif du Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt), et iv) les faits visés par l’enquête menée par le parquet de Klagenfurt, ayant été classée sans suite, puissent être considérés comme ayant autorité de la chose jugée en raison du lien indissociable existant entre eux dans le temps, l’espace et sur le fond.

20.      Toutefois, la juridiction de renvoi explique que, lorsqu’elles appliquent le principe ne bis in idem, les juridictions croates ne peuvent prendre en considération que les faits mentionnés dans les parties spécifiques d’une décision de procédure donnée, telles que le dispositif d’un acte d’accusation ou d’un jugement. La juridiction de renvoi précise que cette pratique, sur laquelle aucun détail supplémentaire n’est fourni dans la décision de renvoi, reflète l’idée que ce n’est que dans cette mesure que les actes de procédure en cause deviennent définitifs.

21.      Dans ces conditions, le Županijski sud u Puli-Pola (tribunal de comitat de Pula) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Pour apprécier si le [principe ne bis in idem] est violé, les faits contenus dans le dispositif de l’acte d’accusation du [parquet de Pula] du 28 septembre 2015 peuvent-ils uniquement être comparés aux faits déterminants mentionnés dans le dispositif de l’acte d’accusation du [parquet de Klagenfurt] du 9 janvier 2015 et dans le dispositif du jugement du Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt) du 3 novembre 2016, confirmé par l’arrêt de l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) du 4 mars 2019, ou, avec les faits du dispositif de l’acte d’accusation du [parquet de Pula], peut-on comparer également les faits contenus dans les motifs du jugement du Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt) du 3 novembre 2016, confirmé par l’arrêt de l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême), ainsi que ceux pour lesquels la procédure d’enquête a été menée par le [parquet de Klagenfurt] à l’encontre de plusieurs personnes, entre autres également contre GR et HS, et qui ont été omis par la suite dans l’acte d’accusation du [parquet de Klagenfurt] du 9 janvier 2015 (et lesquels faits n’ont pas été mentionnés dans le dispositif spécifique) ? »

22.      Des observations écrites ont été déposées par HS, GR, le parquet de Pula, les gouvernements croate et autrichien, ainsi que par la Commission européenne. Ces parties intéressées ont été entendues en leurs plaidoiries lors de l’audience qui s’est tenue le 11 janvier 2023.

IV.    Analyse

23.      Par sa seule question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite déterminer, en substance, le cadre correct de référence devant être utilisé pour vérifier si le principe ne bis in idem, consacré à l’article 54 de la CAAS, fait obstacle à une procédure pendante devant elle, étant donné que cette procédure peut concerner les mêmes faits que ceux en cause dans une procédure antérieure ayant été définitivement clôturée dans un autre État membre.

24.      Avant d’aborder l’interprétation de l’article 54 de la CAAS aux fins de répondre à cette question (B), j’examinerai l’exception d’irrecevabilité soulevée par le gouvernement autrichien qui est fondée sur la thèse de ce dernier selon laquelle les deux procédures concernent, en substance, des faits matériels différents (A).

A.      Sur la recevabilité

25.      Le gouvernement autrichien estime que la présente demande de décision préjudicielle est irrecevable en raison du caractère hypothétique de la question posée. Selon lui, la procédure pendante devant la juridiction de renvoi et celle qui s’est déroulée antérieurement en Autriche ne concernent pas les mêmes faits. Le gouvernement autrichien souligne que, alors que la procédure en Autriche concernait une perte financière subie par une banque autrichienne, la procédure en Croatie porte sur un préjudice financier subi par une société croate. Il souligne que la procédure autrichienne ne pouvait pas avoir porté sur les éventuels actes de GR vis-à-vis de cette société en raison de l’incompétence des autorités autrichiennes à cet égard, GR étant un ressortissant et résident croate et Skiper Hoteli une société immatriculée en Croatie.

26.      Sans soulever d’exception d’irrecevabilité, le parquet de Pula et le gouvernement croate partagent, en substance, le même point de vue, tandis que HS et GR soutiennent le contraire.

