Language of document : ECLI:EU:T:2014:41

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (septième chambre)

23 janvier 2014(*)

« Recours en annulation – Aides d’État – Législation espagnole prévoyant des mesures en faveur des coopératives agricoles à la suite de la hausse du coût du carburant – Décision déclarant les aides incompatibles avec le marché intérieur –Associations professionnelles – Défaut d’affectation individuelle – Absence de récupération – Disparition de l’intérêt à agir – Irrecevabilité »

Dans l’affaire T‑156/10,

Confederación de Cooperativas Agrarias de España, établie à Madrid (Espagne),

Confederación Empresarial Española de la Economía Social (CEPES), établie à Madrid,

représentées par Mes M. Araujo Boyd et M. Muñoz de Juan, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. R. Lyal et C. Urraca Caviedes, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Asociación de Empresarios de Estaciones de Servicio de la Comunidad Autónoma de Madrid (Aeescam), représentée par Mes R. Ortega Bueno et M. Delgado Echevarría, avocats,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2010/473/UE de la Commission, du 15 décembre 2009, relative aux mesures d’appui au secteur agricole mises à exécution par l’Espagne à la suite de la hausse du coût du carburant (JO 2010, L 235, p. 1),

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. M. van der Woude (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Les requérantes, la Confederación de Cooperativas Agrarias de España (ci-après la « CCAE ») et la Confederación Empresarial Española de la Economía Social (CEPES), sont deux entités régies par le droit espagnol. La CCAE est une association coopérative qui représente et défend les intérêts économiques et sociaux des coopératives agricoles en Espagne. La CEPES est une organisation professionnelle qui regroupe et défend les intérêts des entités dites d’« économie sociale » en Espagne, parmi lesquelles figure la CCAE.

2        Le 29 septembre 2000, les autorités espagnoles ont notifié à la Commission des communautés européennes plusieurs mesures destinées à compenser les effets négatifs de la hausse du prix du carburant.

3        Parmi ces mesures figurait le Real Decreto-Ley 10/2000 de medidas urgentes de apoyo a los sectores agrario, pesquero y del transporte (décret-loi royal relatif à des mesures urgentes de soutien aux secteurs agricole, de la pêche et des transports) (BOE n° 241, du 7 octobre 2000, p. 34614, ci-après le « décret-loi »).

4        L’article 1er du décret-loi modifiait l’article 9, paragraphe 2, sous a), et l’article 13, paragraphe 10, de la Ley 20/1990 sobre el Régimen Fiscal de las Cooperativas (loi sur le régime fiscal des coopératives), l’article 93, paragraphe 4, de la Ley 27/1999 de Cooperativas (loi sur les coopératives) et la quinzième disposition additionnelle de la Ley 34/1998 del Sector de Hidrocarburos (loi relative au secteur des hydrocarbures).

5        Il résultait des différentes dispositions de l’article 1er du décret-loi (ci-après les « mesures litigieuses ») que, premièrement, les coopératives agricoles ne devaient plus constituer une entité dotée d’une personnalité juridique propre pour pouvoir distribuer à des tiers non membres du gasoil à usage agricole, dénommé « gasoil B », abrogeant ainsi l’obligation qui avait été imposée en ce sens par la quinzième disposition additionnelle de la loi 34/1998 ; deuxièmement, les coopératives agricoles pouvaient désormais également bénéficier, pour leurs activités de distribution de gasoil B à des tiers, des avantages fiscaux accordés aux « coopératives spécialement protégées » définis par la loi 20/1990 et, troisièmement, les coopératives agricoles n’étaient plus soumises, pour ces activités, à l’obligation de respecter la limite de 50 % prévue normalement pour des opérations avec des tiers non membres par rapport au volume total d’opérations des coopératives, imposée par l’article 93, paragraphe 4, de la loi 27/1999 et par l’article 13, paragraphe 10, de la loi 20/1990.

