Language of document : ECLI:EU:T:2013:221

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

25 avril 2013 (*)

« Référé – Accès aux documents – Règlement (CE) n° 1049/2001 – Documents détenus par l’EMA contenant des informations soumises par une entreprise dans le cadre de sa demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament – Décision d’accorder à un tiers l’accès aux documents – Demande de sursis à exécution – Urgence – Fumus boni juris – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑44/13 R,

AbbVie, Inc., établie à Wilmington, Delaware (États-Unis),

AbbVie Ltd, établie à Maidenhead (Royaume-Uni),

représentées par Mes P. Bogaert,  G. Berrisch, avocats, MM. B. Kelly, G. Castle, solicitors, D. Anderson, QC, et D. Scannell, barrister,

parties requérantes,

contre

Agence européenne des médicaments (EMA), représentée par M. T. Jablonski, Mme N. Rampal Olmedo et M. A. Spina, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande visant, en substance, à obtenir le sursis à l’exécution de la décision EMA/748792/2012 de l’EMA, du 14 janvier 2013, accordant à un tiers, en vertu du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), l’accès à certains documents contenant des informations soumises dans le cadre d’une demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament Humira destiné à traiter la maladie de Crohn,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique et pratique administrative de l’EMA

1        L’Agence européenne des médicaments (EMA), instaurée par le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO L 136, p. 1), a pour principale mission la protection et la promotion de la santé publique et animale à travers l’évaluation et la supervision des médicaments à usage humain et vétérinaire. À cet effet, l’EMA est chargée de l’évaluation scientifique des demandes d’autorisation de mise sur le marché des médicaments dans l’Union européenne (procédure centralisée). Selon l’article 57, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 726/2004, l’EMA donne aux États membres et aux institutions de l’Union les meilleurs avis scientifiques possibles sur toute question relative à l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments à usage humain ou vétérinaire qui lui est soumise.

2        En vertu du règlement n° 726/2004, certaines catégories de médicaments, y compris les médicaments issues de la biotechnologie, tel que celui, l’Humira, objet de la présente procédure, doivent être approuvées conformément à la procédure centralisée au titre dudit règlement. Cette procédure implique la présentation, par la société pharmaceutique intéressée, d’une demande d’autorisation de mise sur le marché (ci-après l’« AMM »), qui est examinée par l’EMA, et une décision de la Commission européenne sur l’AMM. Les informations à fournir à l’EMA par le demandeur d’une AMM doivent inclure un dossier qualitatif (informations sur les composants du produit et description des procédés de fabrication), des données non cliniques (informations physiques, chimiques, biologiques et microbiologiques ainsi que résultats de tests sur les animaux) et des résultats d’essais cliniques (tests réalisés et informations évaluant l’usage du produit sur l’être humain), pour étayer l’usage thérapeutique visé par le produit. Une fois l’AMM obtenue, les détails de celle-ci peuvent faire l’objet de modifications qui peuvent varier du simple changement administratif à des amendements plus significatifs, tel que l’ajout d’une nouvelle indication thérapeutique.

3        L’article 73, premier alinéa, du règlement n° 726/2004 déclare applicable aux documents détenus par l’EMA le règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), règlement qui vise à garantir au public un accès aussi large que possible aux documents détenus par les organes administratifs de l’Union.

4        L’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001 dispose que les institutions refusent l’accès à un document lorsque sa divulgation porterait atteinte, notamment, à la protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, y compris en ce qui concerne la propriété intellectuelle, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé. Dans le cas de documents de tiers, l’article 4, paragraphe 4, du règlement n° 1049/2001 précise que l’institution consulte le tiers afin de déterminer si une exception prévue au paragraphe 2 est d’application, à moins qu’il ne soit clair que le document doit ou ne doit pas être divulgué. En vertu de l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 1049/2001, si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs des exceptions susvisées, les autres parties du document sont divulguées.

5        En vertu de l’article 80, premier alinéa, du règlement n° 726/2004, l’EMA adopte des règles en ce qui concerne la mise à la disposition du public d’informations réglementaires, scientifiques ou techniques relatives à l’autorisation et à la surveillance des médicaments qui ne présentent pas de caractère confidentiel. Ainsi, le 19 décembre 2006, l’EMA a adopté des règles de mise en œuvre du règlement n° 1049/2001 sur l’accès à ses documents. L’article 4 de ces règles prévoit que les documents de l’EMA sont classés dans l’une des trois catégories suivantes : « Public », « Diffusion restreinte » ou « Confidentiel ».

6        Selon une politique relative à l’accès à ses documents que l’EMA a constamment appliquée jusqu’en 2007, l’accès du public aux documents contenus dans le dossier présenté par une société aux fins d’obtenir une AMM, y compris les rapports d’études cliniques, était généralement refusé, au motif que de telles données relevaient des exceptions prévues par lesdites règles de mise en œuvre, et plus particulièrement par leur article 3, paragraphe 2, sous a), qui – reflétant les dispositions de l’article 4, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement n° 1049/2001 – renvoie à la protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, y compris en ce qui concerne la propriété intellectuelle.

7        En 2007, un centre de recherche et d’information dans le domaine de la santé a demandé à l’EMA l’accès à des rapports d’études cliniques concernant deux médicaments. L’EMA lui a refusé cet accès, arguant que la divulgation des documents porterait atteinte aux intérêts commerciaux des fabricants de ces médicaments. Le centre de recherche et d’information a alors saisi le Médiateur européen qui, à la suite d’une inspection des rapports en question, a conclu qu’ils ne contenaient pas d’informations sur la composition des médicaments, ni d’autres informations commerciales confidentielles. Selon lui, leur divulgation ne porterait donc pas atteinte aux intérêts commerciaux du secteur. Dans son projet de recommandation, le Médiateur a, dès lors, invité l’EMA à divulguer les documents.

