ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
25 juin 1998 (1)
«Aide d'État Transports aériens Compagnie aérienne en situation de crise
financière Autorisation d'une augmentation de capital»
Dans les affaires jointes T-371/94 et T-394/94,
British Airways plc, société de droit anglais, établie à Hounslow (Royaume-Uni),
Scandinavian Airlines System Denmark-Norway-Sweden, société de droit danois,
de droit norvégien et de droit suédois, établie à Stockholm,
Koninklijke Luchtvaart Maatschappij NV, société de droit néerlandais, établie à
Amstelveen (Pays-Bas),
Air UK Ltd, société de droit anglais, établie à Stansted (Royaume-Uni),
Euralair international, société de droit français, établie à Bonneuil (France),
TAT European Airlines, société de droit français, établie à Tours (France),
représentées par M. Romano Subiotto, solicitor, ayant élu domicile à Luxembourg
en l'étude de Mes Elvinger, Hoss et Prussen, 15, Côte d'Eich,
parties requérantes dans l'affaire T-371/94,
et
British Midland Airways Ltd, société de droit anglais, établie à Castle Donington
(Royaume-Uni), représentée par M. Kevin F. Bodley, solicitor, et Me Konstantinos
Adamantopoulos, avocat au barreau d'Athènes, ayant élu domicile à Luxembourg
en l'étude de Me Arsène Kronshagen, 12, boulevard de la Foire,
partie requérante dans l'affaire T-394/94,
soutenues par
Royaume de Suède, représenté par M. Staffan Sandström, en qualité d'agent,
Royaume de Norvège, représenté par Mme Margit Tveiten, en qualité d'agent, ayant
élu domicile à Luxembourg au siège du consulat royal de Norvège, 3, boulevard
Royal,
Maersk Air I/S, société de droit danois, établie à Dragøer (Danemark),
et
Maersk Air Ltd, société de droit anglais, établie à Birmingham (Royaume-Uni),
représentées par MM. Roderic O'Sullivan et Philip Wareham, solicitors, ayant élu
domicile à Luxembourg en l'étude de Mes Arendt et Medernach, 8-10, rue Mathias
Hardt,
parties intervenantes dans l'affaire T-371/94,
Royaume de Danemark, représenté par M. Peter Biering, chef de division au
ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, ayant élu domicile à
Luxembourg au siège de l'ambassade du Danemark, 4, boulevard Royal,
et
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par M. John
E. Collins, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, et M. Richard
Plender, QC, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade du
Royaume-Uni, 14, boulevard Roosevelt,
parties intervenantes dans les deux affaires,
contre
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Nicholas Khan
et Ben Smulders, membres du service juridique, en qualité d'agents, assistés de
Me Ami Barav, barrister, du barreau d'Angleterre et du pays de Galles, et avocat
au barreau de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez
de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,
soutenue par
République française, représentée par M. Marc Perrin de Brichambaut, directeur
des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères, Mmes Edwige Belliard,
Catherine de Salins et M. Jean-Marc Belorgey, respectivement directeur adjoint,
sous-directeur et chargé de mission à la direction des affaires juridiques du même
ministère, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de
l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,
et
Compagnie nationale Air France, société de droit français, établie à Paris,
représentée par Me Olivier d'Ormesson, avocat au barreau de Paris, ayant élu
domicile à Luxembourg en l'étude de Me Jacques Loesch, 11, rue Goethe,
ayant pour objet une demande d'annulation de la décision 94/653/CE de la
Commission, du 27 juillet 1994, concernant l'augmentation de capital notifiée d'Air
France (JO L 254, p. 73),
LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),
composé de MM. C. W. Bellamy, président, K. Lenaerts, C. P. Briët,
A. Kalogeropoulos et A. Potocki, juges,
greffier: M. J. Palacio González, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale des 6 et 7 mai 1997,
rend le présent
Arrêt
Faits à l'origine des recours et procédures
Procédure administrative
- 1.
- Par lettre du 18 mars 1994, les autorités françaises ont informé la Commission,
conformément à l'article 93, paragraphe 3, du traité CE, de leur intention d'injecter
20 milliards de FF dans le capital de la Compagnie nationale Air France (ci-après
«Air France»). A cette notification était joint un plan de restructuration intitulé
«Projet pour l'entreprise» (ci-après «projet»).
- 2.
- A la suite d'une réunion organisée avec des représentants d'Air France et du
gouvernement français, ainsi que de la correspondance échangée avec ces derniers,
la Commission a ouvert la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité. Elle
en a informé les autorités françaises par une lettre du 30 mai 1994, qui a fait
l'objet, le 3 juin 1994, d'une communication publiée au Journal officiel des
Communautés européennes (JO C 152, p. 2, ci-après «communication du 3 juin
1994»).
- 3.
- Dans cette communication, la Commission a estimé que l'augmentation de capital
envisagée constituait une aide d'État, tout en relevant qu'elle devait examiner si
le projet d'aide affecterait les échanges dans une mesure contraire à l'intérêt
commun. A cet égard, la Commission a considéré notamment:
que la réalité économique commande de prendre en considération la
situation et les perspectives économiques de l'ensemble du groupe Air
France;
qu'elle doit examiner les effets de l'aide sur la situation concurrentielle d'Air
France sur les liaisons internationales et intérieures, sur lesquelles Air
France doit affronter la concurrence d'autres transporteurs européens.
- 4.
- Par la suite, les autorités françaises ont envoyé à la Commission une série de lettres
et ont participé avec des représentants d'Air France à plusieurs réunions organisées
par la Commission. Jusqu'au 4 juillet 1994, la Commission a reçu les observations
de 23 parties intéressées, parmi lesquelles figuraient le royaume de Danemark, le
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, le royaume de Suède, le
royaume de Norvège, l'Association des compagnies aériennes de la Communauté
européenne (ci-après «ACE») et un grand nombre de compagnies aériennes
européennes, dont les requérantes.
- 5.
- La plupart des parties intéressées ont partagé les doutes de la Commission quant
à la licéité de l'aide en question. Parmi leurs principales objections figuraient
notamment les éléments suivants:
l'aide bénéficierait non seulement à Air France, mais également à
l'ensemble du groupe;
l'aide se traduirait par une surcapitalisation du groupe Air France;
l'achat de 17 nouveaux avions au prix de 11,5 milliards de FF serait
inacceptable;
l'évaluation de la compatibilité de l'aide avec le marché commun ne devrait
pas se faire sous le seul angle de l'évolution de son bénéficiaire;
en cas d'autorisation de l'aide, une réduction énorme des capacités d'Air
France devrait être imposée.
- 6.
- Les commentaires des parties intéressées ont été communiqués aux autorités
françaises, qui y ont répondu par lettre transmise le 13 juillet 1994 aux services
compétents de la Commission. Le 14 juillet 1994, le Premier ministre français a
adressé au membre compétent de la Commission une lettre exposant les
engagements que prendrait son gouvernement en cas d'approbation du projet. Le
18 juillet 1994, deux engagements supplémentaires du gouvernement français ont
été transmis. Enfin, le 26 juillet 1994, les autorités françaises ont fait parvenir à la
Commission un complément d'information.
Décision attaquée
- 7.
- Le 27 juillet 1994, la Commission a adopté la décision 94/653/CE, concernant
l'augmentation de capital notifiée d'Air France (JO L 254, p. 73, ci-après «décision
attaquée»), qui peut être résumée comme suit.
- 8.
- Après avoir décrit la structure du groupe Air France (actif dans le transport aérien,
l'hôtellerie, le tourisme, la restauration, la maintenance et la formation des pilotes),
la Commission relève que ce groupe est, avec British Airways et Lufthansa, l'un des
trois grands transporteurs aériens européens. Depuis le début de l'année 1990, il
poursuivrait une politique d'acquisition de participations dans d'autres compagnies
aériennes (UTA, Air Inter, Sabena et CSA), visant notamment à consolider son
influence sur le marché intérieur et à affronter la concurrence sur les liaisons
internationales. Le groupe Air France se serait lancé dans un programme de
modernisation et d'expansion de sa flotte financé par des emprunts, dont les
charges financières auraient grevé le résultat final du groupe se soldant par une
première perte de 717,2 millions de FF en 1990. Face à cette situation, le groupe
Air France aurait adopté plusieurs plans de restructuration qui auraient pourtant
tous échoué.
- 9.
- En résumé, la Commission constate que le groupe Air France traverse une très
grave crise économique et financière: après avoir subi une perte de 3,2 milliards
de FF en 1992, il aurait enregistré, en 1993, le quatrième résultat annuel négatif
consécutif, qui se serait élevé à 8,4 milliards de FF. Au cours des trois dernières
années, la situation du groupe n'aurait cessé de se détériorer. Le fossé entre le
groupe Air France et ses concurrents se serait encore creusé en raison des mauvais
résultats de 1993, qui s'expliqueraient principalement par une faible productivité
et par des coûts d'exploitation élevés, ainsi que par les lourdes charges financières
supportées.
- 10.
- La Commission décrit ensuite les lignes du projet destiné à «faire d'Air France une
véritable entreprise», cet objectif devant être atteint durant la période comprise
entre le 1er janvier 1994 et le 31 décembre 1996, et cela grâce à une réduction des
coûts et des frais financiers, une modification de la conception des produits et une
meilleure utilisation des moyens, une réorganisation de la compagnie ainsi qu'une
participation des salariés.
- 11.
- Dans ce contexte, la Commission expose notamment que le nombre d'avions
livrables durant la période de restructuration sera ramené de 22 à 17 et que
l'investissement correspondant s'établira ainsi à 11,5 milliards de FF. La flotte en
exploitation (145 avions) ne serait augmentée que d'un seul appareil; le nombre de
sièges offerts serait légèrement diminué. Air France rationaliserait, en outre, sa
flotte en faisant disparaître un certain nombre d'appareils. En effet, l'hétérogénéité
de sa flotte (24 types ou versions différents) serait l'un des facteurs
d'alourdissement de ses coûts d'exploitation. En plus, Air France simplifierait son
réseau, augmenterait les fréquences sur les liaisons rentables, développerait les vols
long-courriers, abandonnerait les liaisons marginales et se recentrerait sur les
liaisons présentant de bonnes perspectives de croissance. Sur le plan social, le
projet envisagerait notamment la réduction des effectifs de 5 000 personnes, le gel
des salaires (sous réserve d'un réexamen) et un blocage des avancements. En outre,Air France serait restructurée en onze centres opérationnels responsables de leurs
résultats financiers, chaque centre étant doté de moyens propres. La mise en
oeuvre du projet serait financée par l'augmentation de capital et la cession d'actifs
hors métiers de base.
- 12.
- La Commission relève que, au cours de ses négociations avec le gouvernement
français, ce dernier a formulé une série d'engagements concernant la mise en
oeuvre du projet et l'utilisation du capital octroyé à Air France, l'injection de
capital étant prévue en trois tranches: 10 milliards de FF en 1994, 5 milliards de
FF en 1995 et 5 milliards de FF en 1996. Ces engagements sont repris, sous forme
de conditions, dans le dispositif de la décision attaquée.
- 13.
- Sur la base des éléments qui précèdent, la Commission estime que l'injection de
capital en question constitue une aide d'État au sens de l'article 92, paragraphe 1,
du traité et de l'article 61, paragraphe 1, de l'accord sur l'Espace économique
européen (ci-après «accord EEE»), laquelle, eu égard au vaste réseau européen
d'Air France et à la vive concurrence qui sévit sur la plupart des liaisons qu'elle
dessert, fausse le jeu de la concurrence dans l'EEE. Par ailleurs, l'aide affecterait
les échanges entre les pays de l'EEE, étant donné que l'aviation civile est un
secteur d'activités à caractère international.
- 14.
- Après avoir exclu l'application d'autres dispositions dérogatoires du traité et de
l'accord EEE, la Commission vérifie dans quelle mesure il est satisfait aux critères
fixés par l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité et l'article 61, paragraphe 3,
sous c), de l'accord EEE.
- 15.
- En examinant la situation actuelle de l'aviation civile, la Commission estime que ce
secteur semble avoir surmonté la crise économique sévissant depuis 1990. Malgré
des résultats positifs (croissance du trafic passagers), certaines compagnies
aériennes européennes continueraient cependant à perdre de l'argent, et cela en
raison des surcapacités existant sur le marché. Toutefois, les perspectives pour le
secteur de l'aviation européenne resteraient assez favorables à moyen terme.
Compte tenu de ces prévisions, la surcapacité ne devrait être qu'un phénomène
temporaire. En conséquence, la Commission estime que le marché n'est pas touché
par une crise structurelle de surcapacité et que la situation du secteur de l'aviation
ne justifie pas une réduction globale des capacités.
- 16.
- Après avoir évalué le projet, la Commission considère que ce dernier est de nature
à restaurer la viabilité économique et financière d'Air France et qu'une véritable
restructuration de la compagnie contribuera au développement du transport aérien
européen en améliorant sa compétitivité; elle serait donc conforme à l'intérêt
commun. Dans ce contexte, une note en bas de page renvoie au programme
d'action de la Commission «L'aviation civile européenne vers des horizons
meilleurs» [COM (94) 218].
- 17.
- En vérifiant si l'aide envisagée est proportionnée aux besoins de restructuration
d'Air France, la Commission estime que cette mesure est à la fois nécessaire et
appropriée pour donner à la compagnie les moyens de mener à bien son plan de
restructuration et de retrouver sa viabilité. A cet égard, la Commission examine les
différents instruments financiers émis par Air France entre 1989 et 1993, pour en
conclure que le ratio d'endettement (dette/capitaux propres) sera de 1,12:1 à la fin
de 1996. En effet, la structure du bilan du groupe Air France se présenterait
comme suit: capitaux propres = 18,65 milliards de FF et dette = 20,85 milliards
de FF. Ce ratio serait supérieur au ratio moyen de l'aviation civile où le chiffre de
1,5:1 serait considéré comme acceptable. La Commission explique ensuite que, si
l'on fait abstraction de l'aide, Air France peut notamment, afin d'améliorer elle-même sa situation financière, différer ses commandes d'avions et vendre des actifs.
Quant à la première possibilité, la Commission souligne qu'Air France a déjà
différé certaines commandes; de nouveaux reports feraient monter l'âge moyen de
la flotte à plus de dix ans, âge trop élevé pour une compagnie qui cherche à
retrouver toute sa vigueur concurrentielle. Pour ce qui est de la vente des actifs, la
Commission relève qu'il n'y en a qu'un petit nombre qui pourraient dégager des
sommes suffisantes, comme Méridien, Sabena et Air Inter. Sabena et Air Inter
seraient deux éléments constitutifs importants de l'activité aérienne d'Air France.
La vente des actifs restants ferait déjà partie du projet et ne devrait, par ailleurs,
pas se traduire par une réduction significative du montant de l'aide.
- 18.
- En vérifiant si l'aide n'affecte pas les conditions des échanges dans une mesure
contraire à l'intérêt commun, la Commission renvoie aux engagements que le
gouvernement français a pris au cours de la procédure administrative notamment
celui de faire d'Air France le seul bénéficiaire de l'aide pour en conclure que ces
engagements atténuent ses préoccupations quant aux effets de l'aide, parce qu'ils
empêchent virtuellement Air France d'utiliser l'aide pour subventionner les activités
d'Air Inter. La Commission aurait donc limité l'analyse des effets de l'aide sur les
échanges à Air France, qui en est le véritable bénéficiaire.
- 19.
- La Commission considère que ces engagements limitent très sévèrement la liberté
dont Air France dispose en matière de capacité, d'offre et de fixation des prix et
l'empêchent de mener une politique tarifaire agressive sur toutes les liaisons qu'elle
exploite à l'intérieur de l'EEE. Par ailleurs, au cours des quatre premiers mois de
1994, Air France aurait déjà réduit son offre européenne de 6,4 % par rapport à
la période correspondante de l'année 1993, alors que l'offre de toutes les
compagnies européennes aurait augmenté en moyenne de 3,8 %. En limitant l'offre
d'Air France en deçà de la croissance du marché, sa part de marché dans l'EEE
se restreindrait au profit de ses concurrents. De la sorte, l'aide n'affecterait pas les
échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.
- 20.
- La Commission souligne que, aux fins de l'analyse des effets de l'aide dans l'EEE,
elle doit également tenir compte de la libéralisation accrue des transports aériens
dans la Communauté à la suite de l'adoption en 1992 de plusieurs règlements du
Conseil, appelés «troisième paquet». Dans ce contexte, elle estime que la
suppression des contraintes mettant Air France à l'abri de la concurrence constitue
une compensation appropriée, justifiant l'octroi d'une aide compatible avec l'intérêt
commun.
- 21.
- Elle considère enfin que les effets négatifs de l'aide ne sont pas amplifiés par
l'exploitation de droits exclusifs ou l'application d'un traitement de faveur réservé
à Air France, étant donné que les autorités françaises se sont engagées à modifier
les règles de distribution du trafic appliquées au système aéroportuaire parisien, de
manière à les rendre non discriminatoires, d'une part, et à veiller à ce que les
travaux d'aménagement des deux aérogares Orly-Sud et Orly-Ouest n'altèrent pas
les conditions de concurrence au détriment des compagnies aériennes desservant
l'aéroport d'Orly, d'autre part. La Commission rappelle, en outre, avoir adopté, le
27 avril 1994, une décision obligeant la France à autoriser les transporteurs de la
Communauté à exercer leurs droits de trafic sur les liaisons entre Paris (Orly) et
Toulouse, ainsi qu'entre Paris (Orly) et Marseille à compter du 27 octobre 1994 au
plus tard.
- 22.
- En définitive, la Commission estime que l'ensemble des engagements pris par les
autorités françaises répond aux préoccupations qu'elle a exprimées lors de
l'ouverture de la procédure administrative.
- 23.
- Aux termes de l'article 1er de la décision attaquée, l'aide à octroyer à Air France
durant la période de 1994 à 1996, sous forme d'une augmentation de capital de 20
milliards de FF, payable en trois tranches, et visant à assurer sa restructuration
conformément aux dispositions du projet, est compatible avec le marché commun
et l'accord EEE en vertu de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité et de
l'article 61, paragraphe 3, sous c), de l'accord EEE, à condition que les autorités
françaises respectent seize engagements faisant partie dudit article 1er.
- 24.
- L'article 2 de la décision attaquée subordonne le versement des deuxième et
troisième tranches de l'aide au respect de ces engagements et à la réalisation
effective du projet, ainsi que des résultats y prévus, afin d'assurer que le montant
de l'aide demeure compatible avec le marché commun. Il est enjoint au
gouvernement français de soumettre à la Commission, avant la libération des
deuxième et troisième tranches d'aide en 1995 et 1996, un rapport sur l'avancement
du programme de restructuration et sur la situation économique et financière d'Air
France, la Commission confiant à des consultants indépendants la vérification de
la bonne mise en oeuvre du plan ainsi que de la réalisation des conditions liées à
l'approbation de l'aide.
Procédures juridictionnelles
- 25.
- C'est dans ces circonstances que les requérantes ont introduit les présents recours,
enregistrés au greffe du Tribunal respectivement les 21 novembre et
22 décembre 1994.
- 26.
- Les procédures écrites ont suivi un cours régulier.
- 27.
- Par ordonnances du président de la première chambre élargie du Tribunal des 10
mars, 8 mai et 12 juin 1995, le royaume de Danemark, le Royaume-Uni, le
royaume de Suède, le royaume de Norvège, Maersk Air I/S et Maersk Air Ltd (ci-après «sociétés Maersk» ou «Maersk») ont été admis à intervenir au soutien des
conclusions des requérantes respectives.
- 28.
- Par ordonnances du président de la première chambre élargie du Tribunal, du 12
juin 1995, la République française a été admise à intervenir au soutien des
conclusions de la défenderesse.
- 29.
- Par ordonnances du Tribunal (première chambre élargie) du 12 juin 1995, Air
France a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la défenderesse et
autorisée à plaider en langue française lors des procédures orales.
- 30.
- Par décision du Tribunal, le juge rapporteur a été affecté à la deuxième chambre
élargie, à laquelle les affaires ont, par conséquent, été attribuées.
- 31.
- Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé
d'ouvrir les procédures orales sans procéder à des mesures d'instruction préalables.
Il a toutefois invité les parties à approfondir leurs plaidoiries sur plusieurs points.
- 32.
- Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux
questions du Tribunal, lors de l'audience qui s'est déroulée les 6 et 7 mai 1997.
- 33.
- A cette occasion, le Tribunal a pris une mesure d'organisation de la procédure au
titre de l'article 64 de son règlement de procédure en invitant les requérantes ainsi
que les parties intervenues au soutien de leurs conclusions à déposer au greffe les
observations qu'elles avaient introduites auprès de la Commission lors de la
procédure administrative, pour autant qu'elles n'aient pas encore été versées au
dossier. A la suite de cette mesure, les observations de British Airways plc (ci-après
«British Airways»), de TAT European Airlines (ci-après «TAT»), de Scandinavian
Airlines System Denmark-Norway-Sweden (ci-après «SAS»), d'Euralair
international (ci-après «Euralair») et d'Air UK Ltd (ci-après «Air UK») ont été
déposées au greffe le 8 mai 1997, celles formulées par le royaume de Danemark,
le Royaume-Uni, le royaume de Suède et le royaume de Norvège ayant déjà été
déposées lors de l'audience.
- 34.
- Les parties entendues sur ce point à l'audience, et en l'absence d'objection de leur
part à cet égard, le Tribunal (deuxième chambre élargie) estime qu'il y a lieu de
joindre les deux affaires aux fins de l'arrêt.
Conclusions des parties
- 35.
- Les requérantes concluent, dans les deux affaires, à ce qu'il plaise au Tribunal:
annuler la décision attaquée;
condamner la Commission aux dépens.
La requérante dans l'affaire T-394/94 demande, en outre, au Tribunal d'ordonner
des mesures d'organisation de la procédure et des mesures d'instruction,
conformément aux articles 64 et 65 du règlement de procédure, et d'exiger la
production de tous les dossiers et documents pertinents dont dispose la
Commission.
- 36.
- Le Royaume-Uni conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
annuler la décision attaquée;
condamner la Commission aux dépens, y compris ceux du Royaume-Uni.
- 37.
- Le royaume de Danemark, le royaume de Suède et le royaume de Norvège
concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
annuler la décision attaquée.
- 38.
- Les sociétés Maersk concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:
annuler la décision attaquée;
condamner la Commission aux dépens de leur intervention, pour autant
qu'il appartienne au Tribunal de statuer à cet égard.
- 39.
- La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
rejeter les recours;
condamner les requérantes aux dépens;
condamner le royaume de Danemark, le Royaume-Uni, le royaume de
Suède, le royaume de Norvège et les sociétés Maersk à supporter une partie
des dépens de la Commission.
- 40.
- La République française conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
rejeter les recours.
- 41.
- La société Air France conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:
rejeter les recours;
condamner les requérantes aux dépens, y compris ceux supportés par Air
France.
Sur le fond
- 42.
- A l'appui de leur recours, les requérantes soulèvent plusieurs moyens, qui peuvent
faire l'objet d'un regroupement. Dans le cadre du premier groupe de moyens (I),
elles reprochent à la Commission, d'une part, d'avoir violé les règles relatives à la
procédure administrative prévue par l'article 93, paragraphe 2, du traité, en
négligeant de recueillir des informations suffisantes et/ou de fournir aux intéressés,
dont les requérantes, des informations suffisantes pour leur permettre d'être
loyalement entendues et d'exercer effectivement les droits que leur confèrent les
articles 93, paragraphe 2, du traité et 62, paragraphe 1, sous a), de l'accord EEE.
Elles lui font grief, d'autre part, de ne pas avoir eu recours à des experts
indépendants pour évaluer la compatibilité de l'aide litigieuse avec les articles 92,
paragraphe 3, sous c), du traité et 61, paragraphe 3, sous c), de l'accord EEE et
de ne pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pour vérifier l'exactitude des
renseignements fournis par les autorités françaises et par Air France.
- 43.
- Dans le cadre du second groupe de moyens (II), les requérantes reprochent à la
Commission d'avoir commis plusieurs erreurs dans l'application de l'article 92,
paragraphe 3, sous c), du traité et de l'article 61, paragraphe 3, sous c), de l'accord
EEE. Dans ce contexte, il est fait grief à la Commission, tout d'abord, d'avoir violé
le principe de proportionnalité applicable en matière d'aides d'État, en ayant,
premièrement, autorisé, à tort, l'achat par Air France de 17 nouveaux avions (A),
deuxièmement, autorisé, à tort, le financement de frais d'exploitation et de mesures
opérationnelles d'Air France (B), troisièmement, opéré une classification erronée
des titres émis par Air France entre 1989 et 1993 (C), quatrièmement, méconnu
le ratio d'endettement d'Air France (D) et en s'étant, cinquièmement, abstenu à
tort d'exiger la vente de certains actifs d'Air France susceptibles d'être aliénés (E).
En outre, les requérantes reprochent à la Commission d'avoir considéré, à tort, que
l'aide était destinée à faciliter le développement d'une activité économique sans
altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.
Dans ce contexte, leurs critiques sont notamment dirigées contre douze des seize
conditions dont la décision autorisant l'aide a été assortie. Les requérantes
remettent en question, enfin, sous divers aspects, le caractère approprié du plan de
restructuration d'Air France et reprochent à la Commission d'avoir conclu, à tort,
que ce plan était de nature à rétablir la viabilité économique d'Air France. Dans
le cadre de ces différents griefs, les requérantes reprochent également à la
Commission d'avoir insuffisamment motivé la décision attaquée. Par un dernier
moyen, la requérante dans l'affaire T-394/94, British Midland Airways Ltd (ci-après
«British Midland») excipe d'une violation de l'article 155 du traité.
I Sur les moyens tirés du déroulement incorrect de la procédure administrative
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
- 44.
- La requérante dans l'affaire T-394/94 fait valoir, en substance, que la procédure
administrative organisée par l'article 93, paragraphe 2, du traité revêt un caractère
contradictoire et que la Commission doit, dès lors, fournir aux parties intéressées
des informations suffisantes pour leur permettre d'apprécier pleinement l'effet
potentiel d'une aide à leur égard. En l'espèce, la communication de la Commission
du 3 juin 1994 aurait été insuffisante. En particulier, la Commission
n'aurait pas expliqué le calcul des 20 milliards de FF,
n'aurait pas indiqué, en ce qui concerne l'acquisition de 17 nouveaux avions,
quels types d'appareils seraient acquis ni de quels types d'appareils la flotte
se composerait,
n'aurait pas fourni le texte du plan de restructuration,
n'aurait pas expliqué sur quoi se fondait le calcul d'un accroissement de la
productivité d'Air France de 30 ou de 33,3 %,
n'aurait pas indiqué quel était le coût des départs volontaires proposés,
n'aurait donné aucun détail concernant les actifs d'Air France, ni fourni de
ventilation des actifs liés aux métiers de base et des actifs hors métiers de
base,
n'aurait fourni aucune évaluation de la valeur de la chaîne d'hôtels
Méridien,
n'aurait donné aucun détail sur la valeur des participations d'Air France
dans Air Inter, dans la Sabena ou dans d'autres sociétés, ni expliqué
pourquoi ces actifs n'étaient pas considérés comme des actifs hors métiers
de base,
n'aurait donné aucun détail sur le projet de réseau d'Air France, de manière
à permettre le calcul de ses effets éventuels sur la concurrence,
n'aurait donné aucun détail sur les «produits nouveaux» envisagés par Air
France, de manière à permettre l'évaluation de leurs effets sur la
concurrence,
n'aurait pas disposé des comptes annuels d'Air France au moment de
l'adoption de la décision attaquée,
n'aurait pas expliqué pourquoi elle n'avait pas demandé la communication
des informations essentielles nécessaires pour l'adoption d'une décision
motivée au sujet de la compatibilité de l'aide avec le marché commun,
n'aurait pas tenu compte des filiales, et notamment d'Air Inter, du fait que
le plan de restructuration se concentrait exclusivement sur Air France,
n'aurait pas expliqué comment les propositions visant à la poursuite des
projets d'expansion d'Air France pouvaient se concilier avec les objectifs du
traité, à la lumière notamment de l'échec des deux précédentes injections
de capitaux portant sur un montant de 5,8 milliards de FF.
- 45.
- Dans ses observations déposées auprès de la Commission lors de la procédure
administrative, British Midland avait déjà soulevé la plupart des points
susmentionnés, en demandant à la Commission, notamment, de lui divulguer le
plan de restructuration présenté par Air France, au motif que, à défaut d'une telle
divulgation, elle ne disposerait pas d'informations suffisantes la mettant en mesure
de se prononcer utilement sur le projet d'aide.
- 46.
- Les requérantes dans l'affaire T-371/94 estiment également que les informations
contenues dans la communication du 3 juin 1994 étaient insuffisantes. Une plus
grande précision dans la communication concernant les intentions d'Air France
d'augmenter ses fréquences sur les liaisons rentables, de développer les vols long-courriers, d'abandonner les liaisons marginales et de se recentrer sur les liaisons
présentant de bonnes perspectives de croissance aurait permis aux requérantes
d'aider la Commission à évaluer ces aspects du plan de restructuration. En
particulier, la Commission n'aurait pas évoqué les justifications d'Air France
concernant la nécessité d'acheter 17 nouveaux appareils, de sorte que les parties
intéressées n'auraient pas pu fournir à la Commission les informations nécessaires
qui lui auraient permis d'examiner avec soin et impartialité cet aspect de l'affaire.
- 47.
- Elles soulignent, en outre, que la communication ne fait aucune mention de l'unité
de mesure utilisée, exprimée en «équivalent passagers kilomètres transportés» (ci-après «EPKT»). Elles auraient été confrontées pour la première fois dans la
décision attaquée à cette unité de mesure élaborée spécifiquement pour Air France
et appliquée au calcul de leurs propres seuils de productivité actuels et futurs.
- 48.
- Elles relèvent encore que la Commission aurait dû vérifier la version française de
la communication en ce qui concerne le passage relatif à une éventuelle
surcapitalisation d'Air France. En effet, le transfert des ORA (obligations
remboursables en actions) et des TSDI (titres subordonnés à durée indéterminée
reconditionnés) «from the side of the debts into the equity», dans la version
anglaise, aurait été traduit par un transfert «du passif vers l'actif». Cette erreur
de traduction aurait dû rendre la formulation de commentaires pertinents plus
difficile pour les tiers utilisant la version française.
- 49.
- Elles considèrent enfin que, en raison de la complexité de l'affaire, la Commission
aurait dû être assistée par des experts indépendants en économie, financement et
gestion des transports aériens. Ainsi qu'il ressortirait de l'article 2 de la décision
attaquée, qui prévoit l'intervention de consultants indépendants avant la libération
des deuxième et troisième tranches de l'aide, la Commission reconnaît elle-même
qu'il est indispensable de faire vérifier l'application correcte du plan de
restructuration par des experts extérieurs. Elle avouerait donc implicitement qu'elle
ne dispose pas des connaissances techniques suffisantes pour procéder elle-même
à une telle vérification.
- 50.
- Les requérantes dans les deux affaires estiment que la Commission, en adoptant
la décision attaquée, a fait preuve d'une trop grande précipitation, incompatible
avec le respect de leurs droits fondamentaux et de ceux des autres parties
intéressées. En effet, la décision attaquée aurait été prise 16 jours ouvrables
seulement après l'expiration du délai fixé aux parties intéressées pour présenter
leurs observations, ce qui représenterait un temps exceptionnellement court pour
analyser, débattre et trancher les problèmes complexes soulevés par le projet d'aide
litigieux. Le délai entre la date d'ouverture de la procédure engagée au titre de
l'article 93, paragraphe 2, du traité et la date d'adoption de la décision attaquée (3
juin et 27 juillet 1994) aurait effectivement été de 37 jours ouvrables et donc bieninférieur à la moyenne des délais constatés dans des affaires similaires.
- 51.
- Le royaume de Danemark a rappelé, à l'audience, qu'il avait demandé en vain à
la Commission, lors de la procédure administrative, de transmettre aux autres États
membres la réponse du gouvernement français à la communication du 3 juin 1994,
afin qu'ils puissent présenter leurs observations avant que la Commission ne prenne
sa décision.
- 52.
- La Commission rétorque que la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du traité
n'impose aucun débat contradictoire avec des tiers intéressés. Ceux-ci ne pourraient
pas prétendre être traités de la même façon que le destinataire de la décision
finale. A cet égard, la Commission renvoie à la jurisprudence élaborée en matière
de concurrence, selon laquelle les droits procéduraux des plaignants ne sont pas
aussi étendus que les droits de la défense des entreprises contre lesquelles la
Commission mène son enquête.
- 53.
- Quant à la communication qui ouvre la procédure au titre de l'article 93,
paragraphe 2, la Commission souligne qu'elle vise exclusivement à obtenir, de la
part des intéressés, toutes informations destinées à l'éclairer dans son action future.
En l'espèce, la communication du 3 juin 1994 aurait énuméré tous les aspects à
propos desquels elle souhaitait recevoir des observations afin de pouvoir se
prononcer sur le projet d'aide notifié par les autorités françaises. Dans cette
communication, elle aurait fourni toutes les informations nécessaires pour
permettre aux parties concernées d'exprimer leur opinion.
- 54.
- Sur un plan plus général, la Commission estime ne pouvoir faire figurer dans sa
communication que les informations en sa possession au moment de la publication
et qui ne sont ni dénuées d'intérêt ni couvertes par le secret professionnel ou le
secret des affaires. Du reste, l'objectif d'une communication au titre de l'article 93,
paragraphe 2, ne serait pas d'exprimer une opinion définitive, mais de soulever des
questions. Quant aux nombreuses informations qui, de l'avis des requérantes,
auraient dû figurer dans la communication du 3 juin 1994, la Commission souligne
que la plupart des points relevés étaient couverts par le secret des affaires ou ne
soulevaient pas de doutes à l'égard desquels elle aurait eu besoin de
renseignements supplémentaires.
- 55.
- En ce qui concerne le délai d'examen, la Commission rappelle que le projet d'aide
litigieux lui a été notifié le 18 mars 1994 et que la décision attaquée a été prise 131
jours plus tard, le 27 juillet 1994. L'écart entre ces deux dates serait
approximativement le même que dans des affaires similaires [décision 91/555/CEE
de la Commission, du 24 juillet 1991, relative aux aides que le gouvernement belge
prévoit d'octroyer au transporteur aérien communautaire Sabena (JO L 300, p. 48,
ci-après «décision Sabena»); décision 94/118/CE de la Commission, du 21
décembre 1993, concernant l'octroi par l'Irlande d'une aide au groupe Aer Lingus
(JO 1994, L 54, p. 30, ci-après «décision Aer Lingus»); décision 94/698/CE de la
Commission, du 6 juillet 1994, concernant une augmentation de capital, des
garanties de crédit et une exonération fiscale en faveur de la compagnie aérienne
TAP (JO L 279, p. 29, ci-après «décision TAP»)]. Par ailleurs, le caractère normal
de ce délai serait confirmé par l'article 10, paragraphe 3, du règlement (CEE)
n° 4064/89 du Conseil, du 21 décembre 1989, relatif au contrôle des opérations de
concentration entre entreprises (JO L 395, p. 1, ci-après «règlement n° 4064/89»),
selon lequel la décision déclarant une concentration notifiée compatible avec le
marché commun doit être prise dans un délai de quatre mois.
- 56.
- La Commission considère enfin qu'elle n'a aucune obligation juridique de s'adresser
à des experts externes avant de prendre ses décisions.
Appréciation du Tribunal
Généralités
- 57.
- Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que le projet d'aide litigieux a été
officiellement notifié par les autorités françaises à la Commission qui, ayant décidé
d'ouvrir la procédure prévue à l'article 93, paragraphe 2, du traité, était tenue,
avant de statuer sur ce projet, de mettre «les intéressés en demeure de présenter
leurs observations».
- 58.
- Quant à la finalité de ce dernier passage dudit article 93, paragraphe 2, il convient
de rappeler ensuite que, selon la jurisprudence de la Cour, cette disposition vise,
d'une part, à obliger la Commission à faire en sorte que toutes les personnes
potentiellement intéressées soient averties et reçoivent l'occasion de faire valoir
leurs arguments (arrêt de la Cour du 14 novembre 1984, Intermills/Commission,
323/82, Rec. p. 3809, point 17) ainsi que, d'autre part, à permettre à la Commission
d'être complètement éclairée sur l'ensemble des données de l'affaire avant de
prendre sa décision (arrêt de la Cour du 20 mars 1984, Allemagne/Commission,
84/82, Rec. p. 1451, point 13).
- 59.
- En ce qui concerne plus particulièrement le devoir incombant à la Commission
d'informer les intéressés, la Cour a jugé que la publication d'un avis au Journal
officiel des Communautés européennes constitue un moyen adéquat en vue de faire
connaître à tous les intéressés l'ouverture d'une procédure (arrêt
Intermills/Commission, précité, point 17), tout en précisant que «cette
communication vise exclusivement à obtenir, de la part des intéressés, toutes
informations destinées à éclairer la Commission dans son action future» (arrêt de
la Cour du 12 juillet 1973, Commission/Allemagne, 70/72, Rec. p. 813, point 19).
Le Tribunal a suivi cette jurisprudence qui impartit essentiellement aux intéressés
le rôle de sources d'information pour la Commission dans le cadre de la procédure
administrative engagée au titre de l'article 93, paragraphe 2, du traité (arrêt du
Tribunal du 22 octobre 1996, Skibsværftsforeningen e.a./Commission, T-266/94,
Rec. p. II-1399, point 256).
- 60.
- Il s'ensuit que les intéressés, loin de pouvoir se prévaloir des droits de la défense
reconnus aux personnes à l'encontre desquelles une procédure est ouverte (voir,
en ce sens, l'arrêt de la Cour du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission
142/84 et 156/84, Rec. p. 4487, points 19 et 20, intervenu en matière de
concurrence, ainsi que l'arrêt de la Cour du 21 mars 1990, Belgique/Commission,
C-142/87, Rec. p. I-959, point 46), disposent du seul droit d'être associés à la
procédure administrative dans une mesure adéquate tenant compte des
circonstances du cas d'espèce.
- 61.
- Or, l'étendue des droits à la participation et à l'information dont disposent les
intéressés dans le cadre de la procédure administrative engagée au titre de l'article
93, paragraphe 2, du traité peut se voir restreinte à un double titre.
- 62.
- D'une part, lorsque comme en l'espèce un État membre notifie à la
Commission un projet d'aide assorti de pièces justificatives et que les services
compétents de la seconde ont ensuite une série d'entretiens avec les fonctionnaires
du premier, le niveau d'information de la Commission peut déjà avoir atteint un
degré relativement élevé qui ne laisse subsister qu'un nombre réduit de doutes
susceptibles d'être écartés par des renseignements fournis par les intéressés. En
effet, en ce qu'il porte sur les détails du projet d'aide, sur la situation économique,
financière et concurrentielle de l'entreprise bénéficiaire ainsi que sur le
fonctionnement interne de celle-ci, le débat entre l'État membre et la Commission
a nécessairement un caractère plus approfondi que celui mené avec les parties
intéressées. Par conséquent, tout en fournissant aux intéressés des informations
générales sur les éléments essentiels du projet d'aide, la Commission peut se borner
à concentrer sa communication au Journal officiel sur les points du projet à l'égard
desquels elle nourrit encore certains doutes.
- 63.
- D'autre part, la Commission est tenue, en vertu de l'article 214 du traité, de ne pas
divulguer aux intéressés des informations qui, par leur nature, sont couvertes par
le secret professionnel, telles que, notamment, des données relatives au
fonctionnement interne de l'entreprise bénéficiaire. A cet égard, la situation des
intéressés ne se distingue pas de celle des plaignants en matière de concurrence
qui, selon la jurisprudence de la Cour, ne doivent pas recevoir communication de
secrets d'affaires (arrêt BAT et Reynolds/Commission, cité au point 60 ci-dessus,
point 21).
- 64.
- Le caractère restreint des droits à la participation et à l'information susmentionnés,
en ce qu'ils concernent le seul déroulement de la procédure administrative, ne se
trouve pas en contradiction avec le devoir qui incombe à la Commission, en vertu
de l'article 190 du traité, de pourvoir sa décision finale autorisant le projet d'aide
d'une motivation suffisante qui doit se prononcer sur tous les griefs essentiels que
les intéressés, concernés directement et individuellement par cette décision, ont
soulevés soit spontanément, soit à la suite des informations communiquées par la
Commission. Ainsi, à supposer même que la Commission puisse, dans un cas
d'espèce, valablement préférer exploiter d'autres sources d'information et réduire,
par là même, l'importance de la participation des intéressés, cela ne la dispense pas
de pourvoir sa décision d'une motivation adéquate (voir ci-après point 96).