6        Le 11 avril 2001, la Commission a ouvert une procédure formelle d’examen sur la base de l’article 108, paragraphe 2, TFUE à l’égard des mesures notifiées par les autorités espagnoles le 29 septembre 2000 et, par la communication 2001/C 172/02, du 16 juin 2001, portant invitation à présenter des observations en application de l’article [108, paragraphe 2, TFUE] (JO C 172, p. 2), a porté à la connaissance des parties intéressées sa décision d’ouvrir ladite procédure. La CCAE a soumis des observations dans le cadre de cette procédure.

7        Le 11 décembre 2002, la Commission a adopté la décision 2003/293/CE relative aux mesures en faveur du secteur agricole mises à exécution par l’Espagne à la suite de la hausse du coût du carburant (JO 2003, L 111, p. 24, ci-après la « première décision »). La Commission a conclu, à l’article 1er de cette décision, que les mesures litigieuses ne constituaient pas des aides d’État.

8        Le Tribunal a, par arrêt du 12 décembre 2006, Asociación de Estaciones de Servicio de Madrid et Federación Catalana de Estaciones de Servicio/Commission (T‑146/03, non publié au Recueil), annulé l’article 1er de la première décision pour défaut de motivation.

9        À la suite de l’annulation partielle de la première décision, la Commission a adopté, sans réouverture de la procédure formelle d’examen, la décision 2010/473/UE, du 15 décembre 2009, relative aux mesures d’appui au secteur agricole mises à exécution par l’Espagne à la suite de la hausse du coût du carburant (JO 2010, L 235, p. 1, ci-après la « décision attaquée »).

10      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré, contrairement à ce qu’elle avait considéré dans la première décision, que les mesures litigieuses constituaient des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur (article 1er de la décision attaquée) qui devaient être récupérées (article 3 de la décision attaquée) à l’exception de celles qui ne dépassaient pas le plafond établi dans le règlement (CE) n° 1998/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006, concernant l’application des articles [107 TFUE] et [108 TFUE] aux aides de minimis (JO L 379, p. 5) (ci-après le « seuil de minimis »).

11      À la suite de l’adoption de la décision attaquée, les mesures litigieuses ont été modifiées à compter du 1er janvier 2011 par la quarante-deuxième disposition finale de la Ley 2/2011 de Economía Sostenible (loi relative à une économie durable). Désormais, les coopératives agricoles peuvent, sans perdre le statut fiscal de « coopératives spécialement protégées » et sans devoir constituer une entité dotée d’une personnalité juridique propre, distribuer des produits pétroliers à des tiers, à condition que ces opérations ne dépassent pas 50 % du volume total des opérations réalisées par les coopératives avec leurs membres.

 Procédure

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 avril 2010, les requérantes ont introduit le présent recours.

13      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 25 juin 2010, la Commission a déposé le mémoire en défense.

14      Par courrier daté du 29 juillet 2010, les requérantes ont renoncé à déposer une réplique.

15      Par ordonnance du 7 octobre 2010, le président de la deuxième chambre du Tribunal a fait droit à la demande d’intervention déposée par l’Asociación de Empresarios de Estaciones de Servicio de la Comunidad Autónoma de Madrid (Aeescam) au soutien des conclusions de la Commission. L’intervenante a déposé le mémoire en intervention le 22 novembre 2010.

16      Par courrier en date du 22 décembre 2010, les requérantes ont informé le Tribunal qu’elles ne déposeraient pas d’observations sur le mémoire en intervention.

17      Le 3 mai 2013, le Tribunal a, au titre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64, paragraphe 3, de son règlement de procédure, posé des questions écrites aux parties et demandé la production de documents. Le Tribunal a également invité le Royaume d’Espagne, sur la base de l’article 24, paragraphe 2, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, à répondre à une question écrite concernant la procédure de récupération engagée en exécution de la décision attaquée.

18      Les parties et le Royaume d’Espagne ont déféré à ces demandes du Tribunal dans les délais impartis.

19      Par lettre du 25 juin 2013, le Tribunal a invité les parties à se prononcer sur les conséquences à tirer de la réponse du Royaume d’Espagne à la question du Tribunal du 3 mai 2013. Les parties ont répondu à la question du Tribunal dans le délai imparti.