8        Dans sa réponse du 31 août 2010, l’EMA a annoncé sa décision d’accorder l’accès auxdits rapports et s’est engagée à prendre les mesures appropriées pour suivre la proposition du Médiateur. En conformité avec les recommandations de celui-ci, l’EMA a donc adopté, le 30 novembre 2010, une nouvelle politique sur l’accès à ses documents. Dans le communiqué de presse accompagnant l’adoption de cette politique, l’EMA a déclaré que les documents qui lui étaient présentés à l’appui d’une demande d’AMM, tels que les rapports d’essais cliniques, pouvaient désormais être divulgués à condition que le processus décisionnel concernant la demande en question ait été finalisé. Cette nouvelle politique d’accès aux documents de l’EMA est entrée en vigueur le 1er décembre 2010.

9        En application de sa nouvelle politique, l’EMA a établi un tableau des résultats pour les différents documents qu’elle détient. S’agissant plus particulièrement d’un dossier d’AMM ou des mises à jour et modifications de ce dossier, y compris les rapports d’essais cliniques, ils sont réputés être « publics », c’est-à-dire qu’ils peuvent être divulgués une fois que, notamment, la décision d’AMM de la Commission est disponible pour le médicament concerné. Le tableau des résultats a été complété, en mars 2012, par les lignes directrices de l’EMA et des directeurs des agences nationales des médicaments concernant les types d’informations incluses dans une demande d’AMM qui peuvent être divulgués après la décision finale sur la demande. L’objectif est de permettre l’adoption d’une approche cohérente afin de fournir des orientations sur l’identification des informations commerciales confidentielles qui doivent être protégées après l’octroi d’une AMM.

10      Selon les lignes directrices, relèvent de la confidentialité commerciale : les informations détaillées concernant la qualité et la fabrication des médicaments ; les informations concernant le développement du produit, y compris les informations détaillées sur la synthèse et la fabrication du principe actif ; la formulation, les procédures d’essai, la validation ainsi que les fabricants et les fournisseurs du principe actif et des excipients ; les descriptions détaillées des processus de fabrication et de contrôle du produit fini. En revanche, les informations englobant le développement clinique et non clinique d’un médicament ne sont pas confidentielles en elles-mêmes. De manière générale, les données incluses dans les rapports d’essais cliniques sont donc considérées comme des données pouvant être divulguées.

11      En conséquence, depuis l’entrée en vigueur de sa nouvelle politique d’accès aux documents, l’EMA rend accessibles des documents présentés dans le cadre d’une demande d’AMM, y compris des rapports d’études cliniques, à la suite de demandes d’accès présentées en vertu du règlement n° 1049/2001.

12      Les rapports d’études cliniques font également l’objet d’une certaine publication par l’EMA, dans la mesure où les rapports d’évaluation de son comité des médicaments à usage humain reprennent les informations contenues dans les rapports d’études cliniques et présentées par les demandeurs d’AMM. Ces rapports d’évaluation sont publiés après suppression de toute information présentant un caractère de confidentialité commerciale, tout comme le rapport européen public d’évaluation (EPAR), à savoir un résumé compréhensible pour le public des caractéristiques des produits [article 13, paragraphe 3, et article 57, paragraphe 1, second alinéa, sous b), du règlement nº 726/2004].

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

13      La présente procédure de référé concerne la décision EMA/748792/2012 de l’EMA, du 14 janvier 2013, accordant à un tiers, en vertu du règlement n° 1049/2001, l’accès aux trois rapports d’études cliniques M02-404, M04-691 et M05-769 soumis par Abbott Laboratories Ltd – le prédécesseur légal des requérantes, AbbVie, Inc., et AbbVie Ltd – dans le cadre de sa demande d’AMM du médicament Humira utilisé pour le traitement de la maladie de Crohn (ci-après la « décision attaquée »). Les requérantes appartenaient, jusqu’à janvier 2013, au groupe Abbott qui a, ensuite, été scindé en deux groupes de sociétés, à savoir le groupe AbbVie et le groupe Abbott Laboratorieses. Le terme « requérantes » désigne, ci-après, les deux sociétés requérantes ainsi qu’Abbott Laboratories.

14      Par courrier du 28 mars 2002, les requérantes avaient présenté une demande d’AMM du médicament Humira, contenant la substance active Adalimumab. Par décision du 1er septembre 2003, la Commission a délivré l’AMM sollicitée.

15      En 2006, les requérantes ont présenté à l’EMA les rapports d’études cliniques M02-404 et M04-691 dans le cadre d’une demande d’extension de l’utilisation thérapeutique du médicament Humira pour le traitement de la maladie de Crohn. Les documents concernant ces deux études cliniques portent sur la sécurité et l’efficacité du médicament Humira dans le traitement de la maladie de Crohn. L’extension de l’indication a été autorisée par la Commission le 4 juin 2007.

16      Quant au rapport d’études cliniques M05-769, les requérantes l’ont soumis à l’EMA en 2009 dans le cadre d’une procédure de modification tendant à mettre à jour le résumé des caractéristiques du produit et à retirer une recommandation d’utilisation du médicament. Ce rapport démontrait les risques de sécurité associés à l’utilisation concomitante du médicament Humira avec des corticostéroïdes. Par décision du 1er juillet 2010, la Commission a mis à jour le résumé des caractéristiques du produit pour le médicament Humira.

17      En août et en septembre 2012, l’EMA a informé les requérantes, en application de l’article 4, paragraphe 4, du règlement n° 1049/2001, qu’elle avait reçu de la part de l’entreprise pharmaceutique UCB Pharma une demande, fondée sur le règlement n° 1049/2001, visant à obtenir l’accès aux documents qui avaient été déposés par les requérantes dans le cadre de leur demande d’AMM du médicament Humira.