- 65.
- C'est à la lumière des principes développés ci-dessus qu'il convient d'examiner les
prétendues irrégularités dont le déroulement de la procédure administrative aurait
été entaché, étant entendu qu'il n'est pas contesté que les requérantes et les parties
intervenues au soutien de leurs conclusions ainsi que l'ACE qui, lors de la
procédure administrative devant la Commission, se sont opposées à une
autorisation du projet d'aide litigieux, doivent être considérées comme des
intéressés au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité, tel qu'il a été interprété
par la Cour dans son arrêt Intermills/Commission (cité au point 58 ci-dessus, point
16).
La communication du 3 juin 1994
- 66.
- En ce qui concerne, en premier lieu, le caractère prétendument insuffisant de la
communication du 3 juin 1994, il convient de relever que cette communication
expose:
la situation économique et financière d'Air France qui a précédé
l'élaboration du projet d'aide, en particulier les plans de restructuration et
les injections de capital antérieures, ainsi que ses pertes accumulées,
les «grandes lignes de force» du nouveau plan de restructuration,
le montant d'aide envisagé de 20 milliards de FF,
les principaux doutes exprimés par la Commission à ce stade de la
procédure, relatifs notamment aux gains de productivité d'Air France, à la
structure du groupe Air France, à la situation concurrentielle d'Air France
et à l'éventualité de sa surcapitalisation.
Le Tribunal estime qu'une telle information était suffisante pour permettre aux
intéressés de faire valoir utilement leurs arguments devant la Commission.
- 67.
- Dans la mesure où les requérantes dans l'affaire T-371/94 considèrent que l'unité
de mesure EPKT, le réseau aérien d'Air France et son futur développement, ainsi
que les raisons justifiant l'acquisition des 17 nouveaux avions, auraient également
dû figurer dans la communication, la réponse de la Commission, selon laquelle elle
n'éprouvait pas de doutes sur ces points spécifiques, suffit à justifier le silence de
la communication à cet égard, lequel ne prive pas les requérantes du droit de faire
examiner par le Tribunal si la décision finale de la Commission comporte une
motivation suffisante au regard de ces éléments ou encore des erreurs manifestes
d'appréciation ou de droit.
- 68.
- En ce qui concerne les griefs soulevés par la requérante dans l'affaire T-394/94
quant à l'omission de communiquer les nombreux détails susmentionnés (voir ci-dessus point 44), c'est à juste titre que la Commission invoque le secret d'affairesqui lui interdisait de divulguer aux concurrents d'Air France des informations
commercialement sensibles de la compagnie aérienne. En particulier, le plan de
restructuration au stade antérieur à son approbation par la Commission et au
début de sa mise en oeuvre contenait de telles informations, et il n'appartenait
évidemment pas aux concurrents d'évaluer, et de comparer avec leurs propres
mesures de gestion, chacune des mesures de restructuration envisagées par Air
France. Dans le cas contraire, les concurrents pourraient s'immiscer dans la
restructuration interne d'Air France et essayer de «dicter» les mesures qui leur
sembleraient bonnes pour cette dernière, après avoir obtenu des informations
précieuses sur leur concurrente. Cette analyse n'est pas contredite par le fait que
d'autres intéressés, tels que l'ACE (p. 27, dernier alinéa, de ses observations), ont
apparemment pu se procurer ce plan de restructuration. Cela ne peut pas amener
la Commission à violer l'article 214 du traité.
- 69.
- Il convient d'ajouter que les comptes annuels d'Air France pour 1993 ont été
publiés au Bulletin des annonces légales obligatoires du 17 juin 1994, à la page
10207 (n° 319 du mémoire en intervention d'Air France dans l'affaire T-371/94),
et étaient donc accessibles aux intéressés. Ceux-ci ne sauraient, par conséquent,
reprocher à la Commission de ne pas avoir divulgué les chiffres définitifs dans sa
communication du 3 juin et d'avoir pris sa décision finale sans connaissance de ces
données.
- 70.
- Enfin, le reproche adressé à la Commission, de ne pas s'être procurée des
informations essentielles avant l'adoption de sa décision finale et de ne pas avoir
suffisamment vérifié tous les aspects pertinents de l'affaire, se réduit à de simples
affirmations et suppositions générales qui ne sont étayées par aucune preuve
concrète. La Commission pouvait donc se limiter à répondre qu'elle avait
effectivement obtenu toutes les informations utiles et nécessaires qui ont fait l'objet
d'une vérification approfondie de sa part. Par ailleurs, ce grief vise, en réalité, non
pas le stade de la communication du 3 juin 1994, mais celui, ultérieur, de la
décision attaquée. Il en va de même des deux derniers griefs soulevés par la
requérante dans l'affaire T-394/94 (voir ci-dessus point 44) qui constituent, en
vérité, des griefs dirigés, au titre de la motivation et de l'appréciation quant au
fond, contre la légalité de la décision attaquée. Par conséquent, ils seront examinés
ci-après dans un contexte différent.
Le délai d'examen
- 71.
- Les requérantes considèrent que, eu égard à la complexité du projet d'aide litigieux,
le délai que la Commission s'est octroyé pour l'examiner avant d'adopter la
décision attaquée était trop court. A cet égard, il convient de relever, tout d'abord,
qu'aucun texte du traité ou de la législation communautaire ne prévoit que les
décisions en matière d'aides d'État, adoptées au terme de la procédure au titre de
l'article 93, paragraphe 2, du traité, doivent respecter un délai fixe. Par ailleurs, à
supposer que la Commission ait agi avec une trop grande précipitation et ne se soit
pas donné suffisamment de temps pour examiner le projet litigieux, un tel
comportement ne saurait justifier, à lui seul, l'annulation de la décision attaquée.
Une annulation présupposerait plutôt que ledit comportement se traduise par une
violation de règles spécifiques de procédure, du devoir de motivation ou de la
légalité interne de la décision attaquée. Par conséquent, sans qu'il soit nécessaire
de se prononcer sur la pertinence de la pratique décisionnelle de la Commission
en matière de concentrations, il convient de rejeter ce grief.
Les experts extérieurs
- 72.
- Le reproche adressé à la Commission de ne pas avoir eu recours à des experts
extérieurs pour élaborer la décision attaquée est manifestement dépourvu de
fondement, aucune disposition du traité ou de la législation communautaire
n'imposant à la Commission une telle obligation. Il y a lieu d'ajouter que, en tout
état de cause, la Commission disposait d'un niveau relativement élevé
d'informations dans le domaine du transport aérien avant l'adoption de la décision
attaquée. A cet égard, il convient de rappeler que la Commission s'était déjà
familiarisée avec la situation du transport aérien, laquelle faisait l'objet notamment
du rapport «Expanding Horizons» publié au début de 1994 par le «comité des
sages», du programme «L'aviation civile européenne vers des horizons meilleurs»,
ainsi que des publications de l'International Air Transport Association (IATA) et
de l'Association of European Airlines (AEA). En outre, la Commission avait
adopté d'autres décisions dans le secteur du transport aérien, telles que les
décisions Sabena, Aer Lingus et TAP (précitées au point 55). Enfin, aucun élément
spécifique du cas d'espèce n'indique que la Commission ait eu besoin d'experts
extérieurs.
L'erreur de traduction
- 73.
- L'erreur figurant dans le texte français de la communication du 3 juin 1994, relevée
par les requérantes dans l'affaire T-371/94, est tellement manifeste que les milieux
initiés du secteur aérien pouvaient facilement s'en rendre compte. En effet, il est
évident que les titres d'un emprunt ne peuvent pas, d'après les principes
comptables, être transférés «du passif vers l'actif» («from the side of the debts into
the equity», selon le texte anglais de la communication), mais que leur qualification
doit être opérée à l'intérieur du seul passif, où ils constituent soit des fonds
propres, soit des dettes.
- 74.
- En tout état de cause, la Commission a expressément relevé, dans ce passage de
sa communication, qu'elle devait encore examiner en profondeur la classification
des titres en cause. Il en résulte que l'appréciation de la Commission n'était pas
encore définitive, et cela également au regard du point faussé par l'erreur
susmentionnée. Cette erreur ne saurait donc affecter la légalité de la procédure
administrative, la question décisive dans ce contexte étant uniquement de savoir si
la décision finale a encore été affectée par cette erreur, ce qui n'a même pas été
allégué par les parties requérantes.
La participation des autres États membres
- 75.
- Le moyen tiré par le royaume de Danemark, de ce que la Commission aurait dû
transmettre aux autres États membres la réponse du gouvernement français à la
communication du 3 juin 1994, doit être rejeté comme irrecevable, dès lors qu'il n'a
pas été soulevé par les requérantes. En effet, les parties intervenantes devant, en
vertu de l'article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure, accepter le litige
dans l'état où il se trouve lors de leur intervention, et les conclusions de leur
requête en intervention ne pouvant avoir, en vertu de l'article 37, quatrième alinéa,
du statut (CE) de la Cour, d'autre objet que le soutien des conclusions de l'une des
parties principales, le royaume de Danemark en tant que partie intervenante n'a
donc pas qualité pour soulever ce moyen (voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour du 24
mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313/90, Rec. p. I-1125, points 19 à 22).
- 76.
- En tout état de cause, le texte de l'article 93 du traité n'oblige pas la Commission
à transmettre aux autres États membres les observations qu'elle a reçues de la part
du gouvernement de l'État qui demande l'autorisation d'octroyer une aide. Au
contraire, il ressort de l'article 93, paragraphe 2, troisième alinéa, du traité que les
autres États membres ne sont impliqués dans un dossier d'aide spécifique qu'au
seul cas où ce dossier, sur demande de l'État intéressé, est porté devant le Conseil.
Conclusions
- 77.
- Il résulte de ce qui précède que la procédure de l'article 93, paragraphe 2, du
traité, qui s'est déroulée en l'espèce, n'est entachée d'aucun vice, de sorte que les
moyens y afférents doivent être rejetés.
II Sur les moyens tirés d'erreurs d'appréciation et d'erreurs de droit que la
Commission aurait commises en violation de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du
traité et de l'article 61, paragraphe 3, sous c), de l'accord EEE
Généralités
- 78.
- Dans la décision attaquée, la Commission a examiné la légalité de l'aide litigieuse
au regard de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité et de l'article 61,
paragraphe 3, sous c), de l'accord EEE. Dans le cadre de cet examen, elle a
constaté qu'une véritable restructuration d'Air France serait conforme à l'intérêt
commun, que le montant de l'aide ne semblait pas excessif et que l'aide n'affectait
pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.
- 79.
- Il est de jurisprudence constante que la Commission jouit d'un large pouvoir
d'appréciation dans l'application de l'article 92, paragraphe 3, du traité (voir, par
exemple, les arrêts de la Cour du 17 septembre 1980, Philip Morris/Commission,
730/79, Rec. p. 2671, points 17 et 24, du 24 février 1987, Deufil/Commission,
310/85, Rec. p. 901, point 18, et du 14 février 1990, France/Commission, C-301/87,
Rec. p. I-307, point 49). Dès lors que ce pouvoir discrétionnaire implique des
appréciations complexes d'ordre économique et social, le contrôle juridictionnel
d'une décision prise dans ce cadre doit se limiter à vérifier le respect des règles de
procédure et de motivation, l'exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le
choix contesté, l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits ainsi
que l'absence de détournement de pouvoir (arrêt de la Cour du 29 février 1996,
Belgique/Commission, C-56/93, Rec. p. I-723, point 11, et jurisprudence citée). En
particulier, il n'appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation
économique à celle de l'auteur de la décision (arrêt de la Cour du 15 juin 1993,
Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203, point 23). Le Tribunal estime que
cette jurisprudence est tout aussi pertinente pour l'examen au titre de l'article 61,
paragraphe 3, sous c), de l'accord EEE.
- 80.
- En l'espèce, la Commission souligne qu'une partie des griefs soulevés par les
requérantes repose sur des événements postérieurs à l'adoption de la décision
attaquée. Les requérantes rétorquent que certains de ces événements postérieurs
s'inscrivent dans une suite ininterrompue de faits dont la Commission aurait dû
avoir connaissance. Par ailleurs, certains faits postérieurs illustreraient clairement
les commentaires que les requérantes avaient présentés dans le cadre de la
procédure administrative.
- 81.
- A cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d'un recours en annulation
en vertu de l'article 173 du traité, la légalité d'un acte communautaire doit être
appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où l'acte
a été adopté (arrêts de la Cour du 7 février 1979, France/Commission, 15/76 et
16/76, Rec. p. 321, point 7, et du Tribunal du 15 janvier 1997, SFEI
e.a./Commission, T-77/95, Rec. p. II-1, point 74) et ne saurait dépendre de
considérations rétrospectives concernant son degré d'efficacité (arrêt de la Cour du
7 février 1973, Schroeder, 40/72, Rec. p. 125, point 14). En particulier, les
appréciations complexes portées par la Commission ne doivent être examinées
qu'en fonction des seuls éléments dont celle-ci disposait au moment où elle les a
effectuées (arrêts de la Cour du 10 juillet 1986, Belgique/Commission, 234/84, Rec.
p. 2263, point 16, et du 26 septembre 1996, France/Commission, C-241/94, Rec.
p. I-4551, point 33).
- 82.
- C'est à la lumière des principes susmentionnés qu'il convient de procéder à
l'examen des moyens et arguments de fond soulevés en l'espèce par les
requérantes, lesquels mettent en cause l'appréciation du caractère proportionné de
l'aide, l'appréciation de l'impact de l'aide sur le secteur de l'aviation civile de l'EEE
et l'appréciation du caractère approprié du plan de restructuration accompagnant
l'aide litigieuse.
Quant aux griefs tirés d'une violation du principe de proportionnalité applicable en
matière d'aides d'État
- 83.
- Par ces griefs, les requérantes et les parties intervenues au soutien de leursconclusions reprochent à la Commission d'avoir autorisé une aide d'un montant
excessif par rapport aux besoins de la restructuration d'Air France. Ces griefs
reposent, en substance, sur l'arrêt Philip Morris/Commission (cité au point 79 ci-dessus, point 17), dans lequel la Cour a jugé qu'il ne saurait être permis aux États
membres d'effectuer des versements qui apporteraient une amélioration de la
situation de l'entreprise bénéficiaire de l'aide «sans être nécessaires pour atteindre
les buts prévus par l'article 92, paragraphe 3».
A Sur le grief pris de ce que la Commission aurait autorisé à tort l'achat par Air
France de 17 nouveaux avions
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
- 84.
- Les requérantes estiment qu'il était disproportionné d'approuver une aide dont
l'objectif était de permettre à Air France d'acheter 17 avions neufs. La Commission
aurait eu manifestement tort de conclure que le montant de l'aide ne pouvait pas
être diminué par l'annulation ou le report de la commande passée par Air France
pour un montant de 11,5 milliards de FF. En effet, le coût de la nécessaire
rénovation périodique de la flotte serait un investissement en biens d'équipement
et ferait, en principe, partie des frais d'exploitation normaux d'une compagnie
aérienne. Ce type de rénovation devrait être effectué sans aide d'État. En tout état
de cause, l'achat de nouveaux appareils n'aurait pas été indispensable pour Air
France.
- 85.
- Les requérantes dans l'affaire T-371/94 reprochent à la Commission, en outre,
d'avoir fourni une motivation insuffisante sur ce point, bien qu'elle ait été informée,
au cours de la procédure administrative, que l'achat de 17 nouveaux avions n'était
pas un élément essentiel du plan de restructuration d'Air France et devait donc
être annulé. La Commission n'aurait pas sérieusement examiné les commentaires
soumis en réponse à sa communication du 3 juin 1994 par les tiers. La requérante
dans l'affaire T-394/94 et les parties intervenantes Maersk soutiennent, de manière
générale, que la Commission a négligé de pourvoir la décision attaquée d'une
motivation adéquate, en omettant, notamment, de dûment tenir compte des
observations détaillées soumises par les tiers au cours de la procédure
administrative.
- 86.
- La Commission souligne qu'il était nécessaire pour Air France d'acquérir les 17
nouveaux appareils. A cet égard, elle rappelle le texte de la décision attaquée,
selon lequel les coûts d'exploitation élevés d'Air France tenaient en partie à
l'hétérogénéité de sa flotte, dont la rationalisation était donc prévue dans le plan
de restructuration (JO p. 75 et 76). Ce plan, loin de rajeunir la flotte d'Air France,
ne ferait que ralentir son vieillissement. Par ailleurs, les nouveaux avions à réaction
consommeraient sensiblement moins de carburant, seraient conformes aux
réglementations en matière de protection de l'environnement, et leurs coûts de
réparation et de maintenance seraient peu élevés. Enfin, ils présenteraient
davantage d'attrait pour les passagers.
- 87.
- Quant à son obligation de motivation, la Commission considère que la décision
attaquée est conforme aux dispositions de l'article 190 du traité. En effet, il serait
suffisant d'expliciter, dans une décision, les principaux points de droit et de fait lui
servant de support et nécessaires pour rendre compréhensible le raisonnement qui
a déterminé la Commission (arrêt de la Cour du 4 juillet 1963,
Allemagne/Commission, 24/62, Rec. p. 129, 143). Il ne serait pas exigé qu'elle
discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés par chaque intéressé
au cours de la procédure administrative (voir, par exemple, l'arrêt de la Cour du
29 octobre 1980, Van Landewyck e.a./Commission, 209/78 à 215/78 et 218/78, Rec.
p. 3125, point 66). Enfin, l'exigence de motivation devrait être appréciée en
fonction des circonstances de l'espèce, notamment du contenu de l'acte, de la
nature des motifs invoqués et de l'intérêt que les destinataires peuvent avoir à
recevoir des explications. La Commission estime que les conditions établies par la
jurisprudence susmentionnée ont été pleinement respectées par la décision
attaquée, qui expose sur 17 pages du Journal officiel tous les éléments de fait et
de droit pertinents qui entourent la présente affaire et qui résume également les
objections soulevées par les tiers au cours de la procédure administrative. La
Commission nie notamment ne pas avoir tenu compte des observations soumises
lors de la procédure administrative. Ces observations auraient été dûment
examinées et transmises pour commentaires aux autorités françaises.
Appréciation du Tribunal
- 88.
- Au vu des griefs soulevés par les requérantes, le Tribunal estime qu'il convient de
vérifier, en premier lieu, si la décision attaquée est pourvue d'une motivation
suffisante en ce qui concerne l'autorisation de l'achat, par Air France, de 17
nouveaux avions. A cet égard, il y a lieu de rappeler, tout d'abord, que, compte
tenu de la jurisprudence constante, selon laquelle tout éventuel défaut de
motivation peut être soulevé d'office (arrêts de la Cour du 20 mars 1959,
Nold/Haute Autorité, 18/57, Rec. p. 89, 115, et du 20 février 1997,
Commission/Daffix, C-166/95 P, Rec. p. I-983, points 24 et 25, ainsi que du Tribunal
du 2 juillet 1992, Dansk Pelsdyravlerforening/Commission, T-61/89, Rec. p. II-1931,
point 129), le Tribunal a invité les requérantes et les parties intervenues au soutien
de leurs conclusions à déposer les observations qu'elles avaient introduites auprès
de la Commission au cours de la procédure administrative en qualité d'intéressées
au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité, pour autant que ces observations
n'aient pas encore été versées au dossier (voir ci-dessus point 33).
- 89.
- Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, la motivation exigée par
l'article 190 du traité doit faire apparaître, d'une façon claire et non équivoque, le
raisonnement de l'autorité communautaire, auteur de l'acte incriminé, de façon à
permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle et aux intéressés de
connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits (voir
l'arrêt de la Cour du 14 février 1990, Delacre e.a./Commission, C-350/88, Rec.
p. I-395, point 15, et la jurisprudence citée).
- 90.
- En ce qui concerne la notion d'«intéressés» au sens de la jurisprudence précitée,
la Cour a jugé, dans une affaire concernant une décision de la Commission portant
refus d'autoriser un projet d'aide conçu par un État membre en faveur d'une
entreprise nationale, que l'exigence de motivation doit être appréciée en fonction
notamment de l'intérêt que les destinataires «ou d'autres personnes concernées
directement et individuellement» par l'acte attaqué, au sens de l'article 173 du
traité, peuvent avoir à recevoir des explications (arrêt de la Cour du 13 mars 1985,
Pays-Bas et Leeuwarder Papierwarenfabriek/Commission, 296/82 et 318/82, Rec.
p. 809, point 19).
- 91.
- La Cour a ensuite précisé qu'une entreprise qui est en concurrence avec
l'entreprise bénéficiaire de l'aide doit être considérée comme «intéressée» au sens
de l'article 93, paragraphe 2, du traité et regardée, en cette qualité, comme
directement et individuellement concernée par la décision de la Commission qui
a autorisé le versement de l'aide en cause. Ce faisant, la Cour a aussi rappelé que
les intéressés, au sens de l'article 93, paragraphe 2, du traité, avaient déjà été
définis comme les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées
dans leurs intérêts par l'octroi d'une aide d'État, c'est-à-dire notamment les
entreprises concurrentes et les organisations professionnelles (arrêt de la Cour du
19 mai 1993, Cook/Commission, C-198/91, Rec. p. I-2487, points 24 à 26, et la
jurisprudence citée).
- 92.
- Il s'avère donc que l'exigence de motivation d'une décision prise en matière d'aides
d'État ne saurait être déterminée en fonction de l'intérêt d'information du seul État
membre auquel cette décision est adressée. En effet, dans un cas où l'État membre
a obtenu de la Commission ce qu'il sollicitait, à savoir l'autorisation de son projet
d'aide, son intérêt à se voir adresser une décision motivée, à la différence de celui
des concurrents du bénéficiaire de l'aide, peut n'être que très réduit, en particulier
lorsqu'il a reçu, au cours des négociations avec la Commission et notamment à
travers la correspondance échangée avec cette dernière antérieurement à l'adoption
de la décision d'autorisation, des renseignements suffisants.
- 93.
- En l'espèce, il est constant que les parties requérantes, les parties intervenantes
Maersk et l'ACE sont des intéressées au sens de l'article 93, paragraphe 2, du
traité, et que la décision attaquée les concerne directement et individuellement au
sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, étant donné que leur position sur
le marché est substantiellement affectée par la mesure d'aide autorisée par la
décision attaquée (arrêt de la Cour du 28 janvier 1986, Cofaz e.a./Commission,
169/84, Rec. p. 391, point 25).
- 94.
- Selon une jurisprudence constante, la question de savoir si la motivation d'une
décision satisfait aux exigences de l'article 190 du traité doit être appréciée au
regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte, ainsi que de
l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt Delacre
e.a./Commission, cité au point 89 ci-dessus, point 16, et la jurisprudence citée). Si
la Commission n'est pas tenue de répondre, dans la motivation d'une décision, à
tous les points de fait et de droit invoqués par les intéressés au cours de la
procédure administrative (arrêt de la Cour du 17 janvier 1995, Publishers
Association/Commission, C-360/92 P, Rec. p. I-23, point 39), elle doit néanmoins
tenir compte de toutes les circonstances et de tous les éléments pertinents du cas
d'espèce (arrêt de la Cour du 24 octobre 1996, Allemagne e.a./Commission,
C-329/93, C-62/95 et C-63/95, Rec. p. I-5151, point 32, ci-après «arrêt Bremer
Vulkan/Commission»), afin de permettre au juge communautaire d'exercer son
contrôle de légalité et de faire connaître, tant aux États membres qu'aux
ressortissants intéressés, les conditions dans lesquelles elle a fait application du
traité (arrêt Publishers Association/Commission, précité, point 39).
- 95.
- Il convient d'ajouter que la Commission a adopté la décision attaquée en
application de l'article 92, paragraphe 3, du traité, c'est-à-dire dans un domaine où
elle jouit d'un large pouvoir d'appréciation (voir ci-dessus point 79). La Cour ayant
jugé que le pouvoir discrétionnaire de la Commission s'accompagne de l'obligation
d'examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d'espèce
(arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München,
C-269/90, Rec. p. I-5469, point 14), le contrôle de cette obligation exige une
motivation suffisamment précise pour permettre au juge de s'assurer qu'elle a été
respectée.
- 96.
- Il y a donc lieu de vérifier si la motivation de la décision attaquée fait apparaître,
de façon claire et non équivoque, le raisonnement de la Commission, au vu
notamment des griefs essentiels pour l'évaluation du projet d'aide litigieux, tels
qu'ils ont été portés à la connaissance de la Commission, lors de la procédure
administrative, par les compagnies British Airways, TAT, Koninklijke Luchtvaart
Maatschappij (ci-après «KLM»), SAS, Air UK, Euralair et British Midland, ainsi
que par l'ACE, au nom notamment d'Euralair et de Maersk, par le royaume de
Danemark, le Royaume-Uni, le royaume de Suède et le royaume de Norvège (ci-après «parties intéressées»).
- 97.
- A la lecture de l'ensemble des observations déposées devant le Tribunal, il s'avère
que certaines de ces parties avaient notamment insisté, devant la Commission, sur
le caractère inacceptable de l'achat de 17 nouveaux avions, pour 11,5 milliards de
FF, prévu dans le plan de restructuration. Toutes les compagnies aériennes non
subventionnées, confrontées à la crise de surcapacité, ayant dû annuler ou reporter,
au début des années 90, les commandes de nouveaux avions, Air France ne
pourrait échapper à une telle obligation. La décision d'investir 11,5 milliards de FFdans l'acquisition d'avions augmenterait les besoins en capital additionnel et donc
les dettes d'Air France. Vu sa situation financière désastreuse, il ne serait pas
justifié d'utiliser les recettes de la vente d'autres actifs pour un tel financement.
Afin d'assurer l'homogénéisation de la flotte d'Air France, prévue dans le plan de
restructuration, il conviendrait plutôt de transformer les avions existants.
- 98.
- En particulier la compagnie TAT (observations, p. 18) et le Royaume-Uni
(observations, p. 6) ont souligné que l'investissement que constitue l'achat de 17
nouveaux avions concernait les activités opérationnelles à court terme d'Air France,
et non pas sa restructuration. Il s'agirait d'une modernisation normale destinée à
maintenir la compétitivité de la compagnie. Or, une telle mesure devrait être
financée par les ressources propres d'une entreprise et non par une aide d'État. En
l'espèce, il serait inévitable que, contrairement aux exigences de la jurisprudence
et de la pratique décisionnelle de la Commission, l'aide litigieuse soit utilisée pour
financer l'achat de ces avions. Cette aide devrait être qualifiée d'aide au
fonctionnement, non conforme aux exigences de l'article 92, paragraphe 3, sous c),
du traité. Dans ce contexte, il a été renvoyé aux arrêts de la Cour
Deufil/Commission (cité au point 79 ci-dessus) et du 8 mars 1988, Exécutif régional
wallon et Glaverbel/Commission (62/87 et 72/87, Rec. p. 1573), ainsi qu'à la
décision 90/70/CEE de la Commission, du 28 juin 1989, concernant des aides
accordées par la France à certaines entreprises sidérurgiques de première
transformation de l'acier (JO 1990, L 47, p. 28).
- 99.
- A cet égard, le Tribunal constate que la Commission relève, dans la décision
attaquée, que l'un des handicaps du groupe Air France est l'hétérogénéité de sa
flotte, qui se compose d'un trop grand nombre d'aéronefs différents (24 types ou
versions différents), cette hétérogénéité étant l'un des facteurs d'alourdissement des
coûts d'exploitation (les coûts de maintenance étant particulièrement élevés en
raison du grand nombre des pièces de rechange différentes nécessaires et des
disparités dans les qualifications des personnels navigant et au sol). Au 31
décembre 1993, le groupe aurait disposé d'une flotte de 208 avions (la flotte en
exploitation d'Air France se composant de 145 appareils) d'un âge moyen de 8,6
ans (JO p. 75).
- 100.
- Quant aux «grandes lignes de force» du plan de restructuration, la Commission
expose qu'il est prévu de ramener de 22 à 17 le nombre d'avions livrables durant
la période de restructuration. L'investissement correspondant s'établirait ainsi à
11,5 milliards de FF (JO p. 75). Pour ce qui est des capitaux nécessaires à cet
investissement, la Commission prend acte du report des commandes qui fait passer,
à la fin de la période de restructuration, l'âge moyen de la flotte à 9,3 ans environ.
Tout retard supplémentaire dans le renouvellement de la flotte ne ferait
qu'augmenter encore ce chiffre et risquerait de mettre à mal la compétitivité d'Air
France et la viabilité de sa restructuration (JO p. 82).
- 101.
- Dans le cadre de l'examen de la proportionnalité de l'aide par rapport aux besoins
de la restructuration (JO p. 83), la Commission considère qu'Air France a, si l'on
fait abstraction de l'aide, trois possibilités d'améliorer elle-même sa situation
financière, l'une consistant à différer ses commandes d'avions. Or, la compagnie
ayant déjà différé certaines commandes, de nouveaux reports feraient monter l'âge
moyen de la flotte à plus de 10 ans, âge trop élevé pour une compagnie qui
cherche à retrouver toute sa vigueur concurrentielle (JO p. 85).
- 102.
- Le Tribunal estime que cet exposé des motifs fait apparaître, de façon claire et non
équivoque, les raisons pour lesquelles la Commission considère qu'il est
indispensable, dans le cas spécifique d'Air France, de procéder à l'achat de 17
nouveaux avions. La motivation comporte les points justificatifs qualifiés d'essentiels
par la Commission, à savoir la nécessité pour Air France de disposer d'une flotte
d'un âge moyen raisonnable, la circonstance que le nombre d'avions à acquérir ne
constitue qu'une fraction du nombre initialement envisagé et le fait que
l'investissement prévu servira à homogénéiser la flotte d'Air France et se soldera
donc par une réduction des coûts d'exploitation. Ainsi, la Commission a, en même
temps, donné une réponse suffisante au premier volet des observations présentées
par les parties intéressées lors de la procédure administrative.
- 103.
- Au titre du second volet de leurs observations, les parties intéressées ont qualifié
une partie de l'aide litigieuse d'aide au fonctionnement interdite par la
jurisprudence, en ce qu'elle visait à financer des activités purement opérationnelles
d'Air France, à savoir la rénovation des avions de sa flotte en tant que biens
d'équipement.
- 104.
- A cet égard, il convient de constater que, dans son arrêt Deufil/Commission (cité
au point 79 ci-dessus), la Cour a approuvé la Commission, en ce qu'elle avait
considéré qu'un investissement consacré à une modernisation normale destinée à
maintenir la compétitivité d'une entreprise devait être financé sur les ressources
propres de l'entreprise, et non pas par une aide d'État (points 16 à 19). Dans son
arrêt Exécutif régional wallon et Glaverbel/Commission (cité au point 98 ci-dessus),
la Cour a estimé que les considérations développées par la Commission, selon
lesquelles un investissement ayant pour but la rénovation et la modernisation
technologique d'une ligne de production, laquelle doit intervenir régulièrement, ne
pouvait être considéré comme étant destiné à faciliter le développement de
certaines activités économiques au sens de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du
traité, constituaient une ligne de raisonnement compréhensible et ressortissaient à
son pouvoir d'appréciation (points 31, 32 et 34).
- 105.
- Les parties intéressées, en se référant à cette jurisprudence, ont souligné que le
montant de l'aide autorisé risquait de devenir excessif dès lors qu'une partie de
celle-ci n'était pas affectée à la restructuration d'Air France proprement dite. Or,
dans son arrêt Philip Morris/Commission (cité au point 79 ci-dessus, point 17), la
Cour a jugé qu'il n'était pas permis aux États membres d'effectuer des versements
qui apporteraient une amélioration de la situation de l'entreprise bénéficiaire «sans
être nécessaires pour atteindre les buts prévus par l'article 92, paragraphe 3».
- 106.
- Dès lors, les parties intéressées ont relevé l'éventualité d'une erreur de droit, en
l'occurence une violation du principe de proportionnalité spécifiquement consacré
en matière d'aides d'État par l'article 92, paragraphe 3, du traité. Le Tribunal
estime qu'il s'agissait là d'un grief essentiel pour l'évaluation du projet d'aide
litigieux. La Commission était donc tenue d'y répondre dans les motifs de la
décision attaquée.
- 107.
- A cet égard, il y a lieu de constater que la Commission considère, dans la décision
attaquée, que l'investissement dans le renouvellement de la flotte est nécessaire à
la viabilité de la restructuration d'Air France (JO p. 82) et que le report des
commandes de nouveaux avions ferait monter l'âge moyen de la flotte d'Air France
à plus de 10 ans, âge trop élevé pour une compagnie qui vise à retrouver toute sa
vigueur concurrentielle (JO p. 85). L'investissement dans le renouvellement de la
flotte d'un montant de 11,5 milliards de FF, qui figure dans les «grandes lignes de
force» du plan de restructuration (JO p. 75), est ainsi considéré par la Commission
comme faisant partie intégrante de la restructuration d'Air France.
- 108.
- Devant le Tribunal, la Commission a d'ailleurs confirmé ce point de vue en
déclarant que l'acquisition de 17 nouveaux avions était justifiée «dans le cadre de
la mise en oeuvre du projet» (n° 40 de la duplique dans l'affaire T-371/94). En
outre, selon le rapport Ernst & Young présenté par la Commission (annexe 2 au
mémoire en défense dans l'affaire T-371/94), l'achat des avions était «un élément
intégral du programme visant à rationaliser la flotte [...], cet investissement
constituant un élément clé du plan» (p. 22, n° 22 du rapport).
- 109.
- En ce qui concerne les modalités de financement de cet investissement, la décision
attaquée indique que la mise en oeuvre du plan de restructuration sera financée
par l'augmentation de capital et la cession d'actifs hors métiers de base, dont Air
France espère retirer quelque 7 milliards de FF, à savoir notamment la vente d'un
certain nombre d'avions, qui devrait rapporter quelque 4,1 milliards de FF, ainsi
que la cession d'un stock de pièces de rechange (1,2 milliard de FF), d'un bâtiment
(0,4 milliard de FF) et de la chaîne hôtelière Méridien (JO p. 76). La décision
attaquée ajoute que les autorités françaises se sont engagées à ce que, pendant la
durée du plan, l'aide soit exclusivement utilisée par Air France pour les finalités de
la restructuration de la compagnie (JO p. 78 et 79).
- 110.
- Dans son évaluation de la viabilité du plan de restructuration, la Commission
déclare que l'aide en question vise à financer la mise en oeuvre du plan et à
restructurer les finances d'Air France (JO p. 82). En résumé, elle est convaincue
que l'aide accordée à Air France est à la fois nécessaire et appropriée pour donner
à la compagnie les moyens de mener à bien son plan de restructuration et de
retrouver sa viabilité (JO p. 86). Enfin, la condition d'autorisation n° 6 impose aux
autorités françaises de veiller «à ce que [...] l'aide soit exclusivement utilisée par
Air France pour les finalités de la restructuration de la compagnie» (JO p. 89).
- 111.
- Ainsi qu'il ressort de ces motifs, la décision attaquée considère que l'aide d'État
litigieuse, si elle sert à réduire l'endettement d'Air France, vise aussi à financer la
réalisation du plan de restructuration, cofinancée par la cession d'actifs. Or, la
Commission estime, en même temps, que l'investissement dans le renouvellement
de la flotte constitue lui-même un élément indispensable de la restructuration d'Air
France. Il apparaît donc que la décision attaquée admet que l'aide sert à financer
l'investissement dans la flotte comportant l'achat de 17 nouveaux avions. En tout
état de cause, la décision n'interdit pas que l'aide puisse être utilisée, au moins
partiellement, pour financer cet investissement. En effet, le seul moyen financier
autonome d'Air France destiné à contribuer au financement de cet investissement,
à savoir la cession d'actifs, n'est censé rapporter que 7 milliards de FF, alors que
le coût de l'investissement en cause s'élève à 11,5 milliards de FF.
- 112.
- Bien qu'un tel achat, accompagné de la cession d'anciens avions, constitue
manifestement une modernisation de la flotte d'Air France, la décision attaquée ne
se prononce pas sur la pertinence, affirmée par les parties intéressées, de la
jurisprudence Deufil/Commission et Exécutif régional wallon et
Glaverbel/Commission (citée aux points 79 et 98 ci-dessus). La Commission s'est
ainsi abstenue de préciser si elle tolérait, à titre exceptionnel, le financement en
cause parce qu'elle considérait ladite jurisprudence comme dénuée de pertinence
dans les circonstances particulières du cas d'espèce ou si elle entendait se départir
du principe même posé par cette jurisprudence.
- 113.
- Une prise de position de la Commission en la matière aurait été d'autant plus
nécessaire que sa propre pratique décisionnelle traduit l'opposition de principe à
toutes les aides au fonctionnement, destinées à financer la modernisation normale
des installations. En effet, la Commission estime que les investissements destinés
à une telle modernisation ne peuvent pas être considérés comme une
restructuration et doivent donc être financés sur les ressources propres des
entreprises concernées, sans intervention étatique [décision 85/471/CEE de la
Commission, du 10 juillet 1985, relative à une aide accordée par le gouvernement
allemand à un producteur de fils de polyamide et de polypropylène installé à
Bergkamen (JO L 278 p. 26, 29) ; décision 89/228/CEE de la Commission, du 30
novembre 1988, relative au décret-loi n. 370/87, du gouvernement italien, du 7
septembre 1987, converti en loi n. 460, du 4 novembre 1987, relative à laproduction et à la commercialisation et portant notamment nouvelles normes en
matière de production et de commercialisation des produits viti-vinicoles (JO 1989,
L 94, p. 38, 41) ; décision 92/389/CEE de la Commission, du 25 juillet 1990, relative
aux aides d'État prévues par les décrets-lois n. 174 du 15 mai 1989 et n. 254 du 13
juillet 1989, ainsi que par le projet de loi n. 4230 portant régularisation des effets
produits par les décrets-lois susmentionnés (JO 1992, L 207, p. 47, 51)].
- 114.
- Il s'ensuit que les motifs de la décision attaquée ne font pas apparaître que la
Commission a effectivement examiné si et, dans l'affirmative, pour quelles
raisons la modernisation de la flotte d'Air France pouvait être partiellement
financée par une aide destinée à la restructuration de la compagnie, et cela
contrairement à la jurisprudence susmentionnée et à sa propre pratique
décisionnelle.
- 115.
- Cette constatation n'est pas infirmée par les précisions que la République française
et Air France ont apportées devant le Tribunal au sujet des investissements
aéronautiques de 11,5 milliards de FF prévus dans le plan de restructuration. Dans
la mesure où ces parties intervenantes ont indiqué que la somme de 11,5 milliards
de FF était fractionnée en trois parties, à savoir 7,6 milliards pour l'achat de 17
avions, 3 milliards pour l'achat de pièces de rechange et 0,9 milliard pour des
travaux aéronautiques, il est évident que les travaux aéronautiques et les pièces de
rechange servent, au même titre que les nouveaux avions, à la modernisation de la
compagnie.
- 116.
- Il est vrai que la Commission a fait valoir ultérieurement, au cours de la présente
procédure, que l'aide litigieuse était destinée au seul désendettement d'Air France
et non pas à l'achat des 17 nouveaux avions, l'investissement dans la flotte devant
être financé exclusivement par les recettes d'exploitation d'Air France. Il y a
toutefois lieu de constater que ce raisonnement, développé par les agents de la
Commission devant le Tribunal, non seulement ne figure pas dans la décision
attaquée, mais est même contredit par les motifs de celle-ci, selon lesquels l'aide
était destinée à financer, au moins partiellement, la mise en oeuvre du plan de
restructuration qui comportait la modernisation de la flotte d'Air France. Or, ainsi
que la Cour l'a jugé dans son arrêt du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a.
(C-137/92 P, Rec. p. I-2555, points 66 à 68), le dispositif et les motifs d'une
décision, qui doit être obligatoirement motivée en vertu de l'article 190 du traité,
constituent un tout indivisible, de sorte qu'il appartient uniquement au collège des
membres de la Commission, en vertu du principe de collégialité, d'adopter à la fois
l'un et les autres, toute modification des motifs dépassant une adaptation purement
orthographique ou grammaticale étant du ressort exclusif du collège.
