Language of document : ECLI:EU:T:2011:660

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

15 novembre 2011 (*)

« Marchés publics de services – Procédure d’appel d’offres – Prestation de services de support aux utilisateurs des systèmes informatiques – Rejet de l’offre d’un soumissionnaire pour dépôt tardif – Attribution du marché à un autre soumissionnaire – Recours en annulation – Responsabilité non contractuelle »

Dans les affaires jointes T‑170/10 et T‑340/10,

Computer Task Group Luxembourg PSF SA (CTG Luxembourg PSF), établie à Bertrange (Luxembourg), représentée par Mes M. Thewes et B. Marthoz, avocats,

partie requérante,

contre

Cour de justice de l’Union européenne, représentée par M. A. Placco, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande d’annulation, premièrement, de la décision de la Cour de justice du 9 février 2010 portant rejet de l’offre présentée par le consortium dont fait partie la requérante dans le cadre de la procédure de passation de marché portant la référence AO 008/2009 et intitulé « Support aux utilisateurs des systèmes IT et téléphonique de 1er et 2e niveaux, call center, gestion hardware end user », deuxièmement, de la décision du 5 mars 2010 confirmative dudit rejet et, troisièmement, de la décision d’attribution du marché à un autre soumissionnaire ainsi que, d’autre part, une demande d’indemnisation du préjudice prétendument subi par la requérante du fait de ces décisions,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. E. Moavero Milanesi, président, N. Wahl (rapporteur) et S. Soldevila Fragoso, juges,

greffier : Mme C. Kristensen, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 septembre 2011,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Computer Task Group Luxembourg PSF SA (CTG Luxembourg PSF), est le chef de file d’un consortium (ci-après le « CTG Consortium ») regroupant trois sociétés, l’une de droit belge et les deux autres de droit luxembourgeois, opérant dans le secteur du conseil et des services relatifs aux technologies de l’information.

2        Par un avis de marché publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne le 11 novembre 2009 (JO S 217), la Cour de justice des Communautés européennes a lancé un appel d’offres ouvert pour l’établissement d’un accord-cadre concernant un marché de prestation de services dans le domaine des technologies de l’information, portant la référence AO 008/2009 et intitulé « Support aux utilisateurs des systèmes IT et téléphonique de 1er et 2e niveaux, call center, gestion hardware end user ». Ce marché devait être attribué à l’offre économiquement la plus avantageuse, appréciée en fonction des critères énoncés dans le cahier des charges, dans l’invitation à soumissionner ou à négocier, ou encore dans le document descriptif.

3        La date limite de réception des offres, antérieurement fixée au 15 janvier 2010 à 12 heures, a été prorogée, par avis rectificatif publié le 26 décembre 2009 (JO S 249), au 29 janvier 2010 à 12 heures.

4        La requérante a été informée de cette prorogation par courrier recommandé du 17 décembre 2009.

5        Le 22 janvier 2010, la requérante a adressé par courrier à la Cour de justice diverses questions et demandes de renseignements concernant le cahier des charges.

6        La Cour de justice n’a pas répondu à ce courrier, qu’elle a réceptionné le 25 janvier 2010.

7        Le 29 janvier 2010, la requérante a expédié l’offre du CTG Consortium par voie postale. Le cachet de la poste indique que l’offre a été postée à 12 h 44 à Luxembourg (Luxembourg).

8        Le 9 février 2010, la commission d’ouverture des offres a rejeté cette offre pour cause de dépôt tardif.

9        Informée de ce rejet par des personnes présentes lors de la séance d’ouverture des offres, la requérante a adressé le même jour un courrier à la Cour de justice pour contester le caractère tardif de l’offre qu’elle avait présentée. Elle faisait valoir, en substance, que le fait d’imposer une heure limite de dépôt de l’offre était contraire aux dispositions réglementaires applicables et que, en outre, l’avis de marché ne précisait pas le fuseau horaire visé.