18      Le 26 septembre 2012, les requérantes ont indiqué à l’EMA qu’elles s’opposaient à la divulgation des documents demandés en invoquant notamment, d’une part, l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001 et, d’autre part, l’absence d’intérêt supérieur exigeant leur divulgation. Elles ont réaffirmé à plusieurs reprises leur refus de divulgation desdits documents en raison de leur nature confidentielle.

19      Par décision du 5 novembre 2012, l’EMA a fait droit à la demande d’accès aux documents, au motif, notamment, qu’elle n’était soumise à aucune obligation juridique de considérer l’ensemble des informations transmises dans un dossier de demande d’AMM comme des informations confidentielles et que les informations cliniques portant sur la sécurité et l’efficacité d’un médicament autorisé pour le traitement des êtres humains ne pourraient pas être considérés comme des informations présentant un caractère de confidentialité commerciale. Toutefois, la demande d’accès d’UCB Pharma a été retirée le 8 novembre 2012, ce qui n’a pour autant pas empêché les requérantes d’introduire, le 17 janvier 2013, un recours visant à l’annulation de la décision du 5 novembre 2012, enregistré sous le numéro T‑29/13.

20      Le 13 novembre 2012, un étudiant suivant des études universitaires scientifiques a présenté à l’EMA une demande d’accès aux rapports d’études cliniques M02-404, M04-691 et M05-769, susmentionnés, dans le cadre de la préparation d’un mémoire de master en sciences.

21      Le 19 novembre 2012, les requérantes ont réitéré leur refus de divulgation des documents visés par la demande de l’étudiant en faisant valoir que les trois rapports d’études cliniques étaient couverts par l’exception de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001 et en rappelant les préoccupations exprimées dans le cadre de la demande précédente d’accès à des documents similaires concernant le médicament Humira.

22      Par la décision attaquée, l’EMA a fait droit à la demande d’accès aux documents présentée par l’étudiant en se référant aux motifs indiqués dans la décision du 5 novembre 2012, selon lesquels les rapports d’études cliniques de médicaments ne pouvaient être considérés comme des informations confidentielles. La décision attaquée a été notifiée aux requérantes le 16 janvier 2013.

23      Par courriel du 23 janvier 2013, l’EMA a indiqué aux requérantes que les documents faisant l’objet de la décision attaquée ne seraient pas divulgués si une demande en référé était déposée dans les dix jours.

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 janvier 2013, les requérantes ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée. À l’appui de ce recours, elles font valoir, en substance, que la décision de divulgation viole l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001 et leur droit fondamental à la protection des informations présentant un caractère confidentiel, au titre de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 389, ci-après la « charte »), de l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») et de l’article 339 TFUE.

25      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle elles concluent, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée, jusqu’à ce que le Tribunal ait statué sur le recours principal ;

–        ordonner à l’EMA de s’abstenir de divulguer les rapports d’études cliniques M02-404, M04-691 et M05-769, relatifs au médicament Humira ;

–        condamner l’EMA aux dépens.

26      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 22 février 2013, l’EMA conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

27      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 22 février et 12 mars 2013, le BMJ Publishing Group Ltd et le Médiateur ont demandé à intervenir dans la présente procédure de référé au soutien des conclusions de l’EMA, tandis que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 mars 2013, la Federation of Pharmaceutical Industries and Associations et la Pharmaceutical Research and Manufacturers of America ont demandé à intervenir au soutien des conclusions des requérantes.

 En droit

 Sur l’objet de la demande en référé

28      Les requérantes soutiennent que les rapports d’études cliniques M02-404, M04-691 et M05-769 doivent être protégés, dans leur intégralité, contre toute divulgation au titre du règlement n° 1049/2001, puisque la nature même de ces documents est confidentielle. Se référant notamment à l’arrêt de la Cour du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob (C‑404/10 P, non encore publié au Recueil, point 123), elles estiment qu’il existe une présomption générale selon laquelle les rapports litigieux sont couverts par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001.

29      Rappelant qu’un résumé de tout rapport d’études cliniques doit être rendu public en vertu de l’article 57 du règlement nº 726/2004 (voir point 12 ci-dessus), l’EMA rétorque que les requérantes ont omis d’expliquer quelles informations précises figurant dans les trois rapports litigieux étaient strictement confidentielles et pouvaient donc être protégées, en ce qu’elles n’étaient pas encore disponibles au public. En particulier, les requérantes n’auraient pas contesté la publication, dans l’EPAR pour le médicament Humira, d’informations qu’elles qualifient maintenant de confidentielles.

30      Dans la mesure où ce débat soulève la question de savoir si certaines parties des rapports d’études cliniques M02-404, M04-691 et M05-769 sont déjà accessibles au public de sorte que ces rapports ne pourraient plus, dans leur totalité, être qualifiés de confidentiels, il est vrai qu’une information perd son caractère confidentiel dès qu’elle entre dans le domaine public. Il est également vrai que le dossier de la présente affaire contient un « résumé EPAR » de 4 pages, relatif au médicament « Humira – adalimumab », suivi d’un « résumé des caractéristiques du produit » d’environ 160 pages (annexe B.5 aux observations de l’EMA). En outre, l’EMA s’est référée à de nombreuses publications, accessibles sur son site Internet, relatives aux différents domaines d’utilisation du médicament Humira.

