Language of document : ECLI:EU:T:1998:302

ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

17 décembre 1998 (1)

«Clause compromissoire — Existence du contrat — Responsabilité non contractuelle — Retrait d'un appel d'offres — Confiance légitime — Évaluation du préjudice»

Dans l'affaire T-203/96,

Embassy Limousines & Services, société de droit belge, établie à Diegem (Belgique), représentée par Me Éric Boigelot, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Louis Schiltz, 2, rue du Fort Rheinsheim,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par MM. François Vainker et Anders Neergaard, membres du service juridique, en qualité d'agents, assistés de Me Charles Price, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès du secrétariat général du Parlement européen, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande tendant à la réparation du préjudice prétendument subi par la requérante du fait du comportement fautif adopté par le Parlement dans le cadre de l'appel d'offres n° 95/S 158-76321/FR, relatif à un marché de

transport de personnes par véhicules avec chauffeurs, introduite, à titre principal, sur le fondement de l'article 181 du traité CE, en vertu de la clause compromissoire de l'article 6, troisième alinéa, du cahier des charges dudit appel d'offres et de l'article VIII du contrat-cadre PE-TRANS-BXL-95/6, et, à titre subsidiaire, sur le fondement des articles 178 et 215, deuxième alinéa, dudit traité,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de Mme P. Lindh, président, MM. K. Lenaerts et J. D. Cooke, juges,

greffier: Mme B. Pastor, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 2 juillet 1998,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du litige

1.
    Le 22 août 1995, le Parlement européen a, en vertu de la directive 92/50/CEE du Conseil, du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (JO L 209, p. 1, ci-après «directive 92/50»), publié au Journal officiel des Communautés européennes un avis de passation (JO S 158, p. 23, ci-après «avis»), selon la procédure ouverte, d'un marché de transport de personnes par véhicules avec chauffeurs, en l'occurrence des parlementaires européens (appel d'offres n° 95/S 158-76321/FR, ci-après «appel d'offres litigieux»).

2.
    L'avis précisait que le marché prendrait la forme d'un contrat-cadre avec une société de prestation de services et qu'il serait exécuté sur la base de bons de commande spécifiques à chaque opération. Le contrat serait conclu pour une durée de trois ans et renouvelable deux fois pour une période d'un an. Le lieu de livraison serait Bruxelles et les prestataires de services devraient justifier d'une activité de cinq ans dans le secteur. Comme critères d'attribution du marché, l'avis indiquait que l'offre économiquement la plus avantageuse serait retenue, compte tenu des prix offerts et de la valeur technique de la soumission.

3.
    Le 13 septembre 1995, le secrétariat général du Parlement, sous la signature de M. Candidi, chef du service «ressources humaines, gestion administrative», a adressé à la requérante, Embassy Limousines & Services SA (ci-après «Embassy»), en réponse à sa demande écrite du même jour, l'ensemble des documents relatifs

à l'appel d'offres litigieux, soit le contrat-cadre PE-TRANS-BXL-95/6 (ci-après «contrat-cadre»), le cahier des charges relatif à l'appel d'offres et le cahier des clauses techniques y afférentes.

4.
    Le contrat-cadre (article VIII) et le cahier des charges de l'appel d'offres litigieux (article 6, troisième alinéa) disposaient que les contrats résultant de l'adjudication du marché seraient soumis à la loi luxembourgeoise et que la compétence juridictionnelle serait du ressort de la Cour de justice des Communautés européennes, à l'exclusion de toute autre juridiction. Pour toutes matières non régies par le cahier des charges, le «cahier des conditions générales applicables aux marchés » établi par la Commission des Communautés européennes (ci-après «conditions générales») serait applicable.

5.
    Le 16 octobre 1995, la requérante a soumis son offre.

6.
    Le 4 décembre 1995, le Parlement a, en la personne de M. Candidi, contacté M. Hautot, à l'époque directeur général d'Embassy, pour lui annoncer que la commission consultative des achats et marchés (ci-après «CCAM») avait rendu le même jour un avis favorable sur la proposition de l'ordonnateur de confier le marché à sa société.

7.
    Le 12 décembre 1995, la requérante a adressé au Parlement une lettre dans laquelle elle rendait compte des mesures qu'elle avait prises afin de faire face à la situation d'urgence dans laquelle se trouvait le Parlement. Elle précisait avoir passé des contrats de leasing de voitures et d'abonnement de téléphones mobiles (GSM), avoir embauché des chauffeurs et régularisé la situation médico-sociale et fiscale de ces derniers. Dans la même lettre, la requérante a réagi aux rumeurs et bruits de couloir faisant état d'une prétendue absence de moralité de ses dirigeants et/ou de ses actionnaires et mettant en cause la qualité de ses prestations de services.

8.
    Consécutivement à ces rumeurs et aux articles de presse mettant en doute la probité de certains dirigeants d'Embassy, deux de ces derniers, M. Hautot et M. Heuzer, ont été priés de se rendre à Strasbourg afin de produire toutes pièces nécessaires prouvant l'honorabilité de leur société. Cette réunion a eu lieu le 13 décembre 1995.

9.
    Après cette réunion, M. Feidt, directeur général de l'administration, a adressé une note au secrétaire général du Parlement, qui se lit comme suit:

«Comme suite à la demande formulée par les bureaux du Parlement européen, une enquête a été menée par mes services pour vérifier si les accusations portées contre la société Embassy [...] étaient fondées.

Les responsables de ladite société ont été invités à se rendre à Strasbourg où ils ont répondu aux questions posées après avoir fourni toutes les pièces demandées [...]

Il résulte de l'examen approfondi de ces documents que ces allégations sont dépourvues de tout fondement.

Dans ces conditions, et compte tenu de la nécessité d'organiser sur le plan pratique la mise en place des services de la part de la nouvelle société, une décision urgente s'impose: l'administration doit assurer, impérativement, dès la rentrée en janvier 1996, le transport des parlementaires.

En conséquence, je sollicite votre accord pour la signature dudit contrat dans les meilleurs délais.»

10.
    Néanmoins, le 19 décembre 1995, M. Feidt a saisi la CCAM d'une proposition de prorogation d'un mois du contrat liant la société qui assurait jusqu'alors la prestation des services en cause (ci-après «société A»). Le procès-verbal de la réunion de la CCAM du même jour, expose notamment:

«La CCAM,

[...]

—    vu son avis favorable du 4 décembre 1995 pour la conclusion d'un contrat avec la société Embassy [...], lauréate de l'appel d'offres précité,

—    prenant acte que les décisions internes au Parlement permettant la signature du contrat avec la société Embassy [...] n'ont pas pu aboutir avant la fin de l'année 1995,

—    rend, en se basant sur l'article 59, [sous] b), du règlement financier et l'article 11, [paragraphe] 3, [sous] d), de la directive 92/50 [...], un avis favorable pour un contrat du 1er janvier 1996 au 31 janvier 1996 avec la société [A ...] (société la deuxième moins-disante de l'appel d'offres précité) aux conditions du marché initial et reconductible au maximum un mois (février 1996) après nouvelle saisine de la CCAM.

—    invite l'ordonnateur à prendre toutes les dispositions pour que le contrat avec la société lauréate de l'appel d'offres ouvert soit signé dans les meilleurs délais.»

11.
    Un contrat avec la société A a été conclu le 5 janvier 1996.

12.
    Par lettre du 25 janvier 1996, la requérante a indiqué au Parlement ne pas comprendre pourquoi il n'avait pas encore entériné la décision finale sur l'appel d'offres litigieux.

13.
    Au cours de deux réunions du 22 janvier 1996 et du 26 février 1996, la CCAM a rendu des avis favorables pour deux prorogations d'un mois du contrat conclu avec la société A. Enfin, lors d'une réunion du 1er avril 1996, la CCAM a émis un avis favorable pour la prorogation de trois mois du contrat conclu avec cette même société.