- 117.
- Ces considérations basées sur le principe de collégialité sont tout aussi pertinentes
pour la décision attaquée en l'espèce, qui devait également être motivée en vertu
de l'article 190 du traité, et par laquelle le collège des membres de la Commission
exerçait le pouvoir discrétionnaire qui lui est réservé, à l'exclusion de toute autre
instance, dans l'application de l'article 92, paragraphe 3, du traité. Il s'ensuit que
l'argumentation présentée par les agents de la Commission devant le Tribunal ne
saurait être retenue (voir, en ce sens, également l'arrêt Bremer
Vulkan/Commission, cité au point 94 ci-dessus, points 47 et 48).
- 118.
- Il en va de même, et à plus forte raison, en ce qui concerne les explications
fournies devant le Tribunal par les parties intervenues au soutien de la
Commission, Air France et la République française, qui soulignent que,
premièrement, il était impossible d'annuler ou de reporter les commandes des 17
nouveaux avions parce qu'il s'agissait d'engagements contractuels fermes dont le
non-respect aurait entraîné l'imposition de pénalités, deuxièmement, parmi les 34
avions dont la revente était prévue dans le plan de restructuration, sept étaient
neufs de sorte que les recettes de leur revente correspondraient à sept avions neufs
non encore acquis, troisièmement, sur les 17 nouveaux avions, sept seraient
immédiatement revendus sans mise en ligne et, quatrièmement, le total des
ressources d'exploitation d'Air France aurait été fixé à 19,2 milliards de FF dans
le plan de restructuration, de sorte que ces ressources auraient été suffisantes pour
couvrir les dépenses d'investissement dans le renouvellement de sa flotte. Ces
affirmations ne sont pas couvertes par le principe de collégialité et ne sauraient
donc pallier le défaut de motivation dont la décision attaquée est entachée.
- 119.
- Il convient d'ajouter, à titre surabondant, que les explications fournies devant le
Tribunal, selon lesquelles l'application des mesures prévues par le plan de
restructuration devait dégager une marge brute d'autofinancement permettant à Air
France de faire face à ses frais d'exploitation et d'investissement, à les supposer
recevables, seraient en tout état de cause contredites par les motifs de la décision
attaquée, dont il ressort que l'équilibre financier et la rentabilité d'Air France ne
devraient être rétablis qu'à la fin de 1996 (JO p. 75).
- 120.
- Il résulte de tout ce qui précède que la motivation de la décision attaquée ne
satisfait pas aux exigences de l'article 190 du traité, en ce qui concerne l'achat de
17 nouveaux avions.
B Sur le grief pris de ce que la Commission aurait autorisé à tort le financement
de frais d'exploitation et de mesures opérationnelles d'Air France
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
- 121.
- Les requérantes dans l'affaire T-371/94 estiment que la Commission a omis
d'examiner si l'aide était indispensable à la restructuration d'Air France et non pas
simplement utile au financement du développement de ses activités et à la
modernisation de ses équipements. Selon ces requérantes, l'article 92, paragraphe
3, sous c), du traité n'autorise pas une aide opérationnelle visant à moderniser les
activités de son bénéficiaire.
- 122.
- Elles exposent que les seuls coûts structurels découlant de la mise en oeuvre du
plan de restructuration concernent les 5 000 départs volontaires, dont le montant
exact reste ouvert, la décision attaquée ne contenant aucune information sur ce
point. Les coûts pouvant découler des autres mesures envisagées dans le plan de
restructuration devraient être considérés comme des frais d'exploitation,
notamment la politique commerciale de reconquête de la clientèle, ainsi que le
lancement d'Euroconcept et de Première club. Il serait vraisembable qu'Air France
utilisera également l'aide pour financer d'autres mesures opérationnelles qui ne
sont pas explicitement envisagées dans le plan de restructuration. En particulier,
Air France casserait considérablement les prix sur les liaisons entre les pays de
l'EEE et les pays tiers.
- 123.
- Ces requérantes précisent avoir la preuve que l'introduction par Air France de
nouvelles classes sur les liaisons moyen-courriers et l'introduction de la nouvelle
classe sur les liaisons long-courriers à l'automne 1995 coûteront respectivement à
la compagnie 150 millions de FF et environ 500 millions de FF, ainsi qu'il ressort
de deux articles de presse parus en mars 1995. Par conséquent, elles estiment que
les coûts d'exploitation encourus avant la fin de 1996, par exemple pour
l'introduction de deux nouvelles classes, auront été financés au moyen de l'aide
litigieuse.
- 124.
- La requérante dans l'affaire T-394/94 est également d'avis que l'aide servira
massivement à financer les nouveaux produits d'Air France, tels que son opération
«classe club». Dans ce contexte, les requérantes dans l'affaire T-371/94 rappellent
qu'Air France bénéficie d'une «marge de sécurité» (JO p. 85), qu'elle pourrait
utiliser pour soutenir et moderniser ses activités. L'aide serait suffisamment
excessive pour permettre à Air France d'envisager la recapitalisation de sa filiale
Jet Tours ou pour envisager de transférer une partie de l'aide à sa filiale Air
Charter.
- 125.
- Les requérantes dans les deux affaires s'opposent à la thèse de la Commission
selon laquelle l'aide litigieuse est uniquement destinée à réduire les charges
financières d'Air France en diminuant son taux d'endettement et non pas à financer
ses coûts d'exploitation. A cet égard, elles estiment que la simple éventualité que
l'aide soit destinée à maintenir et à développer les activités d'Air France suffit à
la rendre incompatible avec l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité. A l'appui
de cet argument, elles se réfèrent à l'arrêt de la Cour du 21 mars 1991,
Italie/Commission (C-303/88, Rec. p. I-1433, points 10 et 14), selon lequel il n'est
pas nécessaire d'établir que des fonds étatiques octroyés sont spécifiquement et
explicitement destinés à atteindre un objectif précis, mais il suffit de constater que,
en tout état de cause, le fait de recevoir des fonds permet de libérer d'autres
ressources pour parvenir au même résultat.
- 126.
- Les requérantes dans l'affaire T-371/94 ajoutent que la Commission n'a pas
expliqué la différence entre le montant de l'aide litigieuse et le montant qu'il aurait
fallu pour mettre en oeuvre le programme antérieur «PRE 2», d'une part, ou le
montant de 8 milliards de FF qui, avant l'adoption de la décision attaquée, avait
été considéré comme nécessaire à la mise en oeuvre du plan de restructuration,
d'autre part. Par ailleurs, la Commission n'aurait pas examiné si et dans quelle
mesure la restructuration entreprise par d'autres compagnies aériennes sans l'aide
financière de l'État ne prouvait pas que le libre jeu des forces du marché aurait
amené Air France à restructurer ses activités sans l'intervention des autorités
publiques.
- 127.
- A l'audience, ces mêmes requérantes ont relevé que l'aide à la restructuration
devait être liée à chaque mesure envisagée. La Commission aurait dû imposer des
conditions quant à la manière dont l'aide devait être utilisée. Il serait inacceptable
d'admettre un équilibre général quant à l'aide accordée globalement «pour les
besoins d'Air France».
- 128.
- La Commission affirme avoir apprécié la cohérence et l'efficacité du plan de
restructuration, ainsi que l'adéquation du montant d'aide requis pour permettre à
Air France de le mener à bien. Pour procéder à cette appréciation, elle n'aurait
pas à examiner des questions étrangères aux caractéristiques intrinsèques du plan,
ni, à plus forte raison, les expériences d'autres compagnies aériennes.
- 129.
- Elle ajoute que l'aide autorisée est uniquement destinée à réduire les charges
financières d'Air France par l'abaissement de son niveau d'endettement.
Contrairement à ce que prétendent les requérantes, elle ne serait pas utilisée pour
financer les coûts d'exploitation d'Air France. L'application des mesures rigoureuses
prévues par le plan de restructuration, y compris la vente d'actifs, devrait dégager
une marge brute d'autofinancement qui permettrait à Air France de faire face à
ses frais d'exploitation et d'investissement. Cela ne lui suffirait toutefois pas pour
pouvoir supporter ses charges financières. Sans une réduction de son niveau
d'endettement, Air France ne pourrait survivre. A la fin de 1996, Air France
pourrait faire face à tous ses coûts, qu'ils soient d'exploitation ou financiers.
- 130.
- La Commission rappelle que les améliorations des résultats d'exploitation opérées
par le plan de restructuration devraient produire, pendant sa durée, 5 milliards de
FF. Ce montant permettrait à Air France certes de couvrir ses coûts d'exploitation,
mais non le remboursement du principal et de l'intérêt. Grâce à l'aide, les charges
financières d'Air France passeraient de 3,2 milliards de FF en 1993 à 1,8 milliard
en 1996 (JO p. 75). Renvoyant au rapport Ernst & Young (annexe 2 au mémoire
en défense dans l'affaire T-371/94), elle affirme que la dette d'Air France sera
réduite de 18,9 milliards de FF et ajoute que, sans l'aide, ses pertes nettes prévues
pour 1996 s'établiraient à 694 millions de FF, tandis que, avec l'aide, elle devrait
enregistrer un bénéfice net de 457 millions de FF. Le risque de surcapitalisation
serait évité par le fait que l'aide approuvée est payable en trois tranches.
- 131.
- Quant à l'arrêt Italie/Commission (cité au point 125 ci-dessus), la Commission
estime qu'il n'apporte aucun soutien à la thèse des requérantes. Dans cette affaire,
la Cour aurait considéré que l'injection de capital par l'État pouvait constituer une
aide, compte tenu des pertes d'exploitation continues de l'entreprise en cause qui
étaient compensées par l'État concerné, et en l'absence de tout programme de
restructuration. Ce faisant, la Cour aurait répondu à l'affirmation du gouvernement
concerné selon laquelle les fonds en question n'étaient pas des aides d'État. Les
passages cités par les requérantes ne porteraient que sur cette seule question, alors
que les requérantes invoquent, ici, l'arrêt au soutien de l'allégation, très différente,
selon laquelle la Commission aurait appliqué un critère juridique incorrect pour
établir que l'aide à Air France était indispensable.
- 132.
- La République française et Air France contestent la thèse selon laquelle l'aide
litigieuse bien que calculée pour réduire les charges de la dette d'Air France et
non pour couvrir une partie des frais d'exploitation profiterait quand même à
l'exploitation. Accepter une telle position reviendrait à interdire toute aide à la
restructuration, car il serait toujours possible de soutenir qu'une aide ciblée sur un
objectif particulier d'assainissement se substitue aux ressources d'exploitation qui
auraient été consacrées à cet objectif en l'absence de l'aide. Or, il faudrait
nettement distinguer les aides à la restructuration, qui participent à l'amélioration
des conditions d'exploitation des entreprises concernées et qui peuvent
parfaitement être compatibles avec le marché commun, des pures aides au
fonctionnement ou des aides prolongées au sauvetage, qui ne peuvent pas l'être,
en principe.
Appréciation du Tribunal
- 133.
- Dans la mesure où les requérantes reprochent à la Commission d'avoir permis à
Air France de transférer l'aide à certaines de ses filiales, tout en affirmant qu'il leur
paraît vraisemblable qu'Air France financera globalement des frais d'exploitation,
le Tribunal estime que ces arguments sont trop vagues pour pouvoir être retenus
et se bornent à de simples suppositions non étayées par des éléments factuels
précis.
- 134.
- L'argument tiré du plan de restructuration antérieur «PRE 2» ne saurait non plus
être accueilli. En effet, ce plan s'est heurté à l'opposition des syndicats et du
personnel d'Air France; il ne pouvait donc pas être réalisé. Dans ces circonstances,
rien n'obligeait la Commission à tenir compte, à titre comparatif, de certains
éléments d'un plan de restructuration qui avait échoué. Il en est de même du
montant de 8 milliards de FF, qui aurait été mentionné avant l'adoption de la
décision attaquée. Étant donné qu'il ne s'agissait pas du chiffre officiellement
soumis par les autorités françaises à la Commission dans le cadre du plan de
restructuration formellement déposé, la Commission n'était pas contrainte d'en
tenir compte.
- 135.
- S'il ne saurait être exclu que la Commission puisse comparer les mesures de
restructuration envisagées par Air France avec celles adoptées par d'autres
compagnies aériennes, il n'en reste pas moins que la restructuration d'une
entreprise doit être ciblée sur ses problèmes intrinsèques et que les expériences
faites par d'autres entreprises, dans des contextes économiques et politiques
différents, en d'autres périodes, peuvent être dépourvues de pertinence.
- 136.
- Dans la mesure où les requérantes allèguent encore que l'aide aurait dû être
fractionnée en différentes tranches, dont chacune liée à une mesure de
restructuration individuelle, le Tribunal considère qu'une telle approche aurait
nécessairement révélé le coût de chaque mesure et ainsi divulgué les structures du
fonctionnement interne d'Air France. Or, de telles données revêtent, au moins pour
une certaine période, un caractère confidentiel et doivent être tenues secrètes à
l'égard du public et notamment des concurrents d'Air France. Dans ces
circonstances, le mécanisme des contrôles ultérieurs instaurés par l'article 2 de la
décision attaquée, combiné en particulier avec la condition d'autorisation n° 6, doit
être considéré comme un système adéquat visant à exclure qu'Air France soit
surcapitalisée en raison d'une utilisation de l'aide à d'autres fins que sa
restructuration.
- 137.
- Pour autant que les requérantes prétendent que la seule mesure de restructuration
véritable du plan litigieux concerne la réduction du personnel d'Air France (5 000
départs volontaires) et que toutes les autres mesures sont, en réalité, de nature
purement opérationnelle, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu'il a été constaté ci-dessus aux points 110, 111, 116 et 117, l'aide litigieuse vise à financer, au moins
partiellement, la restructuration d'Air France et que l'affirmation selon laquelle
l'aide a exclusivement été affectée à son désendettement, à défaut de figurer dans
le texte de la décision attaquée, doit être écartée. Par conséquent, il importe
d'examiner le caractère structurel des différentes mesures relevées par les
requérantes.
- 138.
- A cet égard, il convient de souligner que, ainsi qu'il ressort du dossier, Air France
ne dispose ni d'usines ni d'installations industrielles dotées de processus de
fabrication susceptibles d'être techniquement restructurés. Pour une telle
compagnie, l'essentiel de son activité est centrée sur l'offre de transport des
personnes et du fret, ainsi que sur les moyens utilisés pour la prestation de ces
services. C'est donc la seule structure de cette offre ainsi que celle de l'organisation
de la compagnie, servant de support à l'offre, qui peuvent valablement faire l'objet
d'une restructuration.
- 139.
- Cela étant constaté, le Tribunal estime que la suppression des 5 000 postes ainsi
que la réorganisation d'Air France en onze centres opérationnels responsables de
leurs résultats financiers pouvaient raisonnablement être qualifiées par la
Commission de mesures structurelles. Cela paraît moins certain en ce qui concerne
les initiatives commerciales (Euroconcept, Classe club et Première club) et les
modifications du réseau aérien, étant donné qu'Air France se limite ainsi à suivre
l'évolution commerciale du marché, sans intervenir dans les structures mêmes de
la compagnie. De telles mesures semblent donc être de nature purement
opérationnelle et concerner le seul fonctionnement d'Air France.
- 140.
- Toutefois, et sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur la pertinence des
jurisprudence et pratique décisionnelle précitées aux points 98 et 113, il convient
de rappeler que le plan de restructuration d'Air France devait être financé par
l'augmentation de capital, au moyen de l'aide, ainsi que par la cession d'actifs dont
Air France espérait «retirer quelque 7 milliards de FF» (JO p. 76). Or, vu les
chiffres relativement modestes relevés par les requérantes dans l'affaire T-371/94
dans ce contexte (150 millions de FF et 500 millions de FF), le Tribunal considère
que la Commission pouvait admettre que ces mesures seraient couvertes par les
ressources provenant de la vente par Air France de ses propres actifs et par les
recettes de son exploitation courante.
- 141.
- Dans ce contexte, il y a lieu de rejeter l'argumentation prise de la «fongibilité» de
l'aide, basée sur l'arrêt Italie/Commission (cité au point 125 ci-dessus), selon
laquelle le fait pour Air France de recevoir l'aide lui permettrait de libérer d'autres
ressources d'exploitation qui, au lieu d'être affectées au remboursement de sa dette,
pourraient alors être utilisées pour financer les mesures susmentionnées. S'agissant
en l'espèce de mesures d'investissement et d'exploitation d'une envergure normale
que toute compagnie aérienne doit raisonnablement prendre, afin de pouvoir
maintenir ses activités opérationnelles face à la concurrence sur le marché, la
République française et Air France ont souligné à juste titre que cette thèse de la
«fongibilité» reviendrait en fait à interdire toute aide à la restructuration et
condamnerait, en dernière analyse, l'entreprise bénéficiaire à cesser ses activités
d'exploitation.
- 142.
- Il est vrai que la solution pourrait être différente en ce qui concerne
l'investissement de 11,5 milliards de FF défini dans la décision attaquée comme un
«investissement au niveau de la flotte» (JO p. 75). Il y a toutefois lieu de rappeler
que le Tribunal n'est pas à même d'examiner le fond de cette problématique, du
fait que la décision attaquée n'est pas motivée sur ce point substantiel (voir ci-dessus points 111 à 120). Pour ce qui est de l'argumentation relative à la pratique
tarifaire d'Air France sur les lignes hors EEE, prétendument financée par l'aide,
l'examen de ce point présuppose une analyse de la situation concurrentielle d'Air
France sur ces lignes. Cette analyse aura lieu dans un contexte différent (voir ci-après points 259 à 280).
- 143.
- Il s'ensuit que, sous cette dernière réserve, le grief tiré de ce que la Commission
aurait autorisé à tort le financement de frais d'exploitation et de mesures
opérationnelles doit être rejeté.
C Sur le grief pris d'une classification erronée des titres émis par Air France
entre 1989 et 1993
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
- 144.
- Les requérantes dans l'affaire T-371/94 soulignent que, selon le principe de
proportionnalité, une aide d'État ne doit pas être si importante qu'elle donne au
bénéficiaire un ratio d'endettement meilleur que celui de ses concurrents. Or, en
l'espèce, la Commission aurait procédé à une classification erronée des ORA
(obligations remboursables en actions), des TSDI (titres subordonnés à durée
indéterminée reconditionnés) et des TSIP-BSA (titres subordonnés à intérêts
progressifs assortis de bons de souscription d'actions) émis par Air France dans les
années 1989 à 1993, pour calculer son ratio d'endettement en 1996. Une
classification correcte de ces titres aurait fait apparaître, selon les requérantes, que
le ratio d'endettement d'Air France est bien meilleur que celui de toutes les autres
compagnies aériennes.
- 145.
- Dans la décision attaquée, la Commission aurait conclu que, aux fins du calcul du
ratio d'endettement d'Air France, les ORA représentent des «quasi-capitaux
propres»; toutefois, la Commission aurait supposé, à tort, que les ORA de 1993
tout comme les TSIP-BSA d'ailleurs seraient remplacées par des dettes
conventionnelles du fait que, en vertu de sa décision 94/662/CE, du 27 juillet 1994,
concernant la souscription de CDC-Participations à des émissions d'obligations
d'Air France (JO L 258, p. 26, ci-après «décision 94/662»), elles doivent être
remboursées en tant qu'aides d'État illégales. Or, Air France n'aurait pas été
obligée et ne se serait pas engagée à remplacer les ORA de 1993 par des dettes
conventionnelles. En outre, les liquidités dont Air France disposera lorsqu'elle aura
reçu l'aide devraient, en pratique, rendre inutile le remplacement des recettes des
ORA et des TSIP-BSA de 1993 par des liquidités complémentaires.
- 146.
- Selon les requérantes, l'évolution de la situation depuis l'adoption de la décision
attaquée illustre leur thèse. D'après un article de presse, la Commission aurait
demandé, le 5 avril 1995, que la France (et non pas Air France) dépose la somme
de 1,5 milliard de FF sur un compte bloqué en attendant le résultat de la
procédure introduite devant la Cour et le Tribunal concernant l'annulation de la
décision 94/662. En conséquence, Air France continuerait à bénéficier de la valeur
des ORA et des TSIP-BSA émis en 1993, au moins jusqu'au prononcé de l'arrêt
de la Cour ou du Tribunal, c'est-à-dire durant la majorité de la période de
restructuration.
- 147.
- Les requérantes soutiennent que, en vérité, les ORA et les TSIP-BSA ainsi qu'une
partie de la valeur du prêt provenant des TSDI auraient dû être classés sous le
poste «capitaux propres» pour calculer le ratio d'endettement d'Air France, car ils
constituent des capitaux qui sont en permanence à sa disposition jusqu'à sa
liquidation.
- 148.
- En ce qui concerne plus particulièrement les TSDI, les requérantes soulignent queles souscripteurs sont remboursés par un fonds bancaire dans lequel Air France a
placé une partie (25 %) de la valeur originale des TSDI, tandis qu'une part
importante de la valeur de ces titres (75 %) est conservée par Air France à titre
permanent. Contrairement à l'extinction d'une dette qui résulte de son
remboursement par l'emprunteur, les TSDI continueraient à exister légalement
même après le remboursement du capital. Par ailleurs, la Commission aurait elle-même déclaré, dans sa communication du 3 juin 1994 (JO p. 8), que le
remboursement «automatique» des TSDI est assuré par un fonds bancaire, que
l'obligation de remboursement ne devient effective pour Air France qu'en cas de
liquidation de la compagnie et que, lors de l'analyse par la Commission en 1992 de
la situation financière d'Air France, les TSDI ont, avec l'accord du gouvernement
français, été incorporés aux fonds propres. De l'avis des requérantes, les TSDI
constituent des fonds qui sont en permanence à la disposition d'Air France et qui
lui procurent donc un avantage concurrentiel vis-à-vis des compagnies concurrentes.
Les requérantes ajoutent que, si l'on n'inclut dans les fonds propres que la part de
la valeur TSDI conservée à titre permanent par Air France, cela a une incidence
importante sur son ratio d'endettement pour l'année 1996, car celui-ci serait alors
de 0,76:1 et non pas de 1,12:1.
- 149.
- Par ailleurs, les requérantes reprochent à la Commission d'avoir mal compris les
concepts financiers en cause lors de la classification des instruments financiers
considérés. A cet égard, elles affirment que, dans le cas aussi bien des TSDI que
des TSIP-BSA, le paiement d'intérêts est subordonné au résultat d'Air France et
peut être suspendu. Les requérantes ajoutent que le critère de convertibilité des
instruments en question est inadéquat, dans la mesure où la Commission indique
que les TSIP-BSA deviendront à terme des capitaux propres «à condition que le
marché donne à leurs titulaires la possibilité de concrétiser les BSA». Ce faisant,
la Commission aurait méconnu que le BSA est un droit distinct, complémentaire,
détachable et indépendant, dont le détenteur peut être ou ne pas être le même que
celui du TSIP. Ce dernier ne serait pas convertible parce qu'il s'agit d'un titre
subordonné perpétuel. Le concept de «convertibilité» serait, de la même façon,
inapplicable aux TSDI, car ce seraient des titres subordonnés perpétuels pouvant
être remboursés en cas de liquidation d'Air France. Les requérantes soutiennent
enfin que la prise en considération, par la Commission, des droits que les ORA, les
TSDI et les TSIP-BSA confèrent à leurs détenteurs est dépourvue de pertinence.
- 150.
- La Commission rappelle, tout d'abord, avoir souligné, dans la décision attaquée, la
nature financière parfois ambiguë des titres en cause (JO p. 84). Elle rappelle
ensuite que, en vertu de sa décision 94/662, le montant payé pour la souscription
aux ORA et aux TSIP-BSA émis en avril 1993 devait être remboursé par Air
France, si bien que la valeur de ces titres devait être considérée comme une dette.
En ce qui concerne les ORA de 1991, elles devraient être considérées comme des
fonds propres, du fait qu'elles seraient inévitablement converties en actions le
moment venu, alors que les TSDI émis en 1989 et 1992 devraient être considérés
comme une dette, puisqu'ils seraient remboursables après 15 ans et qu'aucune
conversion en actions ne pourrait avoir lieu (JO p. 85).
- 151.
- Dans la mesure où les requérantes invoquent la décision de la Commission du 5
avril 1995 (voir ci-dessus point 146), celle-ci soutient que cette décision, postérieure
à la date de la décision attaquée, n'a aucune incidence sur le classement des titres
en question. La Commission ajoute que, aussi longtemps qu'il existe une obligation
légale de rembourser les montants des ORA et des TSIP-BSA, elle est en droit de
considérer que ces montants sont remplacés par des dettes conventionnelles.
- 152.
- En ce qui concerne les TSDI, la Commission souligne leur caractère reconditionné.
Le fait qu'une partie du produit des TSDI soit conservée par Air France n'aurait
aucune incidence sur leur qualification. Cette conclusion serait confirmée par l'avis
du conseil supérieur de l'ordre français des experts-comptables. Ce serait
l'obligation de rembourser le principal qui importe. La Commission précise que le
flux financier net entre Air France et le trust, auprès duquel une partie des fonds
sont déposés, sera nul à l'issue d'une période de quinze ans. Le prêt représenté par
les TSDI serait effectivement remboursé par l'extinction du trust et l'extinction
subséquente de la dette d'Air France. La totalité du montant réuni par l'émission
des TSDI reconditionnés serait donc remboursée par Air France à l'expiration de
la période de quinze ans. Le montant du produit des TSDI qui n'est pas déposé
auprès du trust ne resterait pas en permanence aux mains de l'émetteur. Ce
montant correspondrait à l'obligation pour l'émetteur de payer des intérêts sur une
base annuelle pendant quinze ans sur le montant total des TSDI. De l'avis de la
Commission, l'obstination des requérantes à soutenir que l'émetteur conserve en
permanence une partie du produit des TSDI reconditionnés repose sur une
approche analytique subjective selon laquelle tout prêt pourrait être considéré
comme une injection de fonds propres.
- 153.
- Même si le payement d'intérêts peut être suspendu dans le cas aussi bien des TSDI
que des TSIP-BSA, la Commission estime qu'Air France reste néanmoins dans
l'obligation de payer les intérêts accumulés sur ces montants. En d'autres termes,
le payement des intérêts ne serait que remis à plus tard. En ce qui concerne les
développements des requérantes relatifs aux droits que les instruments financiers
en question confèrent à leurs porteurs, la Commission souligne que la décision
attaquée n'a pas attribué une importance particulière à la nature des droits que ces
instruments conféraient ou ne conféraient pas à leurs détenteurs. L'élément
essentiel aurait été la conversion obligatoire des titres en actions.
- 154.
- Air France précise, au sujet des TSDI reconditionnés, que la profession comptable
ne s'est attachée à définir leur nature qu'à partir de la fin de 1991. La commission
française des opérations de bourse, dans un communiqué du 6 mars 1992, se serait
opposée à ce que les TSDI reconditionnés soient inclus dans les capitaux propres.
A partir de la fin de 1993, les praticiens auraient eu connaissance du projet d'avis
de l'ordre français des experts-comptables qualifiant de dette les TSDI. La position
du conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables aurait été définitivement
arrêtée le 7 juillet 1994 en ce sens.
Appréciation du Tribunal
- 155.
- Il y a tout d'abord lieu de constater que, en vérifiant la proportionnalité de l'aide,
la Commission souligne, dans la décision attaquée, que le ratio d'endettement d'Air
France est très largement fonction de la classification de plusieurs titres émis par
la compagnie, les ratios variant considérablement selon que ces titres sont classés
dans les capitaux propres ou les dettes (JO p. 83). Elle décrit ensuite les montants
et les caractéristiques des instruments financiers émis par Air France au cours des
cinq dernières années précédant la décision attaquée, à savoir des ORA émises en
décembre 1991 et avril 1993, des TSDI émis en juin 1989 et mai 1992, ainsi que des
TSIP-BSA émis en avril 1993 (JO p. 83 et 84). Enfin, elle expose les critères qui
font différer les fonds propres des emprunts en fonction, notamment, des
dispositions applicables du droit français, de la quatrième directive communautaire
concernant les comptes annuels des sociétés, ainsi que de l'opinion du comité
professionnel de doctrine comptable (JO p. 84 et 85).
- 156.
- Les parties sont unanimes à qualifier les ORA de «capitaux propres» ou de «fonds
propres», étant donné que ces titres ne seront jamais remboursés mais feront
l'objet d'une conversion obligatoire en actions. Par ailleurs, la Commission a
effectivement procédé à une telle qualification dans la décision attaquée (JO p. 85).
- 157.
- En ce qui concerne plus particulièrement les ORA émises par Air France en avril
1993 et souscrites par la société CDC-Participations, il convient de rappeler que la
Commission, par sa décision 94/662, en a ordonné le remboursement, motif pris de
leur nature d'aides d'État illégales. Bien que la République française ait attaqué
cette décision devant la Cour (affaire C-282/94) et qu'Air France ait introduit un
recours devant le Tribunal (affaire T-358/94), ces saisines n'ont eu aucun effet
suspensif, de sorte que les fonds correspondant aux ORA émises devaient être
remboursés par Air France. Par ailleurs, la décision de la Commission est devenue
définitive, l'arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996, Air France/Commission
(T-358/94, Rec. p. II-2109), qui a rejeté le recours dirigé contre cette décision,
ayant acquis force de chose jugée et l'affaire C-282/94 ayant été radiée du registre
de la Cour par ordonnance du 17 avril 1997.
- 158.
- Peu importe, dans ce contexte, qu'Air France ait pu effectivement bénéficier,
jusqu'au prononcé dudit arrêt, de la valeur représentée par ces ORA. En effet, la
disponibilité d'un capital pendant une certaine période ne constitue pas un critère
distinguant les fonds propres des dettes. Tout capital, dont une entreprise peut
disposer, doit toujours être classé dans le bilan de l'entreprise, à la seule rubrique
du «passif», soit comme «dettes» lorsqu'il doit être remboursé, soit comme «fonds
propres» lorsqu'il reste en permanence à la disposition de l'entreprise. Or, du fait
que les ORA en cause devaient être remboursées à partir du 27 juillet 1994, c'est
à juste titre que la Commission les a qualifiées de dettes.
- 159.
- Il en est de même des TSIP-BSA émis en avril 1993 qui ont également fait l'objet
de la décision 94/662. Par conséquent, il n'y a pas lieu pour le Tribunal de se
prononcer sur leur classification de principe.
- 160.
- Quant aux TSDI reconditionnés, les parties ont présenté plusieurs rapports
d'expertise financiers et comptables relatifs à leur classification. Les requérantes se
réfèrent à celui du professeur Pene (annexe 40 à la requête et annexe 16 aux
observations sur les interventions), tandis que la Commission et Air France
s'appuient respectivement sur le cabinet Ernst & Young (annexe 2 au mémoire en
défense, avec une note spécifique sur les TSDI reconditionnés en annexe A, et
annexe à la duplique) et le professeur Vermaelen (annexe 7 au mémoire en
intervention d'Air France). En outre, la Commission renvoie à l'avis du conseil
supérieur de l'ordre des experts-comptables, approuvé le 7 juillet 1994 (p. 18/19 de
l'annexe B au rapport d'Ernst & Young joint en annexe 2 au mémoire en défense).
- 161.
- Il ressort de ces expertises contradictoires que la classification des TSDI
reconditionnés implique des appréciations complexes d'ordre économique et
financier. Dès lors, la Commission dispose d'un large pouvoir d'appréciation en la
matière, et le Tribunal ne saurait censurer sa décision sur ce point qu'après avoir
constaté une erreur manifeste d'appréciation. Or, il n'apparaît pas que la
Commission ait, à tort, considéré le mécanisme de remboursement des TSDI
comme l'élément décisif outre l'impossibilité de les convertir en actions pour
leur qualification de dettes.
- 162.
- Cette conclusion n'est pas infirmée par le fait que le paiement d'intérêts pour ces
TSDI peut être suspendu en cas de mauvais résultats financiers d'Air France. En
effet, le caractère d'emprunt d'une opération de financement n'est pas remis en
cause par la circonstance que les conditions de rémunération sont, sous un aspect
spécifique, désavantageuses pour le souscripteur.
- 163.
- Enfin, cette conclusion n'est pas non plus contredite par la circonstance que la
Commission avait initialement eu tendance à qualifier les TSDI de «fonds propres»
(communication du 3 juin 1994, JO p. 8). En effet, ainsi qu'Air France l'a exposé
devant le Tribunal, ce changement d'approche reflète l'évolution que la
qualification des TSDI a connue de 1991 à 1994 au sein de la profession comptable
elle-même. Dans ce contexte, il convient de rappeler que le conseil supérieur de
l'ordre français des experts-comptables, dans son avis du 7 juillet 1994 donc
immédiatement avant l'adoption de la décision attaquée , a définitivement
considéré comme des dettes les TSDI reconditionnés. Le Tribunal estime qu'il nesaurait être reproché à la Commission de s'être ralliée, aux fins de la qualification
de ces titres français, à l'avis définitif de l'organisme français qui représente la
profession compétente en la matière.
- 164.
- La Commission n'ayant pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dans la
classification des titres émis par Air France, le grief doit être rejeté.
D Sur le grief pris d'une méconnaissance du ratio d'endettement d'Air France
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
- 165.
- Les requérantes dans l'affaire T-371/94 estiment que le ratio d'endettement d'Air
France envisagé pour 1996 montre que son endettement sera réduit à un niveau
très inférieur à celui de ses concurrentes. En effet, en calculant que ce ratio serait
de 1,12:1 et en déclarant qu'il est supérieur au ratio moyen de l'aviation civile où
le chiffre de 1,5:1 est considéré comme acceptable, la Commission aurait mal
interprété l'étude réalisée par KPMG une société internationale de conseils et
l'IATA à laquelle il est fait référence dans la décision attaquée (JO p. 85). Cette
étude montrerait, en réalité, que le ratio d'endettement projeté pour Air France
est inférieur à ce qui est considéré comme un ratio optimal et considérablement
inférieur à la moyenne effective qui y est mentionnée pour l'année 1992 (2,3:1 ou
2,1:1 suivant le mode de calcul). Le caractère excessif de l'aide serait augmenté si
l'on compare le ratio d'endettement d'Air France (1,12:1) aux ratios d'endettement
moyens (2,57:1 en 1992 et 3,17:1 en 1993) indiqués dans la publication de l'IATA
«Airline Economic Results and Prospects» (annexe 12 à la réplique).
- 166.
- Le caractère excessif de l'aide accordée à Air France ne saurait être rendu
proportionné simplement au moyen d'une comparaison au regard d'autres ratios
financiers, tels que le ratio de couverture des frais financiers. La constatation faite
par la Commission dans la décision attaquée, selon laquelle ce ratio d'Air France
s'élèvera en 1996 à 2,44:1 et sera, ainsi, très proche du taux moyen de 2,42:1 atteint
par ses concurrents en 1993 (JO p. 85), serait donc dénuée de pertinence. Par
ailleurs, ce ratio serait incomplet et ne ferait que refléter la capacité d'une
entreprise à utiliser les profits qu'elle dégage pour rembourser ses charges
financières. En outre, le critère retenu par la Commission pour sélectionner les
compagnies aériennes auxquelles elle compare le ratio d'Air France en 1996 ne
serait pas clair.
- 167.
- Les requérantes ajoutent que le rapport d'expertise Ernst & Young (annexe 2 au
mémoire en défense), sur lequel la Commission s'appuie, déclare lui-même qu'Air
France aurait pu atteindre le ratio d'endettement théoriquement optimal de 1,5:1
avec une aide d'un montant limité à 15,25 milliards de FF au maximum. Il serait
donc surprenant que le même rapport tente de justifier l'obtention par Air France
de 20 milliards de FF en alléguant qu'il n'y aurait aucune raison particulière pour
qu'Air France ait un ratio d'endettement «moyen».
- 168.
- Par ailleurs, toute comparaison entre des ratios d'endettement serait d'une valeur
contestable. A cet égard, il ressortirait de l'étude réalisée par KPMG et l'IATA
qu'il existe d'importantes différences dans la manière dont les ratios d'endettement
sont calculés et qu'il est donc difficile de faire des comparaisons valables entre
compagnies aériennes. Enfin, il ne serait pas établi que le calcul effectué par la
Commission du ratio d'endettement d'Air France repose sur des chiffres bruts ou
nets, et aucune explication ne serait donnée quant à la décomposition de ces
chiffres.
- 169.
- De plus, la Commission aurait limité à tort son analyse à une période très courte,
l'année 1996, durant laquelle l'aide serait encore versée, sans tenir compte des
effets de l'aide sur la situation financière ultérieure d'Air France, devenue, grâce
à l'aide, considérablement plus forte que ses concurrentes sur le plan financier.
Selon les requérantes, la Commission aurait dû faire une analyse dynamique de
l'effet de l'aide, au-delà de la période de restructuration, sur la position
concurrentielle d'Air France par rapport à ses concurrentes pour déterminer si
l'aide n'était pas excessive. Selon les projections des requérantes, l'aide
contribuerait à placer Air France dans une bien meilleure situation financière, par
rapport à ses concurrentes, que celle que suggèrent les ratios sur lesquels la
Commission s'est appuyée dans la décision attaquée.
- 170.
- Renvoyant au rapport Ernst & Young, la Commission soutient que l'apport de
capital litigieux a été calculé de façon à constituer le montant minimal suffisant
pour rétablir l'équilibre financier d'Air France. Quant au montant de dette employé
pour calculer le ratio d'endettement, elle affirme que, conformément à une
tendance vérifiée de l'analyse financière, elle a tenu compte d'un chiffre net. Par
conséquent, le ratio d'endettement n'aurait pas été gonflé par l'emploi d'un
montant de dette brut.
- 171.
- La Commission rappelle que le ratio d'endettement de 1,12:1 n'a pas été le seul
élément pris en considération dans la décision attaquée pour apprécier la
proportionnalité de l'aide par rapport aux besoins de restructuration d'Air France
et que le ratio de couverture des frais financiers a également revêtu de
l'importance. Rien n'exigerait que le ratio d'endettement d'Air France en 1996 soit
égal au ratio moyen du secteur de l'aviation civile. Il serait suffisant qu'il soit
raisonnablement proche du taux de 1,5:1.
- 172.
- La Commission fait observer qu'elle n'a pas eu recours au ratio de couverture des
frais financiers pour rendre proportionnée une aide dont le caractère
disproportionné résulterait du ratio d'endettement d'Air France. La pertinence du
ratio de couverture des frais financiers serait indubitable. Ce ratio mesurerait la
capacité de la compagnie à acquitter ses frais financiers, le but de l'aide litigieuse
étant précisément d'assainir la charge financière d'Air France. La Commission
ajoute que la mention, dans la décision attaquée, du ratio de couverture des frais
financiers des concurrents d'Air France en 1993 n'est qu'une simple illustration du
ratio obtenu par des compagnies aériennes ayant une situation saine.
- 173.
- La Commission souligne enfin avoir tenu compte également d'autres ratios
financiers. Quant au ratio de rentabilité des fonds propres, la Commission indique
que le rapport Ernst & Young précisait uniquement que ce ratio fournit un
indicateur supplémentaire du niveau d'aide nécessaire pour permettre à Air France
de retrouver sa viabilité économique. Le fait que le montant d'aide autorisé ait été
le minimum requis aurait été établi sur la base des différentes projections des ratios
financiers.
- 174.
- Air France se reporte aux décisions Sabena et Aer Lingus (citées au point 55 ci-dessus), ainsi qu'à la décision 94/696/CE de la Commission, du 7 octobre 1994,
concernant les aides accordées par l'État grec à la compagnie Olympic Airways (JO
L 273, p. 22, ci-après «décision Olympic Airways»), par lesquelles la Commission
a autorisé des aides d'État dans le secteur de l'aviation civile. Elle souligne que les
ratios d'endettement de ces compagnies, à l'issue de leur plan de restructuration,
seront analogues au ratio d'Air France, voire meilleurs. Ils traduiraient donc une
proportion de fonds propres égale ou même supérieure à celle d'Air France. Ainsi,
la Commission aurait accepté des ratios de 1,25:1 (Sabena), de 0,75:1 et 0,41:1
(Aer Lingus) et de 0,78:1 (Olympic Airways).
Appréciation du Tribunal
- 175.