10      Par lettre datée du 5 mars 2010, le directeur de la direction des technologies de l’information de la Cour de justice a répondu au courrier de la requérante du 9 février 2010. Il a confirmé que l’offre du CTG Consortium devait être rejetée pour cause de tardivité. Il a précisé, d’une part, que le point 2.9 du cahier des charges soulignait que le cachet de la poste faisait foi sans indiquer un quelconque fuseau horaire et, d’autre part, que la date limite fixée tant dans le cahier des charges que dans les avis de marché comportait une heure limite.

11      Par courrier du 1er avril 2010, dont il a été accusé réception le 6 avril 2010 et auquel il a été répondu le 3 mai 2010, la requérante s’est adressée à la Cour de justice en vue de contester la décision de rejet de l’offre qu’elle avait présentée et d’obtenir des renseignements complémentaires.

12      Le 29 juin 2010, la Cour de justice a attribué le marché à un autre soumissionnaire.

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête enregistrée au greffe du Tribunal le 19 avril 2010 sous la référence T‑170/10, la requérante a introduit un recours par lequel elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision du 9 février 2010 portant rejet de l’offre du CTG Consortium, la décision confirmative de rejet de cette offre du 5 mars 2010 ainsi que la décision portant attribution du marché à un autre soumissionnaire ;

–        constater la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne, condamner la Cour de justice à l’indemniser du préjudice subi du fait des décisions attaquées et désigner un expert pour évaluer ce préjudice ;

–        condamner la Cour de justice aux dépens.

14      Par acte séparé, enregistré au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a, sur le fondement de l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal, introduit une demande visant à ce qu’il soit statué sur ce recours selon la procédure accélérée. Cette demande a été rejetée par décision du Tribunal (huitième chambre) du 17 mai 2010.

15      À la suite du dépôt du mémoire en défense dans l’affaire T‑170/10 et ayant été informée, par ce biais, que la décision d’attribution du marché en cause avait été adoptée le 29 juin 2010, la requérante a, par requête introduite le 20 août 2010, enregistrée sous la référence T‑340/10, introduit un recours par lequel elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        ordonner la jonction de l’affaire T‑170/10 et de l’affaire T‑340/10 ;

–        annuler la décision de la Cour de justice du 29 juin 2010 d’attribution du marché en cause à un autre soumissionnaire ;

–        constater la responsabilité non contractuelle de l’Union, condamner la Cour de justice à l’indemniser pour l’ensemble du préjudice subi en raison de cette décision et désigner un expert pour évaluer ce préjudice ;

–        condamner la Cour de justice aux dépens.

16      Dans les affaires T‑170/10 et T‑340/10, la Cour de justice conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

17      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

18      Par ordonnance du président de la sixième chambre du Tribunal du 5 avril 2011, les parties entendues, les affaires T‑170/10 et T‑340/10 ont été jointes aux fins de la procédure orale et de l’arrêt, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.

19      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

20      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 14 septembre 2011.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation

21      À l’appui de ses conclusions en annulation, la requérante soulève trois moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation des principes de non-discrimination, d’égalité des soumissionnaires et de libre concurrence. Le deuxième moyen est pris d’une méconnaissance de l’obligation de répondre aux demandes de renseignements adressées en temps utile au pouvoir adjudicateur. Le troisième moyen est tiré, en substance, d’une violation de l’obligation d’informer tout soumissionnaire écarté des motifs de rejet de son offre, du nom de l’attributaire et des voies de recours disponibles.

22      Avant d’aborder l’examen de ces moyens, il importe, à titre liminaire, de rappeler, premièrement, en ce qui concerne le droit applicable aux procédures de passation de marchés publics de services lancées par les institutions de l’Union, que ces procédures sont régies par les dispositions du titre V de la première partie du règlement (CE, Euratom) n° 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO L 248, p. 1, ci-après le « règlement financier »), ainsi que par les dispositions du règlement (CE, Euratom) n° 2342/2002 de la Commission, du 23 décembre 2002, établissant les modalités d’exécution du règlement financier (JO L 357, p. 1, ci-après les « modalités d’exécution »), dans leur version applicable aux faits de l’espèce.

