Language of document : ECLI:EU:T:2000:240

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

24 octobre 2000 (1)

«Droits antidumping et compensateurs provisoires - Saumons atlantiques d'élevage - Responsabilité extracontractuelle de la Communauté»

Dans l'affaire T-178/98,

Fresh Marine Company SA, établie à Trondheim (Norvège), représentée par Mes J.-F. Bellis et B. Servais, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me J. Loesch, 11, rue Goethe,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Kreuschitz, conseiller juridique, et N. Khan, membre du service juridique, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de condamnation de la Commission à la réparation du préjudice commercial que la requérante affirme avoir subi à la suite de l'adoption du règlement (CE) n° 2529/97 de la Commission, du 16 décembre 1997, instituant des droits antidumping et compensateurs provisoires sur certaines importations de saumons atlantiques d'élevage originaires de Norvège (JO L 346, p. 63),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de MM. K. Lenaerts, président, J. Azizi, R. M. Moura Ramos, M. Jaeger et P. Mengozzi, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 10 mai 2000,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique et factuel du litige

1.
    La requérante est une société de droit norvégien créée en 1992 et spécialisée dans le commerce du saumon atlantique d'élevage.

2.
    À la suite de plaintes déposées en juillet 1996 par la Scottish Salmon Growers' Association Ltd et par la Shetland Salmon Farmers' Association au nom de leurs membres, la Commission a annoncé le 31 août 1996, par deux avis distincts publiés au Journal officiel des Communautés européennes, l'ouverture d'une procédure antidumping et d'une procédure antisubventions concernant les importations de saumons atlantiques d'élevage originaires de Norvège (JO C 253, p. 18 et 20).

3.
    La Commission a recherché et vérifié toutes les informations jugées nécessaires aux fins de ses conclusions définitives. À la suite de cet examen, elle a conclu à la nécessité d'instituer des mesures antidumping et des mesures compensatoires définitives afin d'éliminer les effets préjudiciables des pratiques de dumping et des subventions dénoncées.

4.
    Le 17 juin 1997, la requérante, informée des conclusions de la Commission, a fait à celle-ci une proposition d'engagement, conformément à l'article 8 du règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996, L 56, p. 1), et à l'article 10 du règlement (CE) n° 3284/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 349, p. 22). Elle s'est notamment engagée à ce que le prix moyen, par trimestre, de ses exportations de saumons atlantiques d'élevage éviscérés avec tête ne soit pas inférieur à 3,25 écus/kg et à ce que le prix de chaque transaction individuelle ne soit pas inférieur à 85 % du prix moyen minimal susvisé, sauf circonstances exceptionnelles et à concurrence de 2 % au maximum du total de ses exportations vers la Communauté réalisées pendant le trimestre concerné. Elle a, en outre, pris l'engagement de notifier chaque trimestre à la Commission, conformément aux spécifications techniques requises, toutes ses ventes de saumons atlantiques d'élevage à ses clients indépendants dans la Communauté.

5.
    Par sa décision 97/634/CE, du 26 septembre 1997, portant acceptation des engagements offerts dans le cadre de la procédure antidumping et de la procédure antisubventions concernant les importations de saumons atlantiques d'élevage originaires de Norvège (JO L 267, p. 81), la Commission a accepté les engagements présentés par une série d'exportateurs norvégiens de ces produits, dont celui de la requérante. À l'égard de ces exportateurs, les enquêtes antidumping et antisubventions ont été closes. L'engagement de la requérante est entré en vigueur le 1er juillet 1997.

6.
    Le même jour, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 1890/97, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de saumons atlantiques d'élevage originaires de Norvège (JO L 267, p. 1), et le règlement (CE) n° 1891/97, instituant un droit compensateur définitif sur les importations de saumons atlantiques d'élevage originaires de Norvège (JO L 267, p. 19). Conformément à l'article 1er, paragraphe 2, de ces deux règlements, les importations, dans la Communauté, de saumons atlantiques d'élevage en provenance de Norvège produits par la requérante ont été exonérées de ces droits, du fait que son engagement avait été accepté par la Commission.

7.
    Le 22 octobre 1997, la requérante a adressé à la Commission un rapport recensant l'ensemble de ses exportations de saumons atlantiques d'élevage dans la Communauté au cours du troisième trimestre de l'année 1997 (ci-après le «rapport d'octobre 1997»).

8.
    Le 16 décembre 1997, la Commission a adopté, sur la base du règlement n° 384/96 et du règlement (CE) n° 2026/97 du Conseil, du 6 octobre 1997, relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays nonmembres de la Communauté européenne (JO L 288, p. 1), le règlement (CE) n° 2529/97, instituant des droits antidumping et compensateurs provisoires sur certaines importations de saumons atlantiques d'élevage originaires de Norvège (JO L 346, p. 63). En vertu de celui-ci, les importations, dans la Communauté, de saumons atlantiques d'élevage en provenance de Norvège produits par la requérante ont été frappées d'un droit antidumping provisoire de 0,32 écu/kg et d'un droit compensateur provisoire de 3,8 % (articles 1er et 2), et le nom de celle-ci a été supprimé dans l'annexe de la décision 97/634 citant les sociétés dont l'engagement avait été accepté (article 5). Ce règlement est entré en vigueur le 18 décembre 1997. Sa période d'application était fixée à quatre mois (article 6). Les parties concernées étaient invitées à faire connaître leurs observations par écrit et pouvaient demander à être entendues par la Commission dans le mois suivant l'entrée en vigueur du règlement, soit au plus tard le 17 janvier 1998 (article 4).

9.
    Par lettre du 19 décembre 1997, la Commission a informé la requérante des faits et considérations essentiels sur la base desquels des droits provisoires avaient été institués sur les importations des produits de celle-ci dans la Communauté. Elle lui a expliqué que l'analyse du rapport d'octobre 1997 avait fait apparaître un prix moyen à l'exportation du saumon éviscéré avec tête de 3,22 écus/kg, soit un prix inférieur au prix moyen minimal fixé dans l'engagement du 17 juin 1997, ce qui l'avait amenée à croire au non-respect de celui-ci. À cette lettre était jointe une copie des données sur la base desquelles la Commission était parvenue à cette conclusion.

10.
    Par télécopie du 22 décembre 1997, la requérante a reproché à la Commission d'avoir dénaturé son rapport d'octobre 1997 en supprimant une série de lignes qui visaient à annuler des lignes erronées. Indiquant qu'elle avait cessé toute exportation vers la Communauté depuis l'entrée en vigueur du règlement n° 2529/97, ce qui lui causait un tort considérable, elle a demandé la levée immédiate des sanctions prises contre elle.

11.
    Par lettre du 5 janvier 1998, la Commission a rejeté les accusations de la requérante. Elle lui a expliqué qu'elle avait décidé de supprimer une série de lignes du rapport d'octobre 1997 au motif que celles-ci comportaient des données précédées d'un signe négatif qui, à défaut d'explications dans le rapport, n'avaient pas pu être mises en relation avec les factures correspondantes. Elle a ajouté que, si la requérante lui adressait en temps utile un rapport correct montrant que toutes ses ventes, nettes de lignes de crédit, avaient été réalisées, au cours du troisième trimestre de l'année 1997, à un prix moyen supérieur au prix minimal, elle serait disposée à reconsidérer sa position. Elle a également mis l'accent sur le caractère provisoire des droits institués par le règlement n° 2529/97 et indiqué à la requérante que celle-ci aurait pu poursuivre ses exportations vers la Communauté en fournissant, pour ses ventes effectuées selon le système «DDP» («Delivered Duty Paid», rendu droits acquittés), une garantie appropriée aux autorités douanières des États membres concernés.

12.
    Le 6 janvier 1998, la requérante a adressé à la Commission une version révisée de son rapport d'octobre 1997.

13.
    Par lettre du 7 janvier 1998, elle a apporté, à la demande de la Commission, des précisions complémentaires relatives à certaines lignes de la version initiale du rapport d'octobre 1997, qui contenaient des valeurs négatives.

14.
    Le 8 janvier 1998, la Commission a adressé à la requérante la version révisée de ce rapport, modifiée à la suite des explications fournies la veille par cette dernière. La requérante a été invitée à faire savoir par écrit à la Commission si elle souscrivait au contenu de cette nouvelle version.

15.
    Par télécopie du 9 janvier 1998, la requérante a fait part à la Commission de son accord sur le contenu de cette nouvelle version révisée du rapport d'octobre 1997. Soulignant qu'elle n'avait pas d'observations complémentaires à formuler à ce sujet et faisant état de pertes commerciales considérables, elle a insisté pour que sa situation soit réglée et les droits provisoires supprimés avant l'expiration du délai imparti par le règlement n° 2529/97 aux parties intéressées pour faire valoir leur point de vue.

16.
    Le même jour, le conseil de la requérante a formulé la même demande auprès de la Commission, au motif qu'il apparaissait désormais que sa cliente n'avait pas violé son engagement et n'avait pas de commentaires additionnels à faire valoir.

17.
    Par télécopie du 12 janvier 1998, le conseil de la requérante a réitéré sa demande.

18.
    Les 26 et 27 janvier 1998, des agents de la Commission ont procédé à des vérifications au siège de la requérante.

19.
    Par lettre du 30 janvier 1998, la Commission a fait savoir à la requérante qu'elle considérait désormais que cette dernière avait respecté, pendant le troisième trimestre de l'année 1997, le prix moyen minimal à l'exportation fixé dans son engagement pour le saumon éviscéré avec tête et que, dès lors, elle n'avait plus de raisons de croire à une violation dudit engagement.

20.
    Par lettre du 2 février 1998, la Commission a informé la requérante qu'elle avait l'intention de proposer au Conseil de ne pas imposer de droits définitifs et que, dès lors, les droits provisoires institués par le règlement n° 2529/97 ne devraient pas être confirmés. Elle a ajouté que, conformément à l'article 10, paragraphe 2, du règlement n° 384/96, les montants déposés au titre de ces droits provisoires seraient libérés pour autant que le Conseil ne décide pas de les percevoir définitivement en tout ou partie.

21.
    Le 23 mars 1998, la Commission a adopté le règlement (CE) n° 651/98, modifiant les règlements nos 1890/97, 1891/97 et 2529/97 et la décision 97/634 (JO L 88,p. 31). En vertu du règlement n° 651/98, les droits antidumping et compensateurs provisoires fixés par le règlement n° 2529/97 ont été abrogés, pour autant qu'ils concernaient les importations des produits de la requérante (article 1er, paragraphe 1). L'engagement de celle-ci a par ailleurs été remis en vigueur à compter du 25 mars 1998 (articles 2 et 4).

Procédure

22.
    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 octobre 1998, la requérante a introduit le présent recours.

