Language of document : ECLI:EU:C:2003:207

CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. PHILIPPE LÉGER

présentées le 8 avril 2003 (1)

Affaire C-224/01

Gerhard Köbler

contre

Republik Österreich

[demande de décision préjudicielle formée par le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien (Autriche)]

«Responsabilité des États membres du fait de la violation du droit communautaire - Violation imputable à une juridiction suprême - Conditions de la responsabilité de l'État - Libre circulation des personnes - Rémunération des professeurs d'université - Indemnité d'ancienneté - Discrimination indirecte»

Table des Matières

     I - Le cadre juridique national

    A - Sur le principe de la responsabilité de l'État

    B - Sur l'indemnité spéciale d'ancienneté des professeurs d'université

     II - Les faits et la procédure au principal

     III - Les questions préjudicielles

     IV - L'objet des questions préjudicielles

     V - Sur le principe de la responsabilité de l'État en cas de violation du droit communautaire du fait d'une juridiction suprême

    A - Les observations des parties

    B - Analyse

             1.    Le droit communautaire impose-t-il aux États membres une obligation de réparation du préjudice causé aux particuliers par la violation du droit communautaire du fait d'une juridiction suprême?

                 a)    La portée du principe jurisprudentiel de la responsabilité de l'État en cas de violation du droit communautaire

                     i)    L'arrêt Francovich e.a.

                     ii)    L'arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame

                 b)    Le rôle déterminant du juge national dans la mise en .uvre du droit communautaire

                 c)    L'état du droit interne des États membres en matière de responsabilité étatique du fait des juridictions

             2.    Les obstacles invoqués par certaines parties à la présente procédure ne sont pas de nature à exclure la responsabilité de l'État du fait de la méconnaissance du droit communautaire par une juridiction suprême

                 a)    Sur l'indépendance de la justice

                 b)    Sur le parallèle entre le régime de responsabilité des États membres et celui de la Communauté

                 c)    Sur le respect de l'autorité de la chose définitivement jugée

                 d)    Sur les garanties d'impartialité du juge national

     VI - Sur les conditions de fond requises pour mettre en .uvre la responsabilité de l'État du fait de la violation du droit communautaire par une juridiction suprême

    A - Observations des parties

    B - Analyse

             1.    La nature de la règle violée

             2.    La nature de la violation du droit communautaire

             3.    Le lien de causalité direct entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées

     VII - Sur la détermination de la juridiction compétente pour apprécier le bien-fondé de l'action en réparation

    A - Sur la détermination de la juridiction nationale compétente

    B - Sur le rôle respectif de la Cour et des juridictions nationales pour apprécier le bien-fondé de l'action en réparation

     VIII - Sur le cas d'espèce

     IX - Conclusion

1.
    La responsabilité d’un État membre en cas de violation du droit communautaire est-elle susceptible d’être engagée lorsque cette violation est le fait d’une juridiction suprême? L’État membre en question est-il tenu d’indemniser les particuliers pour les dommages qui en résultent? Si oui, quelles sont les conditions d’engagement d’une telle responsabilité?

2.
    Telles sont, en substance, les questions délicates que le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien (Autriche) pose à la Cour dans la présente procédure (2). Pour la première fois, celle-ci est invitée à préciser la portée du principe de la responsabilité de l’État pour les dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables. Ce principe a été posé par la Cour dans l’arrêt du 19 novembre 1991, Francovich e.a. (3), et a connu de nombreux développements depuis l’arrêt du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame (4), s’agissant de la responsabilité de l’État du fait du législateur ou de l’administration.

3.
    Il est intéressant d’observer que, parallèlement, la Cour est saisie d’un recours en manquement dans l’affaire C-129/00, Commission/Italie (5), mettant notamment en cause une jurisprudence dominante des juridictions nationales, en particulier de la Corte suprema di cassazione (Italie). Cette affaire invite la Cour à réfléchir à une problématique analogue à celle formulée dans la présente procédure: un État membre doit-il répondre des actes adoptés par ses organes juridictionnels (ou par certains d’entre eux) et, si oui, dans quelle mesure? Par ailleurs, la Cour est également saisie d’une question préjudicielle néerlandaise (6) visant à savoir si un organe administratif national est tenu, en vertu du droit communautaire, de revenir sur une décision dont il est l’auteur et qui a été confirmée par une décision de justice définitive, dans l’hypothèse où l’interprétation de la réglementation communautaire pertinente sur laquelle s’est fondée cette décision administrative serait démentie par la Cour, à l’occasion d’un arrêt préjudiciel prononcé ultérieurement. Cette question préjudicielle mérite d’être signalée bien que la problématique en cause soit relativement différente de celle qui nous occupe. Nous rendrons prochainement nos conclusions dans cette affaire.