23      Ces dispositions s’inspirent, certes, des directives de l’Union en la matière (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 12 juillet 2007, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑250/05, non publié au Recueil, point 1, et du 9 septembre 2010, Evropaïki Dynamiki/OEDT, T‑63/06, non publié au Recueil, point 4). Néanmoins, seuls les États membres sont destinataires de ces directives et, dès lors, en principe, ces dernières régissent uniquement les procédures de passation de marchés publics pour les institutions des États membres. Lesdites directives ne s’appliquent aux marchés publics passés par les institutions de l’Union pour leur propre compte que pour les questions relatives aux seuils qui déterminent les modalités de publication, le choix des procédures et les délais correspondants (arrêt du Tribunal du 19 mars 2010, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑50/05, Rec. p. II‑1071, point 104). Il s’ensuit que, en l’espèce, dans l’examen des moyens soulevés par la requérante, seules seront prises en considération les dispositions du règlement financier et des modalités d’exécution. Il n’y a, en revanche, pas lieu de tenir compte des dispositions, citées par la requérante, de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO L 134, p. 114).

24      Deuxièmement, dans la mesure où, d’une part, la décision de rejet de l’offre soumise par la requérante et la décision d’attribution du marché à un autre soumissionnaire entretiennent un lien étroit et, d’autre part, l’argumentation développée par la requérante vise, pour l’essentiel, la décision de rejet, il convient d’examiner, avant tout, les différents moyens du recours uniquement en tant qu’ils sont dirigés contre cette dernière décision (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 12 novembre 2008, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑406/06, non publié au Recueil, point 43, et du 9 septembre 2010, Carpent Languages/Commission, T‑582/08, non publié au Recueil, point 27). À cet égard, il n’y a pas lieu d’opérer de distinction entre la décision portant rejet de l’offre présentée par la requérante proprement dite, datée du 9 février 2010, et la décision confirmative dudit rejet du 5 mars 2010.

 Sur la décision de rejet de l’offre présentée par la requérante

–       Sur le premier moyen, tiré d’une violation des principes de non-discrimination, d’égalité des soumissionnaires et de libre concurrence

25      Par le présent moyen, la requérante soutient, en substance, que la fixation d’une heure limite de dépôt des offres serait contraire aux dispositions et aux principes applicables à la passation de marchés publics par les institutions de l’Union, et tout particulièrement au principe de non-discrimination et d’égalité de traitement des soumissionnaires. À titre subsidiaire, elle allègue que, dans l’hypothèse où il devrait être conclu que l’imposition d’une heure limite était légale, il aurait fallu préciser le fuseau horaire applicable et de se référer au temps moyen de Greenwich (GMT).

26      En premier lieu, s’agissant du point de savoir si la Cour de justice était en droit, en sa qualité de détenteur du pouvoir adjudicateur, de fixer une heure limite pour le dépôt et l’envoi des offres par les soumissionnaires, force est de relever que cette possibilité est expressément prévue par l’article 130, paragraphe 2, sous a), des modalités d’exécution, aux termes duquel l’invitation à soumissionner doit préciser les modalités de dépôt et de présentation des offres, « notamment la date et l’heure limites ». Cette possibilité est, par ailleurs, corroborée par l’article 145, paragraphe 3, premier alinéa, de ces modalités, qui précise que, en cas d’envoi d’une offre par lettre, un ou plusieurs membres de la commission d’ouverture paraphent les documents attestant « la date et l’heure d’envoi ».

27      Contrairement à ce que laisse supposer la requérante, ces dispositions, qui visent à mettre en œuvre respectivement l’article 92 et l’article 98, paragraphe 3, du règlement financier, s’insèrent dans la section 3 du titre V de la première partie dudit règlement financier et sont applicables à l’ensemble des procédures de passation des marchés visées à l’article 91, paragraphe 1, premier alinéa, de ce dernier règlement, parmi lesquelles figurent les procédures de passation ouvertes telles que celle en cause en l’espèce. À cet égard, la requérante est restée en défaut d’expliquer pour quelles raisons la possibilité de fixer une heure limite de dépôt des offres des soumissionnaires, d’une part, devrait être exclue dans le cadre d’une procédure ouverte et, d’autre part, compromettrait l’exigence, rappelée en particulier à l’article 98 du règlement financier, de garantir une mise en concurrence réelle des soumissionnaires potentiels.

