Language of document : ECLI:EU:T:2000:243

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

26 octobre 2000 (1)

«Concurrence - Article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) - Obligations en matière d'instruction des plaintes - Légalité des motifs de rejet - Erreur manifeste d'appréciation - Article 176 du traité CE (devenu article 233 CE) - Recevabilité d'un moyen nouveau»

Dans l'affaire T-154/98,

Asia Motor France SA, établie à Chemille (France), en liquidation judiciaire, représentée par Me A. F. Bach, mandataire liquidateur,

Jean-Michel Cesbron, exerçant sous l'enseigne JMC Automobiles, demeurant à Chemille, en liquidation judiciaire, représenté par Me A. F. Bach, mandataire liquidateur,

Monin automobiles SA, établie à Bourg-de-Péage (France), en liquidation judiciaire, représentée par Me N. Grandjean, mandataire liquidateur,

Europe auto service (EAS) SA, établie à Livange (Luxembourg), en liquidation judiciaire, représentée par Me P. Schiltz, curateur,

représentés par Me J.-C. Fourgoux, avocat aux barreaux de Bruxelles et de Paris, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me P. Schiltz, 4, rue Béatrix de Bourbon,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. G. Marenco, conseiller juridique principal, et L. Guérin, expert national détaché auprès de la Commission, puis par M. Marenco et Mme F. Siredey-Garnier, expert national mis à la disposition de la Commission, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 15 juillet 1998, rejetant les plaintes introduites par les parties requérantes relatives à des pratiques d'ententes dénoncées comme contraires à l'article 85 du traité CE (devenu article 81 CE),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de M. R. García-Valdecasas, président, Mme P. Lindh et M. J. D. Cooke, juges,

greffier: Mme B. Pastor, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 4 mai 2000,

rend le présent

Arrêt

Faits et antécédents du litige

1.
    Les parties requérantes se livraient à l'importation et au commerce en France de véhicules de marque japonaise qui avaient été admis en libre pratique dans d'autres États membres de la Communauté, tels que la Belgique et le Luxembourg. Elles sont actuellement en liquidation judiciaire.

2.
    S'estimant victime d'une entente illicite conclue entre cinq importateurs de voitures japonaises en France, à savoir Sidat Toyota France, Mazda France Motors, Honda France, Mitsubishi Sonauto et Richard Nissan SA, l'une des parties requérantes, en l'occurrence M. Cesbron, a déposé, le 18 novembre 1985, une plainte auprès de la Commission, pour violation des articles 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et 85 du traité CE (devenu article 81 CE).

3.
    Le 29 novembre 1988, les parties requérantes ont déposé une nouvelle plainte contre ces mêmes cinq importateurs, et ce sur le fondement de l'article 85 du traité.

4.
    Dans cette dernière plainte, les parties requérantes faisaient valoir, en substance, que les cinq importateurs précités de voitures de marque japonaise avaient souscrit, vis-à-vis de l'administration française, l'engagement de ne pas vendre, sur le marché intérieur français, un nombre de voitures supérieur à 3 % du nombre des immatriculations de véhicules automobiles enregistrées sur l'ensemble du territoire français au cours de l'année civile antérieure. Ces mêmes importateurs se seraient entendus afin de se partager ce quota suivant des règles préétablies, excluant toute autre entreprise souhaitant distribuer en France des véhicules d'origine japonaise de marques autres que celles distribuées par les parties à l'entente alléguée.

5.
    Les parties requérantes faisaient encore valoir dans cette plainte que, en contrepartie de cette autolimitation, l'administration française avait multiplié les entraves à la libre circulation de véhicules d'origine japonaise, de marques autres que les cinq marques distribuées par les importateurs parties à l'entente alléguée.

6.
    Sur le fondement de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204), la Commission a, par lettre du 9 juin 1989, demandé des renseignements aux importateurs mis en cause. La direction générale de l'industrie et de l'aménagement du territoire français ayant, par lettre du 20 juillet 1989, donné instruction à ces importateurs de ne pas répondre à l'une des questions posées par la Commission, cette dernière, par lettre du 16 octobre 1989, a sollicité des renseignements de la part des autorités françaises. Le 28 novembre 1989, celles-ci ont répondu à cette demande de renseignements en faisant valoir, pour l'essentiel, que «les interrogations portant sur le comportement des entreprises citées dans le courrier de la Commission, dans la mesure où ce comportement [était] lié aux modalités de la régulation voulues par les pouvoirs publics, [étaient] dans ce contexte, dépourvues de pertinence: ces entreprises ne dispos[aient] en effet d'aucune autonomie dans la gestion de cette régulation».

7.
    La Commission ayant gardé le silence à leur égard, les parties requérantes lui ont, le 24 novembre 1989, adressé une lettre sollicitant qu'elle prenne position sur les plaintes déposées. Devant le silence persistant de la Commission, les parties requérantes ont introduit, le 20 mars 1990, un recours en carence et en indemnité devant la Cour de justice. Par ordonnance du 23 mai 1990, Asia Motor France e.a./Commission (C-72/90, Rec. p. I-2181), la Cour a déclaré irrecevable le recours en carence et en indemnité, en ce qu'il concernait l'abstention de la Commission au regard de la prétendue violation de l'article 30 du traité, et a renvoyé devant le Tribunal le recours, en ce qu'il concernait l'abstention de la Commission au regard de la prétendue violation de l'article 85 du traité et la responsabilité en découlant.

8.
    Entre-temps, par lettre du 8 mai 1990, le directeur général de la direction générale de la concurrence de la Commission a informé les parties requérantes, conformément à l'article 6 du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2 du règlement n° 17 (JO 1963, 127, p. 2268), que celle-ci n'envisageait pas de donner suite à leurs plaintes et les a invitées à présenter leurs observations éventuelles à cet égard. Le 29 juin 1990, les parties requérantes ont fait parvenir à la Commission leurs observations, dans lesquelles elles ont réaffirmé le bien-fondé de leurs plaintes.

9.
    C'est dans ces conditions que, par arrêt du 18 septembre 1992, Asia Motor France e.a./Commission (T-28/90, Rec. p. II-2285, ci-après l'«arrêt Asia Motor France I»), le Tribunal a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête pour autant que celle-ci était fondée sur l'article 175 du traité CE (devenu article 232 CE). Pour le surplus, le Tribunal a rejeté comme irrecevables les conclusions en indemnisation des parties requérantes.

10.
    Le 5 juin 1990, la société Somaco a également déposé une plainte auprès de la Commission, dirigée contre les pratiques des sociétés CCIE, SIGAM, SAVA, SIDA et Auto GM, toutes établies au Lamentin (Martinique, France), respectivement concessionnaires des marques Toyota, Nissan, Mazda, Honda et Mitsubishi, et importateurs de ces marques dans cette île. Cette plainte, fondée sur les articles 30 et 85 du traité, mettait également en cause les pratiques de l'administration française, au motif que celles-ci avaient pour objectif d'empêcher les importations parallèles, par la plaignante, de véhicules de certaines marques japonaises ainsi que de véhicules de la marque coréenne Hyundai.

11.
    Par lettre du 9 août 1990, se référant à sa lettre du 8 mai 1990 adressée aux parties requérantes, la Commission a informé la société Somaco qu'elle n'envisageait pas de donner suite à sa plainte et l'a invitée, conformément aux dispositions de l'article 6 du règlement n° 99/63, à présenter ses observations. Par lettre du 28 septembre 1990, la société Somaco a réaffirmé le bien-fondé de sa plainte.