31      Toutefois, dans l’hypothèse où l’argument des requérantes selon lequel les rapports litigieux bénéficient d’une présomption générale de confidentialité devrait être retenu, la question d’une divulgation partielle des éléments publics de ces rapports, en vertu de l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 1049/2001, ne se poserait pas, étant donné qu’un document couvert par une telle présomption échappe à l’obligation d’une divulgation, tant intégrale que partielle, de son contenu (arrêt Commission/Éditions Odile Jacob, précité, point 133). En d’autres termes, la nature confidentielle desdits rapports en tant que tels ne serait pas affectée par le seul fait qu’ils comporteraient un ou plusieurs éléments non confidentiels. Par conséquent, il ne saurait être exigé que les requérantes rédigent, pour les seuls besoins de la présente procédure de référé, une version non confidentielle des rapports en cause, qui n’en contienne que les éléments déjà accessibles au public.

32      Il convient d’ajouter que la présente affaire ne concerne pas l’éventuel caractère confidentiel de quelques données particulières et isolées seulement, mais qu’elle porte sur l’éventuelle confidentialité de trois rapports (joints en annexe A.6 à la demande en référé) qui comprennent plus de 850 pages au total. Or, ni le débat des parties sur l’exactitude d’une version non confidentielle de ces rapports ni l’appréciation par le juge des référés de ce débat ne serait compatible avec la célérité requise en matière de référé et le caractère sommaire de la présente procédure. Enfin, l’intérêt de transparence défendu par l’EMA ne serait pas compromis outre mesure si la protection provisoire sollicitée pour lesdits rapports s’étendait à des éléments déjà accessibles au public, étant donné que ces éléments demeureraient, en tout état de cause, dans le domaine public et pourraient donc être exploités par tout intéressé.

33      Par conséquent, l’examen du juge des référés portera sur la nature des rapports d’études cliniques M02-404, M04-691 et M05-769, considérés dans leur intégralité.

 Généralités

34      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 TFUE et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

35      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient prononcés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du président du Tribunal du 11 mars 2013, Pilkington Group/Commission, T‑462/12 R, non encore publiée au Recueil, point 24, et la jurisprudence citée).

36      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement (voir ordonnance Pilkington Group/Commission, précitée, point 25, et la jurisprudence citée).

37      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

38      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’abord de procéder à la mise en balance des intérêts et d’examiner si la condition relative à l’urgence est remplie.

 Sur la mise en balance des intérêts et sur l’urgence

39      Selon une jurisprudence bien établie, la mise en balance des différents intérêts en présence consiste pour le juge des référés à déterminer si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte litigieux en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir ordonnance Pilkington Group/Commission, précitée, point 28, et la jurisprudence citée).

40      S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la situation juridique créée par une ordonnance de référé doit être réversible, il y a lieu de noter que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe, de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (voir ordonnance Pilkington Group/Commission, précitée, point 29, et la jurisprudence citée).

41      Il s’ensuit nécessairement que l’intérêt défendu par une partie à la procédure de référé n’est pas digne de protection dans la mesure où cette partie demande au juge des référés d’adopter une décision qui, loin de présenter un caractère purement provisoire, aurait pour effet de préjuger du sens de la future décision au fond et de la rendre illusoire en la privant d’effet utile. C’est d’ailleurs pour cette même raison que la demande en référé invitant le juge des référés à ordonner la divulgation « provisoire » d’informations prétendument confidentielles détenues par la Commission a été déclarée irrecevable en ce que l’ordonnance faisant droit à cette demande aurait été susceptible de neutraliser par avance les conséquences de la décision à rendre ultérieurement sur le fond (voir ordonnance Pilkington Group/Commission, précitée, point 30, et la jurisprudence citée).

42      En l’espèce, le Tribunal sera appelé à statuer, dans le cadre du litige principal, sur le point de savoir si la décision attaquée – par laquelle l’EMA a rejeté la demande des requérantes visant à ce qu’elle s’abstienne de donner accès, en vertu du règlement n° 1049/2001, aux rapports d’études cliniques M02-404, M04-691 et M05-769 – doit être annulée, notamment, pour méconnaissance de la nature confidentielle de ces rapports en ce que leur divulgation serait constitutive d’une violation de l’article 339 TFUE, de l’article 7 de la charte et de l’article 8 de la CEDH. À cet égard, il est évident que, pour conserver l’effet utile d’un arrêt annulant la décision attaquée, les requérantes doivent être en mesure d’éviter que l’EMA n’accorde un accès illicite aux rapports litigieux. Or, un arrêt d’annulation serait rendu illusoire et privé d’effet utile si la présente demande en référé était rejetée, ce rejet ayant pour conséquence de permettre à l’EMA d’accorder l’accès immédiat aux rapports en cause et donc de facto de préjuger du sens de la future décision au fond, à savoir un rejet du recours en annulation.

43      Ces considérations ne sont pas infirmées par la circonstance que même une divulgation effective des rapports litigieux n’aurait probablement pas pour effet de priver les requérantes d’un intérêt à agir en ce qui concerne l’annulation de la décision attaquée. En effet, la raison en est, notamment, que toute autre interprétation ferait dépendre la recevabilité du recours de la divulgation ou non par l’EMA desdits rapports et lui permettrait de se soustraire, par la création d’un fait accompli, au contrôle juridictionnel en procédant à une telle divulgation alors même qu’elle serait illégale. Or, ce maintien formel d’un intérêt à agir pour les besoins du litige principal n’empêche pas qu’un arrêt d’annulation prononcé après la divulgation des rapports en cause n’aurait plus aucun effet utile pour les requérantes (voir ordonnance Pilkington Group/Commission, précitée, point 32, et la jurisprudence citée).