- Il y a lieu de souligner que la problématique des ratios financiers d'Air France,
notamment celle du ratio d'endettement, soulève des questions très techniques
d'ordre financier et comptable. Cette constatation est corroborée par le renvoi des
parties à sept rapports d'expertise au soutien de leurs thèses, à savoir ceux du
cabinet Ernst & Young (annexe 2 au mémoire en défense et annexe à la duplique),
du professeur Pene (annexes 40 à la requête ainsi que 9 et 10 à la réplique), du
professeur Vermaelen (annexe 7 au mémoire en intervention d'Air France) et du
docteur Weinstein (annexe 1 au mémoire en intervention du Royaume-Uni).
- 176.
- A cet égard, il convient de rappeler que le consultant Lazard Frères a fixé le
montant nécessaire à la recapitalisation d'Air France, dans le cadre de sa
restructuration, en tenant compte de ses recettes et coûts prévisionnels et au regard
de sa future rentabilité (JO p. 75) et que ce montant a été accepté par la
Commission dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation. Il y a lieu d'ajouter que
ces dernières données revêtaient, au moins lors de la phase de la conception du
plan de restructuration ainsi que de sa mise en oeuvre, un caractère hautement
sensible et confidentiel, notamment vis-à-vis des compagnies aériennes se trouvant
en concurrence avec Air France. Par conséquent, il n'appartient pas aux
requérantes, ni d'ailleurs au Tribunal, de remettre en question le principe même
de la nécessité pour Air France d'obtenir la somme de 20 milliards de FF afin
d'atteindre les objectifs de restructuration et de désendettement fixés.
- 177.
- Le calcul des 20 milliards de FF devant être accepté comme point de départ du
contrôle de la proportionnalité du montant de l'aide, la question de l'incidence de
cette injection financière sur les ratios financiers d'Air France se réduit, en
principe, à une simple opération mathématique.
- 178.
- A ce propos, il convient de rappeler que le consultant Lazard Frères a analysé
l'impact de l'aide litigieuse sur les ratios financiers d'Air France, en soulignant la
nécessité de tenir compte des ratios de structure financière, du ratio de couverture
des frais financiers et du ratio de rentabilité des fonds propres (JO p. 84). C'est
après avoir examiné ces données que la Commission est arrivée au ratio
d'endettement 1,12:1, en constatant que «ce ratio est supérieur au ratio moyen de
l'aviation civile où le chiffre de 1,5 est considéré comme acceptable» (JO p. 85).
- 179.
- Il y a lieu de relever que cette comparaison entre les deux chiffres de ratio
d'endettement est basée sur une étude réalisée par KPMG en association avec
l'IATA. Cette étude (annexe 45 à la requête dans l'affaire T-371/94), rédigée en
août 1992, comporte le passage suivant (p. 26/27):
«ratios dette/fonds propres
[...]
On a demandé à certains responsables de compagnies aériennes quel était à leur
avis le ratio d'endettement optimal d'une compagnie aérienne. La fourchette des
réponses va de 0,5:1 à 4:1; il n'apparaît toutefois pas clairement si les contrats de
louage à long terme sont inclus ou non dans ces réponses. La moyenne des
réponses reçues indique un rendement optimal de 1,5:1.
Il leur a ensuite été demandé d'indiquer les ratios d'endettement de leur propre
compagnie, en incluant puis en excluant les contrats de louage à long terme. Le
ratio d'endettement moyen des compagnies qui ont répondu est de 2,3:1 si l'on
inclut les contrats de louage à long terme et de 2,1:1 si on les exclut.
[...]
Il y a des variations significatives dans la manière de calculer les ratios
d'endettement. Par conséquent, il est difficile de procéder à des comparaisons utiles
entre les différentes compagnies aériennes [...]»
- 180.
- Comme il ressort de ce texte, le caractère représentatif des chiffres établis par
l'enquête menée au sein de l'aviation civile est assez faible. Eu égard aux
«variations significatives» constatées dans la manière de calculer les ratios
d'endettement, l'écart existant entre les chiffres 1,12:1, 1,5:1, 2,1:1 et 2,3:1 ne
saurait donc être qualifié, à lui seul, de significatif pour démontrer une
méconnaissance, par la Commission, de la position financière d'Air France par
rapport à la position moyenne de l'aviation civile.
- 181.
- Cela étant constaté, il n'apparaît pas que le chiffre de 1,12:1, envisagé pour la fin
de 1996, soit disproportionné, eu égard aux chiffres susmentionnés allant de 0,5:1
à 4:1 ainsi qu'aux ratios de 1,25:1, de 0,78:1, de 0,75:1 et de 0,41:1 approuvés par
la Commission dans ses décisions Sabena, Olympic Airways et Aer Lingus (citées
aux points 55 et 174 ci-dessus). Il en est de même du ratio de couverture des fraisfinanciers d'Air France, dont la Commission a indiqué qu'il s'élèverait en 1996 à
2,44:1 et serait ainsi très proche du taux moyen de 2,42:1 atteint par ses
concurrents en 1993 (JO p. 85).
- 182.
- Pour les raisons exposées au point 176 ci-dessus, le grief selon lequel le rapport
Ernst & Young aurait lui-même considéré que 15,25 milliards de FF étaient
suffisants pour qu'Air France atteigne le ratio d'endettement optimal de 1,5:1 ne
saurait être retenu. A titre surabondant, il y a lieu d'ajouter que, ainsi que la
Commission l'a fait observer, le passage dudit rapport, cité par les requérantes
(p. 21, footnote 21), se borne à apporter une correction au calcul, opéré par ces
dernières, du montant nécessaire pour atteindre le ratio de 1,5:1, ce montant
s'élevant, d'après Ernst & Young, à 15,25 et non pas à 13,9 milliards de FF. Par
ailleurs, le rapport Ernst & Young poursuit en relevant que, en tout état de cause,
il n'existe aucune raison particulière pour que le ratio d'endettement d'Air France
soit de 1,5:1.
- 183.
- C'est à juste titre que la Commission affirme que le rapport de l'IATA intitulé
«Airline Economic Results and Prospects», auquel les requérantes se réfèrent,
reproduit les ratios d'endettement moyens de plus de 30 compagnies aériennes
dans le monde entier, y compris Iran Air, Royal Air Maroc, Tunis Air, qui ne
ressemblent guère à Air France sur le plan de la structure industrielle et financière
et qui ne sont pas en véritable concurrence avec elle. La Commission n'était donc
pas tenue de comparer le ratio d'endettement d'Air France à ceux des compagnies
aériennes faisant l'objet dudit rapport.
- 184.
- Pour autant que les requérantes se sont interrogées, dans leur requête, sur le point
de savoir si le calcul du ratio d'endettement d'Air France reposait sur des chiffres
bruts ou nets, il suffit de constater que la Commission a souligné, dans son
mémoire en défense, sans être contredite par les requérantes, avoir tenu compte
d'un chiffre net, de sorte que le ratio d'endettement n'a pas été gonflé par l'emploi
d'un montant de dettes brut. Enfin, rien n'obligeait la Commission à calculer le
ratio d'endettement d'Air France au-delà de la période de restructuration, cette
dernière constituant la seule période de référence pour l'assujettissement de la
République française et d'Air France à la plupart des conditions d'autorisation de
l'aide.
- 185.
- La Commission n'ayant pas commis d'erreur manifeste d'appréciation quant au
calcul et à la prise en considération des ratios financiers mentionnés dans la
décision attaquée, le grief doit être rejeté.
E Sur le grief pris de ce que la Commission se serait abstenue à tort d'exiger la
vente d'actifs d'Air France susceptibles d'être aliénés
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
- 186.
- Les requérantes soutiennent que la Commission a eu manifestement tort de
conclure que le montant de l'aide litigieuse ne pouvait pas être diminué à raison
de la vente d'autres actifs d'Air France en dehors de ceux prévus dans le plan de
restructuration. En effet, le principe de proportionnalité exigerait qu'une entreprise
envisageant de se restructurer utilise l'intégralité de ses propres ressources avant
de faire appel à l'aide d'État. Par conséquent, la Commission aurait dû exiger d'Air
France qu'elle se procure des liquidités en cédant l'intégralité de ses actifs non
aériens, quelle que soit l'importance des sommes dégagées. Si tel avait été le cas,
le montant de l'aide aurait pu être très inférieur.
- 187.
- A ce propos, les requérantes soulignent que le groupe Air France comprend 103
sociétés actives dans des secteurs connexes aux voyages mais distincts des transports
aériens, tels que le tourisme, la restauration, la maintenance aéronautique,
l'informatique commerciale et le transit de fret, parmi lesquels on trouve des
sociétés de l'importance du groupe Servair et de Jet Tours, qui ont respectivement
réalisé un chiffre d'affaires de 2,6 et de 2,4 milliards de FF en 1993. Ses activités
couvriraient des opérations aussi éloignées du transport aérien que la fabrication
de fromages. Plus de 20 % des recettes d'Air France proviendraient d'activités
n'ayant aucun rapport avec le transport aérien. En outre, Air France détiendrait
des participations dans 20 compagnies aériennes.
- 188.
- La vente d'un certain nombre de participations détenues par Air France dans
d'autres compagnies, en particulier dans Air Inter et Sabena, pourrait dégager, de
l'avis des requérantes, des sommes suffisamment importantes pour rendre inutile
une grande partie de l'aide. Sans l'aide litigieuse, Air France devrait, comme
n'importe quelle société mère enregistrant des pertes, s'adresser à ses filiales, y
compris Air Inter, pour qu'elles contribuent à limiter ses pertes. A titre indicatif,
les requérantes ont calculé la valeur des participations d'Air France dans huit
compagnies aériennes (Air Charter, Air Inter, Sabena, MEA, Austrian Airlines,
Tunis Air, Air Mauritius, Royal Air Maroc) et une autre société (Servair). Dans
l'ensemble, ces participations pourraient être évaluées entre 3,1 milliards et 6
milliards de FF.
- 189.
- En ce qui concerne Air Inter, les requérantes ont relevé, à l'audience, que sa
prétendue utilité pour Air France était, en vérité, très restreinte. Le rôle d'Air Inter
serait limité à attirer les passagers des provinces françaises sur la plate-forme
(«hub») d'Air France à l'aéroport Charles de Gaulle au départ des vols
internationaux. Or, Air France aurait pu arriver exactement au même résultat soit
en utilisant ses propres avions, soit en concluant des accords de collaboration avec
d'autres compagnies, y compris Air Inter. Les requérantes considèrent, dès lors,
qu'Air Inter n'est pas un actif indispensable au fonctionnement d'Air France.
- 190.
- Les requérantes affirment que la participation de 37,5 % détenue par Air France
dans le capital de la compagnie Sabena peut être évaluée à 6 milliards de BFR. Air
France aurait acheté ces actions en 1992, ce qui suggère, selon les requérantes, que
cette participation peut difficilement être considérée comme vitale pour Air France,
étant donné qu'elle a pu fonctionner sans cela pendant de nombreuses années. Par
ailleurs, le président de Sabena aurait déclaré publiquement, en septembre 1994,
qu'Air France devrait céder sa participation. Les requérantes rappellent qu'elles
ont informé la Commission, dès le stade de la procédure administrative, que de
nombreux indices tendaient à prouver que la poursuite d'une alliance entre Air
France et Sabena n'avait plus aucune raison d'être. Dans ce contexte, elles se
réfèrent à un article de presse paru en juin 1994 (annexe 46 à la requête), selon
lequel la compagnie belge souhaiterait qu'Air France cède sa participation.
- 191.
- Du reste, le paiement par Air France d'un quart de la somme due pour sa prise
de participation dans le capital de Sabena aurait été effectué quelques jours après
l'adoption de la décision attaquée. Air France utiliserait, à l'évidence, l'aide pour
faire face à cette dépense étant donné son manque de liquidités. La Commission
aurait dû empêcher Air France de payer ce solde, l'aide autorisée à des fins de
restructuration ne pouvant pas être utilisée pour l'acquisition de parts dans d'autres
compagnies. Si elle avait été empêchée de procéder à ce paiement, Air France
aurait sans doute éprouvé la nécessité de céder sa participation dans Sabena dans
le cadre de son effort de restructuration.
- 192.
- Les requérantes soulignent qu'elles n'exigent pas d'Air France de vendre des actifs
faisant indéniablement partie de ses actifs stratégiques. Elles considèrent néanmoins
qu'Air France aurait dû vendre, notamment, des actifs qu'elle décrit elle-même
comme des actifs non essentiels dans son rapport annuel pour l'exercice 1993. Se
référant à un article de presse, les requérantes ajoutent qu'Air France envisageait
apparemment, en septembre 1994, la vente de certains des actifs que, un mois
auparavant, la Commission considérait comme ne pouvant pas être cédés, comme
sa participation dans le groupe Servair ou sa participation dans Amadeus, un
système informatique de réservation. A lui seul, ce fait rendrait caduque la
conclusion de la Commission selon laquelle Air France n'a pas besoin de vendre
d'autres actifs, car aucun d'entre eux ne lui permettrait de mobiliser suffisamment
de ressources.
- 193.
- En réponse à l'affirmation de la Commission, selon laquelle il n'était pas possible,
pour des raisons de confidentialité, de révéler quels étaient les autres actifs dont
Air France avait l'intention de se défaire, les requérantes rétorquent que telle est
pourtant la pratique suivie par la Commission lorsqu'elle exige d'une entreprise,
comme condition préalable à l'approbation de concentrations au titre du règlement
n. 4064/89 (cité au point 55 ci-dessus), qu'elle procède à la vente d'actifs. Ainsi,
elle aurait exigé la vente d'actifs nommément cités dans sa décision 91/403/CEE,
du 29 mai 1991, déclarant la compatibilité avec le marché commun d'une
concentration (affaire IV/M043 Magneti Marelli/CEAc) (JO L 222, p. 38), et dans
sa décision 92/553/CEE, du 22 juillet 1992, relative à une procédure au titre du
règlement n° 4064/89 (affaire IV/M.190 Nestlé/Perrier) (JO L 356, p. 1). Par
ailleurs, même si les actifs non essentiels d'Air France n'avaient pu être vendus
avant l'autorisation de l'aide, la Commission aurait pu exiger le placement des actifs
chez un mandataire, par exemple une banque d'investissement, qui aurait pu en
organiser la vente. Les requérantes se réfèrent, à titre d'exemple, à l'affaire du
Crédit Lyonnais (JO 1995, C 121, p. 4), où une nouvelle structure a été créée, le
consortium de réalisations, filiale à 100 % du Crédit Lyonnais, qui devait acheter
des actifs du Crédit Lyonnais destinés à être cédés ou liquidés. De même, en
l'espèce, la participation d'Air France dans Sabena aurait pu être transférée à une
banque qui aurait pu avancer de l'argent en attendant la vente à un tiers.
- 194.
- A l'audience, les requérantes ont encore souligné que, aussi longtemps que la
décision attaquée n'imposait pas la vente d'actifs nommément désignés, Air France
n'avait aucun intérêt à vendre des actifs pendant la période de restructuration,
parce que cette vente aurait entraîné une diminution de l'aide accordée. Ce constat
serait confirmé par l'évolution postérieure qui a permis à Air France de
«contrebalancer» la vente de sa participation dans Sabena par le manque à gagner
résultant de ce qu'elle avait vendu moins d'avions que prévu. Cela prouverait que
la vente des actifs non essentiels aurait dû être évaluée par la Commission dès le
départ.
- 195.
- Le royaume de Danemark soutient que, dans sa décision Aer Lingus (citée au point
55 ci-dessus), la Commission a contraint Aer Lingus à se séparer des actifs
étrangers au transport afin de contribuer à la restructuration pour un montant plus
important que le montant de l'aide reçue. La partie intervenante rappelle, en outre,
qu'Air France a effectivement vendu ses parts dans la compagnie tchèque CSA. On
ne comprendrait pas pourquoi Air France ne pouvait pas vendre également ses
participations dans Sabena ou dans Air Inter.
- 196.
- Le Royaume-Uni considère que la Commission aurait dû prendre sérieusement en
considération la possibilité pour Air France de céder ses intérêts dans Sabena. Une
telle cession n'aurait pas nécessairement empêché la poursuite des accords
commerciaux existant entre les deux compagnies. En effet, beaucoup de
compagnies aériennes auraient conclu entre elles de tels accords, sans qu'on juge
nécessaire que chaque compagnie possède une participation minoritaire importante
dans l'autre. La Commission n'aurait pas non plus expliqué pourquoi Air France
ne pouvait pas céder ses parts dans Air Inter, d'autant plus que le contrôle de la
première sur la seconde serait le résultat d'une acquisition relativement récente.
Enfin, certaines sociétés appartenant au groupe Air France seraient très rentables,
telles que le groupe Servair, et auraient donc pu dégager des ressources
appréciables à la vente. D'autres sociétés seraient effectivement déficitaires, de
sorte que leur vente ou leur cessation d'activité aurait pu entraîner une baisse
importante des déficits du groupe Air France et, partant, une diminution du
montant de l'aide nécessaire.
- 197.
- Le royaume de Norvège estime que la Commission a négligé d'exiger d'Air France
qu'elle vende tous ses actifs «non aériens». Une telle vente serait un élément
important d'un plan de restructuration non seulement à cause de la contribution
à la liquidité de l'entreprise concernée, mais également aux fins de réduire ses
coûts, de rétablir son identité et de recentrer ses activités. Or, en l'espèce, il y
aurait un grand nombre d'activités d'Air France de caractère périphérique par
rapport aux activités essentielles d'une compagnie aérienne. British Airways, SAS,
KLM et d'autres compagnies aériennes internationales auraient adopté des mesures
visant à la sous-traitance de certaines prestations de services pouvant être assurées
à un moindre coût par des tiers indépendants. Ces compagnies auraient aliéné de
nombreux actifs non aériens, même si les recettes réalisées par chaque vente
individuelle pouvaient être insignifiantes.
- 198.
- La Commission conteste avoir omis de prendre en considération les possibilités
existantes pour Air France de vendre certains de ses actifs. Après avoir examiné
les diverses participations détenues par Air France, elle serait arrivée à la
conclusion que la vente des actifs envisagée dans le plan était adéquate dans le
cadre de sa restructuration. Toutefois, les participations d'Air France dans Sabena
ou dans Air Inter n'auraient pas été évaluées, au motif que leur vente ne faisait pas
partie du plan de restructuration et que ces participations pouvaient être
considérées comme des actifs essentiels d'Air France.
- 199.
- A l'audience, la Commission a précisé que, l'essentiel des activités d'Air France et
d'Air Inter étant le transport aérien, il ne peut faire l'ombre d'un doute qu'Air
Inter constitue un actif essentiel d'Air France. L'importance d'Air Inter pour Air
France viendrait du fait que, contrairement à d'autres compagnies aériennes, Air
France n'a pas de réseau national. C'est la raison pour laquelle la Commission
aurait admis qu'Air Inter était effectivement un actif essentiel pour Air France qui
ne devait pas courir le risque de voir celle-ci passer sous contrôle de la
concurrence. Air France a ajouté que les synergies commerciales avec Air Inter
étaient indispensables à sa survie, la maîtrise d'un réseau intérieur étant vitale pour
une grande compagnie aérienne. Air France aurait besoin d'Air Inter pour
bénéficier des apports de correspondances du réseau domestique afin d'alimenter
ses vols long-courriers. D'ailleurs, toutes les grandes compagnies aériennes
européennes contrôleraient leur réseau intérieur et préféreraient donc avoir une
participation majoritaire dans leur réseau domestique plutôt que de passer des
accords commerciaux avec ce réseau.
- 200.
- La Commission souligne que l'aliénation d'actifs par Air France a été examinée en
tenant dûment compte de l'ensemble de ses intérêts et de sa stratégie globale. Ce
faisant, la Commission aurait eu la conviction que les aliénations d'actifs envisagées
par Air France étaient suffisantes. Dans ce contexte, la vente d'actifs par d'autres
compagnies aériennes en d'autres circonstances et à d'autres époques ne serait pas
pertinente pour examiner la question de savoir quels actifs devaient être aliénés par
Air France. En effet, la nature et l'étendue des intérêts des diverses compagnies
aériennes rendraient toute comparaison futile.
- 201.
- Elle ajoute qu'il n'a pas été possible de désigner nommément d'autres actifs et
participations dont Air France entendait se défaire, car cette divulgation aurait
constitué une immixtion dans la conduite des négociations en cours portant sur ces
actifs et aurait pu leur être préjudiciable. Par ailleurs, la décision attaquée
n'interdirait pas l'aliénation d'autres actifs. Les conditions du marché pourraient
évoluer et créer des incitations à aliéner des actifs non envisagés par le plan de
restructuration ou influer sur le prix de ceux dont l'aliénation y est prévue. En
vérifiant la proportionnalité de l'aide par rapport aux besoins de la restructuration,
la Commission aurait souligné (JO p. 86) que les montants à payer pouvaient être
ajustés au besoin, afin de tenir compte de l'évolution de la situation financière d'Air
France à la suite, notamment, de la vente d'actifs.
- 202.
- La mention par les requérantes des pouvoirs que le règlement sur les
concentrations confère à la Commission serait dénuée de pertinence, puisque les
concentrations affectent la structure même du marché considéré. De même, le
renvoi à la possibilité de placer des actifs chez un mandataire chargé d'en organiser
la vente ne serait d'aucun soutien à l'argumentation des requérantes. En effet, le
contrôle d'une entreprise serait la question même qui se pose en droit des
concentrations, alors que ce ne serait pas le cas en l'espèce. Quant au consortium
de réalisations institué par le plan du Crédit Lyonnais, la Commission souligne qu'il
s'agit d'une filiale à 100 %, l'opération constituant une réorganisation interne d'un
groupe.
- 203.
- En tout état de cause, aucune partie de l'aide litigieuse n'aurait été destinée à
servir à Air France pour payer la dernière tranche de sa participation dans Sabena.
L'aide aurait été autorisée afin de réduire la charge des frais financiers d'Air
France. Du reste, il aurait été illégal d'inciter Air France à ne pas honorer ses
engagements contractuels vis-à-vis de Sabena et à favoriser ainsi une rupture de
contrat.
- 204.
- La République française et Air France soulignent que la participation d'Air France
dans le capital de Sabena était un de ses actifs essentiels et stratégiques. En juillet
1994, tout aurait laissé supposer que la renégociation de l'accord relatif à cette
prise de participation entraînerait pour Air France une perte très importante et
mettrait Sabena dans une situation délicate. Selon les parties intervenantes, c'est
seulement en octobre 1994 que le gouvernement belge a annoncé sa décision de
recapitaliser Sabena. En juillet 1994, ni Air France ni le gouvernement français
n'auraient connu les intentions du gouvernement belge à cet égard. Air France
n'ayant pu suivre l'augmentation de capital préconisée par le gouvernement belge,
ce dernier lui aurait alors proposé de racheter sa participation, tandis qu'un
nouveau partenariat entre Sabena et Swissair était envisagé.
- 205.
- Air France précise que certains de ses actifs hors métiers de base avaient déjà été
cédés dans le cadre du début de mise en oeuvre du projet. Ainsi, sa participation
dans le capital de la compagnie aérienne tchèque CSA aurait été cédée le 25 mars
1994. De même, la participation de Servair (détenue à 75 % par Air France) dans
le capital de Saresco et, en conséquence, de sa filiale opérant dans la fabrication
de fromages, aurait été cédée. La cession du groupe hôtelier Méridien,
effectivement intervenue entre-temps, aurait porté sur 20 des 103 entreprises du
groupe. Il ressortirait clairement de la décision attaquée que d'autres cessions sont
prévues dans le cadre du projet. Le calendrier prévisionnel et une estimation du
montant de ces cessions auraient été communiqués à la Commission pour tous les
actifs non aériens ayant une valeur significative. Les actifs en question n'auraient,
toutefois, pas été explicitement cités dans le texte de la décision pour des raisons
évidentes de confidentialité.
- 206.
- Air France a souligné, à l'audience, que le système informatisé de réservation
Amadeus constitue une activité certes non aérienne mais essentielle pour toutes les
activités aériennes du groupe. Contrairement aux insinuations des requérantes, sa
participation dans Amadeus n'aurait pas été vendue et elle n'aurait pas l'intention
de la vendre.
- 207.
- Quant à Servair, Air France a confirmé, également à l'audience, que sa cession
était prévue dans le plan de restructuration. Les recettes de la vente de Servair
auraient figuré dans les projections financières et auraient donc été prises en
considération pour diminuer le montant de la recapitalisation. Toutefois, cette
information aurait dû demeurer confidentielle, d'une part, afin de pouvoir négocier
la vente de Servair à meilleur prix et, d'autre part, compte tenu des risques
d'agitation sociale que cette nouvelle n'aurait pas manqué de susciter chez Servair,
ce qui aurait gravement remis en cause la qualité du service en vol d'Air France,
qui est très dépendante de ce fournisseur essentiel en plateaux-repas. Le suivi de
la vente de Servair aurait été examiné dans le détail par la Commission et ses
experts à l'occasion de l'autorisation des deuxième et troisième tranches d'aide.
- 208.
- En ce qui concerne les autres actifs, comme Air Charter et Jet Tours, Air France
a souligné, à la même occasion, qu'ils font indiscutablement partie de ses actifs
stratégiques. Par ailleurs, les ventes de Jet Tours et d'Air Charter auraient procuré
à Air France des recettes insignifiantes. Enfin, les ventes des participations
minoritaires d'Air France dans Royal Air Maroc, Austrian Airlines, Tunis Air, Air
Mauritius et Aéropostale auraient été examinées en détail par la Commission. Elles
n'auraient pu dégager de produits significatifs et n'auraient eu aucun effet sur le
montant de la recapitalisation.
Appréciation du Tribunal
- 209.
- Il convient de rappeler que la Commission a, dans le cadre de l'examen de l'aide
litigieuse, estimé que la restructuration d'Air France, la plus grande compagnie
aérienne française et l'une des trois plus grandes compagnies européennes,
contribuerait au développement du transport aérien européen par l'amélioration
de sa compétitivité et serait donc conforme à l'intérêt commun (JO p. 83). La
Commission a ainsi indiqué qu'elle ne poursuivait pas une politique visant le
démantèlement complet du groupe Air France mais qu'elle préférait maintenir Air
France à sa place parmi les plus grandes compagnies aériennes européennes, aux
côtés de Lufthansa et de British Airways. Impliquant des appréciations complexes
de politique économique, l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont jouit la
Commission en vertu de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, ayant abouti
à l'adoption de la décision attaquée, ne peut être censuré en l'espèce qu'au titre
d'une erreur manifeste d'appréciation ou d'une erreur de droit, d'autant plus que
la Commission a pris soin d'organiser, au moyen de l'échelonnement en trois
tranches du versement de l'aide, un contrôle de l'évolution de la situation financière
d'Air France, qui lui permettait d'adapter, le cas échéant, les montants à verser (JO
p. 86).
- 210.
- C'est dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire que la Commission
n'a désigné qu'un nombre restreint d'actifs hors métiers de base à savoir la chaîne
hôtelière Méridien, un bâtiment ainsi que des avions atteints par la limite d'âge et
des pièces de rechange (JO p. 75 et 76) dont la cession était imposée à Air
France, afin que le montant de l'aide pût être limité à 20 milliards de FF.
- 211.
- Sont, par conséquent, dépourvus de pertinence tant l'argument tiré par le royaume
de Danemark de la décision Aer Lingus (citée au point 55 ci-dessus), dans laquelle
la Commission aurait imposé au bénéficiaire de l'aide la vente de tous ses actifs
hors métiers de base, que la référence du royaume de Norvège à l'exemple de
British Airways, de SAS, de KLM et d'autres compagnies aériennes internationales,
qui auraient cédé, dans le cadre de leur restructuration, de nombreux actifs non
aériens. En effet, les circonstances d'une restructuration sont conditionnées par la
situation concrète de la seule entreprise concernée. Le fait que les compagnies
susmentionnées aient été amenées, ou obligées, dans le contexte factuel de leur
propre restructuration, à céder de nombreux actifs ne saurait donc, à lui seul,
remettre en question la décision prise par la Commission, dans la situation
spécifique du mois de juillet 1994, visant à maintenir Air France dans le concert
des trois plus grandes compagnies aériennes européennes et à l'autoriser à
conserver la plupart de ses actifs.
- 212.
- Par conséquent, la Commission pouvait considérer comme des actifs non
susceptibles d'être aliénés par Air France les trois catégories d'actifs suivantes: en
premier lieu, ceux qui étaient essentiels pour le fonctionnement actuel et futur dela compagnie, en tant que transporteur aérien; en second lieu, ceux qui lui
servaient d'éléments de stratégies de coopération et dont il fallait éviter qu'ils
pussent passer sous le contrôle d'un concurrent; enfin, ceux qui concernaient des
activités étroitement liées au fonctionnement d'une grande compagnie aérienne.
Ainsi qu'il ressort du dossier, la Commission a qualifié d'inaliénables de tels actifs,
notamment Air Charter, Air Inter, Sabena, Amadeus et Jet Tours.
- 213.
- Quant à la compagnie Air Charter, il suffit de relever qu'elle est active, tout
comme Air France, dans le secteur aérien lui-même. Elle appartient donc aux
métiers de base d'Air France. S'il est vrai qu'Air Charter est spécialisée dans le
transport aérien charter, c'est-à-dire un marché spécifique par rapport à celui du
transport aérien régulier, il ne s'agit là que de deux aspects d'une même activité
aérienne, dont la division en deux compagnies séparées ne traduit, en définitive,
qu'une répartition interne des fonctions. Il s'ensuit que la Commission pouvait, à
juste titre, considérer qu'Air Charter constituait un élément essentiel de l'activité
aérienne d'Air France.
- 214.
- En ce qui concerne la compagnie Air Inter, il convient de rappeler que, dans la
décision attaquée, la Commission indique que le gouvernement français s'est
engagé à faire d'Air France le seul bénéficiaire de l'aide en cause et à créer à cet
effet un holding qui contrôlerait à la fois Air Inter et Air France (engagement
n° 1). La Commission considère que cet engagement atténue ses préoccupations
quant aux effets secondaires de l'aide, parce qu'il empêche Air France d'utiliser
l'aide pour subventionner les activités d'Air Inter. Se fondant sur les informations
reçues au sujet de la structure future du holding, ainsi que sur l'engagement
correspondant des autorités françaises, la Commission estime que le bénéficiaire
de l'aide est la compagnie nationale Air France et ses filiales, dont Air Charter (JO
p. 81 et 86).
- 215.
- Or, il est constant qu'Air France, contrairement à Lufthansa et à British Airways,
ne disposait pas de réseau domestique avant d'avoir pris le contrôle d'Air Inter en
1990. C'est donc à juste titre que la Commission a estimé que ce contrôle
aménagé, pendant la période de restructuration, par le mécanisme du holding
décrit ci-dessus était essentiel pour le fonctionnement actuel et futur d'Air
France, du fait que sa perte risquait de porter sérieusement atteinte au trafic aérien
d'apport («feeder traffic») d'Air France, dont Air Inter était chargée. En effet, les
activités d'Air Inter sont essentiellement concentrées sur le transport aérien à
l'intérieur du territoire français. Or, ce marché intérieur français fournit un apport
substantiel de passagers vers la plate-forme d'Air France à l'aéroport de
Paris-Charles-de-Gaulle [ci-après «Paris (CDG)»]. Dans ces circonstances, il est
évident qu'Air France ne peut pas courir le risque de voir Air Inter passer, après
l'avoir cédée, sous l'influence d'une compagnie concurrente et de perdre ainsi le
contrôle sur une partie substantielle de son trafic aérien d'apport.
- 216.
- Le rattachement direct d'Air Inter à Air France ne pouvait pas non plus être
valablement remplacé par le transfert d'Air Inter à une banque et par la conclusion
concomitante d'accords commerciaux relatifs audit trafic aérien d'apport avec Air
Inter ou avec d'autres compagnies. En effet, les requérantes n'ont pas établi que
cette solution pouvait écarter le risque de voir Air Inter absorbée par une
compagnie concurrente et compromettre ainsi le fonctionnement du trafic aérien
d'apport d'Air France. Quant à la conclusion de tels accords avec d'autres
compagnies aériennes, il suffit de relever que, en juillet 1994, la position
concurrentielle d'Air Inter sur le marché domestique français était tellement forte
qu'il ne pouvait pas être exigé d'Air France, désireuse de se restructurer et de
retrouver sa rentabilité, de remplacer ses relations bien établies avec Air Inter par
des contrats avec des compagnies qui ne diposaient pas encore d'infrastructures sur
le marché français comparables à celles d'Air Inter.
- 217.
- En réponse à l'argument des requérantes, selon lequel Air France pourrait elle-même prendre en charge son propre trafic aérien d'apport, notamment sur le
réseau domestique français, il importe de constater que le plan de restructuration
d'Air France prévoit une flotte en exploitation de 146 avions, sans affecter cette
flotte spéciquement à ce trafic aérien d'apport. Au contraire, c'est surtout sur le
long-courrier que ce plan envisage une croissance de l'offre d'Air France, ce qui
présuppose une utilisation intensifiée de sa flotte dans ce domaine. Dans cette
optique, la desserte du marché domestique revient essentiellement à Air Inter qui
doit utiliser ses propres avions à cet effet. Or, il n'appartenait pas à la Commission
d'ordonner à Air France de se concentrer sur le marché domestique, une telle
mesure comportant le risque de provoquer son affaiblissement sur les vols
internationaux.
- 218.
- Quant à la participation d'Air France dans le capital de Sabena, il convient
d'admettre qu'Air France ne détenait, à l'époque, qu'une participation minoritaire
(37,58 %) dans le capital de la compagnie belge. Cela n'exclut pourtant pas que
cette participation constituait un élément stratégique important de l'activité
aérienne d'Air France. En effet, il y a lieu de rappeler la décision du 5 octobre
1992 (annexe 24 aux observations des requérantes sur les interventions dans
l'affaire T-371/94), par laquelle la Commission a déclaré ne pas s'opposer au
protocole d'accord signé par Air France, Sabena et l'État belge, qui a conféré à Air
France, à travers la société Finacta, une participation de 37,58 % dans le capital
de Sabena (37,5 % des droits de vote).
- 219.
- Cette décision, accessible à tout intéressé (voir la communication au Journal officiel
des Communautés européennes du 21 octobre 1992, C 272, p. 5), fait état, entre
autres, de ce que:
Finacta, contrôlée par Air France, doit approuver la nomination du
président et du vice-président de Sabena (droit de veto) et est en mesure
de bloquer les décisions du conseil d'administration de Sabena qui
impliquent un changement de stratégie, du «business plan», du plan
d'investissement et du plan de coopération industrielle;
les présidents d'Air France et de Sabena se concerteront en cas de difficulté
importante dans le fonctionnement des organes ou dans la mise en oeuvre
de la stratégie;
les éléments fondamentaux de la stratégie future de Sabena ont été
codécidés par Air France.
- 220.
- Dans cette décision de 1992, la Commission qualifie Sabena, en substance,
d'entreprise commune contrôlée conjointement par l'État belge et Air France, cette
dernière disposant de droits, qui vont bien au-delà de ceux normalement reconnus
aux actionnaires minoritaires, et des moyens pour maîtriser le comportement de
Sabena sur le marché. Quant à l'objectif de l'accord, la Commission relève qu'il vise
à développer la coopération entre Air France et Sabena, à mettre en oeuvre
l'ensemble des synergies possibles entre les deux partenaires et notamment à créer
un réseau intracommunautaire centré sur l'aéroport de Bruxelles-Zaventem.
- 221.
- Eu égard à cette décision du 5 octobre 1992, que les parties intéressées sont
censées connaître, la Commission pouvait donc raisonnablement considérer qu'il
fallait éviter que la participation d'Air France dans le capital de Sabena,
constitutive d'un outil d'alliance stratégique pour Air France, soit abandonnée, de
sorte qu'un concurrent puisse prendre la place privilégiée occupée jusqu'alors par
Air France.
- 222.
- Quant à la thèse du Royaume-Uni, selon laquelle cette participation aurait pu être
remplacée par des accords de coopération, il suffit de relever qu'elle méconnaît le
caractère particulier de la participation en cause qui, tout en étant minoritaire,
conférait à Air France un pouvoir de contrôle sur le comportement commercial de
Sabena et dépassait donc l'influence qu'un partenaire contractuel peut exercer
normalement. Le Royaume-Uni n'a pas établi qu'Air France aurait également pu
accéder à une telle position privilégiée, sans participation dans le capital de Sabena.
La spécificité de l'alliance entre Air France et Sabena s'oppose en outre à toute
comparaison avec la vente, effectivement intervenue en mars 1994, de la
participation qu'Air France a détenue dans le capital de la compagnie tchèque
CSA.
- 223.
- Il est vrai que, peu après l'adoption de la décision attaquée, Air France a versé 170
millions de FF pour couvrir la dernière tranche du prix d'acquisition de sa
participation dans le capital de Sabena. Toutefois, rien ne permet de considérer
que l'aide litigieuse ait été destinée et utilisée à cet effet. D'une part, ainsi que la
République française et Air France l'ont relevé, ce paiement résultait d'obligations
contractuelles datant de 1992, donc antérieures à l'autorisation de l'aide (voir la
décision de la Commission du 5 octobre 1992, citée aux points 218 et 219 ci-dessus). Comme le gouvernement français l'a rappelé devant le Tribunal, ces
obligations prévoyaient un échéancier de versements à effectuer par Air France en
1992, en 1993 et, pour la dernière tranche, entre le 15 et le 31 juillet 1994.
L'existence de cette dernière obligation de paiement pesant sur Air France ne
pouvait pas raisonnablement avoir pour effet, à elle seule, de bloquer, ne serait-ce
que partiellement, une aide visant le désendettement et la restructuration d'Air
France. D'autre part, vu le montant relativement modeste, ce paiement ne
dépassait pas les limites d'un investissement normal. Par conséquent, la
Commission pouvait admettre qu'il serait couvert par les ressources provenant de
la vente par Air France de ses actifs et par les recettes de son exploitation courante
(voir, ci-dessus, points 140 et 141).
- 224.
- Il est également avéré que la participation d'Air France dans le capital de Sabena
a ultérieurement été cédée pour 680 millions de FF [communication de la
Commission concernant la troisième tranche de l'aide à la restructuration d'Air
France approuvée par la Commission le 27 juillet 1994 (JO 1996, C 374, p. 9, 14)].
Toutefois, ainsi que la République française et Air France l'ont souligné sans être
contredites sur ce point, ce n'est qu'en octobre 1994 que le gouvernement belge,
actionnaire majoritaire de Sabena, a décidé qu'une recapitalisation de Sabena était
nécessaire, ce qui signifiait de facto l'exclusion d'Air France qui ne pouvait pas
suivre cette recapitalisation. En outre, le désengagement d'Air France du capital
de Sabena n'a été finalisé qu'en juillet 1995. Le Tribunal constate donc que, à la
date de l'adoption de la décision attaquée, rien n'indiquait à la Commission qu'Air
France envisageait sérieusement de mettre fin à son alliance avec Sabena et de
céder sa participation. Dans ces circonstances, la Commission n'était pas tenue
d'inférer des rumeurs de presse invoquées par les requérantes, et faisant état d'une
acquisition imminente par Swissair de la participation en cause, que, dès juillet
1994, Air France ne considérait plus sa participation dans le capital de Sabena
comme un élément stratégique important de son activité aérienne.
- 225.
- Il convient d'ajouter que la Commission a expressément indiqué, dans sa décision
du 21 juin 1995 autorisant le paiement de la deuxième tranche de l'aide litigieuse
(communication publiée au JO C 295, p. 2 et 5), que l'incidence financière d'une
vente de cette participation serait prise en compte dans le cadre de sa décision sur
le paiement de la troisième tranche de l'aide. Or, la légalité de ces décisions,
postérieures à la décision attaquée en l'espèce, ne saurait être examinée dans le
cadre des présents litiges qui portent sur la légalité de la seule décision du 27 juillet
1994.
- 226.
- Pour ce qui est d'une éventuelle vente d'Amadeus, il y a lieu de préciser que cet
actif constitue le système informatisé de réservation d'Air France. A cet égard, Air
France a expliqué qu'elle avait confié à Amadeus toute l'activité de réservation
pour ses billets, qu'elle était complètement dépendante de ce système pour leur
distribution et qu'un tel système était indispensable pour le développement de
l'activité aérienne, raison pour laquelle la très large majorité des compagnies
aériennes en disposerait. Le Tribunal estime que, dans ces conditions, laCommission pouvait raisonnablement considérer que cet actif d'Air France n'était
pas susceptible d'être cédé en ce qu'il concernait une activité étroitement liée au
fonctionnement d'une grande compagnie aérienne.