27.      À cet égard, je fais observer que, même si l’étendue exacte de la partie de la procédure faisant l’objet d’un classement sans suite en Autriche n’est pas clairement précisée dans la décision de renvoi, il en résulte qu’il peut exister, en réalité, selon la juridiction de renvoi, un chevauchement entre la procédure qui s’est déroulée en Autriche et celle pendante devant elle. En effet, selon cette juridiction, le principe ne bis in idem, consacré à l’article 54 de la CAAS, peut avoir une incidence sur le déroulement de la procédure pendante devant elle, en fonction de l’étendue de l’examen qui doit être effectué à cet égard.

28.      Pour autant que le gouvernement autrichien souhaite remettre en cause ce point de vue, je fais observer que, dans le cadre de la procédure menée au titre de l’article 267 TFUE fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de l’affaire relève de la compétence de la juridiction nationale (5). Il appartient notamment à la seule juridiction de renvoi d’apprécier l’existence et l’étendue du chevauchement (factuel) entre les deux procédures en cause. La Cour devrait, quant à elle, partir de l’hypothèse formulée par la juridiction de renvoi, selon laquelle un tel chevauchement peut éventuellement exister, et considérer en conséquence que la question posée est pertinente aux fins de la solution du litige pendant devant cette dernière et qu’elle est donc recevable.

B.      L’article 54 de la CAAS

29.      Par sa question, la juridiction de renvoi demande si, aux fins de l’application du principe ne bis in idem, consacré à l’article 54 de la CAAS, elle peut prendre en considération uniquement les faits déterminants mentionnés dans le dispositif de l’acte d’accusation, délivré par un parquet d’un autre État membre, et dans le dispositif d’un jugement définitif rendu dans cet autre État, ou si elle doit également tenir compte des faits mentionnés dans les motifs de ce jugement, ayant donné lieu à un classement sans suite des poursuites pénales.

30.      Je rappelle que l’article 54 de la CAAS prévoit qu’« [u]ne personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation ».

31.      Cette disposition consacre, au sein de l’ordre juridique de l’Union, l’interdiction des doubles poursuites dans un contexte transfrontalier, également énoncée dans des termes plus généraux à l’article 50 de la Charte, qui, ainsi que l’a rappelé la Cour, doit guider l’interprétation de l’article 54 de la CAAS (6).

32.      La protection accordée par le principe ne bis in idem, tel que consacré à l’article 54 de la CAAS, est déclenchée lorsque deux conditions fondamentales sont remplies : i) l’identité des faits concernés par les deux procédures en cause (7) et ii) l’existence d’une décision définitive dans un autre État membre en ce qui concerne ces faits. En outre, lorsqu’une sanction a été infligée, celle-ci doit avoir été subie ou être actuellement en cours d’exécution ou ne plus pouvoir être exécutée.

33.      Cette condition « d’exécution » (8) n’est pas en cause dans la présente affaire, qui porte, comme je l’ai déjà indiqué, sur le cadre correct de référence à utiliser pour vérifier si la condition relative à l’« idem » est remplie.

34.      Dans la section suivante, j’expliquerai les raisons qui m’amènent à considérer que l’article 54 de la CAAS impose à une juridiction nationale de prendre en compte non seulement les faits décrits dans des parties spécifiques des décisions de procédure émises dans un autre État membre, mais également ceux décrits dans d’autres parties de ces décisions, ou éventuellement ailleurs, aux fins de vérifier si une procédure pendante devant elle concerne les mêmes faits (idem) que ceux qui ont été examinés dans le cadre d’une procédure antérieure clôturée par une décision définitive (1). Par souci d’exhaustivité, j’aborderai ensuite le second élément du principe ne bis in idem, relatif au caractère « définitif » de la décision, lequel doit exister conjointement avec l’identité des faits pour que la protection offerte par ce principe soit déclenchée. En effet, les parties à la présente procédure ont présenté d’amples observations sur la question de savoir si la condition relative au caractère « définitif » de la décision était remplie lorsque le parquet de Klagenfurt a décidé de classer partiellement la procédure en cause (2).