20      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

 Conclusions des parties

21      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er de la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 4 de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

22      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

23      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours de la CEPES irrecevable ou, subsidiairement, le rejeter comme non fondé ;

–        rejeter le recours de la CCAE comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

24      Aux termes de l’article 113 du règlement de procédure, le Tribunal peut à tout moment, d’office, les parties entendues, statuer sur les fins de non‑recevoir d’ordre public ou constater que le recours est devenu sans objet et qu’il n’y a plus lieu de statuer.

25      En l’espèce, sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, la Commission a fait valoir, dans le mémoire en défense, que le recours était irrecevable pour défaut de qualité pour agir et d’intérêt à agir des requérantes. L’intervenante a également contesté la qualité pour agir de la CEPES dans le mémoire en intervention. Ainsi qu’il ressort des points 14 et 16 ci-dessus, les requérantes ont renoncé à déposer une réplique et des observations sur le mémoire en intervention de l’intervenante. Chacune des parties a toutefois apporté des précisions quant à la qualité pour agir et à l’intérêt à agir des requérantes dans les réponses apportées au Tribunal dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure ordonnées par ce dernier (voir points 17 à 19 ci-dessus).

26      Le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer sans poursuivre la procédure.

27      Aux termes de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, « [t]oute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution ».

28      Il convient de rappeler également que, selon une jurisprudence constante, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où la partie requérante a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques ou, selon une autre formule, que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir ordonnance du Tribunal du 17 octobre 2005, First Data e.a./Commission, T‑28/02, Rec. p. II‑4119, point 34, et la jurisprudence citée). La jurisprudence précise également que c’est à la partie requérante qu’il appartient d’apporter la preuve de son intérêt à agir (voir arrêt du Tribunal du 14 avril 2005, Sniace/Commission, T‑141/03, Rec. p. II‑1197, point 31, et la jurisprudence citée).

29      En l’espèce, il est constant que la décision attaquée a pour unique destinataire le Royaume d’Espagne. Ainsi, conformément à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, les requérantes n’auront qualité pour agir devant le Tribunal que si la décision attaquée les concerne directement et individuellement, cette décision comportant des mesures d’exécution au sens de cette disposition. Conformément à la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus, il y aura lieu d’examiner également si les requérantes ont démontré qu’elles ont un intérêt à agir à l’encontre de ladite décision.

30      Il convient d’observer que les requérantes ont demandé l’annulation de la décision attaquée à la fois en leur nom propre et en leur qualité de représentantes des coopératives membres de la CCAE.

31      Partant, il y a lieu d’examiner la qualité pour agir et l’intérêt à agir des requérantes à ce double titre.

 Sur la demande d’annulation présentée par les requérantes en leur nom propre

32      Les requérantes font valoir que la CCAE est intervenue dans la procédure devant la Commission et qu’elle est maintes fois citée tant dans la première décision que dans la décision attaquée. Sa position serait, par conséquent, analogue à celle de la requérante dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Asociación de Estaciones de Servicio de Madrid et Federación Catalana de Estaciones de Servicio/Commission, point 8 supra (points 46 à 53). L’intérêt propre de la CCAE à l’annulation de la décision attaquée serait donc évident. De plus, bien qu’elle n’ait pas participé directement à la procédure devant la Commission, il en irait de même s’agissant de la CEPES, association dont la CCAE est membre. Dans ces conditions, la décision attaquée concernerait, sans aucun doute, la position de la CEPES et de la CCAE en tant que négociatrices.

33      Il y a lieu de rappeler qu’une association professionnelle qui est chargée de défendre les intérêts collectifs de ses membres, telle que les requérantes, n’est en principe recevable à introduire un recours en annulation contre une décision finale de la Commission en matière d’aides d’État que dans deux hypothèses, à savoir, si les entreprises qu’elle représente ou certaines d’entre elles ont qualité pour agir à titre individuel ou si elle peut faire valoir un intérêt propre, notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l’acte dont l’annulation est demandée (arrêt de la Cour du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, Rec. p. II‑5479, point 56 ; arrêts du Tribunal du 12 décembre 1996, AIUFFASS et AKT/Commission, T‑380/94, Rec. p. II‑2169, point 50, et du 9 septembre 2009, Diputación Foral de Álava e.a./Commission, T‑227/01 à T‑229/01, T‑265/01, T‑266/01 et T‑270/01, Rec. p. II‑3029, point 108).

