Language of document : ECLI:EU:T:2014:668

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

15 juillet 2014 (*)

« Clause compromissoire – Contrat concernant le prêt de matières fissiles destinées au site d’Ispra du Centre commun de recherche – Inexécution du contrat – Intérêts de retard »

Dans l’affaire T‑223/11,

Siemens AG, établie à Munich (Allemagne), représentée par Mes J. Risse, R. Harbst et H. Haller, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal et W. Mölls, en qualité d’agents, assistés de Mes R. Van der Hout et A. Krämer, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours fondé sur une clause compromissoire visant à obtenir la condamnation de la Commission à rembourser l’ensemble ou une partie des coûts de retraitement des matières fissiles supportés par la requérante dans le cadre de l’exécution du contrat portant la référence AG 2052, concernant le prêt de matériaux fissiles destinés au site d’Ispra (Italie) de son Centre commun de recherche, ainsi que des intérêts de retard,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. H. Kanninen, président, G. Berardis et C. Wetter (rapporteur), juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 septembre 2013,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Siemens AG, est principalement présente dans trois secteurs d’activité, à savoir l’énergie, l’industrie et les équipements médicaux. Elle a également été longtemps présente dans le secteur de l’énergie nucléaire. Elle s’en est cependant progressivement retirée depuis le début des années 90.

 Cadre contractuel

2        Le 19 novembre 1986, la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), représentée par la Commission des Communautés européennes, a conclu avec Alkem GmbH, dont le successeur légal est la requérante, le contrat portant la référence AG 2052 (ci-après le « contrat »).

3        Le contrat concernait la mise à disposition de 25,68 kg de plutonium et d’oxydes mixtes (ci-après les « matériaux fissiles ») au site d’Ispra (Italie) du Centre commun de recherche (JRC) de la Commission. Les matériaux fissiles provenaient du centre de production de combustible nucléaire de la requérante à Hanau (Allemagne) (ci-après le « centre de Hanau » ou le « site de Hanau »).

4        À l’exception d’un avenant unique, daté du 15 décembre 1987, le contrat n’a pas été modifié. Ledit avenant portait sur la modification de la date de livraison initialement prévue pour le transport vers le site d’Ispra du JRC de la Commission avant la fin de décembre 1987, la date initialement prévue étant avant la fin d’août 1986. Cet avenant portait aussi modification de la somme forfaitaire visée à l’article 3 du contrat.

5        L’article 1er, paragraphe 2, du contrat, intitulé « Sujet », est rédigé de la façon suivante :

« Les matériaux fissiles restent la propriété du contractant et seront restitués à l’issue d’une période d’environ cinq ans ou de toute autre période, dont les conditions seront définies d’un commun accord. »

6        L’article 3 du contrat est intitulé « Prix du contrat ». Son paragraphe 1, tel que modifié par l’avenant au contrat, dispose :

« En rémunération des travaux effectués en exécution du présent contrat, la Commission versera à l’entreprise contractante la somme forfaitaire suivante : 1 312 820,00 DEM (un million trois cent douze mille huit cent vingt Deutsche Mark).

Ce montant se décompose comme suit :

–        886 820,00 DEM pour la préparation ;

–        178 000,00 DEM pour le transport ;

–        248 000,00 DEM pour les analyses complémentaires. »

7        Le paragraphe 2 de l’article 3 du contrat énonce :

« Le montant précité est fixe et ferme et s’entend comme couvrant tous les frais et débours encourus par l’entreprise contractante pour l’exécution du présent contrat. »

8        L’article 18, paragraphe 3, du contrat, intitulé « Amendements », dispose :

« Les dispositions de ce contrat et de ses annexes ne peuvent être amendées ou complétées sauf par accord supplémentaire signé par un représentant dûment autorisé par et pour le compte de chaque partie contractante. »

9        En vertu de l’article 23 du contrat, les annexes forment partie intégrante du contrat.

10      L’annexe no 1 du contrat est intitulée « Description détaillée de l’offre ». La dernière version de cette annexe, datant d’octobre 1987, décrit, à son point 1, le champ d’activités d’Alkem et contient les stipulations suivantes :

« – [r]eprendre à Alkem [les] conteneurs fournis par [le JRC de la Commission] (c’est-à-dire conteneurs externes)

[…]

–      [r]eprendre tous les matériaux fissiles franco Alkem après une période expérimentale d’env[iron] cinq ans et rétablissement des matériaux dans leur état d’origine, y compris traitement des déchets des conteneurs contaminés […] »

11      Le point 1.2 de l’annexe no 1 du contrat décrit le champ d’activité du JRC de la Commission et contient les dispositions suivantes :

« –      [f]ournir franco Alkem [des] conteneurs [du JRC de la Commission] (c’est-à-dire conteneurs externes) […]

–      [t]ransport retour de tous les matériaux fissiles vers Alkem/Hanau dans la même quantité que livrés selon l’article 1.1. De plus, tous les matériaux fissiles transportés vers Alkem [restitués] selon les mêmes spécifications que livrés ;

–      [r]emballage des ʻconteneurs internesʼ dans le conteneur externe requis à Ispra ‑ modèle 2500, MS 2500-S, MS 1000-S. »

12      Le point 2.1 de l’annexe no 1 du contrat, intitulé « Spécification des [matériaux fissiles] PERLA », contient une description de l’état des matériaux fissiles livrés, y compris le niveau maximal toléré d’impuretés et d’américium (sous-produit de la réaction nucléaire du plutonium).