12.
    Par lettre du 5 décembre 1991, la Commission a communiqué aux parties requérantes et à la société Somaco une décision rejetant les plaintes déposées le 18 novembre 1985, le 29 novembre 1988 et le 5 juin 1990.

13.
    Ce rejet était fondé sur deux motifs. Selon le premier motif de rejet, le comportement des cinq importateurs mis en cause faisait partie intégrante de la politique des pouvoirs publics français en matière d'importations d'automobiles japonaises en France. Dans le cadre de cette politique, les pouvoirs publics non seulement fixaient les quantités totales de véhicules admises chaque année en France, mais également déterminaient les modalités de répartition de ces quantités. Selon le second motif de rejet, il n'y avait pas de lien entre l'intérêt des plaignants et l'infraction alléguée en raison du fait que l'éventuelle application de l'article 85 du traité ne serait pas susceptible d'apporter un remède à la situation dont ceux-ci s'estimaient victimes.

14.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 février 1992, les parties requérantes et la société Somaco ont formé un recours en annulation contre la décision, précitée, du 5 décembre 1991.

15.
    Par arrêt du 29 juin 1993, Asia Motor France e.a./Commission (T-7/92, Rec. p. II-669, ci-après l'«arrêt Asia Motor France II»), le Tribunal a annulé la décision du 5 décembre 1991, en tant qu'elle concernait l'article 85 du traité, compte tenu, d'une part, que le premier motif de rejet reposait sur une appréciation inexacte en fait et en droit des éléments soumis à l'appréciation de la Commission et, d'autre part, que le second motif de rejet était entaché d'une erreur de droit.

16.
    À la suite de cet arrêt, la Commission a adressé, le 25 août 1993, aux autorités françaises et aux concessionnaires de la Martinique mis en cause dans la plainte de la société Somaco du 5 juin 1990, des demandes de renseignements au titre de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17.

17.
    Les concessionnaires de la Martinique et les autorités françaises ont répondu à la demande de renseignements de la Commission, respectivement, dans le courant du mois d'octobre 1993 et par une lettre du 11 novembre 1993.

18.
    Le 19 octobre 1993, les parties requérantes et la société Somaco ont adressé à la Commission une lettre de mise en demeure, conformément à l'article 175 du traité.

19.
    Le 10 janvier 1994, la Commission a adressé aux parties requérantes et à la société Somaco une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63. Elle leur a également fourni une copie des réponses aux demandes de renseignements et offert la possibilité d'examiner les preuves documentaires qui lui avaient été soumises. Par lettre du 9 mars 1994, les parties requérantes et la société Somaco ont présenté leurs observations.

20.
    Le 2 août 1994, les parties requérantes et la société Somaco ont adressé une nouvelle lettre de mise en demeure à la Commission.

21.
    Par lettre du 13 octobre 1994, la Commission a communiqué aux parties requérantes et à la société Somaco une nouvelle décision par laquelle elle rejetait leurs plaintes. Cette décision ne reprenait que le premier motif de rejet de la décision du 5 décembre 1991.

22.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 décembre 1994, les parties requérantes et la société Somaco ont introduit un recours en carence, en annulation et en indemnité. Ce recours était dirigé contre la Commission et visait sa décision du 13 octobre 1994.

23.
    Par arrêt du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission (T-387/94, Rec. p. II-961, ci-après l'«arrêt Asia Motor France III»), le Tribunal a rejeté comme irrecevables les conclusions en carence et en indemnité formulées par les parties requérantes et la société Somaco. Il a également rejeté comme non fondées les conclusions en annulation en ce qu'elles visaient la décision de rejet de la plainte de la société Somaco du 5 juin 1990. En revanche, le Tribunal a annulé la décision de la Commission du 13 octobre 1994, pour autant qu'elle rejetait les plaintes des 18 novembre 1985 et 29 novembre 1988.

24.
    À la suite de cet arrêt, la Commission a procédé à une instruction complémentaire des plaintes des parties requérantes en adressant, le 7 mai 1997, aux cinq importateurs de France métropolitaine mis en cause des demandes de renseignements au titre de l'article 11, paragraphe 1, du règlement n° 17, lesquelles étaient libellées de la façon suivante:

«1.    Pour les années 1977 à 1988 incluses, veuillez me communiquer tout document en votre possession, émanant directement ou indirectement des autorités françaises, et concernant la répartition entre les cinq importateurs en France des marques Honda, Mazda, Toyota, Mitsubishi et Nissan d'un quota d'importation de voitures japonaises.

2.    Pour les années 1977 à 1988 incluses, veuillez me communiquer tout document en votre possession, émanant de la Chambre syndicale des importateurs d'automobiles (CSIAM à l'époque avenue de Wagram, n° 33) et concernant la répartition visée sous n° 1.

3.    Veuillez me fournir toutes explications susceptibles de démontrer que vous avez été l'objet, de la part de l'administration française, de 'pressions irrésistibles‘ au sens de l'arrêt du TPI du 18 septembre 1996 (n° 70 précité de l'arrêt [Asia Motor France III]).

4.    Veuillez m'expliquer les raisons pour lesquelles il ne vous a pas été possible, dans le cas particulier de votre société, de résister à de telles pressions.

5.    Veuillez m'indiquer à quelle date a pris fin, en ce qui vous concerne, le régime étatique d'importation mis en place par les autorités françaises en 1977 pour les véhicules automobiles de pays tiers, sur l'ensemble du territoire français, dans le cadre de la politique commerciale conduite à l'époque par la République française en matière d'automobiles.»

25.
    Les sociétés Toyota, Nissan, Mazda, Honda et Sonauto ont répondu à ces demandes de renseignements, respectivement, les 6 juin 1997, 9 juin 1997, 9 juin 1997, 24 juin 1997 et 11 septembre 1997.

26.
    Le 7 octobre 1997, la Commission a adressé aux parties requérantes une communication au titre de l'article 6 du règlement n° 99/63. Par lettre du 5 décembre 1997, les parties requérantes ont présenté leurs observations sur cette communication.

27.
    Par lettre du 16 juillet 1998, la Commission a communiqué aux parties requérantes une décision rejetant de nouveau leurs plaintes (ci-après la «décision litigieuse»). Elle y indiquait que les réponses qui lui étaient parvenues à la suite de ses demandes de renseignements du 7 mai 1997 «confirm[aient] que, pendant la période en cause, il n'y a[vait] pas eu d'entente». La Commission ajoutait que, en tout état de cause, il n'y avait pas d'intérêt communautaire suffisant de nature à justifier une nouvelle intervention de sa part.

Procédure

28.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 septembre 1998, les parties requérantes ont introduit le présent recours.

29.
    Par acte séparé, la Commission a soulevé, le 29 octobre 1998, une exception d'irrecevabilité fondée sur les articles 19, premier alinéa, du statut CE de la Cour de justice et 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal.

30.
    Le 30 décembre 1998, les parties requérantes ont présenté leurs observations sur cette exception d'irrecevabilité.

31.
    Par ordonnance du 21 mai 1999, Asia Motor France e.a/Commission (T-154/98, Rec. p. II-1703), le Tribunal a déclaré le présent recours recevable, dans la mesure où il se base sur un moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation et sur un moyen tiré d'une violation de l'article 176 du traité CE (devenu article 233 CE). Le recours a été déclaré irrecevable pour le surplus et le Tribunal a réservé les dépens.

32.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a, dans le cadre des mesures d'organisation de la procédure, invité la Commission à produire ses demandes de renseignements du 7 mai 1997et la réponse des cinq importateurs visés par les plaintes, ainsi qu'à indiquer si les parties requérantes avaient pris connaissance de ces documents. Par lettre du 9 juillet 1999, la Commission a communiqué les documents et renseignements requis.