I — Le cadre juridique national

A — Sur le principe de la responsabilité de l’État

4.
    En droit autrichien, le principe de la responsabilité de l’État est consacré par la Constitution fédérale (7) et défini par la loi fédérale du 18 décembre 1948 (8). L’article 2 de cette loi prévoit les dispositions suivantes:

«(1) Il n’est pas nécessaire de désigner un organe précis lors d’une demande en réparation; il suffit d’établir que le préjudice n’a pu être causé que par la violation du droit par un organe de la partie défenderesse.

(2) Le droit à réparation n’est pas reconnu lorsque la personne lésée aurait pu éviter le préjudice par voie de recours, notamment auprès du Verwaltungsgerichtshof [Autriche (9)].

(3) Une décision du Verfassungsgerichtshof [Autriche (10)], de l’Oberster Gerichtshof [Autriche(11)] ou du Verwaltungsgerichtshof ne donne pas droit à réparation.»

5.
    Il résulte de ces dispositions que la responsabilité de l’État autrichien est expressément exclue pour les dommages causés aux particuliers par des décisions émanant de juridictions suprêmes.

6.
    Par ailleurs, le contentieux de la responsabilité de l’État relève des compétences propres des juridictions de première instance en matière civile et commerciale [Landesgericht (Autriche), Handelsgericht Wien (Autriche)].

B — Sur l’indemnité spéciale d’ancienneté des professeurs d’université

7.
     L’article 50 bis du Gehaltsgesetz (loi salariale) de 1956 (12), tel que modifié en 2001 (13), prévoit qu’un professeur d’université peut bénéficier d’une indemnité spéciale d’ancienneté destinée à être prise en compte pour le calcul de sa pension de retraite. L’octroi de cette indemnité est subordonné, notamment, à l’acquisition de quinze ans d’ancienneté de professorat dans des universités autrichiennes.

II — Les faits et la procédure au principal

8.
    M. Köbler est lié, depuis le 1er mars 1986, à l’État autrichien par un contrat de droit public en qualité de professeur d’université titulaire à Innsbruck (Autriche). Par lettre du 28 février 1996 adressée à l’autorité administrative compétente, il a sollicité l’attribution de l’indemnité spéciale d’ancienneté des professeurs d’université. À l’appui de sa demande, il s’est prévalu de l’acquisition de quinze ans d’ancienneté en qualité de professeur titulaire auprès d’universités situées dans divers États membres de la Communauté européenne, notamment en Autriche. Cette demande a été rejetée au motif que l’intéressé ne remplissait pas les conditions d’ancienneté requises par l’article 50 bis de la loi salariale de 1956, à savoir l’acquisition d’une telle ancienneté exclusivement auprès d’universités autrichiennes.

9.
    M. Köbler a alors formé un recours contre cette décision devant le Verwaltungsgerichtshof. Il a fait valoir que les conditions d’ancienneté requises par ladite loi pour bénéficier de l’indemnité en cause reviennent à instaurer une discrimination indirecte contraire au principe de la libre circulation des travailleurs garanti par l’article 48 du traité CE (devenu, après modification, article 39 CE) et par le règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (14).

10.
    Compte tenu d’un tel débat, la juridiction suprême administrative a saisi la Cour d’une question préjudicielle afin de savoir si les articles 48 du traité et 1er à 3 du règlement n° 1612/68 doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre d’un système de rémunération qui prévoit que le traitement est également fonction, entre autres, de l’ancienneté, il y a lieu d’assimiler aux activités exercées antérieurement dans le pays considéré les activités équivalentes qui ont été exercées antérieurement dans un autre État membre (15).

11.
    Par lettre du 11 mars 1998, la Cour a demandé à la juridiction suprême administrative si elle estimait nécessaire de maintenir sa question préjudicielle compte tenu de l’arrêt du 15 janvier 1998, Schöning-Kougebetopoulou (16), intervenu entre-temps. La juridiction nationale a invité les parties à s’exprimer à ce sujet, étant observé que, de prime abord, le point de droit faisant l’objet de la question préjudicielle en cause a été résolu par ledit arrêt de la Cour dans un sens favorable aux prétentions de M. Köbler. Le 24 juin 1998, elle a finalement retiré sa question préjudicielle, puis débouté l’intéressé de sa demande au motif que l’indemnité spéciale d’ancienneté constitue une prime de fidélité justifiant objectivement une dérogation aux dispositions de droit communautaire relatives à la libre circulation des travailleurs.