1.      Le cadre correct de référence pour la condition de l’« idem »

35.      Ainsi qu’il a déjà été relevé, la juridiction de renvoi explique que, en pratique, les juridictions croates ne peuvent prendre en considération que certaines parties des actes de procédure, telles que le dispositif d’un acte d’accusation ou d’un jugement, aux fins d’examiner si la procédure pendante devant elles concerne les mêmes faits que ceux en cause dans une procédure pénale antérieure clôturée par une décision définitive et si le principe ne bis in idem leur fait, par conséquent, obstacle. Par sa question, la juridiction de renvoi souhaite ainsi savoir, en substance, si l’article 54 de la CAAS permet une telle interprétation du principe ne bis in idem ou si un examen plus large est requis.

36.      Plus précisément, il ressort de la décision de renvoi que, en conséquence de la pratique décrite ci-dessus, la juridiction de renvoi ne semble pas en mesure de prendre en compte des faits mentionnés dans les motifs du jugement du 3 novembre 2016 du Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt) qui ont donné lieu à un classement sans suite des poursuites pénales et qui concernent, selon la juridiction de renvoi, premièrement, la circonstance que l’acquisition, par Skiper Hoteli, des biens immobiliers et des parts sociales en cause a été effectuée au moyen des fonds provenant du prêt HR/1061 et, deuxièmement, la circonstance que le prix d’achat était, dans les deux cas, nettement supérieur à la valeur de marché de ces actifs.

37.      Alors que le gouvernement croate et le parquet de Pula soutiennent qu’il devrait être possible de limiter l’examen de cette façon, HS, GR, le gouvernement autrichien et la Commission font valoir le contraire.

38.      Je suis d’accord avec ces dernières parties. Plus précisément, je suis d’accord avec la Commission sur le fait qu’une pratique nationale limitant de la manière susmentionnée l’examen de la question de savoir si la procédure pendante devant une juridiction nationale concerne les mêmes faits que ceux d’une procédure antérieure clôturée par une décision définitive est excessivement restrictive, car elle peut conduire, en substance, à ce que la juridiction nationale méconnaisse l’existence d’une décision définitive adoptée dans un autre État membre pour les mêmes faits.

39.      Bien que ni le libellé de l’article 54 de la CAAS ni celui de l’article 50 de la Charte ne fournissent d’indications spécifiques à cet égard, cette conclusion découle, à mon sens, du contexte pertinent de l’article 54 de la CAAS – lequel se compose d’autres dispositions de cet instrument – et est encore confirmée par les considérations énoncées à l’article 3, paragraphe 2, TUE (9) qui, ainsi que l’a confirmé la Cour, doivent guider l’interprétation de l’article 54 de la CAAS (10).

40.      D’une part, s’agissant du contexte pertinent, l’article 57 de la CAAS prévoit des règles de coopération entre les autorités étatiques respectives en vue d’échanger des informations sur l’éventuelle existence de procédures pénales antérieures, clôturées par une décision définitive.

41.      Plus précisément, l’article 57, paragraphe 1, de la CAAS oblige les autorités à demander, lorsqu’elles l’estiment nécessaire, des informations pertinentes à leurs homologues situés sur le territoire d’une autre Partie Contractante lorsqu’elles ont des raisons de croire que les accusations portées contre une personne donnée concernent « les mêmes faits que ceux pour lesquels la personne a déjà été définitivement jugée par une autre Partie Contractante ». L’article 57, paragraphe 2, de cette convention prévoit une obligation de fournir les informations demandées « aussitôt que possible » et, notamment, de les prendre en considération « pour la suite à réserver à la procédure en cours ».

42.      Compte tenu de la formulation générale de cette disposition, il s’ensuit que les informations qui peuvent être demandées et qui doivent être fournies dans le cadre de ce mécanisme peuvent exister sous différentes formes. Je partage l’avis de la Commission selon lequel, en limitant les informations qu’une juridiction nationale peut prendre en compte à celles figurant dans une partie spécifique d’un acte de procédure, la pratique nationale en cause restreint considérablement, de manière contraire à la formulation générale susmentionnée, l’effet utile de ce mécanisme de coopération. En l’espèce, en recourant à ce mécanisme pour déterminer si les personnes concernées (telles que GR et HS) ont fait l’objet de poursuites pénales définitivement clôturées en Autriche, la pratique nationale susmentionnée est susceptible, en réalité, d’imposer à la juridiction nationale de ne prendre en considération que les informations fournies dans des parties spécifiques d’actes de procédure, à l’exclusion de toute autre information que cette juridiction pourrait recevoir des autorités autrichiennes.