28      La référence faite à l’article 143, paragraphe 2, sous a), des modalités d’exécution à la « date d’envoi » ne saurait être interprétée comme excluant toute possibilité de fixer une heure limite de transmission des offres dans les documents d’appel à la concurrence. En effet, aux fins de l’application de cette disposition, qui vise à préciser que, en cas de transmission d’une offre par voie postale ou électronique, c’est bien le moment de l’envoi du courrier qui fait foi, la notion de « date » ne peut s’entendre dans le sens restrictif suggéré par la requérante, mais vise le moment exact de la transmission de l’offre. De même, l’expression « reçu daté » reprise à l’article 143, paragraphe 2, sous b), des modalités d’exécution, disposition qui concerne l’hypothèse d’une transmission d’une offre par dépôt auprès des services de l’institution adjudicatrice et qui renvoie expressément aux informations visées à l’article 130, paragraphe 2, sous a), desdites modalités, doit être comprise comme incluant également, le cas échéant, une référence à l’heure de remise de l’offre.

29      Quant à la mention « jours [de] calendrier » reprise à l’article 140, paragraphe 1, des modalités d’exécution, disposition ayant trait aux délais de réception des offres et aux demandes de participation, elle ne vient pas davantage au soutien de la position défendue par la requérante. Il importe, en effet, de souligner que cette disposition, dont l’objet est de garantir que les intéressés disposent d’un délai raisonnable et approprié pour préparer et déposer leurs offres, vise à déterminer, d’une part, le nombre minimal de jours qui doit exister entre l’envoi de l’avis de marché ou de l’invitation à soumissionner et, d’autre part, l’échéance du délai de soumission. Dans cette perspective, et ainsi qu’il ressort clairement de l’article 140, paragraphes 2 à 5, des modalités d’exécution, la référence aux jours calendaires vise à déterminer le laps de temps devant au minimum être respecté, selon le type de procédure de passation choisi, pour que les soumissionnaires puissent préparer et déposer leur offre, et non les paramètres pouvant, le cas échéant, être utilisés pour déterminer l’échéance du délai pour le dépôt des offres.

30      Il importe également de souligner que, outre le fait que la requérante n’a pas mis en cause la légalité de l’article 130, paragraphe 2, sous a), et de l’article 145, paragraphe 3, premier alinéa, des modalités d’exécution, qui consacrent expressément la possibilité pour le pouvoir adjudicateur de fixer une heure limite de dépôt des offres, et qu’elle n’a apporté aucun argument convaincant en vue d’écarter, en l’espèce, l’applicabilité de ces dispositions, elle n’a, en tout état de cause, pas démontré que la fixation d’une heure limite créerait une discrimination quelconque. À cet égard, même dans l’hypothèse où le pouvoir adjudicateur se serait limité à fixer la date limite de transmission des offres en « jour civil », sans référence aucune à une heure limite, il existerait aussi des variations du temps réel dues aux fuseaux horaires, et, partant, un décalage dans l’échéance effective du délai pour le dépôt des offres selon leur lieu d’expédition.

31      Quant à l’allégation selon laquelle la fixation d’une heure limite serait génératrice d’une discrimination à l’égard des soumissionnaires établis dans des pays où les services postaux n’horodatent pas les envois, force est de conclure que, outre le fait qu’elle n’est pas étayée par des éléments probants, elle ne vient pas au soutien de la position défendue par la requérante en sa qualité de société établie au Luxembourg. En effet, la requérante n’a pas contesté le fait que l’horodatage des envois postaux était effectué sur le territoire luxembourgeois.

