Language of document : ECLI:EU:T:2014:23

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

23 janvier 2014 (*)

« Concurrence – Ententes – Marché du carbure de calcium et du magnésium destinés aux secteurs sidérurgique et gazier dans l’EEE, à l’exception de l’Irlande, de l’Espagne, du Portugal et du Royaume‑Uni – Décision constatant une infraction à l’article 81 CE – Fixation des prix et répartition du marché – Imputabilité du comportement infractionnel – Obligation de motivation – Amendes – Durée de l’infraction – Égalité de traitement – Circonstances atténuantes – Coopération durant la procédure administrative – Responsabilité solidaire pour le paiement de l’amende – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de 2006 »

Dans l’affaire T‑395/09,

Gigaset AG, anciennement Arques Industries AG, établie à Munich (Allemagne), représentée par Mes C. Grave, B. Meyring et A. Scheidtmann, avocats,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. N. von Lingen et R. Sauer, en qualité d’agents, assistés de Me A. Böhlke, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2009) 5791 final de la Commission, du 22 juillet 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.396 − Réactifs à base de carbure de calcium et de magnésium destinés aux secteurs sidérurgique et gazier), en ce qu’elle vise la requérante, ainsi que, à titre subsidiaire, une demande de réduction du montant de l’amende infligée à la requérante par ladite décision,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. O. Czúcz, président, Mme I. Labucka et M. D. Gratsias (rapporteur), juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 mai 2013,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Par sa décision C (2009) 5791 final, du 22 juillet 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.396 − Réactifs à base de carbure de calcium et de magnésium destinés aux secteurs sidérurgique et gazier) (résumé au JO C 301, p. 18, ci‑après la « décision attaquée »), la Commission des Communautés européennes a constaté que les principaux fournisseurs de carbure de calcium et de magnésium destinés aux secteurs sidérurgique et gazier avaient enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE et l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) en participant, du 7 avril 2004 au 16 janvier 2007, à une infraction unique et continue. Celle‑ci se traduisait par un partage de marchés, une fixation de quotas, une répartition des clients, une fixation des prix et un échange d’informations commerciales sensibles concernant les prix, les clients et les volumes de vente dans l’EEE, à l’exception de l’Irlande, de l’Espagne, du Portugal et du Royaume‑Uni.

2        La procédure a été ouverte à la suite d’une demande d’immunité, au sens de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci‑après la « communication sur la clémence de 2002»), déposée le 20 novembre 2006 par Akzo Nobel NV.

3        Par l’article 1er, sous f) de la décision attaquée, la Commission a constaté qu’Arques Industries AG, devenue Gigaset AG, la requérante, avait participé à l’infraction du 30 août 2004 au 16 janvier 2007. En particulier, il ressort du considérant 226 de la décision attaquée que la Commission a considéré que, durant une période qui incluait la période susmentionnée, des employés de SKW Stahl‑Metallurgie GmbH (dénommée, jusqu’en 2005, SKW Stahl‑Technik GmbH & Co. KG, ci‑après « SKW ») avaient été directement impliqués dans les accords et/ou pratiques concertées de l’entente litigieuse. Il ressort des considérants 251 et 252 de la décision attaquée que, du 30 août 2004 au 16 janvier 2007, SKW Stahl‑Metallurgie Holding AG (ci‑après « SKW Holding ») détenait 100 % du capital de SKW et que la requérante détenait, d’abord, du 30 août 2004 au 30 novembre 2006, 100 % du capital de SKW Holding, puis, du 30 novembre 2006 au 16 janvier 2007, plus que 57 % du même capital. Pour les motifs exposés aux considérants 251 à 262 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, pendant la période allant du 30 août 2004 au 16 janvier 2007, la requérante faisait partie de la même unité économique que SKW Holding et SKW et pouvait, dès lors, être tenue pour responsable de l’infraction aux règles de la concurrence dans laquelle s’étaient impliqués des membres de la direction ou du personnel de cette dernière société.

4        Par l’article 2, sous f), de la décision attaquée, la Commission a infligé à la requérante ainsi qu’à SKW et à SKW Holding, du fait de leur participation à l’infraction litigieuse, une amende de 13,3 millions d’euros, en les désignant comme étant solidairement responsables pour le paiement de cette amende. En outre, il ressort des considérants 228 à 244 de la décision attaquée que la Commission a considéré que, durant la période allant du 22 avril au 30 août 2004, pendant laquelle SKW avait également, selon la même décision, participé à l’infraction litigieuse, elle constituait une unité économique avec ses deux sociétés mères de l’époque, à savoir Evonik Degussa GmbH (ci‑après « Degussa ») et AlzChem Hart GmbH (ci‑après « AlzChem »). Ainsi, par l’article 2, sous g), de la décision attaquée, elle a infligé à ces trois sociétés, désignées comme étant toutes solidairement responsables, une amende de 1,04 million d’euros. À cet égard, la note en bas de page n° 681, sous le considérant 361 de la décision attaquée, prévoit ce qui suit :

« Veuillez noter que [SKW] est responsable pour une amende unique et que sa responsabilité conjointe et solidaire cumulative avec d’autres destinataires de la décision n’excède pas [13,3 millions d’euros]. »

 Procédure et conclusions des parties

5        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 octobre 2009, la requérante a introduit le présent recours.

6        Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 30 octobre 2009 et enregistré sous la référence T‑395/09 R, la requérante a également présenté une demande en référé, au sens de l’article 243 CE et des articles 104 et suivants du règlement de procédure du Tribunal. Par ordonnance du président du Tribunal du 30 octobre 2009, Arques Industries/Commission (T‑395/09 R, non publiée au Recueil), adoptée en vertu de l’article 105, paragraphe 2, second alinéa, du règlement de procédure, il a été fait droit à ladite demande, jusqu’à nouvel ordre. Par ordonnance du président du Tribunal du 15 novembre 2010, Arques Industries/Commission (T‑395/09 R, non publiée au Recueil), l’affaire T‑395/09 R a été radiée du registre du Tribunal à la suite du désistement de la requérante de sa demande en référé.

7        La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur initialement désigné a été affecté à la troisième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée. En raison du renouvellement partiel du Tribunal, la présente affaire a été attribuée à un nouveau juge rapporteur, siégeant dans la même chambre.

8        Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 15 juillet 2011, la requérante a informé le Tribunal de la modification de sa raison sociale, devenue Gigaset AG.

9        Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a invité la Commission à répondre à une question et à produire certains documents. La Commission a déféré à ces demandes dans le délai imparti.

10      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 28 mai 2013.

11      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les articles 1er, 2, 3 et 4 de la décision attaquée, en ce qu’ils la concernent ;

–        à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée par l’article 2, sous f), de la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler les articles 1er et 3 de la décision attaquée, pour autant qu’ils la concernent ;

–        condamner la Commission aux dépens.

12      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

13      À l’appui de son recours, la requérante invoque huit moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 81 CE et de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1), en ce que la Commission l’a tenue pour solidairement responsable du comportement infractionnel de SKW, le deuxième, de la violation de l’obligation de motivation, le troisième, d’une erreur de droit en ce que la Commission a conclu à l’existence d’une infraction unique et continue, le quatrième, d’une violation de l’obligation de motivation, s’agissant de la responsabilité solidaire de la requérante, avec SKW, pour le paiement de l’amende, le cinquième, de la violation de l’article 23 du règlement n° 1/2003, le sixième, de la violation du principe d’égalité de traitement, le septième, de la violation de l’article 23 du règlement n° 1/2003, en ce que la Commission n’a pas retenu comme circonstance atténuante à l’égard de la requérante la non-contestation des faits litigieux par celle‑ci et, le huitième, d’une erreur dans l’application de l’article 81 CE et de l’article 7 du règlement n° 1/2003 ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation, résultant des articles 1er et 3 de la décision attaquée. La requérante précise que, de ces huit moyens, les trois premiers sont invoqués à l’appui de son chef de conclusions principal, les quatre suivants à l’appui de son deuxième chef de conclusions, présenté à titre subsidiaire, et, le huitième, à l’appui de son troisième chef de conclusions, également présenté à titre subsidiaire.

14      Il convient d’examiner ensemble les premier et deuxième moyens.

 Sur les premier et deuxième moyens, tirés de la violation, d’une part, de l’article 81 CE et de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003, en ce que la Commission a tenu la requérante pour solidairement responsable du comportement infractionnel de SKW, et, d’autre part, de l’obligation de motivation

15      Ainsi qu’il a été relevé au point 3 ci‑dessus, la Commission a tenu la requérante pour responsable de l’infraction litigieuse du seul fait de la participation à celle‑ci des membres du personnel et de la direction de SKW laquelle, selon la Commission, faisait partie, pendant la période allant du 30 août 2004 au 16 janvier 2007, de la même unité économique que la requérante. Avant de résumer et d’analyser l’argumentation présentée par la requérante à l’appui de ses deux premiers moyens, il convient de rappeler la jurisprudence constante relative à l’attribution, à la société mère, de la responsabilité pour les infractions aux règles de la concurrence commises par ses filiales.

 Rappel de la jurisprudence pertinente

16      Selon une jurisprudence constante, la notion d’entreprise désigne toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (voir arrêt de la Cour du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C‑90/09 P, Rec. p. I‑1, point 34, et la jurisprudence citée).

17      La Cour a également précisé que la notion d’entreprise, placée dans ce contexte, doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (voir arrêt General Química e.a./Commission, point 16 supra, point 35, et la jurisprudence citée).

18      Lorsqu’une telle entité économique enfreint les règles de la concurrence, il lui incombe, selon le principe de la responsabilité personnelle, de répondre de cette infraction (voir arrêt General Química e.a./Commission, point 16 supra, point 36, et la jurisprudence citée). Toutefois, ainsi que l’a également précisé la Cour, l’infraction au droit de la concurrence doit être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger des amendes et la communication des griefs doit être adressée à cette dernière. Il importe également que la communication des griefs indique en quelle qualité une personne juridique se voit reprocher les faits allégués (arrêt de la Cour du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C‑97/08 P, Rec. p. I‑8237, point 57).

19      S’agissant de la question de savoir dans quelles circonstances une personne juridique qui n’est pas l’auteur de l’infraction peut néanmoins être sanctionnée, il résulte d’une jurisprudence constante que le comportement d’une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu’ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l’essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (voir arrêt General Química e.a./Commission, point 16 supra, point 37, et la jurisprudence citée).

20      En effet, dans une telle situation, la société mère et sa filiale faisant partie d’une même unité économique et formant ainsi une seule entreprise au sens de l’article 81 CE, la Commission peut adresser une décision imposant des amendes à la société mère sans qu’il soit requis d’établir l’implication personnelle de cette dernière dans l’infraction (voir arrêt General Química e.a./Commission, point 16 supra, point 38, et la jurisprudence citée).

21      La Cour a également précisé, à cet égard, que, dans le cas particulier où une société mère détient 100 % du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence de l’Union européenne, d’une part, cette société mère peut exercer une influence déterminante sur le comportement de cette filiale et, d’autre part, il existe une présomption réfragable (ci-après la « présomption capitalistique »), selon laquelle ladite société mère exerce effectivement une telle influence. Dans ces conditions, il suffit que la Commission prouve que la totalité du capital d’une filiale est détenue par sa société mère pour présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de cette filiale. La Commission sera en mesure, par la suite, de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser cette présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché (voir arrêt General Química e.a./Commission, point 16 supra, points 39 et 40, et la jurisprudence citée ; arrêts de la Cour du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C‑201/09 P et C‑216/09 P, Rec. p. I‑2239, point 97, et du 3 mai 2012, Legris Industries/Commission, C‑289/11 P, non encore publié au Recueil, point 46).

 Décision attaquée

22      Il ressort du considérant 226 de la décision attaquée que la Commission a tenu SKW pour responsable de l’infraction litigieuse, pour la période allant du 22 avril 2004 au 16 janvier 2007, motif pris de la participation directe de certains membres de son personnel ou de sa direction aux accords et aux pratiques anticoncurrentielles litigieux. S’agissant de la responsabilité de SKW Holding pour l’infraction, la Commission a relevé, au considérant 245 de la décision attaquée, que, durant la période allant du 30 août 2004 au 16 janvier 2007, SKW était une filiale détenue à 100 % de SKW Holding. Pour ces motifs et en application de la jurisprudence rappelée au point 21 ci‑dessus, également rappelée au considérant 206 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, pour la période où SKW Holding détenait l’intégralité du capital de SKW, elle pouvait lui imputer la responsabilité pour le comportement infractionnel de cette dernière (voir également le considérant 227 de la décision attaquée). Indépendamment de cette considération, la Commission a exposé, au considérant 246 de la décision attaquée, certaines circonstances additionnelles lesquelles, selon elle, venaient confirmer la présomption capitalistique et la conclusion qui en découlait, selon laquelle SKW Holding exerçait, durant la période où elle détenait l’intégralité du capital de SKW, une influence déterminante sur le comportement de cette dernière sur le marché, et pouvait, dès lors, être tenue pour responsable de l’infraction commise par sa filiale.

23      Quant à la requérante, la Commission a relevé ce qui suit, aux considérants 251 et 252 de la décision attaquée :

« (251) Entre le 30 août 2004 et le 16 janvier 2007 au moins, [SKW], était détenue directement à 100 % par [SKW Holding]. Cette dernière était détenue à 100 % jusqu’au 30 novembre 2006 par [la requérante]. De ce fait, la Commission peut imputer le comportement d’entente illicite de la filiale à la [requérante] pour la même période.

(252) Néanmoins, et pour la période allant du 30 novembre 2006 au 16 janvier 2007, durant laquelle la [requérante] détenait un peu plus de 57 % des parts […], la Commission dispose de plusieurs éléments qui démontrent l’influence déterminante de la société mère sur la filiale, et prouvent donc qu’elles constituaient une seule et même entreprise :

–        la relation avec la société mère était assurée via [SKW Holding]. Il s’agissait de la holding intermédiaire qui venait d’être créée et mise en place par [la requérante] dans le but de diriger la filiale nouvellement acquise […] ;

–        pour diriger la société de holding intermédiaire, [la requérante] avait désigné comme directeur exécutif une personne de confiance, à savoir l’employé qui était chargé au sein [de la requérante] entre autres de l’acquisition de la filiale […] ;

–        le directeur exécutif de la société de holding intermédiaire transmettait des rapports réguliers à la société mère concernant les performances économiques de la filiale : évolution du chiffre d’affaires et du résultat, prévisions pour le cashflow et les liquidités, planification budgétaire […] ;

–        le directeur exécutif de la société de holding intermédiaire informait [la requérante] au sujet de la progression de la restructuration de la filiale, et, une fois celle‑ci achevée, au sujet de l’évolution future de la filiale, par exemple l’expansion de l’entreprise par l’acquisition de nouvelles sociétés […] ;

–        des documents contemporains démontrent que le directeur exécutif de la société de holding intermédiaire avait besoin de l’approbation du [président directeur général de la requérante] pour les décisions stratégiques qui affectaient directement la rentabilité et la croissance de la filiale […] ;

–        le directeur exécutif de la filiale pouvait contacter directement un membre du conseil d’administration [de la requérante] pour discuter des questions qui touchaient directement les activités de la filiale […] ;

–        lors des rencontres avec des concurrents, le directeur exécutif de la filiale était parfois accompagné par un membre du conseil d’administration [de la requérante] ;

–        le chiffre d’affaires de la filiale a été consolidé dans le chiffre d’affaires [de la requérante] entre le 1er septembre 2004 et le 20 juillet 2007 […], ce qui démontre que les recettes générées par la filiale ont contribué aux données sur les performances économiques de la société mère ;

–        avant la cotation en Bourse de la société de holding intermédiaire, [la requérante] avait renforcé sa supervision en nommant plusieurs membres de la direction exécutive [de la requérante], dont son vice-président, au conseil d’administration de la société de holding intermédiaire […] Ils étaient donc en position de superviser directement la filiale. De plus, la structure de direction passée s’est poursuivie sans interruption […] »

24      Pour une meilleure compréhension de ce passage de la décision attaquée, il convient de préciser que les références à la société mère visent, à l’évidence, la requérante, celles concernant la filiale visent SKW alors que la holding intermédiaire est SKW Holding.

25      Dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante avait contesté les éléments mentionnés au considérant 252 de la décision attaquée. Les arguments qu’elle avait invoqués à cet égard ont été analysés et rejetés par la Commission aux considérants 253 à 262 de la décision attaquée.

 Sur la portée du premier moyen

26      Il convient de constater que, par son argumentation relative au premier moyen avancée dans ses écrits, la requérante n’a remis en question ni la constatation de la décision attaquée (voir point 22 ci‑dessus), selon laquelle durant la période allant du 30 août 2004 au 16 janvier 2007 SKW et SKW Holding faisaient partie de la même unité économique et que, par conséquent, l’infraction commise par certains membres du personnel ou de la direction de la première pouvait également être imputée à la seconde, ni la constatation de la décision attaquée, fondée sur la présomption capitalistique, selon laquelle durant la période allant du 30 août 2004 au 30 novembre 2006 (pendant laquelle la requérante détenait 100 % du capital de SKW Holding), la requérante constituait une unité économique avec SKW Holding. Les arguments avancés par la requérante dans ses écrits à l’appui du premier moyen tendent uniquement à contester l’existence d’une unité économique composée d’elle-même et de SKW Holding postérieurement au 30 novembre 2006 et jusqu’à la fin de l’infraction, à savoir pour la période où la présomption capitalistique ne trouvait plus à s’appliquer à la relation entre la requérante et SKW Holding, dès lors que la première ne détenait plus qu’environ 57 % du capital de la seconde.

27      Invitée, lors de l’audience, à fournir des précisions sur la portée du premier moyen, la requérante a confirmé qu’elle ne mettait pas en cause l’existence d’une unité économique composée d’elle-même et de SKW Holding pour la période antérieure au 30 novembre 2006. S’agissant de l’existence d’une unité économique composée de SKW Holding et de SKW, dont relevaient les personnes physiques impliquées dans l’infraction, la requérante a rappelé que ces deux sociétés ont également formé un recours contre la décision attaquée devant le Tribunal et, dans ce contexte, elles ont, notamment, contesté la conclusion de la Commission, selon laquelle elles formaient une unité économique lors de la période infractionnelle. La requérante a également rappelé qu’elle avait été admise à intervenir dans cette affaire, au soutien des conclusions de SKW et de SKW Holding. Elle a, dès lors, fait valoir que, si le Tribunal devait conclure, dans son arrêt relatif au recours de SKW et de SKW Holding, que l’infraction commise par les membres du personnel ou de la direction de la première ne pouvait pas être imputée à la seconde, il devrait également être tenu compte de cette conclusion dans le cadre de la présente affaire. Ce dernier argument a été contesté par la Commission, qui a soutenu que la requérante aurait dû avancer, dans la requête, une argumentation spécifique pour remettre en cause la conclusion, fondée à suffisance de droit sur la présomption capitalistique, selon laquelle SKW et SKW Holding formaient, lors de la période infractionnelle, une seule unité économique.

28      Sans qu’il soit besoin de trancher ce différend entre les parties, il suffit de relever, en tout état de cause, que par l’arrêt du Tribunal du 23 janvier 2014, SKW Stahl-Metallurgie Holding et SKW Stahl-Metallurgie/Commission (T‑384/09, non encore publié au Recueil), le Tribunal a rejeté dans son intégralité le recours de SKW et de SKW Holding contre la décision attaquée et, dans ce contexte, il a confirmé que ces deux sociétés faisaient partie de la même unité économique durant l’ensemble de la période infractionnelle.

29      Il s’ensuit que la seule question devant être examinée pour répondre au premier moyen est celle de savoir si, du 30 novembre 2006 au 16 janvier 2007, la requérante et SKW Holding formaient une unité économique. En cas de réponse affirmative à cette question et compte tenu du fait que, pendant cette même période, ainsi qu’il a été jugé par le Tribunal dans l’arrêt SKW Stahl-Metallurgie Holding et SKW Stahl-Metallurgie/Commission, point 28 supra, SKW Holding formait une unité économique avec SKW, il conviendra de conclure que l’infraction litigieuse, commise par des membres du personnel ou de la direction de SKW et imputée par la Commission non seulement à cette dernière, mais également à SKW Holding, pouvait aussi être imputée à la requérante.