13      L’article 16 de l’annexe nº 2 du contrat, intitulé « Conditions générales applicables aux contrats du Centre commun de recherche », prévoit la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne. L’article 19 du contrat stipule que le contrat est régi par le droit allemand.

 Droit allemand

14      L’article 313 du Bürgerliches Gesetzbuch (BGB, code civil allemand) est rédigé de la façon suivante :

« Troubles du fondement de l’acte juridique

1)      Si les circonstances qui ont constitué le fondement du contrat ont profondément changé après sa conclusion, de sorte que les parties n’auraient pas conclu ce contrat ou l’auraient conclu avec un autre contenu si elles avaient prévu ce changement, une adaptation dudit contrat peut être demandée dans la mesure où son maintien, tel qu’il avait été stipulé à l’origine, ne peut être imposé à l’une des parties, eu égard à tous les faits de l’espèce et notamment à la répartition conventionnelle ou légale des risques.

2)      Il y a lieu d’assimiler au changement des circonstances le fait que les représentations essentielles constituant le fondement du contrat se sont révélées inexactes.

3)      Si l’adaptation du contrat n’est pas possible ou si elle est insupportable à l’une des parties, le contractant défavorisé peut résoudre le contrat. Dans les contrats à exécution successive, le droit à la résiliation remplace le droit à la résolution. »

 Cadre factuel

15      L’objet du contrat était la fourniture de matériaux fissiles pour son utilisation dans le laboratoire PERLA du site d’Ispra du JRC de la Commission. Les matériaux fissiles devaient servir d’échantillons parfaitement calibrés et ayant des propriétés physiques définies.

16      Les matériaux fissiles ont été livrés au JRC de la Commission le 25 novembre 1987.

17      En 1991, le ministre de l’Environnement du Land de Hesse (Allemagne) a ordonné le démantèlement du centre de Hanau.

18      À la suite de cette décision, la requérante a introduit un recours en dommages et intérêts contre le Land de Hesse, recours qui a été accueilli par arrêt du Landgericht Wiesbaden (tribunal régional de Wiesbaden) du 6 avril 1993. Ledit arrêt a fait l’objet d’un appel introduit par le Land de Hesse, au cours duquel la requérante s’est désistée de sa demande en réparation.

19      Par lettre du 24 mai 1993, l’Euratom a informé la requérante de son souhait de relancer les contacts avec elle, notamment afin de connaître sa position sur la possibilité d’échanger quelques échantillons de matériaux fissiles s’agissant de dioxyde de plutonium (PuO2) ayant un contenu élevé d’américium et d’obtenir d’éventuels nouveaux échantillons. Il n’y a pas eu de réponse à cette lettre.

20      Le 23 novembre 1995, une réunion s’est tenue entre la requérante et l’Euratom. Lors de cette réunion, la requérante a déclaré qu’il n’était pas possible de recevoir les matériaux fissiles à Hanau. L’Euratom a demandé à la requérante de contacter d’autres entreprises capables de traiter lesdits matériaux, y compris la Compagnie générale des matières nucléaires (ci-après la « Cogema »).

21      Le 23 septembre 1997, dans la mesure où il restait des matières nucléaires dans l’usine après sa fermeture, le ministre de l’Environnement du Land de Hesse a délivré, sur demande de la requérante, une autorisation de vidange, donnant ainsi une base juridique à la fermeture définitive du centre de Hanau.

22      Par lettre du 23 mars 1998, la requérante a informé l’Euratom du fait que PreussenElektra AG avait le droit d’usage et de consommation sur le PuO2 usé et que ladite société serait encline à transmettre ces droits à l’Euratom. Elle a également répété qu’une reprise des matériaux fissiles à Hanau n’était plus possible et a déclaré que l’autorisation de vidange des installations à Hanau interdisait toute réception de plutonium provenant de l’extérieur. Enfin, elle a invité l’Euratom à prendre contact avec la Cogema.

23      Par lettre du 21 juillet 1999, l’Euratom a décliné vouloir recevoir les droits sur les matériaux fissiles, au motif que sa politique à long terme s’y opposait. Elle a rappelé, à cet égard, l’article 1er, paragraphe 2, du contrat et précisé que les premiers échanges de vues qui avaient eu lieu à l’issue de la période contractuelle étaient, en grande partie, dictés par le fait que la requérante se trouvait dans l’impossibilité de recevoir les matériaux dans ses installations de Hanau. Toutefois, elle a fait part de la possibilité de continuer à utiliser les matériaux fissiles jusqu’en 2007 éventuellement, date qui correspondait à la fin du programme-cadre du JRC de la Commission.

24      Par courrier du 1er octobre 1999 à l’Euratom, la requérante a, après concertation avec PreussenElektra, rejeté la proposition de prolonger l’utilisation des matériaux fissiles jusqu’en 2007. Par lettre du 6 décembre 1999, l’Euratom a indiqué souhaiter réfléchir aux solutions envisageables.

25      En 2002 et en 2003, plusieurs contacts ont eu lieu entre l’Euratom et la requérante afin de trouver une stratégie mutuellement acceptable. L’une des options discutées portait sur l’inclusion des matériaux fissiles dans un appel d’offres visant à l’élimination de substances nucléaires situées sur le site d’Ispra du JRC de la Commission en tout ou en partie. Cette option n’a toutefois pas été retenue.