33.
    Le 23 mars 2000, le Tribunal a décidé de verser au dossier certaines pièces produites dans le cadre de l'affaire T-387/94:

-    la lettre du ministère de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme du 1er juillet 1987 (ci-après la «lettre du 1er juillet 1987»);

-    la lettre du 19 août 1982 du secrétaire d'État auprès du ministère chargé des départements et territoires d'outre-mer adressée au président du groupement des importateurs de véhicules étrangers Antilles-Guyane;

-    le jugement du tribunal de commerce de Paris du 16 mars 1990;

-    la décision 94-D-05 du conseil de la concurrence du 18 janvier 1994.

34.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l'audience du 4 mai 2000.

Conclusions des parties

35.
    Dans leur requête, les parties requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision litigieuse;

-    leur donner acte de ce qu'elles se réservent le droit de demander réparation du préjudice subi;

-    condamner la Commission aux dépens.

36.
    Dans leur réplique, elles concluent à ce «qu'il plaise au Tribunal de faire droit à leurs demandes, retenant, en tant que de besoin, la violation des droits fondamentaux telle qu'elle résulte du délai déraisonnable de la procédure comme moyen à relever d'office».

37.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme non fondé;

-    condamner les parties requérantes aux dépens.

38.
    Dans sa duplique, elle conclut, en outre, à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    déclarer irrecevable la demande des parties requérantes visant à ce que le Tribunal leur donne acte qu'elles se réservent le droit de former un recours contre la Commission sur la base de l'article 215 du traité CE (devenu article 288 CE);

-    déclarer irrecevable le moyen tiré d'une violation du principe du délai raisonnable.

Sur la recevabilité du moyen tiré d'une violation du principe du délai raisonnable

Arguments des parties

39.
    Dans leur réplique, les parties requérantes soutiennent que le délai dans lequel la Commission a statué sur leurs plaintes est excessif et que celle-ci a donc porté atteinte au principe général du droit communautaire selon lequel toute personne a droit à un procès équitable (arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185/95 P, Rec. p. I-8417, et arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T-213/95 et T-18/96, Rec. p. II-1739).

40.
    Elles considèrent que le moyen tiré d'une violation de ce principe doit être soulevé d'office par le Tribunal, dès lors qu'il s'agit d'un droit fondamental garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et devant être respecté par l'Union, en vertu de l'article F, paragraphes 1 et 2, du traité sur l'Union européenne (devenu, après modification, article 6, paragraphes 1 et 2, UE).

41.
    La Commission fait valoir que ce moyen n'a été soulevé par les parties requérantes pour la première fois que dans leur réplique et qu'il ne se fonde sur aucun élément de droit ou de fait qui se serait révélé pendant la procédure. Partant, il devrait être rejeté comme irrecevable en application de l'article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure qui interdit la production de moyens nouveaux en cours d'instance.

Appréciation du Tribunal

42.
    Il ressort des dispositions combinées des articles 44, paragraphe 1, sous c), et 48, paragraphe 2, du règlement de procédure que la requête introductive d'instance doit contenir, notamment, un exposé sommaire des moyens invoqués et que la production de moyens nouveaux en cours d'instance est interdite, à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Cependant, un moyen qui constitue l'ampliation d'un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive d'instance et qui présente un lien étroit avec celui-ci doit être déclaré recevable(arrêt du Tribunal du 17 juillet 1998, Thaï Bicycle/Conseil, T-118/96, Rec. p. II-2991, point 142).

43.
    En l'espèce, il y a lieu de rappeler que, dans son ordonnance Asia Motor France e.a/Commission, du 21 mai 1999, précitée, le Tribunal a expressément constaté que les moyens tirés d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une violation de l'article 176 du traité sont les deux seuls moyens dont il a été valablement saisi. Il a, notamment, relevé qu'il ne ressortait pas de la requête que les parties requérantes avaient également invoqué un moyen tiré de la violation des droits de la défense.

44.
    Le moyen tiré de la violation du principe du délai raisonnable, qui ne se rattache à aucun des deux moyens énoncés dans la requête, doit donc être considéré comme ayant été soulevé pour la première fois au stade de la réplique.

45.
    Aucun élément nouveau ne s'est révélé pendant la procédure justifiant que les parties requérantes présentent tardivement ledit moyen. Ce moyen doit donc être déclaré irrecevable au titre des dispositions précitées du règlement de procédure.

46.
    Il est vrai que le Tribunal peut examiner d'office la violation des formes substantielles et, notamment, des garanties procédurales conférées par l'ordre juridique communautaire (arrêt de la Cour du 7 mai 1991, Interhotel/Commission, C-291/89, Rec. p. I-2257, point 14, et arrêt du Tribunal du 13 décembre 1999, Européenne automobile/Commission, T-9/96 et T-211/96, Rec. p II-3639, point 31). Toutefois, le Tribunal ayant déjà dû statuer pour déterminer les moyens régulièrement invoqués dans la requête (voir ordonnance Asia Motor France e.a./Commission, du 21 mai 1999, précitée), il n'y a pas lieu de procéder à un tel examen d'office en l'espèce.

Sur la recevabilité du chef de conclusions tendant à ce qu'il soit donné acte aux parties requérantes du fait qu'elles se réservent le droit de demander réparation du préjudice subi

47.
    Il y a lieu d'observer, d'abord, que les parties requérantes n'ont pas présenté d'observations sur l'irrecevabilité soulevée par la Commission.

48.
    Il convient, ensuite, de relever que, dans le cadre d'un recours formé en vertu de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, article 230 CE), il n'incombe pas au juge communautaire de donner acte à l'une des parties du fait qu'elle se réserve le droit d'introduire un recours en indemnité. Le chef de conclusions des parties requérantes visant à ce que le Tribunal procède à une telle constatation doit donc être déclaré irrecevable.

Sur le fond

49.
    Au soutien de leur recours, les parties requérantes invoquent deux moyens tirés, premièrement, d'une erreur manifeste d'appréciation et, deuxièmement, d'une violation de l'article 176 du traité.

Observations liminaires

50.
    Il convient de rappeler que les plaintes déposées par les parties requérantes articulaient, en substance, deux griefs. Le premier dénonçait l'existence d'une entente entre les importateurs en France métropolitaine de voitures de cinq marques japonaises (Toyota, Honda, Mazda, Mitsubishi et Nissan) et l'administration française en vue de limiter leurs importations sur le marché français en contrepartie d'un engagement des autorités françaises, selon lequel le parc des voitures d'origine japonaise leur serait exclusivement réservé. Le second grief avait trait à l'existence d'une entente entre ces mêmes importateurs ayant pour objet la répartition du quota ainsi fixé.

51.
    Dans la décision litigieuse, la Commission a rejeté ces plaintes, d'une part, pour défaut d'entente au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et, d'autre part, au motif qu'il n'y avait pas d'intérêt communautaire suffisant à poursuivre la procédure. Par leur recours, les parties requérantes mettent en cause la légalité du premier motif de rejet retenu par la Commission.

52.
    S'agissant de ce premier motif de rejet, la Commission expose dans la décision litigieuse:

«[...] pendant la période concernée, les pouvoirs publics français ont fixé au début de chaque année pour chacun des importateurs accrédités le nombre de véhicules autorisés à l'importation. La répartition du quota global de 3 % relevait donc de la responsabilité exclusive de l'administration française. Contrairement à ce que les plaignants ont fait valoir, les importateurs n'ont pas procédé à une répartition mais ont dû respecter les quotas de vente qui leur étaient imposés unilatéralement par l'administration. Ainsi, il se confirme qu'en ce qui concerne la répartition du quota global il n'y a pas eu de concours de volontés entre les cinq importateurs et par conséquent pas d'entente au sens de l'article 85, paragraphe 1.» (Point 6.)