 Sur l’existence d’une unité économique entre la requérante et SKW Holding

30      Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence mentionnée au point 19 ci‑dessus, afin d’imputer à la société mère le comportement anticoncurrentiel d’une filiale, la Commission ne saurait se contenter de constater que ladite société « pouvait » exercer une influence déterminante sur le comportement de sa filiale sur le marché, sans qu’il soit besoin de vérifier si cette influence avait effectivement été exercée. Au contraire, il lui incombe en principe de démontrer une telle influence déterminante sur la base d’un ensemble d’éléments factuels (voir arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Avebe/Commission, T‑314/01, Rec. p. II‑3085, point 136, et la jurisprudence citée). Ainsi que l’a jugé la Cour dans son arrêt du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission (C‑407/08 P, Rec. p. I‑6375, point 100), afin d’apprécier si une société détermine de façon autonome son comportement sur le marché, il convient de prendre en considération l’ensemble des éléments pertinents relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques existant entre celle‑ci et la société du même groupe qui a été considérée comme responsable pour les agissements dudit groupe, lesquels peuvent varier selon les cas et ne sauraient donc faire l’objet d’une énumération exhaustive.

31      Ce n’est qu’à titre indicatif qu’il peut être mentionné que, dans la jurisprudence, l’analyse de l’existence d’une entité économique unique entre plusieurs sociétés faisant partie d’un groupe a impliqué l’examen de la question de savoir si la société mère avait influencé la politique des prix de sa filiale, les activités de production et de distribution, les objectifs de vente, les marges brutes, les frais de vente, le cash‑flow, les stocks et le marketing (voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T‑112/05, Rec. p. II‑5049, point 64, et la jurisprudence citée).

32      Il convient également de relever que, ainsi qu’il peut être déduit de la jurisprudence mentionnée aux points 19 à 21 ci‑dessus, lorsque les conditions pour l’application de la présomption capitalistique ne sont pas réunies, comme c’est le cas s’agissant de la relation entre la requérante et SKW Holding durant la période allant du 30 novembre 2006 au 16 janvier 2007, c’est à la Commission qu’incombe la charge de la preuve de l’existence d’une unité économique entre deux entités, si elle entend tenir l’une d’entre elles pour responsable d’une infraction dans laquelle l’autre s’est impliquée. Cependant, il convient également de rappeler que les éléments factuels qu’une partie invoque peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication ou une justification, faute de quoi il est permis de conclure qu’il a été satisfait aux règles en matière de charge de la preuve (arrêts de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, points 78 et 79, et du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, Rec. p. I‑5361, point 29).

33      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner si, en l’espèce, c’est à juste titre que la Commission a conclu que, durant la période allant du 30 novembre 2006 au 16 janvier 2007, la requérante et SKW Holding constituaient une unité économique et que, partant, la responsabilité pour l’infraction litigieuse pouvait, pour la même période, être imputée également à la requérante.

34      À cet égard, il y a lieu de relever que, comme il ressort du considérant 29 de la décision attaquée, la Commission a pris en considération, dans sa décision, le fait que la requérante « [était] une entreprise spécialisée dans la restructuration dont la principale activité [était] l’acquisition de sociétés dans des situations particulières ». Cette affirmation est confirmée par la réponse de la requérante à la communication des griefs et, par ailleurs, dans la requête, la requérante a elle-même affirmé qu’elle était « un spécialiste du redressement d’entreprises qui a concentré son activité sur la reprise et la restructuration active d’entreprises en transition ».

35      Dans sa réponse du 11 février 2008 à une demande de renseignements de la Commission, la requérante a donné les précisions suivantes, s’agissant de son activité commerciale :

« Les activités opérationnelles d’Arques Industries AG se limitent au ‘développement stratégique du portefeuille de participations’. L’activité et la chaîne de production de valeur d’Arques Industries AG consistent donc principalement à acquérir des entreprises en transition, et nécessitant d’être assainies, à des prix et des conditions de revient avantageux (secteur d’entreprise : acquisitions), à soutenir et accompagner le développement de ces entreprises par la réalisation du potentiel de développement de la valeur jusqu’au ‘retournement’, pour ainsi donner naissance à une entreprise génératrice de valeur, dont le flux de liquidités est positif, et qui respecte les exigences des marchés (secteur d’entreprise : opérations), afin de céder de nouveau cette entreprise, avec un surcroît de potentiel de croissance et une perspective d’avenir positive (Arques ne finance pas la croissance […]), à un investisseur stratégique ou financier, de manière à bénéficier de l’assainissement par un prix de vente calculé à partir de la rentabilité potentielle future (secteur d’entreprise Exit). Pendant la période de leur appartenance au groupe de sociétés Arques, les filiales d’Arques Industries AG traversent un cycle de vie d’approximativement 3 à 5 ans correspondant à ce qui suit : assainissement – ‘retournement’ – développement d’entreprise – potentiel de croissance. Le ‘développement stratégique du portefeuille de participations’ implique donc d’être constamment à la recherche d’entreprises nécessitant d’être assainies, mais également aptes à être assainies et au fort potentiel, et également de veiller à transmettre constamment des filiales assainies avec succès, afin également de dégager les moyens nécessaires au modèle économique qui, au regard de sa finalité, est exclusivement financé par des fonds propres. »

36      Il est, en outre, constant que SKW Holding a été utilisée par la requérante comme un simple intermédiaire pour l’acquisition de l’intégralité du capital de SKW, qu’elle a rachetée à Degussa. L’affirmation en ce sens figurant au considérant 252, premier tiret, de la décision attaquée s’avère, ainsi, exacte. En effet, la Commission renvoie, à cet égard, en note en bas de page n° 541 de la décision attaquée, notamment à la réponse de la requérante du 11 février 2008, mentionnée au point 35 ci‑dessus. La requérante y a affirmé, en substance, qu’elle avait acquis d’une agence spécialisée dans la création des sociétés commerciales prêtes à l’utilisation l’intégralité du capital de SKW Holding, précisément en vue d’utiliser cette dernière aux fins de l’acquisition de l’intégralité du capital de SKW, qu’elle s’est proposée de racheter (et qu’elle a, par la suite, rachetée) à Degussa.

37      Il convient, de plus, de relever que l’acquisition de SKW par la requérante s’inscrivait dans le cadre de la poursuite de sa stratégie commerciale habituelle, décrite au point 35 ci‑dessus, c’est‑à‑dire que la requérante tenait à restructurer SKW et, une fois la restructuration terminée avec succès, la céder à un prix supérieur à celui d’acquisition, en réalisant, ainsi, un profit. Non seulement la requérante n’a, ni durant la procédure administrative ni devant le Tribunal, affirmé le contraire, mais la Commission a produit, en annexe à son mémoire en défense, un communiqué de presse en date du 20 juillet 2007, diffusé par la requérante à l’occasion de la cession, par celle-ci, de la partie du capital de SKW encore en sa possession, lequel confirme cette thèse. Selon ce communiqué de presse, qui figurait sur le site Internet de la requérante, cette dernière avait repris SKW du groupe Degussa et « après une restructuration radicale et une nouvelle orientation », l’avait placée en Bourse.

38      Force est de constater que les éléments susmentionnés, qui, en définitive, ne font que résumer les propres affirmations de la requérante, plaident en faveur de la thèse de l’exercice d’une influence déterminante par la requérante sur le comportement sur le marché de SKW Holding et, à travers cette dernière, de SKW. En effet, il est difficile de comprendre comment la requérante pouvait réaliser une restructuration et un redressement de SKW sans exercer une influence déterminante sur le comportement de celle‑ci sur le marché et, donc, nécessairement, sur le comportement de SKW Holding, qui détenait l’intégralité du capital de SKW.

39      Il est vrai que, dans la requête, la requérante reprend une affirmation qu’elle avait déjà avancée dans sa réponse à la communication des griefs, selon laquelle, conformément à son « business model », ses filiales « sont elles‑mêmes responsables de leur évolution économique », alors que la requérante se contente « d’observer l’évolution commerciale générale, mais ne dirige pas ». Or, si cette affirmation doit être comprise en ce sens que SKW ou SKW Holding jouissaient d’une autonomie totale dans la gestion de leurs affaires, elle est en contradiction avec les éléments et les considérations mentionnés aux points 34 à 38 ci‑dessus et ne saurait être acceptée.

40      Cette affirmation doit être replacée dans le contexte de l’argumentation de la requérante, selon laquelle, en substance, ni elle‑même ni SKW Holding n’exerçaient une quelconque influence sur les décisions opérationnelles de SKW. Un argument en ce sens avait déjà été avancé par la requérante durant la procédure administrative et il a été résumé par la Commission au considérant 254 de la décision attaquée, puis rejeté pour les motifs exposés au considérant 255 de la même décision. Ces deux considérants sont libellés dans les termes suivants :

« (254) Concernant l’influence de la société mère sur la filiale, [la requérante] distingue entre les décisions opérationnelles, d’une part, et les décisions stratégiques, d’autre part […]. Elle affirme qu’en tant qu’investisseur financier elle n’a jamais pris de décision commerciale dans le domaine du carbure de calcium ou du magnésium, étant donné son manque de savoir-faire et d’expérience en termes d’activités opérationnelles […]

(255) Il est artificiel de séparer les décisions opérationnelles des décisions stratégiques pour une entreprise donnée. Et ce d’autant plus que la conséquence juridique en serait qu’une société mère serait uniquement tenue pour responsable du comportement illégal de sa filiale si elle a influencé les décisions opérationnelles, mais pas si elle a déterminé les décisions stratégiques de l’entreprise sur le marché. La notion d’entité économique unique ne saurait être conciliée avec une telle catégorisation académique des activités commerciales sur le marché. Cette approche ne concorde pas non plus avec la réalité dans le sens où les décisions stratégiques déterminent l’essence même du comportement de l’entreprise sur le marché. Les décisions stratégiques concernent l’évolution générale de la filiale, sa survie ou non sur le marché, l’expansion ou la réduction de ses activités commerciales, la réalisation d’investissement ou d’acquisitions […], ainsi que sa vente […] et le cas échéant à quel prix […] »

41      La requérante réitère, dans la requête, l’argument qu’elle avait avancé durant la procédure administrative et qui a été résumé au considérant 254 de la décision attaquée. D’une part, elle ajoute que la décision quant à l’éventuelle cession de la filiale par la société mère, mentionnée par la Commission à titre d’exemple de décision stratégique, est dépourvue de pertinence s’agissant de la question de l’influence déterminante de la société mère sur sa filiale, dans la mesure où c’est nécessairement la première qui doit prendre une telle décision.

42      D’autre part, elle fait valoir que, dès lors qu’elle nie la pertinence de la distinction entre décisions opérationnelles et stratégiques, la Commission contredit sa propre communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises (JO 2009, C 43, p. 10). Il ressortirait des points 54, 56, 58, 62, 65 à 67, 77, 78 et 80 de cette communication que le fondement du contrôle d’une entreprise réside dans le pouvoir d’arrêter des décisions stratégiques. De plus, les points 81 et 93 de ladite communication démontreraient clairement qu’il est nécessaire de faire la distinction entre l’activité quotidienne d’une entreprise et les décisions stratégiques. Pour la notion de contrôle dans le cadre de l’application du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1), le pouvoir d’arrêter des décisions stratégiques serait suffisant. En revanche, l’existence d’une unité économique entre deux entités, aux fins de l’imputation à l’une d’entre elles de la responsabilité pour une infraction aux règles de la concurrence commise par l’autre, exigerait l’exercice effectif d’une influence déterminante. Quand bien même la requérante aurait effectivement pris des décisions stratégiques à l’égard de SKW, cela ne signifierait pas pour autant qu’elle aurait exercé une influence sur l’activité quotidienne de cette dernière.

43      Cette argumentation de la requérante ne saurait remettre en cause les considérations exposées au considérant 255 de la décision attaquée. S’agissant de l’argument résumé au point 41 ci‑dessus, il suffit de relever que la Commission s’est limitée à faire observer que, parmi les questions liées à l’évolution générale d’une filiale, qui sont susceptibles d’être affectées par les décisions stratégiques arrêtées à l’égard de cette filiale, figure celle d’une éventuelle vente de cette filiale et du prix d’une telle vente. Cette observation est, au demeurant, exacte. Contrairement à ce que semble faire valoir la requérante, cette considération de la Commission ne saurait être comprise en ce sens qu’une société mère exerce une influence déterminante sur sa filiale, du seul fait que la décision relative à une éventuelle cession de la filiale relève nécessairement de la compétence de la société mère.

44      Quant à l’argumentation mentionnée au point 42 ci‑dessus, il convient de relever que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la Commission n’a pas ignoré, au considérant 255 de la décision attaquée, la distinction entre les décisions relatives aux questions opérationnelles et celles relatives aux questions stratégiques. Elle a simplement affirmé, en substance, que le seul fait que la société mère se limite à arrêter des décisions stratégiques à l’égard de sa filiale, sans s’impliquer dans les questions opérationnelles, ne suffit pour exclure ni une influence déterminante de la première sur le comportement de la seconde, ni l’existence d’une unité économique entre elles. Cette affirmation est correcte et n’est pas remise en cause par les arguments de la requérante. Indépendamment même du fait que la communication consolidée sur la compétence de la Commission en vertu du règlement n° 139/2004 concerne l’application de ce dernier règlement et, par conséquent, n’est pas directement pertinente pour la présente affaire, qui concerne l’application du règlement n° 1/2003, il convient de relever que, selon les propres affirmations de la requérante, cette communication admet également la pertinence, pour la question du contrôle d’une entreprise, des décisions stratégiques.

45      Il convient également de relever que, dans son arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission (point 31 supra, points 63 et 64), le Tribunal a expressément rejeté la thèse selon laquelle l’influence déterminante susceptible de justifier l’imputation, à la société mère, de la responsabilité pour l’infraction commise par sa filiale, ne saurait concerner que la politique commerciale stricto sensu de cette filiale, à savoir, par exemple, la stratégie de distribution et des prix. Le Tribunal a, d’ailleurs, relevé que, lors de son appréciation de la question de l’existence d’une unité économique entre deux entités, il devait tenir compte de l’ensemble des éléments qui lui étaient soumis par les parties, dont le caractère et l’importance pouvaient varier selon les caractéristiques propres à chaque cas d’espèce (arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, point 65). Le Tribunal a, en outre, souligné que l’imputation du comportement infractionnel d’une filiale à sa société mère ne nécessitait pas la preuve que la société mère influençait la politique de sa filiale dans le domaine spécifique ayant fait l’objet de l’infraction (arrêt du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, point 31 supra, point 83).

46      La requérante est consciente de la jurisprudence mentionnée au point 45 ci-dessus. Elle soutient, toutefois, que, même s’il peut exister une unité économique entre la société mère et sa filiale permettant une imputation à la première du comportement illicite de la seconde, la Commission devrait également examiner, lorsqu’elle exerçait son pouvoir d’appréciation pour décider si elle agissait aussi contre la société mère, si cette influence était exercée sur l’activité quotidienne de la filiale ou si, comme c’était le cas s’agissant de SKW, la filiale pouvait agir de manière autonome à cet égard. Cet argument est intrinsèquement lié au deuxième moyen et sera examiné avec celui-ci, aux points 89 à 98 ci‑après.

47      Il convient également de relever que le fait, constaté au considérant 252, deuxième tiret, de la décision attaquée, selon lequel la requérante a désigné son collaborateur chargé de l’acquisition de SKW pour diriger la société holding (SKW Holding) utilisée pour son acquisition vient également confirmer la considération exposée au point 38 ci‑dessus, selon laquelle la stratégie commerciale de la requérante et l’objectif que celle-ci entendait poursuivre avec l’acquisition de SKW exigeaient l’exercice d’une influence déterminante sur SKW Holding et, par son biais, sur SKW. Les affirmations de la requérante, selon lesquelles, d’une part, aucun des membres des directions de SKW Holding n’exerçait simultanément des fonctions au sein de la requérante et, d’autre part, il était normal que les actionnaires d’une société décident à la majorité de la composition des organes de direction de cette société, en elles‑mêmes correctes, ne suffisent pas pour remettre en cause cette conclusion.

48      Il convient, aussi, de souligner que, pour conclure dans la décision attaquée à l’existence d’une unité économique entre la requérante et SKW Holding, la Commission ne s’est pas fondée sur de simples déductions, comme celle mentionnée au point 38 ci‑dessus, mais a avancé, au considérant 252 de la décision attaquée, des éléments concrets qui étayaient la thèse de l’exercice d’une influence déterminante, par la requérante, sur le comportement de sa filiale susmentionnée.

49      S’agissant de l’affirmation selon laquelle SKW Holding transmettait à la requérante des rapports réguliers relatifs aux performances économiques de SKW, figurant au considérant 252, troisième tiret, de la décision attaquée, la requérante rappelle que, déjà lors de la procédure administrative, elle avait soutenu que ces informations lui étaient avant tout nécessaires pour satisfaire aux obligations imposées par la réglementation relative aux marchés financiers. La Commission a répondu à cet argument, au considérant 256 de la décision attaquée, dans les termes suivants :

« [L]a Commission considère qu’en tant qu’investisseur financier [la requérante] devait connaître ces données, car elles étaient cruciales pour ses décisions concernant l’avenir de l’entreprise au sein de son groupe et sur le marché. Le rôle vital de ces données pour les décisions stratégiques que prend [la requérante] rejoint les raisons pour lesquelles la Commission n’est pas convaincue que les informations financières étaient transmises à la société mère uniquement au motif d’une obligation légale […], sans aucune valeur économique. »

50      La requérante admet que la connaissance de ces données lui donnait la possibilité de prendre des décisions stratégiques à l’égard de SKW, mais fait valoir que cette connaissance n’était pas, à elle seule, suffisante pour prouver qu’elle avait fait usage de cette possibilité, comme la Commission l’aurait elle‑même admis dans des décisions antérieures. Cette considération serait également valable s’agissant des informations au sujet de la progression de la restructuration de SKW, mentionnées au considérant 252, quatrième tiret, de la décision attaquée.

51      Cette argumentation ne saurait prospérer. Certes, il est généralement connu que les différentes réglementations applicables aux sociétés cotées sur les marchés financiers exigent de celles-ci des rapports réguliers sur certains chiffres clés. Toutefois, la requérante n’a pas donné de précisions quant aux exigences concrètes de cette nature auxquelles elle était soumise. Dans ces conditions, son affirmation, selon laquelle la transmission, par SKW Holding, d’informations sur les performances économiques de SKW avait pour objectif principal le respect de telles exigences réglementaires, n’est pas étayée et ne saurait être acceptée.

52      Par ailleurs, il convient de relever que, si les exigences formelles de rapport des marchés financiers concernent certains chiffres clés d’une société, elles ne portent pas, en principe, sur des questions telles que celle de la progression de la restructuration d’une filiale. Or, ainsi qu’il ressort du considérant 252, quatrième tiret, de la décision attaquée, qui renvoie à cet égard, en note en bas de page n° 544, à la réponse de la requérante du 11 février 2008 à une demande de renseignements de la Commission, la requérante était régulièrement informée, de la part de SKW Holding, des progrès dans la restructuration de SKW et de son évolution future.

53      Ainsi qu’il a déjà été relevé (voir point 39 ci‑dessus), la requérante prétend qu’elle se limitait à observer l’évolution de la situation de SKW, sans la diriger. Cependant, tant dans sa réponse susvisée à la demande de renseignements de la Commission que dans la requête, elle a admis avoir mis à la disposition de SKW Holding un groupe de travail (« task force ») qui aurait pu, à sa demande, la soutenir dans l’exécution de mesures individuelles d’assainissement et de restructuration. Elle précise, toutefois, qu’une intervention de ce groupe n’a, à aucun moment, été nécessaire à l’égard de SKW.

54      Contrairement à ce que fait valoir la requérante, ces affirmations ne démontrent pas seulement qu’elle avait le potentiel d’exercer une influence déterminante sur le comportement de SKW Holding, mais témoignent de l’exercice effectif d’une telle influence. Il ressort, en effet, des considérations exposées aux points 34 à 38 ci‑dessus que, par le rachat à Degussa de l’intégralité du capital de SKW, la requérante poursuivait un objectif déterminé, à savoir mettre en œuvre, s’agissant de cette entreprise, sa stratégie commerciale habituelle. De l’aveu même de la requérante, SKW Holding a été utilisée comme intermédiaire, pour détenir l’intégralité du capital de SKW lors de la phase de sa restructuration. Par ailleurs, la personne responsable, au sein de la requérante, pour l’acquisition de SKW, a été nommée pour diriger SKW Holding. Cette personne faisait régulièrement rapport, au nom de cette dernière société, à la requérante, notamment au sujet de la progression de la restructuration de SKW. Dans l’hypothèse où ces rapports révéleraient une quelconque difficulté dans la mise en œuvre de la stratégie de restructuration, la requérante se tenait prête à intervenir avec la task force chargée de la restructuration. L’ensemble de ces éléments démontrent que la requérante avait mis en œuvre, à travers SKW Holding, une stratégie déterminée de restructuration de SKW et qu’elle suivait de près son exécution, afin d’intervenir à la moindre indication de difficulté dans l’obtention des objectifs, notamment financiers, de cette stratégie. Il s’agit là de l’exercice effectif d’une influence déterminante sur le comportement de SKW Holding, à savoir sur la gestion du seul élément de son actif (SKW, dont SKW Holding détenait l’intégralité du capital).