32      S’agissant, enfin, de l’argumentation de la requérante, avancée au stade de la réplique, portant sur la valeur probante du cachet de la poste, force est de constater que les éléments avancés, à savoir, d’une part, les fiches d’acheminement de colis postaux et, d’autre part, la référence à la jurisprudence et à la législation française ainsi qu’aux pratiques prétendument suivies par les organismes postaux, ne sont pas concluants, en ce qu’ils ne démontrent pas que, ainsi qu’elle l’affirme, le cachet de la poste est seulement de nature à attester le jour et non l’heure d’un envoi postal.

33      En second lieu, s’agissant de l’argumentation, invoquée à titre subsidiaire, selon laquelle, à défaut d’avoir mentionné le fuseau horaire de référence, c’est le fuseau GMT qui était en l’occurrence pertinent, il importe, avant tout, de rappeler, ce que la requérante n’a d’ailleurs pas contesté, qu’aucune des dispositions applicables aux procédures de passation des marchés publics par les institutions de l’Union n’impose une quelconque obligation, dans le cas de fixation d’une heure limite de dépôt des offres, de préciser le fuseau horaire applicable.

34      En tout état de cause, en l’absence d’une telle précision, la requérante a été en mesure de comprendre que c’était bien l’heure locale du bureau de poste d’où l’offre était expédiée dont il serait tenu compte et non, par défaut et compte tenu d’une prétendue pratique, le fuseau GMT. En effet, dès lors que, ainsi d’ailleurs que cela est mentionné au point 2.9 du cahier des charges, c’est le cachet de la poste qui fait foi, c’est bien le fuseau horaire applicable au lieu où se situe le bureau de poste de transmission de l’offre qui s’applique. Il est symptomatique, à cet égard, de constater que la requérante n’a pas contesté, ni d’ailleurs estimé nécessaire de demander que soit clarifiée, notamment dans sa demande de renseignements adressée le 22 janvier 2010, l’indication, figurant tant dans l’avis de marché que dans le cahier des charges, relative à l’heure limite de dépôt des offres.

35      Dans de telles conditions, la requérante ne pouvait demander l’application à son bénéfice du fuseau GMT en se prévalant d’une prétendue pratique suivie jusqu’alors par les institutions de l’Union. Même à supposer que cette pratique existe, ce qui n’est pas corroboré par les documents présentés par la requérante, celle-ci n’est, en tout état de cause, pas opposable dans un cas où la requérante était, à l’instar de tout soumissionnaire potentiel raisonnablement informé et normalement diligent, tout à fait en mesure de connaître les obligations qui lui étaient imposées.

36      Toute autre interprétation irait précisément à l’encontre du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires, principe dont le respect doit être garanti par le pouvoir adjudicateur à chaque phase d’une procédure d’appel d’offres. À cet égard, il importe de souligner que, ainsi qu’il découle de l’article 98, paragraphe 1, du règlement financier, aux termes duquel les modalités de remise des offres garantissent une mise en concurrence réelle, la commission d’ouverture des offres ne dispose d’aucune marge d’appréciation à l’égard des offres qui ont été identifiées comme étant non conformes au regard des modalités de dépôt visées à l’article 143 des modalités d’exécution telles qu’elles ont pu être précisées dans l’invitation à soumissionner. En particulier, une fois constaté qu’une offre a été présentée hors délai, la commission d’ouverture des offres ne peut que la rejeter (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 2 mars 2010, Evropaïki Dynamiki/EMSA, T‑70/05, Rec. p. II‑313, points 100 et 101).

37      Il découle de l’ensemble de ces considérations que le premier moyen ne saurait prospérer.

–       Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’obligation de répondre aux demandes adressées en temps utile au pouvoir adjudicateur

38      La requérante avance qu’il ressort, en particulier, de l’article 141, paragraphe 2, des modalités d’exécution, que le pouvoir adjudicateur est tenu de répondre à toute demande de renseignements complémentaires formulée par un soumissionnaire au moins cinq jours ouvrables avant la date limite de présentation des offres. Or, en l’espèce, la requérante aurait adressé une demande d’informations complémentaires à la Cour de justice par courrier envoyé le 22 janvier 2010 et réceptionné le 25 janvier 2010, soit, la date d’envoi faisant foi, dans le respect dudit délai, tel que calculé à rebours et en conformité avec l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CEE, Euratom) n° 1182/71 du Conseil, du 3 juin 1971, portant détermination des règles applicables aux délais, aux dates et aux termes (JO L 124, p. 1). La Cour de justice aurait donc été tenue de répondre à la demande de renseignements complémentaires formulée par la requérante, ce qu’elle a omis de faire.