«[...] la pression de l'administration française ne s'est pas exercée sur le groupe des importateurs pour qu'ils s'entendent entre eux afin d'assurer le respect du quota global de 3 %, mais [...] elle s'est exercée sur chaque importateur pour qu'il en respecte une partie déterminée par l'administration elle-même. Pour qu'elle atteigne son but, il n'était pas nécessaire que les importateurs entretiennent des contacts entre eux.» (Point 12.)

53.
    Il convient de rappeler que le contrôle juridictionnel des actes de la Commission impliquant des appréciations économiques complexes doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi qu'à celle del'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir (arrêts de la Cour du 17 novembre 1987, BAT et Reynolds/Commission, 142/84 et 156/84, Rec. p. 4487, point 62, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203, points 23 et 25; arrêts Asia Motor France II, point 33, et Asia Motor France III, point 46).

54.
    Il y a lieu de souligner, par ailleurs, que, dans les cas où la Commission dispose d'un pouvoir d'appréciation, afin d'être en mesure de remplir ses fonctions, le respect des garanties conférées par l'ordre juridique communautaire dans les procédures administratives revêt une importance d'autant plus fondamentale. Parmi ces garanties figure, notamment, l'obligation pour l'institution compétente d'examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d'espèce (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C-269/90, Rec. p. I-5469, point 14, et arrêt Asia Motor France II, point 34).

55.
    C'est ainsi que, dans le cadre de l'instruction des demandes soumises à la Commission sur le fondement de l'article 3 du règlement n° 17, le Tribunal a jugé: «[S]i la Commission ne saurait être tenue de mener une instruction, les garanties procédurales prévues à l'article 3 du règlement n° 17 et à l'article 6 du règlement n° 99/63 l'obligent néanmoins à examiner attentivement les éléments de fait et de droit portés à sa connaissance par la partie plaignante, en vue d'apprécier si lesdits éléments font apparaître un comportement de nature à fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et à affecter le commerce entre États membres» (arrêt du Tribunal du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T-24/90, Rec. p. II-2223, point 79, et la jurisprudence mentionnée, et arrêt Asia Motor France II, point 35).

56.
    Enfin, si la Commission n'a pas l'obligation de procéder à l'instruction de chacune des plaintes dont elle est saisie, en revanche, dès lors qu'elle décide de mener une telle instruction, elle doit, sauf motivation dûment circonstanciée, le faire avec le soin, le sérieux et la diligence requis, aux fins d'être en mesure d'apprécier en pleine connaissance de cause les éléments de fait et de droit soumis à son appréciation par les plaignants (arrêt Asia Motor France II, point 36).

57.
    C'est à la lumière de ces considérations qu'il convient d'examiner les deux moyens invoqués par les parties requérantes à l'appui de leur recours.

Sur le premier moyen, tiré d'une erreur manifeste d'appréciation

Arguments des parties

58.
    Selon les parties requérantes, il ne saurait être contesté qu'il existait une entente entre les cinq importateurs en cause, ayant pour objet d'exclure du marché français les entreprises souhaitant y distribuer des voitures japonaises de marques autres que celles distribuées par lesdits importateurs. Invitées par le Tribunal, lors de l'audience, à développer cette affirmation, les parties requérantes ont, tout d'abord,rappelé qu'il est constant qu'aucune disposition réglementaire n'avait imposé aux cinq importateurs en cause le comportement dénoncé dans les plaintes. Ensuite, elles ont invoqué la lettre du 1er juillet 1987, dans laquelle le ministère de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme, se référant aux dangers représentés par les importations parallèles pour le système d'autolimitation des ventes de véhicules japonais, exposait que lesdites importations, venant en concurrence directe avec l'activité des cinq importateurs accrédités, risquaient de porter progressivement atteinte à l'exclusivité de fait qui leur avait été reconnue, en contrepartie de leurs engagements d'autolimitation. Elles ont également fait remarquer que, dans cette lettre, le ministère indiquait que «le développement de telles pratiques risqu[ait] de conduire rapidement à une remise en cause, par les importateurs accrédités, de l'ensemble du système d'autolimitation».

59.
    Par ailleurs, les parties requérantes relèvent que la Commission, elle-même, a précisé à l'audience dans l'affaire T-387/94 que la décision de l'administration française de ne pas accréditer d'autres marques de voitures japonaises que celles commercialisées par les cinq importateurs en cause faisait partie intégrante de l'arrangement mis en place et pouvait être considérée comme la «contrepartie» de l'acceptation par les importateurs de la politique voulue par l'administration. Elles considèrent que l'explication que la Commission donne de cette déclaration dans son mémoire en défense ne saurait être acceptée, dès lors que les pressions irrésistibles sont des actes unilatéraux, tandis que les relations bilatérales impliquent un consensus et ajoutent que les cinq importateurs tiraient des avantages évidents du système de limitation des importations.

60.
    Les parties requérantes font valoir, ensuite, que, comme dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Asia Motor France II et Asia Motor France III, la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation des faits en estimant que le comportement dénoncé était à ce point dépourvu d'autonomie qu'il échappait, de ce fait, aux dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

61.
    Elles exposent, à cet égard, que, comme l'a relevé le Tribunal dans l'arrêt Asia Motor France III, la Commission ne pouvait rejeter les plaintes en raison du manque d'autonomie des importateurs susvisés que s'il apparaissait sur le fondement d'indices objectifs, pertinents et concordants que ledit comportement leur avait été unilatéralement imposé par les autorités nationales au moyen de pressions irrésistibles.

62.
    Or, les éléments rassemblés par la Commission dans le cadre de l'instruction complémentaire qu'elle a menée à la suite de l'arrêt Asia Motor France III ne sauraient constituer de tels indices . S'agissant, plus particulièrement, des déclarations faites par les cinq importateurs mis en cause dans leurs réponses aux demandes de renseignements du 7 mai 1997, selon lesquelles les autorités françaises assuraient le respect des quotas individuels en bloquant la délivrance de certificats d'homologation, les parties requérantes font observer que ni ces importateurs nileurs concessionnaires n'ont intenté d'action en vue de mettre fin à une telle voie de fait.

63.
    Enfin, les parties requérantes font valoir que l'instruction complémentaire n'a pas été réalisée de manière minutieuse et impartiale et que les éléments recueillis n'ont pas fait l'objet d'une véritable analyse.

64.
    La Commission fait valoir que, tel qu'il est articulé par les parties requérantes, le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation procède d'une lecture incorrecte de la décision litigieuse.

65.
    Elle souligne qu'il ressort clairement de cette décision que les plaintes ont été rejetées pour défaut d'accord restrictif de concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité et non au motif que les autorités françaises auraient exercé des pressions irrésistibles sur les cinq importateurs concernés afin qu'ils adoptent le comportement dénoncé dans ces plaintes. À l'audience, la Commission a toutefois admis que la constatation contenue dans ses deux précédentes décisions de rejet selon laquelle les importateurs mis en cause ne disposaient d'aucune «autonomie» ou «marge de manoeuvre» était quelque peu ambiguë et pouvait laisser entendre qu'elle considérait que ceux-ci avaient adopté un comportement anticoncurrentiel, mais que ce dernier échappait à l'article 85, paragraphe 1, du traité dès lors qu'il avait été imposé par les autorités publiques.