43.      Il convient de rappeler que le droit découlant du principe ne bis in idem est un droit fondamental, consacré à l’article 50 de la Charte (11), ainsi que l’a souligné à juste titre la Commission. La manière concrète de vérifier s’il y a déjà eu une décision définitive pour les mêmes faits matériels doit donc être interprétée de manière à assurer une protection effective de ce droit (12).

44.      D’autre part, la Cour a itérativement jugé que « l’article 54 de la CAAS a pour objectif d’éviter qu’une personne, par le fait d’exercer son droit de libre circulation, ne soit poursuivie pour les mêmes faits sur le territoire de plusieurs États membres » (13). Cela étant dit, la Cour a également ajouté que l’article 54 de la CAAS doit être interprété non seulement à la lumière de la nécessité d’assurer la libre circulation des personnes, mais également au regard de l’impératif de promouvoir la prévention de la criminalité et la lutte contre ce phénomène (14).

45.      Bien que la Cour ait précédemment identifié certaines situations dans lesquelles la protection conférée par le principe ne bis in idem ne pouvait pas être déclenchée, car elle serait susceptible de conduire à de l’impunité (15), la pratique nationale telle que décrite en l’espèce par la juridiction de renvoi peut aboutir à un résultat tout aussi indésirable, bien qu’opposé. En effet, cette pratique est susceptible de conduire à une situation dans laquelle la protection conférée par le principe ne bis in idem sera refusée en raison de considérations de nature purement formaliste, étant donné que l’octroi de cette protection dépendra de la forme juridique sous laquelle les informations relatives à des procédures antérieures sont communiquées, de même que des traditions différentes qui, comme l’ont souligné le gouvernement autrichien et la Commission, peuvent exister dans différents États membres quant à la manière dont ces informations sont transmises. À cet égard, la Cour a confirmé que l’article 54 de la CAAS doit être interprété à la lumière de son objet et de son but, plutôt qu’en considération d’« aspects de procédure ou de pure forme, au demeurant variables selon les États membres concernés » (16).

46.      En outre, en ce qui concerne la pertinence de l’exposé des motifs d’un acte de procédure donné, la Cour a précédemment souligné qu’un tel exposé revêt une importance fondamentale pour vérifier si les faits en cause ont déjà fait l’objet d’une décision définitive – laquelle est, comme je l’ai indiqué, l’une des deux principales conditions pour l’application du principe ne bis in idem (17).

47.      Je ne vois aucune raison justifiant de ne pas attacher la même importance à l’exposé des motifs contenu dans une quelconque décision dès lors qu’il s’agit d’examiner l’autre condition nécessaire à l’application de ce principe, à savoir l’« idem ».

48.      En outre, je ne vois pas pourquoi un tel examen devrait nécessairement se limiter à la prise en considération de l’exposé des motifs, à l’exclusion des informations accessibles à partir d’autres sources. À cet égard, ainsi qu’il a déjà été rappelé au point 45 des présentes conclusions, la forme et le contenu des différents actes susceptibles d’être adoptés dans le cadre d’une procédure pénale donnée diffèrent d’un État membre à un autre. Alors qu’il peut exister dans certains États membres une obligation de mentionner tous les faits matériels concernés par la procédure pénale dans le dispositif de l’acte de procédure concerné, dans d’autres États membres, les informations pertinentes sont susceptibles d’être indiquées dans d’autres parties de cet acte, voire dans un autre acte auquel il peut être fait référence.

49.      Je relève que le gouvernement croate a expliqué que – selon le droit croate – l’effet de l’autorité de la chose jugée ne joue qu’en ce qui concerne le dispositif de l’acte de procédure concerné. À cet égard, je fais observer, premièrement, que, bien que la compréhension des effets de l’autorité de la chose jugée puisse différer en fonction de l’ordre juridique concerné (18), cette compréhension ne saurait, en tout état de cause, avoir d’incidence sur l’interprétation du principe ne bis in idem tel que consacré en droit de l’Union. Deuxièmement, il se peut que l’appréciation du seul dispositif ne suffise tout simplement pas à comprendre l’étendue de l’acte lui-même lorsque les éléments nécessaires à cette fin sont mentionnés dans d’autres parties que le dispositif. À cet égard, le gouvernement autrichien a précisé lors de l’audience que, s’agissant de la présente affaire, l’étendue exacte de la partie de la procédure ayant été classée par le parquet de Klagenfurt doit être établie sur la base de différents actes adoptés au cours de la procédure pénale.