34      Il y a lieu de rappeler également que, selon une jurisprudence constante, établie dans le cadre de recours formés par des associations, notamment à partir des arrêts de la Cour du 2 février 1988, Kwekerij van der Kooy e.a./Commission (67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219), et du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission (C‑313/90, Rec. p. I‑1125), une partie requérante peut, certes, être individuellement concernée du fait de sa participation active à la procédure ayant conduit à l’adoption de l’acte attaqué. Toutefois, une telle jurisprudence n’a été appliquée que lorsqu’étaient en cause des situations particulières, dans lesquelles la partie requérante occupait une position de négociateur clairement circonscrite et intimement liée à l’objet même de la décision, la mettant dans une situation de fait qui la caractérisait par rapport à toute autre personne (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 9 juillet 2009, 3F/Commission, C‑319/07 P, Rec. p. I‑5963, points 85 à 95, et la jurisprudence citée).

35      En particulier, il ressort de l’arrêt de la Cour du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum (C‑78/03 P, Rec. p. I‑10737), point 58, que le rôle d’une association qui ne dépasse pas l’exercice des droits procéduraux reconnus aux intéressés par l’article 108, paragraphe 2, TFUE ainsi que par l’article 1er, sous h), et par l’article 20 du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO L 83, p. 1), ne saurait être assimilé à celui des parties requérantes dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Kwekerij van der Kooy e.a./Commission, et CIRFS e.a./Commission, point 34 supra.

36      En l’espèce, la CCAE s’est limitée à présenter des observations lors de la procédure formelle d’examen engagée au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Or, conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 34 et 35 ci-dessus, la simple participation de la CCAE à la procédure devant la Commission et sa mention à ce titre dans la décision attaquée ne sauraient lui conférer une qualité pour agir à l’encontre de ladite décision.

37      Dans ces conditions, la CCAE ne saurait être considérée comme étant individuellement concernée par la décision attaquée lorsqu’elle agit en son nom propre. Il en va de même s’agissant de la CEPES, dans la mesure où cette dernière a fait valoir que sa qualité pour agir découlait de celle de la CCAE.

38      Il résulte de ce qui précède que les requérantes n’ont pas démontré une qualité pour agir en leur nom propre à l’encontre de la décision attaquée.

39      Dès lors, le recours doit être déclaré irrecevable, en ce que les requérantes demandent l’annulation de la décision attaquée en leur nom propre, sans qu’il soit besoin d’examiner si elles ont un intérêt à agir propre à l’encontre de la décision attaquée.

 Sur la demande d’annulation présentée par les requérantes en leur qualité de représentantes des coopératives membres de la CCAE

40      Les requérantes ont fait valoir que les coopératives membres de la CCAE et, par extension, de la CEPES, étaient directement et individuellement concernées par la décision attaquée en tant que bénéficiaires des aides devant faire l’objet d’une récupération, conformément à l’article 3 de ladite décision. Sur ce point, les requérantes ont joint à la requête une attestation émise par le président de la CCAE, dans laquelle il était indiqué que diverses coopératives agricoles membres de la CCAE avaient vendu du gasoil B à des tiers non associés, sans constituer une entité dotée d’une personnalité juridique propre pour ces activités, et étaient donc affectées par la décision attaquée. L’attestation mentionnait à titre d’exemple onze coopératives dans cette situation.

41      En réponse à une question posée par le Tribunal le 3 mai 2013 (voir point 17 ci-dessus), les requérantes ont ajouté qu’elles estimaient qu’environ 500 coopératives agricoles membres de la CCAE avaient distribué du gasoil B à des tiers dans les conditions permises par les mesures litigieuses, qu’elles avaient donc bénéficié des mesures qualifiées d’aides d’État dans la décision attaquée et qu’elles étaient affectées à ce titre par l’ordre de récupération imposé par ladite décision.