14.
    Le 16 février 1996, la requérante a adressé une lettre à M. Ribeiro, membre du collège des questeurs (l'organe chargé d'émettre des recommandations au bureau sur des questions concernant les députés), notamment pour éclairer certaines questions relatives au profil des chauffeurs d'Embassy.

15.
    Par lettres du 29 février et du 4 mars 1996 adressées au Parlement, la requérante s'est de nouveau étonnée de ne pas encore avoir reçu le contrat signé.

16.
    Le 8 mai 1996, le bureau du Parlement a recommandé à l'ordonnateur l'ouverture d'une nouvelle procédure d'appel d'offres.

17.
    Le 28 mai 1996, la requérante a adressé au Parlement un courrier dans lequel elle lui demandait d'indiquer les raisons pour lesquelles il avait été décidé de recommencer la procédure.

18.
    Le 31 mai 1996, la CCAM a rendu un avis favorable à l'annulation de l'appel d'offres litigieux. A cette occasion, elle a également rendu, sur proposition de l'ordonnateur, un avis favorable à la signature d'un contrat avec la société A pour la période du 1er juillet au 31 décembre 1996, dans l'attente des résultats du nouvel appel d'offres. Du procès-verbal de cette réunion, il ressort:

«La CCAM,

[...]

1. quant à l'annulation de l'appel d'offres n° 95/S 158-76321/FR

[...]

—    considérant que la décision de l'ordonnateur de procéder à l'annulation dudit appel d'offres se fonde sur l'avis formulé par le bureau lors de sa réunion du 8 mai 1996;

—    considérant qu'aux termes de cet avis, qui confirme l'orientation prise par le collège des questeurs, 'la procédure actuellement en cours n'est pas

susceptible de donner aux députés un service de transport d'une qualité digne‘;

[...]

—    rend un avis favorable (huit voix pour et une abstention) à l'annulation de l'appel d'offres considéré tout en faisant remarquer qu'il appartient à l'ordonnateur de vérifier le fondement économique d'un nouvel appel d'offres (coût de celui-ci, résultats différents par rapport au premier, etc.).

[...]»

19.
    Par lettre recommandée du 19 juin 1996, le Parlement a informé la requérante que l'appel d'offres litigieux avait été annulé et que la procédure avait été rouverte. Cette lettre exposait, notamment, que le Parlement avait estimé qu'aucune des soumissions reçues n'avait été jugée totalement satisfaisante et que l'institution s'était montrée particulièrement soucieuse d'offrir aux parlementaires un service du plus haut niveau technique, assuré par des chauffeurs professionnels très expérimentés, ce qui n'apparaissait pas de façon incontestable dans les documentsprésentés par les soumissionnaires. Un nouvel appel d'offres ouvert serait lancé, précisant de manière plus explicite et plus détaillée les exigences du Parlement.

20.
    Par lettre datée du 22 juillet 1996, la requérante a mis en demeure le Parlement soit de ne pas annuler l'appel d'offres litigieux et de lui attribuer le marché, soit de l'indemniser de manière satisfaisante.

21.
    Après avoir accusé réception de cette lettre le 21 août 1996, M. Feidt a, par lettre du 14 octobre 1996, rejeté les demandes de la requérante. Il y affirmait:

«Il est constant que, en l'espèce, il n'y a aucun contrat conclu entre le Parlement [...] et [...] Embassy [...] car:

—    la CCAM n'a aucune compétence que de rendre un avis à l'ordonnateur compétent, en l'occurrence moi-même; la CCAM ne prend aucune décision;

—    selon l'article 1er de la directive du Conseil 92/50/CEE, à laquelle vous faites allusion dans votre lettre, ”les 'marchés publics de services‘ sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur (le Parlement européen)”;

—    en effet il n'y a aucun contrat écrit, puisque le projet de contrat-cadre PE-TRANS-BXL-95/6, qui faisait partie du cahier des charges et a donc été reçu par Embassy, n'a pas été signé.»

22.
    M. Feidt exposait ensuite:

«Si Embassy croyait, à partir du 4 décembre 1995, qu'elle bénéficiait ou bénéficierait d'un contrat portant sur le transport de personnes à Bruxelles à la suite de l'appel d'offres [...], tout malentendu aurait dû très vite être dissipé lors de la réunion du 13 décembre 1995 [...] Selon le compte-rendu de cette réunion, qui m'a été transmis, MM. Hautot et Heuzer d'Embassy 'ont été informés que la CCAM avait bien exprimé un avis favorable sur la proposition de l'ordonnateur de leur attribuer le marché mais que cet avis n'avait qu'une valeur consultative et que les autorités se réservaient l'ultime décision‘.»

23.
    M. Feidt concluait que le Parlement ne voyait aucune raison justifiant le retrait ou l'annulation de sa décision de rouvrir la procédure d'appel d'offres qui avait été communiquée à Embassy par lettre du 19 juin 1996. Il ajoutait que le motif justifiant la réouverture de la procédure d'appel d'offres n'était pas incompatible avec le besoin ressenti par M. Hautot de bien expliquer, dans sa lettre du 16 février 1996 à M. Ribeiro, la formation et l'expérience professionnelles poussées des chauffeurs d'Embassy.

Procédure et conclusions des parties

24.
    C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 10 décembre 1996, la requérante a introduit le présent recours.

25.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale. Conformément à l'article 64 du règlement de procédure, les parties ont été invitées à répondre à certaines questions et à déposer certains documents.

26.
    Par ordonnance du 5 juin 1998, le Tribunal a, en application de l'article 65, sous c), de son règlement de procédure, ordonné l'audition, en tant que témoins, de M. Candidi et de Mme Lahousse, fonctionnaires du Parlement, ainsi que de MM. Hautot et Heuzer, représentants de la société requérante. L'ordonnance disposait que les témoins seraient entendus sur le contenu de la réunion qui s'est tenue à Strasbourg le 13 décembre 1995. M. Candidi et M. Hautot seraient entendus sur l'objet et le contenu de leur entretien téléphonique du 4 décembre 1995. Enfin, M. Candidi et Mme Lahousse seraient entendus sur leur réaction à la lettre de la requérante du 12 décembre 1995 évoquant la réalisation de certains investissements.

27.
    Les parties ainsi que les témoins ont été entendus au cours de l'audience publique du 2 juillet 1998.

28.
    Embassy, partie requérante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    déclarer le recours recevable et fondé et condamner en conséquence le Parlement à lui verser une somme de 21 028 460 BFR, sous réserve d'augmentation ou de diminution en cours d'instance, à titre d'indemnité pour le préjudice financier, commercial et moral qu'elle a subi du fait du comportement fautif du Parlement;

—    condamner le Parlement à l'entièreté des dépens.

29.
    Le Parlement, partie défenderesse, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la requérante aux dépens.

30.
    Dans sa requête comme dans son mémoire en réplique, la requérante a précisé que son recours était introduit, à titre principal, en vertu de l'article 6, troisième alinéa, du cahier des charges de l'appel d'offres litigieux et de l'article VIII du contrat-cadre, et donc sur le fondement de l'article 181 du traité CE, et à titre subsidiaire, sur le fondement des articles 178 et 215, deuxième alinéa, du même traité, et qu'il avait pour objet une demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice que lui aurait causé le comportement fautif adopté par le Parlement dans le cadre dudit appel d'offres litigieux.

Sur la responsabilité contractuelle de la Communauté

Arguments des parties

31.
    La requérante prétend que, alors qu'un contrat entre les parties avait régulièrement été conclu, le Parlement y a unilatéralement renoncé et a refusé de l'exécuter aux termes et conditions prévus.