- 227.
- Il en va de même pour la participation d'Air France dans le capital de la société
Jet Tours, active dans le secteur du tourisme. Il s'agit là d'un secteur économique
qui est connexe, au moins partiellement, au secteur aérien. La Commission pouvait
donc considérer Jet Tours comme un actif destiné à amener des clients touristes
tant à Air France qu'à Air Charter. Par conséquent, elle était autorisée à conclure
qu'Air France ne devait pas être forcée de s'en séparer.
- 228.
- Les requérantes ne sauraient pas plus faire grief à la Commission de ne pas avoir
imposé à Air France la vente globale de ses participations minoritaires dans
d'autres compagnies aériennes telles que Tunis Air, Air Mauritius, Royal Air Maroc
et Austrian Airlines. En effet, vu le caractère plutôt négligeable d'une telle vente,
le désengagement total d'Air France du capital de ces compagnies aurait été sans
lien direct essentiel avec son plan de restructuration.
- 229.
- Quant à la déclaration faite par Air France lors de l'audience, selon laquelle la
cession d'autres actifs non nommément désignés dans la décision attaquée, comme
celle du groupe Servair, était prévue dans son plan de restructuration, et à
l'éventuelle confidentialité de ces données, il convient de constater que la recette
des cessions en cause, si elle était destinée à cofinancer la mise en oeuvre du plan
de restructuration, ne devait pas automatiquement venir en déduction du montant
d'aide de 20 milliards de FF considéré comme nécessaire et autorisé par la décision
attaquée. D'ailleurs, même les 7 milliards de FF qu'Air France espérait retirer de
la cession de Méridien, d'un bâtiment et de 34 avions servaient seulement à
cantonner l'aide à 20 milliards et non pas à réduire ce montant. Ce n'est qu'à
l'occasion du versement des deuxième et troisième tranches de l'aide que la
Commission s'est réservée le droit de prendre en considération la situation
financière globale d'Air France, en tenant compte des ventes d'actifs intervenues
entre-temps. Le Tribunal estime que les questions financières soulevées à l'égard
de ces ventes, y compris celles de leur proportionnalité et de leur confidentialité,
ne sauraient, dès lors, être examinées qu'au regard des décisions relatives à ces
deuxième et troisième tranches. Or, les présents litiges ne portent pas sur la légalité
de ces décisions.
- 230.
- L'argumentation des requérantes selon laquelle Air France aurait elle-même défini,
dans son rapport annuel pour l'exercice 1993, une série de ses actifs comme «non
core activities» («activités hors métiers de base»), pour en exiger la vente, manque
en fait. En effet, c'est la seule traduction anglaise dudit rapport qui contient le
passage invoqué par les requérantes (p. 26 et 27; annexe 4 à la requête dans
l'affaire T-371/94), alors que le texte français parle d'«activités non aériennes» et
ne comporte donc aucun jugement de valeur sur les actifs en cause. Or, Air France
étant une compagnie française, il est évident que son rapport annuel de référence
est celui rédigé en langue française.
- 231.
- La Commission n'ayant pas commis d'erreur manifeste en s'abstenant d'exiger
qu'Air France vende les actifs désignés par les requérantes et les parties
intervenues au soutien de leurs conclusions, le grief doit être rejeté.
- 232.
- Il résulte de tout ce qui précède que, sous réserve des points 84 à 120, ci-dessus,
sont à rejeter tous les griefs tirés d'une violation du principe de proportionnalité
applicable en matière d'aides d'État. Dans cette mesure, les requérantes et les
parties intervenues au soutien de leurs conclusions ont été à même de défendre
leurs droits, et le Tribunal a pu exercer son contrôle juridictionnel. Par conséquent,
et sauf en ce qui concerne l'autorisation d'achat de 17 nouveaux avions, la décision
attaquée est, à cet égard, conforme aux exigences de l'article 190 du traité, de sorte
que le grief pris d'une insuffisance de motivation doit être rejeté.
Quant aux griefs tirés d'erreurs que la Commission aurait commises en considérant que
l'aide est destinée à faciliter le développement d'une certaine activité économique, sans
altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun
A Sur le grief pris de ce que la Commission aurait autorisé à tort une aide visant
au développement non pas d'une certaine activité économique mais d'une
entreprise particulière
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
- 233.
- Dans sa requête, la requérante dans l'affaire T-394/94 soutient que l'aide litigieuse
bénéficie à une entreprise particulière et ne contribue pas au développement d'une
activité économique. En l'autorisant, la Commission aurait manifestement accordé
une importance primordiale à la survie d'Air France, au lieu de mettre en balance
cet objectif avec les effets négatifs de l'aide sur ses concurrents, ainsi que sur le
marché du transport aérien de la Communauté.
- 234.
- La Commission considère les allégations de la requérante comme manifestement
dénuées de tout fondement. Dans la décision attaquée, elle aurait souligné qu'elle
devait tenir compte de l'évolution d'un secteur dans son ensemble et non de la
seule évolution du bénéficiaire de l'aide. Ensuite, elle aurait abondamment débattu
du point de savoir si l'aide pouvait bénéficier de la dérogation prévue par l'article
92, paragraphe 3, sous c), du traité.
Appréciation du Tribunal
- 235.
- Il y a lieu de constater que, dans le cas d'une entreprise de l'envergure d'Air
France, une des trois plus grandes compagnies aériennes européennes, une
véritable restructuration aura pour effet de favoriser le développement économique
du secteur de l'aviation civile européenne (voir, en ce sens, les conclusions de
l'avocat général M. Van Gerven sous l'arrêt de la Cour du 21 mars 1991,
Italie/Commission, C-305/89, Rec. p. I-1603, 1616 et 1630, point 17). Par
conséquent, le grief ne saurait être accueilli.
- 236.
- Par ailleurs, la requérante a expressément admis, dans sa réplique, qu'elle ne
prétendait pas qu'une aide versée à une seule entreprise était en soi illégale et a
ajouté que de nombreuses aides octroyées à des entreprises individuelles sont
justifiées parce qu'elles profitent à des secteurs dans leur ensemble.
- 237.
- Dans la mesure où la requérante reproche à la Commission d'avoir unilatéralement
favorisé Air France en tenant compte des seuls éléments positifs de sa
restructuration, sans prendre en considération ses effets négatifs, ces griefs seront
examinés ultérieurement dans le contexte correspondant.
B Sur le grief pris de ce que la Commission aurait autorisé à tort une aide qui
altère les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
- 238.
- Les requérantes considèrent que l'aide altère les conditions des échanges dans une
mesure contraire à l'intérêt commun. L'aide servirait à abaisser artificiellement les
coûts d'Air France et transférerait, par conséquent, la charge de l'abaissement des
coûts aux compagnies aériennes non subventionnées. A cet égard, les requérantes
rappellent que la Commission a elle-même estimé, dans l'affaire
France/Commission (voir l'arrêt cité au point 79 ci-dessus, point 44), que le fait de
maintenir artificiellement une entreprise en activité affaiblit la compétitivité
d'autres fabricants qui avaient été amenés à accomplir leur réorganisation sans
bénéficier d'aide d'État. Dans son arrêt dans cette même affaire (point 50), la Cour
aurait confirmé la décision de la Commission refusant l'autorisation de l'aide d'État,
au motif qu'elle avait affaibli la compétitivité d'autres fabricants dans la
Communauté, au risque de les contraindre à se retirer du marché, même s'ils
avaient jusque-là pu poursuivre leurs activités grâce à une restructuration financée
par leurs propres ressources. Les requérantes se réfèrent encore aux conclusions
de l'avocat général Sir Gordon Slynn sous l'arrêt de la Cour du 20 mars 1984,
Allemagne/Commission (cité au point 58 ci-dessus, Rec. p. 1492), ainsi qu'à l'arrêt
Philip Morris/Commission (cité au point 79 ci-dessus, point 26), dont il ressort que
la Commission, en appliquant l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, doit tenir
compte du cadre communautaire et notamment de la situation globale du secteur
en question.
- 239.
- La requérante dans l'affaire T-394/94 souligne que la décision attaquée confirme
que l'aide en question fausse le jeu de la concurrence dans l'EEE. Elle rappelle
que, dans les observations soumises à la Commission au cours de la procédure
administrative, elle avait suggéré que la Commission procède à l'analyse de chaque
marché géographique affecté par l'aide, à savoir les liaisons particulières sur
lesquelles les transporteurs aériens concernés sont en concurrence directe. Cette
thèse serait confortée par l'arrêt de la Cour du 14 février 1990, France/Commission
(cité au point 79 ci-dessus, point 50), dans lequel la Cour aurait indiqué qu'il y avait
lieu d'examiner l'effet de l'aide sur l'ensemble des concurrents de l'entreprise
bénéficiaire. La requérante précise qu'elle est en concurrence avec Air France sur
les lignes Londres-Nice, Londres-Paris et Glasgow-Paris. Néanmoins, la Commission
aurait conclu que tous les effets négatifs sur les conditions des échanges étaient
acceptables. Ce faisant, la Commission aurait favorisé Air France, entreprise
appartenant au secteur public, par rapport à la requérante, entreprise
indépendante appartenant au secteur privé. Ainsi, la Commission aurait procédé
à une discrimination entraînant des distorsions de la concurrence dans une mesure
contraire à l'intérêt commun (arrêt de la Cour du 24 février 1987,
Falck/Commission, 304/85, Rec. p. 871, point 27).
- 240.
- Dans ce contexte, la requérante dans l'affaire T-394/94 reproche, en outre, à la
Commission d'avoir violé l'article 190 du traité en négligeant de motiver
adéquatement son affirmation selon laquelle l'aide n'affecte pas les échanges dans
une mesure contraire à l'intérêt commun et de répondre valablement aux
observations soumises par la requérante lors de la procédure administrative. Les
requérantes dans l'affaire T-371/94 font également valoir que la Commission n'a
pas examiné sérieusement les commentaires soumis en réponse à sa communication
du 3 juin 1994 par les tiers. Devant le Tribunal, elles ont produit des exemples
chiffrés en énumérant des lignes individuelles avec les parts estimatives de marché
des différentes compagnies aériennes en situation de concurrence sur ces lignes
(n° 21 et footnotes 33 à 42 de la requête dans l'affaire T-371/94).
- 241.
- De même, les sociétés Maersk considèrent que la Commission aurait dû accorder
plus d'attention à l'effet de l'aide sur les petites et moyennes compagnies aériennes
exerçant leur activité sur les lignes régionales. Elles font ainsi grief à la Commission
d'avoir omis d'examiner l'effet négatif de l'aide litigieuse sur la concurrence dans
les services aériens régionaux. A cet égard, elles affirment qu'elles desservent la
ligne Lyon-Birmingham et voulaient desservir, à partir du 16 octobre 1995, la ligne
Billund-Paris (CDG). Elles estiment que les effets d'une aide d'État se manifestent
non seulement sur le marché restreint desservi par le transporteur bénéficiaire,
défini par référence à des liaisons intervilles, mais aussi sur un marché plus vaste
de transports aériens et sur des liaisons indirectement concurrentes.
- 242.
- Les effets indirects de la décision attaquée sur de petits transporteurs exploitant
soit des lignes secondaires vers les principaux centres, à partir desquels opèrent les
grands transporteurs, soit des liaisons indirectement en concurrence seraientillustrés par la liaison, exploitée par les sociétés Maersk, entre Birmingham et Lyon.
Cette liaison ferait indirectement concurrence à celle qui relie Londres (Heathrow)
à Paris comme à celle qui relie Birmingham à Paris et subirait la concurrence de
l'une et de l'autre de ces liaisons. Or, le taux de remplissage d'Air France sur la
liaison Birmingham-Paris n'aurait été, selon des chiffres pour l'année 1992, que de
32 % à comparer aux 61 % de ses concurrents. Des compagnies aériennes
efficacement gérées pourraient être contraintes d'abandonner certaines liaisons,
voire se trouver empêchées d'en développer de nouvelles, si la présence d'une
compagnie subventionnée par des fonds publics occasionnait une diminution des
taux de rendement.
- 243.
- Elles ajoutent que la Commission n'a pas suffisamment examiné l'incidence de
l'aide litigieuse sur la concurrence potentielle dans le secteur du transport aérien.
Ce constat serait illustré par la liaison Copenhague-Paris, sur laquelle le taux de
remplissage d'Air France n'atteignait, selon des chiffres pour l'année 1992, que
49 %, par rapport à 61 % pour les compagnies concurrentes. Bien que l'effet sur
la concurrence potentielle ne puisse pas pleinement être mesuré, il serait démontré
par la décision prise par les sociétés Maersk, lors de l'adoption de la décision
attaquée, de différer leurs plans visant à établir un service entre Billund et Paris
(CDG).
- 244.
- Le royaume de Suède considère également que l'aide litigieuse accentue la pression
sur les compagnies régionales concurrentes, tendant à leur faire abandonner leurs
lignes périphériques. Ces compagnies pourraient voir leur position fortement
affectée même par des mesures globalement limitées prises par l'un des plus grands
acteurs sur le marché, alors que les autres grosses compagnies ne sont pas affectées
dans une même mesure.
- 245.
- A l'audience, les gouvernements suédois et norvégien ont précisé que les
compagnies aériennes scandinaves, qui sont en concurrence avec Air France sur des
liaisons entre la France et les plus grandes villes de Scandinavie, ont également des
liaisons internes qui pâtissent d'une faible fréquence en raison d'une densité de
population extrêmement basse, mais qui sont nécessaires dans l'intérêt du
développement économique des régions périphériques. Ces liaisons seraient
extrêmement vulnérables à toute distorsion de la concurrence par des aides d'État
accordées à un gros concurrent comme Air France. Les grandes compagnies
n'auraient que rarement un intérêt pour les lignes périphériques. Les distorsions
de concurrence sur les lignes à trafic intense pourraient donc entraîner une
réduction ou une disparition de la desserte des régions périphériques. Cela
porterait préjudice à l'intérêt commun qui est d'assurer des liaisons aériennes
suffisantes même à la périphérie de l'EEE.
- 246.
- La requérante dans l'affaire T-394/94 souligne qu'aucun élément de la décision
attaquée ne prouve que la Commission a satisfait à son obligation de pondérer
l'intérêt à garantir la survie d'Air France et les effets négatifs que doit
inévitablement avoir sur la concurrence l'injection, à titre d'aide, du montant
exorbitant de 20 milliards de FF. La Commission n'aurait jamais expliqué pourquoi
elle estime que les effets bénéfiques suffisent à neutraliser les effets négatifs du
plan de restructuration, mais se serait limitée à la simple analyse des effets
bénéfiques de l'aide pour son bénéficiaire.
- 247.
- Elle rappelle qu'Air France a accumulé des pertes considérables pendant les
dernières années, et cela malgré l'injection autorisée par la Commission de 5,8
milliards de FF. A la lumière des pertes continues et croissantes d'Air France, la
Commission aurait dû s'apercevoir rétrospectivement que ses investigations, fondées
alors sur des informations fournies par Air France, avaient été fondamentalement
défectueuses. Au contraire d'Air France, la majorité de ses concurrentes, des
compagnies aériennes non subventionnées et indépendantes, auraient dû adopter
des mesures rigoureuses de réduction des coûts et de restructuration pour être en
mesure de s'adapter à un environnement commercial évoluant rapidement au sein
du marché libéralisé. Ces mesures nécessaires à leur survie n'auraient pu être prises
que grâce à d'importantes réductions de personnel, à l'abandon de liaisons non
rentables, à l'annulation de commandes de nouveaux avions, au retrait
d'investissements effectués dans d'autres compagnies aériennes et à la vente d'actifs
hors métiers de base. La requérante aurait, par exemple, lancé une importante
campagne de réduction des coûts comportant, notamment, une suppression
d'emplois et l'abandon de liaisons non rentables, y compris celles entre Édimbourg
et Paris, qu'Air France continue à exploiter.
- 248.
- Le royaume de Danemark et le Royaume-Uni ajoutent que la Commission aurait
dû procéder à une comparaison entre Air France et les autres sociétés qui ont
réalisé une restructuration avec ou sans aide d'État. Ce n'est qu'ainsi que la
Commission aurait pu se faire une idée du marché et des sociétés opérant sur ce
marché, ce qui constitue une condition préalable pour qu'elle puisse exercer
correctement son pouvoir discrétionnaire. L'expérience acquise par certaines
compagnies concurrentes d'Air France montrerait ce que l'on peut faire pour
restaurer la viabilité d'une grande compagnie aérienne internationale sans aides
d'État. Ainsi, British Airways aurait cessé de desservir seize liaisons internationales,
aurait vendu un nombre important d'appareils et aurait supprimé 13 500 postes de
travail dans les années 80. Dans le cas de Lufthansa, la restructuration aurait
nécessité une diminution de 17 % du nombre des employés depuis 1992.
- 249.
- Les requérantes, le royaume de Danemark et le Royaume-Uni considèrent que les
seize conditions auxquelles la Commission a subordonné l'approbation de l'aide
sont inefficaces et ne peuvent donc pas empêcher l'aide d'avoir des effets néfastes
sur les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Ils
soulignent que la portée des conditions est limitée à la durée du plan de
restructuration, c'est-à-dire qu'elles deviendront caduques à la fin de l'année 1996,
alors que l'aide continuera à faire sentir ses effets sur Air France et sur le marché
des transports aériens au-delà de cette date. L'erreur commise en limitant
l'application des conditions à la durée du plan serait illustrée par la fusion
envisagée des activités européennes d'Air France avec celles d'Air Inter au début
de l'année 1997. Le fait pour la Commission d'avoir fixé de telles conditions à
respecter par le gouvernement français, au lieu d'avoir soumis le plan de
restructuration à un examen détaillé, serait en contradiction avec les règles qui
s'appliquent au pouvoir d'appréciation de la Commission en la matière. La
Commission ne pourrait pas omettre de procéder à l'appréciation exigée par le
droit communautaire en énonçant à la place un certain nombre de conditions.
- 250.
- Les requérantes et les parties intervenues au soutien de leurs conclusions
soulignent, en particulier, la possibilité pour Air France de contourner les
conditions d'autorisation imposées à l'État français par la décision attaquée. Ainsi,
la société holding contrôlant Air France et Air Inter pourrait permettre à Air Inter,
non soumise à ces conditions, d'adopter des mesures interdites à Air France. Si la
décision attaquée n'était pas annulée, tout destinataire d'une aide d'État serait en
mesure de créer des filiales ou sociétés soeurs pour se soustraire aux conditions
d'autorisation et pour continuer à agir sur le marché sans aucune restriction.
- 251.
- La Commission considère que les requérantes confondent à tort les aides qui
faussent la concurrence et affectent les échanges entre États membres, au sens de
l'article 92, paragraphe 1, du traité, avec celles qui altèrent les conditions des
échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun, au sens de l'article 92,
paragraphe 3, sous c). Elle affirme n'avoir jamais estimé que l'aide litigieuse ne
fausserait pas la concurrence ou n'affecterait pas les échanges. Toutefois, une telle
aide ne constituerait pas forcément une aide qui altère les conditions des échanges
dans une mesure contraire à l'intérêt commun. De l'avis de la Commission, les
requérantes partent du principe que tout effort d'Air France pour survivre nuira
à ses concurrents. Or, cette thèse serait indéfendable au regard d'une interprétation
correcte des articles 92, paragraphe 3, sous c), du traité et 61, paragraphe 3, sous
c), de l'accord EEE.
- 252.
- Dans l'affaire France/Commission (voir l'arrêt cité au point 79 ci-dessus), la
Commission aurait considéré que l'aide accordée était une mesure de sauvetage
qui, en plus, ne satisfaisait pas aux critères définis pour ce type d'aide. La
Commission souligne que ces considérations sont absentes dans le cas d'espèce.
L'aide litigieuse ne serait pas une mesure de sauvetage, mais serait effectivement
associée à un véritable plan de restructuration. Il n'y aurait donc aucune
incompatibilité entre la position adoptée par la Commission dans ladite affaire et
sa position dans le cas d'espèce.
- 253.
- La Commission ajoute que le passage des conclusions de l'avocat général Sir
Gordon Slynn sous l'arrêt de la Cour du 20 mars 1984, Allemagne/Commission (cité
au point 58 ci-dessus) portait sur la question de savoir si l'aide en cause pouvait
être considérée comme une aide destinée à faciliter le développement de certaines
activités économiques, et non de savoir si elle altérait les conditions des échanges
dans une mesure contraire à l'intérêt commun. De même, l'extrait de l'arrêt Philip
Morris/Commission (cité au point 79 ci-dessus) se serait rapporté lui aussi à la
première condition de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité et non à l'effet
préjudiciable sur les conditions des échanges.
- 254.
- La Commission souligne qu'elle a examiné si l'aide pouvait être considérée comme
compatible au sens des articles 92, paragraphe 3, sous c), du traité et 61,
paragraphe 3, sous c), de l'accord EEE. Pour les raisons indiquées dans sa décision,
elle aurait été à même de conclure que l'aide pouvait bénéficier de la dérogation
prévue et qu'elle était compatible avec le marché commun, pour autant que
certains engagements soient respectés et certaines conditions remplies. Elle aurait
expliqué, dans la décision attaquée, que, en analysant les effets de l'aide dans
l'EEE, elle avait tenu compte de la libéralisation accrue du transport aérien à la
suite de l'adoption du «troisième paquet» et s'était assurée que les effets négatifs
de l'aide ne seraient pas amplifiés par l'exploitation de droits exclusifs ou
l'application d'un traitement de faveur à Air France.
- 255.
- La Commission soutient que certains des engagements qu'elle a obtenus du
gouvernement français sont sans précédent ou d'une sévérité sans pareille. Aucun
autre gouvernement ne se serait engagé à privatiser une entreprise bénéficiaire
d'une aide (engagement n° 2), et des restrictions à la liberté de fixation des prix
n'auraient jamais été imposées dans le passé (engagement n° 9). La Commission
tient également à relever que la moitié seulement du montant total de l'aide a pu
être versée immédiatement, le paiement du solde en deux tranches étant
subordonné au respect d'un certain nombre de conditions et à son autorisation
(article 2 de la décision attaquée). En outre, le gouvernement français aurait
souscrit l'engagement de ne plus accorder à Air France de nouvelles dotations ou
d'autres aides sous quelque forme que ce soit (engagement n° 5) et de ne pas
s'immiscer dans sa gestion pour des raisons autres que celles liées à son statut
d'actionnaire (engagement n° 4).
- 256.
- Dans la mesure où les sociétés Maersk lui reprochent d'avoir exclu de son analyse
le rôle des transporteurs aériens de petite et de moyenne importance, la
Commission souligne que son appréciation n'était pas limitée aux grandes
compagnies européennes. Afin de s'assurer que l'aide n'affectait pas les conditions
des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun, elle aurait notamment
dû acquérir la certitude que l'aide n'était pas utilisée pour brader les prix et quela capacité n'était pas augmentée à un rythme supérieur à celui de la croissance du
marché. Cette préoccupation aurait été valable pour tous les concurrents d'Air
France et pour le secteur de l'aviation civile européenne dans son ensemble.
- 257.
- Quant à l'argument pris de ce qu'elle n'a pas examiné l'effet négatif de l'aide sur
la concurrence dans les services aériens régionaux, la Commission soutient que les
parties intervenantes n'apportent pas la moindre preuve de leur grief selon lequel
l'aide découragerait le développement des services à destination ou au départ
d'aéroports régionaux. Quant aux prétendus effets de l'aide sur un marché plus
large que celui effectivement couvert par Air France, sur les lignes concurrentielles
indirectes et sur la concurrence potentielle, la Commission déclare que les
allégations y relatives sont dépourvues de fondement. Elle ignorerait ce que signifie
l'ajournement du projet des parties intervenantes Maersk d'établir une liaison
Billund-Paris. Les hésitations de celles-ci trouveraient probablement leur origine
dans l'arrivée de British Airways sur la ligne Copenhague-Paris en 1993, où elle a
immédiatement accaparé 18 % du marché. De manière générale, la Commission
considère que la décision attaquée satisfait aux exigences de l'article 190 du traité
quant à l'évaluation de l'impact de l'aide sur les conditions des échanges.
- 258.
- Air France estime que tout dans la décision attaquée montre que les effets de
l'aide ont été appréciés dans un contexte communautaire. En effet, la Commission
aurait analysé la situation et l'évolution du transport aérien européen ainsi que les
effets de l'aide sur la situation concurrentielle d'Air France, en tenant compte de
la libéralisation accrue du transport aérien. Enfin, tout l'objet des engagements
souscrits par le gouvernement français serait précisément d'éviter que l'aide puisse
être utilisée par Air France au détriment de ses concurrents.
Appréciation du Tribunal
1. Sur la motivation
- 259.
- Au vu des griefs soulevés par les parties requérantes et les parties intervenues au
soutien de leurs conclusions, le Tribunal estime qu'il convient de vérifier, en
premier lieu, si la décision attaquée est pourvue d'une motivation suffisante en ce
qui concerne l'appréciation des effets de l'aide sur les compagnies concurrentes
d'Air France et sur les liaisons aériennes pertinentes. A cet égard, le Tribunal
rappelle qu'il a invité ces parties requérantes et intervenantes à déposer les
observations qu'elles avaient présentées à la Commission au cours de la procédure
administrative, en qualité d'intéressées au sens de l'article 93, paragraphe 2, du
traité (voir ci-dessus point 33).
- 260.
- Ainsi qu'il a été relevé ci-dessus (points 89 à 96), il y a donc lieu pour le Tribunal
d'examiner si la motivation de la décision attaquée fait apparaître, de façon claire
et non équivoque, le raisonnement de la Commission au vu notamment des griefs
essentiels pour l'évaluation du projet d'aide sous l'angle de ses effets, que les
parties intéressées ont, au cours de la procédure administrative, portés à la
connaissance de la Commission.
- 261.
- A la lecture de l'ensemble des observations déposées devant le Tribunal, il s'avère
que certaines de ces parties avaient notamment insisté, devant la Commission, sur
la nécessité pour celle-ci d'évaluer les effets de l'aide sur les compagnies aériennes
concurrentes d'Air France et sur les différentes liaisons aériennes concernées. En
effet, il a été affirmé que l'aide permettrait aux compagnies appartenant au groupe
Air France de continuer à exploiter leur position dominante sur le marché
domestique français. Par ailleurs, le marché géographique pertinent dans le secteur
aérien étant constitué par les liaisons que les utilisateurs considèrent comme
substituables, c'est-à-dire les lignes de ville à ville, la question de la substituabilité
devrait être analysée. En effet, d'autres compagnies plus compétitives pourraient
reprendre des liaisons desservies jusqu'alors par Air France. En outre, la
Commission devrait être attentive aux effets de l'aide sur la situation des petites
compagnies aériennes, souvent dépendantes de quelques liaisons spécifiques. Le fait
pour un grand transporteur tel qu'Air France d'obtenir une aide d'État pourrait
affecter l'équilibre de la concurrence sur ces lignes.
- 262.
- Certaines des parties intéressées ont souligné l'impact de l'aide litigieuse sur la
concurrence régnant sur les lignes internationales hors EEE. En effet, Air France
aurait pratiqué une publicité agressive aux Pays-Bas en affichant des tarifs très bas
pour des vols via Paris à destination notamment de Hong-Kong, Singapour, Jakarta,
Tokyo, Le Cap et Johannesburg (KLM, observations p. 1). Air France se trouverait
en concurrence sur 8 des 20 lignes internationales sur lesquelles la concurrence est
la plus acharnée (Royaume-Uni, observations p. 6). Les autres compagnies
communautaires présentes sur les lignes extracommunautaires seraient affectées en
raison de la substituabilité possible par exemple entre Rome et Londres pour un
vol à destination de New York. Il existerait donc une situation de concurrence sur
toutes les lignes entre l'Europe et l'Amérique du Nord, d'une part, et l'Extrême-Orient, d'autre part. Ainsi, British Airways serait en concurrence avec d'autres
compagnies en ce qui concerne les vols Rome-New York et Paris-New York. Pour
beaucoup de compagnies européennes, le marché domestique serait trop petit. Par
conséquent, les lignes extracommunautaires seraient vitales pour leur survie à long
terme, raison pour laquelle beaucoup se basent, dans une large mesure, sur le trafic
transatlantique (p. ii, 57 et 58 du rapport Lexecon sur l'impact concurrentiel de
l'aide d'État sur l'industrie aérienne européenne, présenté par British Airways lors
de la procédure administrative et joint en annexe 17 à la requête dans l'affaire
T-371/94).
- 263.
- Du côté de la Commission, il y a lieu de rappeler que ses services étaient eux-mêmes conscients des problèmes engendrés par les effets de l'aide sur la situation
concurrentielle d'Air France, à tel point qu'ils avaient déjà déclaré, dans la
communication du 3 juin 1994, devoir examiner ces effets au regard des liaisons
internationales et intérieures, sur lesquelles Air France affronte la concurrence
d'autres transporteurs européens, en ajoutant que le plan de restructuration d'Air
France ne comportait pas d'analyse du réseau et de son développement futur (JO
p. 8).
- 264.
- Quant à la décision attaquée, il convient de constater que, en vérifiant si l'aide
n'affecte pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt
commun, la Commission rappelle avoir déclaré, à l'ouverture de la procédure
administrative, qu'elle devait analyser les effets de l'aide sur la situation
concurrentielle d'Air France sur les lignes tant internationales qu'intérieures où elle
se trouve en concurrence avec d'autres compagnies européennes. Ensuite, la
Commission souligne que le gouvernement français s'est engagé, pour la durée du
plan de restructuration, à:
ne pas accroître le nombre des avions de la flotte d'Air France exploité par
celle-ci au-delà de 146 (condition n° 7);
ne pas accroître l'offre d'Air France au-delà du niveau atteint en 1993 pour
les liaisons entre la France et les autres pays de l'EEE (condition n° 8);
veiller à ce qu'Air France ne mette pas en oeuvre des pratiques consistant
à proposer des tarifs inférieurs à ceux pratiqués par ses concurrents pour
une offre équivalente sur les liaisons qu'elle exploite à l'intérieur de l'EEE
(condition n° 9);
ne pas accorder un traitement préférentiel à Air France en matière de
droits de trafic (condition n° 10);
veiller à ce qu'Air France n'exploite pas, entre la France et les autres pays
de l'EEE, un nombre de lignes régulières supérieur à celui exploité en 1993,
à savoir 89 lignes (condition n° 11);
limiter l'offre d'Air Charter au niveau de 1993 (condition n° 12) (JO p. 79,
86, 88 et 89).
- 265.
- La Commission considère que ces engagements, transformés en conditions
d'autorisation de l'aide, limitent très sévèrement la liberté dont Air France dispose
en matière de capacité, d'offre et de fixation des prix et que ces limitations sont
nécessaires pour que l'aide ne puisse pas être utilisée pour répercuter les difficultés
de la compagnie sur ses concurrents. Les engagements empêcheraient Air France
de mener une politique tarifaire agressive sur toutes les lignes qu'elle exploite à
l'intérieur de l'EEE (JO p. 86).
- 266.
- En ce qui concerne plus particulièrement les effets de l'aide sur le marché intérieur
français, la Commission indique encore que:
les autorités françaises se sont engagées à modifier, conformément à sa
décision 94/290/CE, du 27 avril 1994, relative à une procédure d'application
du règlement (CEE) n° 2408/92 du Conseil (affaire VII/AMA/II/93 TAT
Paris/Orly-Londres) (JO L 127, p. 22), les règles de distribution du trafic
appliquées au système aéroportuaire parisien de manière à les rendre non
discriminatoires (condition n° 15);
les autorités françaises se sont engagées à veiller à ce que les travaux
d'aménagement de l'aérogare Orly-Sud, réservé au trafic international, et
de l'aérogare Orly-Ouest, réservé au trafic intérieur, ne perturbent pas les
conditions de concurrence au détriment des compagnies aériennes
desservant l'aéroport d'Orly (condition n° 16);
elle a adopté le 27 avril 1994 une décision selon laquelle la France est tenue
d'autoriser les transporteurs de la Communauté à exercer leurs droits de
trafic sur les liaisons entre Paris (Orly) et Toulouse, ainsi qu'entre Paris
(Orly) et Marseille à compter du 27 octobre 1994 au plus tard (JO p. 87 et
88).
- 267.
- A la lecture de cet exposé des motifs, il s'avère que la Commission s'est abstenue
d'examiner la situation concurrentielle «ligne par ligne», alors qu'un tel examen
avait été suggéré par les parties intéressées et envisagé par la Commission elle-même. Au lieu d'analyser en détail les effets de l'aide sur les différentes lignes
desservies par Air France, la Commission a choisi d'imposer à l'État français les
seize conditions d'autorisation de l'aide reprises à l'article 1er de la décision
attaquée. Il s'ensuit que la Commission considère ces conditions comme
appropriées et suffisantes pour assurer que les effets de l'aide sur le secteur de
l'aviation civile relevant du champ d'application des articles 92 du traité et 61 de
l'accord EEE ne soient pas contraires à l'intérêt commun.
- 268.
- Il convient de préciser que les conditions relatives au nombre maximal des avions
d'Air France (n° 7), à l'interdiction d'accorder à Air France un traitement
préférentiel en matière de droits de trafic (n° 10) et à la limitation de l'offre d'Air
Charter (n° 12), dont la portée n'a pas de limites géographiques, couvrent, en tout
état de cause, la surface de l'EEE. Quant aux conditions concernant le niveau de
l'offre d'Air France (n° 8), les pratiques de tarification d'Air France (n° 9), le
nombre maximal des lignes exploitées (n° 11), les règles de distribution du trafic
pour le système aéroportuaire parisien (n° 15) et le réaménagement des deux
aérogares d'Orly (n° 16), elles visent spécifiquement le marché géographique à
l'intérieur de l'EEE, y compris le marché domestique français. La Commission
indique expressément que, à son avis, ces conditions limitent la liberté d'Air France
et l'empêchent de mener une politique tarifaire agressive «sur toutes les lignes
qu'elle exploite à l'intérieur de l'Espace économique européen» (JO p. 86).
- 269.
- Le Tribunal estime que, sur le plan de la motivation, cette manière d'aborder la
problématique fait apparaître que la Commission s'est effectivement penchée sur
la situation concurrentielle à l'intérieur de l'EEE, étant entendu que la question de
savoir si les conditions d'autorisation susmentionnées sont réellement suffisantes et
appropriées à cet effet relève de l'examen du fond. Même si cette motivation ne
fait pas suite aux observations des parties intéressées qui avaient suggéré de
procéder à un examen «ligne par ligne», elle démontre clairement que laCommission a jugé opportun de remplacer un tel examen par le mécanisme des
seize conditions d'autorisation imposées à l'État français. Cela permet aux parties
intéressées d'identifier la réaction de la Commission à leurs observations, de vérifier
le bien-fondé de l'approche choisie par la Commission et de défendre leurs intérêts
devant le juge communautaire, en contestant le caractère complet et adéquat du
mécanisme des seize conditions au regard de la situation concurrentielle régnant
à l'intérieur de l'EEE.
- 270.
- Il y a, toutefois, lieu de constater que l'exposé des motifs de la décision attaquée
ne comporte pas la moindre indication relative à la situation concurrentielle d'Air
France en dehors de l'EEE. D'une part, une analyse du réseau international d'Air
France, qui tiendrait compte des liaisons aériennes sur lesquelles cette compagnie
est en concurrence avec d'autres compagnies aériennes ayant leur siège à l'intérieur
de l'EEE, fait défaut. D'autre part, les conditions d'autorisation relatives au niveau
de l'offre d'Air France (n° 8), à ses pratiques de tarification (n° 9) et au nombre
maximal des lignes exploitées (n° 11) ne couvrent pas les liaisons qu'Air France
exploite ou entend exploiter vers les pays extérieurs à l'EEE, c'est-à-dire les vols
long-courriers, notamment transatlantiques. Dans l'optique de la Commission, Air
France financièrement renforcée par l'aide autorisée a donc toute liberté
d'accroître ses capacités, d'augmenter le nombre de ses liaisons et de pratiquer des
tarifs aussi bas qu'elle le souhaite sur les lignes internationales hors EEE.
- 271.
- Or, le plan de restructuration d'Air France prévoit expressément le développement
des vols long-courriers ainsi que l'augmentation des fréquences sur les liaisons
rentables, et les autorités françaises ont annoncé une croissance de l'offre d'Air
France de 10,2 % sur le long-courrier (JO p. 76 et 77). En outre, les parties
intéressées avaient attiré l'attention de la Commission, premièrement, sur la
problématique de la définition du marché pertinent en matière aérienne qui, de
leur avis, est constitué par les lignes spécifiques que les utilisateurs considèrent
comme substituables, deuxièmement, sur le fait qu'Air France essayait d'attirer, par
une campagne publicitaire, de la clientèle des Pays-Bas pour des vols à destination
hors EEE via Paris, Air France démontrant ainsi elle-même que ces vols sont
largement substituables au moyen d'un trafic aérien d'apport approprié, et,
troisièmement, sur le caractère vital de ces vols pour la survie à long terme de
nombreuses compagnies européennes.
- 272.
- Il convient d'ajouter que la Commission a défini, dans sa décision du 5 octobre
1992 (Air France/Sabena, citée aux points 218 et 219 ci-dessus), le marché
pertinent comme le transport aérien régulier permettant de relier deux aires
géographiques, c'est-à-dire un faisceau de liaisons aériennes pour autant qu'il y ait
substituabilité entre celles qui composent ce faisceau, une telle substituabilité
résultant de différents facteurs tels que, notamment, la longueur des liaisons, la
distance qui sépare les différents aéroports situés aux extrémités de chacune des
liaisons composant le faisceau ou le nombre de fréquences sur chaque liaison
(point 25). En conséquence, la Commission a conclu, en matière de liaisons entre
l'Europe et l'Afrique noire francophone, que le marché pertinent pouvait être
défini comme un faisceau de liaisons entre l'ensemble des points de départ de
l'EEE, d'une part, et chacune des destinations en Afrique à titre individuel, d'autre
part (point 39).
- 273.
- Le Tribunal estime que, eu égard à cette pratique décisionnelle et compte tenu des
observations faites à cet égard par les parties intéressées, la Commission était tenue
de se prononcer sur la problématique des liaisons aériennes hors EEE desservies
par Air France, bénéficiaire de l'aide autorisée, en situation de concurrence avec
d'autres compagnies situées à l'intérieur de l'EEE. En effet, ainsi que la Cour l'a
jugé dans son arrêt Bremer Vulkan/Commission (cité au point 94 ci-dessus, points
53 et 54), des indications sur la situation des marchés en cause, notamment la
position de l'entreprise bénéficiaire d'une aide et celle des entreprises concurrentes,
constituent un élément essentiel de la motivation d'une décision relative à la
compatibilité d'un projet d'aide avec le marché commun au sens de l'article 92 du
traité. Si l'arrêt précité a été rendu en application du paragraphe 1 de cet article,
le Tribunal estime qu'une telle motivation s'impose également dans le cadre des
articles 92, paragraphe 3, sous c), du traité et 61, paragraphe 3, sous c), de l'accord
EEE au regard du point de savoir si l'aide altère les conditions des échanges dans
une mesure contraire à l'intérêt commun.
- 274.
- A défaut d'étendre les conditions d'autorisation nos 8, 9 et 11 aux lignes hors EEE
desservies par Air France, la Commission était tenue d'évaluer au titre de son
examen du marché pertinent l'éventuelle substituabilité des vols hors EEE
opérés, par exemple, à partir de Paris, de Londres, de Rome, de Francfort, de
Copenhague, d'Amsterdam ou de Bruxelles et donc l'éventuelle situation de
concurrence, au titre de ces vols, entre les compagnies aériennes dont la plate-forme est située dans une de ces villes.
- 275.