26      Enfin, les parties ont envisagé le traitement des matières fissiles sur le site de la Cogema, à La Hague (France), cette dernière étant disposée à les accepter. Par lettre du 5 novembre 2004 à l’Euratom, la requérante a affirmé que « tous les coûts de réception et de traitement à La Hague [seraient] supportés par [elle] » et qu’elle était également disposée « à prendre en charge les frais de transport supplémentaires dûment justifiés qui ser[ai]nt occasionnés par le transport vers La Hague et non plus vers Hanau, à compter de ce jour ». Elle a ajouté qu’il était « juste d’affirmer que le contrat valide [comprenait] adéquatement les obligations des parties, qu’aucune d’entre elles ne serait changée de manière substantielle par l’approche mentionnée ci-dessus » et que, pour cette raison, « il n’y [avait] pas lieu de conclure un nouveau contrat ».

27      Les années suivantes ont été caractérisées par des contacts réguliers entre la requérante, la Cogema, devenue Areva, et l’Euratom, afin de discuter et d’organiser le transfert des matériaux fissiles vers l’usine de La Hague.

28      Dans ce contexte, les 12 mai, 16 et 21 juin, 16 septembre et 20 décembre 2005 ainsi que les 17 février, 24, 27 et 29 novembre 2006, de nombreux contacts ont été établis afin de résoudre les problèmes créés par la taille des conteneurs « modèle 2500 », les activités de remballage de ces mêmes conteneurs, la manipulation des matériaux fissiles qui n’était pas couverte par l’autorisation accordée à Euratom à Ispra et de trouver une solution acceptable pour l’admission de traitement des échantillons par Areva à La Hague.

29      Lors de la réunion du 11 janvier 2007, les parties ont accepté que soient signés les contrats suivants : le contrat de traitement (entre la requérante et Areva) et le contrat de transport vers La Hague (entre l’Euratom et un transporteur spécialisé). Il découle du compte rendu de cette réunion que l’Euratom devait préparer les « matières de référence PERLA » en vue de leur transport, organiser ledit transport en veillant à obtenir toutes les autorisations nécessaires et faire assurer le conditionnement et les « matières de référence PERLA » contre les conséquences d’un incident nucléaire jusqu’à l’arrivée de ces matières sur le site d’Areva. Les tâches incombant à la requérante comprenaient notamment la réception des matières par l’intermédiaire d’Areva, à laquelle s’ajoutait le prétraitement, le retraitement et le traitement des déchets.

30      Par lettre en date du 12 juillet 2010 à l’Euratom, la requérante a annoncé que les matériaux fissiles avaient été transférés d’Ispra à La Hague le 29 avril 2009, qu’elle avait payé les coûts de traitement en avance et qu’elle réclamait à l’Euratom le remboursement des coûts résultant de la restitution tardive.

31      La requérante a envoyé une lettre de créance du 17 mars 2011 à l’Euratom, aux termes de laquelle les coûts totaux auraient été de l’ordre de 16 216 967,69 euros, composés comme suit :

–        une facture d’Areva du 3 avril 2007 pour un montant de 1 000 000 euros ;

–        une facture d’Areva du 30 août 2007 pour un montant de 4 300 000 euros ;

–        une facture d’Areva du 3 mars 2008 pour un montant de 5 300 000 euros ;

–        une facture d’Areva du 11 mai 2009 pour un montant de 4 091 219,29 euros ;

–        une facture d’Areva du 5 novembre 2009 pour un montant de 1 500 000 euros, à supporter en raison du piètre état des matériaux fissiles, notamment en raison de la dégradation du vinyle et des impuretés présentes ;

–        une facture de Höfer & Bechtel GmbH pour une somme de 25 748,40 euros, en raison du fait qu’elle avait été obligée d’assurer la réalisation de tests d’étanchéité.

32      De la somme totale de 16 216 967,69 euros, la requérante a déduit la somme fixe de 201 100 marks allemands (DEM) (soit 102 820,80 euros), initialement prévue et payée selon les termes du contrat, aboutissant ainsi à un total de 16 114 147 euros.

 Procédure et conclusions des parties

33      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 avril 2011, la requérante a introduit le présent recours.

34      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 25 septembre 2013.

35      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        condamner la Commission à lui payer un montant de 16 114 147 euros, majoré des intérêts au taux de 8 points au-dessus du taux de base en vigueur en Allemagne à compter du 20 avril 2011 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

36      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

37      À l’appui du recours, la requérante invoque, dans la requête, l’article 1er, paragraphe 2, du contrat et l’article 313 du BGB pour demander que la Commission soit condamnée à payer les surcoûts qu’elle a dû supporter en vue du retraitement des matériaux fissiles. Elle fait également valoir, dans la réplique, que la Commission a manqué à ses obligations contractuelles en restituant des matériaux fissiles d’une qualité non conforme au contrat et de manière tardive et est, dès lors, tenue de réparer tous les dommages en résultant.

38      La Commission conteste la recevabilité de l’argumentation selon laquelle elle a manqué à ses obligations contractuelles en ce qui concerne la restitution des matériaux fissiles et le bien-fondé de l’ensemble des arguments de la requérante.

 Sur le premier moyen, tiré de l’article 1er, paragraphe 2, du contrat

 Arguments des parties

39      Selon la requérante, l’article 1er, paragraphe 2, du contrat prévoit une obligation de négocier de bonne foi un accord.

40      La requérante avance que, dès lors que l’Euratom a manqué à son obligation de renégocier de bonne foi la restitution des matériaux fissiles vers la requérante, le droit allemand admettrait que, en cas d’échec des négociations, le juge compétent doive déterminer ce qu’aurait été une solution équitablement négociée et amender le contrat en conséquence. Ainsi, elle demande au Tribunal de déterminer ce que les parties auraient pu convenir si l’Euratom s’était acquittée de ses obligations en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, du contrat.