23.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale, après avoir pris des mesures d'organisation de la procédure invitant les parties à répondre à des questions écrites.

24.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal, lors de l'audience publique du 10 mai 2000.

Conclusions des parties

25.
    La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    condamner la Commission à l'indemniser des préjudices subis à la suite de l'adoption des mesures provisoires visées par le règlement n° 2529/97, pour un montant total de 2 115 000 couronnes norvégiennes (NOK);

-    condamner la Commission aux dépens.

26.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable ou, à titre subsidiaire, comme non fondé;

-    condamner la requérante aux dépens.

Sur la recevabilité

27.
    Sans soulever formellement une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la Commission soutient que le recours est irrecevable. Elle invoque trois moyens à l'appui de sa thèse. Le premier moyen est fondé sur la violation de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Dans le cadre du deuxième moyen, la Commission fait valoir que la requérante n'est pas recevable à réclamer la réparation d'un préjudiceprétendument causé par un acte normatif. Sous le couvert du troisième moyen, elle se prévaut du fait que la requérante n'a pas poursuivi en temps utile l'annulation du règlement n° 2529/97.

Sur le premier moyen, fondé sur la violation de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure

Arguments des parties

28.
    La Commission soutient que la demande d'indemnisation n'est pas suffisamment étayée, de sorte que la requête ne remplit pas les conditions de forme prescrites par l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure. Elle invoque trois éléments à l'appui de ce moyen. En premier lieu, la requête ne permettrait pas d'identifier les conditions nécessaires à l'établissement de la responsabilité extracontractuelle de la Commission. En deuxième lieu, s'agissant du lien de causalité, la requérante se bornerait à affirmer, sans le justifier, que, entre le 18 décembre 1997 et le 25 mars 1998, elle n'a pu vendre aucun saumon sur le marché communautaire. En troisième lieu, en ce qui concerne l'étendue du préjudice allégué, la requérante n'avancerait pas d'éléments prouvant qu'elle a cherché à obtenir une garantie bancaire destinée à couvrir ses droits provisoires, en vue de limiter son manque à gagner. Quant aux frais liés au rétablissement de sa position sur le marché communautaire, ils seraient purement hypothétiques.

29.
    La requérante soutient que sa requête satisfait aux exigences formelles fixées par le règlement de procédure. Elle rejette, en particulier, l'argumentation de la Commission selon laquelle le certificat de la société d'audit joint en annexe 6 à la requête ne prouve pas le lien de causalité entre l'institution des mesures provisoires et son préjudice commercial.

Appréciation du Tribunal

30.
    Selon l'article 19 du statut CE de la Cour de justice, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l'article 46, premier alinéa, du même statut, et l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, la requête doit, notamment, indiquer l'objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Pour satisfaire à ces exigences, une requête qui, comme en l'espèce, vise à la réparation de dommages prétendument causés par une institution communautaire doit contenir les éléments qui permettent d'identifier le comportement reproché par le requérant à l'institution, les raisons pour lesquelles celui-ci estime qu'un lien de causalité existe entre le comportement en question et le préjudice qu'il prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l'étendue de ce préjudice (arrêts du Tribunal du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T-113/96, Rec. p. II-125, point 30; du 29 octobre 1998,TEAM/Commission, T-13/96, Rec. p. II-4073, point 27, et du 24 février 2000, ADT/Commission, T-145/98, non encore publié au Recueil, point 74).

31.
    En l'espèce, il ressort de manière suffisamment explicite de la requête que le comportement reproché à la Commission tient à un manquement de celle-ci à ses devoirs de diligence et de bonne administration, ainsi qu'à une violation des droits de la défense de la requérante, au cours de la procédure de vérification du respect, par cette dernière, de son engagement, particulièrement lors de l'analyse du rapport d'octobre 1997. Au terme de cette analyse, la Commission aurait conclu à une violation, par la requérante, dudit engagement et aurait, par le biais du règlement n° 2529/97, révoqué provisoirement celui-ci et institué des droits provisoires sur les importations des produits de cette dernière dans la Communauté. Du fait de l'application de ces mesures provisoires, la requérante aurait été dans l'impossibilité d'exporter vers la Communauté entre le 18 décembre 1997 et le 25 mars 1998. Cette impossibilité aurait entraîné pour la requérante un manque à gagner estimé à 1 115 000 NOK et des frais, évalués à 1 000 000 NOK, liés au rétablissement de sa position sur le marché communautaire.

32.
    Il s'ensuit que les exigences posées par les dispositions de l'article 19 du statut de la Cour et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal sont remplies en l'espèce.

33.
    Les arguments de la Commission concernant l'existence et l'étendue du préjudice allégué par la requérante ainsi que le lien de causalité entre ce préjudice et l'institution des mesures provisoires relèvent, pour leur part, de l'appréciation du bien-fondé du recours et devront, par conséquent, être examinés dans le cadre de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 28 avril 1998, Dorsch Consult/Conseil et Commission, T-184/95, Rec. p. II-667, point 23).

34.
    Le premier moyen doit, en conséquence, être écarté.

Sur le deuxième moyen, tiré du caractère normatif de l'acte prétendument à l'origine du préjudice allégué par la requérante

Arguments des parties

35.
    La Commission fait valoir que le manque de diligence dont elle a prétendument fait preuve lors du contrôle du respect, par la requérante, de son engagement n'est pas, en tant que tel, de nature à avoir porté préjudice à celle-ci. Le préjudice invoqué par la requérante n'aurait pris naissance que le 18 décembre 1997, date de l'entrée en vigueur du règlement n° 2529/97, lequel serait un acte normatif (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1995, Nölle/Conseil et Commission, T-167/94, Rec. p. II-2589, point 51). Soulignant que toute législation requiert des actes administratifs préparatoires, la Commission affirme que la requérante ne saurait chercher à éluder les critères de responsabilité du fait d'un acte normatif enprétextant que la responsabilité de la Communauté découle en l'espèce des actes administratifs préparatoires relatifs au règlement susvisé. Une telle argumentation aurait précisément été rejetée par le Tribunal dans l'arrêt Nölle/Conseil et Commission, précité (point 52). La Commission conclut que le caractère normatif de l'acte prétendument à l'origine du préjudice allégué par la requérante doit conduire à juger le recours irrecevable.

36.
    Dans sa duplique, elle souligne que la requérante n'identifie pas, dans sa réplique, les actes administratifs qui lui auraient prétendument porté préjudice. Rejetant la distinction opérée dans la réplique entre la présente affaire et celle ayant donné lieu à l'arrêt Nölle/Conseil et Commission, cité au point 35 ci-dessus, elle affirme, d'une part, que le caractère normatif d'une mesure antidumping ou antisubventions n'est pas tributaire de l'adoption de cette mesure par le Conseil et, d'autre part, que le fait que la requérante soit un exportateur, et non un importateur, et qu'elle puisse être, à ce titre, individuellement concernée, au sens de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE), par le règlement n° 2529/97 au motif que ce dernier s'apparenterait, à son égard, à une décision, ne saurait modifier la nature normative de ce règlement (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 novembre 1989, Epicheiriseon Metalleftikon Viomichanikon kai Naftiliakon e.a./Commission et Conseil, C-122/86, Rec. p. 3959, publication sommaire).

37.
    La requérante fait d'abord valoir que l'origine de son préjudice ne réside pas dans le règlement n° 2529/97, mais dans une série d'actes administratifs de la Commission ayant débouché sur l'institution des mesures provisoires. Elle souligne que les circonstances de l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Nölle/Conseil et Commission (cité au point 35 ci-dessus), invoqué par la Commission, présentaient avec celles de l'espèce deux différences essentielles, tenant, d'une part, au fait que les mesures prétendument à l'origine du préjudice allégué avaient été adoptées par le Conseil et, d'autre part, à la qualité d'importateur du requérant. Elle ajoute que les arrêts dans lesquels la Cour a considéré que les mesures du Conseil et de la Commission relatives à des procédures antidumping constituaient des actes normatifs ont tous été rendus sur des recours en indemnité introduits par des importateurs. Or, la situation de l'exportateur au regard d'une mesure antidumping différerait sensiblement de celle de l'importateur (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 29 mars 1979, NTN Toyo Bearing Company e.a./Conseil, 113/77, Rec. p. 1185, et conclusions de l'avocat général M. Warner sous cet arrêt, Rec. p. 1212, 1213, 1243, 1245 et 1246; également arrêt de la Cour du 21 février 1984, Allied Corporation e.a./Commission, 239/82 et 275/82, Rec. p. 1005).

Appréciation du Tribunal

38.
    Il convient de souligner que la nature - normative ou administrative - de l'acte reproché à une institution communautaire est sans incidence sur la recevabilité d'un recours en indemnité. Cet élément influe exclusivement, dans le cadre d'un telrecours, sur l'appréciation au fond, lorsqu'il s'agit de définir le critère de gravité de la faute à retenir lors de l'examen de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté (voir, notamment, arrêt de la Cour du 26 juin 1990, Sofrimport/Commission, C-152/88, Rec. p. I-2477, point 25; arrêts du Tribunal Nölle/Conseil et Commission, cité au point 35 ci-dessus, points 51 et 52, et du 16 juillet 1998, Bergaderm et Goupil/Commission, T-199/96, Rec. p. II-2805, points 48 à 51, confirmé par l'arrêt de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C-352/98 P, non encore publié au Recueil).

39.
    Partant, sans qu'il soit nécessaire de s'interroger à ce stade sur la nature de l'acte de la Commission prétendument à l'origine du préjudice allégué par la requérante, il y a lieu de conclure que la nature de cet acte, quelle qu'elle puisse être, ne saurait, en toute hypothèse, faire obstacle à la recevabilité du présent recours en indemnité.

40.
    Le deuxième moyen doit donc être écarté.

Sur le troisième moyen, pris de l'absence de demande d'annulation du règlement n° 2529/97

Arguments des parties

41.
    La Commission soutient que la requérante n'a pas cherché à obtenir l'annulation du règlement n° 2529/97 alors qu'elle avait qualité pour l'attaquer sur la base de l'article 173 du traité (voir arrêts de la Cour Allied Corporation e.a./Commission, cité au point 37 ci-dessus, point 12, et du 14 mars 1990, Gestetner Holdings/Conseil et Commission, C-156/87, Rec. p. I-781). Or, le principe de sécurité juridique exigerait que, une fois le délai du recours en annulation expiré, les effets de l'acte concerné soient réputés définitifs. La Commission considère dès lors que, dans la mesure où, en l'espèce, la seule base possible du recours en indemnité introduit par la requérante réside dans l'illégalité du règlement n° 2529/97 (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 11 juillet 1990, Neotype Techmashexport/Commission et Conseil, C-305/86 et C-160/87, Rec. p. I-2945, point 15), lequel n'a pas été contesté en temps utile, le présent recours est irrecevable. Elle estime qu'accueillir celui-ci reviendrait à permettre d'utiliser l'article 215 du traité CE (devenu article 288 CE) pour contourner le délai fixé par l'article 173 du traité.