50.      Par conséquent, le fait d’obliger les autorités étatiques à limiter leur examen au dispositif de l’acte de procédure concerné, sans leur octroyer la moindre marge pour tenir compte d’autres approches quant à la description des faits matériels concernés par une procédure pénale pouvant exister dans un autre État membre, est susceptible d’aboutir à la privation effective de la protection conférée par le principe ne bis in idem au seul motif que cette décision a été adoptée dans un autre État membre dans lequel la pratique est différente de celle de l’État membre où est menée la procédure ultérieure.

51.      À cet égard, je suis d’avis que la juridiction de renvoi, qui est chargée de déterminer si le principe ne bis in idem fait obstacle à la procédure pendante devant elle, doit être en mesure de prendre en compte toutes les informations disponibles quant à l’éventuelle procédure pénale antérieure ayant été définitivement clôturée. Je conclus donc que l’article 54 de la CAAS doit être interprété en ce sens que, aux fins d’appliquer le principe ne bis in idem consacré dans cette disposition, il convient de tenir compte de toutes les informations pertinentes concernant les faits matériels visés par une procédure pénale antérieure menée dans un autre État membre et clôturée par une décision définitive et de ne pas se limiter aux faits mentionnés dans certaines parties d’actes de procédure adoptés dans le cadre de cette procédure pénale antérieure, telles que le dispositif d’un acte d’accusation ou d’un jugement.

52.      Cette précision étant faite, je souhaite renvoyer aux remarques détaillées que les parties à la présente procédure ont formulées sur la question de savoir si les deux procédures en cause concernent effectivement les mêmes faits. À cet égard, j’aimerais rappeler brièvement que la condition relative à l’« idem », entendue comme « l’identité des faits matériels », est considérée comme remplie lorsqu’il existe « un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles qui ont conduit à l’acquittement ou à la condamnation définitive de la personne concernée » (19).

53.      Dans ce contexte, je considère qu’il convient de ne pas se concentrer uniquement sur les « faits déterminants » mentionnés dans le libellé de la question préjudicielle, mais plutôt sur tous les faits matériels qui, pour que la condition relative à l’« idem » soit remplie, doivent néanmoins être identiques, et non simplement similaires (20).

54.      Ces remarques étant faites, j’examine à présent brièvement, dans un souci d’exhaustivité, l’élément du principe ne bis in idem qui concerne l’existence d’une « décision définitive ».

2.      Les décisions des procureurs de classer sans suite la procédure

55.      Il n’apparaît pas qu’il soit contesté dans le cadre de la présente procédure que les faits concernés par le jugement définitif du 3 novembre 2016 du Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt) bénéficient de la protection de l’interdiction des doubles poursuites, consacrée à l’article 54 de la CAAS. Toutefois, le même niveau de consensus ne semble pas exister entre les parties en ce qui concerne les faits visés par la partie de la procédure pénale en Autriche que le parquet de Klagenfurt a décidé de classer sans suite en raison d’un manque de preuves. Dans le présent paragraphe, je rappellerai donc brièvement les conditions en vertu desquelles une décision du procureur de classer sans suite la procédure peut être considérée comme définitive au sens de l’article 54 de la CAAS.

56.      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que la protection accordée au titre de l’article 54 de la CAAS est déclenchée non seulement par des décisions juridictionnelles définitives, mais également par certaines décisions des procureurs, même si « de telles décisions [sont] adoptées sans l’intervention d’une juridiction et ne prennent pas la forme d’un jugement » (21).

57.      Pour que cet effet juridique puisse être produit, la décision de classement sans suite doit, d’une part, faire définitivement obstacle, selon le droit national applicable, à l’action publique pour les mêmes faits et, d’autre part, intervenir après une décision ayant statué sur le fond de l’affaire (22).

