Language of document :

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)

19 mars 2024 (*)

« Recours en annulation – Droit institutionnel – Membre du Parlement – Réglementation concernant les frais et indemnités des députés européens – Recouvrement d’indemnités versées au titre du remboursement des frais parlementaires – Absence d’imputabilité des décisions attaquées à un groupe politique et à son secrétaire général –Irrecevabilité partielle »

Dans l’affaire T‑422/23,

Lara Comi, demeurant à Saronno (Italie), représentée par Mes V. Mariconda, M. Centonze et G. Recine, avocats,

partie requérante,

contre

Parlement européen, représenté par M. N. Görlitz, Mme M. Ecker et M. R. Rende Granata, en qualité d’agents,

Groupe du parti populaire européen (PPE), représenté par M. F. Drexler, en qualité d’agent,

et

Secrétaire général du groupe du PPE, représenté par M. F. Drexler, en qualité d’agent,

parties défenderesses,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. F. Schalin (rapporteur), président, I. Nõmm et Mme G. Steinfatt, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Mme Lara Comi, demande, notamment, l’annulation de la décision du secrétaire général du groupe politique du parti populaire européen (PPE) au Parlement européen (ci-après le « groupe PPE ») du 5 juin 2023 (ci-après la « décision attaquée ») et de la note de débit no 7030000946 du directeur général des finances du Parlement du 3 juillet 2023 (ci-après la « note de débit »).

 Antécédents du litige

2        La requérante est députée au Parlement depuis novembre 2022, après l’avoir déjà été de 2009 à 2019. Elle est membre du groupe PPE.

3        La requérante a introduit, en relation avec les crédits alloués au titre de la ligne budgétaire 400 du Parlement, plusieurs demandes de paiement de frais relatifs à des factures émises dans le cadre de contrats conclus avec plusieurs prestataires de services, portant sur différentes périodes comprises entre les mois de novembre 2014 et d’avril 2019.

4        La requérante a choisi, pour l’ensemble des dépenses effectuées au titre de la ligne budgétaire 400, le paiement direct aux prestataires de services avec lesquels elle avait conclu les contrats. Les paiements à ces prestataires de services ont été effectués par les instances compétentes du groupe PPE après l’accomplissement d’un contrôle ex ante.

5        À la suite de soupçons d’irrégularités concernant, notamment, certaines demandes formulées par la requérante en relation avec les crédits alloués au groupe PPE au titre de la ligne budgétaire 400, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a ouvert une enquête le 15 avril 2019 (affaire OC/2019/0160/A 1).

6        Le 4 décembre 2019, la requérante a été informée de l’ouverture de cette enquête en tant que personne concernée.

7        Le 8 juin 2020, l’OLAF a envoyé une demande d’informations et de documents à la requérante, à laquelle celle-ci a répondu le 24 juin 2020.

8        Le 25 août 2020, l’OLAF a émis son rapport final sur l’enquête, révélant des irrégularités en qui concernait, notamment, certaines demandes présentées par la requérante dans le cadre des crédits alloués au groupe PPE au titre de la ligne budgétaire 400.

9        À la suite de l’émission du rapport final de l’OLAF, le secrétaire général du groupe PPE a, par une lettre du 4 février 2022, ouvert la procédure en vue de l’éventuel recouvrement des sommes qui auraient été indûment versées à la suite de la demande de la requérante, conformément à l’article 98, paragraphe 5, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, UE no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier ») et aux articles 1.1.1 et 1.4 de la règlementation régissant l’utilisation des crédits de la ligne budgétaire 400, adoptée par le bureau du Parlement le 30 juin 2003, dans sa version en vigueur lors de l’adoption de la décision attaquée (ci-après la « règlementation 400 »), pour un montant total de 131 266 euros, en invitant la requérante à présenter des observations à ce sujet.

10      Le 1er avril 2022, la requérante a présenté ses observations, qui étaient accompagnées de huit pièces justificatives en format électronique et papier.

11      Le 13 décembre 2022, la requérante a présenté des observations supplémentaires auxquelles étaient joints huit nouveaux documents en format électronique et papier.