42.
    Elle ajoute que la recevabilité d'un recours en indemnité doit être appréciée au regard de l'ensemble du système de protection juridictionnelle des particuliers instauré par le traité (arrêt de la Cour du 26 février 1986, Krohn/Commission, 175/84, Rec. p. 753, point 27). Par conséquent, dès lors que, en l'espèce, la requérante avait la possibilité d'introduire une action fondée sur l'article 173 du traité, son recours basé sur l'article 215 du traité, tendant, en réalité, à faire constater l'illégalité d'un acte dont elle n'a pas poursuivi l'annulation dans le délai prescrit, devrait être rejeté.

43.
    Dans sa duplique, la Commission rejette l'interprétation défendue par la requérante, dans sa réplique, à propos de l'ordonnance du Tribunal du 10 juillet 1996, Miwon/Commission (T-208/95, Rec. p. II-635) (voir point 44 ci-après). Elle souligne que, dans cette affaire, le Tribunal n'a pas déclaré irrecevable le recours en annulation introduit à l'encontre du règlement antidumping provisoire contesté, mais a considéré qu'il n'était plus nécessaire de statuer sur un tel recours au motif qu'un droit antidumping définitif avait été imposé par la suite.

44.
    La requérante, se fondant sur l'ordonnance Miwon/Commission (citée au point 43 ci-dessus, points 26 et 28), fait valoir qu'elle n'était pas en mesure d'attaquer le règlement n° 2529/97, eu égard au caractère provisoire de celui-ci. Elle critique par ailleurs l'interprétation de l'arrêt Krohn/Commission (cité au point 42 ci-dessus) faite par la Commission, en soulignant que la recevabilité d'un recours en indemnité ne saurait être subordonnée à l'épuisement des voies de recours nationales que si ces dernières assurent d'une manière efficace la protection des particuliers s'estimant lésés par les actes des institutions communautaires (arrêt de la Cour du 30 mai 1989, Roquette Frères/Commission, 20/88, Rec. p. 1553, point 15), ce qui ne serait pas le cas lorsque, comme en l'espèce, l'illégalité invoquée dans le recours en indemnité a été commise non par une autorité nationale, mais par une institution communautaire (arrêt Krohn/Commission, cité au point 42 ci-dessus; arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-2941). Elle ajoute que la jurisprudence ne fait pas dépendre la recevabilité d'un recours en indemnité de l'introduction d'un recours en annulation. En conclusion, elle considère que son recours est recevable en application du principe de l'autonomie du recours fondé sur l'article 215 du traité, tel que ce principe a été énoncé dans l'arrêt Krohn/Commission, cité au point 42 ci-dessus.

Appréciation du Tribunal

45.
    Selon une jurisprudence constante, l'action en indemnité fondée sur l'article 215, deuxième alinéa, du traité est une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d'exercice conçues en vue de son objet spécifique (arrêts de la Cour du 2 décembre 1971, Zuckerfabrik Schöppenstedt/Conseil, 5/71, Rec. p. 975, point 3; Krohn/Commission, cité au point 42 ci-dessus, point 26, et du 17 mai 1990, Sonito e.a./Commission, C-87/89, Rec. p. I-1981, point 14). Elle se différencie du recours en annulation en ce qu'elle tend non à la suppression d'une mesure déterminée, mais à la réparation du préjudice causé par une institution (arrêts Zuckerfabrik Schöppenstedt/Conseil, précité, point 3; Krohn/Commission, cité au point 42 ci-dessus, point 32, et Sonito e.a./Commission, précité, point 14). Le principe de l'autonomie du recours en indemnité trouve ainsi sa justification dans le fait qu'un tel recours se singularise par son objet du recours en annulation.

46.
    En l'espèce, l'objet d'un recours en annulation dirigé contre le règlement n° 2529/97 consisterait dans la suppression de la révocation provisoire de l'engagement de la requérante, dans l'abrogation des droits antidumping et compensateurs provisoires institués sur les importations de ses produits dans la Communauté et dans la libération des montants déposés, le cas échéant, au titre de ces droits provisoires. Or, par le présent recours en indemnité, la requérante ne poursuit aucune de ces fins. Elle vise à la réparation du préjudice commercial, correspondant au manque à gagner lié à la suspension de ses exportations vers la Communauté ainsi qu'au coût du rétablissement de sa position sur le marché communautaire, qu'elle affirme avoir subi du fait d'une faute de la Commission ayant conduit à l'institution de mesures provisoires contre les importations de ses produits par le biais du règlement n° 2529/97.

47.
    À supposer même que la requérante ait poursuivi, en temps utile, l'annulation de ce règlement et que cette action ait prospéré, un tel résultat ne lui aurait, en tout état de cause, pas permis d'obtenir réparation du préjudice commercial qu'elle allègue. L'obtention d'une telle réparation aurait requis, déjà à l'époque, l'introduction parallèle d'une demande en indemnité.

48.
    En outre, même à suivre la thèse de la Commission selon laquelle le règlement n° 2529/97 doit être regardé comme l'acte ayant donné naissance au préjudice allégué par la requérante, le recours en indemnité introduit par cette dernière ne saurait, en tout état de cause, être déclaré irrecevable au motif qu'elle n'a pas préalablement contesté, en temps utile, la validité de ce règlement.

49.
    En effet, s'il est vrai que la jurisprudence consacre, dans certaines limites bien précises, la possibilité de reconnaître, dans le cadre d'un recours en annulation, un intérêt à faire constater, en prévision d'une demande en indemnité ultérieure, la nullité d'un règlement instituant des droits provisoires (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 11 juillet 1990, Enital/Commission et Conseil, C-304/86 et C-185/87, Rec. p. I-2939, publication sommaire, et Neotype Techmashexport/Commission et Conseil, cité au point 41 ci-dessus, point 15), il ne saurait toutefois être inféré de cette jurisprudence que l'exercice d'un recours en indemnité doit être subordonné à l'introduction préalable d'un recours en annulation contre l'acte prétendument à l'origine du préjudice allégué. Une partie peut en effet engager une action en responsabilité sans être astreinte par aucun texte à poursuivre l'annulation de l'acte illégal qui lui cause préjudice (ordonnance de la Cour du 26 octobre 1995, Pevasa et Inpesca/Commission, C-199/94 P et C-200/94 P, Rec. p. I-3709, point 27, et la jurisprudence citée).

50.
    Il convient encore d'ajouter que, certes, un recours en indemnité doit être déclaré irrecevable lorsqu'il tend, en réalité, au retrait d'un acte devenu définitif et qu'il aurait pour effet, s'il était accueilli, d'annihiler les effets juridiques de l'acte en question (voir arrêts du Tribunal du 15 mars 1995, Cobrecaf e.a./Commission, T-514/93, Rec. p. II-621, point 59; du 4 février 1998, Laga/Commission, T-93/95, Rec. p. II-195, point 48, et Landuyt/Commission, T-94/95, Rec. p. II-213, point 48),ce qui est, par exemple, le cas lorsqu'il vise au paiement d'une somme dont le montant correspond exactement à celui de droits qui ont été payés par le requérant en exécution de l'acte devenu définitif (voir arrêt Krohn/Commission, cité au point 42 ci-dessus, point 33).

51.
    Toutefois, en l'espèce, l'action en indemnité de la requérante ne saurait, eu égard aux constatations faites au point 46 ci-dessus, être regardée comme visant au retrait du règlement n° 2529/97, devenu définitif, et à l'annihilation des effets juridiques de celui-ci, effets qui ont, au demeurant, été abrogés à l'égard de la requérante par le règlement n° 651/98 (voir point 21 ci-dessus). Compte tenu de ces mêmes constatations, elle ne saurait non plus être considérée comme tendant au paiement d'une somme correspondant au montant de droits provisoires perçus en application du règlement n° 2529/97. D'ailleurs, la requérante n'ayant pas exporté vers la Communauté pendant la période d'application des mesures instituées par ce règlement, elle n'a dû verser aucun droit provisoire, ce qui explique que l'article 1er, paragraphe 2, du règlement n° 651/98, qui porte libération des montants déposés au titre du règlement n° 2529/97, ne la concerne pas. Le présent recours en indemnité vise à la réparation d'un préjudice commercial, distinct des effets juridiques propres du règlement n° 2529/97, qu'un recours en annulation introduit en temps utile par la requérante contre ledit règlement n'aurait, en tout état de cause, pas permis de compenser (voir ci-dessus point 47). Par conséquent, le présent recours ne saurait être considéré comme tendant à contourner l'irrecevabilité d'une demande visant à l'annulation du règlement n° 2529/97.

52.
    En conclusion, la finalité spécifique du présent recours en indemnité s'oppose, conformément au principe de l'autonomie du recours fondé sur l'article 215, deuxième alinéa, du traité, tel que précisé par la jurisprudence, à ce que ledit recours en indemnité soit déclaré irrecevable du fait de l'absence de contestation en temps utile par la requérante de la légalité du règlement n° 2529/97.

53.
    Le troisième moyen doit en conséquence être rejeté. Il y a donc lieu de déclarer le recours recevable.

Sur le fond

54.
    À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l'engagement de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté suppose que la requérante prouve l'illégalité du comportement reproché à l'institution concernée, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (voir arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16; arrêts du Tribunal du 11 juillet 1996, International Procurement Services/Commission, T-175/94, Rec. p. II-729, point 44, et Dubois et Fils/Conseil et Commission, cité au point 30 ci-dessus, point 54). Il convient de vérifier si la requérante a démontré l'existence de ces différentes conditions.

Sur l'irrégularité du comportement reproché à la Commission

Sur le degré de gravité requis

- Arguments des parties

55.
    La requérante fait valoir que la décision de la Commission de révoquer son engagement et d'instituer des mesures provisoires doit être considérée, non pas comme un acte normatif, mais comme un faisceau d'actes administratifs s'adressant exclusivement à elle. Pour que la responsabilité de la Communauté soit engagée, elle ne devrait donc pas démontrer que l'irrégularité du comportement reproché à la Commission a atteint le degré de gravité requis par la jurisprudence en matière de responsabilité des institutions communautaires du fait des actes normatifs.

56.
    La Commission soutient, pour sa part, que le préjudice allégué par la requérante ne peut avoir été causé que par un acte normatif, à savoir le règlement n° 2529/97. Dès lors, le comportement reproché à l'institution ne pourrait engager la responsabilité de la Communauté à l'égard de la requérante que s'il est établi que son caractère irrégulier a atteint le degré de gravité, plus sévère, exigé par la jurisprudence (arrêts Epicheiriseon Metalleftikon Viomichanikon kai Naftiliakon e.a./Commission et Conseil, cité au point 36 ci-dessus, et Nölle/Conseil et Commission, cité au point 35 ci-dessus, points 51 et 52).