- L'importance d'une telle motivation est illustrée par les chiffres que les requérantes
dans l'affaire T-371/94 ont présentés devant le Tribunal, sans être contredites sur
ce point, pour démontrer qu'une grande partie des chiffres d'affaires et des
bénéfices de British Airways, de SAS et de KLM est réalisée sur les lignes hors
EEE, notamment sur les liaisons avec les États-Unis, le Canada, l'Afrique, le
Moyen-Orient, l'Inde et l'Extrême-Orient (requête n° 212 et footnote 282). Ainsi
que la Cour l'a admis dans l'arrêt Bremer Vulkan/Commission (cité au point 94 ci-dessus, point 34), ces éléments, postérieurs à la date de l'adoption de la décision
attaquée, peuvent être pris en considération à titre d'illustration du devoir de
motivation incombant à la Commission. En tout état de cause, certaines des parties
intéressées avaient déjà souligné, devant la Commission, que les lignes
extracommunautaires, et en particulier transatlantiques, étaient vitales pour la
survie de nombreuses compagnies européennes et que la concurrence sur ces lignes
était la plus acharnée.
- 276.
- En plus, il est évident qu'un accroissement des capacités d'Air France et son
leadership en matière de bas tarifs sur une ligne donnée hors EEE à partir de sa
plate-forme à l'aéroport de Paris (CDG) peut avoir des répercussions sur le trafic
aérien d'apport vers cette plate-forme. En effet, dans la mesure où l'importance
économique de la plate-forme de Paris augmentera aux dépens d'autres plates-formes situées à l'intérieur de l'EEE, le trafic aérien d'apport vers Paris
augmentera proportionnellement et, par voie de conséquence, aux dépens du trafic
aérien d'apport vers les autres plates-formes. L'argumentation des parties
intéressées relative à la situation des petites compagnies aériennes, souvent
dépendantes de quelques lignes spécifiques, paraît donc essentielle, de sorte que
la Commission aurait dû se prononcer également à cet égard. A titre d'illustration,
il convient d'ajouter que, ainsi que British Midland l'a souligné à l'audience devant
le Tribunal sans être contredite sur ce point, 30 % de ses passagers ont été des
passagers interlignes, qui allaient vers d'autres destinations sur des lignes long-courriers. Par conséquent, la Commission ne pouvait pas passer sous silence la
situation des petites compagnies actives dans le trafic aérien d'apport.
- 277.
- La problématique des lignes hors EEE et du trafic aérien d'apport y relatif ne
saurait être considérée comme réglée par l'effet combiné des conditions
d'autorisation n° 7 (limitation du nombre d'avions d'Air France) et n° 9 (restriction
du price-leadership d'Air France pour le trafic aérien d'apport à l'intérieur de
l'EEE), ainsi que du devoir d'Air France d'atteindre les objectifs de sa
restructuration. En effet, s'il est vrai que ce sont les lignes hors EEE qui rapportent
les plus hauts bénéfices, Air France aura tout intérêt à utiliser le plus grand
nombre de ses avions sur les lignes internationales les plus rémunératrices, sans
aucunement compromettre le succès de sa restructuration. Quant au trafic aérien
d'apport, il suffit de relever que rien n'oblige Air France à s'en charger elle-même,
ce trafic vers la plate-forme de Paris pouvant être assuré par n'importe quelle
compagnie aérienne distincte d'Air France, telle qu'Air Inter, non soumise aux
conditions d'autorisation imposées par la Commission (voir ci-dessus point 215);
l'importance économique de la condition n° 9, dans la mesure où elle couvre le
trafic aérien d'apport assuré par Air France à l'intérieur de l'EEE, paraît donc
insignifiante au regard de la problématique globale des lignes hors EEE.
- 278.
- Enfin, si la condition d'autorisation n° 12 impose à Air Charter des limites d'offre
absolues, qui portent donc aussi sur les lignes hors EEE, son importance
économique avec 17 avions est tellement minime par rapport à celle d'Air France
que l'existence de cette condition n'est pas de nature, à elle seule, à combler le
défaut de motivation concernant la situation d'Air France sur ces lignes. Il en va
de même de la condition d'autorisation n° 10 interdisant aux autorités françaises
d'accorder à Air France un traitement préférentiel en matière de droits de trafic.
En effet, si cette condition vise aussi les droits relatifs aux lignes hors EEE, elle ne
saurait profiter qu'aux compagnies aériennes susceptibles d'en bénéficier. Il s'agit
là, en substance, des compagnies de pays tiers et des compagnies françaises telles
qu'Air France, Air Inter, Air Charter, Air Liberté, Corsair, AOM, TAT et Euralair,
dans l'hypothèse où elles entendent desservir ces lignes à partir et à destination de
la France. En revanche, les autres compagnies européennes qui, en concurrence
avec Air France, desservent les lignes hors EEE essentiellement à partir de leurs
propres plates-formes situées hors de France ne bénéficient de la condition n° 10
que de manière insignifiante.
- 279.
- Il est vrai que la Commission, ainsi que les parties intervenantes, Air France et la
République française, ont allégué, dans le cadre de la présente procédure, que les
droits de trafic sur les liaisons hors EEE, notamment transatlantiques, étaient régis
par des accords bilatéraux et qu'une restriction imposée quant à la tarification, à
la capacité et au nombre de lignes aurait été préjudiciable à Air France, en
réduisant sa compétitivité sur les marchés extérieurs. Elles ont soutenu qu'une telle
restriction aurait avantagé les seules compagnies extérieures à l'EEE et aurait donc
été manifestement contraire à l'intérêt commun. Il y a toutefois lieu de constater
que ce raisonnement, développé par les agents de la Commission et des parties
intervenantes devant le Tribunal, ne figure pas dans la décision attaquée. Il s'ensuit
que cette argumentation n'est pas couverte par le principe de collégialité et ne
saurait donc être retenue. Par conséquent, elle n'est pas de nature à pallier le
défaut de motivation dont la décision attaquée est entachée sur ce point (voir ci-dessus points 116 à 118).
- 280.
- Il résulte de tout ce qui précède que la motivation de la décision attaquée ne
satisfait pas aux exigences de l'article 190 du traité en ce qui concerne l'évaluation
des effets de l'aide sur la situation concurrentielle d'Air France au regard de son
réseau de lignes hors EEE et du trafic aérien d'apport y relatif. Ce défaut de
motivation ne permet pas au Tribunal d'examiner le bien-fondé des argumentations
développées sur ces points (voir ci-dessus points 238 et suivants). En outre, le
Tribunal n'est pas en mesure de se prononcer sur l'argumentation relative aux
pratiques tarifaires d'Air France sur son réseau hors EEE, prétendument financées
par l'aide, en tant que mesures opérationnelles (voir ci-dessus points 142 et 143).
- 281.
- En revanche, le Tribunal est à même d'examiner si l'appréciation par la
Commission des effets de l'aide sur la situation concurrentielle d'Air France à
l'intérieur de l'EEE résiste aux griefs de fond soulevés par les requérantes et les
parties intervenues au soutien de leurs conclusions.
2. Sur le bien-fondé
- 282.
- Il y a lieu de rappeler, tout d'abord, que les appréciations économiques dansl'application de l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité, au regard desquelles
la Commission jouit d'un large pouvoir discrétionnaire, doivent être effectuées dans
un contexte communautaire (arrêt Philip Morris/Commission, cité au point 79 ci-dessus, point 24), ce qui signifie que la Commission a l'obligation d'examiner
l'impact d'une aide sur la concurrence et le commerce intracommunautaire (arrêt
du Tribunal du 6 juillet 1995, AITEC e.a./Commission, T-447/93, T-448/93 et
T-449/93, Rec. p. II-1971, point 136). En l'espèce, la décision attaquée ayant été
adoptée également sur la base de l'article 61 de l'accord EEE, le Tribunal constate
que le contexte d'examen défini par la jurisprudence susmentionnée doit être élargi
à l'EEE.
- 283.
- Il convient d'ajouter que, dans son arrêt du 25 juin 1970, France/Commission
(47/69, Rec. p. 487, point 7), la Cour a jugé que, en vue d'apprécier si une aide
altère les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun,
il est nécessaire d'examiner, notamment, s'il n'existe pas un déséquilibre entre,
d'une part, les charges à subir par les entreprises intéressées et, d'autre part, les
bénéfices résultant de l'attribution de l'aide en cause. Le Tribunal en conclut qu'il
incombe à la Commission, dans le cadre de son examen de l'impact d'une aide
d'État, ainsi qu'elle l'a d'ailleurs elle-même relevé dans son Quatorzième Rapport
sur la politique de concurrence (1984, p. 143, n° 202), de mettre en balance les effets
bénéfiques de l'aide avec ses effets négatifs sur les conditions des échanges et sur
le maintien d'une concurrence non faussée.
- 284.
- Quant au point de savoir si la Commission a procédé, en l'espèce, à une telle
pondération, il y a lieu de rappeler, tout d'abord, que la décision attaquée expose
l'historique des différents plans de restructuration adoptés par Air France depuis
1991 pour affronter ses problèmes financiers: le CAP' 93, dans le cadre duquel Air
France s'est vu octroyer 5,8 milliards de FF, le PRE 1 et le PRE 2 (JO p. 74). La
Commission a donc tenu compte des antécédents du projet litigieux et, notamment,
des 5,8 milliards déjà versés à titre d'aide, lorsqu'elle a évalué les effets bénéfiques
et négatifs de l'aide faisant l'objet des présents litiges.
- 285.
- En constatant que le gouvernement français est actionnaire majoritaire d'Air
France (JO p. 76) et en imposant aux autorités françaises d'engager le processus
de sa privatisation (article 1er, point 2, de la décision attaquée, JO p. 88), la
Commission a aussi pris en considération la circonstance qu'Air France appartient
au secteur public. Or, le fait pour la Commission d'approuver une aide versée à
une entreprise publique ne revient pas, à lui seul, à discriminer les entreprises
privées concurrentes du bénéficiaire de l'aide. En effet, ainsi qu'il ressort de l'arrêt
de la Cour du 21 mars 1991, Italie/Commission (cité au point 125 ci-dessus, point
19), la Commission doit respecter, même en matière d'aides d'État, le principe
d'égalité de traitement entre entreprises publiques et privées. Il s'ensuit que la
Commission pouvait autoriser l'aide d'État litigieuse sans discriminer les
concurrentes privées d'Air France, pourvu que l'aide n'altère pas les conditions des
échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.
- 286.
- La Commission n'était pas non plus tenue de comparer, dans le présent contexte,
les mesures de restructuration envisagées par Air France à celles adoptées par
d'autres compagnies aériennes ni, à plus forte raison, d'exiger que la restructuration
d'Air France soit calquée sur celle d'une autre compagnie (voir déjà ci-dessus
points 135 et 211). En effet, le caractère adéquat des mesures de restructuration
d'une entreprise est fonction de sa situation individuelle ainsi que du contexte
économique et politique dans lequel s'inscrit l'adoption des mesures en cause. En
l'espèce, la Commission a constaté, à la date de l'adoption de la décision attaquée
en juillet 1994, une certaine relance économique dans le secteur de l'aviation civile
européenne, l'avènement de perspectives assez favorables pour ce secteur et
l'absence d'une crise structurelle de surcapacités (JO p. 81 et 82). Ces données
pouvaient justifier que les mesures de restructuration envisagées par Air France et
acceptées par la Commission soient moins sévères que celles exécutées par d'autres
compagnies au regard de leur situation et de leur contexte spécifiques.
- 287.
- Si, ainsi qu'il a déjà été constaté ci-dessus (point 267), la Commission s'est abstenue
de vérifier, dans son examen de l'impact de l'aide sur la concurrence et le
commerce à l'intérieur de l'EEE, la situation concurrentielle «ligne par ligne» et
n'a donc pas apprécié, au regard de chacune des liaisons effectivement ou
potentiellement desservies par Air France, les conditions d'une concurrence directe
ou indirecte avec d'autres compagnies aériennes, elle a, toutefois, imposé à l'État
français une série de conditions visant à limiter la marge d'action d'Air France,
notamment en matière de capacité, d'offre et de fixation des tarifs (voir ci-dessus
points 264 à 268).
- 288.
- Le Tribunal estime que ce choix de principe relève du pouvoir d'appréciation dont
la Commission dispose dans ce domaine. D'une part, la Commission a la
compétence de principe d'assortir une décision autorisant une aide au titre de
l'article 92, paragraphe 3, sous c), du traité de conditions visant à assurer que l'aide
autorisée n'altère pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à
l'intérêt commun (arrêt du Tribunal du 13 septembre 1995, TWD/Commission,
T-244/93 et T-486/93, Rec. p. II-2265, point 55). D'autre part, Air France, une des
trois grandes compagnies européennes, est active à l'intérieur de l'EEE dans son
ensemble. La Commission pouvait donc considérer que les effets de l'aide devaient
être évalués non pas par rapport à telle ou telle liaison individuelle ou région
spécifique, mais par rapport à l'EEE tout entier. Il n'apparaît pas erroné de
couvrir, à cet effet, l'ensemble de ce territoire d'action d'Air France par un réseau
d'obligations ayant pour objectif la protection de l'ensemble de ses concurrents
actuels et potentiels contre toute politique agressive que celle-ci pourrait être
tentée de mener, d'autant plus que la Commission a renforcé le mécanisme des
conditions d'autorisation en prescrivant, à l'article 2, troisième alinéa, de la décision
attaquée, la vérification de leur respect par des consultants indépendants.
- 289.
- Cette conclusion n'est pas contredite par l'approche que la Commission a choisie
notamment dans ses décisions Aer Lingus (citée au point 55 ci-dessus, JO p. 39)
et Olympic Airways (citée au point 174 ci-dessus, JO p. 30 et 35), dans lesquelles
elle a effectivement procédé à l'évaluation de certaines lignes spécifiques desservies
par les compagnies aériennes en cause. En effet, pour ces deux compagnies, d'une
taille relativement modeste par rapport à Air France, une ligne donnée peut revêtir
une importance primordiale dans leurs activités, ce qui justifie que l'examen de
l'impact d'une aide accordée à une de ces compagnies soit concentré de la sorte,
alors que le réseau aérien desservi par Air France à l'intérieur de l'EEE présente
un caractère plus homogène.
- 290.
- Dans la mesure où l'efficacité des conditions imposées à l'État français a été
contestée devant le Tribunal, notamment au regard des possibilités pour Air France
d'éluder ces conditions, il y a lieu de constater que l'utilité juridique et pratique de
telles conditions d'autorisation consiste en ce que, si l'entreprise bénéficiaire devait
s'en écarter, il appartiendrait à l'État membre concerné de veiller à la bonne
exécution de la décision d'autorisation et à la Commission d'apprécier s'il y a lieu
de réclamer le remboursement de l'aide (arrêt du Tribunal du 12 décembre 1996,
AIUFFASS et AKT/Commission, T-380/94, Rec. p. II-2169, point 128). A cet égard,
il convient de rappeler que, dans son arrêt du 4 février 1992, British Aerospace et
Rover/Commission (C-294/90, Rec. p. I-493, point 11), la Cour a jugé que, si l'État
ne respecte pas les conditions auxquelles la Commission a soumis une décision
d'approbation d'une aide, la Commission peut, au titre de l'article 93, paragraphe
2, deuxième alinéa, du traité, saisir immédiatement la Cour, par dérogation aux
articles 169 et 170 du traité.
- 291.
- Eu égard à ce système de fonctionnement des conditions qui sont à la base d'une
décision portant autorisation d'une aide, la simple affirmation que l'une ou l'autre
de ces conditions ne sera pas respectée ne saurait remettre en cause la légalité
même de cette décision (arrêt AIUFFASS et AKT/Commission, cité au point 290
ci-dessus, point 128). En effet, de manière générale, la légalité d'un acte
communautaire ne saurait dépendre d'éventuelles possibilités de le contourner, ni
de considérations rétrospectives concernant son degré d'efficacité (arrêt Schroeder,
cité au point 81 ci-dessus, point 14).
- 292.
- Il y a donc lieu d'écarter de l'examen, en tant qu'inopérants, tous les griefs tirés,
à l'encontre de la légalité de la décision attaquée, de ce que le contrôle de la mise
en oeuvre des conditions d'autorisation imposées à l'État français sera inefficace
ou qu'Air France aura des possibilités d'éluder ces conditions. Pour autant qu'il
s'avérerait ultérieurement que ces conditions n'ont pas entièrement été respectées
ou qu'Air France a effectivement réussi à se soustraire abusivement à leur emprise,
il appartiendrait à la Commission d'examiner, le cas échéant, à l'occasion du
versement des deuxième et troisième tranches de l'aide, une éventuelle réduction
du montant autorisé ou d'apprécier s'il y a lieu d'exiger de la République française
la récupération totale ou partielle de l'aide versée.
- 293.
- Par conséquent, seuls les griefs tirés de la nature intrinsèquement et manifestement
inappropriée des conditions d'autorisation, notamment de leur portée
juridiquement insuffisante, peuvent être susceptibles de remettre en cause la
légalité de la décision attaquée.
- 294.
- Le Tribunal estime que, contrairement au grief soulevé, dans ce contexte, par la
requérante dans l'affaire T-394/94, la Commission n'a commis aucune erreur en
limitant la portée de la plupart de ces conditions à la durée du plan de
restructuration. En effet, il est évident que les restrictions imposées afin de limiter
l'impact de l'aide ne pouvaient pas durer à l'infini. Dans les circonstances du cas
d'espèce, il n'apparaît pas arbitraire de faire coïncider l'expiration de la durée des
conditions en cause avec la fin de la mise en oeuvre du plan de restructuration.
- 295.
- C'est à la lumière des considérations précédentes qu'il convient d'examiner, ensuite,
les griefs dirigés contre certaines conditions d'autorisation spécifiques. Cet examen
révélera en définitive si la Commission, au lieu d'autoriser l'aide et d'assortir sa
décision de plusieurs conditions d'autorisation, aurait dû décider que l'aide altérait
les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.
- 296.
- Sous cette réserve, le grief pris du caractère erroné de la méthode choisie par la
Commission pour examiner l'impact de l'aide sur l'intérêt commun ne saurait être
retenu.
a) Sur la condition d'autorisation n° 1
- 297.
- Il convient de rappeler que cette condition oblige les autorités françaises à veiller
«à ce que la totalité de l'aide bénéficie exclusivement à Air France. Par Air France
on entend la Compagnie nationale Air France, ainsi que toute société qu'elle
contrôle à plus de 50 %, à l'exclusion d'Air Inter. Afin d'éviter tout transfert de
l'aide vers la compagnie Air Inter, un holding sera créé avant le 31 décembre 1994
qui détiendra une participation majoritaire dans les compagnies Air France et Air
Inter. Aucun transfert financier qui ne s'inscrirait pas dans une relation
commerciale normale n'est opéré entre les sociétés du Groupe tant avant qu'après
la création effective du holding. Ainsi, toutes les prestations des services et cessions
des biens entre les sociétés sont effectuées à des prix de marché; Air France ne
peut en aucun cas appliquer des tarifs préférentiels en faveur d'Air Inter».
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
- 298.
- Les requérantes soutiennent que la Commission, en n'incluant pas Air Inter dans
son appréciation, a commis une erreur qui a vidé de leur contenu les conditions
d'autorisation de l'aide. Par exemple, la réduction de capacité minime exigée d'Air
France serait grandement facilitée par le fait qu'Air Inter a des possibilités
illimitées de procéder à une augmentation de capacité. La Commission aurait
considéré à tort que la structure de holding envisagée empêcherait Air Inter de
bénéficier d'une façon quelconque de l'aide. Air France et Air Inter constitueraient
une unité économique, de sorte qu'elles doivent être considérées comme une seule
entreprise aux fins de l'application des règles communautaires régissant les aides
d'État. Le changement de rapport entre Air France et Air Inter, qui ne serait plus
celui de société mère/filiale mais celui de deux compagnies contrôlées par un même
holding, ne modifierait en rien cette conclusion. En même temps, la concurrence
entre Air France et Air Inter serait inconcevable, étant donné qu'elles ont les
mêmes intérêts économiques.
- 299.
- Dans ce contexte, les requérantes dans l'affaire T-371/94, se fondant sur des articles
de presse parus en août et septembre 1994, affirment que le président du holding
sera M. Christian Blanc, qui conservera son poste de président d'Air France;
quatorze autres directeurs seraient choisis parmi les directeurs et employés d'Air
France et d'Air Inter. Le président d'Air Inter siégerait également au conseil
d'administration du holding et aurait, par ailleurs, été nommé président du nouveau
centre d'Air France pour ses activités européennes, le «Centre de résultat
Europe». Air Inter fusionnerait avec le «Centre de résultat Europe» d'Air France
dès la fin du plan de restructuration, c'est-à-dire le 1er janvier 1997. Dans
l'intervalle, Air Inter commencerait à exploiter certaines lignes européennes d'Air
France à la place de celle-ci. Par ailleurs, Air France et Air Inter détiendraient des
parts dans les mêmes entreprises et auraient renforcé leur coopération dans
plusieurs domaines. De plus, la Commission aurait elle-même identifié Air Inter
comme représentant un actif lié aux métiers de base d'Air France qui ne pouvait
pas être cédé.
- 300.
- D'après ces requérantes, le fait qu'Air Inter appartienne au même groupe qu'Air
France, ainsi que la déclaration selon laquelle Air Inter fusionnera avec Air France,
permet à Air Inter de «compter» sur l'aide. Ainsi, Air Inter pourrait donner
l'assurance aux banques que son financement comporte relativement peu de
risques et que, à la suite de la fusion, ses obligations seraient honorées par la
nouvelle compagnie.
- 301.
- Dans la mesure où la Commission a imposé, dans la décision attaquée, que seuls
des rapports commerciaux normaux peuvent s'établir entre les compagnies du
groupe, ces requérantes estiment que cette condition ne saurait empêcher Air Inter
de bénéficier de l'aide litigieuse. En effet, il existerait de nombreuses manières dont
deux compagnies du même groupe, en particulier lorsqu'elles ont des activités et
des filiales conjointes, peuvent échanger des biens et des services à des conditions
n'ayant aucun rapport avec celles du marché, sans aucune possibilité de vérification.
- 302.
- Dans ce contexte, elles soulignent que le droit fiscal français, notamment la théorie
fiscale de l'«acte anormal de gestion» relative aux frais déductibles des bénéfices
à l'intérieur d'un groupe de sociétés, ne fournit aucun moyen de vérifier qu'Air
Inter ne bénéficiera, ni directement, ni indirectement, de l'aide accordée à Air
France. En effet, des transferts directs, ainsi que l'octroi d'avantages financiers par
des commissions ou des prix préférentiels d'Air France à Air Inter, par anticipation
à la fusion entre les deux compagnies, ne pourraient pas être considérés comme
des actes anormaux de gestion.
- 303.
- Les requérantes ajoutent que le champ d'application de la condition imposée est
limitée, en ce qu'il ne couvre pas le transfert par Air France à Air Inter des liaisons
européennes et des créneaux horaires rentables.
- 304.
- En ce qui concerne les échanges de créneaux entre Air France et Air Inter, ces
requérantes précisent que de tels échanges se produisent fréquemment entre
compagnies aériennes. En effet, un créneau aéroportuaire serait un actif essentiel
permettant à une compagnie aérienne d'exploiter une ligne donnée. Il existerait
donc un marché sur lequel les créneaux sont échangés. Toutefois, il n'existerait pas
de «prix de marché». Les compagnies aériennes faisant partie d'un même groupe
pourraient échanger des créneaux pour mettre en oeuvre une stratégie de groupe.
Or, la stratégie du groupe Air France viserait à élargir les opérations d'Air Inter
en dehors des frontières françaises vers l'Europe et au-delà, en attendant la fusion
prévue pour le 1er janvier 1997. Air France pourrait donc très bien offrir à Air Inter
un créneau horaire de pointe très rentable pour l'exploitation d'une liaison
particulière. Pour cette raison, la condition imposée par la Commission visant à
maintenir la séparation entre Air France et Air Inter serait inopérante.
- 305.
- Concernant l'ensemble des liaisons, la possibilité pour Air Inter de connaître
d'avance, par l'intermédiaire d'Air France, les liaisons que celle-ci a l'intention
d'abandonner lui donnerait un avantage considérable par rapport aux concurrentes
indépendantes. En effet, Air Inter pourrait ainsi préparer son entrée sur une liaison
donnée pour être prête, lorsqu'Air France annoncera publiquement son retrait de
la ligne concernée. Par ailleurs, la possibilité pour Air Inter de profiter de
l'infrastructure d'Air France dans les aéroports et les pays concernés représenterait
un autre avantage important par rapport aux compagnies concurrentes désireuses
de s'implanter sur de telles liaisons.
- 306.
- Ce serait pour ces raisons qu'Air France peut effectivement transférer ses liaisons
à Air Inter. Ce constat serait illustré par des articles de presse parus en septembre
1994, qui reproduisent des déclarations officielles d'Air France (annexe 33 à la
requête). Les requérantes relèvent, en outre, qu'un accord datant de 1992 entre Air
France et Air Inter prévoit le transfert du personnel navigant d'Air France à Air
Inter pour toutes les liaisons européennes qu'Air Inter commencerait à exploiter.
Il s'agirait là d'un type d'accord que n'auraient pas pu conclure deux compagnies
aériennes indépendantes dans le cadre de l'EEE.
- 307.
- Afin de démontrer la stratégie de groupe poursuivie par Air France et Air Inter,
les requérantes renvoient à l'«ABC World Airways Guide» du mois de juin 1994,
qui reproduit les horaires de nombreuses compagnies aériennes opérant dans le
monde entier. Cet ouvrage regrouperait les vols d'Air Inter sous un code «AF».
Or, cette utilisation du code «AF» permettrait de présenter une liaison composée
d'un vol intérieur desservi par Air Inter et d'un vol international desservi par Air
France comme un seul vol sans escale, raison pour laquelle ce vol se voit attribuer
une priorité dans le système de réservation par ordinateur.
- 308.
- Les sociétés Maersk ajoutent que le comportement ultérieur d'Air France et de son
groupe démontre le non-respect de la condition visant à ce qu'Air Inter conserve
son autonomie commerciale et financière. En effet, les numéros de vol d'Air Inter
reprendraient, à des fins de coordination des systèmes de réservations
électroniques, le code informatique d'Air France; Air Inter adopterait le nom de
la future compagnie européenne du groupe et proposerait son produit simplifié et
ses bas tarifs sur de multiples lignes européennes, essentiellement au départ d'Orly.
En outre, la baisse des prix pratiquée par Air Inter ne pourrait s'expliquer que par
la circonstance que, dans peu d'années, toutes les pertes d'Air Inter seront
absorbées dans celles d'Air France qui, entre-temps, aura bénéficié de l'aide et sera
donc mieux placée pour supporter de telles pertes.
- 309.
- Les intervenantes soulignent, en outre, qu'Air France et Air Inter ont mis en
service, le 2 janvier 1995, le premier appareil au sein d'un nouveau service
commun, régional et d'apport, s'intitulant «Air France Air Inter Express». Selon
la propre documentation d'Air France, cette nouvelle approche conjointe serait
l'expression d'une politique commune dans la perspective de la fusion des deux
compagnies. Le fait qu'un certain degré d'intégration des flottes a déjà été réalisé
démontrerait non seulement l'erreur commise par la Commission en concluant
qu'Air Inter ne serait pas une bénéficiaire de l'aide, mais aussi les insuffisances des
mesures destinées à empêcher toutes les retombées de cette aide.
- 310.
- Par ailleurs, les compagnies aériennes en voie de restructuration introduiraient
normalement des programmes de réduction des coûts dans l'ensemble de leur
groupe, afin de contribuer ainsi à une diminution des pertes. Air France pourrait,
grâce à l'aide litigieuse, éviter d'avoir à réclamer une telle contribution à Air Inter.
En conséquence, Air Inter serait en mesure de financer le développement actuel
de ses activités, alors que, sans aide, elle aurait été dans l'obligation de mettre en
oeuvre des mesures d'austérité. Dès lors, Air Inter serait au moins un bénéficiaire
indirect de l'aide en cause.
- 311.
- A l'audience, les requérantes dans l'affaire T-371/94 ont rappelé que, selon la
condition n° 1, l'aide litigieuse était destinée à Air France, ainsi qu'à toute société
dont Air France détenait plus de 50 %. Ces sociétés seraient donc censées
bénéficier de l'aide. Cependant, aucune d'elles n'aurait eu besoin d'être
restructurée ou, si elles avaient besoin d'une restructuration, elles n'auraient pas
soumis de plan de restructuration. L'autorisation de l'aide en faveur d'Air France
et de ses 80 filiales serait donc manifestement illégale, notamment en ce qui
concerne les filiales actives dans des secteurs non aériens.
- 312.
- La Commission, la République française et Air France contestent le bien-fondé des
griefs soulevés.
Appréciation du Tribunal
- 313.
- Quant aux arguments tirés du caractère intrinsèquement inapproprié de la
condition d'autorisation n° 1, au motif que la non-inclusion d'Air Inter dans le
champ d'application de la décision attaquée méconnaîtrait les réalités économiques,
en particulier l'unité économique constituée par Air France et Air Inter, il y a lieu
de rappeler que l'aide litigieuse poursuivait la double finalité de contribuer au
désendettement d'Air France et au financement de son plan de restructuration
expirant le 31 décembre 1996. En autorisant l'aide, la Commission devait donc
veiller à ce que la réalisation de ces objectifs ne fût pas compromise par les
relations existant entre la compagnie nationale Air France et la compagnie Air
Inter au sein du groupe Air France, notamment par le transfert direct ou indirect
à Air Inter d'une partie de l'aide. En outre, comme il a été exposé ci-dessus (points
214 à 216), la Commission devait prendre en considération qu'Air Inter constituait
un actif stratégique important d'Air France, de sorte qu'il ne pouvait pas être exigé
des deux compagnies de procéder à leur séparation totale et définitive.
- 314.
- Dans ces circonstances, le Tribunal estime que la Commission, dans l'exercice de
son large pouvoir d'appréciation, était autorisée à considérer que, une fois le
mécanisme de holding instauré, Air France et Air Inter constitueraient des
compagnies juridiquement et financièrement autonomes, aux fins de l'application
du régime spécifique des aides d'État. En effet, ce mécanisme combiné au
système de vérification par des consultants indépendants et à l'échelonnement du
versement de l'aide en trois tranches, au titre de l'article 2 de la décision
attaquée pouvait être qualifié de moyen suffisant et approprié pour garantir
qu'Air France soit le seul bénéficiaire de l'aide et pour transformer la structure
juridique d'Air France et d'Air Inter, qui passaient du régime de dépendance entre
filiale et société mère à celui de sociétés soeurs indépendantes.
- 315.
- La séparation juridique et financière des deux compagnies, au sens du régime des
aides d'État, n'est pas remise en question par le fait qu'elles ont en commun des
filiales et des membres de leurs équipes dirigeantes, ni par leurs intérêts aériens
concordants. Il s'agit là d'éléments purement factuels qui peuvent, tout au plus,
amener la Commission et les consultants indépendants à être particulièrement
vigilants dans leur contrôle, au titre de l'article 2 de la décision attaquée, de la
bonne mise en oeuvre du plan de restructuration, ainsi que de la réalisation des
conditions liées à l'approbation de l'aide.
- 316.
- Il en va de même en ce qui concerne la fusion des deux compagnies envisagée pour
le 1er janvier 1997. Indépendamment du fait que la Commission ne disposait pas,
en juillet 1994, d'un projet spécifique et détaillé d'une telle fusion, dont elle aurait
pu tenir compte dans la décision attaquée, il convient de constater que la possibilité
de rejoindre le groupe Air France à l'issue de la période de restructuration n'était
aucunement limitée à la seule compagnie Air Inter. A cet égard, celle-ci ne se
distinguait pas de toute autre compagnie aérienne indépendante d'Air France au
sens du régime des aides d'État. Par ailleurs, il est évident qu'Air France, comme
toute entreprise ayant reçu une aide d'État, devait pouvoir retrouver sa liberté de
manoeuvre, une fois achevée la phase de restructuration assortie des restrictions
imposées par la Commission.
- 317.
- S'il est vrai que la motivation même de la décision attaquée ne porte ni sur
l'interdépendance de fait d'Air France et d'Air Inter ni sur les perspectives d'une
éventuelle fusion des deux compagnies, le Tribunal estime, toutefois, que la
mention du holding, dont la conséquence était de garantir leur indépendance
juridique, a rendu superflue toute autre motivation à cet égard. En effet, dans
l'économie générale de la décision, Air Inter constitue une compagnie autonome,
qui est exclue du bénéfice de l'aide. Il s'ensuit qu'elle doit être traitée, pour la
durée de cette autonomie, comme toute autre compagnie aérienne non bénéficiaire
de l'aide et indépendante d'Air France.
- 318.
- En ce qui concerne les échanges de lignes et de créneaux entre Air France et Air
Inter, il y a lieu de constater que ces transactions ne constituent pas une
particularité des relations entre ces deux compagnies. Il s'agit plutôt d'une pratique
courante à laquelle se livrent toutes les compagnies aériennes. Ainsi, comme le
gouvernement français l'a déclaré à l'audience sans être contredit sur ce point, Air
France a échangé, en 1996, à l'aéroport Paris (CDG), 50 créneaux avec une
trentaine de compagnies extérieures au groupe Air France, dont deux avec British
Airways, un avec British Midland et un avec KLM. Avec Air Inter, il n'y aurait eu
aucun échange pendant la saison d'hiver 1994/1995; un seul échange aurait eu lieu
pour la saison d'été 1995 et quatre pour la saison d'hiver 1995/1996. Quant aux
échanges de lignes, le gouvernement français a indiqué que la ligne Paris-Dresde
a été reprise par Lufthansa après qu'Air France l'eut abandonnée, tandis que
Jersey Air European a repris la ligne Paris-Glasgow et Crossair la ligne Bordeaux-Genève.
- 319.
- Dans ce contexte, il convient d'ajouter que le transfert éventuel par Air France à
Air Inter des lignes et des créneaux rentables, en échange de lignes et de créneaux
non rentables, irait à l'encontre de la restructuration, telle qu'Air France l'a elle-même conçue dans son projet, et mettrait en péril la réalisation des objectifs
d'exploitation et de productivité fixés dans la décision attaquée. Dès lors, la
Commission pouvait considérer que le mécanisme de contrôle instauré par
l'article 2 de la décision attaquée était suffisant pour faire face à cette hypothèse
peu probable.
- 320.
- Au regard de l'argument selon lequel Air Inter était au moins une bénéficiaire
indirecte de l'aide, sans laquelle Air France aurait dû exiger d'elle une contribution
financière à sa restructuration, il importe de rappeler que la Commission était
autorisée à estimer justifié, dans l'exercice de son large pouvoir d'appréciation, le
maintien de la compagnie Air France restructurée au niveau des deux autres plus
grandes compagnies européennes (voir ci-dessus point 209) et qu'Air Inter
constituait un actif stratégique important, et donc inaliénable, d'Air France (voir
ci-dessus points 214 à 216). Par conséquent, la Commission pouvait estimer que
cette position d'Air France serait affaiblie si, au lieu de l'autorisation de l'aide
accompagnée de l'instauration du holding décrit ci-dessus, Air Inter avait dû
mobiliser des fonds propres ou s'endetter elle-même, afin de contribuer au
financement de la restructuration d'Air France. Dans ces circonstances, Air Inter
ne saurait être qualifiée de bénéficiaire indirecte de l'aide.
- 321.
- Les arguments tirés du caractère inefficace d'un contrôle de la mise en oeuvre de
la condition d'autorisation n° 1 ou de son éventuel contournement par Air France
ne sont pas de nature à affecter la légalité même de la décision attaquée dès lors
qu'ils concernent la seule phase postérieure à l'adoption de cette décision ou même
postérieure à la période de restructuration d'Air France (voir ci-dessus point 292).
Pour la même raison, il y a lieu d'écarter toutes les références que les requérantes
et les parties intervenues au soutien de leurs conclusions ont faites au
comportement d'Air France et/ou d'Air Inter postérieur à l'adoption de la décision
attaquée (voir ci-dessus point 81).
- 322.
- Quant aux problèmes de contrôle soulevés au regard du droit fiscal français, il suffit
de constater que les consultants indépendants chargés, au titre de l'article 2 de
la décision attaquée, de vérifier la bonne mise en oeuvre du plan de restructuration
et la réalisation des conditions liées à l'approbation de l'aide , loin d'être limités
aux concepts du droit fiscal français, sont libres de procéder au contrôle de
l'étanchéité de la séparation juridique et financière d'Air France et d'Air Inter
selon les méthodes économiques, financières et comptables qu'ils jugent
appropriées. L'exécution de l'accord de 1992 prévoyant le transfert du personnel
navigant d'Air France à Air Inter, pendant la période de validité des conditions
d'autorisation imposées par la décision attaquée, devra évidemment respecter ces
conditions, notamment la condition n° 1, selon laquelle toutes les prestations de
service entre Air France et Air Inter seront effectuées à des prix de marché, le
contrôle du respect de cette condition relevant de la phase postérieure à la décision
attaquée.
- 323.
- Enfin, pour autant qu'il a été soutenu que la condition d'autorisation n° 1
permettait le versement de l'aide à des filiales d'Air France qui n'étaient soumises
à aucune obligation de restructuration, il suffit de relever que la condition
d'autorisation n° 6 impose que l'aide soit exclusivement utilisée par Air France
«pour les finalités de restructuration de la compagnie», ce qui lui interdit d'en faire
profiter des filiales non soumises à restructuration. Quant à Air Charter, qui fait
d'ailleurs l'objet des conditions d'autorisation nos 12 et 13, il convient de préciser
que le secteur charter d'Air France est visé par le plan de restructuration litigieux
(p. 22 du plan). Le Tribunal estime que la Commission, dans l'exercice de son large
pouvoir d'appréciation, pouvait se limiter à cette réglementation générale,
renforcée par le mécanisme de contrôle de l'article 2 de la décision attaquée, et
considérer que seules les questions essentielles concernant Air France elle-même,
Air Inter et Air Charter nécessitaient une réglementation plus détaillée.
- 324.
- Il s'ensuit que les griefs dirigés contre la condition d'autorisation n° 1 doivent être
rejetés.
b) Sur la condition d'autorisation n° 3
- 325.
- Il convient de rappeler que cette condition oblige les autorités françaises à veiller
«à ce qu'Air France poursuive la mise en oeuvre complète du projet pour
l'entreprise, tel qu'il a été communiqué à la Commission européenne le 18 mars
1994, en particulier en ce qui concerne les objectifs de productivité suivants
exprimés par le ratio EPKT/employé pour la durée du plan de restructuration:
1994: 1 556 200 EPKT/employé,
1995: 1 725 500 EPKT/employé,
1996: 1 829 200 EPKT/employé».
- 326.
- Il convient d'ajouter que la Commission a précisé que l'indicateur d'efficience
EPKT représente les passagers kilomètres transportés et les tonnes kilomètres
transportées (une tonne kilomètre transportée étant, pour les besoins de la
comparaison, censée être équivalente au revenu de 3,5 passagers kilomètre) par
membre du personnel. Cet indicateur serait représentatif du niveau total de la
demande de transport tant voyageur que fret (JO p. 83).
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
- 327.
- Les requérantes estiment que l'EPKT est une unité de mesure non fiable. Étant
donné la diversité des activités des transporteurs, il serait très difficile de mettre au
point une unité de mesure composite unique pouvant valablement tenir compte de
l'ensemble des paramètres. Dans l'idéal, une large gamme d'indicateurs devrait, par
conséquent, être utilisée pour mesurer la performance dans divers domaines
spécifiques du secteur des transports aériens. La Commission aurait violé cette
règle élémentaire en évaluant la productivité actuelle et future d'Air France à l'aide
d'une seule unité de mesure, à savoir l'EPKT, qui, à la connaissance des
requérantes, n'est jamais utilisée dans le marché des transports aériens.
- 328.
- Les requérantes soulignent qu'elles mesurent, quant à elles, leur productivité
normalement sur la base des «tonnes kilomètres transportées» (ci-après «TKT»)
par employé ou des «passagers kilomètres transportés» (ci-après «PKT») par
employé, sans combiner les deux unités. Une unité de mesure telle que l'EPKT,
amalgamant les passagers-kilomètres et les tonnes-kilomètres, doublerait
l'importance des passagers. De plus, cette unité de mesure combinerait des
prestations de services entièrement différentes, à savoir le transport de
marchandises et celui de passagers. Plus le pourcentage de fret transporté est élevé,
plus les coûts unitaires seraient faibles, en particulier lorsqu'une compagnie exploite
des appareils ne transportant que du fret. Cela contribuerait à faire apparaître une
compagnie transportant du fret comme étant extrêmement efficace par rapport à
une compagnie transportant des voyageurs.
- 329.