39      À cet égard, le Tribunal rappelle que l’article 141, paragraphe 2, des modalités d’exécution dispose :

« Pour autant qu’ils aient été demandés en temps utile avant la date limite de présentation des offres, les renseignements complémentaires sur les cahiers des charges ou documents descriptifs ou documents complémentaires sont communiqués simultanément à tous les opérateurs économiques qui ont demandé un cahier des charges ou manifesté un intérêt à dialoguer ou à soumissionner au plus tard six jours calendrier avant la date limite fixée pour la réception des offres ou, pour les demandes de renseignements reçues moins de huit jours calendrier avant la date limite fixée pour la réception des offres, dans les meilleurs délais après la réception de la demande de renseignements. Les pouvoirs adjudicateurs ne sont pas tenus de répondre aux demandes de renseignements complémentaires présentées moins de cinq jours ouvrables avant la date de limite de présentation des offres. »

40      Il ressort clairement de cette disposition que le pouvoir adjudicateur est tenu de fournir aux soumissionnaires potentiels les « renseignements complémentaires » qui y sont visés, à condition toutefois qu’ils aient été demandés dans les délais fixés audit article.

41      En l’espèce, il découle du libellé de la lettre du 22 janvier 2010 que la requérante entendait effectivement demander des renseignements complémentaires au sens de l’article 141, paragraphe 2, des modalités d’exécution. En effet, les questions énoncées dans ce courrier visaient à obtenir des compléments d’informations sur, d’une part, la cotation qui serait retenue dans l’évaluation de l’offre et, d’autre part, la manière de remplir le formulaire de présentation de l’offre. Cette qualification n’est, au demeurant, pas contestée par les parties.

42      Dès lors, le pouvoir adjudicateur était tenu de fournir les renseignements sollicités, à condition toutefois que la demande ait été « présentée » cinq jours au moins avant la date limite de présentation des offres. À cet égard, contrairement à ce que soutient la requérante, c’est bien la date de réception de la demande de renseignements par l’autorité adjudicatrice qui doit être prise en compte et non la date d’envoi de celle-ci. En effet, l’obligation d’information du pouvoir adjudicateur ne peut être effectivement satisfaite que si les demandes de renseignements des soumissionnaires potentiels sont portées à sa connaissance en temps utile.

43      Or, ainsi que la requérante l’admet, sa demande de renseignements n’est parvenue à la Cour de justice que le 25 janvier 2010, soit moins de cinq jours ouvrables avant la date limite de présentation des offres fixée au 29 janvier 2010 à 12 heures.

44      Partant, le deuxième moyen doit être rejeté, et ce sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur le point de savoir si la procédure d’appel d’offres en cause aurait pu aboutir à un résultat différent dans l’hypothèse où la Cour de justice aurait répondu à la demande de renseignements formulée par la requérante.

–       Sur le troisième moyen, tiré, en substance, d’une violation de l’obligation d’informer dans les délais tout soumissionnaire écarté des motifs de rejet de son offre, du nom de l’attributaire et des voies de recours disponibles

45      Par son troisième moyen, la requérante fait valoir, en substance, que la lettre de la Cour de justice du 5 mars 2010, qui lui a été envoyée en réponse à sa lettre du 9 février 2010, méconnaît les dispositions combinées de l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier et de l’article 149, paragraphes 2 et 3, des modalités d’exécution, en ce que, premièrement, elle n’a pas été transmise dans un délai de quinze jours, deuxièmement, elle n’indiquait pas le nom de l’attributaire et, troisièmement, elle ne mentionnait pas les voies de recours disponibles pour contester la décision de rejet de l’offre qu’elle avait présentée.