- Appréciation du Tribunal

57.
    Si les actes du Conseil et de la Commission se rapportant à une procédure tendant à l'éventuelle adoption de mesures antidumping doivent, en principe, être regardés comme des actes normatifs impliquant des choix de politique économique, de sorte que la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée du fait de tels actes qu'en présence d'une violation suffisamment caractérisée d'une règle supérieure de droit protégeant les particuliers (arrêt Nölle/Conseil et Commission, cité au point 35 ci-dessus, point 51, et la jurisprudence citée), il y a toutefois lieu de souligner les spécificités de la présente affaire. En l'espèce, le préjudice en cause a pour origine le comportement prétendument irrégulier adopté par la Commission lors de l'examen du rapport d'octobre 1997, destiné à vérifier le respect par la requérante, au cours du troisième trimestre de l'année 1997, de l'engagement dont l'acceptation avait mis un terme aux enquêtes antidumping et antisubventions à son égard. Ce comportement prétendument irrégulier a conduit la Commission à croire que la requérante avait violé son engagement. Il est intervenu à l'occasion d'une opération de nature administrative concernant spécifiquement et exclusivement la requérante. Cette opération ne comportaitaucun choix de politique économique et ne conférait à la Commission qu'une marge d'appréciation considérablement réduite, voire inexistante.

58.
    Certes, l'irrégularité supposée du comportement de la Commission n'a provoqué le préjudice allégué qu'à partir du moment où, et parce que, elle a été entérinée par l'adoption de mesures provisoires à l'encontre des importations des produits de la requérante dans le cadre du règlement n° 2529/97. Toutefois, à l'égard de cette dernière, la Commission n'a, dans ce règlement, fait que tirer les conclusions provisoires de son analyse du rapport susmentionné et, en particulier, du niveau du prix moyen à l'exportation pratiqué par la requérante pendant la période couverte par ce rapport (voir le considérant 9 du règlement n° 2529/97).

59.
    Il y a lieu d'ajouter que le contexte des affaires ayant donné lieu aux deux arrêts invoqués par la Commission dans ses écritures (voir ci-dessus point 56), dans lesquels le juge communautaire a qualifié les actes du Conseil et de la Commission relatifs à une procédure antidumping d'actes normatifs impliquant des choix de politique économique, était radicalement différent de celui du présent litige. En effet, contrairement à la situation en l'espèce, les parties requérantes cherchaient, dans ces affaires, à obtenir compensation d'un préjudice dont le fait générateur résidait dans un choix de politique économique opéré par les autorités communautaires dans le cadre de leurs compétences normatives.

60.
    Ainsi, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Epicheiriseon Metalleftikon Viomichanikon kai Naftiliakon e.a./Commission et Conseil, cité au point 36 ci-dessus, les parties requérantes demandaient réparation du préjudice qu'elles affirmaient avoir subi du fait de la décision du Conseil de clore une procédure antidumping et de ne pas adopter le règlement proposé par la Commission visant à l'institution d'un droit antidumping définitif sur les importations concernées. Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Nölle/Conseil et Commission, cité au point 35 ci-dessus, un importateur communautaire demandait réparation du préjudice prétendument subi du fait de l'adoption, par le Conseil, d'un règlement instituant un droit antidumping définitif et portant perception définitive du droit antidumping provisoire, règlement qui avait été invalidé par la Cour pour des motifs tenant aux conditions dans lesquelles les autorités communautaires avaient procédé au choix du pays de référence pour déterminer la valeur normale des produits en cause.

61.
    En conclusion, la simple infraction au droit communautaire suffira, en l'espèce, à engager la responsabilité extracontractuelle de la Communauté (voir arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, cité au point 38 ci-dessus, point 44). En particulier, la constatation d'une irrégularité que n'aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration normalement prudente et diligente permettra de conclure que le comportement de l'institution a constitué une illégalité de nature à engager la responsabilité de la Communauté au titre de l'article 215 du traité.

62.
    Il convient donc à présent d'examiner si la Commission a commis, lors du contrôle administratif du respect par la requérante de son engagement sur la base du rapport d'octobre 1997, une irrégularité dont ne se serait pas rendue coupable une administration normalement prudente et diligente, placée dans les mêmes circonstances.

Sur le caractère prétendument irrégulier du comportement de la Commission

- Arguments des parties

63.
    La requérante affirme, en premier lieu, que la Commission a méconnu, en l'espèce, son devoir de diligence et de bonne administration.

64.
    Elle expose que, au cours du troisième trimestre de l'année 1997, elle avait commis des erreurs d'encodage lors de l'enregistrement des données relatives à ses exportations, vers la Communauté, de saumons atlantiques d'élevage pendant cette période. Elle soutient, cependant, que le rapport d'octobre 1997 faisait clairement apparaître que ces erreurs avaient été rectifiées par la reprise des lignes erronées avec, devant les valeurs concernées, un signe négatif et, le cas échéant, par une nouvelle saisie des données en question. Elle prétend avoir, en tout état de cause, pris toutes les mesures possibles pour faire en sorte que ce rapport soit dépourvu d'ambiguïté.

65.
    Selon la requérante, la Commission aurait donc dû se rendre compte que le rapport d'octobre 1997 contenait des lignes qui avaient été corrigées. Or, lors de l'examen de celui-ci, la Commission aurait supprimé toutes les lignes contenant des valeurs négatives, ce qui l'aurait conduite à prendre en considération les saisies erronées que ces lignes visaient à annuler. Les erreurs commises ayant souvent porté sur la monnaie dans laquelle les transactions concernées avaient été effectuées, le prix de vente de ces dernières, converti en écus, aurait été extrêmement bas et aurait provoqué une diminution significative du prix moyen à l'exportation du saumon éviscéré avec tête. La Commission aurait ainsi conclu à tort que ce prix moyen avait été inférieur au minimum fixé dans l'engagement et considéré que la requérante avait violé ce dernier, ce qui l'aurait amenée à instituer des mesures provisoires contre les importations des produits de celle-ci.

66.
    Selon la requérante, il suffisait que la Commission lui demande les éclaircissements jugés nécessaires à la bonne compréhension des éléments du rapport d'octobre 1997 qui lui paraissaient confus. De tels éclaircissements auraient permis à la Commission de constater que la requérante n'avait pas violé son engagement. La Commission aurait donc commis une faute en ne cherchant pas à clarifier le rapport d'octobre 1997 avant d'instituer des mesures provisoires.

67.
    En deuxième lieu, la requérante, se fondant sur la jurisprudence selon laquelle l'entreprise concernée doit avoir eu l'occasion, au cours de la procédureadministrative, de faire connaître son point de vue sur la véracité et la pertinence des faits et circonstances invoqués et de présenter ses observations sur tout document utilisé (arrêts de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, et du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C-69/89, Rec. p. I-2069), affirme que, en l'espèce, la Commission aurait dû l'informer des faits et raisons essentiels sur la base desquels il était envisagé d'instituer des droits provisoires sur les importations de ses produits (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 octobre 1991, Nölle, C-16/90, Rec. p. I-5163). La requérante soutient que, si elle avait été informée de ces éléments, elle aurait été en mesure de faire valoir ses observations sur les conclusions de la Commission, laquelle, à la lumière de ces observations, aurait été amenée à considérer qu'il n'y avait pas lieu de révoquer son engagement et d'instituer les droits provisoires litigieux. Selon la requérante, cela aurait permis d'éviter le préjudice qui lui a été causé.

68.
    La Commission, en premier lieu, se défend d'avoir manqué à son devoir de diligence et de bonne administration. Elle fait remarquer que, par sa décision 97/634, elle avait accepté les engagements de 190 exportateurs norvégiens, lesquels avaient, de ce fait, été exemptés des droits définitifs imposés par les règlements nos 1890/97 et 1891/97. Elle fait valoir que, dans ces conditions, les exigences contenues dans les engagements devaient être scrupuleusement respectées, de manière à ce qu'elle puisse traiter toutes les entreprises sur un pied d'égalité lors du contrôle du respect de ces engagements.

69.
    Après avoir précisé les termes de l'engagement pris par la requérante, elle souligne que, d'après l'article 8, paragraphe 10, du règlement n° 384/96 et l'article 13, paragraphe 10, du règlement n° 2026/97, un droit provisoire peut être institué sur la base des meilleurs renseignements disponibles, lorsqu'il y a des raisons de croire qu'un engagement a été violé. La simple violation apparente de l'engagement suffirait donc à autoriser la Commission à prendre des mesures provisoires, sans que cette dernière soit tenue de constater que ledit engagement a été effectivement violé. Eu égard à la nature du système des mesures antidumping, il incomberait à l'entreprise dont l'engagement a été accepté de convaincre la Commission qu'il n'y a aucune raison de conclure au non-respect de celui-ci. En décider autrement reviendrait à méconnaître les termes des dispositions réglementaires susvisées, ainsi que la règle selon laquelle une telle vérification doit avoir lieu uniquement avant l'imposition d'un droit définitif (voir article 8, paragraphe 9, du règlement n° 384/96).

70.
    La Commission fait valoir que, en l'espèce, les termes de l'engagement ne prévoyaient pas la possibilité pour la requérante de faire figurer des valeurs négatives dans ses rapports trimestriels de ventes, que rien n'était prévu pour les factures constituant des notes de crédit et qu'une clause dudit engagement imposait à cette dernière de consulter l'institution sur toute difficulté pouvant découler de l'interprétation ou de l'application de celui-ci. Or, la requérante se serait bornéeà envoyer à la Commission la disquette contenant son rapport d'octobre 1997, sans fournir la moindre explication quant à la signification des valeurs négatives qui y figuraient et à leur lien avec d'autres valeurs du rapport. La Commission réfute à ce propos les différents éléments mis en avant par la requérante dans ses écritures pour soutenir qu'il apparaissait clairement que certaines lignes du rapport étaient entachées d'une erreur d'encodage et que ledit rapport permettait aisément de comprendre la signification et la correspondance avec celles-ci des valeurs négatives qu'il contenait.

71.
    Par conséquent, la Commission nie s'être rendue coupable d'un acte de mauvaise administration. Elle soutient que, au contraire, le rapport d'octobre 1997 n'était pas conforme aux exigences requises et que la requérante n'a pas pris toutes les mesures possibles pour faire en sorte que ce rapport soit dénué d'ambiguïté. Elle ajoute que l'inexpérience de la requérante en la matière ne saurait plaider en faveur de celle-ci.