55      De plus, au considérant 252, cinquième à septième tirets, de la décision attaquée, la Commission a énuméré certains autres éléments qui confirmaient, eux aussi, la thèse d’une influence déterminante de la requérante sur le comportement de SKW Holding. Concrètement, il s’agit du fait que le directeur exécutif de SKW Holding avait besoin de l’approbation de la requérante pour les décisions stratégiques susceptibles d’affecter la rentabilité et la croissance de SKW et du fait que le directeur exécutif de cette dernière société pouvait contacter directement un membre du conseil d’administration de la requérante pour discuter des questions relatives aux activités de SKW ou qu’il était parfois accompagné, lors de rencontres avec des concurrents, par un tel membre. À l’appui de ces affirmations, la Commission a renvoyé, en notes en bas de page nos 545 à 547, à deux courriels du directeur exécutif de SKW, M. L., des 19 juillet et 25 septembre 2005.

56      S’agissant de l’affirmation figurant au considérant 252, cinquième tiret, de la décision attaquée, la requérante fait valoir que la décision stratégique sur laquelle la Commission s’est fondée concernait la cession, de la part de SKW Holding, de l’intégralité du capital de SKW. Cette affirmation fait, à l’évidence, suite aux explications plus détaillées au sujet du courriel du 25 septembre 2005 qu’elle a fournies dans sa réponse à la communication des griefs et selon lesquelles, en substance, ce courriel avait été envoyé par M. L. au directeur d’une société argentine intéressée par l’acquisition de SKW.

57      Il convient de relever que, à propos d’un argument analogue de la requérante, avancé dans sa réponse à la communication des griefs, la Commission a relevé ce qui suit, aux considérants 257 et 258 de la décision attaquée :

« (257) [La requérante] admet que la connaissance des données financières pourrait signifier qu[e la requérante] était au courant des principaux aspects de la politique commerciale de la filiale […]. [La requérante] admet également que son approbation était nécessaire pour vendre la filiale, mais maintient que cela n’a rien à voir avec la rentabilité et la croissance de la filiale […]. Dans ce contexte, la Commission fait remarquer que la décision de vendre la filiale et à quel prix est prise par la société mère, sur la base de la rentabilité actuelle et future de la filiale et de ses perspectives de croissance. Les termes de rentabilité et de croissance ont été utilisés en ce sens.

(258) Le courriel en relation avec la vente de la filiale montre clairement que celle‑ci était en effet limitée dans sa prise de décision […] »

58      À cet égard, il convient de relever que, même à admettre les explications de la requérante, le fait que SKW Holding avait besoin de l’approbation de la requérante pour céder à une société tierce l’intégralité du capital de SKW constitue un élément plaidant en faveur de la thèse selon laquelle la requérante exerçait une influence déterminante sur le comportement de SKW Holding. C’est en ce sens qu’il convient de comprendre les considérations de la décision attaquée citées au point 57 ci-dessus.

59      Par ailleurs, en ce qui concerne l’affirmation figurant au considérant 252, sixième tiret, de la décision attaquée, la requérante fait valoir que le seul fait que le directeur de SKW avait la possibilité de prendre directement contact avec sa propre direction ne donne aucun éclaircissement quant à la question de savoir dans quelle mesure elle a exercé une influence déterminante sur le comportement de SKW, en particulier en ce qui concerne le comportement anticoncurrentiel de celle-ci.

60      À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il est, en l’espèce, question d’une éventuelle influence déterminante de la requérante sur le comportement de SKW Holding. En effet, la Commission n’a pas affirmé, dans la décision attaquée, que la requérante exerçait une influence déterminante directe sur le comportement de SKW sur le marché. Elle a simplement affirmé que SKW Holding exerçait une influence déterminante sur le comportement de SKW, alors que la requérante exerçait une influence déterminante sur le comportement de SKW Holding, de sorte qu’il puisse être conclu que ces trois sociétés faisaient partie de la même unité économique et pouvaient toutes être tenues pour responsables du comportement anticoncurrentiel des membres de la direction ou du personnel de SKW. Pour sa part, la requérante conteste seulement la constatation selon laquelle elle a exercé une influence déterminante sur le comportement de SKW Holding, et ce uniquement pour une partie de la période infractionnelle, comprise entre le 30 novembre 2006 et le 16 janvier 2007 (voir également points 26 à 29 ci‑dessus).

61      À la lumière de ces précisions, il convient de conclure que le fait mentionné au considérant 252, sixième tiret, de la décision attaquée, dont l’exactitude matérielle n’est pas contestée par la requérante, constitue effectivement un élément plaidant en faveur de la thèse selon laquelle elle exerçait une influence déterminante sur le comportement de SKW Holding. En effet, si la requérante s’abstenait de toute influence sur la gestion, par SKW Holding, de sa filiale SKW, il est impossible de comprendre à quoi pouvaient servir des contacts directs entre le directeur de cette dernière et un membre de la direction de la requérante.

62      S’agissant, en outre, de l’affirmation de la requérante, selon laquelle le fait mentionné au considérant 252, sixième tiret, de la décision attaquée, ne démontre pas une influence déterminante, de sa part, sur le comportement anticoncurrentiel de SKW, il suffit de relever que, comme le relève à juste titre le considérant 253 de la décision attaquée qui renvoie au considérant 224 de la même décision, la Commission ne lui a jamais reproché d’avoir eu connaissance de l’infraction à travers les membres de son personnel ou de sa direction, voire de l’avoir incitée, mais l’a tenue pour responsable de celle-ci au motif qu’elle faisait partie de la même unité économique que SKW, dont des membres du personnel et de la direction étaient directement impliqués dans l’infraction.

63      La considération exposée au point 62 ci-dessus justifie également le rejet de l’argument avancé par la requérante en relation avec la constatation, figurant au considérant 252, septième tiret, de la décision attaquée. La requérante explique, à cet égard, que cette constatation est fondée sur le courriel du 19 juillet 2005, auquel renvoie la Commission en note en bas de page n° 547 de la décision attaquée. Ce courriel concernerait une réunion tenue à Vienne (Autriche) le 25 juillet 2005 laquelle ne serait pas mentionnée parmi les réunions anticoncurrentielles énumérées dans la décision attaquée.

64      En effet, il convient de relever que l’importance de la constatation figurant au considérant 252, septième tiret, de la décision attaquée est indépendante de l’objectif de la réunion en question et réside dans le fait que le directeur de SKW était accompagné d’un membre de la direction de la requérante. Ce fait est incompatible avec la thèse de l’absence d’influence déterminante de la requérante sur le comportement de SKW Holding. Il est clair que si cette thèse était fondée, les membres de la direction de la requérante n’auraient aucune raison d’accompagner le directeur de SKW, dont le capital était détenu par SKW Holding, lors des réunions avec des concurrents.

65      La requérante fait également valoir, à l’égard des trois constatations figurant au considérant 252, cinquième à septième tirets, de la décision attaquée, que les courriels des 19 juillet et 25 septembre 2005 ne sont pas aptes à démontrer qu’elle a exercé une influence déterminante sur le comportement de SKW Holding durant la période allant du 30 novembre 2006 au 16 janvier 2007. Ces courriels ne seraient pas, à l’évidence, des « documents contemporains », aux termes du cinquième tiret dudit considérant. La requérante reproche, sur cette base, à la Commission, une appréciation manifestement erronée des éléments de preuve en question.

66      La remarque de la requérante selon laquelle ces deux courriels sont antérieurs à la période susmentionnée est, de toute évidence, exacte. S’agissant de la référence, au considérant 252, cinquième tiret, de la décision attaquée, à des « documents contemporains », il y a lieu de relever qu’il existe une certaine ambiguïté, dans la décision attaquée, s’agissant de la question de savoir si les éléments mentionnés audit considérant concernent l’ensemble de la période pour laquelle la requérante a été tenue pour responsable pour l’infraction litigieuse, ou uniquement la période allant du 30 novembre 2006 au 16 janvier 2007.

67      Toutefois, il convient de relever que le seul fait que les éléments sur lesquels se fondent les constatations figurant au considérant 252, cinquième à septième tirets, de la décision attaquée sont antérieurs à cette dernière période ne suffit pas pour écarter la pertinence de ces constatations, également pour cette période. Dans les affaires concernant des infractions aux règles de la concurrence, la prise en compte des éléments antérieurs à la période pertinente n’est pas exclue, dans la mesure où de tels éléments peuvent, notamment, servir à construire une image globale de la situation et corroborer l’interprétation des autres preuves (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, non publié au Recueil, point 428). De plus, il ressort de la jurisprudence citée au point 32 ci‑dessus que certains éléments invoqués par l’une des parties au litige, même antérieurs à la période pertinente, peuvent être de nature à obliger l’autre partie à fournir une explication, faute de quoi il est permis de conclure qu’il a été satisfait aux règles en matière de charge de la preuve.

68      En l’occurrence, pour les motifs déjà indiqués, les éléments ressortant des courriels des 19 juillet et 25 septembre 2005 donnent une image de l’organisation des relations entre SKW, SKW Holding et la requérante, laquelle n’est compatible qu’avec l’exercice d’une influence déterminante par la dernière sur le comportement de la deuxième. Dans la mesure où la requérante soutient qu’une telle influence déterminante n’était plus exercée après le 30 novembre 2006, elle devait fournir un exposé, étayé de preuves pertinentes, des modifications intervenues, après cette date, dans les relations entre ces trois sociétés, de manière à démontrer que les éléments mentionnés au considérant 252, cinquième à septième tirets, n’étaient plus d’actualité. Or, aucune explication à cet égard n’a été fournie par la requérante ni lors de la période administrative ni même dans la requête. La seule modification dont la requérante a fait état est la transformation de SKW Holding en une société anonyme (Aktiengesellschaft ou AG), intervenue le 26 mai 2006, à savoir antérieurement au 30 novembre 2006. Du reste, la requérante n’a fait état d’aucune modification concrète, après le 30 novembre 2006 et jusqu’à la fin de la période infractionnelle, dans les relations entre les trois sociétés susmentionnées. Il ne ressort pas non plus des éléments versés au dossier qu’une telle modification soit intervenue.

69      Faute d’arguments et de preuves en sens contraire, il est permis de considérer, ainsi que l’a, à l’évidence, fait la Commission dans la décision attaquée, que l’exigence d’approbation, par la requérante, des décisions stratégiques de SKW Holding afférentes à SKW et la possibilité, pour le directeur de cette dernière, de contacter directement un membre du conseil d’administration de la requérante ou d’être accompagné par un tel membre lors de rencontres avec des concurrentes ont persisté même après le 30 novembre 2006.

70      Il convient, à cet égard, de rappeler qu’il est constant que, après cette date et jusqu’à la fin de la période infractionnelle, la requérante détenait environ 57 % des actions de SKW Holding, alors que le reste du capital de cette société, cotée en Bourse, était, précisément pour cette raison, très dispersé. Or, la détention, par une personne physique ou morale, d’une majorité absolue des actions d’une société cotée en Bourse ouvre à cette personne de grandes possibilités d’influence et de contrôle du comportement de cette société. Compte tenu de cette considération et dès lors que la requérante ne conteste pas, devant le Tribunal, qu’elle exerçait une influence déterminante sur le comportement de SKW Holding antérieurement au 30 novembre 2006, elle devait expliquer, eu égard également à la jurisprudence citée au point 32 ci‑dessus, quelles étaient les mesures précises arrêtées après cette date qui ont mis fin à son influence déterminante sur SKW Holding. Une telle explication est d’autant plus nécessaire qu’il ressort des considérations exposées au point 37 ci‑dessus que, même après le 30 novembre 2006 et la cession, à la suite de la cotation en Bourse des actions de SKW Holding, d’une minorité du capital de cette société, la requérante souhaitait céder le reste du capital de cette société, comme elle l’a, effectivement, fait, peu après la fin de la période infractionnelle. La requérante avait, donc, tout intérêt à continuer, même après le 30 novembre 2006, d’exercer une influence déterminante sur le comportement de SKW, pour s’assurer que celle-ci ne divergerait pas de la stratégie de restructuration et de revalorisation suivie auparavant, laquelle avait déjà porté ses fruits.

71      Au regard de l’ensemble de ces considérations, il ne saurait être fait grief à la Commission d’avoir pris en compte, comme indications de l’exercice, par la requérante, postérieurement au 30 novembre 2006, d’une influence déterminante sur le comportement de SKW Holding, les éléments mentionnés au considérant 252, cinquième à septième tirets, de la décision attaquée, quand bien même ils ressortiraient des éléments de preuve antérieurs à cette dernière date. Par ailleurs, il ressort des mêmes considérations que les conclusions que la Commission a tirées des courriels des 19 juillet et 25 septembre 2005, mentionnés au point 55 ci‑dessus, telles qu’elles figurent au considérant 252, cinquième à septième tirets, et notes en bas de page nos 545 à 547 de la décision attaquée, ne sont entachées d’aucune erreur.

72      La requérante fait également valoir que c’est à tort que la Commission a pris en considération, comme élément susceptible de confirmer son influence déterminante sur le comportement de SKW Holding, le fait, mentionné au considérant 252, huitième tiret, de la décision attaquée, que le chiffre d’affaires de SKW avait été consolidé dans son propre chiffre d’affaires. Elle soutient que cette consolidation répondait aux normes internationales d’informations financières et ne constitue, tout au plus, qu’un indice de la possibilité d’influence déterminante de la société mère sur sa filiale, sans pouvoir confirmer l’exercice effectif d’une telle influence.

73      À cet égard, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si la consolidation, dans le chiffre d’affaires de la requérante, de celui de SKW, serait, à elle seule, suffisant pour conclure qu’elle exerçait une influence déterminante sur le comportement de SKW Holding, détentrice de l’intégralité du capital de SKW, elle constitue certainement un élément qui, pris avec les autres éléments allant dans le même sens mentionnés au considérant 252 de la décision attaquée, peut servir à corroborer cette conclusion, et ce quand bien même cette consolidation résulterait, comme le fait valoir la requérante, de l’application des normes internationales en la matière généralement acceptées. C’est, en substance, pour ce même motif que la Commission a, à juste titre, rejeté, au considérant 260 de la décision attaquée, un argument analogue que la requérante avait avancé dans sa réponse à la communication des griefs.

74      Enfin, la requérante conteste l’affirmation figurant au considérant 252, neuvième et dernier tiret, de la décision attaquée, selon laquelle, avant la cotation en Bourse de SKW Holding, elle avait renforcé sa supervision sur cette dernière société, en nommant plusieurs membres de sa direction exécutive à des postes au sein de la direction de SKW Holding.

75      La requérante invoque le fait que, depuis le 26 mai 2006, SKW Holding est une société anonyme. Elle fait d’emblée observer que la référence, au considérant 252, dernier tiret, de la décision attaquée, au « conseil d’administration » de SKW Holding est erronée et précise que les personnes visées dans ce tiret avaient été nommées au conseil de surveillance de SKW Holding. Elle soutient, en faisant référence aux dispositions pertinentes du droit allemand, que la direction d’une société anonyme est appelée à diriger la société sous sa propre responsabilité, agissant de manière autonome et suivant son libre pouvoir d’appréciation. Le conseil de surveillance ne devrait pas intervenir dans la gestion de la société et devrait se limiter à la surveillance de la gestion entreprise par la direction. Certes, il serait possible de prévoir que certains types de transactions commerciales ne pourraient être entrepris qu’avec l’autorisation préalable du conseil de surveillance ou, à défaut d’autorisation de ce dernier, de l’assemblée générale de la société. Toutefois, le conseil de surveillance ne disposerait d’aucune possibilité d’imposer de manière positive une décision sur la direction de la société. Quant à l’assemblée générale de la société, ses résolutions portant sur des questions relatives à la gestion ne seraient obligatoires pour la direction que si elles avaient été adoptées à la demande de cette dernière. Des exceptions s’appliqueraient aux sociétés « contrôlées » ou « intégrées », au sens des dispositions allemandes pertinentes. Toutefois, SKW Holding ne répondrait, à aucun moment de la période infractionnelle, à la définition d’une telle société.

76      À titre liminaire, il y a lieu de relever que c’est à juste titre que la requérante fait valoir que des membres de sa direction ont été nommés membres du conseil de surveillance, et non du conseil d’administration, de SKW Holding. Le considérant 252, dernier tiret, de la décision attaquée renvoie, à cet égard, en note en bas de page n° 549, à la réponse de SKW à une demande de renseignements de la Commission. Or, il ressort de ce document que deux membres de la direction de la requérante, MM. Z. et V., faisaient partie du conseil de surveillance de SKW Holding, depuis sa transformation en société anonyme. Les noms des membres du conseil d’administration de cette dernière société figurent également dans le même document et ne comprennent aucun membre de la direction de la requérante. Il ressort de ces éléments et la Commission l’a, d’ailleurs, admis lors de l’audience, que la référence, au considérant 252, dernier tiret, de la décision attaquée, au conseil d’administration de SKW Holding, résulte d’une erreur matérielle et doit être comprise, comme elle a, d’ailleurs, été comprise par la requérante, comme visant le conseil de surveillance de cette société. Les éventuelles conséquences de cette erreur matérielle seront examinées au point 87 ci‑après.

77      Ensuite, il convient de relever que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante avait avancé une argumentation analogue à celle résumée au point 75 ci‑dessus. Elle a été rejetée par la Commission, aux considérants 261 et 262 de la décision attaquée, lesquels sont ainsi libellés :

« (261) [La requérante] indique que le changement de statut de l’entreprise (d’une [société à responsabilité limitée] à une [société anonyme]) signifie automatiquement qu’elle ne pouvait plus influencer le comportement commercial de la filiale […]. Cet argument n’est pas convaincant, étant donné que le modèle commercial [de la requérante] en tant qu’investisseur financier est resté inchangé.

(262) Sur la base de la situation décrite au considérant (252), la Commission soutient [que la requérante] avait en tête les intérêts du groupe lorsqu’elle a pris les décisions concernant sa filiale, par opposition à l’argument selon lequel celle-ci était totalement indépendante […]. Ainsi, dans le sens de la jurisprudence […], la Commission maintient que la requérante n’a pas cité de preuves réfutant la présomption selon laquelle elle aurait effectivement exercé une influence déterminante sur SKW […]. Par conséquent, [la requérante] peut être tenue pour responsable du comportement illégal de SKW […] et la décision est également adressée à [la requérante]. »

78      Pour contester ces considérations, tout d’abord, la requérante allègue, que son modèle commercial s’oppose à une intervention dirigiste dans l’activité d’une filiale. Toutefois, les considérations exposées aux points 37, 47 et 54 ci‑dessus permettent d’écarter cet argument.

79      Ensuite, la requérante invoque l’arrêt Avebe/Commission (point 30 supra, point 136) selon lequel l’éventuel pouvoir d’instruction dont une société mère dispose à l’égard de sa filiale constitue un élément pertinent à prendre en considération pour démontrer une influence déterminante exercée sur cette filiale. Selon la requérante, il s’ensuit que l’absence d’un tel pouvoir prouve que l’exercice d’une telle influence est impossible. L’absence de prise en considération, au profit d’une société mère, de l’impossibilité en droit de donner des instructions contraignantes à sa filiale serait contradictoire avec la prise en considération, à la charge d’une telle société, du pouvoir d’instruction dont elle dispose à l’égard de sa filiale.