46      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier dispose que « [l]e pouvoir adjudicateur communique à tout candidat ou soumissionnaire écarté les motifs du rejet de sa candidature ou de son offre et, à tout soumissionnaire ayant fait une offre recevable et qui en fait la demande par écrit, les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire ».

47      Aux termes de l’article 149, paragraphe 2, des modalités d’exécution, le pouvoir adjudicateur communique, dans un délai maximal de quinze jours calendaires à compter de la réception d’une demande écrite, les informations mentionnées à l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier. Quant à l’article 149, paragraphe 3, de ces modalités, il prévoit notamment que le pouvoir adjudicateur informe, simultanément et individuellement à chaque soumissionnaire ou candidat évincé, que son offre ou sa candidature n’a pas été retenue, en indiquant dans chaque cas les motifs du rejet de l’offre ou de la candidature ainsi que les voies de recours disponibles. Aux termes de cette même disposition, les soumissionnaires ou candidats évincés peuvent, sur demande écrite, par lettre, par télécopie ou par courrier électronique, obtenir des informations complémentaires sur les motifs du rejet et, pour tout soumissionnaire ayant fait une offre recevable, sur les caractéristiques et avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que sur le nom de l’attributaire.

48      En l’espèce, premièrement, s’agissant de l’obligation imposée au pouvoir adjudicateur d’informer les candidats écartés dans un délai de quinze jours, visée à l’article 149, paragraphe 2, des modalités d’exécution, elle n’est manifestement pas d’application en l’espèce, puisque, ainsi que cela ressort clairement de son objet et de son libellé, la lettre du 9 février 2010 ne pouvait pas s’analyser comme une demande d’informations complémentaires au sens de ces dispositions, mais visait plutôt à contester le rejet par la commission d’ouverture de l’offre soumise par la requérante. Cette dernière a d’ailleurs elle-même indiqué, dans ses écritures, qu’elle avait adressé ce courrier « pour contester le rejet de son offre pour cause de tardiveté ».

49      Pour autant que le grief de la requérante doive être compris comme visant à contester plus globalement le fait qu’elle n’a pas été suffisamment informée des motifs du rejet de son offre, il convient de souligner que la motivation de la décision de rejet d’une offre doit être communiquée aux soumissionnaires concernés, en temps utile, afin que les soumissionnaires évincés aient la possibilité d’introduire efficacement un recours (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 17 février 2011, Commission/Chypre, C‑251/09, non publié au Recueil, point 58, et la jurisprudence citée). Or, force est de constater que, par sa lettre du 5 mars 2010, la Cour de justice a, conformément à l’article 100, paragraphe 2, du règlement financier, exposé les motifs pour lesquels l’offre de la requérante avait été rejetée comme étant irrecevable, à savoir qu’elle avait été déposée tardivement et que, en dépit de l’argumentation formulée dans sa lettre du 9 février 2010 tenant, d’une part, à l’absence de mention du fuseau horaire applicable et, d’autre part, à l’imposition d’une heure limite pour le dépôt des offres, cette conclusion devait être maintenue.

50      Deuxièmement, quant au grief pris de l’absence d’indication du nom de l’attributaire du marché, il suffit de rappeler que l’obligation du pouvoir adjudicateur d’informer du nom de l’attributaire, visée à l’article 149, paragraphe 3, dernier alinéa, des modalités d’exécution, n’existe, aux termes même de cette disposition, qu’à l’égard des soumissionnaires dont l’offre a été considérée recevable, condition qui fait précisément défaut en l’espèce, puisque l’offre présentée par la requérante a été rejetée par la commission d’ouverture des offres pour cause de tardiveté.

51      Troisièmement, en ce qui concerne l’absence de mention dans la lettre du 5 mars 2010 des voies de recours disponibles, il convient de considérer qu’une telle absence n’est, en tout état de cause, pas susceptible d’affecter la légalité de la décision portant rejet de l’offre de la requérante. En effet, une irrégularité procédurale n’entraîne l’annulation en tout ou en partie d’une décision que s’il est établi que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent et, par conséquent, la décision attaquée aurait pu avoir un contenu différent (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 mars 2008, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑345/03, Rec. p. II‑341, point 147, et la jurisprudence citée), condition qui n’est pas remplie en l’espèce. En outre, force est de constater que cette omission, à la supposer répréhensible, n’a pas empêché la requérante d’introduire les présents recours, et ce dans les délais requis.