72.
    En deuxième lieu, la Commission conteste avoir violé les droits de la défense de la requérante. Elle souligne tout d'abord qu'elle devait analyser près de 90 rapports de surveillance du type du rapport d'octobre 1997. Elle fait valoir ensuite que, à partir du moment où elle eut des raisons de croire à une violation apparente par la requérante de son engagement, elle se devait d'agir le plus rapidement possible, dans la mesure où la proximité des fêtes de Noël, période particulièrement importante pour le commerce du saumon, exigeait de garantir l'efficacité de la protection que les mesures antidumping et antisubventions sont censées assurer à l'industrie communautaire. Elle ajoute que l'article 7 du règlement n° 384/96 et l'article 12 du règlement n° 2026/97, qui régissent l'institution de droits antidumping et de droits compensateurs provisoires, ne lui imposent pas une obligation d'information préalable des parties concernées.

- Appréciation du Tribunal

73.
    Il convient d'observer que le rapport d'octobre 1997, qui fut adressé par la requérante à la Commission sur la disquette informatique fournie à cette fin par cette dernière, contient 200 lignes, se rapportant toutes à des ventes, sur le marché communautaire, de saumons atlantiques d'élevage éviscérés avec tête [produits correspondant à la «présentation b», d'après les termes de l'engagement de la requérante]. Il se présente sous la forme d'un tableau subdivisé en 27 colonnes. Douze de ces 200 lignes comportent des valeurs négatives.

74.
    La dernière page de ce rapport contient les indications finales suivantes:

«[...]

Sum of Qtyw (kg)

477 725,50

Sum of CIF value * Qtyw

1 577 762,37

Sum of Qtyw sold at below 85 % of minimum price in kg

0,00

[...]»

75.
    À première vue, à la lecture de ces indications finales du rapport d'octobre 1997, il y avait lieu de croire que la requérante avait respecté son engagement pendant la période couverte par ledit rapport. Il en ressortait, en effet, qu'elle n'avait conclu aucune transaction individuelle sur la base d'un prix inférieur au seuil de 85 % du prix moyen minimal, de 3,25 écus/kg, fixé dans ledit engagement pour ses exportations de saumons éviscérés avec tête et que le prix moyen de celles-ci pendant la période considérée avait été supérieur au prix moyen minimal susmentionné, puisqu'il avait été de 3,3026 écus/kg (1 577 762,37 écus/477 725,50 kg).

76.
    Même en admettant que les spécifications contenues dans l'engagement de la requérante ne prévoyaient pas la possibilité de faire figurer des valeurs négatives dans les rapports trimestriels de vente, la Commission ne pouvait, en présence d'un rapport qui, de prime abord, donnait à penser que la requérante s'était conformée à son engagement, s'autoriser, comme elle l'a fait en l'espèce (voir ci-dessus point 11), à modifier unilatéralement le contenu de ce rapport en supprimant les lignes comprenant des valeurs négatives et à substituer aux indications finales reproduites au point 74 ci-dessus son propre calcul, effectué sur la base du rapport ainsi modifié, du prix moyen à l'exportation pratiqué par la requérante pendant la période considérée, sans expliquer à cette dernière les motifs l'amenant à faire fi des indications finales susvisées ni s'assurer auprès d'elle que les modifications apportées ne compromettaient pas la fiabilité des renseignements fournis aux fins du contrôle du respect de l'engagement. Ayant décidé de ne pas s'en tenir à l'impression première, favorable à la requérante, qui se dégageait du rapport d'octobre 1997, la Commission se devait de faire preuve de la diligence nécessaire à une interprétation correcte des données figurant dans ce rapport, sur lesquelles elle entendait forger son opinion quant à la conformité du comportement de la requérante à son engagement pendant la période considérée.

77.
    Elle ne saurait, à cet égard, utilement se prévaloir des dispositions de l'article 8, paragraphe 10, du règlement n° 384/96 et de l'article 13, paragraphe 10, du règlement n° 2026/97.

78.
    Ces dispositions visent à permettre à la Commission, lorsqu'il y a des raisons de croire, sur la base des meilleurs renseignements dont elle dispose, qu'un engagement qu'elle avait initialement accepté dans le cadre d'une procédure antidumping ou antisubventions a été violé, de prendre, en temps utile, les mesures provisoires qui s'imposent pour sauvegarder les intérêts de l'industrie communautaire, sans préjudice d'un examen au fond ultérieur visant à la constatation d'une violation effective de l'engagement concerné.

79.
    Toutefois, en l'espèce, force est de constater que le rapport d'octobre 1997, en particulier ses indications finales, portait à croire que la requérante avait respecté son engagement (voir ci-dessus points 74 et 75).

80.
    C'est après avoir modifié ce rapport de sa propre initiative, sans prendre le soin de s'enquérir auprès de la requérante de l'incidence possible de son intervention unilatérale sur la fiabilité des renseignements que cette dernière lui avait fournis, que la Commission a conclu à une violation apparente, par celle-ci, de son engagement. Les données du rapport d'octobre 1997, ainsi altéré, ne sauraient dès lors, de toute évidence, être regardées comme les meilleurs renseignements, au sens des dispositions visées au point 77 ci-dessus, dont la Commission ait disposé à l'époque pour asseoir sa conviction quant au respect ou non, par la requérante, de son engagement.

81.
    La circonstance que la Commission était tenue d'analyser, à l'approche des fêtes de fin d'année, période particulièrement importante pour le commerce du saumon, plus de 90 rapports analogues au rapport d'octobre 1997 ne saurait, pour sa part, justifier la modification unilatérale de ce dernier par l'institution, alors que ledit rapport faisait ressortir, à première vue, que l'engagement avait été respecté. En outre, dès l'instant où la Commission eut choisi de modifier ce rapport, qui, prima facie, donnait à penser que la requérante s'était conformée à son engagement, l'urgence de la situation ne pouvait autoriser un allègement du devoir de diligence qui s'imposait à elle dans l'analyse des éléments sur lesquels elle entendait asseoir son opinion sur ce point.

82.
    Il y a donc lieu de conclure que la Commission a commis, lors de l'analyse du rapport d'octobre 1997, une irrégularité que n'aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration normalement prudente et diligente.

83.
    Sur la violation alléguée des droits de la défense de la requérante, il convient de relever que celle-ci n'invoque à ce titre aucun préjudice distinct de celui résultant de l'institution des mesures provisoires, découlant de l'irrégularité commise par la Commission lors de l'analyse du rapport d'octobre 1997. Dès lors, il n'y a pas lieu de se prononcer sur la question de savoir si la Commission, en omettant d'informer la requérante de ses conclusions avant d'adopter le règlement n° 2529/97, a violé les droits de la défense de cette dernière.

84.
    Il convient toutefois de souligner que le comportement de la requérante n'est pas non plus exempt de reproches. Ainsi que la Commission le relève, les lignes du rapport d'octobre 1997 qui comportaient des valeurs négatives, à savoir les lignes 8, 14, 29, 36, 37, 52, 100, 138, 178, 179, 195 et 196, ne faisaient l'objet d'aucune explication.

85.
    Or, d'une part, force est de constater que, contrairement à ce que la requérante soutient, ni les lignes affectées d'erreurs d'encodage - erreurs qui, d'après les explications figurant dans les écritures de celle-ci, portaient soit sur la monnaiedans laquelle avait été passée la transaction concernée, soit sur la valeur brute de la facture ou tenaient à un double enregistrement de la même transaction -, ni la relation entre ces lignes erronées et celles, contenant les valeurs négatives, destinées à les annuler, ne ressortaient de manière évidente de la lecture du rapport d'octobre 1997, lequel, ainsi que cela a été souligné au point 73 ci-dessus, comportait un nombre considérable de données. Ainsi, plusieurs lignes séparaient parfois la ligne entachée d'une erreur d'encodage de celle destinée à l'annuler.

86.
    D'autre part, ainsi que cela ressort des indications qui furent ultérieurement fournies par la requérante, les valeurs négatives figurant dans le rapport d'octobre 1997 ne revêtaient pas toutes la même signification.

87.
    Ainsi, les explications données par la requérante dans ses écritures font apparaître que la plupart de ces valeurs, à savoir celles figurant aux lignes 14, 29, 36, 37, 100, 138, 178, 179, 195 et 196, visaient à une annulation complète de valeurs affectées d'une erreur d'encodage. Ces mêmes explications font encore ressortir que certaines lignes erronées ont été ainsi annulées sans qu'il ait ensuite été procédé à un nouvel enregistrement de la transaction en cause. À l'inverse, d'autres transactions affectées d'une erreur d'encodage ont fait l'objet d'un nouvel enregistrement, après que l'erreur ayant entaché l'enregistrement initial avait été effacée par l'introduction d'une valeur négative.

88.
    En revanche, il ressort des explications fournies par la requérante à la Commission dans sa lettre du 7 janvier 1998 (voir ci-dessus point 13) que, comme les agents de cette dernière l'ont compris au vu de ladite lettre (voir le courrier du 8 janvier 1998 à la requérante, visé au point 14 ci-dessus), les valeurs négatives figurant aux lignes 8 et 52 tendaient non à annuler intégralement des valeurs mentionnées à la ligne ou aux lignes correspondant à l'enregistrement initial de la transaction concernée mais à corriger certaines de ces valeurs - contenues, respectivement, aux lignes 5 et 6, et à la ligne 49 - pour tenir compte du fait qu'une partie des quantités sur lesquelles portait cette transaction soit n'était pas parvenue au client concerné, soit n'avait pas été acceptée par celui-ci et, partant, n'avait pas été payée, dans l'un et l'autre cas, à la requérante.

89.
    Eu égard à la densité de son rapport d'octobre 1997, au manque de visibilité des liens entre les lignes erronées et celles contenant des valeurs négatives et au sens équivoque desdites valeurs, la requérante aurait dû fournir spontanément à la Commission, lorsqu'elle lui a transmis ledit rapport, les explications nécessaires à la compréhension de celui-ci. En adressant le rapport d'octobre 1997 sans le moindre commentaire à ce propos, la requérante s'est rendue coupable d'une négligence fautive qui, ainsi que l'atteste la lettre que lui a adressée la Commission le 5 janvier 1998 (voir ci-dessus point 11), a jeté le trouble dans l'esprit des agents de cette dernière. Des explications à cet égard leur auraient permis de comprendre d'emblée le bien-fondé de l'insertion de ces valeurs négatives et de s'apercevoir que, considérées dans leur ensemble, les données relatives au relevé des différentesventes de la requérante sur le marché communautaire pendant le trimestre considéré corroboraient la conclusion qui se dégageait des indications finales du rapport d'octobre 1997, à savoir que la requérante avait respecté son engagement durant la période considérée.

90.
    Le manque d'expérience de la requérante en la matière ne la dispensait pas de joindre spontanément à son rapport d'octobre 1997 les explications qu'appelait la correcte compréhension de certains éléments de celui-ci.