58.      Tandis que la première condition vise à vérifier si le droit national se rapporte à la décision d’un procureur garantissant que la personne concernée par la procédure pénale ne devra pas à nouveau répondre des mêmes faits (ce qui, en substance, correspond à la garantie nationale du principe ne bis in idem) (23), la seconde condition suppose que la décision de classement sans suite ait été prise après un véritable examen de l’ensemble des preuves disponibles, en l’absence de tout élément de nature à porter atteinte à la confiance mutuelle des États membres dans leurs systèmes respectifs de justice pénale (24).

59.      En l’espèce, le parquet de Klagenfurt a pris la décision de classement partiel de la procédure sur le fondement de l’article 190, paragraphe 2, de la StPO. Il n’apparaît pas tout à fait clairement sous quelle forme cette décision a été rendue. La décision de renvoi mentionne à cet égard une communication des autorités autrichiennes au mandataire ad litem de GR le 9 janvier 2015, selon laquelle ce classement partiel concernait également HS, BB et CC.

60.      Il ressort de la décision de renvoi qu’une décision adoptée sur le fondement de l’article 190, paragraphe 2, de la StPO est, en vertu du droit autrichien, définitive et exclut que les mêmes actes puissent faire l’objet d’une nouvelle procédure. Le gouvernement autrichien a confirmé cette interprétation lors de l’audience, en expliquant que, lorsqu’il adopte une décision au titre de l’article 190, paragraphe 2, de la StPO, le procureur met fin à la procédure, car les éléments de preuve disponibles laissent présager qu’un acquittement ultérieur est plus probable qu’une déclaration de culpabilité. Le gouvernement autrichien a également précisé qu’une telle décision produit l’autorité de la chose jugée et fait obstacle à une nouvelle procédure pour les mêmes faits.

61.      La Commission a émis des doutes à cet égard, en se référant à l’article 193, paragraphe 2, de la StPO, qui permet, semble-t-il, la poursuite de la procédure lorsque la personne concernée n’a pas été entendue et qu’aucune mesure de coercition n’a été adoptée à son encontre, ou lorsque de nouveaux éléments sont apparus. En raison de l’absence d’informations dans le dossier de la présente affaire, la Commission estime néanmoins qu’il ne saurait être pris position sur la question de savoir si cette possibilité fait ou non obstacle à ce que la décision en cause soit considérée comme « définitive » au sens de l’article 54 de la CAAS.

62.      De manière similaire à ce que fait observer la Commission, je ne peux que renvoyer à la déclaration susmentionnée du gouvernement autrichien, confirmant le caractère définitif d’une décision adoptée sur le fondement de l’article 190, paragraphe 2, de la StPO, et attirer l’attention de la juridiction de renvoi sur le mécanisme de coopération prévu à l’article 57 de la CAAS (25). La question de la qualification de la décision en cause doit néanmoins, et en tout état de cause, être distinguée de la question de savoir si cette décision a été adoptée à la suite d’une appréciation du fond de l’affaire. Il ressort du dossier que la procédure a été classée sans suite essentiellement du fait de l’absence de preuves de l’existence d’un comportement passible de sanctions pénales. À défaut d’informations plus détaillées, j’estime qu’il n’est pas possible de fournir des indications supplémentaires à la juridiction de renvoi au-delà des éléments essentiels de la jurisprudence de la Cour, déjà rappelée ci-dessus, qui clarifient les conditions en vertu desquelles une décision d’un procureur de classer sans suite la procédure peut déclencher la protection conférée par le principe ne bis in idem.

V.      Conclusion

63.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit au Županijski sud u Puli-Pola (tribunal de comitat de Pula, Croatie) :

L’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes,

doit être interprété

en ce sens que, aux fins d’appliquer le principe ne bis in idem consacré dans cette disposition, il convient de tenir compte de toutes les informations pertinentes concernant les faits matériels visés par une procédure pénale antérieure menée dans un autre État membre et clôturée par une décision définitive et de ne pas se limiter aux faits mentionnés dans certaines parties d’actes de procédure adoptés dans le cadre de cette procédure pénale antérieure, telles que le dispositif d’un acte d’accusation ou d’un jugement.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19).