12      Le 5 juin 2023, le secrétaire général du groupe PPE a adopté la décision attaquée. L’article 1er de cette décision ordonne, conformément à l’article 98, paragraphe 5, du règlement financier et à l’article 1.4 de la règlementation 400, le recouvrement auprès de la requérante d’une somme totale de 116 870 euros au titre des différents contrats qu’elle a conclus avec sept prestataires. L’article 2 de la même décision charge le directeur général des finances du Parlement, en tant qu’ordonnateur délégué pour les crédits de la ligne budgétaire 400, de procéder au recouvrement de la somme en question, conformément à l’article 1.4 de la règlementation 400 et aux articles 98 à 101 du règlement financier.

13      Le 3 juillet 2023, le directeur général des finances du Parlement a émis la note de débit qu’il a communiquée à la requérante le 4 juillet suivant, avec la décision attaquée.

 Conclusions des parties

14      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de :

–        à titre liminaire, suspendre la force exécutoire de la décision attaquée et de la note de débit ;

–        constater et déclarer qu’elle ne dispose pas de la qualité pour être attraite en justice, dans la mesure où les destinataires des « contestations » auraient dû être les sociétés avec lesquelles les contrats de service en question avaient été signés ;

–        à titre principal, constater et déclarer que, eu égard aux contrats de service en cause (vérifiés et autorisés ex ante et ex post par le PPE et le Parlement) et aux pièces justificatives qui y sont afférentes, elle n’a pas violé les dispositions des mesures d’application du statut des députés au Parlement s’agissant des demandes relatives aux crédits alloués au groupe PPE en vertu de la ligne budgétaire 400 ;

–        après avoir constaté et déclaré ce qui précède, annuler, déclarer nulles ou sans effet ou, en tout état de cause, révoquer définitivement la décision attaquée et la note de débit ;

–        à titre subsidiaire et conditionnel, dans l’hypothèse où les griefs figurant dans la décision attaquée seraient néanmoins accueillis, constater et déclarer la prescription ou la forclusion du recouvrement d’une partie des montants (égale à la somme de 54 889,99 euros) réclamés au titre de la note de débit ;

–        après avoir constaté et déclaré ce qui précède, déclarer sans effet ou révoquer la note de débit, en recalculant les sommes éventuellement dues par les tiers ayant perçu les paiements en question ou, à titre encore plus subsidiaire, par la ou les personnes concernées à un montant inférieur susceptible de résulter de l’issue de la présente procédure ;

–        en tout état de cause, condamner le Parlement, le groupe PPE et le secrétaire général du groupe PPE au paiement de l’ensemble des dépens et honoraires qu’elle a exposés aux fins de la présente procédure et, plus généralement, de la défense contre les griefs qui lui sont reprochés.

15      Dans l’exception d’irrecevabilité, le groupe PPE et son secrétaire général concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre eux ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

16      En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure du Tribunal, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité, sans engager le débat au fond.

17      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide de statuer sans poursuivre la procédure, pour autant que le présent recours est dirigé contre le groupe PPE et son secrétaire général.

18      À titre principal, le groupe PPE et son secrétaire général soutiennent que le présent recours est irrecevable en ce qu’il est dirigé contre eux, dans la mesure où la décision attaquée, bien qu’adoptée formellement par le secrétaire général du groupe PPE, relève de la catégorie des actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués, lesdits actes ne pouvant être imputés qu’à l’institution délégante, en l’occurrence le Parlement.

19      S’agissant de la note de débit, cette dernière n’émanerait pas du groupe PPE ou de son secrétaire général, mais du Parlement lui-même, de sorte que le recours serait également irrecevable en ce qu’il est dirigé contre les deux premiers.

20      En tout état de cause, le groupe PPE et son secrétaire général rappellent qu’ils n’appartiennent pas à la catégorie des institutions, organes ou organismes de l’Union européenne, à l’encontre de laquelle un recours formé au titre de l’article 263, premier alinéa, TFUE peut être dirigé. La protection juridique de la requérante demeurerait néanmoins garantie, dans la mesure où, ainsi qu’elle en avait la possibilité, elle a également dirigé son recours contre le Parlement.