32.
    Elle soutient, en premier lieu, que l'attribution du marché litigieux résulte de la rencontre valable, publique et non équivoque des consentements des parties. A cet égard, elle affirme que, lors de leur entretien téléphonique du 4 décembre 1995, M. Candidi a informé M. Hautot que la décision d'attribuer le marché à Embassy avait été prise et l'a, en conséquence, invité à tout mettre en oeuvre de manière à ce qu'elle soit en mesure de fournir les services en cause dès le début du mois de janvier 1996. La requérante insiste sur le fait que, en l'informant officiellement de la décision arrêtée par la CCAM, le Parlement a exprimé sa volonté et rendu, ce faisant, son offre irrévocable. Le Parlement aurait donc manifesté son intention de faire de la requérante son cocontractant, créant ainsi un droit contractuel dans le chef de la requérante le privant de la possibilité de revenir sur sa décision.

33.
    La requérante ajoute que, en réalité, c'est la CCAM qui prend la décision d'accorder un marché à une entreprise, l'ordonnateur n'ayant d'autre fonction que de formaliser ce qui, en fait, a déjà été décidé par la CCAM.

34.
    En second lieu, la requérante soutient que, à tout le moins, il faudrait considérer que, apparemment, un contrat existe. Elle fait valoir que tous les éléments nécessaires à la formation d'un contrat sont réunis. A cet égard, elle met l'accent sur la validité de sa soumission, l'information donnée par M. Candidi et l'exigence du Parlement de la voir commencer à mettre en oeuvre, dès le mois de décembre 1995, les mesures nécessaires à l'exécution du contrat dès le premier jour ouvrable du mois de janvier 1996.

35.
    Le Parlement estime que, à défaut de signature de tout contrat entre les parties, le recours en responsabilité contractuelle de la requérante est irrecevable. Il insiste sur le fait que, aussi bien les conditions générales que la directive 92/50 prescrivent la forme écrite pour tout contrat entre le pouvoir adjudicateur et l'adjudicataire. Il fait également valoir que le dernier document de l'appel d'offres constitue un projet de contrat-cadre qui doit être signé par le prestataire de services et par l'ordonnateur. Or, ce contrat-cadre n'aurait jamais été signé ni par la requérante ni par l'ordonnateur.

36.
    Il réfute, par ailleurs, l'allégation de la requérante, selon laquelle c'est en réalité la CCAM qui prend la décision d'attribuer un marché à une entreprise, en se référant, à cet égard, au règlement financier du 21 décembre 1977, applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 356, p. 1), d'où il ressortirait clairement que la CCAM ne constitue qu'une commission consultative.

37.
    Il estime, enfin, que la théorie du contrat apparent invoquée par la requérante ne correspond à aucun «principe général commun aux droits des États membres», de sorte qu'elle ne saurait être utilement invoquée en l'espèce.

Appréciation du Tribunal

38.
    En vertu des dispositions combinées de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), telle que modifiée ultérieurement, et de l'article 181 du traité, le Tribunal est compétent pour statuer, en première instance, sur les litiges de nature contractuelle portés devant lui par des personnes physiques ou morales en vertu d'une clause compromissoire.

39.
    Il importe de souligner, toutefois, que, aux termes de l'article 1er de la directive 92/50, applicable en vertu de l'article 126 du règlement (Euratom, CECA, CE) n° 3418/93 de la Commission, du 9 décembre 1993, portant modalités d'exécution de certaines dispositions du règlement financier du 21 décembre 1977 (JO L 315,

p. 1), dans la mesure où la valeur du marché en cause dépasse le seuil fixé à l'article 7, paragraphe 1, de ladite directive, «les marchés publics de services sont des contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur».

40.
    En l'espèce, il n'est pas contesté que la valeur du marché dépasse ledit seuil. L'existence de relations contractuelles entre les parties suppose donc qu'elles aient passé un contrat écrit. A cet égard, il est opportun de se référer également à l'article 3 des conditions générales (applicable, dans le cas d'espèce, en vertu de l'article 6, premier alinéa, du cahier des charges). Cet article prévoit:

«3.1    Les marchés se font par l'accord écrit des parties.

3.2    Le marché est conclu par la notification au soumissionnaire de l'acceptation de son offre. Cette notification s'effectue par lettre ou par bon de commande.

3.3    Si l'acceptation n'est pas à tous égards conforme à l'offre ou si la décision de la Commission est notifiée après expiration du délai de validité de l'offre, le marché n'est conclu que moyennant l'accord écrit du soumissionnaire.

3.4    Le marché peut également prendre la forme d'un contrat signé par les parties.»

41.
    Il en résulte que l'attribution du marché ne pouvait intervenir de manière définitive qu'avec la signature du contrat-cadre par les deux parties. Or, dès lors que le contrat-cadre n'a jamais été signé, il y a lieu de conclure à l'absence de contrat valable en l'espèce.

42.
    Par ailleurs, l'avis favorable de la CCAM, en tant qu'avis d'un organe consultatif, ne peut pas modifier cette conclusion, nonobstant l'importance généralement attribuée à cet avis, dans la pratique, dans le cadre d'un appel d'offres.

43.
    Il convient de réfuter également l'allégation de la requérante, selon laquelle il existerait «apparemment» un contrat. En effet, et sans qu'il soit nécessaire de s'interroger sur le fondement de la théorie du contrat apparent en droit communautaire et sur les conditions de son application dans le cas d'espèce, il apparaît clairement que les indices avancés par la requérante ne sauraientpermettre de déroger à l'exigence d'un contrat écrit. Les représentants d'Embassy ont, du reste, reconnu dans leur témoignage qu'ils étaient conscients de la nécessité d'un contrat écrit pour que le marché soit valablement passé.

44.
    Il s'ensuit que, faute pour la requérante d'avoir démontré l'existence d'un contrat valable, son recours, pour autant qu'il est introduit sur le fondement de l'article 181 du traité, doit être déclaré irrecevable.

Sur la responsabilité non contractuelle de la Communauté

45.
    L'engagement de la responsabilité non contractuelle de la Communauté en vertu de l'article 215, deuxième alinéa, du traité et des principes généraux auxquels il est renvoyé par cette disposition suppose la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne le caractère illégal du comportement reproché à l'institution, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice allégué.

Sur le caractère illégal du comportement reproché

46.
    Au soutien de sa demande d'indemnisation au titre des articles 178 et 215, deuxième alinéa, du traité, la requérante invoque une violation de la directive 92/50 ainsi que le caractère fautif du comportement adopté par le Parlement dans le cadre de la procédure d'appel d'offres.

Quant à la violation de la directive 92/50

— Arguments des parties

47.
    La requérante fait observer que sa soumission était parfaitement régulière dans la forme et dans le fond, en ce qu'elle répondait en tous points aux critères de l'appel d'offres litigieux. Or, selon la requérante, il apparaît de manière incontestable que, dès le début du mois de janvier 1996, le Parlement a confié, d'abord par contrats mensuels, ensuite par contrats subséquents, le marché des services de transport des parlementaires par véhicules automobiles avec chauffeurs à une autre société, également soumissionnaire et deuxième moins-disante.

48.
    Elle estime que son offre, étant considérée comme la plus avantageuse économiquement, doit avoir été écartée pour des raisons illégitimes et avoir fait place à un marché négocié avec un autre prestataire de services. A cet égard, elle invoque l'article 11, paragraphe 3, de la directive 92/50 aux termes duquel:

«Les pouvoirs adjudicateurs peuvent passer leurs marchés publics de services en recourant à une procédure négociée sans publication préalable d'un avis de marché dans les cas suivants:

a)    lorsqu'aucune offre ou aucune offre appropriée n'a été déposée en réponse à une procédure ouverte ou restreinte, pour autant que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées et qu'un rapport soit communiqué à la Commission à sa demande;

[...]»