42      Interrogé par le Tribunal sur la procédure de récupération à l’égard des 11 coopératives membres de la CCAE mentionnées dans la requête (voir point 17 ci-dessus), le Royaume d’Espagne a précisé, le 29 mai 2013, que la première question qui s’était posée pour l’exécution de la décision attaquée avait été de déterminer les bénéficiaires éventuels des aides en cause, parmi les 1 415 coopératives initialement recensées comme étant susceptibles d’être de tels bénéficiaires, ainsi que les aides à récupérer. À cette fin, compte tenu du peu de données disponibles, le Royaume d’Espagne a proposé à la Commission une méthode selon laquelle 50 coopératives devant faire l’objet d’une demande de renseignements étaient déterminées. Les 11 coopératives mentionnées à titre d’exemple dans la requête ne faisaient pas partie de ce groupe de 50 coopératives. Le Royaume d’Espagne a également indiqué à la Commission la manière dont il envisageait de calculer le montant des aides devant être récupérées et rappelé que, conformément à la décision attaquée, seuls les avantages dépassant le seuil de minimis devaient faire l’objet d’un remboursement. À la suite des réponses apportées par les coopératives aux demandes de renseignements mentionnées ci-dessus, le Royaume d’Espagne a informé la Commission qu’il y avait lieu de ne récupérer aucune aide auprès des 50 coopératives ciblées par les demandes de renseignements. La Commission a pris acte de cette absence de récupération par courrier du 26 septembre 2011. Dans sa réponse au Tribunal, le Royaume d’Espagne a conclu que, en définitive, aucun montant n’avait été récupéré auprès d’aucune coopérative. Le Royaume d’Espagne a également précisé qu’il était possible que les 11 coopératives membres de la CCAE mentionnées dans la requête ignorent cette conclusion.

43      Dans le cadre de mesures d’organisation de la procédure supplémentaires (voir point 19 ci-dessus), le Tribunal a invité les parties à se prononcer sur les conséquences à tirer, en particulier au regard de l’intérêt à agir des requérantes, de la réponse du Royaume d’Espagne à la question du Tribunal du 3 mai 2013. Plus particulièrement, les parties ont été invitées à indiquer s’il y avait encore lieu de statuer sur le recours en l’absence de récupération par les autorités nationales des avantages en cause.

44      En réponse aux questions du Tribunal, les requérantes ont fait valoir qu’elles conservaient un intérêt à agir à l’encontre de la décision attaquée. La Commission a insisté sur le fait que le recours devait être déclaré irrecevable. À titre subsidiaire, la Commission a fait valoir que, en tout état de cause, l’intérêt à agir des requérantes avait disparu à la lumière de la réponse apportée par le Royaume d’Espagne qui a reconnu qu’aucun montant n’avait été récupéré auprès d’aucune coopérative. Dans ces conditions, il n’y aurait plus lieu pour le Tribunal de statuer sur le présent recours. Pour sa part, l’intervenante a demandé au Tribunal de prononcer un non-lieu à statuer.

45      Comme indiqué aux points 29 à 31 ci-dessus, il y a lieu d’examiner si les coopératives membres de la CCAE ont une qualité pour agir, en ce qu’elles sont directement et individuellement concernées par la décision attaquée, et si elles ont un intérêt à agir à l’encontre de cette décision.

 Sur la qualité pour agir des coopératives membres de la CCAE

46      Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés par cette décision que si celle-ci les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223 ; Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, point 35 supra, point 33, et du 22 novembre 2007, Espagne/Lenzing, C‑525/04 P, Rec. p. I‑9947, point 30).

47      La Cour a précisé que les bénéficiaires effectifs d’aides individuelles octroyées au titre d’un régime d’aides dont la Commission a ordonné la récupération sont, de ce fait, individuellement concernés au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir arrêt de la Cour du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, Rec. p. I‑4727, point 53, et la jurisprudence citée).

48      En l’espèce, les requérantes, afin de démontrer que les coopératives membres de la CCAE sont directement et individuellement concernées par la décision attaquée, se sont limitées à produire dans la requête une attestation, délivrée par le président de la CCAE elle-même, évoquant la vente, notamment par onze coopératives membres de CCAE, de gasoil B à des tiers, sans l’entremise d’une entité dotée d’une personnalité juridique propre. Or, ainsi que le souligne la Commission, cette attestation n’est qu’un simple document délivré à soi-même dépourvu de force probatoire. Les requérantes n’ont joint à cette attestation aucun élément permettant d’établir qu’au moins l’une des onze coopératives membres de la CCAE citées s’était vu accorder les avantages fiscaux en cause. Par ailleurs, l’attestation ne précise pas la date à laquelle les activités de vente de gasoil B ont eu lieu.