44      Par conséquent, l’intérêt de l’EMA à voir rejeter la demande en référé doit céder devant l’intérêt défendu par les requérantes, d’autant plus que l’octroi des mesures provisoires sollicitées ne reviendrait qu’à maintenir, pour une période limitée, le statu quo ayant existé depuis que les rapports litigieux ont été produits devant l’EMA en août 2006 et en décembre 2009. Enfin, s’il est vrai que la personne qui a demandé la divulgation des rapports litigieux peut se prévaloir d’un droit d’accès aux documents des institutions, organes et organismes de l’Union au titre de l’article 15, paragraphe 3, TFUE, force est de constater que l’exercice de ce droit serait simplement retardé en cas d’octroi des mesures provisoires demandées par les requérantes, ce qui signifierait une restriction temporelle à l’usage de ce droit, alors que le droit des requérantes à voir protéger la nature confidentielle de ces rapports serait réduit à néant en cas de rejet de la demande en référé. L’intérêt des requérantes doit donc primer celui du demandeur d’accès.

45      Le résultat de la mise en balance des intérêts penchant donc en faveur des requérantes, il apparaît urgent de protéger l’intérêt défendu par elles, à condition qu’elles risquent de subir un préjudice grave et irréparable en cas de rejet de leur demande en référé. Dans ce contexte, les requérantes soutiennent, en substance, que la situation résultant d’une divulgation des rapports litigieux ne pourrait plus être effacée.

46      Les requérantes précisent qu’une divulgation des rapports litigieux avant la fin de la procédure principale les priverait de leur droit à un recours effectif, consacré à l’article 6 de la CEDH et à l’article 47 de la charte. Une telle divulgation les priverait également de leurs droits fondamentaux au titre de l’article 339 TFUE, de l’article 8 de la CEDH et de l’article 7 de la charte. Une violation de ces droits fondamentaux constituerait un préjudice grave et irréparable, d’autant plus que la divulgation d’un document, au titre du règlement n° 1049/2001, acquiert un effet erga omnes, empêchant l’institution concernée de s’opposer à ce que ce document soit communiqué à d’autres demandeurs et permettant à toute personne d’y avoir accès (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 21 octobre 2010, Agapiou Joséphidès/Commission et EACEA, T‑439/08, non publié au Recueil, point 116). Par conséquent, même si l’accès aux rapports litigieux n’était accordé qu’à un étudiant, les informations confidentielles pourraient être divulguées à tout un chacun, y compris les concurrents actuels ou potentiels des requérantes.

47      À cet égard, il y a lieu de constater que, dans l’hypothèse où il s’avérerait, dans le litige principal, que les rapports en cause ont une nature confidentielle et que leur divulgation, telle qu’envisagée par l’EMA, se heurte à la protection du secret professionnel, en vertu de l’article 339 TFUE, les requérantes pourraient invoquer cette disposition, qui leur confère un droit fondamental, pour s’opposer à cette divulgation. Ainsi que la Cour l’a reconnu dans son arrêt du 14 février 2008, Varec (C‑450/06, Rec. p. I‑581, points 47 et 48), en renvoyant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il peut en effet être nécessaire d’interdire la divulgation de certaines informations qualifiées de confidentielles, afin de préserver le droit fondamental d’une entreprise au respect de la vie privée, consacré à l’article 8 de la CEDH et à l’article 7 de la charte, étant précisé que la notion de « vie privée » ne doit pas être interprétée comme excluant l’activité commerciale d’une personne morale. Par ailleurs, la Cour a ajouté, d’une part, qu’elle avait déjà reconnu la protection des secrets d’affaires comme un principe général et, d’autre part, que l’entreprise en cause pourrait subir un « préjudice extrêmement grave » si certaines informations faisaient l’objet d’une communication irrégulière (voir, en ce sens, arrêt Varec, précité, points 49 et 54).

48      Étant donné que l’EMA, en cas de rejet de la présente demande en référé, pourrait procéder à la divulgation immédiate des rapports litigieux, il serait à craindre que le droit fondamental des requérantes à la protection de leurs secrets professionnels, consacré à l’article 339 TFUE, à l’article 8 de la CEDH et à l’article 7 de la charte, soit irréversiblement vidé de toute signification en ce qui concerne lesdits rapports. Dans le même temps, les requérantes risqueraient de voir compromettre leur droit fondamental à un recours effectif, consacré à l’article 6 de la CEDH et à l’article 47 de la charte, si l’EMA était autorisée à divulguer les rapports en cause avant que le Tribunal n’ait statué sur le recours principal. Par conséquent, les droits fondamentaux des requérantes étant susceptibles d’être gravement et irréparablement lésés, sous réserve d’un examen de la condition relative au fumus boni juris (voir, pour le lien étroit entre cette dernière condition et la condition relative à l’urgence, ordonnance du président du Tribunal du 8 avril 2008, Chypre/Commission, T‑54/08 R, T‑87/08 R, T‑88/08 R et T‑91/08 R à T‑93/08 R, non publiée au Recueil, points 56 et 57), il apparaît urgent d’accorder les mesures provisoires sollicitées.

49      Aucun des arguments avancés en sens contraire par l’EMA ne saurait infirmer ces considérations.

50      Ainsi, premièrement, la remarque de l’EMA, selon laquelle l’octroi des mesures provisoires sollicitées par les requérantes conférerait aux rapports d’études cliniques en cause un caractère « confidentiel », et non « public » comme c’est le cas depuis l’entrée en vigueur, en décembre 2010, de sa nouvelle politique d’accès aux documents, est dénuée de pertinence pour l’examen de la condition relative à l’urgence, en ce qu’elle vise plutôt la condition relative au fumus boni juris. Elle sera donc examinée dans ce contexte ci-après.

51      Deuxièmement, selon l’EMA, les requérantes affirment simplement que leurs concurrents peuvent utiliser les rapports litigieux pour améliorer la position concurrentielle de produits en concurrence (réelle ou potentielle) avec le médicament Humira dans la catégorie extrêmement concurrentielle des antagonistes du facteur de nécrose tumorale (TNF). Or, le préjudice causé par cette prétendue perte d’un avantage concurrentiel étant exclusivement de nature financière, les requérantes n’auraient pas démontré pourquoi une compensation financière de cette perte ne serait pas une réparation suffisante en cas d’annulation de la décision attaquée au terme de la procédure principale. Par ailleurs, les requérantes ne subissant actuellement aucun préjudice, elles n’auraient pas établi que l’AMM d’un produit concurrent pour l’indication concernée serait basée sur les rapports litigieux. Leur argumentation en ce sens serait donc purement hypothétique.