80      Ces arguments ne sauraient prospérer.

81      Premièrement, il ne ressort pas de la jurisprudence que la notion de « pouvoir de direction » d’une société commerciale par rapport à une autre présuppose nécessairement la possibilité, pour la première société, d’adresser à la seconde des instructions juridiquement contraignantes. Il est, certes, vrai que l’arrêt Avebe/Commission (point 30 supra) se réfère, aux points 137 à 138, à un pouvoir de direction résultant d’un contrat d’entreprise, dont il peut être présumé qu’il présentait un caractère juridiquement contraignant. Cependant, le point 136 de ce même arrêt, auquel renvoie la requérante dans son argumentation, cite, à l’appui de la phrase invoquée par la requérante, les arrêts de la Cour du 2 octobre 2003, Aristrain/Commission (C‑196/99 P, Rec. p. I‑11005, points 95 à 99) et du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission (C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P, C‑208/02 P et C‑213/02 P, Rec. p. I‑5425, points 118 à 122), ainsi que l’arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, HFB e.a./Commission (T‑9/99, Rec. p. II‑1487, point 527). Or, dans aucun de ces arrêts il n’était question d’instructions juridiquement contraignantes qu’une société avait la possibilité d’adresser à une autre. Les arrêts Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 120, et HFB e.a./Commission, précité, point 527, font référence à la détention, par la même personne, de fonctions clés au sein des organes de gestion de plusieurs sociétés et au fait qu’elle les représentait lors de certaines réunions. Pour sa part, l’arrêt Aristrain/Commission, précité, point 97, fait référence au « pouvoir de direction » d’une société à l’égard d’une autre, sans donner plus de précisions, ce qui est compréhensible dès lors que la Cour a considéré qu’il n’avait pas été établi que la requérante dans cette affaire disposait d’un tel pouvoir à l’égard d’une autre société.

82      Il convient, dès lors, de conclure qu’il peut être question d’un « pouvoir de direction » d’une société commerciale à l’égard d’une autre, au sens de cette jurisprudence, non seulement dans l’hypothèse où les éventuelles instructions, adressées par la première société à la seconde, présentent, pour cette dernière, un caractère juridiquement contraignant, mais également lorsque, en raison des liens personnels, économiques ou organisationnels qui unissent les deux sociétés, la seconde d’entre elles suit généralement les instructions de la première, quand bien même elle ne serait pas juridiquement contrainte de le faire. Ce dernier cas paraît d’autant plus probable lorsque, comme en l’occurrence, la première société dispose de la majorité des actions de la seconde et est en droit de nommer sa direction et, le cas échéant, de la remplacer.

83      Deuxièmement, un éventuel pouvoir de direction d’une société à l’égard d’une autre constitue, certes, un élément de nature à démontrer l’exercice d’une influence déterminante de la première sur le comportement de la seconde. Toutefois, comme le confirme, d’ailleurs, l’arrêt Avebe/Commission (point 30 supra, point 136), invoqué par la requérante, il ne s’agit pas du seul élément dont il convient de tenir compte dans ce contexte. En effet, comme il a été souligné au point 30 ci‑dessus, il convient de prendre en considération, dans ce contexte, l’ensemble des éléments factuels disponibles. Pour ce motif, l’argument de la requérante, résumé au point 79 ci‑dessus, selon lequel, en substance, s’il est démontré qu’une société ne dispose pas, à l’égard d’une autre, du pouvoir de lui donner des instructions, toute influence déterminante de la première sur le comportement de la seconde est, par définition, exclue, ne saurait être accepté.

84      Troisièmement, les explications que la requérante fournit au sujet des dispositions du droit allemand relatives aux pouvoirs respectifs de la direction d’une société anonyme et de son conseil de surveillance, résumées au point 75 ci‑dessus, ne démontrent aucunement qu’elle a été privée de toute possibilité d’influence sur le comportement de sa filiale SKW Holding, à partir de la date de sa transformation en société anonyme. En effet, la requérante admet elle‑même que l’autorisation du conseil de surveillance ou de l’assemblée générale des actionnaires, dans laquelle la requérante disposait de la majorité des votes, peut constituer un préalable nécessaire avant que la direction d’une société anonyme ne puisse entreprendre certaines démarches.

85      De plus, il convient de relever qu’il ressort du document mentionné au point 76 ci‑dessus que le conseil de surveillance de SKW Holding ne comptait, au total, que trois membres dont deux, ainsi qu’il a déjà été relevé, étaient en même temps membres de la direction de la requérante. À l’époque où ce conseil a été nommé, la requérante était seule responsable de sa composition, dès lors qu’elle détenait encore la totalité du capital de SKW Holding. La décision de la requérante de nommer à la majorité des postes du conseil de surveillance de SKW Holding des membres de sa propre direction vient s’ajouter à sa décision antérieure de nommer à la direction de SKW Holding le membre de son propre personnel qui était responsable pour l’acquisition de SKW (voir point 47 ci‑dessus). Par ailleurs, lorsque cette dernière personne avait dû partir en congé de maternité, la requérante, de son propre aveu, avait suggéré au conseil de surveillance de SKW Holding de nommer comme membre additionnel de sa direction M. F., un consultant engagé par la requérante pour le projet d’introduction en Bourse de SKW, afin d’assurer l’intérim.

86      Tenant compte de ces éléments et de l’absence d’explication alternative, avancée par la requérante, pour sa décision de nommer à la majorité des postes du conseil de surveillance de SKW Holding des membres de sa propre direction, il convient de relever que ces éléments témoignent tous de l’exercice, par la requérante, d’une influence déterminante sur le comportement de sa filiale SKW Holding, même pendant la période, postérieure au 30 novembre 2006, où la requérante ne détenait qu’une majorité du capital de celle‑ci. C’est, donc, à juste titre que la Commission les a pris en considération dans la décision attaquée.

87      En outre, au regard des mêmes considérations, il convient de conclure que l’erreur matérielle que constitue la référence erronée, au considérant 252, dernier tiret, de la décision attaquée, au « conseil d’administration » de SKW Holding n’est pas suffisante pour mettre en cause la validité du raisonnement de la Commission. Bien que cette référence doive être comprise, comme elle l’a effectivement été par la requérante, comme faisant référence au conseil de surveillance de SKW Holding, elle demeure pertinente pour la question analysée par la Commission.

88      Au regard de l’ensemble des considérations exposées ci‑dessus, il convient de conclure que c’est à bon droit que la Commission a conclu, dans la décision attaquée, que la requérante exerçait une influence déterminante sur le comportement de sa filiale SKW Holding même après le 30 novembre 2006 et jusqu’à la fin de la période infractionnelle et qu’elle pouvait, dès lors, être tenue pour responsable de l’infraction litigieuse également pour cette période. Aucun des arguments et des éléments invoqués par la requérante ne permet de remettre en cause cette conclusion.

 Sur la décision de la Commission d’imputer à la requérante le comportement infractionnel de sa filiale

89      Ainsi qu’il a déjà été relevé au point 46 ci‑dessus, dans le cadre de son premier moyen, la requérante soutient, notamment, que la Commission, lorsqu’elle décide s’il y a lieu d’imputer à la société mère le comportement illégal de la filiale, doit tenir compte de la question de savoir si l’influence déterminante de la première sur le comportement de la seconde concerne son activité quotidienne.

90      En outre, par le deuxième moyen, la requérante invoque une violation de l’obligation de motivation. S’appuyant, notamment, sur l’arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90 (Rec. p. I‑5469, point 14), elle fait valoir que le contenu et l’étendue de la motivation font l’objet d’exigences particulièrement élevées lorsque la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation. La requérante admet que, en l’espèce, aux considérants 251 à 261 de la décision attaquée, la Commission a indiqué les raisons pour lesquelles elle considérait qu’il existait bien une unité économique entre elle-même et SKW. En revanche, toute motivation concernant le choix de la Commission d’exercer son pouvoir d’appréciation dans le sens de l’imposition d’une amende également à la requérante ferait défaut dans la décision attaquée. Or, il résulterait de la jurisprudence qu’une motivation détaillée de ce choix était nécessaire, compte tenu de l’affectation particulière des droits de la requérante, résultant de l’amende qu’elle s’est vu infliger.

91      La requérante considère que sa thèse trouve un appui dans le point 59 de l’arrêt du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission (point 18 supra), selon lequel « le fait qu’une société mère et sa filiale constituent une seule entreprise […] permet à la Commission d’adresser une décision imposant des amendes à la société mère ». La requérante attache une importance particulière à l’utilisation du verbe « permet ». Elle soutient, en outre, que la Commission a elle‑même reconnu l’existence d’un pouvoir d’appréciation en la matière, au considérant 262 de la décision attaquée, selon lequel la requérante « peut être tenue pour responsable du comportement illégal de SKW ». Il en ressortirait que, dans le cas de l’existence d’une unité économique entre une société mère et sa filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence, la Commission peut librement apprécier s’il convient d’adresser sa décision sanctionnant l’infraction à la seule filiale ou si cette décision doit également être adressée à la société mère.

92      Il y a lieu de relever qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 16 à 21 ci‑dessus que la Commission ne peut sanctionner la société mère d’une filiale ayant commis une infraction aux règles de la concurrence que si elle dispose d’éléments suffisants lui permettant de démontrer, le cas échéant en faisant application de la présomption capitalistique, que les deux sociétés font partie de la même unité économique. À cet égard, dans son arrêt du 24 septembre 2009, Erste Group Bank e.a./Commission (C‑125/07 P, C‑133/07 P, C‑135/07 P et C‑137/07 P, Rec. p. I‑8681, point 82), la Cour a considéré que la Commission ne saurait, par principe, être tenue de vérifier, dans un premier temps, si les conditions pour imputer l’infraction à la société mère de l’entreprise ayant commis l’infraction en cause sont remplies avant de pouvoir envisager de se tourner contre l’entreprise, auteur de l’infraction. Elle a, ainsi, conclu qu’il était loisible à la Commission d’envisager d’abord de sanctionner cette dernière entreprise, avant d’explorer si, éventuellement, l’infraction pouvait être imputée à sa société mère de l’époque des faits litigieux. Elle a ajouté que, s’il en était autrement, les enquêtes de la Commission pourraient être considérablement alourdies par la nécessité de vérifier dans quelle mesure les agissements d’une société pouvaient être imputés à sa société mère à l’époque de l’infraction.

93      Par ailleurs, le principe d’égalité de traitement requiert que, lorsque la Commission adopte une méthode pour déterminer s’il y a lieu de retenir la responsabilité des sociétés mères dont les filiales ont participé à une même entente, elle doit, sauf circonstances particulières, se fonder sur les mêmes critères dans le cas de toutes ces sociétés mères (arrêt de la Cour du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission, C‑628/10 P et C‑14/11 P, non encore publié au Recueil, points 57 à 61).

94      En ce qui concerne le respect de l’obligation de motivation, il ressort d’une jurisprudence constante que, à l’égard d’une société mère tenue pour responsable du comportement infractionnel de sa filiale, une décision d’application des règles de l’Union en matière de droit de la concurrence doit contenir un exposé circonstancié des motifs de nature à justifier l’imputabilité de l’infraction à cette société (arrêts de la Cour du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, Rec. p. I‑8947, point 152, et Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission, point 93 supra, point 75).

95      Il s’ensuit que, lorsque la Commission a pu rassembler des éléments suffisants, au regard de la méthode et des critères qu’elle a retenus à ces fins dans le respect du principe d’égalité de traitement, lui permettant de conclure qu’une société mère et sa filiale personnellement impliquée dans une infraction aux règles de la concurrence constituaient, au moment de cette infraction, une unité économique au sens de la jurisprudence citée aux points 16 à 21 ci‑dessus, elle expose, dans le respect de la jurisprudence citée au point 94 ci-dessus, les éléments en question dans sa décision infligeant une sanction également à la société mère, sans qu’il puisse lui être reproché d’avoir violé le droit de l’Union ou l’obligation de motivation.

96      Dans ce cas, la Commission n’est ni obligée de tenir compte du fait que l’influence déterminante de la société mère sur la filiale ne concernait pas l’activité quotidienne de cette dernière, ni de fournir une motivation spécifique, telle que celle envisagée par la requérante dans son argumentation résumée au point 90 ci‑dessus.

97      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le grief avancé par la requérante dans le cadre de son premier moyen, résumé aux points 46 et 89 ci‑dessus, ne saurait prospérer. Par conséquent, tous les autres griefs avancés dans le cadre du premier moyen devant également être rejetés pour les motifs déjà exposés, il convient de rejeter ce moyen dans son intégralité.

98      Il en va de même du deuxième moyen. Dès lors que, en l’espèce, une motivation telle que celle exigée par la jurisprudence mentionnée au point 94 ci‑dessus figure dans la décision attaquée, ce que la requérante ne conteste, d’ailleurs, pas, il doit être conclu que cette décision comporte, à son égard, une motivation suffisante et conforme aux exigences de l’article 253 CE et de la jurisprudence (voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 juillet 2011, ENI/Commission, T‑39/07, Rec. p. II‑4457, point 65).

 Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit en ce que la Commission a conclu à l’existence d’une infraction unique et continue

99      Par le troisième moyen, la requérante fait valoir que la conclusion de la Commission, selon laquelle les accords conclus, dans le cadre de l’entente litigieuse, entre les fournisseurs de la poudre et de granulats de carbure de calcium ainsi que de granulats de magnésium, constituent une infraction unique et continue, est entachée d’une erreur de droit.

 Rappel de la jurisprudence relative à la notion d’infraction unique

100    Il convient, à titre liminaire, de rappeler la jurisprudence relative à la notion d’infraction unique et continue.

101    Cette notion vise une situation dans laquelle plusieurs entreprises ont participé à une infraction constituée par un comportement continu poursuivant un seul but économique visant à fausser la concurrence ou par des infractions individuelles liées entre elles par une identité d’objet (même finalité de l’ensemble des éléments) et de sujets (identité des entreprises concernées, conscientes de participer à l’objet commun) (arrêts du Tribunal du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, Rec. p. II‑1333, point 257, et du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, T‑446/05, Rec. p. II‑1255, point 89). Cette interprétation ne saurait être contestée au motif qu’un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux‑mêmes une violation de l’article 81 CE (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 32 supra, point 258, et arrêt BPB/Commission, précité, point 252). Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, la notion d’infraction unique peut se rapporter à la qualification juridique d’un comportement anticoncurrentiel consistant en accords, en pratiques concertées et en décisions d’associations d’entreprises (voir arrêt Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, précité, point 91, et la jurisprudence citée).

102    Lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 32 supra, point 258). La Cour a également jugé qu’une entreprise ayant participé à une infraction unique par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, était également responsable, pour toute la période de sa participation à ladite infraction, des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction. Tel est, en effet, le cas lorsqu’il est établi que l’entreprise en question connaissait les comportements infractionnels des autres participants ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque, sans que cela remette en cause le principe de la responsabilité personnelle pour de telles infractions, ni celui de l’analyse individuelle des preuves à charge (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, Rec. p. I‑4125, point 83). Il s’ensuit que, afin d’établir la participation d’une entreprise à un accord anticoncurrentiel, la Commission doit prouver que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 87).

103    Il importe également de préciser que la notion d’objectif unique ne saurait être déterminée par une référence générale à la distorsion de la concurrence sur le marché concerné par l’infraction, dès lors que l’affectation de la concurrence constitue, en tant qu’objet ou effet, un élément inhérent à tout comportement relevant du champ d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE. Une telle définition de la notion d’objectif unique risquerait de priver la notion d’infraction unique et continue d’une partie de son sens, dans la mesure où elle aurait pour conséquence que plusieurs comportements concernant un secteur économique, interdits par l’article 81, paragraphe 1, CE, devraient systématiquement être qualifiés d’éléments constitutifs d’une infraction unique. Ainsi, aux fins de qualifier différents agissements d’infraction unique et continue, il y a lieu de vérifier s’ils présentent un lien de complémentarité en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du « jeu normal » de la concurrence et contribuent, par le biais d’une interaction, à la réalisation de l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d’un plan global visant un objectif unique. À cet égard, il y a lieu de tenir compte de toute circonstance susceptible d’établir ou de remettre en cause ledit lien, telle que la période d’application, le contenu, y compris les méthodes employées, et, corrélativement, l’objectif des divers agissements en question (arrêt Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, point 101 supra, point 92 ; voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, BASF et UCB/Commission, T‑101/05 et T‑111/05, Rec. p. II‑4949, points 179 à 181).

104    Enfin, il y a également lieu de rappeler que le fait qu’une entreprise n’a pas participé à tous les éléments constitutifs d’une entente n’est pas pertinent pour établir l’existence d’une infraction à son égard. Il n’y a lieu de prendre en considération cet élément que lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction et, le cas échéant, de la détermination du montant de l’amende (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 32 supra, point 86).

 Décision attaquée

105    Aux considérants 168 à 172 de la décision attaquée, la Commission a, en substance, repris les considérations de la jurisprudence citée aux points 101 à 104 ci-dessus. Ensuite, au considérant 173 de la décision attaquée, elle a relevé que, dans la communication des griefs, elle était parvenue à la conclusion provisoire que l’ensemble des accords et des pratiques concertées en cause en l’espèce constituait une infraction unique et continue, quand bien même les événements litigieux, pris isolément, constitueraient chacun une infraction aux règles de concurrence. Selon le considérant 176 de la décision attaquée, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante avait contesté cette conclusion provisoire. Elle aurait fait valoir que l’ensemble d’accords et/ou de pratiques concertées entre les fournisseurs de poudre de carbure de calcium, de granulés de carbure de calcium et de granulés de magnésium, bien que liés, constituaient trois infractions séparées.

106    Au considérant 177 de la décision attaquée, la Commission a relevé qu’elle était consciente que les événements qui constituaient l’objet de la décision attaquée avaient eu lieu sur deux marchés, à savoir ceux des réactifs destinés aux industries, respectivement, sidérurgique et gazière, et concernaient trois produits. Elle a toutefois souligné que, pour les motifs exposés aux considérants 181 à 194 de la décision attaquée, ils constituaient un ensemble d’accords et de pratiques concertées liés entre eux, de manière à constituer une infraction unique et continue.

107    Les motifs exposés aux considérants 181 à 194 de la décision attaquée abordent cinq questions différentes. Premièrement, les considérants 181 à 184 se rapportent aux produits visés par l’entente.

108    Dans ce contexte, s’agissant, notamment, du carbure de calcium en poudre et en granulés, la Commission a relevé ce qui suit, aux considérants 182 et 183 de la décision attaquée :

« (182) Le carbure de calcium sous forme de granulés a peut-être un usage différent du carbure de calcium sous forme de poudre (industrie du gaz/industrie de l’acier), mais du point de vue de l’offre, les produits sont très similaires […] Seule l’opération de finition diffère. Le produit non traité reste le même […] et revient au même prix, quel que soit l’usage auquel il est destiné. Par conséquent, l’évolution du prix du produit sous forme de granulés est semblable jusqu’à un certain point à l’évolution du prix du produit sous forme de poudre, avec au bout un alignement nécessaire des prix pour les deux produits [...]. C’est en grande partie à cause de cette structure de coût identique pour le produit non traité et de la similitude des prix sur le marché qu’il était tout à fait logique pour les entreprises concernées de bénéficier, pour les granulés de carbure de calcium, de la collusion sur la poudre de carbure de calcium.

(183) De surcroît, les accords/pratiques concertées sur la poudre de carbure de calcium pour l’industrie de l’acier ont eu un impact sur le comportement commercial des entreprises concernées pour les granulés de carbure de calcium destinés au marché du gaz, et inversement. Lors des réunions bilatérales et des contacts téléphoniques, les fournisseurs ont discuté des volumes, des clients et des prix pour le marché de l’acier et celui du gaz en même temps [...]. La réunion trilatérale du 7 avril 2004 entre Donau Chemie [AG], [Novácke chemické závody, a.s.] et [TDR Metalurgija d.d.] concernant le marché du gaz a également servi à évoquer les positions sur le marché de l’acier [...]. Donau Chemie a même suggéré de discuter des produits pour les deux applications dans le cadre d’une seule réunion multilatérale […] »

109    Deuxièmement, les considérants 185 à 188 de la décision attaquée se réfèrent aux participants à l’entente. Il y est constaté que tous les destinataires de ladite décision avaient participé à l’entente relative au carbure de calcium en poudre destiné à l’industrie sidérurgique. Quatre d’entre eux auraient également été impliqués dans les activités de l’entente relatives au carbure de calcium en granulés destiné à l’industrie gazière (considérant 185). Les trois autres, dont SKW, auraient également participé aux activités relatives au magnésium en granulés et auraient ainsi une connaissance directe de deux composants au moins de l’infraction unique. Les personnes morales personnellement impliquées seraient, en règle générale, les mêmes et les individus qui auraient représenté les entreprises lors des réunions multilatérales relatives au carbure de calcium en poudre auraient également participé aux réunions relatives au magnésium (considérant 186). La Commission constate, au considérant 187 de la décision attaquée, qu’aucune des entreprises concernées ne réalisait un chiffre d’affaires important pour les trois composants de l’infraction, mais elle considère que ce seul fait n’exclut pas l’existence d’une infraction unique. Enfin, au considérant 188 de la décision attaquée, elle constate que l’existence d’un troisième composant de l’entente n’était pas tenue secrète. Elle fait référence, à cet égard, notamment à un courriel d’un employé d’Akzo Nobel adressé à un employé du groupe Ecka, lequel démontrerait que ce dernier groupe, qui avait participé aux volets de l’entente relatifs à la poudre de carbure de calcium et aux granulés de magnésium, mais n’était pas un fournisseur de granulés de carbure de calcium, était au courant du fait que les accords anticoncurrentiels concernaient également ce dernier segment de produits. Selon la Commission, ce courriel « prouve que les discussions portant sur le marché de l’acier et celles portant sur le marché du gaz étaient considérées comme faisant partie d’un seul et même accord ».