91.
    Au terme de l'analyse opérée aux points 73 à 90 ci-dessus, il y a lieu de conclure que la requérante et la Commission ont, chacune, commis une irrégularité, d'égale importance, lors de la phase de vérification du respect, par la requérante, de son engagement au cours du troisième trimestre de l'année 1997, phase au terme de laquelle la Commission a conclu à une violation apparente dudit engagement et à la nécessité de prendre des mesures provisoires à l'égard des importations des produits de la requérante dans le cadre du règlement n° 2529/97. De son côté, la requérante, en s'abstenant de joindre spontanément à son rapport d'octobre 1997 les explications indispensables à la bonne compréhension des valeurs négatives qui y figuraient, a fait preuve d'une négligence fautive que n'aurait pas commise un opérateur normalement prudent et diligent. Même en prenant en considération ce comportement irrégulier de la requérante et le trouble qu'un tel comportement a pu susciter à la lecture dudit rapport, force est de constater que, pour sa part, la réaction de la Commission, ayant consisté à modifier unilatéralement ce rapport alors que celui-ci donnait à penser, prima facie, que la requérante s'était conformée à son engagement pendant la période considérée, a revêtu un caractère disproportionné et, donc, irrégulier, qu'aucune circonstance ne permet d'excuser.

92.
    Si le préjudice allégué par la requérante devait s'avérer établi, fût-ce partiellement, et s'il devait apparaître qu'il existe un lien de cause à effet entre ce préjudice et les faits ayant débouché sur l'institution de mesures provisoires à l'égard des importations des produits de celle-ci, ce qu'il faut à présent examiner, il conviendra, lors de la fixation de l'obligation de réparation incombant à la Commission, de tenir compte de la circonstance que les parties portent, chacune à concurrence de la moitié, la responsabilité de ces faits.

Sur le préjudice allégué et le lien de causalité entre celui-ci et le comportement fautif de la Commission

Arguments des parties

93.
    La requérante soutient que l'institution des mesures provisoires lui a causé un double préjudice, lié au manque à gagner consécutif à l'entrée en vigueur de ces mesures, d'une part, et aux frais qu'elle a dû supporter pour pénétrer à nouveau le marché communautaire, d'autre part.

94.
    En ce qui concerne le premier élément, elle souligne que, en raison de l'application des mesures provisoires, elle a été dans l'impossibilité d'exporter ses produits dans la Communauté entre le 18 décembre 1997, date de la prise d'effet du règlement n° 2529/97, et le 25 mars 1998, date à laquelle son engagement a été remis en vigueur par le règlement n° 651/98. Au soutien de cette allégation, elle joint, en annexe 6 à sa requête, le certificat d'une société d'audit. Elle ajoute que, pour des raisons économiques liées, notamment, au volume du commerce de saumon atlantique d'élevage ainsi qu'à la faiblesse de ses marges bénéficiaires et de son capital social, il lui était impossible d'obtenir la garantie bancaire nécessaire à la couverture des droits provisoires imposés par la Commission. Se fondant sur les données relatives aux exportations qu'elle avait réalisées les deux années précédentes durant la période correspondant à celle de l'application du règlement n° 2529/97, à la marge bénéficiaire moyenne qu'elle avait dégagée au cours de ces deux années et à la marge bénéficiaire moyenne réalisée pendant la période d'application dudit règlement par les exportateurs norvégiens dont les engagements ont été maintenus en vigueur, elle évalue son manque à gagner à 1 115 000 NOK.

95.
    S'agissant du second élément, elle soutient qu'elle a été, et qu'elle continuera d'être, confrontée à des frais substantiels pour reconquérir ses parts de marché dans la Communauté. Elle estime ce préjudice à 1 000 000 NOK.

96.
    Dans sa réplique, elle expose qu'elle n'a jamais obtenu de la Commission, pendant la période d'application des droits provisoires, l'assurance que, ces derniers ne devant pas être confirmés, elle pouvait continuer à exporter ses produits en toute sécurité à destination de la Communauté. Ce ne serait que lors de la publication du règlement n° 651/98, le 24 mars 1998, qu'elle aurait été certaine que les mesures provisoires étaient supprimées à l'égard des importations de ses produits et que son engagement était remis en vigueur.

97.
    Elle rejette ensuite l'allégation de la Commission selon laquelle les seuls frais qu'elle aurait dû supporter si elle avait continué à exporter pendant la période d'application des droits provisoires auraient tenu à la constitution d'une garantie bancaire. Elle souligne en effet que, dès lors qu'elle ne pouvait pas savoir, au moment de l'entrée en vigueur desdits droits, que ceux-ci seraient ultérieurement annulés, la seule solution dont elle disposait pour couvrir les frais supplémentaires résultant de l'application de ces droits était le relèvement de ses prix à l'exportation à due concurrence, sous peine d'encourir une perte impossible à compenser ultérieurement. Elle rappelle, à cet égard, qu'elle réalise l'essentiel de ses exportations vers la Communauté selon le système «DDP». Elle ajoute que l'affirmation selon laquelle elle aurait pu continuer à exporter à des prix inchangés pendant la période d'application des droits provisoires, soutenue par la Commission, est contraire à la politique de celle-ci en matière d'institution de droits antidumping, selon laquelle ces derniers doivent se traduire par une augmentation du niveau des prix sur le marché communautaire, au risque de voir l'institutionengager une enquête «anti-absorption» sur la base de l'article 12, paragraphe 1, du règlement n° 384/96 et relever, le cas échéant, le niveau des droits imposés.

98.
    Enfin, elle critique le mode de calcul de son manque à gagner adopté par la Commission, en soulignant qu'il ne tient pas compte des variations saisonnières caractéristiques du marché du saumon.

99.
    La Commission soutient que la requérante ne fournit aucun élément montrant qu'elle a été dans l'impossibilité de vendre du saumon dans la Communauté en raison de l'institution de mesures provisoires à l'égard des importations de ses produits. La requérante ne pourrait éluder la charge de cette preuve en affirmant que l'adoption de telles mesures excluait automatiquement toute possibilité d'exportation de sa part vers la Communauté.

100.
    La Commission prétend que, en tout état de cause, la requérante était tenue de limiter le dommage prétendument subi. Se référant au volume des ventes de cette dernière entre juillet 1997 et septembre 1998, elle fait valoir que, si, pendant la période d'application du règlement n° 2529/97, la requérante avait continué à vendre, chaque mois, la même quantité et à détenir, dans la Communauté, la même part de marché qu'au cours des derniers mois ayant précédé l'entrée en vigueur des droits fixés par ce règlement, le montant de ceux-ci se serait chiffré à 296 110 écus. Compte tenu de leur caractère provisoire, il aurait suffi à la requérante de constituer une garantie pour le cas où ils deviendraient définitifs. Or, celle-ci ne fournirait aucun élément de preuve établissant qu'elle ait cherché à se faire accorder cette garantie ou qu'elle ait été dans l'impossibilité de l'obtenir pour des motifs économiques. La Commission affirme que la solution la plus rationnelle qui s'offrait à la requérante aurait consisté à constituer la garantie en question, pour un coût qui aurait été dérisoire, et à poursuivre ses exportations vers la Communauté à des prix inchangés. Cela serait d'autant plus vrai que, par lettre du 5 janvier 1998, la Commission aurait donné à la requérante l'assurance que l'engagement de celle-ci serait remis en vigueur et que les droits provisoires ne seraient pas prélevés si elle était en mesure de vérifier que ledit engagement n'avait pas été violé au cours du troisième trimestre de l'année 1997. Par lettre du 2 février 1998, elle aurait, du reste, confirmé à la requérante qu'elle était arrivée à la conclusion que les droits provisoires ne deviendraient pas définitifs.

101.
    Elle ajoute qu'une telle solution aurait évité à la requérante de s'exposer à des frais liés au rétablissement de sa position sur le marché communautaire. En tout état de cause, celle-ci ne fournirait aucun élément de preuve au soutien de son allégation selon laquelle elle a dû accomplir des efforts substantiels pour tenter de reconquérir ses parts de marché.

102.
    Dans sa duplique, la Commission soutient tout d'abord que la requérante aurait dû comprendre à l'époque que, si ses explications concernant son rapport d'octobre 1997 étaient exactes, aucun droit ne serait prélevé. La Commission rappelle que c'est elle qui, par l'adoption des règlements nos 2529/97 et 651/98, a institué desmesures contre les importations des produits de la requérante puis a rétabli cette dernière dans sa position. Elle souligne que le Conseil n'était pas légalement habilité, en l'espèce, à décider de prélever des droits provisoires en l'absence de préjudice causé à l'industrie communautaire. Du reste, jamais, par le passé, des droits provisoires n'auraient été perçus lorsque, comme en l'espèce, ils n'ont pas été suivis de droits définitifs.

103.
    Ensuite, la Commission prétend que, si, pendant la période d'application des droits provisoires, la requérante avait choisi d'exporter vers la Communauté en majorant ses prix à concurrence du montant de ces droits, celle-ci aurait réalisé un bénéfice important, puisque lesdits droits n'ont, en définitive, pas été perçus. Pour la même raison, à supposer que la requérante ait plutôt choisi, pour des motifs commerciaux, de continuer à exporter vers la Communauté, pendant cette période, à des prix inchangés, elle n'aurait, selon la Commission, subi aucun préjudice, à l'exception du coût de la garantie bancaire. La Commission rejette à cet égard l'allégation de la requérante, fondée sur l'article 12, paragraphe 1, du règlement n° 384/96, selon laquelle la poursuite de ses exportations à prix inchangés après l'entrée en vigueur du règlement n° 2529/97 aurait été contraire à la politique de l'institution en la matière.

104.
    Enfin, la Commission réfute les critiques émises par la requérante à l'égard de son mode de calcul du manque à gagner de cette dernière pendant la période d'application des mesures provisoires. Elle souligne, du reste, le caractère erroné de la méthode de calcul appliquée par la requérante, qui s'appuie sur les chiffres des ventes réalisées au cours des deux années antérieures pendant la période correspondant à celle d'application des droits provisoires, alors que, à cette époque, aucune mesure antidumping n'était en vigueur à l'égard des importations de saumons en provenance de Norvège.

Appréciation du Tribunal

105.
    Il convient tout d'abord d'examiner si la requérante a établi la réalité du préjudice commercial dont elle se prévaut.

106.
    S'agissant, en premier lieu, du manque à gagner pendant la période comprise entre le 18 décembre 1997 et le 25 mars 1998, il y a lieu d'observer que les données chiffrées fournies par la Commission à propos des exportations de saumons atlantiques d'élevage de la requérante vers la Communauté entre juillet 1997 et septembre 1998 font apparaître une suspension totale des exportations de celle-ci durant la période comprise, approximativement, entre la mi-décembre 1997 et la fin de mars 1998. Cette suspension des activités commerciales de la requérante sur le marché communautaire est confirmée par le certificat de la société d'audit joint en annexe 6 à la requête, lequel indique:

«[N]ous confirmons que, d'après les comptes de la [requérante], celle-ci n'a réalisé aucune vente de saumon atlantique vers la Communauté pendant la période comprise entre le 18 décembre 1997 et le 25 mars 1998.»