49.
    Le Parlement fait valoir que la raison pour laquelle il a annulé l'appel d'offres litigieux était que la condition exigeant des prestataires une expérience d'au moins cinq ans dans le secteur, mentionnée dans l'avis, n'avait pas été reprise dans les documents constituant l'appel d'offres litigieux. En effet, le fait que cette exigence ait été incluse dans l'avis sans être reprise dans l'appel d'offres aurait pu être critiqué, à juste titre, par un soumissionnaire potentiel en mesure de satisfaire aux conditions finalement retenues dans l'appel d'offres, mais s'étant abstenu de présenter une offre à défaut de justifier d'une expérience de 5 ans. Cela serait contraire au principe de l'égalité de traitement des soumissionnaires, qui est un principe essentiel pour l'application de la directive 92/50 (voir arrêts de la Cour du 22 juin 1993, Commission/Danemark, C-243/89, Rec. p. I-3353, points 33 et 39, et du 25 avril 1996, Commission/Belgique, C-87/94, Rec. p. I-2043, point 51).

50.
    Le Parlement fait, en outre, valoir qu'il voulait éviter tout risque d'illégalité lié aux contacts que certains de ses fonctionnaires avaient eus avec des soumissionnaires avant l'ouverture des plis, dont notamment les contacts entre M. Candidi et la requérante. En effet, contrairement à ce qui est prévu à l'article 100 du règlement n° 3418/93, du 9 décembre 1993, précité, aucune note pour le dossier n'a été établie à la suite de ces contacts.

51.
    Le Parlement fait encore remarquer que l'article 12, paragraphe 2, de la directive 92/50 prévoit explicitement la possibilité pour le pouvoir adjudicateur de renoncer à passer un marché pour lequel il y a eu une mise en concurrence ou de recommencer la procédure d'attribution du marché. De plus, l'article 4 des conditions générales dispose que l'accomplissement d'une procédure de marché n'implique pas pour l'institution l'obligation d'attribuer le marché.

52.
    Le Parlement expose, enfin, que le marché a été temporairement attribué à la société A en vertu de l'article 11, paragraphe 3, sous d), de la directive 92/50, qui prévoit une telle solution en cas d'urgence impérieuse résultant d'événements imprévisibles. Or, la nécessité d'assurer la continuité des services en l'espèce constituerait une justification appropriée.

53.
    Le Parlement déduit de ce qui précède que ses décisions d'annuler l'appel d'offres litigieux et d'attribuer, à titre provisoire, le marché à la société A étaient parfaitement légitimes et que leur adoption ne saurait donc constituer une faute de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

— Appréciation du Tribunal

54.
    Il convient, à titre liminaire, de relever que le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de mener à son terme une procédure d'attribution d'un marché. Il ressort, en effet, de l'article 12, paragraphe 2, de la directive 92/50 que le pouvoir adjudicateur, en cas d'annulation de la procédure, est simplement tenu de communiquer aux candidats ou soumissionnaires qui en font la demande par écrit les motifs pour

lesquels il a décidé de renoncer à passer un marché pour lequel il y a eu mise en concurrence ou de recommencer la procédure.

55.
    Par ailleurs, l'article 4 des conditions générales dispose, d'une part, que l'accomplissement d'une procédure de marché n'implique pas pour l'institution l'obligation d'attribuer le marché et, d'autre part, qu'elle n'est redevable d'aucune indemnisation à l'égard des soumissionnaires dont les offres n'ont pas été retenues.

56.
    En outre, il convient de rappeler que le Parlement dispose d'un pouvoir d'appréciation important quant aux éléments à prendre en considération en vue de la prise d'une décision de passer un marché sur appel d'offres et que le contrôle du Tribunal doit se limiter à vérifier l'absence d'erreur grave et manifeste (voir arrêts de la Cour du 23 novembre 1978, Agence européenne d'intérims/Commission, 56/77, Rec. p. 2215, point 20, et du Tribunal du 8 mai 1996, Adia intérim/Commission, T-19/95, Rec. p. II-321, point 49).

57.
    En l'espèce, la procédure d'attribution du marché critiquée n'a pas été accomplie. Ainsi, après avoir reçu une demande écrite de la requérante datée du 28 mai 1996, le Parlement lui a communiqué, par lettre du 19 juin 1996, les motifs justifiant l'annulation de l'appel d'offre litigieux et la réouverture de la procédure (voir point 19 ci-dessus).

58.
    En réponse aux allégations de la requérante, M. Feidt a ensuite indiqué dans sa lettre du 14 octobre 1996 (voir points 21 à 23 ci-dessus) que le Parlement «ne [voyait] aucune raison pour laquelle il devrait retirer ou annuler sa décision de rouvrir la procédure d'appel d'offres qui a été communiquée à Embassy par lettre du 19 juin 1996. La motivation contenue dans cette décision n'est pas incompatible avec le besoin ressenti par M. Hautot, évidemment préoccupé, de bien expliquer à M. Ribeiro, un membre du collège des questeurs du Parlement européen, dans sa lettre du 16 février 1996, la formation et l'expérience professionnelles poussées de chauffeurs d'Embassy: M. Hautot a fait allusion dans sa lettre aux inquiétudes que M. Ribeiro aurait pu avoir sur la qualité des chauffeurs recrutés par Embassy [...]».

59.
    Il s'ensuit que, quelle que soit la valeur juridique des différentes explications données par le Parlement concernant le risque de traitement discriminatoire des soumissionnaires, il est clair qu'il a suivi la procédure prévue par les dispositions légales applicables lorsqu'il a annulé l'appel d'offres litigieux.

60.
    En outre, la requérante n'a avancé aucun élément permettant d'établir que le Parlement, en estimant qu'aucune des soumissions reçues n'était totalement satisfaisante, a commis une erreur grave et manifeste. En effet, pour autant que les doutes sur la compétence des chauffeurs recrutés par Embassy constituaient un motif décisif de la décision du Parlement de ne pas retenir son offre, la requérante n'a pas démontré que le Parlement ne s'est pas tenu dans des limites non

critiquables compte tenu du large pouvoir d'appréciation dont celui-ci dispose à cet égard.

61.
    L'annulation de l'appel d'offres litigieux n'étant pas entachée d'illégalité, la responsabilité non contractuelle de la Communauté ne saurait, par conséquent, être engagée de ce chef.

62.
    Il convient également de rejeter l'argument de la requérante selon lequel le Parlement aurait illégitimement attribué le marché, à titre provisoire, à la société A. En effet, il convient de rappeler que, par le présent recours, la requérante cherche, en substance, à obtenir réparation du préjudice que lui aurait causé le comportement prétendument fautif adopté par le Parlement dans le cadre de l'appel d'offres litigieux. Or, l'attribution provisoire du marché litigieux à la société A est intervenue au terme d'une procédure négociée sans publication préalable, qui se distingue de la procédure ouverte contestée en l'espèce. Il s'ensuit que, à supposer que la requérante soit parvenue à établir l'illégalité de la procédure négociée suivie par le Parlement pour pallier la suspension de l'appel d'offres litigieux, elle ne saurait être à l'origine du préjudice prétendument subi par la requérante dans le cadre dudit appel d'offres litigieux.

63.
    Il résulte de ce qui précède que la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée du chef d'une violation de la directive 92/50 par le Parlement.