66.
    La Commission expose que ni les plaintes ni l'instruction de celles-ci n'ont, en effet, fourni d'indices de l'existence d'un accord restrictif de concurrence entre les cinq importateurs concernés.

67.
    À cet égard, elle rappelle, en premier lieu, se référant au point 62 de l'arrêt Asia Motor France III, que les autorités françaises elles-mêmes ont admis qu'elles avaient décidé, en 1977, de prendre des mesures pour limiter la pénétration des véhicules japonais à 3 % du marché métropolitain.

68.
    En second lieu, la Commission relève que les autorités françaises ont également reconnu qu'elles avaient décidé de répartir le volume d'importations autorisées entre les cinq importateurs accrédités alors présents sur le marché, en considération des parts de marché que ceux-ci détenaient à ce moment-là, et de ne permettre aucune nouvelle accréditation d'importateurs de marques japonaises (arrêt Asia Motor France III, point 62). Le système de limitation des importations ainsi mis en place n'aurait donc pas nécessité une entente entre les importateurs concernés mais aurait seulement reposé sur des relations bilatérales entre chacun de ceux-ci et les autorités françaises. Elle explique, à ce propos, que la stabilisation des ventes au niveau souhaité par les autorités résultait d'indications qu'elles communiquaient directement et verbalement à chacun des importateurs, ainsi qu'il est indiqué dans les lettres du 6 juin 1997 de la société Toyota, du 9 juin 1997 de la société Nissan, du 9 juin 1997 de la société Mazda et du 24 juin 1997 de la société Honda, et qu'il appartenait à ces importateurs de respecter le plafond que ces autorités leurfixaient individuellement. La Commission ajoute que, ainsi que les autorités françaises l'ont exposé dans leur réponse du 11 novembre 1993 à sa demande de renseignements, «le fait de limiter le taux de pénétration à un certain volume supposait nécessairement que soit également fixée la répartition de ce volume entre les différentes marques: à défaut, les autorités françaises n'auraient eu aucun moyen de contrôler et d'imposer le respect du volume global fixé».

69.
    En troisième lieu, la Commission soutient que les autorités françaises assuraient le respect des quotas alloués aux cinq importateurs en bloquant la délivrance des certificats d'homologation pour les véhicules importés en-dehors de ces quotas. Le complément d'instruction qu'elle a effectué à la suite de l'arrêt Asia Motor France III aurait permis de recueillir des déclarations concordantes à ce sujet auprès des importateurs en cause ainsi qu'une lettre particulièrement éloquente, adressée par ces importateurs, le 27 février 1981, au directeur des industries métallurgiques, mécaniques et électroniques du ministère de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme.

70.
    Selon la Commission, il est d'autant plus certain que ces importateurs n'avaient accepté le système de quotas que sous la pression des autorités françaises, que celui-ci était contraire à leurs intérêts puisqu'il limitait l'accroissement de leurs parts de marché en France alors même qu'entre 1970 et 1977 le taux de pénétration des marques japonaises y était passé de 0,17 à 2,51 %.

71.
    Elle admet que ce système empêchait de facto de nouvelles entrées sur le marché et, partant, protégeait les cinq importateurs accrédités. Toutefois, cela serait le résultat non d'un accord entre lesdits importateurs, mais de la seule volonté des autorités françaises de limiter le nombre d'immatriculations de véhicules japonais. En tout état de cause, ces importateurs n'auraient pu que s'adresser aux autorités françaises s'ils avaient voulu empêcher de nouvelles accréditations et l'accord qui serait intervenu sur ce point entre ces autorités et chaque importateur ne constituerait pas un accord entre entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. De même, s'il est vrai que, dans le contexte d'une régulation des importations par les pouvoirs publics, chaque importateur, dès lors qu'il accepte de limiter ses ventes, a intérêt à ce que l'évolution des parts de marché de ses concurrents immédiats soit également figée, il ne saurait en être déduit l'existence d'un accord entre entreprises.

72.
    S'agissant de la déclaration qu'elle a faite lors de l'audience dans l'affaire T-387/94 (voir ci-après point 76), la Commission fait remarquer qu'elle est «simplement descriptive d'un système de relations bilatérales». Elle aurait, de la sorte, voulu faire la distinction entre, d'une part, les relations entre les autorités françaises et chaque importateur - lesquelles ne sauraient être qualifiées d'«accord entre entreprises» au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité - et, d'autre part, d'éventuelles relations entre importateurs.

Appréciation du Tribunal

73.
    Il convient de rappeler, tout d'abord, que la Commission avait déjà rejeté les plaintes des parties requérantes et de la société Somaco dans sa décision du 5 décembre 1991 compte tenu, notamment, du manque d'autonomie des opérateurs économiques mis en cause dans celles-ci. Dans son arrêt Asia Motor France II, le Tribunal a constaté que cette décision, pour autant qu'elle repose sur ce motif de rejet, était «entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des faits» ayant conduit la Commission «à commettre une erreur de droit quant à l'applicabilité de l'article 85 du traité aux comportements des opérateurs mis en cause» (point 55). Le Tribunal est parvenu à cette conclusion après avoir examiné, dans un premier temps, deux documents ayant trait aux importations en Martinique de voitures japonaises et qui avaient été déposés par les plaignants pendant la procédure administrative devant la Commission. Après avoir constaté que ces éléments du dossier «constitu[aient], à première vue, un indice sérieux de l'existence d'une réelle autonomie de comportement» des opérateurs économiques concernés (point 44), le Tribunal a examiné les motifs de la décision du 5 décembre 1991, pour autant que celle-ci rejetait non seulement la plainte de la société Somaco quant à l'existence d'une entente entre les concessionnaires martiniquais, mais également les plaintes des parties requérantes quant à l'existence d'une entente entre les importateurs en France métropolitaine. Après avoir analysé deux autres documents, à savoir la lettre du 1er juillet 1987 et le jugement du tribunal de commerce de Paris du 16 mars 1990, le Tribunal a estimé que les différentes pièces du dossier ne corroboraient pas la conclusion selon laquelle les opérateurs économiques de la France métropolitaine et de la Martinique, mis en cause dans les différentes plaintes, ne disposaient d'aucune autonomie ou «marge de manoeuvre» (point 55).

74.
    À la suite de l'annulation par le Tribunal, dans son arrêt Asia Motor France II, de la décision du 5 décembre 1991, la Commission a poursuivi l'examen des plaintes susvisées en adressant des demandes de renseignements aux autorités françaises et aux concessionnaires de la Martinique mis en cause dans la plainte de la société Somaco (voir points 16 à 17 ci-dessus). Dans sa décision subséquente du 13 octobre 1994, rejetant de nouveau ces plaintes, la Commission a considéré que l'examen des réponses aux demandes de renseignements «confirm[ait] que les autorités françaises avaient instauré dès 1977 un régime étatique d'importation pour les véhicules des pays tiers, et ce dans l'ensemble du territoire de la République française - bien que d'une façon spécifique dans le département de la Martinique - dans le cadre de la politique commerciale en matière d'automobiles qui était à l'époque conduite au niveau national» et elle a conclu: «il est confirmé à suffisance que les importateurs mis en cause, et en particulier ceux de la Martinique, ne disposaient d'aucune marge de manoeuvre dans la mise en oeuvre du régime d'importation en question».