107.
    Aucun élément du dossier ne fait apparaître que, pendant cette période, la requérante ait été en mesure de compenser, fût-ce partiellement, l'absence totale d'exportations sur le marché communautaire par un accroissement corrélatif de ses ventes sur d'autres marchés mondiaux. La Commission n'a, du reste, jamais défendu une telle thèse, ni dans ses écritures ni au cours de la procédure orale.

108.
    Au contraire, il ressort du rapport de mission établi par la Commission à l'issue des vérifications opérées au siège de la requérante les 26 et 27 janvier 1998 (voir ci-dessus point 18) que, à la suite de l'institution des droits provisoires, l'activité commerciale de cette dernière a été extrêmement faible et que ses dirigeants ont affirmé qu'ils allaient probablement devoir fermer si les droits étaient confirmés. Ce rapport ajoute que la requérante n'a, pour l'essentiel, exporté que vers le Japon depuis l'entrée en vigueur des mesures provisoires. Toutefois, cette dernière indication, lue à la lumière de celles qui précèdent, doit être comprise comme traduisant la poursuite, par la requérante, de l'exploitation d'un débouché sur le marché japonais et ne saurait être interprétée comme l'indice d'un glissement du centre des activités commerciales de celle-ci vers ce dernier marché, destiné à pallier l'absence totale de ventes de sa part sur le marché communautaire.

109.
    À la lumière de cet état de fait, il convient d'évaluer le montant du manque à gagner subi par la requérante du fait de la suspension de ses exportations vers la Communauté entre le 18 décembre 1997 et le 25 mars 1998. Ce manque à gagner doit être considéré comme correspondant au montant de la marge bénéficiaire que celle-ci aurait réalisée si elle avait poursuivi ses exportations vers la Communauté pendant cette période.

110.
    Pour ce faire, il convient d'abord de déterminer le taux de régression des exportations de la requérante vers la Communauté, consécutif à l'entrée en vigueur, le 1er juillet 1997, de son engagement, lequel aurait, en tout état de cause, été d'application si elle avait continué à exporter vers la Communauté durant la période considérée. La fiabilité d'un tel calcul commande d'observer l'évolution des ventes de la requérante dans la Communauté entre 1996 et 1997 durant la période comprise entre le 1er juillet et le 17 décembre.

111.
    À cet égard, il ressort des indications chiffrées adressées le 14 avril 2000 par la requérante au Tribunal en réponse à une question écrite de ce dernier que, durant la période du 1er juillet au 17 décembre, elle a exporté vers la Communauté 1 271 304 kg de saumons atlantiques d'élevage en 1997 au lieu de 2 030 883 kg en 1996, ce qui représente une diminution de 759 579 kg, soit une régression de l'ordre de 37 % du volume de ses ventes sur le marché communautaire.

112.
    Sur cette base, il est permis de considérer que, si la requérante avait poursuivi ses exportations vers la Communauté, sous le couvert de son engagement, entre le 18 décembre 1997 et le 25 mars 1998, ses ventes de saumons atlantiques d'élevage se seraient élevées à 63 % (100 % - 37 %) de celles réalisées sur le marché communautaire un an auparavant au cours de la période correspondante. Des données chiffrées figurant dans la réponse susvisée de la requérante, il ressort que celle-ci a exporté dans la Communauté une quantité approximative de saumons atlantiques d'élevage de 450 000 kg du 18 décembre 1996 au 31 janvier 1997, de 210 000 kg en février 1997 et de 230 000 kg du 1er au 25 mars 1997.

113.
    Il est donc permis d'estimer que la requérante aurait réalisé sur le marché communautaire un volume approximatif de ventes de saumons atlantiques d'élevage de 284 000 kg (63 % de 450 000 kg) pendant la période comprise entre le 18 décembre 1997 et le 31 janvier 1998, de 132 000 kg (63 % de 210 000 kg) en février 1998 et de 145 000 kg (63 % de 230 000 kg) pendant la période comprise entre le 1er et le 25 mars 1998.

114.
    Des indications fournies dans la réponse susvisée de la requérante, il découle que, au cours de la période, comprise entre le 1er juillet et le 17 décembre 1997, durant laquelle elle a exporté ses produits vers la Communauté sous le couvert de son engagement, la requérante a dégagé une marge bénéficiaire moyenne de 1 307 539 NOK/1 271 304 kg, soit de 1,028 NOK/kg. Il est ainsi permis de considérer que, si elle avait poursuivi ses exportations sur la base dudit engagement entre le 18 décembre 1997 et le 25 mars 1998, elle aurait réalisé un bénéfice équivalant à 292 000 NOK (284 000 kg x 1,028 NOK/kg), à 135 000 NOK (132 000 kg x 1,028 NOK/kg) et à 150 000 NOK (145 000 kg x 1,028 NOK/kg), respectivement, pendant la période comprise entre le 18 décembre 1997 et le 31 janvier 1998, pendant le mois de février 1998 et pendant la période comprise entre le 1er et le 25 mars 1998.

115.
    Le manque à gagner subi par la requérante doit donc être fixé à 292 000 NOK pour la période comprise entre le 18 décembre 1997 et le 31 janvier 1998, à 135 000 NOK pour le mois de février 1998 et à 150 000 NOK pour la période du 1er au 25 mars 1998.

116.
    En ce qui concerne, en second lieu, les frais liés au rétablissement de sa position sur le marché communautaire, force est de constater que, ainsi que la Commission le souligne, la requérante ne produit, contrairement à ce qu'exige la jurisprudence (voir l'arrêt de la Cour du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil, C-237/98 P, non encore publié au Recueil, point 23, et la jurisprudence citée), aucun élément de preuve démontrant qu'elle ait effectivement été exposée à de tels frais et qu'elle continuerait de l'être. Au demeurant, il y a lieu de souligner que, d'après les chiffres fournis par la Commission en annexe 5 au mémoire en défense, non contestés par la requérante dans sa réplique, cette dernière a largement reconquis sa part de marché dans la Communauté dès le mois de juin 1998. Ses exportationsde saumons atlantiques d'élevage vers la Communauté au cours de ce mois, rapportées aux exportations totales de saumon en provenance de Norvège vers le marché communautaire, ont en effet représenté une part de marché de 1,60 % alors que, selon les mêmes chiffres de la Commission, la part de marché de la requérante avait été, en moyenne, de 1,38 % au cours des cinq mois ayant précédé l'entrée en vigueur du règlement n° 2529/97. Par conséquent, il y a lieu de conclure que cet élément de préjudice allégué par la requérante n'est, en tout état de cause, pas établi.

117.
    Il convient à présent de vérifier l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice commercial de la requérante, tel qu'il s'avère établi au terme de l'analyse opérée aux points 105 à 116 ci-dessus, et le comportement irrégulier de la Commission, entériné par le règlement n° 2529/97, qui se dégage de l'examen effectué aux points 73 à 82 et 91 ci-dessus.

118.
    Un lien de causalité au sens de l'article 215, deuxième alinéa, du traité est admis lorsqu'il existe un lien direct de cause à effet entre la faute commise par l'institution concernée et le préjudice invoqué, lien dont il appartient à la partie requérante d'apporter la preuve (arrêt du Tribunal du 30 septembre 1998, Coldiretti e.a./Conseil et Commission, T-149/96, Rec. p. II-3841, point 101, et la jurisprudence citée). La Communauté ne peut être tenue pour responsable que du préjudice qui découle de manière suffisamment directe du comportement irrégulier de l'institution concernée (voir, notamment, arrêt de la Cour du 4 octobre 1979, Dumortier Frères e.a./Conseil, 64/76 et 113/76, 167/78 et 239/78, 27/79, 28/79 et 45/79, Rec. p. 3091, point 21; arrêts du Tribunal du 18 septembre 1995, Blackspur e.a./Conseil et Commission, T-168/94, Rec. p. II-2627, point 52, et TEAM/Commission, cité au point 30 ci-dessus, point 68).

119.
    En l'espèce, il ressort du certificat de la société d'audit analysé au point 106 ci-dessus que la période pendant laquelle la requérante a suspendu ses exportations vers la Communauté coïncide avec celle au cours de laquelle les mesures provisoires instituées par le règlement n° 2529/97 ont été applicables aux importations de ses produits. Un tel élément doit être interprété comme traduisant l'existence d'un lien de cause à effet entre les irrégularités, notamment celles commises par la Commission, à l'origine de l'institution de ces mesures provisoires, d'une part, et le manque à gagner de la requérante, d'autre part.

120.
    Il est, de fait, indéniable que, à défaut de telles irrégularités et des mesures provisoires qui s'en sont suivies, la requérante aurait poursuivi ses exportations vers la Communauté conformément aux termes de son engagement. Elle n'aurait ainsi subi aucun manque à gagner sur le marché communautaire. Le comportement irrégulier adopté par la Commission, lors de l'analyse du rapport d'octobre 1997, et qui a été entériné par le règlement n° 2529/97, présente donc un lien de cause à effet, au sens de la jurisprudence rappelée au point 118 ci-dessus, avec le préjudice commercial subi par la requérante.

121.
    L'élément mentionné au point 119 ci-dessus ne saurait cependant être regardé comme prouvant, à lui seul, que l'intégralité du manque à gagner de la requérante, tel qu'il a été fixé au point 115 ci-dessus, a trouvé sa cause exclusive dans les irrégularités, notamment de la Commission, à l'origine de l'adoption de ces mesures provisoires. Il convient à cet égard de vérifier si, comme l'exige la jurisprudence, la requérante a, ce que la Commission conteste, fait preuve d'une diligence raisonnable pour limiter la portée du préjudice qu'elle affirme avoir subi (voir arrêts de la Cour du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission, C-104/89 et C-37/90, Rec. p. I-3061, point 33; du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029, point 85, et du 16 mars 2000, Parlement/Bieber, C-284/98 P, non encore publié au Recueil, point 57).

122.
    En substance, la Commission fait valoir que, eu égard au fait que les droits institués par le règlement n° 2529/97 étaient provisoires, la requérante aurait pu, moyennant l'affectation d'une somme modeste à la constitution d'une garantie bancaire, poursuivre ses exportations vers la Communauté à des prix inchangés.