12.
    Le 2 janvier 2001, M. Köbler a engagé une action en responsabilité contre la république d’Autriche devant le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien (17). Il soutient que l’arrêt de la juridiction suprême administrative du 24 juin 1998 a enfreint des dispositions de droit communautaire directement applicables. Selon lui, la jurisprudence de la Cour n’assimilerait pas l’indemnité litigieuse à une prime de fidélité. En conséquence, il demande à être indemnisé du préjudice qu’il aurait indûment subi du fait de la décision de justice en cause, cette dernière ayant refusé l’octroi de l’indemnité spéciale d’ancienneté à laquelle il serait en droit de prétendre, en vertu du droit communautaire. La république d’Autriche s’oppose à cette demande d’indemnisation au motif que l’arrêt de la juridiction suprême administrative ne serait pas contraire au droit communautaire et que, en tout état de cause, une décision d’une juridiction suprême (comme le Verwaltungsgerichtshof) ne saurait engager la responsabilité de l’État. Elle précise qu’une telle responsabilité est expressément exclue en droit autrichien sans que cela soit contraire, selon elle, aux exigences du droit communautaire.

III — Les questions préjudicielles

13.
    Eu égard aux thèses avancées par les parties, le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)    La jurisprudence de la Cour selon laquelle la responsabilité de l’État est engagée en cas de violation du droit communautaire, quel que soit l’organe de l’État membre auquel cette violation est imputable (notamment, par exemple, arrêt [.] Brasserie du pêcheur et Factortame), est-elle également applicable dans le cas où le comportement de l’organe réputé contraire au droit communautaire est constitué par une décision d’une juridiction suprême d’un État membre telle que, en l’espèce, le Verwaltungsgerichtshof?

2)    Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la première question:

    La jurisprudence de la Cour selon laquelle il appartient à l’ordre juridique de chaque État membre de désigner la juridiction compétente pour trancher les litiges qui mettent en cause des droits individuels, dérivés de l’ordre juridique communautaire (notamment, par exemple, arrêt du 17 septembre 1997, Dorsch Consult, C-54/96, Rec. p. I-4961), est-elle également applicable dans le cas où le comportement de l’organe réputé contraire au droit communautaire est constitué par une décision d’une juridiction suprême d’un État membre telle que, en l’espèce, le Verwaltungsgerichtshof?

3)    Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la deuxième question:

    La thèse juridique formulée dans l’arrêt susmentionné du Verwaltungsgerichtshof, selon laquelle l’indemnité spéciale d’ancienneté est une sorte de prime de fidélité, est-elle contraire à une disposition directement applicable du droit communautaire, en particulier au principe de non-discrimination indirecte établi à l’article 48 [du traité], et à la jurisprudence pertinente constante de la Cour à cet égard?

4)    Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la troisième question:

    Cette disposition du droit communautaire qui a été enfreinte crée-t-elle pour le demandeur au principal un droit subjectif?

5)    Dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la quatrième question:

    La Cour dispose-t-elle, sur la base du libellé de la demande préjudicielle, de toutes les informations lui permettant de juger elle-même si le Verwaltungsgerichtshof a manifestement et notablement abusé dans le cas d’espèce du pouvoir d’appréciation dont il dispose, ou bien s’en remet-elle à la juridiction autrichienne de renvoi pour trancher cette question?»

IV — L’objet des questions préjudicielles

14.
    La juridiction de renvoi soulève, en substance, quatre séries de questions. La première série porte sur l’éventuelle extension du principe jurisprudentiel de la responsabilité de l’État pour les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire à l’hypothèse où cette violation serait imputable à une juridiction suprême (18). La deuxième série concerne les conditions de fond d’engagement d’une telle responsabilité (19). La troisième série est relative à la détermination de la juridiction compétente pour apprécier si ces conditions de fond sont remplies (20). La quatrième série vise à savoir si, en l’espèce, ces conditions de fond sont réunies (21).

15.
    Il importe de souligner que toutes ces questions concernent exclusivement les juridictions suprêmes et non les juridictions ordinaires. En conséquence, nous limiterons notre analyse à la situation des juridictions suprêmes, à l’exclusion de celle des juridictions ordinaires.

16.
    Il convient d’examiner, tout d’abord, la question de principe. En fonction de la réponse qui y sera apportée, il conviendra d’examiner les questions suivantes.