75.
    Dans son arrêt Asia Motor France III, le Tribunal, pour contrôler la légalité de ce motif de rejet, a examiné séparément le comportement dénoncé dans les plaintes des parties requérantes, relatives aux importations en France métropolitaine etcelui dénoncé dans la plainte de la société Somaco, relative aux importations en Martinique.

76.
    Ainsi, s'agissant des plaintes des parties requérantes, le Tribunal a constaté que «la Commission a[vait] commis une erreur manifeste d'appréciation des faits en estimant, au vu des éléments à sa disposition, que le comportement des importateurs accrédités en France métropolitaine était à ce point dépourvu d'autonomie qu'il échapp[ait], de ce fait, à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité» et que «à défaut d'éléments démontrant l'existence de pressions irrésistibles [...] qui auraient forcé les importateurs à accepter une limitation de leurs importations, le comportement des importateurs qui se conforme aux souhaits de l'administration française, en tenant compte de l'ensemble des risques et avantages pertinents, doit être considéré comme relevant de l'exercice d'un choix commercial» (point 71). Il est parvenu à cette conclusion après avoir notamment constaté, premièrement, que la Commission avait fondé sa décision sur les mêmes éléments que ceux retenus à l'appui du premier motif de rejet de sa décision du 5 décembre 1991. Il a ainsi relevé, d'une part, que les éléments qualifiés par la Commission de «nouveaux» dans son mémoire en défense et sa duplique ne concernaient que la situation à la Martinique et, d'autre part, que les réponses des autorités françaises à la demande de renseignements du 25 août 1993 n'ont fourni aucun élément de nature à étayer ou à expliciter l'affirmation selon laquelle il ne saurait être fait un quelconque reproche aux importateurs mis en cause qui se seraient contentés d'appliquer des mesures résultant des décisions des pouvoirs publics, sans disposer d'aucune marge de manoeuvre (point 66). Dans ces circonstances, le Tribunal a constaté qu'aucun élément du dossier ne permettait de conclure que des pressions avaient, en fait, été exercées à l'égard des importateurs mis en cause et que cette question n'avait fait l'objet d'aucune vérification pendant la procédure administrative auprès des autorités françaises ou des importateurs en France métropolitaine (point 68). Deuxièmement, le Tribunal a relevé que «la Commission [avait] précisé à l'audience que la décision de l'administration de ne pas accréditer d'autres marques japonaises que celles des cinq importateurs en cause faisait partie intégrante de l'arrangement mis en place et [pouvait] être considérée comme la 'contrepartie‘ de l'acceptation par les importateurs de la politique voulue par l'administration, ce qui semble exclure, à première vue, l'existence de pressions irrésistibles exercées par les autorités françaises», et que ce point trouvait confirmation dans la lettre du 1er juillet 1987 (point 69).

77.
    En revanche, s'agissant de la plainte de la société Somaco, le Tribunal a considéré que le motif de rejet tiré de l'absence d'autonomie des concessionnaires de la Martinique dans la mise en oeuvre du régime d'importation en question n'était pas basé sur une erreur manifeste d'appréciation des faits. Il a relevé que les éléments nouveaux recueillis pendant l'instruction qui avait été menée à la suite de l'arrêt Asia Motor France II autorisaient une nouvelle interprétation des documents auxquels, après une première analyse, il avait reconnu, dans cet arrêt, une forte valeur probante quant à l'existence vraisemblable d'un concours de volontés.

78.
    En l'espèce, il convient d'examiner si le motif tiré de l'absence d'une entente proscrite par l'article 85 du traité, retenu dans la décision litigieuse pour rejeter les plaintes des parties requérantes, est suffisamment étayé par les éléments qui ont été recueillis par la Commission, dont ceux obtenus dans le cadre de l'instruction complémentaire menée à la suite de l'arrêt Asia Motor France III.

79.
    Il y a lieu de constater, premièrement, que plusieurs éléments nouveaux confirment l'affirmation des autorités françaises selon laquelle, en 1977, elles ont adopté une politique visant à limiter la pénétration des véhicules japonais sur le territoire de la France métropolitaine au niveau alors atteint, à savoir 3 % du nombre total de véhicules immatriculés sur ce territoire, et ce au moins jusqu'en 1993. Il convient de citer, à titre d'exemple, une «lettre ouverte à Monsieur le ministre de l'Industrie», rédigée en 1981 par les cinq importateurs en cause et jointe à la lettre du 6 juin 1997 de la société Toyota ainsi qu'à celle du 9 juin 1997 de la société Nissan, un article du journal Le Monde du 6 février 1981, également annexé à ces deux derniers courriers, une lettre commune du 27 février 1981 des cinq importateurs en cause au directeur de la direction «Industries métallurgiques, mécaniques et électroniques» du ministère de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme, annexée à la lettre du 24 juin 1997 de la société Honda.

80.
    Deuxièmement, des éléments nouveaux confirment l'affirmation des autorités françaises selon laquelle elles avaient ensuite imposé ce quota global de 3 % aux importateurs en cause. Cette affirmation est, en effet, corroborée par la «lettre ouverte à Monsieur le ministre de l'Industrie», précitée, et l'article du journal Le Monde du 6 février 1981, précité, qui mentionne «la décision unilatérale du gouvernement français de limiter les immatriculations de voitures japonaises à 3 % du total annuel des immatriculations françaises» et indique que «les autorités françaises, après plusieurs mois de négociation, avaient notifié à l'ambassadeur du Japon en France, M. Kitahara, que les ventes de voitures nippones ne devraient pas désormais dépasser le niveau alors atteint (3 % du marché), sous peine de se voir imposer des 'obstacles non tarifaires‘ divers».

81.
    Troisièmement, des éléments nouveaux corroborent l'affirmation des autorités françaises selon laquelle la répartition du quota global entre ces importateurs n'était pas le fruit d'une concertation entre ceux-ci, le cas échéant, avec le soutien de ces autorités, mais leur a été imposée unilatéralement par celles-ci. Ainsi, dans sa lettre du 6 juin 1997, la société Toyota explique: «[L]e ministère de l'Industrie convoquait les cinq importateurs japonais accrédités pour leur communiquer verbalement le quota qui leur avait été attribué pour l'année sur la base des immatriculations de l'année précédente et, en fonction de l'évolution du marché français, le ministère de l'Industrie ajustait, s'il y a lieu, le quota individuel attribué à chacune des marques suivant la même procédure verbale.» De même, dans sa lettre du 9 juin 1997, la société Nissan explique que «la répartition du quota de 3 % accordé aux voitures japonaises depuis 1977 était effectuée autoritairement et individuellement marque par marque, et toujours verbalement, par l'administrationfrançaise entre les cinq importateurs accrédités à l'époque par le ministère de l'Industrie» et que «l'ensemble de ces importateurs, ayant leur siège en région parisienne, se trouvait donc à proximité du ministère de l'Industrie qui n'hésitait pas à les convoquer, au début de chaque année calendaire d'abord, pour leur indiquer les estimations de quota pour l'année, puis en différentes occasions pour leur signaler les modifications qui étaient apportées par le ministère au quota initialement prévu, et ce en fonction de l'évolution des immatriculations de véhicules sur le marché national». Dans sa lettre du même jour, la société Mazda indique que «le quota était fixé verbalement marque par marque». Enfin, dans sa lettre du 24 juin 1997, la société Honda précise: «il est [...] de notoriété publique que le quota de 3 % était réparti individuellement et verbalement par le ministère de l'Industrie entre les cinq importateurs japonais accrédités en 1977 de façon extrêmement autoritaire».