3      Narodne novine, br. 56/90, 135/97, 08/98, 113/00, 124/00, 28/01, 41/01, 55/01, 76/10, 85/10, 05/14.


4      Narodne novine, br. 152/08, 76/09, 80/11, 121/11 – version consolidée, 91/12 – arrêt de l’Ustavni sud (Cour constitutionnelle, Croatie), 143/12, 56/13, 145/13, 152/14, 70/17 et 126/19.


5      Voir, notamment, arrêt du 16 juillet 1998, Dumon et Froment (C‑235/95, EU:C:1998:365, point 25 et jurisprudence citée).


6      Voir, par exemple, arrêt du 29 juin 2016, Kossowski (C‑486/14, ci-après « arrêt Kossowski », EU:C:2016:483, point 31 et jurisprudence citée).


7      Cette condition est entendue comme, en résumé, l’identité des faits matériels, quelle que soit leur qualification juridique en vertu du droit national. Voir, par exemple, arrêts du 18 juillet 2007, Kraaijenbrink (C‑367/05, EU:C:2007:444, point 26 et jurisprudence citée), et du 16 novembre 2010, Mantello (C‑261/09, EU:C:2010:683, point 39). Dans le contexte de l’article 50 de la Charte, voir, notamment, arrêt du 22 mars 2022, bpost (C‑117/20, ci-après l’« arrêt bpost », EU:C:2022:202, points 33 et 34, et jurisprudence citée, S’agissant des termes « faits [acts] » (expressément mentionné dans l’article 54 de la CAAS) et « faits [facts] » (utilisé notamment dans le libellé de la question préjudicielle dans la présente affaire), voir conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Nordzucker e.a . (C‑151/20, EU:C:2021:681, note de bas de page 17).


8      La conformité de cette condition à l’article 50 de la Charte était en cause dans l’arrêt du 27 mai 2014, Spasic (C‑129/14 PPU, EU:C:2014:586).


9      Cette disposition énonce que « [l]’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène » (mise en italique par mes soins).


10      Arrêt Kossowski, point 46.


11      Voir également, à cet égard, conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Mantello (C‑261/09, EU:C:2010:501, points 9, 76, 86) en lien avec l’article 3, point 2, de la décision‑cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1). Cette disposition prévoit un motif obligatoire de refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen s’il en résultait une violation du principe ne bis in idem.


12      S’agissant d’un élément relatif au contexte externe, je relève qu’aucune limite quant à la forme sous laquelle l’information est donnée n’est prévue dans la décision-cadre 2009/948/JAI du Conseil, du 30 novembre 2009, relative à la prévention et au règlement des conflits en matière d’exercice de la compétence dans le cadre des procédures pénales (JO 2009, L 328, p. 42). L’objectif déclaré de cet instrument est d’éviter que ne soient rendus « des jugements définitifs dans deux États membres ou plus, constituant ainsi une violation du principe “non bis in idem” », comme cela est exposé à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), de la décision‑cadre 2009/948.


13      Arrêt Kossowski, point 44 et jurisprudence citée. Voir également arrêts du 11 février 2003, Gözütok et Brügge (C‑187/01 et C‑385/01, EU:C:2003:87, point 38), et du 10 mars 2005, Miraglia (C‑469/03, ci-après l’« arrêt Miraglia », EU:C:2005:156, point 32).


14      Ces deux nécessités étant soulignées à l’article 3, paragraphe 2, TUE, cité dans la note de bas de page 10 des présentes conclusions. Voir, également, arrêt Kossowski, points 46 et 49.


15      Telle que la situation dans l’affaire Kossowski, dans laquelle une véritable enquête faisait défaut, ou dans l’affaire Miraglia, dans laquelle la procédure a été clôturée uniquement parce qu’une procédure pour les mêmes faits était pendante dans un autre État membre. Voir arrêt Kossowski, points 46 et 49, et arrêt Miraglia, point 33.


16      Arrêt du 11 février 2003, Gözütok et Brügge (C‑187/01 et C‑385/01, EU:C:2003:87, point 35), et arrêt Miraglia, point 31.