41      Dans ce contexte, la requérante relève les circonstances suivantes :

–        l’Euratom lui a demandé de lui fournir les matériaux fissiles à « prix coûtant », ce qu’elle a accepté ;

–        l’Euratom a bénéficié d’une utilisation prolongée des matériaux fissiles sans coût ou supplément additionnel ;

–        l’Euratom est à l’origine des surcoûts en raison de son insistance à vouloir recourir à des conteneurs particuliers ;

–        l’Euratom a refusé de négocier avec Areva ainsi que d’acquérir les droits de propriété sur les matériaux fissiles et refusé de les inclure dans son appel d’offres ;

–        la décision politique de fermer le site de Hanau constitue un évènement de force majeure ;

–        les coûts de retraitement sont 160 fois supérieurs à ceux initialement déterminés par le contrat ;

–        le litige a été rendu inévitable du fait du comportement de la Commission.

42      La requérante conteste, dans la réplique, l’affirmation de la Commission selon laquelle l’exigence de la forme écrite serait violée s’il était fait droit au présent moyen.

43      De même, s’agissant de la question de savoir si elle était contractuellement obligée de retraiter les matériaux fissiles, la requérante soutient, d’une part, que le point 1.1 de l’annexe nº 1 du contrat dispose qu’elle doit retraiter les matériaux fissiles et, d’autre part, qu’un accord entre les parties concluant des négociations aurait également porté sur les modalités de retraitement.

44      La requérante conteste aussi, dans la réplique, le bien-fondé de l’allégation de la Commission selon laquelle elle avait été en situation de retard du créancier. L’Euratom n’aurait pas proposé d’offre d’exécution totale, non ambiguë et sans conditions, ce qui serait nécessaire pour statuer sur un retard du créancier au sens du droit allemand. La requérante avance que, en tout état de cause, un éventuel retard de sa part ne permettait pas de libérer l’Euratom de ses obligations contractuelles.

45      La Commission rejette l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, du contrat faite par la requérante.

46      La Commission explique que le contrat stipule que la requérante était responsable de la reprise des matériaux fissiles en cause et que l’Euratom était chargé du transport de ces matériaux vers elle. Les parties étant convenues d’une somme forfaitaire couvrant tous les frais prévus par le contrat, tous les autres coûts liés à l’exécution d’une obligation contractuelle devaient être, selon la Commission, supportés par la partie responsable.

47      Par ailleurs, la Commission conteste que le retraitement des matériaux fissiles fasse partie des obligations contractuelles de la requérante. Selon elle, le terme « retraitement », qui implique la séparation chimique et la récupération du plutonium fissile dans le combustible nucléaire irradié, n’apparaît pas dans le contrat. Le retraitement, qu’il n’était pas possible de faire au site de Hanau, ne serait pas assimilable au processus de « rétablissement des matières dans leur état d’origine », figurant dans le contrat, qui suppose l’intégration des poudres de PuO2 au processus de fabrication du mox.

48      De plus, selon la Commission, conformément à l’article 58 du règlement financier du 21 décembre 1977, applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 356, p. 1), disposition pertinente aux faits de la présente affaire et qui a été reprise à l’article 88 du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1), les marchés de services auxquels l’Union est partie ne peuvent être conclus que par écrit et préalablement à leur exécution. En se fondant sur l’arrêt du Tribunal du 8 mai 2007, Citymo/Commission (T‑271/04, Rec. p. II‑1375, point 114), la Commission fait valoir que le règlement financier, qui, en vertu de l’article 249 CE (devenu, après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’article 288 TFUE) est obligatoire dans tous ses éléments, ne viendrait pas conforter la thèse selon laquelle l’article 1er, paragraphe 2, du contrat permettrait à la requérante d’imposer ex post et unilatéralement à l’Euratom un contrat rétroactif. Toute modification du contrat ne pourrait se faire qu’au moyen d’un accord écrit.

49      La Commission allègue, d’ailleurs, que la requérante était en situation de retard du créancier au sens des articles 293, 295 et 296 du BGB, ce qui l’empêcherait d’exercer les recours contractuels de droit commun. La lettre de l’Euratom du 24 mai 1993, envoyée environ cinq ans après la conclusion du contrat et la livraison, constituerait une demande de reprise d’au moins une partie des matériaux fissiles. Eu égard à ce retard, la Commission estime n’être nullement responsable de la dégradation des matériaux fissiles.

50      Selon la Commission, la requérante a également été en situation de retard du débiteur. La requérante aurait l’obligation de reprendre les matériaux fissiles au site d’Ispra du JRC et de préparer le transport avec ce dernier. Or, bien que le site de Hanau n’ait plus été disponible, l’obligation de reprise n’aurait pas été impossible et pouvait encore être remplie.

51      En outre, la Commission conteste l’allégation selon laquelle la requérante aurait fait une faveur unilatérale à l’Euratom. Elle fait observer que le prétendu « service » aurait, notamment, été rendu dans l’intérêt de former des inspecteurs et de procéder à des activités de recherche, éléments présentant de l’intérêt pour l’industrie nucléaire dans son ensemble, y compris pour la requérante.