52      Au vu de ce qui précède, il y a également lieu de rejeter le troisième moyen comme non fondé.

53      Partant, les conclusions en annulation tant de la décision de rejet de l’offre présentée par la requérante que de la décision confirmative dudit rejet doivent être rejetées.

 Sur la décision d’attribution du marché à un autre soumissionnaire

54      S’agissant de la demande d’annulation de la décision d’attribution du marché à un autre soumissionnaire, elle ne peut qu’être rejetée par voie de conséquence du rejet de la demande d’annulation de la décision de rejet, à laquelle elle est étroitement liée, et ce sans qu’il soit besoin de déterminer si les présents recours, en ce qu’ils visent ladite décision d’attribution, sont recevables. Plus précisément, il n’y a pas lieu d’examiner si, ainsi que l’invoque la Cour de justice, dans l’affaire T‑170/10, la demande tendant à l’annulation de la décision d’attribution du marché à un autre soumissionnaire est prématurée et si, à la suite de l’introduction du recours dans l’affaire T‑340/10, il existe éventuellement une situation de litispendance.

55      Cette conclusion est d’autant plus valable que, en l’espèce, la décision portant rejet de l’offre présentée par la requérante ne se fonde pas sur une comparaison des prestations des différents soumissionnaires, mais sur le fait que l’offre de la requérante n’a pas été présentée dans le délai requis (voir, en ce sens, arrêt Carpent Languages/Commission, point 24 supra, point 80, et la jurisprudence citée).

56      Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que les conclusions en annulation doivent être rejetées dans leur intégralité.

 Sur les conclusions indemnitaires

57      La requérante avance que l’illégalité des décisions attaquées est constitutive d’un comportement fautif de la Cour de justice qui engage la responsabilité non contractuelle de l’Union en vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE. Le dommage qui en résulte serait matérialisé par la perte d’une possibilité de participer à l’épreuve de sélection du soumissionnaire pour le marché en cause et par la perte d’une chance de remporter ce marché, pertes qui induiraient un manque à gagner ainsi que des difficultés économiques et financières. À cet égard, la requérante souligne qu’elle n’est pas en mesure d’effectuer une évaluation chiffrée et précise du préjudice subi et qu’il conviendrait de nommer un expert pour ce faire. Le lien causal entre l’illégalité du comportement de la Cour de justice et le dommage subi ne ferait, en outre, aucun doute.

58      Selon une jurisprudence bien établie, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organes, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêt de la Cour du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec. p. 3057, point 16, et arrêt du 12 novembre 2008, Evropaïki Dynamiki/Commission, point 24 supra, point 133). Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les deux autres conditions (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec. p. I‑4199, point 81, et arrêt du Tribunal du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec. p. II‑515, point 37).

59      En l’espèce, ainsi qu’il ressort des considérations relatives aux conclusions en annulation, l’examen des moyens et des arguments de la requérante n’a révélé l’existence d’aucune illégalité. Il en résulte que la condition tenant à l’illégalité du comportement reproché à la Cour de justice fait défaut.

60      Il s’ensuit que, l’une des trois conditions d’engagement de la responsabilité de la Communauté n’étant pas remplie, la demande en indemnité doit être rejetée comme non fondée, et ce sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le point de savoir si la requérante a établi l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de protéger les particuliers ni de déterminer si la demande indemnitaire satisfait aux exigences de précision découlant de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.

61      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les recours doivent être rejetés dans leur intégralité.

 Sur les dépens

62      Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les recours sont rejetés.

2)      Computer Task Group Luxembourg PSF SA (CTG Luxembourg PSF) est condamnée aux dépens.

Moavero Milanesi

Wahl

Soldevila Fragoso

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 novembre 2011.

Signatures


* Langue de procédure : le français.