Quant au comportement illicite adopté par le Parlement au cours de la procédure d'appel d'offres

— Arguments des parties

64.
    La requérante fait valoir que le comportement adopté par le Parlement au cours de la procédure d'appel d'offres est fautif et donc de nature à engager la responsabilité de la Communauté, dans la mesure où il a légitimement et raisonnablement pu l'amener à croire à la conclusion imminente de la convention de prestation de services. Elle souligne que le Parlement lui a demandé le 4 décembre 1995 d'engager une série importante d'investissements en vue de la mise en oeuvre immédiate de la convention au tout début du mois de janvier 1996. La requérante insiste, à cet égard, sur le fait que, en réalité, c'est la CCAM qui prend la décision d'attribuer un marché à une entreprise, de sorte que l'information donnée à la requérante concernant l'avis favorable de la CCAM constituerait de facto une décision.

65.
    Elle souligne, en outre, que le Parlement a confirmé l'imminente signature du contrat litigieux, notamment lors de la visite de ses représentants à Strasbourg le 13 décembre 1995, et que nul n'a jamais contesté qu'il avait été décidé de lui attribuer le marché. En effet, durant sept mois et demi à compter du 4 décembre 1995, il n'a jamais été contesté par quiconque au sein du Parlement que le marché

avait bien été attribué à la requérante, cette dernière étant même qualifiée de «lauréate» par la CCAM.

66.
    La requérante estime donc que le Parlement a eu un comportement fautif en exigeant d'elle, dans des conditions d'urgence, une préparation particulièrement mobilisante en temps, en énergie et en ressources, notamment financières, pour un contrat qu'il a finalement décidé de ne pas conclure et dont il prétend qu'il est inexistant. Elle considère que cette attitude du Parlement constitue une violation d'une norme générale de comportement constitutive d'une faute quasi délictuelle. Elle ajoute que, en tout état de cause, le Parlement aurait dû directement l'informer que le contrat ne serait pas exécuté au début de janvier 1996, de manière à ce qu'elle puisse immédiatement arrêter le processus engagé et limiter au maximum l'importance des dommages dont elle s'estime victime.

67.
    Enfin, la requérante prétend que, en réalité, le Parlement a agi dans le but de favoriser une société tierce, à savoir celle qui s'est avérée être le deuxième moins-disant des soumissionnaires et qui, au cours de l'année 1996, a assuré de façon temporaire les prestations de service en cause. Elle en déduit que le Parlement a outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés dans le cadre plus général d'un détournement de procédure destiné à favoriser un tiers. Cette illégalité serait constitutive d'une faute.

68.
    Le Parlement fait valoir qu'aucune faute engageant la responsabilité de la Communauté ne saurait lui être reprochée. En premier lieu, il ressortirait des éléments du dossier que la seule communication du Parlement qui aurait pu éventuellement constituer un acte fautif est l'entretien téléphonique que M. Candidi a eu avec M. Hautot le 4 décembre 1995 à l'issue de la réunion de la CCAM du même jour. Or, selon le Parlement, lors de cet entretien, M. Candidi s'est borné à confirmer que la CCAM avait donné un avis favorable à la proposition d'attribuer le marché à la requérante. Il n'aurait jamais indiqué à la requérante qu'une décision avait été prise en sa faveur.

69.
    Le Parlement ajoute que, si la requérante a cru bon, dans ces circonstances, d'engager des dépenses et de réaliser des investissements irréversibles, elle a manifestement agi avec un manque de prudence que l'on ne peut attendre de la part d'un opérateur économique normalement avisé. Il en est d'autant plus ainsi que l'article 12, paragraphe 2, de la directive 92/50 prévoit l'éventualité de l'annulation d'un appel d'offres et que l'article 4 des conditions générales prévoit non seulement la possibilité d'une telle annulation mais aussi l'exclusion, dans ce cas, de toute indemnisation des soumissionnaires. L'entretien téléphonique du 4 décembre 1995 n'aurait, d'ailleurs, été suivi d'aucune confirmation écrite de la part du Parlement.

70.
    Le Parlement fait également valoir que, même si M. Candidi avait commis une imprudence, en induisant la requérante en erreur, tout malentendu éventuel aurait

été dissipé lors de la visite des représentants d'Embassy à Strasbourg le 13 décembre 1995, à l'occasion de laquelle ils auraient été informés que l'avis de la CCAM n'avait qu'une valeur consultative et que les autorités se réservaient l'ultime décision.

71.
    Le Parlement estime donc que l'on ne saurait voir ni dans l'entretien téléphonique du 4 décembre 1995 ni dans la visite du 13 décembre 1995 une faute imputable au Parlement ouvrant à la requérante un droit à des dommages et intérêts. Cette constatation se dégagerait de la jurisprudence de la Cour et du Tribunal (voir arrêts de la Cour du 28 mai 1970, Richez-Parise e.a./Commission, 19/69, 20/69, 25/69 et 30/69, Rec. p. 325, points 36 à 41, du 11 juillet 1980, Kohll/Commission, 137/79, Rec. p. 2601, points 12 à 15 et, du Tribunal du 20 juin 1990, Burban/Parlement, T-133/89, Rec. p. II-245, point 36, confirmé par l'arrêt de la Cour du 31 mars 1992, Burban/Parlement, C-255/90 P, Rec. p. I-2253, points 10 à 12).

72.
    En second lieu, le Parlement affirme que la requérante devait savoir que tant la directive 92/50 que les conditions générales, tous deux étant applicables au marché en question, prévoient que tout marché doit être conclu par écrit. Par conséquent, en déduisant des déclarations de M. Candidi que le marché était déjà attribué, ou que son attribution était imminente ou qu'une quelconque décision avait été prise par le Parlement qui pouvait justifier l'engagement des dépenses nécessaires pour exécuter le marché, la requérante aurait elle-même commis une imprudence exclusive de toute faute du Parlement (voir arrêt de la Cour du 5 mars 1991, Grifoni/CEEA, C-330/88, Rec. p. I-1045, et arrêt du 20 juin 1990, Burban/Parlement, précité, point 36).

— Appréciation du Tribunal

73.
    La requérante fait valoir, en substance, que, en nourrissant ses espérances dans l'obtention du marché et en l'incitant à tout mettre en oeuvre pour être opérationnelle dès le début du mois de janvier 1996, le Parlement lui a causé un préjudice. Il convient, par conséquent, de déterminer, notamment, si le comportement adopté par le Parlement au cours de la procédure de l'appel d'offres litigieux constitue une violation du principe de protection de la confiance légitime de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

74.
    Il ressort de la jurisprudence que le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s'étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration communautaire a fait naître dans son chef des espérances fondées (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 11 mars 1987, Van den Bergh en Jurgens et Lopik/Commission, 265/85, Rec. p. 1155, point 44, du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C-152/88, Rec. p. I-2477, point 26, et du Tribunal du 15 décembre 1994, Unifruit Hellas/Commission, T-489/93, Rec. p. II-1201, point 51, du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93

et T-484/93, Rec. p. II-2941, point 148, et du 16 octobre 1996, Efisol/Commission, T-336/94, Rec. p. II-1343, point 31).

75.
    A cet égard, il importe de déterminer si un opérateur prudent aurait pu se préserver des risques courus en l'espèce par la requérante. D'une manière générale, il convient de rappeler que les opérateurs économiques doivent supporter les risques économiques inhérents à leurs activités, eu égard aux circonstances de chaque cas d'espèce (voir, entre autre, arrêt de la Cour du 25 mai 1978, HNL e.a./Conseil et Commission, 83/76 et 94/76, 4/77, 15/77 et 40/77, Rec. p. 1209, point 7, et du 24 juin 1986, Développement SA et Clemessy/Commission, 267/82, Rec. p. 1907, point 33). Dans le cadre d'une procédure d'adjudication, ces risques économiques comprennent, notamment, les coûts liés à la préparation de l'offre. Les dépenses ainsi engagées restent donc à la charge de l'entreprise qui a choisi de participer à la procédure, la faculté de concourir pour un marché n'impliquant pas la certitude de l'adjudication qui en résulte (voir points 54 et 55 ci-dessus, ainsi que les conclusions de l'avocat général M. Mancini sous l'arrêt Développement SA et Clemessy/Commission, précité, Rec. p. 1908, 1912).