52      La Commission réfute également l’affirmation selon laquelle elle a bénéficié d’une utilisation prolongée des matériaux fissiles et a manqué à son devoir de coopération. Elle fait observer que les conteneurs utilisés étaient conformes au contrat. De plus, elle nie que la fermeture du site de Hanau puisse constituer un cas de force majeure et que les coûts de retraitement aient été occasionnés dans le cadre de l’exécution du contrat.

 Appréciation du Tribunal

53      Il convient de rappeler que l’interprétation du contrat au regard des dispositions du droit national applicable ne se justifie qu’en cas de doute sur le contenu du contrat ou la signification de certaines de ses clauses (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 12 juillet 2007, Commission/Alexiadou, T‑312/05, non publié au Recueil, points 28 et 29, et du 19 novembre 2008, Commission/Premium, T‑316/06, non publié au Recueil, point 53).

54      Font partie du faisceau d’éléments pertinents à prendre en compte lors de l’interprétation de la disposition en cause, notamment, le libellé de cette disposition, la finalité de cette dernière dans le contexte du contrat, et l’éventualité qu’elle engendre une ambiguïté quelconque dans le cadre du litige (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Lenz sous l’arrêt de la Cour du 8 avril 1992, Commission/Feilhauer, C‑209/90, Rec. p. I‑2622, point 22, et arrêt Commission/Premium, point 53 supra, point 54).

55      Par le premier moyen, la requérante demande, en substance, que la Commission soit condamnée, sur la base de l’article 1er, paragraphe 2, du contrat, à payer les surcoûts qu’elle a dû supporter en vue du retraitement des matériaux fissiles à la suite de leur reprise le 29 avril 2009. Selon elle, ledit article prévoit une obligation de négocier de bonne foi un commun accord. La stipulation « dont les conditions seront définies d’un commun accord » refléterait l’accord entre elle et l’Euratom sur la manière de procéder en cas de changement des circonstances sur lesquelles repose le contrat.

56      Il convient de rappeler que l’article 1er, paragraphe 2, du contrat prévoit que les matériaux fissiles resteront la propriété du contractant, en l’occurrence la requérante, et lui seront restitués après une période d’environ cinq ans ou de toute autre période dont les conditions seront définies d’un commun accord.

57      Il doit être observé que ce n’est pas sans raison que les parties ont prévu une période définie d’environ cinq ans pour le prêt des matériaux fissiles, matériaux contenant du plutonium. En effet, l’augmentation de teneur en américium est un processus naturel dû à la décroissance radioactive (désintégration naturelle) des matériaux fissiles, indépendamment de l’utilisation ou de la non-utilisation desdits matériaux. La hausse de la teneur en américium peut ainsi être calculée à l’avance sur une période de cinq ans. Il est constant entre les parties, qui l’ont d’ailleurs confirmé lors de l’audience, que, à la fin de la période prévue pour le prêt des matériaux fissiles (du 25 novembre 1987 au 25 novembre 1992), le seuil critique de la teneur en américium présent dans lesdits matériaux n’avait pas encore été atteint. Ce n’est qu’en 1995 que la teneur en américium avait atteint un niveau critique méritant probablement un retraitement chimique nécessaire afin de réintroduire les matériaux fissiles dans le cycle de combustion.

58      En outre, il importe de relever que l’utilisation du terme « environ » dans l’article 1er, paragraphe 2, du contrat reflète le souhait exprimé par les parties contractantes d’une certaine flexibilité pour coordonner et organiser la reprise des matériaux fissiles. En effet, étant donné que le plutonium n’est pas un produit quelconque, sa prise en charge relève d’un processus complexe qui implique de nombreuses autorisations administratives ainsi que des questions complexes en termes de transport sécurisé. La restitution des matériaux fissiles exigeait une coopération intensive entre les parties contractantes. Cela explique, ainsi que les parties l’admettent elles-mêmes, la marge de manœuvre prévue dans le contrat.

59      L’article 1er, paragraphe 2, du contrat prévoit aussi la possibilité de restitution en toute conformité avec le contrat après la période initiale d’environ cinq ans.

60      Toutefois, contrairement à ce que fait valoir la requérante, une telle possibilité prévoyant que la fin de la période d’environ cinq ans puisse être remplacée par toute autre période, dont les conditions seraient définies d’un commun accord, est soumise à une condition stricte. Il découle en effet de l’article 1er, paragraphe 2, du contrat, lu en combinaison avec l’article 18, paragraphe 3, dudit contrat, que toute modification du terme du contrat exige un consentement des deux parties à celui-ci, et ce sous forme écrite.

61      Or, il y a lieu de constater que, en l’espèce, les parties n’ont pas prolongé, par accord supplémentaire, la période d’environ cinq ans.

62      Contrairement à ce que prétend la requérante, la conséquence juridique d’un dépassement du délai de cinq ans n’est pas une prolongation automatique du délai de restitution des matériaux fissiles et, partant, une obligation à renégocier les coûts. En effet, un accord de prolongation était la prémisse pour déclencher la clause prévoyant d’arriver à un accord sur les conditions selon lesquelles le prêt aurait lieu pour la nouvelle période à couvrir. Ainsi qu’il a déjà été constaté, les parties n’ont pas modifié la période d’environ cinq ans. En outre, il y a lieu de remarquer que la requérante n’a jamais demandé la renégociation du contrat et n’a évoqué la répercussion des coûts de retraitement sur l’Euratom qu’après avoir dû supporter des surcoûts en vue du retraitement des matériaux fissiles. Or, les contacts antérieurs entre les parties contractantes visaient essentiellement à trouver des solutions pour pallier les difficultés auxquelles la requérante était confrontée du fait de la fermeture de l’usine à Hanau.