52      À cet égard, il y a lieu de souligner que, en matière de divulgation d’informations prétendument confidentielles, une approche consistant à réduire la violation de secrets professionnels à un préjudice purement financier n’est pas appropriée, dans la mesure où elle fait abstraction des droits fondamentaux invoqués par celui qui demande la protection provisoire de ces informations. En effet, au plus tard depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, qui a élevé la charte au rang de droit primaire de l’Union et dispose que la charte a la même valeur juridique que les traités (article 6, paragraphe 1, premier alinéa, TUE), le risque imminent d’une violation grave et irréparable des droits fondamentaux conférés par les articles 7 et 47 de la charte (ainsi que par les dispositions correspondantes de la CEDH) dans ce domaine doit être qualifiée, en soi, de préjudice justifiant l’octroi des mesures de protection provisoire demandées (voir, en ce sens, ordonnance Pilkington Group/Commission, précitée, point 53).

53      En conséquence, la condition relative à l’urgence étant remplie en ce qui concerne les rapports litigieux, il convient d’examiner l’existence ou non d’un fumus boni juris à cet égard.

 Sur le fumus boni juris

54      Selon une jurisprudence bien établie, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours principal apparaît, à première vue, pertinent et, en tout cas, non dépourvu de fondement sérieux, en ce qu’il révèle l’existence de questions juridiques complexes dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure principale, ou lorsque le débat mené entre les parties révèle l’existence d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas d’emblée (voir ordonnance Pilkington Group/Commission, précitée, point 58, et la jurisprudence citée).

55      S’agissant plus particulièrement du contentieux relatif à la protection provisoire d’informations prétendument confidentielles, il convient d’ajouter que le juge des référés, sous peine de méconnaître la nature intrinsèquement accessoire et provisoire de la procédure de référé (voir points 40 à 42 ci-dessus) ainsi que le risque imminent de voir annihiler les droits fondamentaux invoqués par la partie qui cherche à obtenir la protection provisoire de ces derniers (voir points 47 et 48 ci-dessus), ne saurait, en principe, conclure à l’absence de fumus boni juris que dans l’hypothèse où le caractère confidentiel des informations en cause ferait manifestement défaut (ordonnance Pilkington Group/Commission, précitée, point 59).

56      En l’espèce, dans le cadre de leur premier moyen, les requérantes font valoir, notamment, que la décision attaquée viole l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, en ce qu’elle n’est pas conforme à la jurisprudence concernant l’accès à des documents dans le contexte d’une procédure administrative réglementée (arrêts de la Cour du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑139/07 P, Rec. p. I‑5885 ; du 28 juin 2012, Commission/Agrofert Holding, C‑477/10 P, non encore publié au Recueil, et Commission/Éditions Odile Jacob, précité). Selon cette jurisprudence, ledit article 4, paragraphe 2, devrait être appliqué en tenant compte des règles procédurales régissant la procédure administrative au titre de laquelle les documents ont été fournis, et un tiers ne pourrait se prévaloir du règlement n° 1049/2001 pour obtenir un accès aux documents plus étendu que celui prévu en vertu des règles procédurales spécifiques applicables. Si l’EMA avait respecté cette jurisprudence, elle aurait conclu qu’il existait une présomption générale selon laquelle les rapports litigieux sont couverts par l’exception prévue audit article 4, paragraphe 2.

57      Selon les requérantes, dans l’arrêt Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, précité (points 56 et 57), concernant une demande d’accès au dossier d’une aide d’État, présentée par le bénéficiaire de l’aide, la Cour a jugé qu’il existait une présomption générale que les documents contenus dans le dossier administratif étaient confidentiels, parce que, en vertu des règles régissant les aides d’État, les bénéficiaires de l’aide ne disposent pas d’un droit d’accès au dossier administratif. Dans les arrêts Commission/Éditions Odile Jacob, précité (point 123) et Commission/Agrofert Holding, précité (point 64), la Cour aurait appliqué le même principe à une demande d’accès à des documents qui avaient été fournis dans le contexte d’une procédure au titre du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO L 24, p. 1). Dans ce contexte, la Cour aurait précisé qu’un accès généralisé, sur la base du règlement n° 1049/2001, aux documents fournis dans le cadre d’une telle procédure par les entreprises concernées serait de nature à mettre en péril l’équilibre que le législateur de l’Union a voulu assurer entre, d’une part, l’obligation pour ces entreprises de communiquer des informations commerciales éventuellement sensibles et, d’autre part, la garantie de protection s’attachant, au titre du secret professionnel et du secret des affaires, aux informations ainsi transmises.

58      Toujours selon les requérantes, cette présomption générale de confidentialité, qui perdure même après la clôture de la procédure administrative (arrêts Commission/Agrofert Holding, précité, point 66, et Commission/Éditions Odile Jacob, précité, point 124), s’applique de la même manière aux documents confidentiels fournis à l’EMA par le demandeur d’une AMM. En effet, le règlement n° 1049/2001 ne primerait pas sur la procédure d’approbation d’une AMM au titre du règlement n° 726/2004. Cette procédure serait une procédure bilatérale entre le demandeur d’une AMM et l’EMA, les tiers ne disposant d’aucun droit d’accès au dossier (arrêt du Tribunal du 18 décembre 2003, Fern Olivieri et EMEA/Commission, T‑326/99, Rec. p. II‑6053, point 94). De plus, le règlement n° 726/2004 mettrait en balance, d’une part, la protection des informations très détaillées nécessaires à l’AMM d’un médicament et, d’autre part, la transparence de l’information nécessaire au public et aux professionnels de santé pour un usage sûr et efficace du produit. Cet équilibre serait affecté si les documents commerciaux sensibles figurant dans le dossier transmis par un demandeur d’AMM étaient divulgués, lesdits documents étant couverts par le secret professionnel.