76.
    En revanche, si, avant l'attribution au lauréat du marché en cause, un soumissionnaire est incité par l'institution adjudicatrice à effectuer par anticipation des investissements irréversibles et, partant, à excéder les risques inhérents aux activités considérées, consistant à soumettre une offre, la responsabilité non contractuelle de la Communauté peut être engagée (voir, en ce sens, arrêt Sofrimport/Commission, précité, points 28 et 29).

77.
    En l'espèce, il est constant que le Parlement, en la personne de M. Candidi, a pris l'initiative de téléphoner à la requérante le 4 décembre 1995 pour lui annoncer que la CCAM avait rendu le même jour un avis favorable sur la proposition de l'ordonnateur de lui confier le marché. Il ressort du témoignage de M. Candidi que cette initiative ne correspondait pas à la procédure normale prévoyant, au contraire, la finalisation du contrat par le Parlement avant tout contact avec l'entreprise lauréate. Or, dans le cas d'espèce, la nouvelle société devait être en mesure de fournir ses services dès le début de janvier 1996 et il fallait donc prendre de toute urgence les dispositions nécessaires afin d'éviter une interruption du service. M. Candidi a d'ailleurs confirmé que, au moment où il a pris contact avec la requérante, rien ne lui laissait présager qu'une décision finale qui lui serait défavorable serait prise.

78.
    Cette version des faits coïncide, par ailleurs, avec le témoignage de Mme Lahousse. Elle a, en effet, confirmé que l'entreprise adjudicataire devait être opérationnelle dès le 1er janvier 1996. En conséquence, la requérante, en tant que lauréate de l'appel d'offres litigieux, devait se préparer pour être à même d'exécuter le marché à compter du 1er janvier 1996. Toutefois, selon Mme Lahousse, le bureau avait soulevé, lors d'une réunion du 11 décembre 1995, le problème de l'intégrité des dirigeants de la requérante, lequel a été discuté durant la réunion du 13 décembre

1995. Par la suite, une vaste campagne d'information relative à la capacité de la requérante de gérer le marché en cause a été entreprise par un grand nombre de chauffeurs. Cela a entraîné la suspension de la procédure entre le mois de décembre 1995 et le mois de mai 1996. L'administration n'a, de ce fait, reçu les instructions précises des autorités sur les suites à donner à l'appel d'offres litigieux qu'au mois de mai 1996.

79.
    Il s'ensuit que, au début du mois de décembre 1995, tant le Parlement que la requérante croyaient que cette dernière exécuterait le marché à compter du 1er janvier 1996. Par conséquent, si la requérante n'a pas été expressément invitée à engager les investissements nécessaires pour disposer d'une infrastructure permettant de fournir le service demandé à compter du 1er janvier 1996, il est clair, vu les circonstances de l'espèce, que, en le faisant, elle a agi d'une manière raisonnable et réaliste afin de satisfaire aux exigences exprimées par le Parlement. En effet, il n'est pas contesté que la requérante, afin de pouvoir fournir lesdits services à compter du 1er janvier 1996, était tenue d'entreprendre les mesures nécessaires à l'exécution du contrat immédiatement après avoir reçu l'information de M. Candidi le 4 décembre 1995. Cette hypothèse est, en outre, corroborée par l'absence de réaction des fonctionnaires du Parlement à la lettre de la requérante du 12 décembre 1995. Cette lettre évoquait, notamment, la réalisation de certains investissements en raison de la situation d'urgence dans laquelle se trouvait le Parlement (voir point 7 ci-dessus).

80.
    Dans ces conditions, le Parlement ne saurait se prévaloir de la jurisprudence selon laquelle une interprétation inexacte d'une disposition n'est pas, par elle-même, constitutive d'une faute de service (voir arrêts Richez-Parise e.a./Commission, Kohll/Commission et du 20 juin 1990, Burban/Parlement, précités). Cette jurisprudence, qui concerne des recours de fonctionnaires ayant reçu des informations erronées sur leurs droits statutaires, n'est pas transposable aux circonstances de la présente affaire. En effet, une simple erreur d'information concernant l'interprétation de certaines dispositions statutaires n'est pas comparable à la situation dans laquelle le Parlement a fait naître chez son cocontractant envisagé la conviction d'obtenir un marché et a, de surcroît, incité ce dernier à engager des investissements irréversibles.

81.
    Le Parlement ne saurait non plus prétendre que la requérante, en tant que soumissionnaire dans la procédure d'adjudication, aurait dû se tenir prête dans toutes les circonstances et, partant, qu'il lui incombait de disposer de l'infrastructure nécessaire pour exécuter le contrat. A cet égard, il y a lieu de retenir les affirmations des représentants de la requérante à l'audition des témoins, selon lesquelles le marché en cause, comportant environ 40 voitures avec chauffeurs, était très conséquent et revêtait une grande importance pour les activités de la requérante. Il aurait dû être clair pour le Parlement que larequérante, en tant que nouveau fournisseur des services demandés, ne pouvait se tenir prête sans investissements importants.

82.
    Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le Parlement, la conviction de la requérante d'obtenir le marché n'a pas été dissipée lors de la visite de ses représentants à Strasbourg le 13 décembre 1995. En effet, lors de cet entretien, la discussion a été centrée sur la véracité de certaines rumeurs et d'articles de presse relatifs à la probité des dirigeants de la requérante et non sur la question de savoir si elle obtiendrait le marché en cause. Or, ce problème de probité a été apparemment réglé le jour même de l'entretien. Il ressort du témoignage de M. Heuzer, représentant de la requérante, que M. Candidi a informé M. Hautot et lui-même, par téléphone, au cours de leur retour de Strasbourg, du règlement du problème relatif à la probité. Cette information, non contestée par le Parlement, est d'ailleurs confirmée par la note interne de M. Feidt établie le même jour (voir point 9 ci-dessus), exposant que les allégations concernant la probité des dirigeants de la requérante étaient dépourvues de tout fondement et sollicitant l'accord du secrétaire général pour la signature du contrat avec celle-ci dans les meilleurs délais.

83.
    Il ressort donc du dossier que ce n'est que quelques jours après la réunion du 13 décembre 1995 que le Parlement a décidé de ne pas confier le marché à la requérante à compter du 1er janvier 1996, mais de l'attribuer, à titre provisoire, à la société A qui était partie au contrat précédent.

84.
    En effet, le 19 décembre 1995, M. Feidt a saisi la CCAM d'une proposition tendant à la prorogation du contrat liant la société A pour une durée d'un mois. Il ressort du procès-verbal relatif à la réunion de la CCAM (voir point 10 ci-dessus), que les décisions internes au Parlement permettant la signature du contrat avec la requérante n'ont pas pu aboutir avant la fin de l'année 1995 et qu'un contrat courant du 1er au 31 janvier 1996 serait conclu avec la société A (ce qui a été fait le 5 janvier 1996). A cette occasion, la CCAM a, d'ailleurs, invité l'ordonnateur à prendre toutes les dispositions pour que la requérante signe le contrat dans les meilleurs délais.