63      Pour autant que la requérante se prévale de l’article 315 du BGB, disposition selon laquelle il serait permis au juge d’imposer unilatéralement à une partie des conditions jugées équitables, il suffit de relever que ledit article vise à remédier à une situation où la prestation doit être déterminée par une seule des parties au contrat, et, partant, de façon unilatérale. Tel n’est toutefois pas le cas en l’espèce.

64      Il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté comme étant dénué de fondement.

65      Partant, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les arguments invoqués par la Commission portant sur le retard de la requérante en tant que créancier ou débiteur. En effet, ceux-ci ne sont pas pertinents pour l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2 du contrat et ne sauraient dès lors renverser la conclusion énoncée au point 64 ci-dessus.

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’article 313 du BGB

 Arguments des parties

66      À titre subsidiaire, la requérante invoque l’article 313 du BGB, aux termes duquel elle serait en droit, en tout état de cause, d’être indemnisée. Selon elle, le contrat serait fondé sur l’idée que les matériaux fissiles pouvaient être retournés en toute légalité au site de Hanau, seul site mentionné dans le contrat. Le contrat ayant été conclu à « prix coûtant », il était indispensable que les matériaux soient traités sur ledit site et non ailleurs. Elle soutient, ensuite, que ce fondement a changé de façon substantielle, notamment en raison de la fermeture de l’usine de Hanau et de l’augmentation des coûts de retraitement. En prétendant que les parties n’auraient pas conclu le contrat sous ces conditions, elle avance qu’il serait inéquitable qu’elle seule en subisse les conséquences. Dans ce contexte, elle fait référence aux changements politiques qui ont, selon elle, provoqué la fermeture de l’usine de Hanau, changements qui échappaient à son contrôle, et, par ailleurs, au fait que les coûts de retraitement des matériaux fissiles ont augmenté d’un facteur de 160 par rapport à ceux initialement prévus par le contrat.

67      S’agissant de la décision de fermer l’usine de Hanau, la requérante conteste l’argumentation selon laquelle les décisions prises par le législateur allemand relèvent de sa sphère de risque pour la seule raison qu’elle est soumise au droit allemand. Elle explique que, dans son arrêt du 23 octobre 1952 (NJW 1953, 184), le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a statué que la force majeure constitue un « évènement extérieur, étranger à l’entreprise, causé par les forces naturelles ou un tiers, qui n’aurait pas pu être prévu ni évité et dont les effets n’auraient pas pu être neutralisés par les parties, eu égard à tous les moyens et à toute la prudence économiquement soutenables et qui n’est pas censé être pris en compte par les parties eu égard à sa fréquence ». Or, cette jurisprudence inclurait également les actes imprévus de tiers, y compris ceux du législateur. Elle précise que les surcoûts proviennent essentiellement de la contamination de la matière fissile.

68      La requérante fait valoir, par ailleurs, que la jurisprudence allemande a admis l’adaptation d’un régime contractuel au regard de hausses de coûts nettement plus basses que celles en cause dans le cas d’espèce.

69      La Commission soutient que le moyen est dénué de fondement. Tout d’abord, le retraitement ne ferait pas partie des obligations contractuelles de la requérante. Selon elle, les coûts de retraitement des matériaux fissiles n’auraient jamais été prévus, et toute référence à un élément du contrat calculé sur des coûts de retraitement serait sans pertinence, s’agissant d’une manière de tarifer l’obligation de reprise au moyen d’une somme forfaitaire.

70      De plus, les évènements invoqués par la requérante relèveraient exclusivement de sa sphère de risque. La restitution tardive des matériaux fissiles serait due au fait que la requérante ne se serait pas acquittée de son obligation de reprendre les matériaux. Une situation de retard du débiteur ne permettrait pas l’application de l’article 313 du BGB.

71      La Commission conteste également l’affirmation de la requérante selon laquelle les évènements survenus à l’usine de Hanau constituent un cas de force majeure qui relèvent plus de sa sphère de risque que de celle de la requérante. Elle conteste l’interprétation selon laquelle la restitution des matériaux vers Hanau serait un fondement du contrat et qu’une restitution ne pouvait être établie ailleurs. Elle rappelle que la requérante s’est désistée dans le pourvoi introduit par le Land de Hesse à l’encontre de la décision du Landgericht Wiesbaden d’accueillir le recours en dommages et intérêts introduit par celle-ci à l’occasion de la décision du Land de fermer le site, ce qui montre que la fermeture du site était une décision commerciale de la part de la requérante.

72      Enfin, la Commission soutient que le contrat prévoyait explicitement que la somme convenue couvrait tous les frais supportés par la requérante au titre de l’exécution du contrat, toute modification devant respecter les règles de forme prévues dans le contrat et les règlements financiers. Cela serait étayé par le fait que la requérante aurait déclaré, dans sa lettre du 5 novembre 2004 à l’Euratom, qu’elle prendrait en charge les coûts supplémentaires liés au transport vers La Hague et non plus vers Hanau.

 Appréciation du Tribunal

73      Par le deuxième moyen, la requérante invoque l’article 313 du BGB afin que la Commission soit condamnée à payer les surcoûts qu’elle a dû supporter en vue du retraitement des matériaux fissiles.