49      Interrogées par le Tribunal sur d’autres coopératives membres de la CCAE qui auraient pu bénéficier des mesures litigieuses et être visées par l’ordre de récupération imposé par l’article 3 de la décision attaquée, les requérantes se sont limitées à indiquer qu’elles estimaient qu’environ 500 des coopératives qu’elles regroupaient distribuaient du gasoil B dans les conditions prévues par les mesures litigieuses (voir point 41 ci-dessus). Les requérantes n’ont toutefois pas corroboré cette estimation et n’ont pas apporté la preuve du bénéfice effectif par ces coopératives du régime en cause.

50      Il en résulte que les requérantes n’ont pas démontré que les coopératives membres de la CCAE étaient des bénéficiaires effectifs d’aides individuelles octroyées dans le cadre des mesures litigieuses.

51      Dès lors, les requérantes ne peuvent pas se prévaloir de la qualité pour agir des coopératives membres de la CCAE, en l’absence de preuve d’affectation individuelle de ces dernières par la décision attaquée.

 Sur l’intérêt à agir des coopératives membres de la CCAE

52      En tout état de cause, il convient d’observer que les requérantes n’ont pas non plus démontré qu’elles conservaient un intérêt à l’annulation de la décision attaquée en leur qualité de représentantes des coopératives membres de la CCAE.

53      Comme indiqué au point 28 ci-dessus, un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques ou, selon une autre formule, que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir ordonnance First Data e.a./Commission, point 28 supra, point 34, et la jurisprudence citée).

54      À cet égard, il y a lieu de rappeler que les conditions de recevabilité du recours s’apprécient, sous réserve de la question différente de la perte de l’intérêt à agir, au moment de l’introduction du recours (voir ordonnance First Data e.a./Commission, point 28 supra, point 35, et la jurisprudence citée).

55      Toutefois, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, cette considération relative au moment de l’appréciation de la recevabilité du recours ne saurait empêcher le Tribunal de constater qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le recours dans l’hypothèse où une partie requérante qui avait initialement intérêt à agir a perdu tout intérêt personnel à l’annulation de la décision attaquée en raison d’un événement intervenu postérieurement à l’introduction dudit recours (ordonnance First Data e.a./Commission, point 28 supra, point 36).

56      En l’espèce, il y a lieu de constater que le Royaume d’Espagne, à qui il incombait d’exécuter la décision attaquée, a fait savoir qu’il n’avait émis aucun ordre de récupération à l’égard d’aucune coopérative agricole et qu’il avait clairement informé la Commission, dans le cadre de la procédure de récupération, de la méthode suivie pour arriver à cette conclusion, notamment en ce qui concerne le calcul des avantages devant faire l’objet d’un remboursement en raison du dépassement du seuil de minimis.

57      De ce fait, l’intérêt à agir que font valoir les requérantes en leur qualité de représentantes des coopératives membres de la CCAE a disparu du fait de la décision des autorités espagnoles de n’émettre aucun ordre de récupération de l’aide concernée à l’égard des coopératives agricoles.

58      Les arguments avancés par les requérantes en réponse à la question du Tribunal du 25 juin 2013 ne sauraient infirmer ce constat.

59      S’agissant, en premier lieu, du risque qu’un remboursement des aides en cause puisse être ordonné auprès des coopératives agricoles en l’absence d’un acte juridique de la Commission abrogeant l’injonction de récupération adressée aux autorités espagnoles, il convient d’observer que les requérantes se limitent à invoquer des circonstances futures et incertaines pour justifier l’intérêt à agir des coopératives, à savoir l’hypothèse dans laquelle la Commission ou un juge national enjoindraient, à la suite d’une plainte ou d’un recours, aux autorités espagnoles de récupérer les aides dont ces coopératives auraient pu bénéficier au titre de la décision attaquée.