123.
    À cet égard, il est constant entre les parties que, à l'époque, la requérante exportait ses produits vers la Communauté essentiellement selon le système DDP. En vertu de celui-ci, l'obligation d'acquitter les droits antidumping et compensateurs provisoires fixés par le règlement n° 2529/97 auprès des autorités douanières concernées lui aurait incombé, si elle avait exporté sur le marché communautaire pendant la période d'application des mesures provisoires. Pour cette raison, c'est à elle, et non à ses clients dans la Communauté, qu'il aurait appartenu, pour ce type de ventes, de constituer la garantie bancaire destinée à couvrir de tels droits provisoires, et à laquelle l'article 7, paragraphe 3, du règlement n° 384/96 et l'article 12, paragraphe 2, du règlement n° 2026/97 subordonnent la mise en libre pratique des produits concernés dans la Communauté.

124.
    Toutefois, même en admettant que la requérante, qui n'a pas contesté les indications avancées par la Commission quant au coût d'une telle garantie bancaire, se soit vu accorder celle-ci, force est de constater qu'elle se serait exposée à un risque commercial anormal, excédant le niveau de risque inhérent à l'exercice de toute activité commerciale, en exportant vers la Communauté pendant la période durant laquelle le règlement n° 2529/97 était applicable aux importations de ses produits. En effet, si, une fois cette garantie bancaire constituée, elle avait, comme la Commission le suggère, décidé d'exporter vers la Communauté à des prix inchangés, sans répercuter le montant des droits provisoires sur le prix réclamé à ses clients communautaires, elle se serait exposée au risque de devoir supporter seule la charge de ces droits au cas où ceux-ci auraient été définitivement perçus. Ne pouvant pas prévoir à cette époque que cela ne serait finalement pas le cas, elle n'avait donc d'autre solution que d'augmenter ses prix à l'exportation à concurrence du montant de ces droits provisoires. Or, eu égard notamment à la concurrence exercée par les entreprises communautaires de commerce de saumon ainsi que par les nombreux exportateurs norvégiens qui avaient pu poursuivre leursventes sur le marché communautaire sous le couvert de leur engagement pendant la période considérée, la requérante a pu raisonnablement estimer qu'elle n'avait aucune chance d'écouler ses produits sur ce marché pendant cette période.

125.
    Compte tenu de ces circonstances, l'absence de tentative de la part de la requérante d'exportation de ses produits vers la Communauté pendant la période considérée ne saurait être regardée comme un manquement à l'obligation, selon la jurisprudence évoquée au point 121 ci-dessus, de faire preuve de la diligence nécessaire pour limiter l'étendue de son dommage.

126.
    La Commission soutient qu'elle a rapidement donné à la requérante l'assurance que son engagement serait remis en vigueur et que les droits provisoires fixés par le règlement n° 2529/97 sur les importations de ses produits ne seraient pas confirmés.

127.
    Toutefois, il convient de relever que, dans sa lettre du 5 janvier 1998 (voir ci-dessus point 11), la Commission s'est déclarée disposée à réexaminer sa position à l'égard de la requérante à la lumière des données nouvelles que celle-ci lui ferait parvenir en temps utile. Elle ne lui a cependant donné aucune certitude quant à la remise en vigueur de son engagement et à l'absence de confirmation des droits provisoires fixés par le règlement n° 2529/97.

128.
    Il est vrai que, dans sa lettre du 30 janvier 1998, visée au point 19 ci-dessus, la Commission a fait savoir à la requérante qu'elle n'avait désormais plus aucune raison de croire à une violation par celle-ci de son engagement, qu'il était prévu d'abroger les droits provisoires institués à l'égard des importations de ses produits et que ledit engagement serait remis en vigueur dès la prise d'effet de cette abrogation et, au plus tard, le 19 avril 1998. Toutefois, dans sa lettre du 2 février 1998, la Commission - qui, à l'audience, n'a pas contesté que cette lettre constituait la réponse à la demande de la requérante portant sur les conditions auxquelles cette dernière pouvait reprendre ses exportations vers la Communauté dans l'attente d'une remise en vigueur de son engagement -, après avoir rappelé le contenu de l'article 7, paragraphe 3, du règlement n° 384/96 (voir ci-dessus point 123), a indiqué:

«Comme il est prévu de proposer au Conseil de retenir une détermination négative, c'est-à-dire de ne pas imposer de droits définitifs, les droits provisoires imposés par le règlement n° 2529/97 ne devraient pas être confirmés, conformément à l'article 10, paragraphe 3, du règlement n° 384/96. L'article 10, paragraphe 2, du règlement n° 384/96 prévoit que le montant des droits provisoires sera libéré pour autant que le Conseil ne décide pas de les percevoir définitivement, en tout ou en partie.»

129.
    Quelle qu'ait pu être leur justification, ces dernières indications, donnant à penser que l'intention de la Commission de ne pas proposer l'institution de droits définitifs sur les importations des produits de la requérante n'excluait pas que le Conseildécide de percevoir définitivement, en tout ou en partie, les montants déposés au titre des droits provisoires, ont laissé subsister, dans l'esprit des dirigeants de la requérante, la perspective du risque commercial anormal décrit au point 124 ci-dessus, en cas de reprise des exportations de celle-ci vers la Communauté, aussi longtemps que les mesures provisoires instituées par le règlement n° 2529/97 demeureraient d'application.

130.
    Quand bien même il n'aurait pu, à l'époque, être trouvé dans la pratique aucun cas de perception définitive de droits provisoires en l'absence de remplacement de ceux-ci par des droits définitifs, il ne saurait être fait grief à la requérante d'avoir, à la lecture de telles indications, continué à s'abstenir d'exporter vers la Communauté jusqu'au 25 mars 1998, date à laquelle elle a obtenu la certitude, avec l'entrée en vigueur du règlement n° 651/98, que son engagement était rétabli et que les droits provisoires institués par le règlement n° 2529/97 sur les importations de ses produits étaient abrogés.

131.
         En revanche, force est de constater, à la lecture des lettres du 30 janvier et du 2 février 1998 analysées au point 128 ci-dessus, que la Commission n'a, quant à elle, pas pris les mesures nécessaires et utiles, qui s'imposent à l'auteur du dommage lorsque ledit dommage présente, comme en l'espèce, un caractère évolutif (voir, en ce sens, l'arrêt Parlement/Bieber, cité au point 121 ci-dessus, point 57), pour limiter la portée du préjudice que son comportement irrégulier adopté lors de la vérification du respect, par la requérante, de son engagement avait concouru à faire naître.

132.
    En effet, il ressort du dossier que, à la suite des explications fournies par la requérante au début du mois de janvier 1998 (voir ci-dessus points 12 et 13) et de la vérification opérée au siège de celle-ci à la fin du même mois (voir ci-dessus point 18), la Commission avait acquis la conviction, à tout le moins depuis le 30 janvier 1998 ainsi que l'atteste sa lettre du même jour, que celle-ci s'était conformée à son engagement au cours du troisième trimestre de l'année 1997. Or, la Commission, qui, d'après ses propres termes (voir ci-dessus point 102) et comme le prouve d'ailleurs le fait que le règlement n° 651/98 a été adopté par elle, était pourtant seule compétente, en l'espèce, pour lever les mesures provisoires instituées à l'encontre des importations des produits de la requérante par le règlement n° 2529/97, a, sans raison apparente, tardé jusqu'au 25 mars 1998 pour donner à celle-ci, à travers le règlement n° 651/98, l'assurance juridique formelle qu'elle était en mesure de lui fournir dès la fin du mois de janvier 1998. Alors qu'elle avait elle-même pu se rendre compte, lors de la vérification, susvisée, au siège de la requérante, du préjudice commercial considérable subi par celle-ci en raison de l'application de ces mesures provisoires (voir ci-dessus point 108), elle a entretenu de manière injustifiée, par sa lettre du 2 février 1998, le doute quant au sort final des droits provisoires fixés par le règlement n° 2529/97. Elle a ainsi dissuadé la requérante de reprendre des activités commerciales sur le marché communautaire.

133.
    La circonstance que la Commission fut confrontée, à la même époque, à plusieurs cas de figure comparables, qui l'ont conduite à vérifier les informations nécessaires aux fins de la détermination définitive de violations d'engagements, et le fait que la période d'application du règlement n° 2529/97 avait été fixée à quatre mois ne la dispensaient pas de régulariser la situation individuelle de la requérante dès l'instant où elle fut définitivement convaincue que cette dernière avait respecté son engagement au cours de la période considérée.

134.
    Pour s'être ainsi abstenue de prendre les mesures qui s'imposaient dès le moment où les irrégularités à l'origine de l'institution des mesures provisoires à l'encontre des importations des produits de la requérante furent définitivement rectifiées, la Commission doit être tenue pour unique responsable du manque à gagner subi par celle-ci, à tout le moins à compter de la fin du mois de janvier 1998.

135.
    Il y a donc lieu de conclure que, si, comme cela découle des motifs exposés aux points 73 à 92 ci-dessus, la requérante a contribué à part égale avec la Commission à la naissance de son préjudice commercial, en revanche, la continuation de ce préjudice après la fin du mois de janvier 1998 tient exclusivement à un manque de diligence de l'institution, laquelle, alors que les explications qu'elle avait obtenues de la requérante avaient définitivement permis de corriger leurs irrégularités respectives antérieures et lui avaient ôté toute raison de croire encore à une violation de l'engagement, a tardé, sans motif apparent, à régulariser la situation de la requérante par la suppression des mesures provisoires initialement instituées à son encontre.

136.
    Il s'ensuit que la Commission doit être tenue pour responsable à concurrence de la moitié du manque à gagner subi par la requérante entre le 18 décembre 1997 et le 31 janvier 1998 et en totalité du préjudice causé à celle-ci du 1er février au 25 mars 1998 (voir ci-dessus point 115).

137.
    En conclusion, la Commission doit être condamnée à payer à la requérante, d'une part, la moitié de la somme de 292 000 NOK au titre du manque à gagner subi par celle-ci entre le 18 décembre 1997 et le 31 janvier 1998 et, d'autre part, la somme de 285 000 NOK (135 000 NOK + 150 000 NOK) en réparation du préjudice causé à cette dernière du 1er février au 25 mars 1998, soit une indemnité totale de 431 000 NOK. Il y a lieu de rejeter le recours pour le surplus.

Sur les dépens

138.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs. La Commission ayant succombé en l'essentiel de ses conclusions, il y a lieu de la condamner à supporter, outre ses propres dépens, les trois quarts des dépens exposés par la requérante. Celle-ci supportera ainsi le quart de ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    La Commission est condamnée à verser à la requérante la somme de 431 000 NOK.

2)    Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    La Commission supportera ses propres dépens ainsi que les trois quarts des dépens exposés par la requérante.

4)    La requérante supportera le quart de ses propres dépens.

Lenaerts

Azizi
Moura Ramos

            Jaeger                    Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 octobre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. Azizi


1: Langue de procédure: l'anglais.