74      Il découle de l’article 313 du BGB qu’une adaptation du contrat peut être demandée si quatre critères cumulatifs sont remplis, à savoir que certains éléments sont à la base ou forment le fondement du contrat, que ces éléments ont connu un changement substantiel depuis la conclusion du contrat, que les parties contractantes n’auraient pas conclu ainsi le contrat si elles avaient anticipé ce changement de circonstances et que faire peser sur une seule des parties les conséquences des nouvelles circonstances serait inéquitable ou injuste. En outre, il ressort dudit article qu’il n’est pas applicable si la perturbation résulte d’un risque qu’une partie doit assumer.

75      Il découle également de la jurisprudence allemande que cet article est d’interprétation stricte. Ainsi, il résulte de l’arrêt du Bundesgerichtshof du 23 octobre 1952, mentionné au point 67 ci-dessus, que le fait qu’un incident se produise rarement ne suffit pas à le transformer en cas de force majeure lorsque cet incident ne constitue pas, en lui-même, une situation extraordinaire à cause d’évènements étrangers.

76      En l’espèce, la requérante invoque l’impossibilité de reprise des matériaux au site de Hanau au motif que le contrat avait été conclu sur deux éléments formant le fondement du contrat au sens de l’article 313 du BGB, à savoir, d’une part, que les matériaux fissiles pouvaient être restitués à Hanau et, d’autre part, qu’ils pouvaient y être retraités à un coût d’une hauteur de 886 820,00 DEM, soit le montant fixé pour la préparation des échantillons couvrant les coûts du traitement initial et du traitement ultérieur du plutonium.

77      S’agissant du premier fondement du contrat invoqué par la requérante, il convient de relever que, même si le point 1.2 de l’annexe n° 1 du contrat prévoit un transport de retour des matériaux en cause à « Alkem/Hanau », la requérante ne saurait être exemptée de son obligation contractuelle de reprendre ces matériaux par le simple fait que ceux-ci ne pourraient plus être repris par le centre d’Hanau. La reprise étant une obligation stipulée dans le contrat, celle-ci ne devait pas être forcément liée au site spécifique d’Hanau. En effet, après la décision de la fermeture d’Hanau, la requérante a été immédiatement au courant de ce fait et pouvait donc envisager les implications de celle-ci sur le contrat conclu avec l’Euratom. Ainsi, il lui incombait de communiquer ce fait à l’Euratom afin d’établir le lieu et le moment pour la reprise des matériaux. Comme le fait valoir la Commission, ce qui n’a d’ailleurs pas été contesté par la requérante, que ce soit avant ou après 1995, il y a toujours eu des sites aptes à remplacer celui de Hanau pour le traitement des matériaux fissiles, y compris ceux nécessitant un retraitement avant d’entrer dans le processus de fabrication du mox.

78      S’agissant du second fondement du contrat invoqué par la requérante, à savoir une obligation de retraitement des matières fissiles, il y a lieu de rappeler qu’une telle obligation ne faisait pas partie des obligations contractuelles de la requérante. Partant, ce fondement fait défaut.

79      Plus concrètement, les obligations de chacune des deux parties sont expliquées en détail dans l’annexe nº 1 du contrat. S’agissant des obligations de la requérante, il en découle que celle-ci était chargée de la préparation des matériaux de prêt, de l’organisation du transport desdits matériaux vers le site de l’Euratom à Ispra ainsi que des analyses complémentaires. Elle avait également l’obligation de reprendre tous les matériaux après une période d’environ cinq ans et de rétablir les matériaux dans leur état d’origine, y compris le traitement des déchets provenant des conteneurs contaminés. De même, s’agissant des obligations de l’Euratom, il en ressort que cette dernière était responsable pour le transport de retour de tous les matériaux fissiles vers le site de la requérante, matériaux fissiles devant être en quantité égale et selon les spécifications données au moment de la livraison.

80      Il importe d’observer que le contrat, contrairement à ce que prétend la requérante, ne fait aucune mention de la notion de retraitement des matériaux en cause.

81      À cet égard, comme l’a expliqué la Commission sans avoir été contredite par la requérante, la notion de rétablissement des matières dans leur état d’origine, évoquée au point 1.1, quatrième tiret, de l’annexe nº 1 du contrat, n’est pas assimilable à la notion de retraitement, dès lors que le « retraitement » signifie la séparation chimique et la récupération du plutonium fissile dans le combustible nucléaire irradié, alors que le « rétablissement des matières dans leur état d’origine » signifie que les poudres de PuO2 revenues d’Ispra auraient été intégrées au processus de fabrication du mox.

82      De même, il importe de relever que, s’agissant du fait que le contrat a été conclu à « prix coûtant », la requérante ne saurait en tirer un argument afin de demander une condamnation de la Commission à payer les surcoûts qu’elle a dû supporter en vue du retraitement des matériaux fissiles.

83      Ainsi qu’il résulte de l’article 3, paragraphe 1, du contrat, les seuls coûts prévus par le contrat étaient ceux liés à la préparation des matériaux fissiles, au transport à Ispra et aux analyses complémentaires. Il résulte également du paragraphe 2 de cet article que la somme totale desdits coûts est « fixe et ferme » et réputée couvrir tous les frais supportés par la requérante au titre de l’exécution du contrat.

84      Au demeurant, l’usine d’Alkem à Hanau était une usine de fabrication de mox ne disposant ni de l’équipement ni des autorisations nécessaires pour le retraitement des matières nucléaires. Dès lors, le retraitement des matières nucléaires n’ayant jamais été possible dans l’usine d’Alkem située à Hanau, il n’a en aucune façon pu être envisagé par les parties contractantes lors de la conclusion du contrat.