- Par ailleurs, l'EPKT représentant simplement la multiplication du nombre de
passagers transportés (y compris le fret converti en nombre de passagers) par le
nombre de kilomètres parcourus, un moyen simple de gonfler le chiffre des EPKT
serait de desservir des lignes long-courriers, ce qui augmente le nombre des
kilomètres parcourus. Les statistiques disponibles donneraient à penser que c'est
précisément ce qu'Air France est en train de faire sur les lignes transatlantiques:
elle augmenterait sa capacité, et cela en dépit du fait que toutes les autres
compagnies aériennes diminuent la leur. De plus, cette unité de mesure ne
donnerait aucune indication sur la rentabilité des activités d'une compagnie
aérienne parce que la multiplication du nombre de passagers par le nombre de
kilomètres parcourus ne dirait rien sur les recettes qui en découlent et le coût de
transport des passagers. En conséquence, Air France pourrait présenter des
résultats satisfaisants du point de vue du nombre des passagers multiplié par les
kilomètres parcourus, mais ses recettes n'en resteraient pas moins désastreuses.
- 330.
- Enfin, même si l'EPKT était une unité de mesure adéquate, un certain nombre de
facteurs ferait douter de sa fiabilité. Tout d'abord, dans sa communication du 3 juin
1994, la Commission n'aurait fait référence à la productivité d'Air France qu'en
termes de «sièges kilomètres offerts» (ci-après «SKO»). Ensuite, dans sa décision
94/662 (citée au point 145 ci-dessus), la Commission aurait mesuré la productivité
d'Air France uniquement en termes de personnes employées par avion, depassagers transportés par employés, de sièges-kilomètres offerts par employé et de
passagers-kilomètres payants par employé. Il n'existerait, finalement, aucun
consensus sur un critère d'équivalence «correct» entre les rendements des
opérations de transport de marchandises et de passagers.
- 331.
- Les requérantes soulignent encore que les chiffres de productivité d'Air France ne
tiennent pas compte des prestations de services fournies par les équipages
d'appareils en location dite «mouillée», c'est-à-dire des locations d'appareils avec
leurs équipages, ni de celles du personnel de sous-traitance. En effet, la
productivité mesurée «par employé» serait artificiellement gonflée si des personnes
ne faisant pas partie des effectifs d'Air France contribuaient en fait à sa
productivité. A l'heure actuelle, Air France louerait des appareils en location
«mouillée» auprès de plusieurs compagnies. Les seuils d'EPKT/employé exigés
pour le paiement des trois tranches de l'aide pourraient bien être atteints, en
augmentant simplement les locations «mouillées» ou les contrats de sous-traitance,
puisque les engagements imposés par la Commission n'interdisent pas cette
possibilité. Dans ce contexte, les requérantes précisent qu'Air France louait auprès
de TAT des appareils et des équipages complets, c'est-à-dire non pas seulement
le personnel navigant technique. Air France aurait, en outre, loué et continuerait
à louer des appareils et des équipages complets auprès d'Air Littoral et auprès de
Brit'Air.
- 332.
- Les requérantes considèrent, enfin, que les objectifs de productivité posés par la
condition n° 3 sont trop faibles par rapport à ceux qu'atteignent d'autres
compagnies aériennes. Dans ce contexte, elles reprochent à la Commission de s'être
limitée à comparer la productivité d'Air France avec celle que sept autres
compagnies aériennes européennes étaient censées atteindre en 1996 (JO p. 83).
Ce groupe comprendrait Alitalia et Iberia, qui connaissent de graves difficultés et
dont l'avenir est incertain. La Commission aurait encore inclus parmi les sept
compagnies aériennes deux autres compagnies, SAS et Swissair, qui assurent en
moyenne des liaisons beaucoup plus courtes qu'Air France et dont la productivité
semble donc inhabituellement faible. Seule une comparaison avec des compagnies
ayant des activités et couvrant des distances semblables à celles d'Air France serait
justifiée. Pour mesurer l'efficacité d'Air France sur le marché des transports
aériens, il aurait été plus utile de comparer sa productivité future à celle de
compagnies aériennes «en bonne santé», telles que KLM, British Airways, SAS et
Lufthansa. En tout état de cause, une telle comparaison serait nécessairement une
approximation, étant donné que la Commission ne pouvait pas avoir une idée
précise des mesures de restructuration mises en oeuvre par ce groupe de
compagnies.
- 333.
- La Commission, la République française et Air France contestent le bien-fondé de
ces griefs.
Appréciation du Tribunal
- 334.
- Il y a lieu de constater que la condition n° 3 ne se limite pas à exiger la réalisation
d'objectifs de productivité exprimés en EPKT, mais impose aux autorités françaises
de faire en sorte qu'Air France poursuive la mise en oeuvre complète de son plan
de restructuration, les objectifs en termes d'EPKT n'étant indiqués qu'à titre
d'exemple spécifique. De même, en vertu de l'article 2 de la décision attaquée, le
versement des deuxième et troisième tranches de l'aide est subordonné, entre
autres, à la réalisation effective du projet pour l'entreprise et des résultats prévus
«(notamment en ce qui concerne les résultats d'exploitation et les ratios de
productivité exprimés en EPKT/employé [...])». Il s'ensuit que l'amélioration de la
productivité globale d'Air France ne sera pas mesurée exclusivement en EPKT
mais devra également être appréciée au regard des autres objectifs d'amélioration
de la productivité mentionnés dans le plan de restructuration, notamment ceux
concernant la réduction du personnel et des investissements, les économies en
achats, l'amélioration de l'utilisation du temps de travail et le blocage des salaires.
- 335.
- La signification de l'unité EPKT/employé ainsi réduite à ses dimensions réelles, il
convient de relever qu'elle constitue un indicateur de productivité physique qui
comptabilise à la fois les passagers et le fret transportés, en tenant compte par
l'utilisation du coefficient de conversion 3,5 de la réalité économique selon
laquelle les coûts du transport d'une tonne de fret et les effectifs nécessaires à cet
effet sont bien inférieurs à ceux afférents au transport de passagers, tandis que la
situation est inverse en ce qui concerne les recettes dégagées par ces deux types de
transport. Cette unité de mesure, loin de doubler l'importance des passagers,
permet donc de constater si une compagnie, avec un même nombre d'employés,
transporte plus de passagers et de fret que précédemment sur des distances
globalement identiques ou si elle en transporte les mêmes nombre et quantité avec
moins d'employés, en améliorant ainsi sa productivité physique.
- 336.
- Il est vrai, et la Commission l'a elle-même admis devant le Tribunal, que l'EPKT
n'est pas un critère infaillible en toutes circonstances. Il se peut, ainsi, que le
coefficient de conversion 3,5 varie au cours de la période de restructuration d'Air
France. Toutefois, il est également de fait que l'EPKT est particulièrement
approprié pour mesurer la productivité d'une compagnie telle qu'Air France dont
le transport de fret représente une composante essentielle de l'activité aérienne,
à concurrence de 40 % de la charge marchande globale. Par ailleurs, Air France
utilise traditionnellement depuis 1978 cette unité de mesure. Dans ces
circonstances, la Commission était fondée à retenir l'EPKT, parmi les autres
éléments pertinents pour la productivité de la compagnie, pour mesurer
l'amélioration de la productivité d'Air France.
- 337.
- Cette conclusion n'est infirmée par aucun des éléments avancés par les requérantes
et les parties intervenues au soutien de leurs conclusions.
- 338.
- Quant à l'absence de cohérence reprochée à la Commission, en ce que l'indicateur
EPKT ne figure pas dans la décision 94/662 (citée au point 145 ci-dessus) adoptée
le même jour que la décision faisant l'objet des présents litiges, il suffit de constater
que la décision 94/662, contrairement à celle attaquée en l'espèce, a conclu à
l'incompatibilité, au sens de l'article 92, paragraphe 1, du traité, de l'aide accordée
à Air France à une époque antérieure et a refusé d'appliquer le paragraphe 3 de
cet article, à défaut d'un véritable plan de restructuration d'Air France. Dans ces
circonstances, il n'était pas question de fixer, dans la décision 94/662, des objectifs
de productivité exprimés en EPKT à atteindre par Air France.
- 339.
- Au regard de l'éventualité d'une amplification artificielle du chiffre des EPKT par
une simple augmentation des kilomètres parcourus, la Commission a souligné à
juste titre qu'il paraît irrationnel qu'Air France, dans le seul but de parcourir des
kilomètres, fasse voler des avions insuffisamment remplis et compromette ainsi,
sous le contrôle de la Commission et des consultants indépendants au titre de
l'article 2 de la décision attaquée, la réussite de son plan de restructuration dans
son ensemble. Par ailleurs, les indicateurs utilisés par les compagnies requérantes
pour mesurer leur propre productivité, les TKT et les PKT, sont exposés au même
risque de manipulation, en ce que leur multiplicateur est également le nombre de
kilomètres parcourus.
- 340.
- Il en va de même du grief tiré de la «location mouillée». S'il est vrai que le recours
à l'affrètement d'avions avec équipages permet d'améliorer le ratio EPKT/employé,
dans la mesure où ces avions contribuent à l'augmentation de l'EPKT sans que
leurs équipages soient comptés au dénominateur du ratio, cette distorsion existe
quelle que soit l'unité de mesure, dès qu'elle est rapportée au nombre d'employés
(SKO, TKT, PKT), et n'est donc pas spécifique à l'EPKT. En outre, les «locations
mouillées» sont une pratique courante dans le secteur du transport aérien, de sorte
que la situation d'Air France ne diffère pas foncièrement, à cet égard, de celle
d'autres transporteurs européens. Enfin, si Air France avait réellement recours à
de nombreuses «locations mouillées», elle compromettrait, sous le contrôle de la
Commission et des consultants indépendants, la réalisation de son propre plan de
restructuration qui prévoit justement une réduction du personnel, une meilleure
utilisation de sa flotte et des équipages, ainsi qu'une compression des coûts. Par
conséquent, la Commission était fondée à négliger, dans ce contexte, l'impact
d'éventuelles «locations mouillées».
- 341.
- En ce qui concerne le grief dirigé contre le choix des sept compagnies aériennes
retenues aux fins d'une comparaison de leur productivité avec celle d'Air France,
le Tribunal estime que la Commission était autorisée à rapporter cette comparaison
à un nombre relativement élevé de compagnies, pour atteindre, dans la mesure du
possible, une véritable moyenne caractéristique du secteur. Ce faisant, elle n'était
pas obligée de choisir les seules compagnies les plus performantes ou spécialisées
sur le long-courrier, mais pouvait également inclure dans sa comparaison d'autres
compagnies comme Alitalia, Iberia, SAS et Swissair, en considérant qu'une telle
approche tenait compte de la complexité de l'activité de transport aérien dans son
ensemble. Par conséquent, aucune erreur manifeste d'appréciation dans le choix
de sept compagnies aériennes n'a été établie.
- 342.
- Il en va de même, enfin, de la thèse selon laquelle les objectifs de productivité
posés par la condition n° 3 étaient trop faibles. Il s'agit là d'une simple affirmation
non étayée par des éléments concrets susceptibles de démontrer une erreur
manifeste de la Commission sur ce point. Dans ces circonstances, la Commission
pouvait se borner à contredire cette affirmation en précisant que, d'après son
appréciation, les objectifs de productivité étaient raisonnables, suffisants et
réalisables.
- 343.
- Il résulte de ce qui précède que les griefs dirigés contre la condition d'autorisation
n° 3 ne sauraient être retenus.
c) Sur la condition d'autorisation n° 6
- 344.
- Il convient de rappeler que cette condition oblige les autorités françaises à veiller
«à ce que, pendant la durée du plan, l'aide soit exclusivement utilisée par Air
France pour les finalités de la restructuration de la compagnie et non pour acquérir
des participations nouvelles dans d'autres transporteurs aériens».
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
- 345.
- De l'avis des requérantes, cette condition est intrinsèquement déficiente, car l'aide
sera essentiellement utilisée pour soutenir les différentes opérations d'Air France.
La portée de la condition serait également limitée par l'interprétation qu'en a
donnée Air France. D'après celle-ci, l'interdiction de prendre des participations
dans le capital d'autres compagnies aériennes ne s'appliquerait pas au paiement
d'acquisitions conclues avant l'adoption de la décision attaquée, ni à l'augmentation
d'une participation déjà prise dans d'autres compagnies aériennes, telles que
Sabena. Par ailleurs, la condition énoncée à l'article 92, paragraphe 3, sous c), du
traité, selon laquelle l'aide d'État ne doit être utilisée que pour la restructuration
du bénéficiaire, impliquerait, en elle-même, que le bénéficiaire ne soit pas autorisé
à prendre des participations dans des compagnies aériennes. En effet, l'acquisition
de participations dans d'autres compagnies ne pourrait en aucun cas être
considérée comme constituant une mesure de restructuration.
- 346.
- La Commission conteste le bien-fondé de ces griefs.
Appréciation du Tribunal
- 347.
- Il y a lieu de constater que, comme la Commission l'a souligné devant le Tribunal,
le texte de cette condition interdit l'utilisation de l'aide à la fois pour acquérir denouvelles participations et pour augmenter des participations existantes. Quant à
l'argumentation relative au financement illégal tant d'activités opérationnelles que
de la dernière tranche du prix d'acquisition de la participation dans le capital de
Sabena, il suffit de rappeler que les griefs soulevés à cet égard ont déjà été rejetés
(voir ci-dessus points 137 à 141 et 223).
- 348.
- En ce qui concerne enfin le caractère prétendument superflu de la condition n° 6,
il convient de relever que, à supposer même que l'interdiction d'employer une aide
pour l'acquisition de participations figure déjà dans l'article 92, paragraphe 3, sous
c), du traité, l'utilité d'une telle condition consiste à permettre à la Commission de
saisir directement la Cour, au titre de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa,
sans être obligée d'entamer préalablement la procédure de l'article 93,
paragraphe 2, premier alinéa, ou celle de l'article 169 (voir arrêt British Aerospace
et Rover/Commission, précité au point 290, point 11). Par ailleurs, la condition n°
6 ne se limite pas à interdire l'acquisition de participations, mais impose aussi
l'utilisation exclusive de l'aide pour les finalités de restructuration d'Air France.
- 349.
- Il s'ensuit que les griefs dirigés contre la condition d'autorisation n° 6 doivent être
écartés.
d) Sur la condition d'autorisation n° 7
- 350.
- Il convient de rappeler que cette condition oblige les autorités françaises «à ne pas
accroître au-delà de 146, pendant la durée du plan, le nombre des avions de la
flotte de la Compagnie nationale Air France exploitée par celle-ci».
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
- 351.
- Les requérantes estiment que la Commission a eu tort de considérer que cette
condition sera opérante. En effet, elle ne couvrirait pas les activités de «location
mouillée», par le biais desquelles Air France pourrait augmenter le nombre
d'appareils effectivement à sa disposition. En outre, la Commission n'aurait pas pris
en compte le fait qu'Air France peut continuer à commander de nouveaux
appareils et à élargir sa flotte par le biais d'Air Inter, non seulement parce que la
présence d'Air Inter dans le groupe Air France signifie que ces deux compagnies
ont en commun d'importants intérêts économiques, mais également en raison de
leur fusion prévue pour le début de l'année 1997. Tous les nouveaux appareils
commandés et reçus par Air Inter reviendraient à Air France en 1997. Par ailleurs,
rien n'interdirait à Air France de financer l'acquisition d'appareils pour Air Inter.
La stratégie du groupe Air France serait de faire d'Air Inter un transporteur
européen. A cet égard, l'exploitation de certaines lignes qu'Air France avait
exploitées serait en train d'être transférée à Air Inter. Un tel mécanisme
équivaudrait en pratique à permettre à Air France d'augmenter sa flotte
opérationnelle au-delà du chiffre des 146 appareils en faisant appel à la flotte de
sa société soeur, dont l'expansion n'est limitée par aucun engagement.
- 352.
- La Commission conteste le bien-fondé de ces griefs.
Appréciation du Tribunal
- 353.
- Quant aux éventuelles «locations mouillées», il y a lieu de constater que, comme
la Commission l'a déclaré devant le Tribunal, la condition n° 7 s'applique
également aux avions affrétés avec leurs équipages. En effet, en imposant une
limite au nombre des avions de la flotte «exploitée» par Air France, cette condition
vise non seulement les propres avions d'Air France, mais aussi ceux qu'une autre
compagnie aura mis à sa disposition aux fins de leur exploitation. Par ailleurs, cette
condition doit être lue conjointement avec le plan de restructuration d'Air France
qui, sous le contrôle de la Commission et des consultants indépendants au titre de
l'article 2 de la décision attaquée, prévoit que le nombre de sièges offerts sera
légèrement diminué par rapport à 1993 (JO p. 75).
- 354.
- En ce qui concerne les références à Air Inter, il suffit de rappeler que, pour la
durée de la restructuration d'Air France, Air Inter doit être considérée comme une
compagnie autonome, que les relations commerciales entre les deux compagnies
sont régies par la condition d'autorisation n° 1, qu'un éventuel contournement par
le biais d'Air Inter des conditions imposées à Air France, s'il peut amener la
Commission à réclamer la récupération de l'aide versée, n'affecte pas la légalité de
la décision attaquée et que l'éventuelle fusion d'Air France avec Air Inter concerne
cette dernière compagnie au même titre que n'importe quelle compagnie aérienne
indépendante d'Air France (voir ci-dessus points 292 et 313 à 315).
- 355.
- Par conséquent, les griefs dirigés contre la condition d'autorisation n° 7 doivent être
rejetés.
e) Sur la condition d'autorisation n° 8
- 356.
- Il convient de rappeler que cette condition oblige les autorités françaises «à ne pas
accroître, pendant la durée du plan, l'offre de la Compagnie nationale Air France
au-delà du niveau atteint en 1993 pour les liaisons [...] entre Paris et l'ensemble des
destinations dans l'Espace économique européen (7 045 millions de SKO) [et] entre
la province et l'ensemble des destinations dans l'Espace économique européen
(1 413,4 millions de SKO). Cette offre pourrait être augmentée de 2,7 % par an,
sauf si le taux de croissance de chacun des marchés correspondants est plus faible.
Toutefois, si le taux de croissance annuel de ces marchés dépasse 5 % l'offre
pourra être augmentée, en plus de 2,7 %, de l'accroissement au-delà de 5 %».
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
- 357.
- La requérante dans l'affaire T-394/94 reproche à la Commission d'avoir commis
une erreur manifeste d'appréciation en concluant, dans la décision attaquée, que
le secteur du transport aérien européen n'est pas touché par une crise structurelle
de surcapacité. Ce faisant, la Commission n'aurait apparemment pas tenu compte
de l'existence passée et actuelle d'une surcapacité, bien que cette dernière ait été
expressément confirmée par le «comité des sages» dans son rapport sur l'aviation
civile européenne, établi en janvier 1994 à la demande de la Commission elle-même. Le «comité des sages» aurait, en particulier, estimé que la surcapacité était
en partie imputable aux aides d'État qui avaient été accordées. La thèse de la
Commission, selon laquelle la surcapacité n'est qu'un «phénomène temporaire»,
serait donc infirmée par les propres sources de la Commission.
- 358.
- Les requérantes considèrent que, dans un secteur souffrant de surcapacité, la
contrepartie d'une aide d'État doit être une réduction de l'offre du bénéficiaire,
même si le marché est en expansion. Cette obligation subsisterait, même si la
surcapacité n'est qu'un phénomène temporaire. Les requérantes dans l'affaire
T-371/94 estiment que la notion de «compensation justificatrice» occupe une place
centrale dans de nombreuses décisions de la Commission, y compris dans celles
relatives aux aides d'État accordées à des fabricants d'automobiles datant des
années 80, époque à laquelle le marché de l'automobile souffrait de surcapacité,
mais connaissait une croissance importante [voir, notamment, la décision
89/661/CEE de la Commission, du 31 mai 1989, concernant les aides accordées par
le gouvernement italien à l'entreprise Alfa Romeo (secteur automobile) (JO L 394
p. 9)]. Elles ajoutent que la compensation justificatrice ne peut être évitée
simplement parce que le marché croît, étant donné que l'on ne peut jamais exclure
le risque d'une réapparition de la surcapacité. Le royaume de Danemark considère
qu'une comparaison avec les décisions Sabena, TAP, Aer Lingus et Olympic
Airways (citées aux points 55 et 174 ci-dessus) démontre que ces autres affaires
comportaient toutes des réductions de capacité imposées au bénéficiaire de l'aide
d'État.
- 359.
- Par ailleurs, la Commission aurait tort de déclarer sur le fondement des
statistiques de l'IATA qui prévoient une augmentation annuelle du trafic de 6 %
que la surcapacité sur le marché des transports aériens pourrait disparaître d'ici à
1995. En effet, les statistiques de l'IATA seraient peu solides, et les estimations de
cette dernière seraient souvent fausses. En outre, la croissance du trafic ne pourrait
pas être examinée sans tenir compte des facteurs qui en sont la cause. Sur le
marché des transports aériens, la croissance que connaît actuellement le trafic
aurait été obtenue en grande partie par une baisse des tarifs et donc en abaissant
le rendement en-dessous du niveau nécessaire à la survie de nombreuses
compagnies aériennes.
- 360.
- Les requérantes affirment qu'Air France pourrait utiliser Air Inter pour augmenter
sa capacité et sa part de marché sans restrictions jusqu'à leur fusion en 1997. Dans
ce contexte, les requérantes rappellent que, s'il est peu vraisemblable qu'Air France
exploite un plus grand nombre de lignes intérieures, c'est en raison de son plan
stratégique dans le cadre duquel l'exploitation du réseau national et de certaines
lignes européennes a été confiée à Air Inter.
- 361.
- Les requérantes soulignent que les limitations de capacité s'appliquent uniquement
aux liaisons entre la France et les destinations à l'intérieur de l'EEE autres que
françaises. A l'exception de la liaison Paris (CDG)-Nice, Air France n'exploiterait
à l'intérieur de l'EEE que les liaisons entre la France et d'autres pays de l'EEE.
Depuis l'entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 2408/92 du Conseil, du 23 juillet
1992, concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons
aériennes intracommunautaires (JO L 240, p. 8, ci-après «règlement n° 2408/92»),
les transporteurs aériens de l'EEE seraient libres d'exploiter toute liaison entre
deux États membres de l'EEE et d'offrir des services limités de cabotage à
l'intérieur de tout État membre autre que le leur. Il en résulterait qu'Air France
est totalement libre en ce qui concerne la capacité qu'elle peut offrir sur les liaisons
entre deux États membres de l'EEE autres que la France, ainsi que les liaisons à
l'intérieur d'un État membre de l'EEE autre que la France.
- 362.
- Il semble aux requérantes que la condition n° 8 ne vise pas à couvrir la capacité
offerte par Air France entièrement à l'intérieur de la France. En outre, les
limitations de capacité auraient peu d'importance parce que, en 1993 l'année de
référence , l'offre d'Air France avait atteint un niveau record. Du reste, la
condition ne s'appliquerait qu'au trafic passagers. La Commission n'expliquerait pas
pourquoi aucune limite n'est imposée à la capacité d'Air France en matière de fret.
Enfin, l'engagement concernant les augmentations de capacité n'empêcherait pas
Air France de faire appel aux «locations mouillées» pour accroître sa capacité.
- 363.
- Les requérantes reprochent encore à la Commission d'avoir commis une erreur
manifeste d'appréciation en établissant un lien entre la limitation de la capacité
d'Air France et une baisse de sa part de marché dans l'EEE. En effet, la
Commission aurait déclaré, dans la décision attaquée, que, en limitant l'offre d'Air
France en deçà de la croissance du marché, «sa part de marché dans l'EEE» se
restreindrait au profit de ses concurrents (JO p. 87). Or, selon les requérantes,
même si la limitation maximale à 2,3 % (c'est-à-dire 5 % - 2,7 %) du taux de
croissance de la capacité d'Air France s'appliquait, celle-ci pourrait conserver sa
part de marché en augmentant simplement son coefficient de remplissage d'un peu
plus de 1 %. Le Royaume-Uni relève cette même erreur manifeste d'appréciation
en ajoutant qu'il résulte d'une augmentation de 3,8 % du coefficient de remplissage
(JO p. 87) et d'une augmentation autorisée de 2,7 % de la capacité que le nombre
des passagers d'Air France devrait croître de 6,6 % (c'est-à-dire 1,038 x 1,027 =
1,066), ce chiffre étant supérieur à la croissance prévisionnelle du marché de 5,5 %
l'an (JO p. 77).
- 364.
- La Commission, la République française et Air France contestent le bien-fondé de
ces griefs.
Appréciation du Tribunal
- 365.
- En affirmant, dans la décision attaquée, que le secteur de l'aviation civile
européenne ne souffrait pas d'une surcapacité structurelle, la surcapacité existante
ne devant être qu'un phénomène temporaire, la Commission s'est essentiellement
fondée sur des statistiques de l'IATA datant de 1993 et prévoyant pour le trafic
aérien une croissance annuelle de 6 % (JO p. 82). Or, l'IATA est un organisme
international de renommée mondiale qui compte dans ses rangs la quasi-totalité des
compagnies aériennes et qui publie régulièrement des prévisions de trafic
reconnues dans la profession. Il s'ensuit que la Commission pouvait, sans
commettre d'erreur manifeste, se fonder sur les chiffres publiés par cet organisme
pour conclure à l'absence d'une surcapacité structurelle.
- 366.
- Cette analyse n'est pas contredite par le rapport du «comité des sages» qui, s'il
recommande, en termes généraux, d'envisager une réduction de capacité, ne se
prononce pas sur le caractère structurel ou temporaire de la surcapacité existante
(p. 18 et 22 de l'annexe 13 à la requête dans l'affaire T-394/94). Par ailleurs, ainsi
qu'Air France l'a souligné devant le Tribunal, sans être contredite sur ce point,
l'évolution du transport aérien a confirmé l'analyse de la Commission, la
surcapacité ayant été résorbée entre-temps.
- 367.
- Le Tribunal estime, ensuite, que la constatation de l'absence d'une surcapacité
structurelle autorisait la Commission à conclure que la situation du secteur de
l'aviation ne justifiait pas une réduction globale des capacités (JO p. 82). Il en
résulte nécessairement que la Commission n'a commis aucune erreur manifeste
d'appréciation en s'abstenant d'imposer une réduction des capacités d'Air France
ou d'Air Charter. Dans cette optique, la Commission n'était donc pas contrainte
de procéder à une analyse, au titre de la situation des capacités, des liaisons
aériennes sur lesquelles Air France et ses filiales se trouvaient en concurrence avec
d'autres compagnies européennes, mais pouvait se borner à prescrire des limites
à l'expansion d'Air France, dans la mesure où ces limites ne compromettaient pas
les chances de la compagnie de restaurer sa viabilité financière et sa compétitivité.
Ces considérations s'appliquent aussi au secteur du fret qui, comme il a été
constaté ci-dessus (point 336), constitue une activité importante d'Air France.
- 368.
- Eu égard à la situation particulière d'Air France, l'une des trois plus grandes
compagnies européennes, la référence à d'éventuelles réductions de capacité,
opérées par d'autres compagnies de taille beaucoup plus modeste, comme Aer
Lingus, TAP, Sabena ou Olympic Airways, est dénuée de pertinence. Il en va de
même du renvoi au marché de l'automobile des années 80, du fait qu'il n'a été
apporté aucun élément susceptible d'établir la pertinence spécifique de ce marché
pour l'analyse du secteur de l'aviation civile des années 1992 à 1994, et de ses
perspectives à moyen terme (1994 à 1997). Quant au risque d'utiliser Air Inter pour
augmenter la capacité d'Air France, il suffit de rappeler que les deux compagnies
doivent être considérées comme indépendantes pour la durée de la restructuration
d'Air France. En ce qui concerne enfin les «locations mouillées», la Commission
a déclaré devant le Tribunal que tout vol d'un appareil affrété avec son équipage
serait pris en compte comme un vol Air France aux fins de la condition n° 8. Les
requérantes ont pris acte de cette déclaration sans la contester.
- 369.
- Quant au caractère prétendument trop restreint de la condition n° 8, il y a lieu
d'admettre qu'elle ne couvre que les liaisons entre la France et les autres pays de
l'EEE et ne limite donc pas l'offre d'Air France sur les lignes entre deux pays de
l'EEE autres que la France, sur les lignes à l'intérieur d'un pays de l'EEE autre
que la France et sur les lignes domestiques françaises. En se limitant au réseau
France-EEE, la Commission n'a pourtant pas dépassé les limites de son large
pouvoir d'appréciation.
- 370.
- En effet, elle pouvait négliger le marché intérieur français du fait qu'Air France
n'exploitait qu'une seule ligne domestique, le transporteur national français étant
et demeurant à moyen terme la compagnie Air Inter, de sorte que l'exclusion
des lignes domestiques françaises ne pouvait avoir qu'un impact économique
négligeable. Il en va de même pour les lignes à l'intérieur de tout pays de l'EEE
autre que la France, étant donné que les États de l'EEE n'étaient pas tenus en
vertu de l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 2408/92 et du point 64.A,
chapitre VI, de l'annexe XIII de l'accord EEE (Transports Liste prévue à l'article
47, JO 1994, L 1, p. 422), modifié par la décision du Comité mixte de l'EEE
n° 7/94, modifiant le protocole 47 et certaines annexes de l'accord EEE (JO 1994,
L 160, p. 1, 87) d'autoriser, avant la fin de la période de restructuration d'Air
France, l'exercice de droits de cabotage. Par conséquent, l'exploitation de telles
lignes pouvait être considérée comme exceptionnelle et économiquement
insignifiante. Cette considération est tout aussi pertinente pour l'exploitation des
lignes entre deux pays de l'EEE autres que la France, la Commission étant fondée
à négliger l'importance économique d'une telle activité sans aucun rattachement à
la plate-forme d'Air France à Paris.
- 371.
- Quant au grief tiré de la méconnaissance des effets d'une limitation de la capacité
d'Air France sur l'évolution de sa part de marché, il convient d'admettre que la
phrase figurant dans la décision attaquée, selon laquelle «en limitant l'offre d'Air
France en deçà de la croissance du marché, sa part de marché dans l'EEE se
restreindra au profit de ses concurrents» (JO p. 87), peut paraître erronée dans la
mesure où la part de marché d'une entreprise est fonction non pas du volume de
ses capacités, mais du degré de leur utilisation. Il y a toutefois lieu de rappeler que
l'offre d'Air France, c'est-à-dire les capacités de la compagnie, est exprimée, aux
termes de la condition n° 8, en nombre de sièges offerts à la clientèle. En énonçant
que cette offre serait limitée en deçà de la croissance pronostiquée du marché, la
Commission n'a donc voulu restreindre que la faculté d'Air France de participer
à cette croissance, c'est-à-dire sa part de marché potentielle définie en nombre de
sièges offerts. En effet, la Commission a expressément déclaré, devant le Tribunal,
que les limitations d'offre imposées à Air France n'étaient aucunement destinées
à empêcher la réalisation de son plan de restructuration, qui prévoit l'accroissement
de la productivité de la compagnie, cette productivité ainsi que sa part de marché
effective pouvant augmenter grâce à l'amélioration du coefficient de remplissage.
Replacée dans le contexte des finalités de restructuration d'Air France, la phrase
litigieuse n'exprime, dès lors, aucune erreur manifeste de la Commission.
- 372.
- Dans la mesure où il est, enfin, reproché à la Commission d'avoir permis à Air
France de dépasser la croissance prévisionnelle du trafic de 5,5 %, il suffit de
constater que la Commission a déclaré, sans avoir été contredite sur ce point, que
l'augmentation prévisionnelle de 3,8 % du coefficient de remplissage d'Air France
portait sur la période des trois années de restructuration et ne constituait pas un
taux annuel, ce dernier s'élevant approximativement à 1,2 %. En appliquant la
méthode de calcul proposée par le Royaume-Uni, le nombre des passagers d'Air
France devrait, par conséquent, croître de 3,9 % (1,012 x 1,027 = 1,039), ce chiffre
étant inférieur à la croissance prévisionnelle de 5 % l'an.
- 373.
- Il résulte de ce qui précède que les griefs dirigés contre la condition d'autorisation
n° 8 doivent être rejetés.
f) Sur la condition d'autorisation n° 9
- 374.
- Il convient de rappeler que cette condition oblige les autorités françaises «à
s'assurer qu'Air France ne met pas en oeuvre, pendant la durée du plan, des
pratiques consistant à proposer des tarifs inférieurs à ceux pratiqués par ses
concurrents pour une offre équivalente sur les liaisons qu'elle exploite à l'intérieur
de l'Espace économique européen».
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
- 375.
- Les requérantes considèrent les limites imposées à Air France en matière de
fixation des prix comme inefficaces. Le texte de cette condition donnerait à penser
qu'il ne s'applique qu'aux lignes d'Air France existantes, c'est-à-dire les lignes
qu'elle exploite à l'heure actuelle entre Paris et la province française, d'une part,
et les autres destinations à l'intérieur de l'EEE, d'autre part. Elles affirment qu'Air
France offre tout un éventail de tarifs promotionnels. Ces tarifs existant déjà au
moment de l'adoption de la décision attaquée, on pourrait supposer qu'ils ne sont
pas couverts par la condition. Depuis la décision attaquée, Air France aurait
continué à offrir des promotions semblables. De toute manière, les compagnies
aériennes ajusteraient leurs tarifs moyens non pas tant en augmentant ou en
abaissant leur niveau qu'en contrôlant l'accès des passagers aux différentes
catégories tarifaires. Ce serait donc en augmentant le nombre de sièges offerts à
ces tarifs promotionnels qu'Air France pourrait casser les prix. Par ailleurs, il serait
très souvent impossible à un tiers de connaître les tarifs appliqués par un
concurrent, car ils seraient secrets. De plus, les produits offerts par les
transporteurs sur une même liaison seraient si variés et si difficiles à comparer
entre eux qu'il serait très difficile, dans la plupart des cas, d'établir qu'un tarif
donné est inférieur à un autre.
- 376.
- Air France ne serait pas empêchée d'exercer une pression à la baisse sur les prix
en inondant une ligne particulière d'une offre excédentaire, pour autant qu'elle
diminue sa capacité sur d'autres destinations. Enfin, la condition considérée ne
couvrirait pas sa politique tarifaire pour les produits ou prestations de service dans
d'autres domaines liés aux transports aériens, tels que la maintenance des appareils.
De même, il serait impossible de savoir si l'expression «sur les liaisons qu'elle
exploite à l'intérieur de l'EEE» couvre les services offerts par Air Charter.
- 377.
- Les sociétés Maersk ajoutent que, en raison de l'imprécision de la condition n° 9,
Air France est en mesure d'utiliser l'aide pour mettre en place et financer des
services plus coûteux, offerts sous l'apparence d'une «offre équivalente». La
récente annonce par Air France d'une modernisation de son service long-courrier,
dont le coût est estimé à 500 millions de FF, en serait un exemple typique. Par voie
de conséquence, les concurrents qui ne bénéficient pas d'une aide d'État devraient
réagir, soit en introduisant des niveaux de service plus élevés, soit en baissant les
prix. Le royaume de Suède relève aussi le caractère très large des concepts «price
leadership» et «offre équivalente», qui seraient sources d'incertitudes juridiques.
Ces concepts ne seraient pas de nature à empêcher qu'Air France augmente l'offre
de prix soldés grâce aux augmentations de capacités sur certaines lignes
particulières.
- 378.
- La Commission conteste le bien-fondé de ces griefs.
Appréciation du Tribunal
- 379.
- Il y a lieu de constater, tout d'abord, que rien dans le texte de la condition n° 9
n'autorise l'interprétation selon laquelle cette condition ne s'applique qu'aux lignes
desservies par Air France au moment de l'adoption de la décision attaquée. Il
ressort plutôt dudit texte que l'interdiction du leadership en matière de tarifs
concerne toutes les lignes exploitées par Air France «pendant la durée du plan»,
ce qui couvre aussi les lignes nouvellement ouvertes après l'adoption de la décision
attaquée.
- 380.
- Il convient de constater, ensuite, que, par le biais de la condition d'autorisation
n° 1, Air Charter est, en tant que société contrôlée par Air France à plus de 50 %,
également couverte par la condition n° 9.
- 381.
- En ce qui concerne les prétendues possibilités pour Air France d'assouplir lesconditions relatives à l'accès à des tarifs promotionnels ou d'inonder certaines
lignes d'une offre excédentaire, le Tribunal estime que la Commission était fondée
à considérer ces possibilités comme peu réalistes, étant donné qu'Air France était
obligée de procéder, sous le contrôle de la Commission et des consultants
indépendants au titre de l'article 2 de la décision attaquée, à la mise en oeuvre
complète de son plan de restructuration, qui prévoyait notammment l'amélioration
de son rendement.
- 382.
- Les autres griefs soulevés se limitent à remettre en question la seule applicabilité
efficace de la condition n° 9 et ne sauraient donc être retenus dans le présent
contexte (voir ci-dessus point 292).
- 383.
- Par conséquent, les griefs dirigés contre la condition d'autorisation n° 9 doivent être
rejetés.
g) Sur la condition d'autorisation n° 10
- 384.
- Il convient de rappeler que cette condition oblige les autorités françaises «à ne pas
accorder un traitement préférentiel à Air France en matière de droits de trafic».
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
- 385.
- Les requérantes estiment que la Commission a eu tort de considérer cette condition
comme opérante. En effet, depuis l'entrée en vigueur, le 1er janvier 1993, du
règlement n° 2408/92, l'octroi des droits de trafic serait devenu sans objet pour ce
qui est des liaisons internationales à l'intérieur de la Communauté et, depuis le 1er
juillet 1994, à l'intérieur de l'EEE. Ces droits seraient acquis automatiquement aux
compagnies aériennes de l'EEE. Par ailleurs, elles accusent les autorités françaises
de ne pas appliquer correctement les dispositions du règlement n° 2408/92 et de
protéger les intérêts d'Air France et d'Air Inter.
- 386.
- Elles affirment que la condition ne s'applique, en fait, qu'à l'exploitation des lignes
intérieures. Même dans ce cas, elle serait largement dépourvue de pertinence,
parce qu'Air France n'exploite qu'une seule ligne intérieure et que les compagnies
aériennes non françaises de l'EEE ne sont pas tenues d'obtenir des droits de trafic
pour le marché intérieur français. En tout état de cause, l'accès de ces compagnies
aériennes à ce marché serait limité jusqu'au 1er avril 1997. Par ailleurs, les droits
d'Air Inter seraient protégés sur la plupart des liaisons lucratives par les autorités
françaises sur la base de l'article 5 du règlement n° 2408/92, qui prévoit que les
concessions exclusives sur les liaisons intérieures peuvent subsister temporairement.
- 387.
- Elles relèvent que, même si la condition était valable, elle serait inopérante car les
personnes auxquelles l'octroi des droits de trafic a été délégué font partie soit du
conseil d'administration d'Air France, soit du conseil d'administration du holding.
Cela engendrerait un risque de discrimination pour les transporteurs aériens
concurrents qu'une simple condition ne pourrait éviter.
- 388.
- Dans ce contexte, les requérantes précisent que les États membres peuvent
demander à des compagnies aériennes de présenter leur programme d'exploitation
pour une liaison donnée avant l'ouverture du service concerné. En France,
l'acceptation ou le refus des programmes d'exploitation incomberait à la direction
générale de l'aviation civile et au service du trafic aérien. Ces autorités pourraient
effectivement empêcher une compagnie aérienne de se prévaloir de ses droits de
trafic automatiques en refusant illégalement d'autoriser leurs programmes
d'exploitation. Les événements ayant abouti et ayant fait suite à la décision 94/290
du 27 avril 1994 (citée au point 266 ci-dessus) illustreraient ce point. A cet égard,
les requérantes renvoient à plusieurs lettres des autorités susmentionnées exprimant
de tels refus d'approbation.
- 389.
- En tout état de cause, Air France, la direction générale de l'aviation civile et le
service du trafic aérien seraient tous sous la tutelle générale du ministre des
Transports. La jurisprudence de la Cour confirmerait qu'un lien organique entre
une entreprise en concurrence sur un marché avec d'autres entreprises et les
organismes régulant ce marché est contraire aux dispositions combinées des
articles 90 et 86 du traité, précisément en raison du risque de discrimination
inhérent à une telle situation (arrêts de la Cour du 19 mars 1991,
France/Commission, C-202/88, Rec. p. I-1223, points 51 et 52, et du 27 octobre
1993, Decoster, C-69/91, Rec. p. I-5335, points 12 à 22).