59      En ce qui concerne les rapports d’études cliniques, les requérantes affirment qu’ils représentent les informations exclusives, le savoir-faire et l’expertise techniques de la société innovante. Un rapport d’études cliniques, qui se composerait habituellement de centaines de pages, comporterait la totalité de l’analyse intellectuelle et indiquerait les raisons pour lesquelles un modèle d’essai clinique déterminé a été choisi, comment on est parvenu aux critères d’inclusion et d’exclusion et pourquoi une approche statistique a été retenue. Les requérantes en concluent que de tels rapports contiennent une quantité substantielle d’informations confidentielles et de savoir-faire qui sont le résultat de l’investissement significatif, de l’expertise unique et de décennies d’expérience de la société concernée. Ces rapports reflèteraient, notamment, le jugement scientifique de la société dans le développement d’une stratégie démontrant la sécurité et l’efficacité du médicament, dans la conception et la mise en œuvre des essais cliniques, dans la sélection des catégories de séries de données, ainsi que dans l’extraction des données clé et dans l’évaluation des conclusions qui sont essentielles à l’obtention d’une AMM.

60      S’agissant plus particulièrement des rapports d’études cliniques relatifs au médicament Humira, les requérantes allèguent qu’une divulgation porterait atteinte à la protection de leurs intérêts commerciaux. En effet, compte tenu de l’effet erga omnes attaché à la divulgation d’un document au titre du règlement n° 1049/2001 (voir point 46 ci-dessus), les concurrents des requérantes pourraient utiliser les rapports litigieux pour améliorer la position concurrentielle de leurs produits concurrents (actuels ou potentiels) dans la classe très compétitive des antagonistes du TNF. Les rapports d’études cliniques relatifs au médicament Humira décriraient la manière dont les requérantes ont planifié et mis en œuvre les essais cliniques nécessaires pour obtenir l’AMM du médicament pour l’indication de la maladie de Crohn. Ces rapports fourniraient donc une feuille de route très concrète à une société désireuse de développer un antagoniste du TNF pour l’usage thérapeutique en question, en lui permettant de développer une stratégie « biologique/bio » similaire pour produire un médicament de suite ou pour ajouter de nouvelles indications thérapeutiques à un médicament existant. Les rapports fourniraient également des informations sur certains des obstacles que les requérantes devaient surmonter, ce qui pourrait réduire le processus de développement d’un médicament de deux à trois ans.

61      Les requérantes ajoutent que, en ayant accès aux études cliniques relatives à l’utilisation du médicament Humira dans certaines populations de patients, telles que les patients atteints de la maladie de Crohn, un concurrent qui possède déjà certaines données cliniques disponibles pour un autre antagoniste du TNF dans cette population de patients pourrait comparer les détails des résultats cliniques des deux produits et chercher à démontrer, sur cette base, une grande similitude. Cela pourrait permettre alors l’autorisation d’une modification d’une indication du second produit pour cet usage thérapeutique sans fournir la série de données normalement attendue par l’EMA. En outre, il serait possible d’obtenir des autorisations pour des produits concurrents dans des pays hors de l’Union sur la base de rapports d’études cliniques et de résumés détaillés cliniques du médicament Humira. Ces autorisations reposeraient sur la réputation internationale de l’EMA et pourraient, en tant que telles, nuire aux requérantes, puisqu’il en résulterait une concurrence supplémentaire pour le médicament Humira.

62      L’EMA rétorque que, aux termes clairs de la décision attaquée, la divulgation des rapports d’études cliniques en cause était uniquement basée sur sa nouvelle politique d’accès aux documents, entrée en vigueur le 1er décembre 2010, alors que toute l’argumentation des requérantes est fondée sur la situation antérieure à la décision du Médiateur de 2007 ainsi qu’à sa propre décision de suivre les recommandations du Médiateur et d’octroyer l’accès aux rapports d’études cliniques en vertu du règlement n° 1049/2001 (voir points 7 à 9 ci-dessus). Par ailleurs, il n’existerait aucune disposition dans le droit de l’Union qui indiquerait que les documents présentés par le demandeur d’une AMM contenant des informations sur les résultats d’un essai clinique devraient être réputés confidentiels, et les requérantes n’indiqueraient pas pour quelle raison précise l’obligation de secret professionnel empêcherait la divulgation des rapports d’études cliniques en cause, qui ne sont pas de nature confidentielle. L’argumentation des requérantes ne tiendrait pas davantage compte des plus de 1,5 million de pages publiées jusqu’ici sur des informations cliniques concernant des médicaments autorisés.

63      L’EMA ne conteste pas que certaines parties de la vaste documentation présentée par le demandeur d’une AMM contiennent des informations qui relèvent de la confidentialité commerciale, y compris des informations sur la fabrication du produit et d’autres spécifications techniques et industrielles des processus de qualité adoptés pour fabriquer la substance. Ces informations seraient protégées par les règles et politiques applicables. Toutefois, il serait déraisonnable d’affirmer que les rapports d’études cliniques, qui contiennent des informations relatives à la sécurité ou à l’efficacité des médicaments sur la santé humaine et sur l’environnement, devraient bénéficier du même degré de protection.

64      Eu égard à ce débat, force est de constater que le dossier ne permet pas de conclure prima facie à l’absence manifeste de fumus boni juris.