85.
    A cet égard, sans être contredit sur ce point par le Parlement, M. Hautot a témoigné que personne au sein du Parlement ne l'avait contacté afin de l'informer de l'attribution provisoire du marché à une autre société pour la période du 1er au 31 janvier 1996. Il est donc avéré que c'est grâce à ses propres démarches que M. Hautot a découvert, peu avant Noël, que le Parlement avait, provisoirement, accordé le contrat à la société A. A ce propos, il convient de relever que l'entité adjudicatrice doit respecter, à chaque phase d'une procédure d'appel d'offres, non seulement le principe d'égalité de traitement des soumissionnaires, mais également celui de la transparence (voir arrêt Commission/Belgique, précité, point 54). Ainsi, une société étroitement impliquée dans une procédure d'adjudication et qui a même été considérée comme lauréate de l'appel d'offres, doit recevoir, sans aucun retard, les informations précises concernant l'ensemble du déroulement de la procédure. Il aurait, par conséquent, fallu que le Parlement, avant Noël 1995, informât la requérante, d'une manière précise, des raisons pour lesquelles celle-ci

ne se verrait pas confier le marché à compter du 1er janvier 1996 comme il avait été précédemment envisagé.

86.
    Il résulte de ce qui précède que le Parlement a, d'une part, fait naître dans le chef de la requérante une confiance légitime en l'incitant à prendre un risque excédant celui normalement couru par les soumissionnaires à une procédure d'adjudication et, d'autre part, omis d'informer la requérante d'un changement significatif du déroulement de la procédure d'adjudication.

87.
    A cet égard, il n'est pas nécessaire de déterminer si les fonctionnaires du Parlement ont agi d'une manière excusable. En tant qu'entité adjudicatrice dans la procédure d'attribution des marchés, le Parlement se doit de faire preuve d'une attitude cohérente et constante vis-à-vis de ses soumissionnaires. Les interventions de différents organes administratifs ou politiques au sein du Parlement ne sauraient donc justifier le non-respect des obligations lui incombant envers la requérante.

88.
    Il s'ensuit que le Parlement a commis une faute de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté.

Sur les dommages et le lien de causalité

Arguments des parties

89.
    La requérante estime avoir subi les dommages suivants:

a) frais et charges engagés en raison de sa conviction d'obtenir le marché, se décomposant, selon les factures déposées avec la réplique, comme suit:

—    coût de flotte active et réservée pour le Parlement depuis le 1er janvier 1996 jusqu'au 31 mars 1996 et assurances, soit au total 36 voitures: 3 272 545 BFR [TVAC (taxe sur la valeur ajoutée comprise)];

—    frais de parking pour la période du 1er janvier 1996 au 31 mars 1996 pour 36 véhicules: 635 105 BFR (TVAC);

—    frais de rupture de contrat flotte pour 25 véhicules: 1 146 980 BFR (TVAC);

—    coût de la téléphonie (GSM): 424 480 BFR;

b) frais d'organisation du contrat, consultants et divers: 886 600 BFR, répartis comme suit:

—    préparation du contrat, étude de faisabilité et analyses chiffrées: 131 325 BFR;

—    assistance et préparation des données, soumission et conseil en organisation: 181 500 BFR (TVAC);

—    préparation, négociation flotte de véhicules, contrat téléphonie et parking: 124 963 BFR;

—    frais de déplacement et de représentation (base forfaitaire): 150 000 BFR;

—    frais de secrétariat (base forfaitaire): 52 000 BFR;

—    télécopie, téléphones, administration, copieuse et imprimante (base forfaitaire): 100 000 BFR;

—    frais de recrutement, de visites médicales, training (rédaction de contrats, location d'une salle de réunion) et frais d'animation pour les chauffeurs: 200 000 BFR;

—    honoraires de M. Hautot, exclusivement occupé à la soumission et ensuite à la mise en place du contrat du Parlement depuis octobre 1995 jusqu'au 30 juin 1996: 540 000 BFR;

c) perte du profit estimé sur cinq ans en raison d'un contrat de trois ans renouvelable pour deux périodes de douze mois: 10 000 000 BFR.

90.
    En outre, la requérante soutient que l'attitude fautive du Parlement lui a causé un préjudice moral. Elle explique que, étant assurée de se voir attribuer le marché, elle s'est engagée non seulement envers ses actionnaires, mais également envers des tiers, dans une perspective d'expansion et de réussite commerciale. Les circonstances particulièrement troubles dans lesquelles est survenue la non-passation du marché (rumeur quant à sa solvabilité, à sa surface financière, à la qualité de ses services ainsi qu'aux sérieux de ses actionnaires et/ou administrateurs) ont été publiquement répandues dans le milieu belge, et en particulier bruxellois, spécialement fermé et étroit.

91.
    La requérante estime que, sous réserve d'augmentation ou de diminution, ce préjudice moral doit être forfaitairement évalué à 5 000 000 BFR.

92.
    La requérante affirme, par ailleurs, que, si elle n'avait pas, d'une manière ou d'une autre, été certaine d'emporter le marché, elle n'aurait jamais investi les sommes qu'elle a consacrées au démarrage des services promis, de sorte que l'existence du lien de causalité entre la faute alléguée et les préjudices invoqués, exigée par la jurisprudence, est établie. De plus, les rumeurs particulièrement négatives qui ont, à un moment donné, couru sur son compte n'auraient pu trouver écho ni avoir quelque répercussion que ce soit en termes d'image et de réputation commerciale si, en fin de compte, le contrat avait été normalement exécuté et/ou conclu.

93.
    Le Parlement considère que la requérante se contente d'invoquer divers chefs de dommages, sans apporter le moindre élément de preuve de nature à démontrer qu'elle aurait réellement subi les préjudices allégués. Il ajoute que la requérante n'a pas apporté la preuve que les factures qu'elle a produites correspondaient à des dépenses engagées dans le cadre de leurs prétendues relations.

94.
    Par ailleurs, le Parlement conteste être redevable de quoi que ce soit à la requérante au titre d'un prétendu préjudice moral. D'une part, la requérante n'apporterait aucun élément de preuve tendant à démontrer qu'il a été porté atteinte à sa réputation et, d'autre part, elle ne disposerait d'aucun élément démontrant que le Parlement aurait été à l'origine de, ou aurait participé à, la diffusion des rumeurs qu'elle invoque au soutien de sa demande.

95.
    Le Parlement soutient, enfin, que le lien causal entre la faute alléguée et les dommages invoqués fait totalement défaut, en raison de la circonstance que, dès le 13 décembre 1995, lors de la réunion à Strasbourg, la requérante avait été informée que l'avis de la CCAM n'avait qu'une valeur consultative et que le Parlement se réservait la décision finale sur l'octroi du marché. Il ajoute que les frais que la requérante a exposés pour la préparation et l'exécution du marché, ainsi que sa perte de profit, ne sont pas, en tout état de cause, réparables, faute pour celle-ci d'avoir démontré que le premier marché lui avait été effectivement attribué.

Appréciation du Tribunal

96.
    En l'espèce, il a été établi que la faute commise par le Parlement est de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la Communauté. En revanche, aucune responsabilité contractuelle n'a été engagée. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à exiger une compensation pour sa perte de profit, car cela reviendrait à donner effet à un contrat qui n'a jamais existé.

97.
    Ensuite, il ressort de l'article 4 des conditions générales que l'institution adjudicatrice n'est redevable d'aucune indemnisation à l'égard des soumissionnaires dont les offres n'ont pas été retenues. Il s'ensuit que, en principe, les charges et frais encourus par un soumissionnaire pour sa participation à un appel d'offres ne sauraient constituer un préjudice susceptible d'être réparé par l'octroi de dommages-intérêts (voir arrêt du Tribunal du 29 octobre 1998, TEAM/Commission, T-13/96, non encore publié au Recueil, point 71). En l'espèce, la requérante n'a fourni aucun élément permettant de déroger à ce principe. La requérante n'est donc pas fondée à réclamer le remboursement des frais relatifs à la préparation de l'offre.

98.
    Il reste, dès lors, à déterminer le préjudice qui est lié aux investissements effectués par la requérante en raison de l'information reçue le 4 décembre 1995 relevant que la CCAM avait rendu un avis favorable à son égard.