17      En effet, ainsi que l’a relevé à juste titre le gouvernement autrichien, la Cour devait déterminer dans l’affaire Kossowski, si une décision du procureur, adoptée après un examen relativement superficiel des éléments de preuve, pouvait être considérée comme « définitive » au sens de l’article 54 de la CAAS. J’aborderai cet aspect plus en détail dans la partie suivante des présentes conclusions. Néanmoins, à ce stade, je tiens à souligner que la Cour a fait référence à l’exposé des motifs de cette décision en tant que source principale d’informations à consulter pour établir si la décision de classer sans suite les poursuites pénales a été prise à la suite d’une appréciation du fond de l’affaire (arrêt Kossowski, points 53 et 54, et dispositif). Une telle appréciation est, comme je l’expliquerai plus en détail ci-après, l’une des deux principales conditions permettant de considérer une décision d’un procureur de classer sans suite les poursuites pénales comme définitive.


18      La Cour a jugé, dans des affaires impliquant des décisions de juridictions de l’Union, que l’« autorité [de la chose jugée] ne s’attache pas qu’au dispositif de cette décision [juridictionnelle], mais s’étend aux motifs de celle-ci qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et en sont, de ce fait, indissociables » [arrêt du 19 avril 2012, Artegodan/Commission (C‑221/10 P, EU:C:2012:216, point 87 et jurisprudence citée)]. Voir également arrêt du 2 mars 2022, Fabryki Mebli « Forte »/EUIPO – Bog-Fran (Meuble) (T‑1/21, non publié, EU:T:2022:108, point 26 et jurisprudence citée).


19      Arrêt bpost, point 37 et jurisprudence citée. La Cour a ainsi légèrement reformulé le critère utilisé précédemment en se référant à « un ensemble de faits indissociablement liés dans le temps, dans l’espace ainsi que par leur objet ». Voir, par exemple, arrêt du 18 juillet 2007, Kraaijenbrink (C‑367/05, EU:C:2007:444, point 27 et jurisprudence citée).


20      Arrêt bpost, point 36, indiquant que « la condition “idem” requiert que les faits matériels soient identiques. En revanche, le principe ne bis in idem n’a pas vocation à s’appliquer lorsque les faits en cause sont non pas identiques, mais seulement similaires ». Dans le même ordre d’idées, il a été relevé qu’il en va « [n]aturellement sous la réserve qu’il puisse arriver que la procédure ultérieure ne concerne qu’une partie des faits (matériellement ou chronologiquement) qui ont fait l’objet de la procédure antérieure. Toutefois, on retiendra que, dans la mesure où les deux ensembles de faits se recoupent, ils doivent être identiques là où ils se recoupent » [conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire bpost (C‑117/20, EU:C:2021:680, point 135)].


21      Arrêt Kossowski, point 39 et jurisprudence citée. La Cour européenne des droits de l’homme est parvenue à la même conclusion. Cour EDH, 8 juillet 2019, Mihalache c. Roumanie, CE:ECHR:2019:0708JUD005401210, §§ 94 et 95.


22      Voir arrêt Kossowski, points 34 et 42, et jurisprudence citée.


23      Ainsi que la Cour l’a jugé pour la première fois dans l’arrêt du 22 décembre 2008, Turanský (C‑491/07, EU:C:2008:768, points 35 et 36). Voir également arrêt du 5 juin 2014, M (C‑398/12, ci-après l’« arrêt M », EU:C:2014:1057, points 31 et 32), et arrêt Kossowski, point 35.


24      Ce qui peut avoir lieu en l’absence d’une « instruction approfondie », telle que décrite dans les circonstances de l’affaire à l’origine de l’arrêt Kossowski, points 48 à 53. Dans le même ordre d’idées, la protection conférée par le principe ne bis in idem n’est pas déclenchée si la décision de clôture de la procédure pénale a été rendue au motif que la procédure de poursuites pénales a débuté dans un autre État membre. Voir arrêt Miraglia, points 30 à 33.


25      Je fais observer que la Cour a conclu dans l’arrêt M que la possibilité de rouvrir une procédure sur la base de nouveaux éléments de preuve, telle que prévue par le droit belge, n’affectait pas le caractère définitif de la décision judiciaire de « non‑lieu » par laquelle le juge belge a décidé de ne pas renvoyer en jugement la personne concernée par la procédure pénale. Arrêt M, points 38 à 40. Je relève qu’une décision adoptée sur le fondement de l’article 190 de la StPO semble également être en cause dans l’affaire pendante C‑147/22, Központi Nyomozó Főügyészség.