- 390.
- La Commission conteste le bien-fondé de ces griefs.
Appréciation du Tribunal
- 391.
- Quant aux griefs tirés du caractère trop restreint de la condition n° 10, il y a lieu
de constater que les compagnies aériennes européennes ont toujours besoin
d'obtenir des droits de trafic pour les liaisons entre l'EEE et les destinations
extérieures à l'EEE, non couvertes par le règlement n° 2408/92. Ainsi que la
Commission l'a relevé devant le Tribunal, Air France se trouve en concurrence, sur
ces lignes, avec d'autres compagnies aériennes françaises telles que TAT, Euralair,
Corsair, AOM et Air Liberté. Il s'ensuit que la condition n° 10 est pertinente pour
ce domaine du trafic aérien. Il en va de même pour le trafic couvert par le
règlement n° 2408/92, dans la mesure où les autorités nationales, indépendamment
des droits de trafic proprement dits, décident, à l'issue d'une procédure
d'autorisation formelle, des modalités d'application dudit règlement. Par ailleurs,
les requérantes et les parties intervenues au soutien de leurs conclusions ont
expressément reproché aux autorités françaises d'avoir fait une application
incorrecte des dispositions dudit règlement dans le but de protéger les intérêts
d'Air France et d'Air Inter.
- 392.
- Il convient d'ajouter que, si c'est en vertu du principe de non-discrimination que
les autorités françaises sont tenues de ne pas accorder un traitement préférentiel
à Air France, l'utilité de la condition n° 10 consiste, ainsi qu'il a déjà été exposé ci-dessus (point 348), à permettre à la Commission de saisir directement la Cour, sans
être obligée d'entamer préalablement la procédure de l'article 93, paragraphe 2,
premier alinéa, ou celle de l'article 169 du traité.
- 393.
- Les autres griefs soulevés font état du risque de voir les autorités françaises, en
raison de leurs relations étroites avec Air France, empêcher d'autres compagnies
de se prévaloir de leurs droits de trafic. Ils se limitent donc à remettre en question
l'applicabilité efficace de la condition n° 10 et ne sauraient, dès lors, être retenus
dans le présent contexte (voir ci-dessus point 292).
- 394.
- Il s'ensuit que les griefs dirigés contre la condition d'autorisation n° 10 doivent être
rejetés.
h) Sur la condition d'autorisation n° 11
- 395.
- Il convient de rappeler que cette condition oblige les autorités françaises à veiller
«à ce qu'Air France n'exploite pas entre la France et les autres pays de l'Espace
économique européen, pendant la durée du plan, un nombre de lignes régulières
supérieur à celui exploité en 1993 (89 lignes)».
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
- 396.
- Les requérantes considèrent que cette condition est inopérante, en ce qu'elle
indique un chiffre maximal qui n'interdit pas à Air France d'ouvrir de nouvelles
liaisons et d'en fermer d'autres. En outre, Air France pourrait augmenter le
nombre des destinations qu'elle dessert au-delà de la limite des 89 imposées, par
le biais des «locations mouillées», et le nombre des liaisons assurées à destination
ou au départ de la France, en introduisant des liaisons indirectes passant par
d'autres États membres en prolongement de certaines lignes existantes, la ligne
Londres-Paris devenant, par exemple, Londres-Paris-Rome. Air Inter commencerait
déjà à desservir des destinations européennes exploitées jusqu'alors par Air France,
dans la perspective de la fusion envisagée en 1997. En conséquence, Air France
serait en mesure d'ouvrir de nouvelles lignes dans la limite des 89. Chaque fois
qu'Air France souhaiterait ouvrir une nouvelle ligne, il lui suffirait de transférer
l'une des lignes qu'elle dessert à Air Inter, tout en sachant que l'ensemble de leurs
activités européennes seraient de toute manière fusionnées en 1997.
- 397.
- Quant au transfert de lignes d'Air France vers Air Inter, elles rappellent l'opinion
exprimée par le directeur du groupe Air France, telle qu'elle figure dans un article
de presse paru en septembre 1994. Il en ressort qu'Air Inter récupérerait un certain
nombre de lignes d'Air France au cours des deux années qui viennent: Air Inter
devrait exploiter sous son pavillon les vols vers le Maghreb, la péninsule Ibérique,
la Grande-Bretagne et l'Irlande. Les dirigeants du groupe estimeraient avoir toute
latitude pour procéder à ces permutations de pavillons, d'autant qu'Air Inter ne
serait pas visée par de telles limitations de capacités.
- 398.
- Elles notent enfin que les statistiques recueillies par l'Official Airline Guide
révèlent qu'Air France n'exploitait que 64 lignes dans l'EEE en mai 1994. Par
conséquent, le fait pour la Commission d'avoir accepté une limitation du réseau
d'Air France à 89 liaisons autoriserait la compagnie à ouvrir 25 lignes
supplémentaires entre la France et d'autres États de l'EEE. Par ailleurs, la
condition n° 11 ne couvrirait ni les liaisons à l'intérieur de la France ni celles entre
deux États de l'EEE autres que la France.
- 399.
- La Commission, la République française et Air France contestent le bien-fondé de
ces griefs.
Appréciation du Tribunal
- 400.
- Quant aux «locations mouillées» et au prolongement de lignes existantes, il y a lieu
de constater que la Commission a déclaré, devant le Tribunal, que ces deux types
de mesure tombaient sous le coup de la condition n° 11. Les requérantes ont pris
acte de cette interprétation sans la contester.
- 401.
- En ce qui concerne la référence à Air Inter, il suffit de rappeler que le
comportement de cette compagnie, indépendante d'Air France pour la durée de
sa restructuration, est dénué de pertinence dans le présent contexte, d'autant plus
que les allégations exprimées au sujet d'un transfert de lignes entre Air France et
Air Inter sont fondées sur un article de presse datant d'une période postérieure à
la date d'adoption de la décision attaquée.
- 402.
- Quant à l'exclusion des lignes domestiques françaises ainsi que des lignes entre des
États de l'EEE autres que la France, il suffit de rappeler que la Commission était
fondée à considérer que l'impact économique de ces lignes était insignifiant au
point qu'il pouvait être négligé dans le présent contexte (voir ci-dessus point 370).
- 403.
- En ce qui concerne la possibilité pour Air France d'ouvrir de nouvelles liaisons et
d'en fermer d'autres, en respectant le chiffre maximal de 89 lignes, la Commission
a déclaré, à juste titre, devant le Tribunal qu'elle ne pouvait pas avoir l'intention
d'empêcher Air France de réagir à la demande du marché, pour autant que
l'ensemble des conditions d'autorisation soient respectées. En effet, la réalisation
du plan de restructuration destiné à restaurer la viabilité financière et la
compétitivité d'Air France serait compromise à défaut d'une telle flexibilité.
- 404.
- Enfin, dans la mesure où il a été soutenu qu'Air France n'exploitait que 64 lignes
dans l'EEE en mai 1994, de sorte que le fait pour la Commission d'avoir accepté
un réseau de 89 lignes autorisait Air France à ouvrir 25 lignes supplémentaires, le
Tribunal estime que la Commission n'a pas dépassé les limites de son large pouvoir
d'appréciation en retenant le nombre de lignes qu'Air France avait exploitées en
1993, tout comme elle a limité, au titre des conditions d'autorisation nos 8 et 12,l'offre respective d'Air France et d'Air Charter au niveau atteint en 1993.
- 405.
- Il s'ensuit que les griefs dirigés contre la condition d'autorisation n° 11 ne sauraient
être retenus.
i) Sur la condition d'autorisation n° 12
- 406.
- Il convient de rappeler que cette condition oblige les autorités françaises «à limiter,
pendant la durée du plan, l'offre d'Air Charter au niveau de 1993 (3 047 sièges et
17 avions), avec une augmentation annuelle possible correspondant au taux de
croissance du marché».
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
- 407.
- Les requérantes soutiennent que la limitation de l'offre d'Air Charter est inefficace.
Air Charter ne serait pas un transporteur aérien, mais plus exactement une agence
commerciale dont l'activité est d'affréter des charters pour les voyagistes. Or, sur
les 17 avions exploités par Air Charter en 1993, seulement huit auraient appartenu
au groupe Air France et neuf auraient été loués. Les contrats de location
expireraient dans le courant de l'année 1995. La limitation de l'offre aurait été
proposée par les autorités françaises et acceptée par la Commission à une époque
où Air Charter avait déjà informé les bailleurs qu'elle ne renouvellerait pas ses
contrats de location. Air Charter serait donc autorisée à introduire jusqu'à neuf
avions de remplacement dans sa flotte et donc, potentiellement, à augmenter sa
capacité de 20 à 25 % sur un marché déjà hautement compétitif. Les bailleurs,
récupérant neuf avions, livreraient nécessairement concurrence à Air Charter qui,
en tant que bénéficiaire de l'aide, serait en mesure de louer ses avions à des
voyagistes à des prix artificiellement bas.
- 408.
- Elles ajoutent que le projet n'envisage pas de mesures de restructuration d'Air
Charter et que cette dernière recevra malgré cela une partie de l'aide. En
conséquence, la limitation de l'offre aurait été une invitation faite à une société
subventionnée par l'État, non soumise à des mesures de restructuration, d'utiliser
l'aide pour doubler sa flotte et, en tout cas, d'augmenter l'offre sur le marché des
charters français.
- 409.
- Le Royaume-Uni estime qu'Air France, ou Air Charter, aurait dû prendre un
engagement par lequel Air Charter n'aurait acheté que le nombre d'appareils
nécessaires au remplacement de la capacité perdue en raison du non-renouvellement des baux.
- 410.
- La Commission, la République française et Air France contestent le bien-fondé de
ces griefs.
Appréciation du Tribunal
- 411.
- Quant au risque de voir Air Charter pratiquer des prix artificiellement bas, il suffit
de rappeler que la compagnie, contrôlée par Air France à plus de 50 %, doit
respecter la condition d'autorisation n° 9 qui lui interdit de proposer des tarifs
inférieurs à ceux pratiqués par ses concurrents pour une offre équivalente. Par
conséquent, la Commission pouvait considérer qu'Air Charter gérerait son offre,
comme toute autre entreprise commerciale, en fonction des seuls besoins du
marché.
- 412.
- Il y a lieu de constater, ensuite, que la condition n° 12, en ce qu'elle interdit tout
développement de l'offre d'Air Charter au-delà du niveau de 1993, sauf croissance
du marché, n'a pas pour effet d'autoriser un doublement de la flotte en exploitation
de la compagnie. Ainsi que la Commission l'a souligné devant le Tribunal, rien ne
l'obligeait à imposer à Air Charter soit de renouveler des contrats de location
qu'elle venait de résilier pour des raisons commerciales et financières, soit de
s'abstenir de remplacer les avions dont les contrats de location venaient à
expiration, ce qui aurait pénalisé Air Charter en réduisant de plus de 50 % sa flotte
en exploitation.
- 413.
- Pour autant qu'il a été affirmé qu'Air Charter recevrait une partie de l'aide, bien
que le projet n'envisage aucune mesure de restructuration pour la compagnie, il
suffit de constater que le plan de restructuration d'Air France vise effectivement
le secteur charter du groupe Air France (p. 22 du plan) et que, en tout état de
cause, la condition d'autorisation n° 6 interdit toute utilisation de l'aide pour des
finalités autres que de restructuration.
- 414.
- Par conséquent, les griefs dirigés contre la condition d'autorisation n° 12 doivent
être rejetés.
j) Sur la condition d'autorisation n° 13
- 415.
- Il convient de rappeler que cette condition oblige les autorités françaises «à
garantir que toute cession des biens et prestations de services d'Air France en
faveur d'Air Charter reflète les prix du marché».
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
- 416.
- Les requérantes considèrent cette condition comme inefficace. Il serait impossible
de la mettre en oeuvre parce que la notion de «prix du marché» est imprécise et
qu'elle exige qu'Air France traite l'une de ses filiales dont le président a été
nommé directeur des opérations françaises d'Air France comme n'y étant pas
associée, tout en lui accordant simultanément une partie de l'aide. Au demeurant,
cette condition ne viserait pas à contrôler la vente de biens et la prestation de
services par Air Charter à Air France. Celles-ci n'auraient donc pas besoin de
refléter les prix du marché.
- 417.
- La Commission conteste le bien-fondé de ces griefs.
Appréciation du Tribunal
- 418.
- Dans la mesure où ces griefs se limitent à remettre en question la seule
applicabilité efficace de la condition n° 13, il suffit de rappeler qu'ils doivent être
écartés du présent contexte (voir ci-dessus point 292).
- 419.
- Pour autant qu'il a été souligné que cette condition ne visait ni la vente de biens
ni la prestation de services par Air Charter à Air France, il y a lieu de constater
que la Commission a déclaré devant le Tribunal, sans être contredite sur ce point,
qu'Air Charter ne fournissait pas de biens ou de services importants à Air France.
Par ailleurs, les requérantes dans l'affaire T-371/94 ont admis elles-mêmes, dans le
cadre de la condition d'autorisation n° 12, qu'Air Charter n'était pas un
transporteur aérien, mais plus exactement une agence commerciale dont l'activité
était d'affréter des charters pour les voyagistes et qui disposait d'un effectif
d'environ 40 employés, sans mécaniciens ni personnel navigant (n° 234 de la
requête dans l'affaire T-371/94). Dans ces circonstances, la Commission était
fondée à négliger l'impact économique de telles cessions ou prestations de service.
- 420.
- Il s'ensuit que les griefs dirigés contre la condition d'autorisation n° 13 ne sauraient
être retenus.
k) Sur les conditions d'autorisation n° 15 et n° 16
- 421.
- Il convient de rappeler que ces conditions obligent les autorités françaises à:
«poursuivre la modification dans les meilleurs délais possibles, en liaison
avec l'établissement Aéroports de Paris, des règles de distribution du trafic
pour le système aéroportuaire parisien d'une manière conforme à la
décision de la Commission du 27 avril 1994 relative à l'ouverture de la
liaison Orly-Londres»;
«veiller à ce que les travaux nécessaires au réaménagement des deux
aérogares d'Orly, conduits par l'établissement Aéroports de Paris, ainsi
qu'une éventuelle saturation de l'une ou l'autre de ces aérogares, ne
perturbent pas les conditions de concurrence au détriment des compagnies
y opérant».
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
- 422.
- Les requérantes font observer que la condition n° 15 n'a été qu'un simulacre étant
donné que les autorités françaises n'ont, à l'évidence, pas l'intention de respecter
la décision du 27 avril 1994 comme le prouve l'adoption, dès mai 1994, de règles
d'allocation des droits de trafic à l'intérieur du système aéroportuaire de Paris, en
violation flagrante de la législation communautaire. Elles ajoutent que, alors que
la décision attaquée autorisait Air France à recevoir la première tranche de l'aide
immédiatement, la condition n° 15 exigeait que l'avantage concurrentiel d'Air
France résultant des règles de distribution du trafic dans le système aéroportuaire
parisien soit supprimé à une époque définie uniquement par les termes «dans les
meilleurs délais possibles».
- 423.
- Elles soulignent le caractère illusoire de la condition n° 16, laquelle aurait été violée
avant même d'avoir été imposée, en raison des conditions discriminatoires régissant
le transfert de toutes les compagnies françaises n'appartenant pas au groupe Air
France d'Orly-Ouest à Orly-Sud et le regroupement d'Air France et d'Air Inter à
Orly-Ouest, qui auraient été fixées avant l'adoption de la décision. En effet,
l'établissement Aéroports de Paris et Air France seraient tous les deux sous la
tutelle du ministre des Transports. Or, de tels liens organiques seraient contraires
aux dispositions combinées des articles 90 et 86 du traité en raison du risque
inhérent de discrimination qui en découle. Le projet de réaménagement des
aérogares d'Orly aurait été conçu de telle manière qu'il rendait le démarrage de
nouveaux services par les concurrentes d'Air Inter à partir d'Orly-Sud difficile et
coûteux. En conséquence, seule une modification radicale du plan aurait pu éviter
une discrimination à l'encontre des concurrentes d'Air France.
- 424.
- De manière générale, elles soutiennent, au sujet de ces conditions, qu'un
engagement dont l'objet est de respecter la législation ne saurait être considéré
comme une contrepartie adéquate aux effets secondaires de l'aide, étant donné que
les autorités françaises doivent, de toute façon, respecter la loi.
- 425.
- La Commission conteste le bien-fondé de ces griefs.
Appréciation du Tribunal
- 426.
- Il y a lieu de constater que les griefs dirigés contre les conditions n° 15 et n° 16 se
limitent à souligner tant l'inefficacité que l'inutilité de ces conditions. Il suffit donc
de rappeler, d'une part, que les griefs visant à remettre en question la seule
applicabilité efficace d'une condition d'autorisation de l'aide doivent être écartés
du présent contexte (voir ci-dessus point 292) et, d'autre part, que, à supposer que
les autorités françaises soient déjà tenues, en vertu d'autres dispositions du droit
communautaire, de respecter les obligations figurant dans les conditions
d'autorisation n° 15 et n° 16, l'utilité de ces conditions consiste à permettre à la
Commission de saisir directement la Cour, sans être obligée d'entamer
préalablement une procédure administrative (voir ci-dessus point 348).
- 427.
- Par conséquent, les griefs dirigés contre les conditions d'autorisation n° 15 et n° 16
doivent être rejetés.
- 428.
- Aucun des griefs dirigés contre les conditions d'autorisation n'ayant été accueilli,
il y a lieu de rejeter définitivement le grief pris du caractère erroné de la méthode
choisie par la Commission pour examiner l'impact de l'aide sur l'intérêt commun
(voir ci-dessus points 295 et 296).
- 429.
- Il résulte de ce qui précède que, sous réserve des points 238 à 280, ci-dessus, sont
à rejeter tous les griefs tirés d'erreurs que la Commission aurait commises en
considérant que l'aide est destinée à faciliter le développement d'une certaine
activité économique, sans altérer les conditions des échanges dans une mesure
contraire à l'intérêt commun. Dans cette mesure, les requérantes et les parties
intervenues au soutien de leurs conclusions ont été à même de défendre leursdroits, et le Tribunal a pu exercer son contrôle juridictionnel. Par conséquent, et
sauf en ce qui concerne l'évaluation des effets de l'aide sur la situation
concurrentielle d'Air France au regard de son réseau de lignes hors EEE et du
trafic aérien d'apport y relatif, la décision attaquée est, à cet égard, conforme aux
exigences de l'article 190 du traité, de sorte que le grief pris d'une insuffisance de
motivation doit être rejeté.
Quant aux griefs tirés d'erreurs que la Commission aurait commises en concluant que
le plan de restructuration est de nature à rétablir la viabilité économique d'Air France
Sur la prétendue insuffisance générale du plan de restructuration
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
- 430.
- Les requérantes et les parties intervenues au soutien de leurs conclusions critiquent,
de manière générale, l'insuffisance et l'imprécision du plan de restructuration. Dans
ce contexte, la requérante dans l'affaire T-394/94 soutient que la Commission n'a
pas adéquatement indiqué, dans la décision attaquée, dans quelle mesure l'aide
était nécessaire au financement des propositions vagues et inappropriées contenues
dans le plan et lui reproche de ne pas avoir insisté pour obtenir un plan contenant
des détails précis quant aux mesures nécessaires en vue de restaurer la viabilité
d'Air France. Les requérantes dans les deux affaires font grief à la Commission
d'avoir négligé de pourvoir la décision attaquée d'une motivation suffisante, du fait
qu'elle aurait omis de tenir compte des observations présentées par les tiers lors
de la procédure administrative.
- 431.
- La Commission considère, en revanche, que la décision attaquée est suffisamment
motivée sur ce point. Quant au fond, elle affirme avoir évalué la cohérence et
l'efficacité du plan de restructuration considéré intrinsèquement, sans commettre
d'erreurs d'appréciation ou de droit.
Appréciation du Tribunal
- 432.
- Le Tribunal estime qu'il convient de vérifier, en premier lieu, si la décision
attaquée est pourvue d'une motivation suffisante en ce qui concerne le plan de
restructuration élaboré et soumis par Air France, et cela notamment au vu des
griefs essentiels que les parties intéressées ont soulevés lors de la procédure
administrative (voir ci-dessus point 96).
- 433.
- A cet égard, il y a lieu de constater que ces parties ont déclaré, au cours de la
procédure administrative, que le plan de restructuration, en raison de son caractère
inapproprié, insuffisant et trop vague, n'était pas de nature à restaurer la viabilité
d'Air France. Il serait encore moins rigoureux que le plan antérieur, le PRE 2, qui
aurait déjà été considéré en août 1992 comme insuffisant. Il ne représenterait pas
ce qui est nécessaire pour Air France, mais seulement ce qui est acceptable pour
la France, le PRE 2, plus strict que le plan litigieux, ayant été retiré à cause de la
protestation sociale. Par ailleurs, la Commission devrait tenir compte, dans ce
contexte, de l'ensemble des plans de restructuration lancés par Air France
auparavant, qui auraient tous échoué en raison de la situation politique et du
pouvoir des syndicats.
- 434.
- Les parties intéressées ont souligné que le plan de restructuration n'aurait aucune
chance de succès s'il n'était pas possible de licencier les effectifs en surnombre, de
réduire les salaires et d'imposer au personnel des améliorations de productivité. Or,
la seule manière réaliste de réduire les coûts d'Air France, à savoir une
augmentation de la productivité du personnel, serait envisagée sur une base
volontaire. Il serait donc fort improbable que l'amélioration de productivité
escomptée de 30 % soit atteinte. Le plan ne préconiserait aucune réduction des
avantages acquis des salariés d'Air France. Il ne porterait que sur une réduction de
5 000 postes en trois ans, alors que Lufthansa en a supprimé 8 000 en deux ans et
British Airways 4 000 en un an. En outre, le plan ne tiendrait pas compte de la
crise de surcapacité dans le secteur communautaire du transport aérien; il
envisagerait même une augmentation de la flotte et des capacités.
- 435.
- Elles ont ajouté que le montant de 20 milliards de FF prévus dans le plan comme
aide d'État n'était pas clair. Renvoyant à un article de presse, elles ont indiqué qu'il
y avait des indices d'un manque de clarté dans la comptabilité d'Air France. La
Commission devrait veiller à ce que les comptes d'Air France ne cachent rien à cet
égard. Par ailleurs, le président d'Air France aurait déclaré en février 1994, dans
un article de presse, que la compagnie devait obtenir 8 milliards de FF à la fin du
mois de mars; dans le contexte du PRE 2, la somme de 5 milliards de FF aurait été
discutée.
- 436.
- Enfin, le plan de restructuration ne mentionnerait jamais le groupe Air France et
n'imposerait aucune restriction au groupe entier. Il ne porterait que sur Air France
et ne ferait pas état des futures intentions du groupe à l'égard d'Air Inter. Or, Air
Inter aurait également besoin d'être restructurée. Dès lors, la Commission devrait
exiger que le plan couvre également les opérations d'Air Inter et d'Air Charter.
- 437.
- Face à ces observations, le Tribunal rappelle que, dans la décision attaquée, la
Commission expose l'historique des différents plans de restructuration adoptés par
Air France pour affronter ses problèmes financiers. Ainsi, en septembre 1991, Air
France aurait adopté un premier plan de restructuration (CAP' 93) prévoyant
notamment un apport de capital à hauteur de 5,8 milliards de FF. En octobre 1992,
après avoir constaté une nouvelle détérioration de sa situation financière, le groupe
Air France aurait adopté un deuxième plan de restructuration (PRE 1), qui, dans
les premiers mois de 1993, se serait toutefois avéré inapte à redresser la situation
du groupe et aurait donc été abandonné. En septembre 1993, un troisième plan
(PRE 2) aurait été lancé puis, à cause de son rejet par les syndicats, retiré au profit
du projet (JO p. 74). Quant au plan de restructuration litigieux, la Commission
indique qu'il a été établi par Air France sur la base d'un document élaboré par un
consultant, Lazard Frères, qui a également fixé le montant de la recapitalisation
nécessaire au redressement de la structure financière et de la rentabilité d'Air
France. Elle expose que le plan, dont l'objectif devrait être atteint entre le 1er
janvier 1994 et le 31 décembre 1996, prévoit une augmentation de la productivité
d'Air France de 30 % (JO p. 75).
- 438.
- Ensuite, la Commission décrit et précise «les grandes lignes de force du plan», à
savoir la réduction des coûts et des frais financiers (moyennant une diminution des
investissements, une réduction des coûts d'exploitation et un accroissement de la
productivité, ainsi qu'une diminution des charges financières), la modification de
la conception des produits et la meilleure utilisation des moyens (notamment par
des initiatives commerciales et au niveau de la flotte et du réseau), la
réorganisation de la compagnie et la participation des salariés. La Commission
ajoute que la mise en oeuvre du plan sera financée par l'augmentation de capital
et la cession d'actifs hors métiers de base (JO p. 75 et 76).
- 439.
- Quant à l'évaluation de la viabilité du plan de restructuration, la Commission
considère qu'il réunit plusieurs mesures qui témoignent d'une volonté réelle de
restructuration de la compagnie. Elle reconnaît en particulier l'ampleur des efforts
accomplis sur le plan social (gel des salaires, blocage des promotions, meilleure
utilisation du temps de travail, distribution d'actions gratuites aux salariés en
compensation d'une diminution de leur salaire). Le personnel concerné aurait
approuvé le programme par référendum. A la suite de son approbation par les
syndicats, la Commission déclare être convaincue que le volet social du plan peut
être intégralement adopté et mené à bien (JO p. 82).
- 440.
- En outre, la Commission considère la restructuration de la compagnie en centres
de profit visant à rationnaliser son fonctionnement comme un des points forts du
plan. Elle estime que les gains de productivité prévus par le plan porteront Air
France au niveau de la «bonne moyenne» des autres compagnies aériennes, étant
précisé qu'elle fonde son analyse sur une comparaison des valeurs de l'indicateur
d'efficience EPKT. Après avoir expliqué le fonctionnement de cette unité de
mesure, la Commission constate que la productivité d'Air France augmentera de
33,3 % au cours de la période de restructuration. Le ratio atteint en 1996 serait
supérieur au ratio moyen estimé des sept autres grandes compagnies européennes
(Lufthansa, British Airways, KLM, Alitalia, Iberia, SAS et Swissair). En résumé, la
Commission estime que le plan est de nature à restaurer la viabilité économique
et financière d'Air France, d'autant plus que le gouvernement français a pris les
engagements qu'Air France serait gérée conformément aux principes commerciaux
et traitée comme une entreprise normale (JO p. 83).
- 441.
- Le Tribunal estime que cet exposé des motifs répond adéquatement aux
observations des parties intéressées et fait suffisamment apparaître le raisonnement
de la Commission en ce qui concerne les aspects généraux du plan de
restructuration. En effet, il démontre que la Commission n'a pas ignoré les plans
de restructuration antérieurs, qui n'avaient pas permis de rétablir la situation d'Air
France. En particulier, la Commission fait état de ce que le PRE 2 avait échoué
parce qu'il n'avait été accepté ni par le personnel d'Air France ni par les syndicats,
alors que le nouveau plan a recueilli leur approbation. Or, il est évident que seul
un plan de restructuration réalisable, même s'il est moins rigoureux qu'un plan
antérieur non réalisable, peut avoir des chances de succès. Par conséquent, la
Commission n'était pas tenue d'approfondir sa motivation sur ce point.
- 442.
- Quant à la question de savoir si les mesures figurant dans le plan de restructuration
sont suffisantes pour atteindre les objectifs de rationalisation et de désendettement
poursuivis, la description des mesures envisagées et l'instauration du dispositif de
contrôle que la Commission peut opérer en vertu des articles 1er et 2 de la décision
attaquée suffisent pour exposer, au niveau de la motivation, que la Commission,
d'une part, croit en la possibilité de la réalisation du plan de restructuration en
cause et, d'autre part, se réserve les moyens jugés appropriés au cas où cette
réalisation serait compromise. En effet, si les conditions énumérées à l'article 1er
n'étaient pas respectées, la Commission pourrait saisir directement la Cour en vertu
de l'article 93, paragraphe 2, deuxième alinéa du traité (voir ci-dessus point 348).
En outre, l'article 2 prévoit que la mise en oeuvre effective du plan de
restructuration constitue une condition pour le versement des deuxième et
troisième tranches de l'aide.
- 443.
- Eu égard à cet encadrement du plan de restructuration, la Commission n'était pas
tenue de fournir des explications spécifiques portant comparaison du plan d'Air
France et des plans de restructuration d'autres compagnies aériennes telles que
Lufthansa et British Airways. En effet, ces plans concernaient d'autres compagnies
restructurées à d'autres époques.
- 444.
- Le grief tiré d'un prétendu manque de clarté dans la comptabilité d'Air France
n'est étayé par aucun indice factuel. Il se borne à faire référence à un article de
presse, tout en invitant la Commission à veiller à ce que les comptes d'Air France
ne cachent rien à cet égard. La Commission n'était donc pas obligée de se
prononcer explicitement sur cet aspect, en indiquant, notamment, si elle avait ou
non suivi cette invitation.
- 445.
- Dans la mesure où il a été allégué que le plan de restructuration litigieux ne
pouvait pas se limiter à la seule compagnie Air France, mais aurait dû couvrir
d'autres compagnies du groupe, il suffit de relever que la Commission ne peut pas
imposer à un État membre d'établir un plan de restructuration pour une société
qui, de l'avis de cet État, n'a pas besoin d'être restructurée. La question de savoir
si et dans quelle mesure la Commission, en examinant et en autorisant un plan qui
vise la restructuration d'une société partie d'un groupe, doit éventuellement tenircompte des autres sociétés du groupe n'est cependant pas pertinente pour la
motivation de la décision attaquée concernant la suffisance du plan de
restructuration en cause, qui est limité à la compagnie Air France. Les questions
relatives à l'implication du groupe entier ont été abordées ci-dessus dans un
contexte différent (points 298 à 324). Il en va de même pour ce qui est de la
question spécifique des capacités d'Air France, laquelle a, elle aussi, fait l'objet d'un
examen particulier ci-dessus (points 357 à 373).
- 446.
- Il s'ensuit que la motivation de cette partie de la décision attaquée doit être
considérée comme conforme aux exigences de l'article 190 du traité.
- 447.
- Quant aux griefs tirés, d'une manière générale, de l'insuffisance et de l'imprécision
du plan de restructuration, il suffit de rappeler que la Commission jouit d'un large
pouvoir discrétionnaire dans l'évaluation d'un plan visant la restructuration d'une
entreprise en difficulté économique et financière, cette évaluation portant d'ailleurs
souvent sur des données confidentielles non accessibles à des concurrents de
l'entreprise concernée. Par conséquent, ce n'est qu'en présence d'une erreur
particulièrement manifeste et grave de la Commission dans l'appréciation d'un tel
plan que le Tribunal pourrait censurer l'autorisation d'une aide d'État destinée à
financer une telle restructuration. Or, en l'espèce, l'existence d'une erreur de cette
nature n'a pas été démontrée. Toutefois, le Tribunal rappelle qu'il n'a pas été à
même d'examiner les objectifs de productivité à atteindre par Air France au regard
spécifique de ses lignes aériennes hors EEE, la décision attaquée souffrant d'un
défaut de motivation sur ce point (voir ci-dessus point 280).
- 448.
- Sous cette dernière réserve, les griefs dirigés contre l'approbation, par la
Commission, du plan de restructuration d'Air France doivent être rejetés.
- 449.
- Dans ces circonstances, le grief par lequel les requérantes dans l'affaire T-371/94
font valoir que ce plan vise, en réalité, non pas à rétablir la viabilité d'Air France
mais à répondre à des objectifs gouvernementaux manque en fait et en droit.
Sur les autres griefs
- 450.
- Il y a lieu de constater que les requérantes et les parties intervenues au soutien de
leurs conclusions font valoir que le plan de restructuration d'Air France exclut à
tort la prise en considération de la compagnie Air Inter, la vente par Air France
d'un maximum d'actifs non aériens et une réduction globale des capacités. En
outre, ce plan serait largement fondé sur l'indicateur EPKT destiné à mesurer la
productivité d'Air France, bien que cette unité de mesure soit inappropriée à cet
effet. Par ailleurs, les mesures prévues par le plan de restructuration d'Air France
seraient beaucoup moins sévères que celles entreprises par d'autres compagnies
aériennes.
- 451.
- A cet égard, il suffit de renvoyer à ce qui a été dit ci-dessus, dans le cadre de
l'examen d'autres griefs, pour conclure qu'aucun des griefs susmentionnés dirigés
contre le plan de restructuration d'Air France ne saurait être retenu.
- 452.
- Pour autant que les requérantes et les parties intervenues au soutien de leurs
conclusions reprochent à la Commission d'avoir à tort autorisé l'achat de 17
nouveaux avions en tant qu'élément du plan de restructuration, le Tribunal rappelle
que, en raison du défaut de motivation sur le financement de cet investissement et
sur sa nature juridique, il n'est pas à même d'examiner ce grief.
III Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 155 du traité
- 453.
- Pour autant que la requérante dans l'affaire T-394/94 soutient que la Commission,
en négligeant d'appliquer correctement les articles 92 et 93 du traité, a aussi violé
l'article 155 du traité, il convient de constater que l'examen des moyens de fond
soulevés par les requérantes et les parties intervenues au soutien de leurs
conclusions n'a révélé aucune erreur d'appréciation ou de droit dans l'application
des articles 92 et 93. Par ailleurs, l'article 155 du traité a pour objet de fixer, de
manière générale, les compétences de la Commission. Dès lors, il ne saurait être
prétendu que, à chaque fois que la Commission enfreint une disposition spécifique
du traité, cette violation entraîne celle de la disposition générale de l'article 155.
Il s'ensuit que ce moyen doit, en tout état de cause, être rejeté.
IV Conclusions
- 454.
- L'examen de l'ensemble des moyens soulevés dans les présents litiges a fait
apparaître que la décision attaquée est entachée d'un défaut de motivation sur
deux points, relatifs, respectivement, à l'achat de 17 nouveaux avions représentant
la somme de 11,5 milliards de FF (voir ci-dessus points 84 à 120) et à la situation
concurrentielle d'Air France sur le réseau de ses lignes hors EEE avec le trafic
aérien d'apport correspondant (voir ci-dessus points 238 à 280). Le Tribunal estime
que ces deux points sont d'une importance essentielle dans l'économie générale de
la décision attaquée. Par conséquent, il y a lieu de prononcer l'annulation de cette
décision. Dans ces conditions, il n'est plus nécessaire de statuer sur la demande de
la requérante dans l'affaire T-394/94 visant à exiger la production de tous les
dossiers et documents pertinents dont dispose la Commission.
Sur les dépens
- 455.
- Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie
qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission
ayant succombé en ses conclusions et les requérantes, ainsi que les parties
intervenantes Maersk, ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner la
Commission aux dépens.
- 456.
- En vertu de l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, la République
française, le royaume de Danemark, le Royaume-Uni, le royaume de Suède, le
royaume de Norvège et Air France supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)
déclare et arrête:
1) Les affaires T-371/94 et T-394/94 sont jointes aux fins de l'arrêt.
2) La décision 94/653/CE de la Commission, du 27 juillet 1994, concernant
l'augmentation de capital notifiée d'Air France, est annulée.
3) La Commission supportera les dépens, y compris ceux exposés par les
parties intervenantes Maersk Air I/S et Maersk Air Ltd.
4) La Compagnie nationale Air France, la République française, le royaume
de Danemark, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord,
le royaume de Suède et le royaume de Norvège supporteront leurs propres
dépens.
BellamyLenaerts
Briët
Kalogeropoulos Potocki
|
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 juin 1998.
Le greffier
Le président
H. Jung
A. Kalogeropoulos
Table des matières
Faits à l'origine des recours et procédures
II - 4
Procédure administrative
II - 4
Décision attaquée
II - 5
Procédures juridictionnelles
II - 9
Conclusions des parties
II - 10
Sur le fond
II - 11
I Sur les moyens tirés du déroulement incorrect de la procédure administrative
II - 12
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
II - 12
Appréciation du Tribunal
II - 16
Généralités
II - 16
La communication du 3 juin 1994
II - 18
Le délai d'examen
II - 19
Les experts extérieurs
II - 20
L'erreur de traduction
II - 20
La participation des autres États membres
II - 21
Conclusions
II - 21
II Sur les moyens tirés d'erreurs d'appréciation et d'erreurs de droit que la
Commission aurait commises en violation de l'article 92, paragraphe 3, sous c),
du traité et de l'article 61, paragraphe 3, sous c), de l'accord EEE
II - 21
Généralités
II - 21
Quant aux griefs tirés d'une violation du principe de proportionnalité applicable
en matière d'aides d'État
II - 23
A Sur le grief pris de ce que la Commission aurait autorisé à tort l'achat
par Air France de 17 nouveaux avions
II - 23
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
II - 23
Appréciation du Tribunal
II - 24
B Sur le grief pris de ce que la Commission aurait autorisé à tort le
financement de frais d'exploitation et de mesures opérationnelles d'Air
France
II - 32
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
II - 32
Appréciation du Tribunal
II - 35
C Sur le grief pris d'une classification erronée des titres émis par Air
France entre 1989 et 1993
II - 37
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
II - 37
Appréciation du Tribunal
II - 40
D Sur le grief pris d'une méconnaissance du ratio d'endettement d'Air
France
II - 42
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
II - 42
Appréciation du Tribunal
II - 45
E Sur le grief pris de ce que la Commission se serait abstenue à tort
d'exiger la vente d'actifs d'Air France susceptibles d'être aliénés
II - 47
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
II - 47
Appréciation du Tribunal
II - 53
Quant aux griefs tirés d'erreurs que la Commission aurait commises en
considérant que l'aide est destinée à faciliter le développement d'une certaine
activité économique, sans altérer les conditions des échanges dans une
mesure contraire à l'intérêt commun
II - 59
A Sur le grief pris de ce que la Commission aurait autorisé à tort une aide
visant au développement non pas d'une certaine activité économique
mais d'une entreprise particulière
II - 59
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
II - 59
Appréciation du Tribunal
II - 60
B Sur le grief pris de ce que la Commission aurait autorisé à tort une aide
qui altère les conditions des échanges dans une mesure contraire à
l'intérêt commun
II - 60
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
II - 60
Appréciation du Tribunal
II - 66
1. Sur la motivation
II - 66
2. Sur le bien-fondé
II - 74
a) Sur la condition d'autorisation n° 1
II - 77
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
II - 77
Appréciation du Tribunal
II - 81
b) Sur la condition d'autorisation n° 3
II - 84
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
II - 84
Appréciation du Tribunal
II - 86
c) Sur la condition d'autorisation n° 6
II - 88
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
II - 88
Appréciation du Tribunal
II - 89
d) Sur la condition d'autorisation n° 7
II - 89
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
II - 90
Appréciation du Tribunal
II - 90
e) Sur la condition d'autorisation n° 8
II - 91
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
II - 91
Appréciation du Tribunal
II - 93
f) Sur la condition d'autorisation n° 9
II - 95
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
II - 96
Appréciation du Tribunal
II - 97
g) Sur la condition d'autorisation n° 10
II - 97
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
II - 97
Appréciation du Tribunal
II - 98
h) Sur la condition d'autorisation n° 11
II - 99
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
II - 99
Appréciation du Tribunal
II - 100
i) Sur la condition d'autorisation n° 12
II - 101
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
II - 101
Appréciation du Tribunal
II - 102
j) Sur la condition d'autorisation n° 13
II - 103
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
II - 103
Appréciation du Tribunal
II - 103
k) Sur les conditions d'autorisation n° 15 et n° 16
II - 104
Exposé sommaire de l'argumentation des requérantes
II - 104
Appréciation du Tribunal
II - 105
Quant aux griefs tirés d'erreurs que la Commission aurait commises en concluant
que le plan de restructuration est de nature à rétablir la viabilité économique
d'Air France
II - 106
Sur la prétendue insuffisance générale du plan de restructuration
II - 106
Exposé sommaire de l'argumentation des parties
II - 106
Appréciation du Tribunal
II - 106
Sur les autres griefs
II - 110
III Sur le moyen tiré d'une violation de l'article 155 du traité
II - 111
IV Conclusions
II - 111
Sur les dépens
II - 111