21      En réponse, la requérante fait valoir, en substance, qu’il existe une incertitude s’agissant de la désignation des parties défenderesses dans la présente affaire, de sorte qu’elle entend maintenir les conclusions qu’elle a formulées dans sa requête.

22      Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal estime opportun d’examiner le motif d’irrecevabilité soulevé à titre principal par le groupe PPE et son secrétaire général, tiré du fait que, en substance, la décision attaquée et la note de débit ne sauraient leur être imputées.

23      À cet égard, il convient de rappeler que des actes adoptés en vertu de pouvoirs délégués sont normalement imputés à l’institution délégante, à laquelle il appartient de défendre en justice l’acte en cause (voir, en ce sens, arrêts du 12 juillet 1957, Algera e.a./Assemblée commune, 7/56 et 3/57 à 7/57, EU:C:1957:7, p. 113, et du 17 juillet 1959, Snupat/Haute Autorité, 32/58 et 33/58, EU:C:1959:18, p. 298).

24      En l’espèce, ainsi que cela résulte de la règlementation 400, en particulier de son point 1, intitulé « Base juridique de la gestion des crédits », le Parlement confie les tâches d’exécution des crédits qui sont alloués aux groupes politiques, conformément aux principes de la gestion décentralisée indirecte des crédits, en appliquant, par analogie, l’article 62, paragraphe 1, sous c), du règlement financier, compte tenu des besoins propres desdits groupes, en conformité également avec les dispositions de la règlementation 400.

25      En outre, selon l ’article 1.4 de la règlementation 400, intitulé « Responsabilité », les groupes politiques sont responsables à l’égard de l’institution de l’utilisation des crédits dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés par le bureau du Parlement pour l’application de cette règlementation.

26      Dans ces conditions, il apparaît que, bien que la décision attaquée ait été adoptée formellement par le secrétaire général du groupe PPE, ce dernier a agi sur le fondement de pouvoirs qui lui avaient été délégués par le Parlement.

27      Par conséquent, la décision attaquée doit, en l’espèce, être considérée comme étant uniquement imputable au Parlement, à l’encontre duquel le recours doit être dirigé.

28      Par ailleurs, s’agissant de la note de débit, il y a lieu de constater que, si elle a été adoptée par le directeur général des finances du Parlement, ce dernier a agi, conformément à l’article 2 de la décision attaquée, en vertu de pouvoirs qui lui ont été subdélégués par le secrétaire général du groupe PPE, qui agissait lui-même en vertu de pouvoirs que lui avait délégués le Parlement (voir point 12 ci-dessus).

29      Dès lors, à l’instar de la décision attaquée, l’adoption de la note de débit ne peut être considérée comme relevant de la compétence du groupe PPE ou de son secrétaire général, de sorte que le recours ne saurait qu’être déclaré irrecevable en ce qu’il vise l’annulation de ladite note en étant dirigé contre ces derniers.

30      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par le groupe PPE et son secrétaire général et de rejeter le recours, en tous ses chefs de conclusions, comme étant irrecevable, pour autant qu’il est dirigé contre le groupe PPE et son secrétaire général.

 Sur les dépens

31      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, pour autant que le présent recours était dirigé contre le groupe PPE et son secrétaire général, il y a lieu, dans cette mesure, de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de ces derniers. En outre, les dépens sont réservés en ce qui concerne les dépens exposés par la requérante et par le Parlement dans le cadre de la procédure principale.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme étant irrecevable pour autant qu’il est dirigé contre le groupe politique du parti populaire européen (PPE) au Parlement européen et contre le secrétaire général dudit groupe.

2)      Mme Lara Comi est condamnée à supporter ses propres dépens afférents à la procédure sur l’exception d’irrecevabilité ainsi que ceux exposés par le groupe politique du PPE au Parlement et par le secrétaire général dudit groupe dans le cadre de la procédure sur l’exception d’irrecevabilité.

3)      Les dépens sont réservés pour le surplus.

Fait à Luxembourg, le 19 mars 2024.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

F. Schalin


*      Langue de procédure : l’italien.