110    Troisièmement, les considérants 189 à 191 de la décision attaquée concernent la période durant laquelle se sont déroulées les réunions de l’entente. Il y est constaté notamment que les réunions relatives aux granulés de carbure de calcium étaient souvent tenues immédiatement après les réunions multilatérales relatives au carbure de calcium en poudre (considérant 190). Selon la Commission, le chevauchement entre la durée des accords et des pratiques concertées relatifs à chaque produit (carbure de calcium en poudre et en granulés, magnésium en granulés) ainsi qu’entre les réunions correspondantes démontre que les accords relatifs au partage des marchés et à la fixation des prix concernaient les trois produits et étaient liés entre eux (considérant 191).

111    Quatrièmement, il est constaté aux considérants 192 et 193 de la décision attaquée que, quand bien même les réunions relatives à chacun des trois produits susmentionnés auraient souvent été organisées de manière séparée, les fournisseurs utilisaient le même mécanisme pour parvenir à l’objectif recherché. Ce mécanisme consistait en un gel des parts de marché lors d’une réunion initiale, suivi de la conclusion d’un accord sur l’augmentation des prix. En outre, les tableaux de parts de marché utilisés auraient présenté des formes très proches (considérant 192). De plus, le mécanisme de contrôle et d’application des accords, sous la forme de discussions de suivi et/ou de contacts téléphoniques bilatéraux, aurait été identique pour chacun des trois produits (considérant 193).

112    Cinquièmement, les accords auraient poursuivi un objectif anticoncurrentiel unique. En raison d’une consolidation de la demande, les fournisseurs des trois produits auraient eu l’impression d’être actifs sur un marché en recul et auraient décidé de défendre leur position de manière commune, au lieu de se faire concurrence. Leur but aurait été de stabiliser le marché par un partage des clients entre eux et une augmentation des prix à un niveau supérieur à celui qui aurait été atteint par le jeu normal de la concurrence (considérant 194).

 Examen du moyen

113    La requérante fait valoir que la Commission n’a ni énoncé, dans la décision attaquée, les conditions nécessaires pour la constatation d’une infraction unique et continue mentionnées au point 102 ci‑dessus ni prouvé qu’elles étaient remplies en l’espèce. Au contraire, d’après le considérant 186 de la décision attaquée, SKW n’aurait même pas eu connaissance du volet de l’entente relatif aux granulés de carbure de calcium. Il résulterait du « principe de la faute » que les conditions nécessaires pour la constatation d’une infraction unique devraient toujours être individuellement prouvées. Dès lors que, de l’admission même de la Commission, SKW n’aurait pas eu connaissance d’un plan d’ensemble incluant un volet d’entente relatif aux granulés de carbure de calcium, il ne serait pas possible de mettre à sa charge une infraction unique comportant également ce volet, et ce quand bien même d’autres entreprises auraient conçu un tel plan.

114    Ces arguments ne sauraient prospérer.

115    Tout d’abord, l’affirmation de la requérante selon laquelle la Commission n’aurait pas mentionné dans la décision attaquée les conditions nécessaires pour la constatation d’une infraction unique et continue est inexacte. Ainsi qu’il a été relevé au point 105 ci‑dessus, aux considérants 168 à 172 de la décision attaquée, il est procédé, précisément, à un rappel de ces conditions, telles qu’elles ressortent de la jurisprudence constante de la Cour et du Tribunal.

116    Est également inexacte l’affirmation selon laquelle la Commission aurait admis, au considérant 186 de la décision attaquée, que SKW n’avait pas eu connaissance du volet de l’entente relatif aux granulés de carbure de calcium. Ainsi qu’il a été relevé au point 109 ci‑dessus, selon le considérant 186 de la décision attaquée, SKW avait « une connaissance directe de deux composants au moins de l’infraction unique ». Cette affirmation n’exclut pas que SKW ait également eu une connaissance, directe ou à tout le moins indirecte, du troisième composant de l’entente. Elle ne saurait, dès lors, être regardée comme une admission de la Commission de l’absence de toute connaissance, par SKW, du volet de l’entente afférent aux granulés de carbure de calcium.

117    Ensuite, il ressort de la jurisprudence rappelée au point 102 ci‑dessus qu’il ne résulte ni du « principe de la faute » invoqué par la requérante ni d’aucune autre considération que, afin de mettre à la charge d’une entreprise sa participation à une infraction unique et continue, la Commission doit prouver que cette entreprise avait une connaissance directe de tous les comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par toutes les autres entreprises impliquées dans la même infraction. Il suffit, selon cette même jurisprudence, de démontrer que l’entreprise en question pouvait raisonnablement prévoir ces comportements et qu’elle était prête à en accepter le risque.

118    Or, en l’espèce, cette dernière condition est remplie. En effet, les éléments exposés aux considérants 182 à 194 de la décision attaquée, tels qu’ils ont été résumés aux points 108 à 112 ci‑dessus, démontrent à suffisance de droit, à tout le moins que SKW pouvait raisonnablement prévoir que ceux des participants de l’entente litigieuse qui fournissaient également des granulés de carbure de calcium s’engageraient, à l’égard de ce produit, dans un comportement analogue à ceux afférents à la poudre de carbure de calcium et aux granulés de magnésium, auxquels SKW elle‑même participait, et qu’elle a assumé ce risque.

119    La requérante n’a avancé dans la requête aucun élément permettant de remettre en cause les constatations concrètes et circonstanciées, figurant aux considérants 182 à 194 de la décision attaquée. En revanche, dans son mémoire en défense, la Commission invoque des éléments qui corroborent la conclusion selon laquelle, à tout le moins, SKW pouvait raisonnablement prévoir que l’entente litigieuse s’étendrait également aux granulés de carbure de calcium et avait assumé ce risque.

120    Ainsi, au considérant 108 de la décision attaquée la Commission a relevé, en renvoyant à des éléments de preuve pertinents, que, lors de la réunion de l’entente du 3 novembre 2004, Donau Chemie avait proposé aux autres participants de discuter également des ventes de granulés de carbure de calcium, mais que cette proposition avait été rejetée, notamment par SKW.

121    Dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante n’a pas contesté que Donau Chemie ait fait une telle proposition en présence des représentants de SKW, mais elle a fait valoir que le rejet de cette proposition démontrait l’absence d’un plan d’ensemble. Or, comme l’a rappelé à juste titre devant le Tribunal la Commission, il ressort de la note en bas de page n° 236 à laquelle renvoie le considérant 92 de la décision attaquée, que SKW n’avait qu’un seul client auquel elle livrait des granulés de carbure de calcium. Par conséquent, il paraît raisonnable de conclure, à défaut de tout argument en sens contraire avancé par la requérante, que le refus de SKW de discuter des granulés de carbure de calcium s’explique plutôt par le peu d’intérêt que présentait, pour elle, le marché de ce produit et non par une prétendue absence de volonté d’assumer le risque et les conséquences de l’extension de l’entente litigieuse également à ce marché. Pour les mêmes motifs, ce seul refus ne suffit pas pour conclure à l’inexistence d’un plan d’ensemble, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 102 ci‑dessus.

122    En outre, pour étayer l’affirmation, figurant au considérant 188 de la décision attaquée, selon laquelle l’existence d’un volet particulier de l’entente n’était pas tenue secrète à l’égard des participants de l’entente qui n’étaient pas impliqués dans ce volet, la Commission a relevé, aux considérants 101, 108, 111 et 190 de la décision attaquée, qui renvoient, à cet égard, à des éléments de preuve contenus dans le dossier de la Commission, que les réunions relatives aux granulats de carbure de calcium étaient souvent liées à celles relatives à la poudre de carbure de calcium, en ce sens qu’elles étaient tenues immédiatement après ces dernières réunions. La Commission a, notamment, invoqué, à cet égard, une déclaration orale d’un membre du personnel d’Akzo Nobel, à laquelle renvoie le considérant 101, note en bas de page n° 256, de la décision attaquée. Selon cette déclaration, « les réunions multilatérales pour l’industrie métallurgique se terminaient souvent comme ça, par une discussion informelle concernant le marché gazier ». Il s’agit là d’un élément additionnel qui, à défaut de tout argument en sens contraire présenté par la requérante, donne à penser que, à tout le moins, SKW pouvait raisonnablement prévoir l’existence d’un volet de l’entente relatif aux granulés de carbure de calcium et en assumait le risque.

123    Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que le troisième moyen n’est pas fondé et doit être rejeté.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation, s’agissant de la responsabilité solidaire de la requérante, avec SKW, pour le paiement de l’amende

124    Par son quatrième moyen, la requérante fait valoir une motivation contradictoire de la décision attaquée. La requérante considère que, dès lors que la responsabilité de SKW ne peut excéder 13,3 millions d’euros (voir point 4 ci‑dessus), ce dernier montant doit nécessairement englober le montant de 1,04 million d’euros, pour le paiement duquel SKW est solidairement responsable avec Degussa et Alzchem. Or, la requérante, avec SKW Holding, aurait été déclarée solidairement responsable avec SKW pour le paiement du montant de 13,3 millions d’euros, sans toutefois être déclarée solidairement responsable, avec Degussa et AlzChem, pour le paiement du montant de l’amende infligée à ces dernières.

125    Cette contradiction dans la motivation de la décision attaquée constituerait une violation de la forme substantielle que constitue l’obligation de motivation, prévue à l’article 253 CE. Il s’ensuit, selon la requérante, que le montant de l’amende qui lui a été infligée doit être diminué du montant de 1,04 million d’euros, pour le paiement duquel elle ne peut pas être tenue pour responsable.

126    Cette argumentation ne saurait prospérer.

127    Il convient de rappeler que la motivation d’une décision individuelle doit faire apparaître, de façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de la motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si elle satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement du libellé de l’acte en cause, mais aussi du contexte dans lequel cet acte a été adopté (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 63).

128    Selon la jurisprudence, si la Commission impose une sanction pour violation des règles de la concurrence, les exigences de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation sont remplies lorsque la Commission indique, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C‑291/98 P, Rec. p. I‑9991, point 73, et du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, point 463).

129    En l’espèce, il y a lieu de relever que le montant des amendes infligées par la décision attaquée a été calculé suivant la méthodologie décrite dans les lignes directrices de la Commission pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci‑après les « lignes directrices »). Cette méthodologie comporte deux étapes. En premier lieu, la Commission détermine un montant de base pour chaque entreprise ou association d’entreprises, sur la base de la valeur des ventes de biens ou de services, réalisées par l’entreprise concernée, en relation directe ou indirecte avec l’infraction, dans le secteur géographique concerné (paragraphes 19 à 26 des lignes directrices). Il est précisé au paragraphe 13 des lignes directrices que la Commission utilisera normalement les ventes de l’entreprise durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction. Le montant de base est lié à une proportion de la valeur des ventes déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction (paragraphes 19 à 24 des lignes directrices). Toutefois, conformément au paragraphe 25 des lignes directrices, indépendamment de la durée de la participation d’une entreprise à l’infraction, la Commission inclura dans le montant de base une somme (dite « droit d’entrée ») comprise entre 15 et 25 % de la valeur des ventes, afin de dissuader les entreprises de participer à des accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production. En second lieu, la Commission peut ajuster le montant de base de l’amende, fixé lors de la première étape, à la hausse ou à la baisse, pour tenir compte de circonstances aggravantes ou atténuantes (paragraphes 27 à 29 des lignes directrices).

130    Les éléments utilisés par la Commission aux fins du calcul du montant de l’amende infligée à la requérante ont été clairement indiqués dans la décision attaquée. Ainsi, les valeurs de ventes réalisées par SKW et les autres participants à l’entente en relation directe ou indirecte avec l’infraction figurent au considérant 288 de la décision attaquée. En outre, au considérant 301 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que « étant donné les circonstances particulières de l’affaire et compte tenu des critères examinés aux considérants 294 et 299 relatifs à la nature de l’infraction, [sa] portée géographique et [sa] mise en œuvre » elle avait fixé à 17 % la proportion des valeurs de ventes réalisées en relation avec l’infraction à prendre en considération pour la détermination du montant de base de l’amende. La durée de participation à l’entente de chaque destinataire de la décision attaquée ressort d’un tableau qui figure au considérant 280 de la décision attaquée. Dans le cas de la requérante, la durée de participation indiquée est de deux ans et quatre mois pour la poudre de carbure de calcium et de un an et six mois pour les granulés de magnésium. Enfin, le considérant 304 de la décision attaquée contient un autre tableau, lequel indique le multiplicateur approprié, déterminé sur la base de la durée de participation à l’entente, par lequel il convenait de multiplier la proportion de la valeur des ventes réalisées en relation avec l’infraction, pour déterminer le montant de base de l’amende à infliger à chaque destinataire de la décision attaquée. Le multiplicateur indiqué pour la requérante est 2,5 pour la poudre de carbure de calcium et 1,5 pour les granulés de magnésium.

131    En outre, il ressort des considérants 309 à 331 de la décision attaquée, qui portent sur les circonstances aggravantes ou atténuantes, que ni l’un ni l’autre type de circonstances n’a été retenu à l’égard de la requérante, de sorte que le montant de base de l’amende, calculé sur la base des éléments mentionnés au point 130 ci-dessus, ne devait être revu ni à la hausse ni à la baisse.

132    La décision attaquée contient, dès lors, tous les éléments qui ont conduit la Commission à infliger à la requérante, solidairement avec SKW et SKW Holding, une amende de 13,3 millions d’euros et sa motivation est, ainsi, conforme aux exigences de la jurisprudence rappelée au point 128 ci‑dessus. En outre, il ressort clairement de ces mêmes indications que, contrairement à ce que prétend la requérante, ce montant de 13,3 millions d’euros n’englobe pas le montant (1,04 million d’euros) de l’amende infligée à Degussa et à AlzChem.

133    Il ne saurait non plus être reproché à la Commission une contradiction dans la motivation de ladite décision, du fait qu’elle a déclaré SKW solidairement responsable de deux amendes différentes, dont les montants cumulés s’élèvent à 14,34 millions d’euros, tout en indiquant que la responsabilité solidaire de SKW avec d’autres destinataires de la décision attaquée ne saurait dépasser le montant de 13,3 millions d’euros.

134    La responsabilité solidaire de SKW pour le paiement de deux amendes différentes tient au fait que, durant la période de sa participation à l’infraction, elle a fait partie de deux unités économiques différentes. Ainsi qu’il a été relevé au point 22 ci‑dessus, SKW a participé à l’entente litigieuse du 22 avril 2004 au 16 janvier 2007. Toutefois, jusqu’au 30 août 2004, date à laquelle l’intégralité de son capital a été acquise par SKW Holding, filiale de la requérante, elle faisait partie de la même unité économique que Degussa et AlzChem. Ainsi, pour la période allant du 22 avril au 30 août 2004, ces deux sociétés ont été tenues pour solidairement responsables, avec elle, de sa participation à l’infraction, laquelle ne concernait que le volet de l’entente relatif à la poudre de carbure de calcium, la première réunion relative au magnésium mentionnée dans la décision attaquée ayant eu lieu le 14 juillet 2005. Pour la période postérieure au 30 août 2004 et jusqu’à la fin de l’infraction, SKW a été tenue pour solidairement responsable de l’infraction avec SKW Holding et la requérante.

135    Les circonstances mentionnées au point 134 ci-dessus le sont également aux considérants 226 à 262 de la décision attaquée. En outre cette décision indique également la durée de la participation de SKW à l’infraction (deux ans et huit mois pour la poudre de carbure de calcium et un an et six mois pour les granulés de magnésium ; voir considérant 280), ainsi que les multiplicateurs déterminés sur la base de cette participation (2,5 pour la poudre de carbure de calcium et 1,5 pour les granulés de magnésium ; voir considérant 304). Dès lors que les multiplicateurs indiqués pour SKW sont identiques à ceux indiqués pour la requérante, il est logique et aucunement contradictoire que le même montant d’amende a été déterminé pour ces deux sociétés dans la décision attaquée. Dans ces conditions, il est également logique d’indiquer, comme la Commission l’a fait en note en bas de page n° 681, sous le considérant 361 de la décision attaquée, que la responsabilité de SKW ne peut pas dépasser le montant de l’amende qui devait lui être infligée (13,3 millions d’euros), quand bien même cette société serait solidairement responsable pour le paiement de deux amendes différentes, dont les montants cumulés dépassent cette somme.

136    En outre, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir arrêt de la Cour du 15 décembre 2005, Italie/Commission, C‑66/02, Rec. p. I‑10901, point 26, et la jurisprudence citée).

137    Il s’ensuit que la question de la légalité du choix de la Commission d’utiliser pour la requérante un multiplicateur identique à celui utilisé pour la participation de SKW au volet de l’entente relatif à la poudre de carbure de calcium ne relève pas du respect de l’obligation de motivation, qui seul est concerné par le présent moyen, mais de la légalité au fond de la décision attaquée. Cette dernière est contestée, sur ce point, par les secondes branches des cinquième et sixième moyens de la requérante et sera, dès lors, examinée dans ce contexte (voir points 153 à 192 ci‑après).

138    Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de conclure que le présent moyen n’est pas fondé et doit être rejeté.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’article 23 du règlement n° 1/2003 et le sixième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement

139    Le cinquième moyen s’articule en deux branches, tirées, respectivement, de l’appréciation erronée de la gravité de l’infraction par la Commission et de la fixation, par cette dernière, de multiplicateurs erronés aux fins de la prise en compte de la durée de l’infraction. Le sixième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement, s’articule également en deux branches portant, respectivement, sur la gravité et sur la durée de l’infraction. Il convient d’examiner ensemble la seconde branche du cinquième moyen et la seconde branche du sixième moyen, dès lors qu’elles se fondent, pour l’essentiel, sur les mêmes arguments.

 Sur la première branche du cinquième moyen, tirée de l’appréciation erronée de la gravité de l’infraction par la Commission

140    Par la première branche, la requérante fait valoir que, pour calculer le montant de l’amende qu’elle lui a infligée, la Commission est partie de l’hypothèse selon laquelle SKW a participé à une infraction unique portant sur le carbure de calcium en poudre et en granulés ainsi que sur le magnésium en granulés. La requérante considère que, dès lors que cette hypothèse est erronée, ainsi qu’elle l’a démontré dans le cadre du troisième moyen, cette erreur entache nécessairement l’appréciation de la gravité de l’infraction litigieuse. Au lieu d’apprécier de manière individuelle la gravité de cette infraction, la Commission aurait fixé, aux fins de l’application des paragraphes 19 à 25 des lignes directrices, un taux unique de 17 % de la valeur des ventes réalisées en relation avec l’infraction, lequel serait également applicable à SKW, quand bien même celle‑ci n’aurait pas participé à l’entente unique, sous la forme envisagée par la Commission. Par conséquent, le montant de l’amende infligée à la requérante serait disproportionné.

141    En tout état de cause, même si la participation de SKW à une infraction unique était admise, la Commission aurait dû tenir compte de la connaissance lacunaire de certains éléments de cette infraction par celle‑ci. Aucune telle prise en considération ne résulterait de la décision attaquée. La thèse de la Commission, exposée aux considérants 296 et 315 de cette même décision, selon laquelle l’utilisation de la valeur des ventes réalisées en relation avec l’infraction tient suffisamment compte de la participation de chaque entreprise dans l’infraction, ne serait pas conciliable avec la jurisprudence (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, Buchler/Commission, 44/69, Rec. p. 733, point 49, et Commission/Anic Partecipazioni, point 102 supra, point 90).

142    Ces arguments ne sauraient prospérer. Il y a lieu de rappeler, tout d’abord, qu’il a déjà été relevé que le troisième moyen n’est pas fondé et doit être rejeté. Il s’ensuit qu’aucune erreur ne saurait être reprochée à la Commission, du fait qu’elle a mis à la charge de SKW et, par conséquent, de la requérante, une participation à une infraction unique et continue, portant sur les trois produits mentionnés au point 140 ci‑dessus.