82.
    Il importe de relever que ces déclarations concordantes sont confirmées par les constatations opérées par le conseil de la concurrence dans sa décision 94-D-05, du 18 janvier 1994, «relative à des pratiques constatées sur le marché de l'automobile». Dans cette décision, le conseil de la concurrence a notamment exposé:

«[...] la limitation de la part des véhicules japonais à 3 % du marché métropolitain et à 15 % du marché martiniquais résulte de mesures de contingentement mises en oeuvre par les pouvoirs publics; [...] dans le cadre de cette régulation, les pouvoirs publics ont également organisé les modalités de répartition entre les importateurs des quantités de véhicules admises en France et arrêté cette répartition de façon à ce que le quota global puisse être étalé sur les ventes de l'année;»

et

«[...] si le jeu de la concurrence a été faussé dans la mesure où l'accès des véhicules japonais et coréens au marché français de l'automobile a été limité et où chaque année, la part de marché globale de ces derniers a été répartie sans concurrence entre les marques Toyota, Nissan, Mazda, Honda et Mitsubishi, l'initiative de ces pratiques revient à l'administration et non aux entreprises concernées; [...] l'enquête prescrite à la demande du président du Conseil de la concurrence n'a pas permis d'établir que le comportement des importateurs accrédités ou de leurs concessionnaires martiniquais pouvait être détaché des décisions de l'administration, ce qu'a d'ailleurs confirmé au Conseil le directeur des industries de base et des biens d'équipement du ministère de l'Industrie et du Commerce extérieur en déclarant que 'toute interrogation sur leur comportement doit tenir compte du fait que les modalités de gestion n'étaient pas du ressort de ces entreprises‘.»

83.
    Il y a lieu d'observer, par ailleurs, que la cour d'appel de Paris, saisie d'un recours contre cette décision, a, dans un arrêt du 3 février 1995, confirmé le bien-fondé des déclarations susvisées du conseil de la concurrence.

84.
    Quatrièmement, plusieurs éléments nouveaux permettent d'affirmer que les autorités françaises assuraient le respect des quotas individuels et, par voie de conséquence, du quota global en retardant ou refusant la délivrance des certificats d'homologation, lesquels sont indispensables à la mise en circulation de véhicules sur le territoire français. Cela ressort explicitement de la «lettre ouverte à Monsieur le ministre de l'Industrie», précitée, dont le principal objet était précisément d'obtenir la délivrance des «certificats d'homologation en souffrance» et de la lettre du 27 février 1981, dans laquelle les cinq importateurs en cause exposaient que la délivrance des certificats d'homologation était conditionnée par le respect du quota de 3 % et se plaignaient du fait que certains certificats étaient retenus par les autorités compétentes depuis le mois de septembre précédent. De même, dans l'article du journal Le Monde du 6 février 1981, précité, il était fait référence à des «tracasseries administratives pour retarder l'homologation des nouveaux modèles de voitures japonaises», à des plaintes introduites auprès du ministère des Affaires étrangères par des importateurs de voitures japonaises en France au motif que «leurs demandes d'homologation [avaient été] suspendues ou [étaient] rendues très difficiles» et au fait que le gouvernement japonais envisageait de saisir les instances compétentes du GATT de cette question. Cela résulte également d'un article de journal annexé à la lettre du 9 juin 1997 de la société Nissan, dans lequel il est exposé: «[S]elon l'agence d'informations 'Kyodo‘, le gouvernement japonais aurait adressé une protestation à la France pour les discriminations dont sont l'objet les voitures japonaises auxquelles est refusé le certificat d'homologation - donc la possibilité de les vendre.» Par ailleurs, la société Mazda a annexé à sa lettre du 9 juin 1997 copie d'une lettre du 19 février 1981 adressée par l'un de ses concessionnaires au ministère de l'Industrie, des Postes et Télécommunications et du Tourisme, dans laquelle ledit concessionnaire se plaignait d'attendre depuis plus de quatre mois des certificats d'homologation et soulignait les conséquences désastreuses de cette situation sur ses activités. Enfin, un extrait d'une revue de presse du 24 mars 1981, annexé à la lettre du 24 juin 1997 de la société Honda, indique:

«[D]ix-neuf modèles d'automobiles japonaises sont actuellement pratiquement interdits à la vente sur le marché français faute d'avoir obtenu du ministère de l'Industrie le 'procès-verbal‘ du service des Mines qui fait la preuve de leur conformité aux normes d'homologation françaises.»

85.
    Il résulte de ce qui précède que la conclusion de la Commission selon laquelle, en l'absence d'une entente au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité, les plaintes des parties requérantes ne sont pas fondées repose sur des indices objectifs, pertinents et concordants.

86.
    Par ailleurs, il convient de constater qu'aucun des arguments invoqués par les parties requérantes n'est de nature à remettre en cause cette conclusion.

87.
    Les éléments nouveaux recueillis pendant l'instruction complémentaire menée à la suite de l'arrêt Asia Motor France III permettent, en effet, une analyse nouvelle des éléments auxquels le Tribunal avait reconnu, dans ses arrêts Asia Motor France II et Asia Motor France III, une forte valeur probante quant à l'existence vraisemblable d'un concours de volontés.

88.
    Ainsi, s'il est vrai que la lettre du 1er juillet 1987 se réfère à des «engagements d'autolimitation» de la part des cinq importateurs mis en cause, il est difficile, au vu du contexte décrit ci-dessus, de considérer que ceux-ci aient été volontaires. Les éléments du dossier démontrent, au contraire, que les importateurs en question n'avaient d'autre choix que de se conformer aux mesures prises par les autorités françaises. Pour ce même motif, l'affirmation contenue dans la lettre du 1er juillet 1987, selon laquelle les importateurs accrédités pourraient remettre en cause le régime d'importation de voitures japonaises en France métropolitaine, n'apparaît plus crédible.

89.
    S'agissant du fait que les cinq importateurs mis en cause auraient bénéficié d'une «contrepartie», constituée par la décision de l'administration française de ne pas accréditer d'autres marques de voitures japonaises que les leurs (voir la lettre du 1er juillet 1987 et la déclaration faite par la Commission à l'audience dans l'affaire T-387/94, mentionnée ci-dessus au point 76), l'explication apportée par la Commission à l'audience, selon laquelle l'administration française entendait de la sorte limiter le caractère désagréable de la politique mise en place, peut être raisonnablement acceptée.

90.
    Pour ce qui concerne les constatations opérées par le tribunal de commerce de Paris dans son jugement du 16 mars 1990 (voir points 52 et 53 de l'arrêt Asia Motor France II), il y a lieu de relever que celles-ci sont maintenant contredites par les nouveaux éléments recueillis par la Commission.

91.
    Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation des faits n'est pas fondé.

Sur le second moyen, tiré de la violation de l'article 176 du traité

Arguments des parties

92.
    Les parties requérantes soutiennent que la Commission n'a pas pris les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt Asia Motor France III, et ce en violation de l'article 176 du traité.

93.
    Selon elles, la décision litigieuse comporte à nouveau les erreurs de fait et de droit identifiées par le Tribunal dans cet arrêt.

94.
    Premièrement, l'instruction complémentaire des plaintes par la Commission n'aurait pas été menée de façon sérieuse et diligente. Celle-ci se serait contentée d'adresser aux importateurs concernés une nouvelle demande de renseignements contenant des questions inappropriées, orientées et portant sur des faits remontant à une vingtaine d'années, et n'aurait pas sérieusement analysé les réponses à ces questions. De plus, aucune vérification supplémentaire n'aurait été effectuée auprès des autorités françaises.