60      Or, il y a lieu de rappeler que l’intérêt à voir annuler l’acte attaqué doit être né et actuel et ne saurait être évalué en fonction d’un événement futur et hypothétique (ordonnance du Tribunal du 10 mars 2005, Gruppo ormeggiatori del porto di Venezia e.a./Commission, T‑228/00, T‑229/00, T‑242/00, T‑243/00, T‑245/00 à T‑248/00, T‑250/00, T‑252/00, T‑256/00 à T‑259/00, T‑265/00, T‑267/00, T‑268/00, T‑271/00, T‑274/00 à T‑276/00, T‑281/00, T‑287/00 et T‑296/00, Rec. p. II‑787, non publiée au Recueil, point 23). Il résulte également de la jurisprudence rendue dans le cadre de recours en annulation introduits à l’encontre d’une décision qualifiant une mesure d’aide compatible avec le marché intérieur et, partant, exemptée de récupération, que l’intérêt à agir du bénéficiaire de cette aide peut se déduire de l’existence d’un risque avéré que la situation juridique de la partie requérante soit affectée par des actions en justice (voir arrêt du Tribunal du 22 octobre 2008, TV 2/Danmark e.a./Commission, T‑309/04, T‑317/04, T‑329/04 et T‑336/04, Rec. p. II‑2935, point 79, et la jurisprudence citée).

61      En l’espèce, contrairement au cas examiné par le Tribunal dans son arrêt du 21 mai 2010, France e.a./Commission (T‑425/04, T‑444/04, T‑450/04 et T‑456/04, Rec. p. II‑2099, points 121 à 124), cité par les requérantes, ces dernières n’ont pas démontré que la situation juridique des coopératives agricoles membres de la CCAE risquait d’être affectée par un ordre de recouvrement émis à la suite d’un recours ou d’une plainte.

62      Il en résulte que les requérantes n’ont pas établi à suffisance de droit que, en l’absence d’ordre de récupération des aides en cause émis par les autorités espagnoles, les coopératives agricoles membres de la CCAE conservaient un intérêt à l’annulation de la décision attaquée.

63      S’agissant, en second lieu, du risque, allégué par les requérantes, que d’autres avantages accordés aux coopératives agricoles membres de la CCAE ne dépassant pas le seuil de minimis au moment de leur octroi puissent désormais être considérés comme étant illégaux à la suite de l’adoption de la décision attaquée, en raison du cumul de ces avantages avec les mesures litigieuses, il y a lieu de constater que les requérantes se sont contentées d’une simple affirmation à cet égard, sans fournir la moindre indication d’un cas concret dans lequel un tel cumul aurait eu lieu.

64      Dans ces conditions, l’existence d’un intérêt à agir des coopératives agricoles membres de la CCAE, lié aux conséquences de la décision attaquée pour d’autres aides de minimis dont elles auraient pu bénéficier, ne peut pas être établie.

65      Il en résulte que, en tout état de cause, les requérantes n’ont pas démontré que les coopératives membres de la CCAE conservaient un intérêt à l’annulation de la décision attaquée.

66      Le recours doit donc être déclaré irrecevable, en ce que les requérantes demandent l’annulation de la décision attaquée en leur qualité de représentantes des coopératives membres de la CCAE.

 Sur les dépens

67      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Conformément à l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure, le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante supporte ses propres dépens.

68      Le recours étant rejeté comme irrecevable, les requérantes sont condamnées à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

69      L’intervenante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)      La Confederación de Cooperativas Agrarias de España et la Confederación Empresarial Española de la Economía Social (CEPES) supporteront, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

3)      L’Asociación de Empresarios de Estaciones de Servicio de la Comunidad Autónoma de Madrid (Aeescam) supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 23 janvier 2014.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       M. van der Woude

Table des matières


Antécédents du litige

Procédure

Conclusions des parties

En droit

Sur la demande d’annulation présentée par les requérantes en leur nom propre

Sur la demande d’annulation présentée par les requérantes en leur qualité de représentantes des coopératives membres de la CCAE

Sur la qualité pour agir des coopératives membres de la CCAE

Sur l’intérêt à agir des coopératives membres de la CCAE

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’espagnol.