85      À titre surabondant, il y a lieu de relever que, la requérante étant active et exploitante d’installations dans le secteur nucléaire, secteur caractérisé par des risques conséquents, elle devait être au courant des risques liés à ces activités et aux sensibilités dans l’opinion publique. À cet égard, il importe de rappeler que de vifs débats sur l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques ont eu lieu en Allemagne à la suite de la catastrophe de Tchernobyl en avril 1986, débats que la requérante ne pouvait ignorer. Partant, la fermeture du site de Hanau ne peut pas être considérée comme une situation extraordinaire à cause d’évènements étrangers, le risque pour une telle mesure dans un cas tel qu’en l’espèce ayant aussi été accentué par les fuites de radioactivité constatées dans le site de Hanau en 1991. En conséquence, la fermeture de ce site ne peut être considérée comme un cas de force majeure tel qu’interprété par la jurisprudence allemande.

86      Il découle de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une restitution tardive et non conforme au contrat des matériaux fissiles

87      Dans la réplique, la requérante fait valoir qu’elle a droit à réparation, étant donné que, en premier lieu, l’Euratom avait restitué les matériaux fissiles présentant une qualité non conforme au contrat et, en second lieu, du fait que ladite restitution a été tardive. Selon elle, lesdits matériaux, tels que restitués par la Commission, contiennent, en premier lieu, une teneur excessivement élevée en américium et, en second lieu, sont pollués à cause d’enveloppes de vinyle. Elle soutient, d’une part, que, à cause de ces contaminations, elle n’était plus en mesure de traiter ces matériaux dans le site de Hanau, indépendamment de la fermeture de ce dernier, et, d’autre part, qu’elle a dû supporter des surcoûts en vue du retraitement des matériaux en cause. En outre, la thèse, défendue par la Commission, selon laquelle l’obligation de renégociation, prévue par l’article 1er, paragraphe 2, du contrat, est sans effet aurait pour conséquence que la Commission aurait été en retard depuis 1991 dans son obligation de restituer les matériaux fissiles.

88      La Commission fait valoir que ce moyen est irrecevable, s’agissant d’un moyen nouveau qui ne ressort pas de la requête et qui ne peut être avancé au stade de la réplique. L’argumentation de la requérante afférente aux enveloppes en vinyle serait, de plus, fondée sur des éléments de faits nouveaux, dès lors manifestement irrecevables.

89      Il convient d’observer que ce moyen a été soulevé par la requérante au stade de la réplique, au soutien du premier chef de conclusions.

90      À cet égard, il ressort des dispositions combinées de l’article 44, paragraphe 1, sous c), et de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal que la production de moyens nouveaux postérieurement au dépôt de la requête est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, explicitement ou implicitement, dans la requête et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable (arrêts du Tribunal du 15 octobre 2008, Mote/Parlement, T‑345/05, Rec. p. II‑2849, point 85 ; du 13 juin 2012, Insula/Commission, T‑246/09, non publié au Recueil, point 199, et Insula/Commission, T‑366/09, non publié au Recueil, point 224).

91      Or, d’une part, le moyen invoqué par la requérante au stade de la réplique ne repose pas sur un élément révélé pendant la procédure.

92      D’autre part, le moyen invoqué par la requérante au stade de la réplique ne constitue pas l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, explicitement ou implicitement, dans la requête en présentant à la fois un lien étroit avec celui-ci.

93      Il est certes vrai que, dans la requête, la requérante a fait valoir que les matériaux fissiles avaient été restitués tardivement par la Commission et que cette restitution tardive avait eu pour effet que lesdits matériaux souffraient d’impuretés et d’une haute teneur en américium, ce qui lui avait fait grief.

94      Toutefois, l’argumentation présentée pour la première fois dans la réplique ne se rattache pas étroitement à l’argumentation soutenant les deux moyens invoqués par la requérante dans la requête, qui sont bien distincts, en droit, des branches du moyen invoqué par la requérante au stade de la réplique.

95      En effet, par le premier moyen, la requérante a demandé à ce que la Commission soit condamnée à payer les surcoûts qu’elle a dû supporter en vue du retraitement des matériaux fissiles à la suite de l’échec des négociations entre les parties contractantes d’aboutir à un commun accord concernant les conditions de restitution des matériaux fissiles et, par le deuxième moyen, elle a demandé à condamner la Commission à payer les surcoûts qu’elle a dû supporter en vue du retraitement des matériaux fissiles /étant donné que, dans les circonstances de l’espèce et en vertu du droit allemand, elle était libérée des obligations contractuelles qui lui incombaient et qu’il devait être procédé à une répartition équitable des obligations entre les parties contractantes.

96      Or, par le moyen invoqué au stade de la réplique, la requérante a demandé à être indemnisée en raison de la restitution tardive et non conforme au contrat des matériaux fissiles. Il s’ensuit qu’il n’existe pas de liens étroits entre ce moyen et les deux premiers moyens.

97      De plus, eu égard au fait que le présent moyen reprend, en substance, des arguments tout à fait courants dans le cadre d’un recours introduit en vertu d’une clause compromissoire, il était parfaitement loisible à la requérante de présenter ces moyens dans le cadre de la requête, ce qu’elle n’a pas fait.

98      En conséquence, le troisième moyen, présenté pour la première fois dans la réplique, doit être déclaré irrecevable.

99      Il résulte de tout ce qui précède que le présent recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

100    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Siemens AG est condamnée aux dépens.

Kanninen

Berardis

Wetter

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 juillet 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.