95.
    Deuxièmement, la Commission n'aurait, de toute façon, recueilli aucun élément nouveau démontrant l'existence de pressions irrésistibles qui auraient été exercées par les autorités sur les cinq importateurs mis en cause afin qu'ils adoptent le comportement dénoncé dans les plaintes des parties requérantes.

96.
    La Commission rétorque qu'elle a tiré toutes les conséquences de l'arrêt Asia Motor France III en reprenant l'instruction des plaintes.

97.
    Elle expose que l'instruction opérée antérieurement auprès des autorités françaises avait déjà permis de rassembler des informations qui apparaissaient complètes et pertinentes sur le mécanisme de limitation d'importations de véhicules japonais que celles-ci avaient mis en oeuvre. Elle relève, à cet égard, que ces autorités avaient indiqué à deux reprises, en réponse aux demandes de renseignements qui leur avaient été adressées, que les importateurs de voitures japonaises en France s'étaient bornés à se conformer aux décisions des pouvoirs publics prises dans le cadre des relations commerciales franco-japonaises et qu'elles étaient en mesure d'imposer des corrections en cas de dépassement des volumes de ventes autorisés. La Commission ajoute qu'il résultait également d'une lettre du 19 août 1982 du secrétaire d'État auprès du ministre chargé des départements et territoires d'outre-mer que la délivrance des certificats d'homologation était l'instrument utilisé pour sanctionner la régulation, sans qu'il eût été nécessaire d'adopter des dispositions formelles. La Commission explique que, dans ces circonstances, et au vu du fait que le mécanisme de limitation des importations avait fait l'objet d'une procédure purement orale, il ne lui était pas paru utile de rechercher auprès des autorités françaises de nouveaux éléments de fait ou de droit.

98.
    La Commission expose que, afin de se conformer aux indications contenues au point 68 de l'arrêt Asia Motor France III, elle a, toutefois, considéré qu'il était nécessaire d'obtenir des importateurs mis en cause la preuve d'éventuelles pressions exercées par les autorités françaises afin de faire respecter le mécanisme de régulation des importations ainsi qu'une explication des raisons pour lesquelles ils n'avaient pu y résister. Elle précise que, à cette fin, elle leur a envoyé, le 7 mai 1997, de nouvelles demandes de renseignements au titre de l'article 11 du règlement n° 17.

99.
    La Commission fait remarquer que, dans leurs réponses, les importateurs ont décrit de manière concordante les modalités de la régulation mise en place par les autorités françaises, en confirmant en tous points les déclarations précédentes de ces dernières, et que cela lui a permis d'être pleinement confortée dans son opinion.

100.
    Enfin, elle estime qu'il ne saurait lui être reproché un manque de diligence ou de sérieux dans la façon dont les plaintes ont été instruites. Elle relève qu'elle a recueilli par deux fois des renseignements auprès des autorités françaises et que, aux termes de l'article 14 du règlement n° 17, elle ne peut procéder à des vérifications auprès d'un État membre, mais seulement auprès des entreprises et associations d'entreprises. Elle ajoute, à cet égard, qu'elle était libre de considérer qu'une vérification, au titre de cette disposition, auprès des importateurs était disproportionnée. Enfin, s'agissant de la formulation des questions figurant dans la demande de renseignements du 7 mai 1997, celle-ci aurait été dictée par le point 68 de l'arrêt Asia Motor France III.

Appréciation du Tribunal

101.
    Il y a lieu de relever, à titre liminaire, que, lorsque le Tribunal annule un acte d'une institution, l'article 176 du traité impose à celle-ci de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt. À cet égard, la Cour ainsi que le Tribunal ont jugé que, pour se conformer à l'arrêt et pour lui donner pleine exécution, l'institution est tenue de respecter non seulement le dispositif de l'arrêt, mais également les motifs qui ont amené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire, en ce sens qu'ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif. Ce sont, en effet, ces motifs qui, d'une part, identifient la disposition exacte considérée comme illégale et, d'autre part, font apparaître les raisons exactes de l'illégalité constatée dans le dispositif et que l'institution concernée doit prendre en considération en remplaçant l'acte annulé (arrêts de la Cour du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, Rec. p. 2181, point 27, et du Tribunal du 27 novembre 1997, Tremblay e.a./Commission, T-224/95, Rec. p. II-2215, point 72).

102.
    En l'espèce, les parties requérantes, d'une part, critiquent la manière dont la Commission a procédé à l'instruction complémentaire de leurs plaintes et, d'autre part, contestent la pertinence des éléments recueillis dans le cadre de cette instruction ainsi que de l'analyse qu'en a faite la Commission.

103.
    S'agissant du premier grief, il convient de rappeler qu'il résulte des motifs de l'arrêt Asia Motor France III que le Tribunal a annulé la décision de la Commission du 13 octobre 1994, dans la mesure où elle rejette les plaintes des parties requérantes, après avoir constaté que celle-ci avait commis une erreur manifeste d'appréciation des faits en estimant, au vu des éléments à sa disposition, que le comportement des cinq importateurs mis en cause était à ce point dépourvu d'autonomie qu'iléchappait, de ce fait, à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité (point 71). Dans cet arrêt, le Tribunal a, plus particulièrement, reproché à la Commission de ne pas avoir vérifié «auprès des autorités françaises ou des importateurs en France métropolitaine» (point 68) si des pressions avaient été exercées à l'égard de ces derniers par l'administration afin qu'ils acceptent une limitation de leurs importations (points 68 et 71). Or, à la suite de cet arrêt, la Commission a précisément invité lesdits importateurs à lui démontrer, notamment, qu'ils avaient été l'objet de telles pressions et qu'ils n'avaient pu y résister (voir point 24 ci-dessus). L'affirmation selon laquelle les questions posées à cet effet par la Commission auraient été «inappropriées» et «orientées» doit être rejetée, ces questions ayant manifestement été formulées à la lumière des motifs de l'arrêt Asia Motor France III. Par ailleurs, il ne saurait être déduit des motifs de cet arrêt que la Commission aurait nécessairement dû, dans le cadre de son instruction complémentaire, obtenir, en outre, des renseignements auprès des autorités françaises. Les critiques formulées par les parties requérantes à l'encontre de cette instruction complémentaire sont donc non fondées.

104.
    Quant à l'argument selon lequel les éléments recueillis lors de ladite instruction complémentaire seraient dépourvus de pertinence et n'auraient pas fait l'objet d'une analyse sérieuse de la part de la Commission, celui-ci est non fondé, le Tribunal ayant constaté, dans le cadre du présent recours (voir points 78 à 90 ci-dessus), que ces éléments, ajoutés à ceux dont cette dernière disposait déjà, justifient à suffisance de droit sa conclusion selon laquelle lesdites plaintes doivent être rejetées à défaut d'entente prohibée par l'article 85, paragraphe 1, du traité.

105.
    Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré d'une violation de l'article 176 du traité doit être rejeté comme non fondé.

106.
    Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans son ensemble.

Sur les dépens

107.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Les parties requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    Les conclusions tendant à ce que le Tribunal donne acte aux parties requérantes du fait qu'elles se réservent le droit d'introduire un recours en indemnité contre la Commission sont rejetées comme irrecevables.

2)    Pour le surplus, le recours est rejeté comme non fondé.

3)    Les parties requérantes supporteront leurs propres dépens et, de façon solidaire, les dépens encourus par la Commission, y compris les dépens réservés dans l'ordonnance du 21 mai 1999.

García-Valdecasas

Lindh
Cooke

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 octobre 2000.

Le greffier

Le président

H. Jung

P. Lindh


1: Langue de procédure: le français.