143    Ensuite, il y a lieu de relever que le montant visé aux paragraphes 19 à 26 des lignes directrices constitue le montant de base de l’amende, lequel doit refléter la gravité de l’infraction et non la gravité relative de la participation à l’infraction de chacune des entreprises concernées. Selon la jurisprudence, cette dernière question doit être examinée dans le cadre de l’éventuelle application de circonstances aggravantes ou atténuantes (arrêt du Tribunal du 12 décembre 2012, Novácke chemické závody/Commission, T‑352/09, non encore publié au Recueil, point 58 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Carbone‑Lorraine/Commission, T‑73/04, Rec. p. II‑2661, point 100). Par conséquent, il est loisible à la Commission de fixer le pourcentage de la valeur des ventes à utiliser pour la détermination du montant de base de l’amende, au même niveau pour tous les participants à l’entente. La fixation d’un même pourcentage pour tous les participants à l’entente n’implique pas la fixation d’un même montant de base pour tous. Dès lors que celui‑ci est calculé à partir de la valeur des ventes réalisées en relation avec l’infraction par chaque participant à l’entente, il sera différent pour chacun d’entre eux, en fonction des différences dans la valeur des ventes qu’ils ont réalisées (arrêt Novácke chemické závody/Commission, précité, point 58).

144    De plus, comme la Commission l’a souligné à juste titre, tant aux considérants 296 et 315 de la décision attaquée que dans ses écrits devant le Tribunal, la fixation du montant de base de l’amende sur la base des ventes réalisées par chaque participant à l’infraction en relation avec cette dernière a eu pour conséquence que, quand bien même tous les participants auraient été sanctionnés pour une infraction unique et continue portant sur trois produits différents, la sanction individuelle infligée à chacun d’entre eux a été déterminée sur la seule base des ventes des produits pour lesquels celui‑ci a participé à l’infraction.

145    Une telle manière de procéder est, contrairement à ce que fait valoir la requérante, parfaitement conforme à la considération figurant au point 90 de l’arrêt Commission/Anic Partecipazioni (point 102 supra), selon laquelle le fait qu’une entreprise n’a pas participé à tous les éléments constitutifs d’une entente ou qu’elle a joué un rôle mineur dans les aspects auxquels elle a participé doit être pris en considération lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction et, le cas échéant, de la détermination de l’amende.

146    S’agissant de la référence de la requérante à l’arrêt Buchler/Commission (point 141 supra, point 49), il y a lieu de rappeler que la Cour y a relevé que l’appréciation de la gravité de l’infraction, aux fins de la fixation du montant de l’amende, devait être effectuée en tenant compte notamment de la nature des restrictions apportées à la concurrence, du nombre et de l’importance des entreprises concernées, de la fraction respective du marché qu’elles contrôlent ainsi que de la situation du marché à l’époque où l’infraction a été commise.

147    Or, rien dans la décision attaquée ne permet de conclure que la Commission n’aurait pas respecté cette considération.

148    En particulier, il y a lieu de relever qu’il ressort du paragraphe 23 des lignes directrices que des accords tels que ceux en cause en l’espèce comptent, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves. En outre, il ressort du paragraphe 21 des lignes directrices que la proportion de la valeur des ventes prise en compte aux fins de la fixation du montant de base de l’amende sera fixée à un niveau pouvant aller jusqu’à 30 %. Quant au droit d’entrée, inclus dans le montant de base de l’amende en vertu du paragraphe 25 des lignes directrices indépendamment de la durée de la participation de l’entreprise concernée à l’infraction afin de dissuader les entreprises de même participer à des accords horizontaux, il ressort du même paragraphe qu’il est compris entre 15 et 25 % de la valeur des ventes réalisées par l’entreprise en cause en relation avec l’infraction. Il en ressort, ainsi, que le pourcentage choisi en l’espèce par la Commission (17 %) se situe plutôt au milieu de l’échelle prévue, et ce alors même que l’infraction litigieuse compte parmi les plus graves.

149    Quant au nombre et à l’importance des entreprises ayant participé à ladite infraction, il y a lieu de relever que la décision attaquée est adressée à quinze sociétés. En outre, il ressort des données figurant au considérant 46 de la décision attaquée, aucunement contestées par la requérante, que les parts de marché cumulées des participants à l’entente s’élevaient à au moins 75 % du marché dans l’EEE pour le carbure de calcium en poudre, 65 % pour le carbure de calcium en granulés et 70 % pour le magnésium en granulés.

150    Compte tenu de ces considérations et à défaut de tout argument avancé par la requérante pour expliciter son affirmation selon laquelle la décision attaquée ne tiendrait pas compte de la considération figurant au point 49 de l’arrêt Buchler/Commission (point 141 supra), il convient de conclure que la fixation, en l’espèce, à 17 % de la proportion de la valeur des ventes dont il convenait de tenir compte aux fins de la détermination du montant de base de l’amende n’est aucunement disproportionnée. Il s’ensuit que les arguments avancés par la requérante dans le cadre de la présente branche ne justifient pas que le Tribunal use de sa compétence de pleine juridiction afin de modifier le montant de l’amende infligée à la requérante.

151    Il s’ensuit que la première branche n’est pas fondée et doit être rejetée.

152    Ensuite, il convient d’examiner ensemble les secondes branches des cinquième et sixième moyens, qui sont toutes les deux tirées de l’appréciation erronée de la durée de l’infraction.

 Sur les secondes branches des cinquième et sixième moyens, tirées de l’appréciation erronée de la durée de l’infraction

153    La requérante évoque le fait que, pour sa participation au volet de l’entente relatif à la poudre de carbure de calcium, SKW s’est vu appliquer le même multiplicateur (2,5) qu’elle‑même, bien que la durée de sa participation à ce volet de l’entente fût supérieure (deux ans et huit mois pour SKW et seulement deux ans et quatre mois pour la requérante). Ainsi, les deux sociétés mères de SKW pendant deux périodes différentes de l’entente (d’une part, Degussa et AlzChem, qui se seraient vu appliquer un multiplicateur de 0,5 pour le même volet de l’entente et, d’autre part, la requérante et SKW Holding) auraient à répondre d’une durée de participation totale plus longue (correspondant à un multiplicateur de 3) que SKW, l’entité personnellement impliquée dans l’entente. Il convient de relever qu’il s’agit là de circonstances déjà mentionnées dans le cadre de l’analyse du quatrième moyen (voir, notamment, points 124, 135 et 137 ci‑dessus).

154    Selon la requérante, en lui appliquant le même multiplicateur que celui appliqué à SKW, la Commission a violé le « principe de la faute » et le principe de la responsabilité personnelle, lesquels exigent que le montant de l’amende soit proportionné à la faute qu’elle est censée sanctionner. Cela ne serait pas le cas en l’espèce, dès lors que la requérante serait traitée comme si elle avait contrôlé SKW pendant toute la durée de la participation de cette dernière à l’infraction. De plus, la Commission se serait écartée, sans aucune explication, de ses propres lignes directrices, dont il ressortirait qu’une période de participation à l’infraction supérieure à six mois, mais inférieure à un an devrait être comptée comme une année complète. Il s’ensuivrait que SKW aurait dû se voir appliquer un multiplicateur de 3 pour une période de participation à l’entente de deux ans et huit mois. La requérante y voit également une violation du principe d’égalité de traitement.

155    À cet égard, il convient de rappeler que le paragraphe 24 des lignes directrices relève ce qui suit : « [a]fin de prendre pleinement en compte la durée de la participation de chaque entreprise à l’infraction, le montant déterminé en fonction de la valeur des ventes (voir les [paragraphes] 20 à 23 ci‑dessus) sera multiplié par le nombre d’années de participation à l’infraction [ ; l]es périodes de moins d’un semestre seront comptées comme une demi-année ; les périodes de plus de six mois mais de moins d’un an seront comptées comme une année complète ».

156    Dans son mémoire en défense, la Commission explique qu’elle ne s’est pas, dans la décision attaquée, tenue à la lettre du paragraphe 24 des lignes directrices, mais a augmenté de 0,5 le multiplicateur seulement à partir d’un trimestre supplémentaire de participation à l’infraction. Ainsi, les participants à l’entente se seraient vu appliquer un multiplicateur de 2,5 uniquement à partir d’une période de participation à l’entente de deux ans et trois mois, alors qu’un multiplicateur de 3 n’aurait été appliqué qu’à partir d’une période de participation à l’entente de deux ans et neuf mois. Dès lors que la participation de la requérante à l’entente aurait duré deux ans, quatre mois et dix-sept jours, elle se serait vu appliquer un multiplicateur de 2,5. SKW, dont la durée de participation à l’infraction aurait été légèrement plus longue, mais inférieure à deux ans et neuf mois, se serait vu appliquer le même multiplicateur.

157    Selon la Commission, la décision de n’augmenter le multiplicateur de 0,5 qu’à partir de trois mois supplémentaires de participation à l’entente constitue une mesure favorisant de manière uniforme tous les participants à l’entente. La Commission considère, en outre, que le « principe de la faute », invoqué par la requérante, n’exige pas l’application, pour la détermination du montant de l’amende, d’une formule arithmétique reflétant toute différence de durée de participation. Elle s’appuie, à cet égard, sur le paragraphe 6 des lignes directrices ainsi que sur les arrêts du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission (T‑43/92, Rec. p. II‑441, point 178) ; du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission (T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, Rec. p. II‑2035, point 105), et du 9 juillet 2003, Cheil Jedang/Commission (T‑220/00, Rec. p. II‑2473, point 137). Elle ajoute que, en tout état de cause, la requérante ne saurait se prévaloir du prétendu traitement favorable injustifié réservé à SKW pour fonder un droit à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée. La Commission invoque, à l’appui de ce dernier argument, les arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, SCA Holding/Commission (T‑327/94, Rec. p. II‑1373, point 160), et HFB e.a./Commission (point 81 supra, point 515). Enfin, la Commission considère que le seul fait que la somme des multiplicateurs appliqués aux différentes sociétés mères de SKW est supérieure au multiplicateur appliqué à cette dernière ne signifie pas que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit.

158    Il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 23, paragraphe 3, du règlement n° 1/2003, la durée de l’infraction constitue l’un des éléments à prendre en considération pour déterminer le montant de l’amende à infliger aux entreprises coupables d’infractions aux règles de concurrence (arrêts Cheil Jedang/Commission, point 157 supra, point 128, et Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, point 101 supra, point 237).

159    Il est, certes, vrai que, selon une jurisprudence constante, la Commission ne saurait, par le recours exclusif et mécanique à des formules arithmétiques, se priver de son pouvoir d’appréciation en matière de fixation d’amendes (arrêts de la Cour Sarrió/Commission, point 128 supra, point 76, du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 128 supra, point 464, et du 2 octobre 2003, Corus UK/Commission, C‑199/99 P, Rec. p. I‑11177, point 199 ; voir également, en ce sens, arrêt Tate & Lyle e.a./Commission, point 157 supra, point 105).

160    Toutefois, il a également été jugé, dans le même contexte, qu’il était loisible à la Commission d’assortir sa décision d’une motivation allant au‑delà de ses obligations, entre autres en indiquant les éléments chiffrés qui ont guidé, notamment quant à l’effet dissuasif recherché, l’exercice de son pouvoir d’appréciation dans la fixation des amendes infligées à l’encontre de plusieurs entreprises ayant participé, avec une intensité variable, à l’infraction. En effet, il peut être souhaitable que la Commission use de cette faculté pour permettre aux entreprises de connaître en détail le mode de calcul de l’amende qui leur est infligée. De façon plus générale, cela peut servir la transparence de l’action administrative et faciliter l’exercice, par le juge de l’Union, de sa compétence de pleine juridiction, qui doit lui permettre d’apprécier, au‑delà de la légalité de la décision attaquée, le caractère approprié de l’amende infligée (arrêt Sarrió/Commission, point 128 supra, points 76 et 77).

161    Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence que, dans certains cas, le Tribunal a, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, pris en considération les indications précises quant à la durée de participation d’une entreprise dans une infraction aux règles de la concurrence et a modifié le montant de l’amende infligée par la Commission, pour tenir compte de manière plus exacte et proportionnelle de cette durée.

162    Ainsi, dans son arrêt BASF et UCB/Commission (point 103 supra, points 219 et 220), le Tribunal a relevé que l’approche adoptée par la Commission dans cette affaire, consistant à majorer le montant de départ de l’amende de 10 % pour chaque année complète et de 5 % pour chaque période supplémentaire de six mois complets était susceptible de donner lieu à des disparités considérables entre les participants à l’entente dans les circonstances de cette affaire. Le Tribunal a, notamment, constaté que, dès lors que la participation d’une des requérantes dans cette affaire à l’infraction a duré trois ans et dix mois complets, le fait d’appliquer, afin de tenir compte de ces dix mois, une majoration de 5 %, correspondant à une demi-année (six mois) de participation à l’infraction, reviendrait à faire abstraction de quatre mois supplémentaires de participation. Il a, dès lors décidé, tenant compte du fait qu’il disposait d’éléments précis en ce qui concernait la durée de la participation de chacune des requérantes dans cette affaire à l’infraction et qu’il était en mesure de calculer leur amende d’une manière qui reflétait la durée exacte de cette participation, en affinant de cette façon leur proportionnalité, d’appliquer, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, une majoration de 38 % pour tenir compte d’une période de trois ans et dix mois de participation à l’infraction.

163    De même, dans son arrêt Cheil Jedang/Commission (point 157 supra), invoqué par la Commission, le Tribunal a constaté que, sans y être obligée par ses lignes directrices dans leur version applicable dans cette affaire, la Commission avait elle‑même retenu le principe d’une majoration de 10 % par an pour toutes les entreprises ayant participé à l’infraction. Elle avait, toutefois, appliqué à la requérante dans cette affaire une majoration de 30 % à l’amende qui lui avait été infligée, pour une durée de participation de deux ans et dix mois (arrêt Cheil Jedang/Commission, point 157 supra, points 130 et 131). Le Tribunal a considéré que cette majoration, si elle n’était pas, en soi, contraire aux lignes directrices de la Commission, était néanmoins manifestement erronée au regard de l’appréciation effectuée par la Commission dans sa décision et sur laquelle elle avait elle‑même prétendu se fonder pour appliquer aux entreprises concernées les majorations au titre de la durée de l’infraction. Il a, dès lors, réduit, dans le cadre de son pouvoir de pleine juridiction, à 20 % la majoration du montant de départ de l’amende infligée à la requérante dans cette affaire (arrêt Cheil Jedang/Commission, point 157 supra, points 135 à 139).

164    Il ressort de cette jurisprudence que rien ne s’oppose à une modulation du montant de l’amende pour refléter de manière plus précise et proportionnelle la durée exacte de participation d’une entreprise à une infraction aux règles de la concurrence. Les considérations figurant au paragraphe 6 des lignes directrices, invoquées par la Commission, ne sont pas non plus susceptibles de conduire à une conclusion différente.

165    La Commission a relevé, audit paragraphe des lignes directrices, que « la combinaison de la valeur des ventes en relation avec l’infraction et de la durée [était] considérée comme une valeur de remplacement adéquate pour refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction ». Elle a poursuivi ainsi : « [l]a référence à ces indicateurs donne une bonne indication de l’ordre de grandeur de l’amende et ne devrait pas être comprise comme la base d’une méthode de calcul automatique et arithmétique ».

166    Ces considérations doivent être replacées dans le contexte global de la méthode de calcul de l’amende instituée par les lignes directrices. En effet, il convient de constater que la Commission s’est laissée une marge d’appréciation suffisante dans le cadre de l’application de cette méthode. Ainsi, les paragraphes 21 et 25 des lignes directrices prévoient que les pourcentages des valeurs des ventes réalisées en relation avec l’infraction à prendre en considération pour la fixation du montant de base de l’amende et la partie de celui-ci dit droit d’entrée sont fixés sur la base d’une échelle suffisamment large, pouvant aller jusqu’à, respectivement, 30 et 25 %. En outre, les paragraphes 27 à 29 prévoient la possibilité d’ajuster le montant de base de l’amende pour tenir compte des éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes et laissent à la Commission le soin de déterminer le pourcentage exact de ces ajustements. De plus, au paragraphe 30, la Commission s’est réservée la possibilité d’augmenter l’amende au-delà du montant résultant de l’application de la méthode instituée par les lignes directrices, pour assurer son effet dissuasif suffisant, alors que le paragraphe 37 contient une réserve de portée plus générale, selon laquelle les particularités d’une affaire peuvent justifier que la Commission s’écarte de la méthodologie pour la fixation du montant de l’amende consacrée dans les lignes directrices.

167    L’affirmation, au paragraphe 6 des lignes directrices, selon laquelle celles-ci n’instituent pas une méthode de calcul du montant de l’amende automatique et arithmétique s’avère, dès lors, être exacte. Il demeure, toutefois, que les décisions de la Commission en la matière, comme, en l’occurrence, la décision attaquée, contiennent des indications précises quant à la durée de la participation de chaque entreprise à l’infraction et que le paragraphe 24 des lignes directrices prévoit une modulation du montant de l’amende qui est censée refléter, pour chaque entreprise concernée, cette durée. Un éventuel ajustement de cette modulation, le cas échéant dans le cadre de l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction en matière d’amendes, pour refléter la durée exacte de cette participation et affiner, de cette façon, la proportionnalité de l’amende, ne va aucunement à l’encontre de l’esprit qui sous‑tend les lignes directrices.

168    Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que, à chaque fois que la Commission décide d’imposer des amendes en vertu du droit de la concurrence, elle est tenue de respecter les principes généraux de droit, parmi lesquels figure le principe d’égalité de traitement, tel qu’interprété par les juridictions de l’Union (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑59/02, Rec. p. II‑3627, point 315). Selon une jurisprudence constante, ce principe impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt de la Cour du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, Rec. p. I‑9895, point 23, et la jurisprudence citée).

169    La violation du principe d’égalité de traitement du fait d’un traitement différencié présuppose que les situations visées sont comparables eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (voir arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., point 168 supra, points 25 et 26, et la jurisprudence citée).

170    En l’espèce, les situations respectives de la requérante et de SKW ne présentent qu’un seul élément de différenciation, à savoir la durée de leur participation au volet de l’infraction litigieuse relatif à la poudre de carbure de calcium. Ainsi qu’il ressort de la lecture combinée des considérants 55 à 57, 251 et 252 de la décision attaquée, cette durée est de deux ans, huit mois et vingt-cinq jours pour SKW et deux ans, quatre mois et dix-sept jours pour la requérante. Mis à part cet élément de différenciation, la situation de ces deux sociétés doit être considérée comme identique, dans la mesure où elles ont été toutes les deux tenues pour responsables de cette infraction en raison des mêmes circonstances factuelles, à savoir la participation de membres de la direction et du personnel de SKW à l’entente litigieuse.

171    Il ressort des considérations et de la jurisprudence mentionnées au point 158 ci‑dessus que la différence dans la durée de participation de la requérante et de SKW au volet de l’entente relatif à la poudre de carbure de calcium doit, conformément à la jurisprudence citée au point 169 ci‑dessus, être considérée comme un élément qui caractérise les situations respectives de ces deux sociétés et permet, ainsi, de conclure qu’elles sont différentes. Or, force est de constater que la Commission a traité de manière égale ces situations différentes, dans la mesure où elle a imposé aux deux sociétés concernées une amende identique.

172    Ce traitement identique de situations différentes ne peut être considéré comme étant objectivement justifié. Une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est‑à‑dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (voir arrêt Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., point 168 supra, point 47, et la jurisprudence citée).

173    Or, en l’espèce, il n’existe aucun critère objectif et raisonnable qui justifierait l’arrondissement de la durée de participation à une infraction aux règles de la concurrence, lequel a eu pour conséquence, en l’espèce, l’imposition de la même amende à deux sociétés dont la durée de participation à l’entente, seul élément de différenciation de leurs situations respectives, est différente. Notamment, le calcul de la durée exacte de participation d’une entreprise à une infraction, en mois, voire, si nécessaire, en jours, et du multiplicateur exact correspondant ne présentent aucune difficulté pratique significative. Cet arrondissement ne saurait pas non plus se justifier par le besoin d’assurer à l’amende un effet dissuasif minimal, indépendamment de la durée de l’infraction, dès lors que c’est précisément pour cette raison que le paragraphe 25 prévoit l’inclusion, dans le montant de base de l’amende, du droit d’entrée.

174    Il convient de rappeler que, comme la Commission l’admet elle‑même, elle s’est écartée, en l’espèce, de la règle d’arrondissement prévue au paragraphe 24 des lignes directrices et elle a appliqué une règle différente, au demeurant aucunement énoncée dans la décision attaquée, selon laquelle une augmentation de 0,5 du multiplicateur n’a été imposée qu’à partir d’une durée additionnelle de participation à l’infraction supérieure à trois mois.