99.
    A ce propos, il ressort du dossier que la requérante, consécutivement à cette information, a immédiatement entrepris les mesures nécessaires à l'exécution du contrat. Dans une lettre datée du 5 décembre 1995, M. Hautot s'exprime, en effet, en ces termes: «Je prendrai en charge toute la partie recrutement [...] ainsi que toutes les réunions de travail avec [le Parlement]. [...] réunir la flotte nécessaire est du ressort de [M. Heuzer] et de ses assistants. [...] je demande à tous de faire l'effort nécessaire pour mettre en place une organisation impeccable dès le 1.1.96 [...]» Ensuite, dans une lettre du 6 décembre 1995 de Budget Rent a Car, il estindiqué: «[...] suite à votre demande expresse, nous vous confirmons procéder à la commande officielle et, consécutivement, à l'immatriculation des véhicules souhaités pour l'année 1996. [...] pour éviter double emploi, nous vous rappelons encore que nous procédons actuellement à l'acquisition de l'infrastructure des télécommunications (GSM) nécessaire à la bonne conduite de vos opérations.»

100.
    De plus, la requérante a, dans sa lettre du 12 décembre 1995, fait état des mesures qu'elle avait prises de façon à pouvoir faire face à l'urgence décrétée par le Parlement. Dans cette lettre, la requérante a, ainsi, mentionné les contrats de leasing de voitures et d'abonnement GSM, ainsi que l'embauche de chauffeurs et la régularisation de leur situation médico-sociale et fiscale (voir point 7 ci-dessus).

101.
    Il s'ensuit que les investissements susmentionnés présentent un lien causal direct avec la conversation téléphonique du 4 décembre 1995.

102.
    De surcroît, en effectuant ces investissements, la requérante n'a pas fait preuve d'imprudence. Premièrement, il a été précédemment établi que sa conviction d'obtenir le marché n'avait pas été dissipée lors de la réunion à Strasbourg le 13 décembre 1995 (voir point 82 ci-dessus). Deuxièmement, le Parlement n'a invoqué aucun argument permettant de douter de la véracité de la version des faits donnée par les représentants de la requérante, sous serment, selon laquelle les investissements évoqués dans la lettre du 12 décembre 1995 avaient tous été engagés en décembre 1995. Troisièmement, il ressort des témoignages des fonctionnaires du Parlement que la requérante n'a reçu aucune information lui indiquant qu'il était possible qu'elle n'obtienne finalement pas le marché (voir points 82 à 85 ci-dessus).

103.
    Or, il va de soi que la requérante, en l'absence d'un refus clair de lui confier le marché, n'avait pas de raison d'annuler, au cours des premiers mois de l'année 1996, les contrats déjà conclus. Il est utile de rappeler, à cet égard, le procès-verbal du 19 décembre 1995 dans lequel la CCAM, tout en donnant un avis favorable pour un contrat du 1er janvier 1996 au 31 janvier 1996 avec la société A, invite l'ordonnateur à prendre toutes les dispositions pour que le contrat avec la requérante soit signé dans les meilleurs délais. Cela confirme que le Parlement lui-même avait, à ce stade, l'intention d'attribuer le marché à la requérante.

104.
    Compte tenu de ce qui précède, le préjudice réparable peut être considéré comme constitué par les dommages invoqués par la requérante et repris ci-dessus au point 89, sous a), «frais et charges engagés en raison de la conviction d'obtenir le marché», ainsi que ceux visés sous b), «frais de recrutement, de visites médicales, training et frais d'animation pour les chauffeurs» et «préparation, négociation flotte de véhicules, contrat téléphonie et parking».

105.
    A cet égard, il y a lieu de rejeter l'argument du Parlement selon lequel les factures de la requérante ne démontrent pas que les dépenses ont été engagées dans le cadre de leurs relations. En effet, aucun élément du dossier ne permet d'infirmer que ces factures correspondent aux mesures que la requérante avait prises afin de répondre à la situation d'urgence dans laquelle se trouvait le Parlement, mesures dont la requérante a déjà fait état dans sa lettre du 12 décembre 1995.

106.
    Cependant, il ressort du dossier produit par la requérante que les coûts d'abonnement GSM (424 450 BFR) couvrent la période du 19 janvier 1996 au 18 octobre 1996. Le fait que l'abonnement n'a commencé à courir que le 19 janvier 1996 serait dû à un abonnement gratuit promotionnel. Or, le Tribunal estime raisonnable de limiter les coûts réparables à ceux relatifs à la période du 19 janvier 1996 au 31 mars 1996. Dans la mesure où la requérante n'a pas abandonné ce contrat à la fin du mois de mars 1996, moment où elle aurait dû se rendre compte qu'il était très plausible que ce marché ne lui serait pas attribué, les coûts engagés ultérieurement sont à sa charge. Le montant réparable pour les abonnements GSM, y compris le coût hypothétique pour la rupture du contrat, peut ainsi être évalué à 200 000 BFR.

107.
    Comme le Parlement n'a pas contesté l'exactitude des sommes réclamées par la requérante, il y a lieu d'évaluer son préjudice sur la base des chiffres communiqués par cette dernière (voir point 89 ci-dessus). La réparation du préjudice subi par la requérante s'élève donc à la somme totale de 5 579 593 BFR (TVAC). Toutefois, le montant de la TVA payé par l'entreprise étant récupérable et ne restant, par conséquent, pas à la charge de celle-ci, il ne saurait être pris en compte dans l'évaluation des dommages. Il convient donc de prendre en considération les montants allégués hors TVA, à savoir, selon les factures de la requérante, 1 875 000 BFR + 829 583 BFR pour la location des voitures, 947 917 BFR pour la rupture du contrat, 524 880 BFR pour l'emplacement des voitures, et 103 275 BFR pour le dossier relatif aux voitures et à la téléphonie. A cela s'ajoute le montant des abonnements GSM, précédemment évalué à 200 000 BFR, et le montant forfaitaire relatif au recrutement des chauffeurs, s'élevant à 200 000 BFR. Le montant du préjudice matériel subi par la requérante s'élève donc à 4 680 655 BFR.

108.
    Compte tenu des circonstances de l'espèce, il y a également lieu d'indemniser la requérante pour le préjudice moral qu'elle a subi. Certes, elle n'a ni démontré l'existence d'une atteinte à sa réputation ni établi la responsabilité du Parlement dans la réalisation d'un tel préjudice. Toutefois, il ressort du dossier que, bien que,

dès le mois de décembre 1995, la requérante eût pris des mesures de préparation afin de répondre à la situation d'urgence évoquée par les fonctionnaires du Parlement, elle n'a su que le marché ne lui serait pas attribué qu'à la date du 19 juin 1996 (voir point 19 ci-dessus). Dans ces conditions, en ne lui transmettant aucune des informations — pourtant réclamées à maintes reprises — concernant la suite de la procédure d'adjudication, le Parlement a placé la requérante dans une situation d'incertitude et l'a contrainte à consentir des efforts inutiles en vue de répondre à la situation d'urgence susvisée.

109.
    Le Tribunal estime en conséquence équitable de fixer le préjudice, tant matériel que moral, subi par la requérante à une somme totale de 5 000 000 BFR.

Sur les dépens

110.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Le Parlement ayant succombé en ses moyens et la requérante ayant conclu à la condamnation du Parlement aux dépens, il y a lieu de condamner celui-ci à supporter les dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le Parlement européen est condamné à payer à la requérante une somme de 5 000 000 BFR.

2)    Cette somme portera intérêts au taux annuel de 8 % à compter de la date du présent arrêt et jusqu'au paiement effectif.

3)    Le Parlement supportera ses propres dépens ainsi que les dépens de la requérante.

Lindh                    Lenaerts                    Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 décembre 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh


1: Langue de procédure: le français.