65      En effet, il est constant que, avant le changement par l’EMA de sa politique relative à la divulgation des rapports d’études cliniques, l’EMA qualifiait, elle-même, ces rapports de confidentiels et refusait leur divulgation à des tiers au titre du règlement n° 1049/2001. Or, si l’EMA souligne que la décision attaquée est fondée sur sa nouvelle politique d’accès aux documents, il convient de relever que la légalité de cette politique, pratiquée depuis 2010, n’a pas encore fait l’objet d’une décision du juge de l’Union. D’ailleurs, l’EMA reconnaît expressément que, dans la présente affaire, c’est la première fois, depuis l’entrée en vigueur de sa nouvelle politique, que le titulaire d’une AMM demande le sursis à l’exécution et l’annulation d’une décision visant à divulguer de tels rapports en vertu du règlement n° 1049/2001.

66      Par conséquent, il n’existe pas de jurisprudence qui permettrait de répondre aisément à la question devant être tranchée par l’arrêt à rendre ultérieurement sur le fond, soit celle de savoir si la décision attaquée, fondée sur la nouvelle politique de divulgation de l’EMA, viole le droit au secret professionnel des requérantes, garanti par l’article 339 TFUE, l’article 8 de la CEDH et l’article 7 de la charte, motif pris de ce que les rapports litigieux sont de nature confidentielle et doivent donc être protégées contre toute divulgation (voir point 42 ci-dessus). Il s’agit là d’une question de principe affectant le fonctionnement du secteur pharmaceutique et biotechnologique en Europe et à l’échelle mondiale. En effet, l’EMA rappelle qu’elle a publié plus de 1,5 million de pages d’informations sur des essais cliniques depuis l’entrée en vigueur de sa nouvelle politique d’accès aux documents et qu’un de ses principaux rôles consiste à générer des informations destinées au public sur la conduite de divers essais cliniques et non cliniques nécessaires pour obtenir une AMM. De plus, l’EMA souligne que les orientations scientifiques sur les essais cliniques, y compris la sécurité clinique, et les rapports d’études cliniques sont également publiés en vertu d’un accord pour une approche harmonisée entre l’Europe, le Japon et les États-Unis d’Amérique adopté par la Conférence internationale sur l’harmonisation des exigences techniques pour l’enregistrement des médicaments à usage humain.

67      Or, une telle question de principe ne saurait être tranchée, pour la première fois, par le juge des référés, mais requiert un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale. À cette occasion, le juge du fond devra examiner, notamment, l’éventuelle pertinence, pour la solution du litige principal, de la jurisprudence invoquée par les requérantes afin de justifier la présomption générale de confidentialité dont bénéficieraient les rapports d’études cliniques, à savoir les arrêts Fern Olivieri et EMEA/Commission, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, Agapiou Joséphidès/Commission et EACEA, Commission/Agrofert Holding et Commission/Éditions Odile Jacob, précités.

68      En outre, l’argumentation des requérantes relative au contenu, à la valeur et aux caractéristiques des trois rapports litigieux (voir points 59 à 61 ci-dessus), qui comprennent plus de 850 pages, n’apparaît prima facie pas dépourvu de fondement sérieux en ce qui concerne la prétendue nature confidentielle de ces documents. En toute hypothèse, cette argumentation soulève des questions complexes dont la solution mérite un examen minutieux, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure principale.

69      Enfin, à supposer que les rapports litigieux puissent être considérés comme couverts par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, la question de savoir si un intérêt public supérieur n’en justifierait pas moins la divulgation nécessitera une mise en balance entre l’intérêt commercial des requérantes à ce que ces rapports ne soient pas divulgués et l’intérêt général qui vise à garantir au public un accès aussi large que possible aux documents détenus par l’Union. Or, une telle mise en balance des différents intérêts en présence exigera des appréciations délicates qui doivent être réservées au juge du fond. En toute hypothèse, il ne ressort pas du dossier que le résultat de cette mise en balance penchera manifestement en faveur de l’intérêt public défendu par l’EMA.

70      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la présente affaire soulève des questions complexes et délicates qui ne sauraient, à première vue, être considérées comme manifestement dénuées de pertinence, mais dont la solution mérite un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale. Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris.

71      Dans la mesure où l’EMA souligne l’importance de la transparence du processus décisionnel dans le cadre de l’évaluation et de la supervision des médicaments aux fins d’une pharmacovigilance efficiente et relève que, pour renforcer la transparence et la confiance du public dans le système réglementaire européen des médicaments, autant de données cliniques que possible doivent être versées dans le domaine public, il ne saurait être exclu que de telles considérations soient prises en considération pour la solution du litige principal. Cependant, l’EMA s’abstient d’exposer les raisons pour lesquelles la question de principe faisant l’objet de la procédure principale devrait recevoir une réponse particulièrement rapide, qui s’opposerait à l’octroi des mesures provisoires sollicitées. À cet égard, il lui est, en tout état de cause, loisible d’assortir son mémoire en défense dans l’affaire principale d’une demande de procédure accélérée au titre de l’article 76 bis du règlement de procédure, afin de préserver la chance d’obtenir un traitement accéléré du litige principal.

72      Il s’ensuit que, toutes les conditions étant remplies à cet effet, il convient de faire droit à la demande en référé, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les demandes en intervention présentées par le BMJ Publishing Group, la Federation of Pharmaceutical Industries and Associations, la Pharmaceutical Research and Manufacturers of America et le Médiateur.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision EMA/748792/2012 de l’Agence européenne des médicaments (EMA), du 14 janvier 2013, accordant à un tiers, en vertu du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, l’accès aux rapports d’études cliniques M02-404, M04-691 et M05-769, soumis dans le cadre d’une demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament Humira destiné à traiter la maladie de Crohn.

2)      Il est enjoint à l’EMA de ne pas divulguer les documents visés au point 1 du présent dispositif.

3)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 25 avril 2013.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.