175    À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que, en adoptant des règles de conduite telles que, en l’occurrence, les lignes directrices et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera dorénavant aux cas concernés par celles‑ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et ne saurait se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 81 supra, point 211 ; arrêts du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff‑Technik/Commission, T‑69/04, Rec. p. II‑2567, point 44, et Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, point 101 supra, point 146).

176    Il peut être déduit de cette jurisprudence que la Commission ne saurait se départir de ses propres lignes directrices que dans des cas où un tel écart est conciliable avec les principes généraux du droit dont, notamment, celui d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt Novácke chemické závody/Commission, point 143 supra, point 136), ce qui, selon les considérations exposées aux points 170 à 173 ci‑dessus, n’est pas le cas en l’espèce.

177    Par ailleurs, s’il est, certes, vrai qu’une stricte application du paragraphe 24 des lignes directrices aurait évité le traitement égal des situations différentes de la requérante et de SKW, dans la mesure où cette dernière se verrait appliquer un multiplicateur de 3 pour sa participation au volet de l’entente relatif à la poudre de carbure de calcium, le présent grief met en évidence, de manière plus générale, l’incompatibilité, avec le principe d’égalité de traitement, de l’arrondissement (que cela soit vers le haut ou vers le bas) de la durée de participation des différentes entreprises à une seule et même infraction.

178    Il convient, par la suite, d’analyser l’argument de la Commission, selon lequel, en substance, la requérante ne saurait profiter d’une éventuelle illégalité commise en faveur de SKW (voir point 157 ci‑dessus).

179    Cet argument ne saurait prospérer. Certes, selon une jurisprudence constante, nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui (arrêt de la Cour du 10 novembre 2011, Rank Group, C‑259/10 et C‑260/10, non encore publié au Recueil, point 62, et arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, Lögstör Rör/Commission, T‑16/99, Rec. p. II‑1633, point 350). Or, le seul fait que la Commission ne s’est pas tenue à la lettre du paragraphe 24 des lignes directrices ne saurait être qualifié d’illégalité, au sens de cette jurisprudence. D’une part, ainsi qu’il a été relevé au point 177 ci‑dessus, la Commission peut, sous certaines conditions, se départir de ses propres lignes directrices et elle s’est, d’ailleurs, expressément réservée, dans ces mêmes lignes, la possibilité de s’écarter, dans un cas approprié, de la méthode de fixation du montant de l’amende définie dans ces lignes (voir point 166 ci‑dessus). D’autre part, ainsi que le rappelle à juste titre la requérante, il ressort d’une jurisprudence constante que les lignes directrices ne peuvent être qualifiées de règle de droit, mais énoncent une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont la Commission ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec le principe d’égalité de traitement (voir arrêt de la Cour du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission, C‑397/03 P, Rec. p. I‑4429, point 91, et la jurisprudence citée).

180    La jurisprudence invoquée par la Commission (arrêts SCA Holding/Commission, point 157 supra, point 160, et HFB e.a./Commission, point 81 supra, point 515) ne saurait conduire à une conclusion différente. Les points invoqués de ces arrêts visent expressément l’hypothèse que la Commission ait commis une illégalité. Or, pour les motifs exposés ci‑dessus, le fait d’imposer une amende dont le montant est inférieur à celui qui résulterait d’une stricte application des lignes directrices n’est pas, en soi, constitutif d’une illégalité. Ce qui peut être qualifié d’illégal est le traitement discriminatoire de la requérante, qui s’est vu infliger le même montant d’amende pour une durée de participation inférieure, les autres circonstances de sa participation à l’entente étant identiques à celles de SKW. Il convient également de relever, en tout état de cause, que lesdits points de ces deux arrêts énoncent des motifs surabondants.

181    Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que les secondes branches des cinquième et sixième moyens sont fondées. Se pose alors la question du moyen le plus apte à remédier à l’inégalité de traitement injustifiée de la requérante.

182    À cet égard, il convient de constater que la requérante s’est vu appliquer un multiplicateur de 2,5, alors que, compte tenu de la durée exacte de sa participation au volet de l’entente relatif à la poudre de carbure de calcium, telle qu’elle résulte de la décision attaquée, un multiplicateur de 2,375 eût été plus apte à refléter, de manière proportionnelle, cette participation. Toutefois, l’inégalité de traitement de la requérante, par rapport à SKW, résulte également du fait que cette dernière s’est vu appliquer un multiplicateur de 2,5, alors qu’un multiplicateur de 2,735 refléterait de manière plus exacte la durée de sa participation à l’infraction litigieuse.

183    Il convient de relever, à ce propos, que, certes, la compétence de pleine juridiction attribuée au juge de l’Union inclut expressément le pouvoir de majorer, le cas échéant, le montant de l’amende infligée. Ainsi, dans l’hypothèse d’une inégalité de traitement entre plusieurs participants à une infraction tenant au fait que la gravité relative du comportement infractionnel des uns a été sous-évaluée par rapport à celle du comportement infractionnel des autres, la solution la plus appropriée pour rétablir un juste équilibre serait de majorer le montant de l’amende infligée aux premiers. Une telle majoration ne saurait, toutefois, intervenir que dans l’hypothèse où les participants à l’infraction dont l’amende doit être majorée ont contesté cette amende devant le Tribunal et qu’ils ont été mis en mesure de présenter leurs observations relatives à une telle majoration. Si ces conditions ne sont pas remplies, le moyen le plus apte à remédier à l’inégalité de traitement relevée consiste en une réduction du montant de l’amende infligée aux autres participants de l’infraction (arrêt Novácke chemické závody/Commission, point 143 supra, points 55 et 56 ; voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, JFE Engineering e.a./Commission, T‑67/00, T‑68/00, T‑71/00 et T‑78/00, Rec. p. II‑2501, point 579).

184    Il y a également lieu de rappeler, dans ce contexte, que l’exercice de la compétence de pleine juridiction du juge de l’Union en matière d’amendes pour infraction aux règles de la concurrence n’équivaut pas à un contrôle d’office et que la procédure devant les juridictions de l’Union est contradictoire. À l’exception des moyens d’ordre public que le juge est tenu de soulever d’office, telle l’absence de motivation, c’est à la partie requérante qu’il appartient de soulever les moyens à l’encontre de la décision de la Commission faisant l’objet de son recours et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens (arrêt de la Cour du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C‑389/10 P, non encore publié au Recueil, point 130).

185    En l’espèce, il est, certes, vrai que SKW a contesté devant le Tribunal, par un recours distinct rejeté par l’arrêt SKW Stahl-Metallurgie Holding et SKW Stahl-Metallurgie /Commission (point 28 supra), le montant de l’amende qui lui a été infligée pour sa participation à l’entente litigieuse. Toutefois, SKW n’a pas avancé, dans le cadre de ce recours, un moyen ou grief relatif à la modulation du montant de l’amende qui lui a été infligée pour refléter la durée de sa participation au volet de l’entente relatif au carbure de calcium, en d’autres termes portant sur le multiplicateur qui lui a été appliqué à ces fins. Cette question n’a pas non plus été évoquée par la Commission.

186    Dans ces conditions, conformément aux considérations figurant au point 183 ci‑dessus, le moyen le plus apte à remédier à l’inégalité de traitement relevée consiste en la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante dans la présente affaire.

187    Pour calculer cette réduction, il y a lieu de tenir compte des considérations suivantes. Premièrement, il convient de rappeler que les lignes directrices ne préjugent pas de l’appréciation de l’amende par le juge de l’Union, qui dispose à cet égard, d’une compétence de pleine juridiction (arrêts du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale/Commission, T‑49/02 à T‑51/02, Rec. p. II‑3033, point 169, et BASF et UCB/Commission, point 103 supra, point 213). Néanmoins, s’il en résulte que le Tribunal n’est pas lié par les lignes directrices de la Commission, il peut, en revanche, choisir de s’en tenir, en tout ou en partie, à la méthode qui y est décrite pour le calcul du montant approprié de l’amende.

188    Deuxièmement si, comme le rappelle la Commission, le Tribunal a relevé, dans son arrêt Dunlop Slazenger/Commission (point 157 supra, point 178), que, compte tenu des circonstances particulières de cette affaire, la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante dans cette affaire ne devait pas être nécessairement proportionnelle à la réduction de la durée des infractions, cette seule considération, justifiée par les circonstances de cette affaire, ne saurait faire obstacle à une réduction de l’amende dans la présente affaire tendant à refléter de manière plus exacte et proportionnelle la différence entre les durées respectives de participation au volet de l’entente litigieuse relatif à la poudre de carbure de calcium de la requérante et de SKW.

189    Troisièmement, il ressort de la réponse de la Commission à la demande de mesure d’organisation de la procédure évoquée au point 9 ci‑dessus que la valeur exacte des ventes retenues aux fins du calcul du montant de l’amende infligée à la requérante est de 16,848 millions d’euros pour la poudre de carbure de calcium et de 7,903 millions d’euros pour le magnésium.

190    La proportion de ces ventes retenues par la Commission aux fins du calcul du montant de l’amende (17 %) s’élève à, respectivement, 2 864 160 euros et 1 343 510 euros pour les deux produits concernés. Sur la base de ces montants et des multiplicateurs mentionnés dans la décision attaquée, la Commission a retenu un montant de base de l’amende à infliger à la requérante de 10 millions d’euros pour la poudre de carbure de calcium et de 3,3 millions pour le magnésium, ce qui a donné un montant total de l’amende de 13,3 millions d’euros.

191    Si sont appliqués, sur les mêmes montants, les multiplicateurs appropriés indiqués au point 182 ci‑dessus, il en résulte des montants de base pour la poudre de carbure de calcium (à l’évidence, le montant de base pour le magnésium reste inchangé) de, respectivement, 9 666 540 euros et 10 697 637 euros, pour la requérante et pour SKW. Cela aurait conduit à l’imposition, à la requérante et à SKW, d’une amende pour leur participation à l’infraction litigieuse de, respectivement, 12,9 millions d’euros et 13,9 millions d’euros.

192    En d’autres termes, le traitement égal des situations inégales de la requérante et de SKW a eu pour conséquence de leur imposer une amende de même montant, alors que, ainsi qu’il ressort de ce qui a été relevé ci‑dessus, il devait y avoir entre les montants de l’amende infligée à ces deux sociétés une différence d’un million d’euros. Par conséquent, afin de remédier à l’inégalité de traitement constatée au détriment de la requérante, le Tribunal décide, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, de réduire d’un million d’euros le montant de l’amende infligée à la requérante dans la décision attaquée.

 Sur la première branche du sixième moyen, portant sur la gravité de l’infraction

193    Par la première branche du sixième moyen, la requérante reproche à la Commission une violation du principe d’égalité de traitement, au motif que, aux fins de la détermination du montant de base de l’amende, elle a fixé, en application des paragraphes 21 et 25 des lignes directrices, le même pourcentage (17 %) de la valeur des ventes réalisées en relation avec l’infraction tant pour le volet de l’entente concernant le carbure de calcium en granulés que pour celui relatif au magnésium. Or, dans le cas du volet de l’entente relatif au magnésium, tant le nombre d’entreprises ayant participé à l’infraction que la valeur des ventes concernées seraient inférieurs à ceux du volet relatif au carbure de calcium en granulés. Il s’ensuit, selon la requérante, qu’un pourcentage de ventes inférieur aurait dû être fixé pour le volet de l’entente relatif au magnésium.

194    Cette argumentation ne saurait prospérer.

195    Il convient de souligner, tout d’abord, que la fixation d’un même pourcentage pour les deux volets susmentionnés de l’entente n’implique pas la fixation d’un montant d’amende identique pour chacun de ces deux volets. Dès lors qu’il s’agit d’un pourcentage des ventes du produit concerné réalisées en relation avec l’infraction, il est évident que les montants de base de l’amende imposée à un participant à l’entente pour chacun de ces deux volets traduiront toute différence entre les volumes des ventes respectives des produits en question réalisées par lui en relation avec l’infraction. Plus généralement, si, comme l’affirme la requérante, la valeur globale des ventes concernées par le volet de l’entente litigieuse relatif au magnésium était inférieure à celle des ventes de carbure de calcium en granulés, il résulte de la considération qui précède que la somme des montants de base des amendes infligées pour le premier volet sera inférieure à la somme des montants de base des amendes infligées pour le second volet, ce qui ne constitue pas un traitement égal de situations inégales.

196    Du reste, il convient de tenir compte du fait que, comme il a été rappelé au point 148 ci‑dessus, il résulte du paragraphe 23 des lignes directrices que la Commission considère les accords tels que ceux en cause en l’espèce comme comptant parmi les restrictions de concurrence les plus graves. Ce paragraphe des lignes directrices ne fait, d’ailleurs, que refléter la jurisprudence constante, selon laquelle, notamment, le partage des marchés et les ententes horizontales en matière de prix ont toujours été considérés comme faisant partie des infractions les plus graves au droit de la concurrence (voir arrêt Brasserie nationale/Commission, point 187 supra, points 173 et 174, et la jurisprudence citée ; arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, Rec. p. II‑897, point 252, et la jurisprudence citée).

197    Dans ces circonstances, le pourcentage de 17 % des ventes concernées, choisi par la Commission aux fins du calcul du montant de base de l’amende, tant pour le volet de l’infraction relatif au carbure de calcium en granulés que pour celui relatif au magnésium, est pleinement justifié et ne saurait, en tout état de cause, être qualifié d’excessif. En effet, alors que la dernière phrase du paragraphe 23 des lignes directrices prévoit que, pour les infractions telles que celle en cause en l’espèce, « la proportion des ventes prises en compte [aux fins du calcul du montant de base de l’amende] sera généralement retenue en haut de l’échelle », un pourcentage de 17 % se situe à peine au‑delà du milieu de l’échelle allant de 0 à 30 % prévue au paragraphe 21 des mêmes lignes directrices et très proche de la limite inférieure de l’échelle allant de 15 à 25 %, à utiliser pour la détermination du droit d’entrée, prévue au paragraphe 25 desdites lignes.

198    S’agissant de la référence faite par la requérante au nombre moins élevé d’entreprises ayant participé au volet de l’entente relatif au magnésium, il y a lieu de relever que la différence avec le volet relatif au carbure de calcium en granulés est presque négligeable. Sept destinataires de la décision attaquée, qui ne formaient que quatre unités économiques, étaient concernés par ce dernier volet. Il s’agit d’Akzo Nobel et de sa filiale Carbide Sweden AB avec laquelle elle constituait, selon la décision attaquée, une unité économique, de Donau Chemie, de Novácke chemické závody et de sa société mère à l’époque des faits litigieux 1. garantovaná a.s., avec laquelle elle constituait, selon la décision attaquée, une unité économique, ainsi que de TDR Metalurgija et de sa société mère Holding slovenske elektarne d.o.o., avec laquelle elle constituait, selon la décision attaquée, une unité économique. Six destinataires de la même décision, formant trois unités économiques, étaient concernés par le volet de l’entente relatif au magnésium en granulés. Ils étaient Almamet, le groupe Ecka constitué par ECKA Granulate GmbH & Co. KG et par sa filiale non ferrum Metallpulver GmbH & Co. KG, ainsi que l’unité économique formée par SKW et ses différentes sociétés mères, directes ou indirectes.

199    En outre, selon la jurisprudence, aux fins de la fixation du montant de l’amende, il convient de prendre en considération la gravité et la durée de l’infraction, ce qui oblige à tenir compte, notamment, du nombre et de l’importance des entreprises concernées et de la fraction respective du marché qu’elles contrôlent (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, point 176, et du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 612 ; arrêts du Tribunal du 11 décembre 2003, Ventouris/Commission, T‑59/99, Rec. p. II‑5257, point 199).

200    Toutefois, il est de jurisprudence constante que la gravité des infractions au droit de la concurrence doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments, tels que les circonstances particulières de l’affaire, son contexte et la portée dissuasive des amendes, et ce sans qu’il ait été établie une liste contraignante ou exhaustive de critères devant obligatoirement être pris en compte (voir arrêt Erste Group Bank e.a./Commission, point 92 supra, point 91, et la jurisprudence citée). Il appartient au Tribunal de contrôler l’exercice par la Commission de son pouvoir d’appréciation sur ces éléments (arrêt Erste Group Bank e.a./Commission, point 92 supra, point 92), étant rappelé que le Tribunal dispose, en la matière, d’une compétence de pleine juridiction lui permettant, le cas échéant, de substituer sa propre appréciation à celle de la Commission (voir arrêt de la Cour du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331, et la jurisprudence citée).

201    En l’espèce, il ressort des indications figurant au considérant 39 de la décision attaquée, aucunement contestées par la requérante, que les trois entreprises ayant participé au volet de l’entente litigieuse relatif au magnésium (Almamet, Groupe Ecka et SKW) étaient les trois plus grands fournisseurs de granulés de magnésium à l’industrie sidérurgique en Europe et leur part de marché cumulée s’élevait à environ 70 %. Le reste du marché était réparti entre d’autres petits revendeurs, tels que ceux mentionnés à la note en bas de page n° 76 de la décision attaquée, à l’égard desquels il y est relevé que le volume individuel de leurs ventes était inférieur à 1 000 t par an et un nombre croissant d’exportateurs directs depuis la Chine.

202    Il s’ensuit que le nombre plus restreint d’entreprises impliquées dans le volet de l’entente relatif au magnésium s’explique par la plus grande concentration de ce marché. Cela ressort clairement du tableau figurant au considérant 46 de la décision attaquée, qui indique que sept participants à l’entente contrôlaient environ 85 % du marché de la poudre de carbure de calcium, les sept participants à l’entente mentionnés au point 198 ci-dessus contrôlaient environ 65 % du marché de granulés de carbure de calcium, alors que les seules trois entreprises mentionnées au point 201 ci-dessus détenaient environ 70 % du marché de magnésium.

203    De plus, contrairement à ce qui était le cas s’agissant du marché du magnésium destiné à l’industrie sidérurgique, où la part de marché non détenue par les trois entreprises ayant participé à l’entente (environ 30 %), était détenue par des petits revendeurs ou par des exportateurs directs depuis la Chine, il ressort du considérant 37 de la décision attaquée qu’il existait, outre les entreprises visées par la décision attaquée, sept autres producteurs ou fournisseurs qui détenaient ensemble une part de marché cumulée estimée à 15 % environ pour la poudre de carbure de calcium et à 31 % pour les granulés de carbure de calcium dans l’EEE.

204    Compte tenu de l’ensemble de ces éléments et considérations, et tenant également compte du fait que la fixation, aux fins du calcul du montant de base de l’amende, d’un pourcentage de ventes identique pour chacun des trois volets de l’entente n’a pas impliqué, pour les motifs exposés au point 195 ci‑dessus, la fixation d’un montant de base identique pour chacun de ces trois volets, il convient de rejeter l’argument de la requérante tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement.

205    En effet, contrairement à ce que soutient, en substance, la requérante, ce principe n’exigeait pas, dans les circonstances de l’espèce, la fixation d’un pourcentage de ventes moins élevé pour le magnésium. Les circonstances invoquées par la requérante ne justifient pas non plus l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction, aux fins de la réduction du montant de l’amende, sous réserve de la réduction mentionnée au point 192 ci-dessus. Par conséquent, la première branche du sixième moyen doit être rejetée.

 Sur le septième moyen, tiré de la violation de l’article 23 du règlement n° 1/2003, en ce que la Commission n’a pas retenu comme circonstance atténuante à l’égard de la requérante, la non-contestation des faits litigieux par celle‑ci

206    La requérante rappelle que, dans sa réponse à la communication des griefs, elle avait expressément déclaré ne pas contester les faits que la Commission lui reprochait. Or, la Commission n’aurait pas tenu compte de cette déclaration au titre de circonstance atténuante justifiant une réduction du montant de l’amende. La requérante renvoie, à cet égard, au considérant 323 de la décision attaquée, lequel relève ce qui suit : « [l]e fait qu’après avoir reçu la communication des griefs, certaines entreprises ont également informé la Commission qu’elles ne contestaient pas, pour l’essentiel, les faits, ne constitue pas une circonstance atténuante ».

207    Selon la requérante, la Commission dispose d’une marge d’appréciation quant à la reconnaissance, ou non, de la non-contestation des faits comme circonstance atténuante. Son affirmation figurant au considérant 323 de la décision attaquée donnerait l’impression qu’elle aurait méconnu l’existence de cette marge d’appréciation.

208    La requérante reconnaît que la communication sur la clémence de 2002 ne prévoit pas expressément, à la différence de la communication de la Commission concernant la non‑imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci‑après la « communication sur la clémence de 1996 ») qu’elle a remplacée, une réduction du montant de l’amende pour non-contestation des faits. Toutefois, elle rappelle que le paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices prévoit que le montant de base de l’amende peut être réduit, au titre de circonstance atténuante, lorsque l’entreprise concernée coopère effectivement avec la Commission, en dehors du champ d’application de la communication sur la clémence et au‑delà de ses obligations juridiques de coopérer.

209    En outre, dans son arrêt du 28 février 2002, Cascades/Commission (T‑308/94, Rec. p. II‑813, point 256), portant sur une décision de la Commission adoptée avant l’entrée en vigueur de la communication sur la clémence de 1996, le Tribunal aurait jugé qu’une déclaration expresse d’une entreprise, selon laquelle elle ne contestait pas les allégations de fait exposées dans la communication des griefs, peut justifier une réduction du montant de l’amende. De même, dans son arrêt du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission (T‑161/05, Rec. p. II‑3555, point 97), le Tribunal aurait jugé que « la déclaration de non‑contestation des faits établis dans la communication des griefs, formulée de manière expresse et non équivoque dans le cadre de la réponse à la communication des griefs, ne pouvait que faciliter la tâche de la Commission ». Il s’ensuit, selon la requérante, que le seul fait que, depuis l’adoption de la communication sur la clémence de 2002, une réduction du montant de l’amende pour non-contestation des faits n’est plus prévue expressément, ne signifie pas l’abandon de la pratique administrative antérieure, tant celle établie avant l’adoption de la communication sur la clémence de 1996 que celle développée sous l’empire de cette dernière. Dans ce contexte, la requérante relève que, en 2007, dans une autre affaire relevant du champ d’application de la communication sur la clémence de 2002, une réduction du montant de l’amende pour non-contestation des faits avait été accordée.

210    La requérante reproche, dès lors, à la Commission, une appréciation de la gravité de l’infraction erronée et contraire à l’article 23 du règlement n° 1/2003 ainsi qu’une erreur manifeste d’appréciation, du fait que, sans donner de raisons, elle n’a pas tenu compte, au titre de circonstance atténuante, de sa déclaration expresse selon laquelle elle ne contestait pas les faits allégués dans la communication des griefs.

211    Au regard de cette argumentation, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lorsqu’une infraction a été commise par plusieurs entreprises, il y a lieu, dans le cadre de la détermination du montant des amendes, d’examiner la gravité relative de la participation de chacune d’entre elles, ce qui implique, en particulier, d’établir leurs rôles respectifs dans l’infraction pendant la durée de leur participation à celle‑ci. Cette conclusion constitue la conséquence logique du principe d’individualité des peines et des sanctions en vertu duquel une entreprise ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés, principe qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en vertu des règles de concurrence du droit de l’Union (voir arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, points 277 et 278, et la jurisprudence citée).

212    Conformément à ces considérations, les lignes directrices prévoient, au paragraphe 29, une modulation du montant de base de l’amende en fonction de certaines circonstances atténuantes propres à chaque entreprise concernée. Ce paragraphe établit, en particulier, une liste non exhaustive de circonstances atténuantes susceptibles d’être prises en compte. Selon le quatrième tiret de ce paragraphe, la Commission constatera l’existence de circonstances atténuantes « lorsque l’entreprise concernée coopère effectivement avec [elle], en dehors du champ d’application de la communication sur la clémence et au‑delà de ses obligations juridiques de coopérer ».

213    En revanche, la simple non‑contestation des faits par l’entreprise concernée ne figure pas au nombre des circonstances atténuantes énumérées à titre indicatif au même paragraphe des lignes directrices. À cet égard, la Commission a expliqué, devant le Tribunal, que la communication sur la clémence de 1996 prévoyait, au point D, paragraphe 2, une réduction du montant de l’amende au titre de la coopération, pour une entreprise qui, après avoir reçu la communication des griefs, informait la Commission qu’elle ne contestait pas la matérialité des faits ayant servi de fondement à ses accusations. Toutefois, cette pratique administrative ne se serait pas avérée efficace et aurait été abandonnée, de sorte que ni la communication sur la clémence de 2002, applicable aux faits de l’espèce, ni les lignes directrices ne contiendraient une disposition analogue.

214    Compte tenu de cette argumentation de la Commission, il y a lieu de relever que, si, comme il ressort de la jurisprudence citée au point 175 ci‑dessus, la Commission ne saurait se départir des règles qu’elle s’est imposées, elle est, en revanche, libre de modifier ces règles ou de les remplacer. Dans un cas qui relève du champ d’application des nouvelles règles, comme c’est le cas de l’infraction litigieuse qui relève, ratione temporis, du champ d’application des lignes directrices et de la communication sur la clémence de 2002, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir tenu compte d’une circonstance atténuante qui n’est pas prévue par ces nouvelles règles, au seul motif qu’elle était prévue dans les anciennes règles. En effet, le fait que la Commission ait considéré, dans sa pratique décisionnelle antérieure, que certains éléments constituaient des circonstances atténuantes aux fins de la détermination du montant de l’amende n’implique pas qu’elle soit obligée de porter la même appréciation dans une décision ultérieure (arrêts du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr‑Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 368, et du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 337).

215    Il s’ensuit que le seul fait que, dans des décisions antérieures adoptées conformément à des règles et à une pratique depuis modifiées, la Commission avait tenu compte, aux fins de la réduction du montant de l’amende infligée à une entreprise ayant participé à une entente, de l’absence de contestation par celle‑ci des faits qui lui étaient reprochés ne signifie pas qu’elle était tenue, en l’espèce, d’accorder à la requérante une réduction du montant de l’amende pour le même motif.

216    Il n’en demeure pas moins que, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 212 ci‑dessus, l’énumération des circonstances atténuantes susceptibles d’être prises en compte par la Commission au paragraphe 29 des lignes directrices n’est pas exhaustive. Par conséquent, le fait que les lignes directrices n’énumèrent pas, parmi les circonstances atténuantes, la non-contestation des faits par une entreprise ayant participé à une infraction, ne fait pas obstacle à la prise en considération, à ce titre, de cette circonstance, si elle est susceptible de démontrer que la gravité relative de la participation de ladite entreprise à l’infraction est moins importante (voir, par analogie, arrêt Novácke chemické závody/Commission, point 143 supra, point 94).

217    Il convient, par conséquent, aux fins de l’analyse du présent moyen, d’examiner si la non‑contestation, par la requérante, des faits qui lui étaient reprochés ainsi que les autres circonstances atténuantes alléguées par celle‑ci étaient susceptibles d’atténuer la gravité relative de sa participation à l’entente et de constituer une coopération effective avec la Commission, au sens du paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices, de manière à justifier une réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.

218    Il importe de rappeler, à cet égard, que, selon une jurisprudence constante, une réduction du montant de l’amende au titre d’une coopération lors de la procédure administrative n’est justifiée que si le comportement de l’entreprise en cause a permis à la Commission de constater l’existence d’une infraction avec moins de difficulté et, le cas échéant, d’y mettre fin (arrêts de la Cour du 16 novembre 2000, SCA Holding/Commission, C‑297/98 P, Rec. p. I‑10101, point 36, et du 10 mai 2007, SGL Carbon/Commission, C‑328/05 P, Rec. p. I‑3921, point 83 ; arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, Rec. p. II‑1129, point 325).

219    C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’apprécier les arguments de la requérante.

220    Il ressort des considérations exposées ci‑dessus qu’il n’est nullement interdit à la Commission, même après l’abrogation de la communication sur la clémence de 1996, de tenir compte, en tant que circonstance atténuante, de l’absence de contestation, par une entreprise ayant participé à une infraction aux règles de la concurrence, des faits qui lui sont reprochés. Étant donné que, selon une jurisprudence constante, la Commission dispose, dans le cadre du règlement n° 1/2003, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de la concurrence (voir arrêt Brasserie nationale/Commission, point 187 supra, point 170, et la jurisprudence citée), il peut être affirmé, comme le fait la requérante, que, dans le cadre de l’exercice de cette marge d’appréciation, la Commission peut choisir de retenir, ou non, comme circonstance atténuante l’absence d’une telle contestation.

221    Toutefois, l’affirmation figurant au considérant 323 de la décision attaquée ne saurait être interprétée, contrairement à ce que soutient la requérante, en ce sens que la Commission a nié l’existence même d’une telle marge d’appréciation. Ce considérant indique, tout simplement, que, dans les circonstances de la présente affaire, la simple non-contestation des faits par un ou plusieurs des participants à l’infraction ne saurait être retenue comme circonstance atténuante.

222    À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’existence de l’entente litigieuse a été portée à la connaissance de la Commission par Akzo Nobel, ainsi que cela est rappelé au considérant 335 de la décision attaquée. Ensuite, Degussa a également déposé une déclaration en vue de bénéficier de la communication sur la clémence, dans laquelle elle a fourni à la Commission des informations additionnelles portant, notamment, sur le volet de l’entente relatif au magnésium, ce qui lui a valu une réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée, ainsi que cela résulte des considérants 350 à 356 de la décision attaquée.

223    Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de la note en bas de page n° 143 sous le considérant 64 et du considérant 348 de la décision attaquée, la Commission avait saisi dans les locaux d’une autre entreprise ayant participé à l’entente, en l’occurrence TDR Metalurgija d.d., des preuves documentaires du volet de l’entente portant sur la poudre de carbure de calcium et, plus particulièrement, de la première réunion relative à ce produit, tenue le 22 avril 2004. En outre, il ressort des considérants 124 à 135 et 155 à 159 de la décision attaquée que la Commission disposait également de preuves documentaires du volet de l’entente relatif au magnésium, consistant en des documents saisis lors d’une inspection effectuée dans les locaux de la société non ferrum Metallpulver, qui faisait partie du groupe Ecka. Ces mêmes documents ont, par la suite, également été évoqués par cette dernière société dans sa réponse à une demande de renseignements que lui avait adressée la Commission et, pour ce motif, la Commission a considéré qu’elle était en droit de les prendre en considération, ce que la requérante ne conteste, d’ailleurs, pas.

224    Au regard de ces éléments, il convient de constater que la Commission disposait d’un nombre important de preuves des faits allégués contre la requérante, tant sous la forme de déclarations émanant d’autres participants à l’entente que sous la forme de documents constituant une trace écrite, fût‑elle fragmentaire, des différentes réunions tenues dans le cadre de l’entente et des engagements pris lors de ces réunions. Dans ces conditions et à défaut d’arguments de la requérante de nature à démontrer le contraire, il convient de conclure que la Commission était, en tout état de cause, en mesure de prouver les faits reprochés à la requérante en cas de contestation par celle‑ci. Il s’ensuit que l’absence d’une telle contestation ne saurait, en l’espèce, être regardée comme une coopération effective lors de la procédure administrative, au sens du paragraphe 29, quatrième tiret, des lignes directrices et de la jurisprudence citée au point 218 ci‑dessus, et ne saurait par conséquent justifier une réduction du montant de l’amende infligée à la requérante.

225    Il s’ensuit qu’il ne saurait être reproché à la Commission ni une appréciation erronée de la gravité de l’infraction, ni une violation de l’article 23 du règlement n° 1/2003, ni une erreur manifeste d’appréciation. Les griefs correspondants de la requérante doivent, dès lors, être rejetés.

226    Par ailleurs, dans la mesure où, en reprochant à la Commission d’avoir décidé, « sans donner de raisons », de ne pas tenir compte de la non-contestation des faits, la requérante entend se prévaloir d’un grief tiré de la violation de l’obligation de motivation, un tel grief ne saurait non plus prospérer. En effet, l’affirmation figurant au considérant 323 de la décision attaquée (voir point 206 ci‑dessus) doit être replacée dans son contexte caractérisé, notamment, par les autres éléments exposés dans la décision attaquée et résumés aux points 222 et 223 ci‑dessus. La prise en compte de l’ensemble de ces éléments permet de comprendre les motifs pour lesquels la Commission a considéré que la simple non-contestation des faits par certains participants à l’entente litigieuse ne saurait, dans les circonstances de la présente espèce, être retenue comme circonstance atténuante. Par conséquent, la décision attaquée n’est pas entachée d’une absence ou d’une insuffisance de motivation sur ce point.

227    Enfin, les considérations exposées ci‑dessus permettent également de conclure que l’exercice, par le Tribunal, de sa compétence de pleine juridiction pour réduire le montant de l’amende infligée à la requérante afin de tenir compte de l’absence de contestation, de sa part, des faits qui lui étaient reprochés, n’est pas, en l’espèce, justifié. Par conséquent, il convient de rejeter le septième moyen.

 Sur le huitième moyen, tiré d’une erreur dans l’application de l’article 81 CE et de l’article 7 du règlement n° 1/2003, ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation résultant des articles 1er et 3 de la décision attaquée

228    Le huitième moyen tend à l’annulation des articles 1er et 3 de la décision attaquée, pour autant qu’ils visent la requérante.

229    La requérante fait valoir que nulle part dans la décision attaquée la Commission n’affirme qu’elle s’est elle‑même rendue responsable d’une violation de l’article 81 CE. Elle renvoie, à cet égard, au considérant 262 de la décision attaquée, qui se limite à affirmer qu’elle « peut être rendue responsable du comportement illicite de SKW ». Or, selon la requérante, ces affirmations sont en contradiction manifeste avec le dispositif de la décision attaquée, dans la mesure où il y est constaté, à l’article 1er, sous f), qu’elle est l’une des entreprises ayant violé l’article 81 CE par leur participation à une infraction unique et continue et qu’elle est enjointe, à l’article 3, de mettre immédiatement fin à cette infraction. La Commission aurait outrepassé les compétences que lui confère l’article 7 du règlement n° 1/2003, en exigeant d’elle de mettre fin à une infraction dans laquelle elle ne se serait jamais impliquée. De plus, compte tenu de la contradiction manifeste alléguée, entre la description des faits, telle qu’elle figure dans les motifs de la décision attaquée et le dispositif de celle‑ci, la requérante invoque également une violation de l’obligation de motivation, résultant de l’article 253 CE.

230    La requérante précise qu’elle n’allègue pas qu’une société mère peut seulement être tenue pour responsable d’une infraction commise par sa filiale, lorsqu’elle s’est elle‑même rendue personnellement coupable d’une violation des règles de la concurrence. Elle estime, néanmoins, que la Commission ne saurait déclarer qu’une entreprise a violé l’article 81 CE lorsque cette entreprise n’a pas elle‑même participé au comportement reproché, mais s’est vu infliger une amende, par imputation du comportement infractionnel d’une autre entreprise, dotée de sa propre personnalité juridique. Selon la requérante, cela est d’autant plus le cas qu’il résulte de l’article 16, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003 que les décisions de la Commission, telles que la décision attaquée, lient les juridictions nationales lorsque ces dernières statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant des articles 81 CE et 82 CE, qui ont déjà fait l’objet d’une décision de la Commission. La requérante considère que, compte tenu de cette dernière disposition, il pourrait être considéré qu’une juridiction nationale est liée par la constatation figurant à l’article 1er, sous f), de la décision attaquée, ce qui créerait une présomption irréfragable dans le contexte d’un recours indemnitaire à son égard et donnerait lieu à des actions en dommages et intérêts qui, à défaut de cette constatation, seraient dépourvues de fondement.

231    Cette argumentation ne saurait prospérer, dès lors qu’elle est fondée sur la prémisse erronée, selon laquelle la requérante n’a pas elle‑même participé à l’infraction litigieuse. Or, ainsi qu’il peut être déduit de la jurisprudence rappelée aux points 16 à 21 ci-dessus et que le Tribunal l’a, d’ailleurs, déjà relevé dans l’arrêt Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission (point 175 supra, point 74), une personne morale, qui se voit condamnée pour une infraction en raison des liens économiques et juridiques qui l’unissaient à une autre personne morale et qui lui permettaient de déterminer le comportement de cette dernière sur le marché, est censée avoir commise elle‑même l’infraction.

232    Il convient de relever, à cet égard, que, en définitive, ce ne sont que les personnes physiques qui peuvent être directement impliquées dans les accords, comportements ou pratiques anticoncurrentielles. En général, tant en droit de l’Union que dans les droits des États membres, les agissements des personnes physiques relevant d’une personne morale, qu’elles soient leurs organes ou leurs employés, sont imputés à cette dernière. Or, le droit de concurrence de l’Union présente, à cet égard, une particularité, en ce que les articles 81 CE et 82 CE visent, par leurs termes mêmes, les entreprises, telles que définies par la jurisprudence mentionnée aux points 16 et 17 ci‑dessus. Il résulte de cette même jurisprudence qu’une entreprise, c’est‑à‑dire une unité économique, peut comporter en son sein plusieurs personnes morales. Dans l’hypothèse d’une implication des personnes physiques relevant de cette entreprise à une infraction aux règles de la concurrence, indépendamment de l’identité de la personne morale précise, au sein de l’entreprise, dont ces personnes physiques relèvent, c’est l’ensemble de l’entreprise et, donc, l’ensemble des personnes morales la composant à l’époque de l’infraction, qui est censée avoir commis cette infraction et peut se voir infliger une sanction.

233    Dès lors que, en l’espèce, la Commission a considéré que la requérante faisait partie de la même entreprise, c’est‑à‑dire de la même unité économique que SKW lors de la période infractionnelle et que le Tribunal a approuvé, dans le cadre de l’examen des deux premiers moyens, cette considération, il convient de conclure que l’article 1er, sous f), et l’article 3 de la décision attaquée ne sont ni entachés d’une erreur de droit ni ne révèlent une contradiction dans la motivation de la décision attaquée, de sorte que l’argumentation avancée par la requérante à l’appui du présent moyen doit être rejetée.

234    Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter le huitième moyen. Par conséquent, il convient, dans l’exercice de la compétence de pleine juridiction du Tribunal, de porter à 12,3 millions d’euros le montant de l’amende infligée à la requérante (voir point 192 ci‑dessus) et de rejeter le recours pour le surplus.

 Sur les dépens

235    Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

236    Le recours n’ayant été que partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que la requérante supportera 90 % de ses propres dépens ainsi que 90 % de ceux de la Commission. La Commission supportera 10 % de ses propres dépens et 10 % des dépens exposés par la requérante. L’ordonnance du 15 novembre 2010, Arques Industries/Commission (point 6 supra) ayant déjà réglé la répartition des dépens afférents à la procédure en référé, cette répartition ne concerne pas les dépens afférents à la procédure en référé.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le montant de l’amende infligée à Gigaset AG au titre de l’article 2, sous f), de la décision C (2009) 5791 final de la Commission, du 22 juillet 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39.396 − Réactifs à base de carbure de calcium et de magnésium destinés aux secteurs sidérurgique et gazier), est fixé à 12,3 millions d’euros.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Gigaset supportera 90 % de ses propres dépens ainsi que 90 % de ceux de la Commission européenne, à l’exception des dépens afférents à la procédure en référé. La Commission supportera 10 % de ses propres dépens et 10 % des dépens exposés par Gigaset, à l’exception des dépens afférents à la procédure en référé.

Czúcz

Labucka

Gratsias

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 janvier 2014.

Signatures

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure et conclusions des parties

En droit

Sur les premier et deuxième moyens, tirés de la violation, d’une part, de l’article 81 CE et de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 1/2003, en ce que la Commission a tenu la requérante pour solidairement responsable du comportement infractionnel de SKW, et, d’autre part, de l’obligation de motivation

Rappel de la jurisprudence pertinente

Décision attaquée

Sur la portée du premier moyen

Sur l’existence d’une unité économique entre la requérante et SKW Holding

Sur la décision de la Commission d’imputer à la requérante le comportement infractionnel de sa filiale

Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit en ce que la Commission a conclu à l’existence d’une infraction unique et continue

Rappel de la jurisprudence relative à la notion d’infraction unique

Décision attaquée

Examen du moyen

Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de motivation, s’agissant de la responsabilité solidaire de la requérante, avec SKW, pour le paiement de l’amende

Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’article 23 du règlement n° 1/2003 et le sixième moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement

Sur la première branche du cinquième moyen, tirée de l’appréciation erronée de la gravité de l’infraction par la Commission

Sur les secondes branches des cinquième et sixième moyens, tirées de l’appréciation erronée de la durée de l’infraction

Sur la première branche du sixième moyen, portant sur la gravité de l’infraction

Sur le septième moyen, tiré de la violation de l’article 23 du règlement n° 1/2003, en ce que la Commission n’a pas retenu comme circonstance atténuante à l’égard de la requérante, la non-contestation des faits litigieux par celle‑ci

Sur le huitième moyen, tiré d’une erreur dans l’application de l’article 81 CE et de l’article 7 du règlement n° 1/2003, ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation résultant des articles 1er et 3 de la décision attaquée

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’allemand.