V — Sur le principe de la responsabilité de l’État en cas de violation du droit communautaire du fait d’une juridiction suprême

A — Les observations des parties

17.
    Selon M. Köbler, il résulte de l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, que la responsabilité d’un État membre pour violation du droit communautaire peut être engagée quel que soit l’organe de l’État à l’origine de l’infraction. Peu importe que cet organe relève du pouvoir législatif, exécutif ou judiciaire. En outre, la responsabilité de l’État, du fait de son activité juridictionnelle, ne saurait être limitée aux juridictions ordinaires, à l’exclusion des juridictions suprêmes, car cela donnerait la possibilité aux États membres d’organiser leur système juridictionnel de manière à échapper à toute responsabilité et risquerait donc d’aboutir à des situations nationales disparates dans la protection juridictionnelle des particuliers.

18.
    Selon à la fois la république d’Autriche et le gouvernement autrichien, le droit communautaire ne saurait s’opposer à l’existence d’une législation excluant expressément la responsabilité de l’État du fait de la violation du droit — y compris du droit communautaire — par ses juridictions suprêmes. En effet, une telle législation ne rendrait pas la mise en .uvre du droit communautaire impossible ou excessivement difficile dès lors que les parties sont en mesure d’invoquer le droit communautaire devant les juridictions suprêmes. Elle serait justifiée par des exigences de sécurité juridique tenant à la nécessité de clôturer définitivement les litiges. En outre, l’institution d’un principe de la responsabilité de l’État du fait de ses juridictions suprêmes supposerait que la responsabilité de la Communauté puisse également être engagée du fait de la Cour, ce qui serait difficilement concevable dès lors que la Cour deviendrait à la fois juge et partie.

19.
    Cette position est largement partagée par les gouvernements français et du Royaume-Uni.

20.
    Selon le gouvernement français, par l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, la Cour n’aurait ni expressément ni implicitement inclus les organes juridictionnels parmi les organes susceptibles d’engager la responsabilité de l’État en cas de violation du droit communautaire. En effet, le principe fondamental du respect de l’autorité de la chose définitivement jugée s’opposerait à l’institution d’un mécanisme de responsabilité de l’État du fait du contenu d’une décision émanant d’une juridiction suprême. Ce principe devrait prévaloir sur le droit à réparation. En outre, le système des voies de recours mis en place dans les États membres, complété par le mécanisme du renvoi préjudiciel prévu à l’article 234 CE, offrirait aux justiciables une garantie suffisante contre le risque d’erreur d’interprétation du droit communautaire. À titre subsidiaire, le gouvernement français a indiqué, lors de l’audience, que la responsabilité de l’État du fait des juridictions suprêmes devrait être soumise à un régime spécifique particulièrement restrictif, radicalement différent de celui de l’État du fait du législateur ou de l’administration, compte tenu de la spécificité des conditions d’exercice de la fonction de juger.

21.
    Selon le gouvernement du Royaume-Uni, il ressort de l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, que la Cour semblait prête à admettre la possibilité de mettre en cause la responsabilité de l’État pour des actes juridictionnels. Cela étant, l’engagement de la responsabilité de l’État du fait de ses organes juridictionnels ne pourrait être envisagé que de manière très restrictive. Cette approche restrictive s’imposerait d’autant plus au regard de la jurisprudence de la Cour en matière de responsabilité extracontractuelle de la Communauté à propos de la méconnaissance par le Tribunal de première instance des Communautés européennes des exigences tenant au respect d’un délai raisonnable dans le cadre d’un procès équitable. En outre, l’éventuelle admission d’un tel mécanisme de responsabilité de l’État serait contraire aux principes fondamentaux tenant à la sécurité juridique et, en particulier, au respect de la chose jugée, à la réputation et à l’indépendance de la justice ainsi qu’à la nature des rapports entre la Cour et les juges nationaux. Enfin, selon le gouvernement du Royaume-Uni, il serait contestable de confier l’examen de procédures en responsabilité de l’État du fait de ses organes juridictionnels aux juridictions nationales de ce même État au regard des exigences d’impartialité, sauf à imaginer que lesdites juridictions saisissent la Cour de questions préjudicielles en la matière, ce qui reviendrait à instituer une voie de recours devant la Cour, contrairement à la volonté des rédacteurs du traité CE.

22.
    Les gouvernements allemand et néerlandais ne s’opposent pas à l’idée d’une responsabilité de l’État du fait de ses juridictions suprêmes. Toutefois, à l’audience, le gouvernement néerlandais a soutenu qu’il s’agit là d’une question relevant du droit interne et non du droit communautaire et que, en tout état de cause, une telle responsabilité de l’État devrait être limitée à des cas très exceptionnels. Le gouvernement allemand plaide également pour un régime de responsabilité exceptionnel inspiré de celui existant dans son ordre interne.

23.
    Selon la Commission des Communautés européennes, le principe de la responsabilité de l’État pour tout type d’autorité publique découle à la fois du traité (articles 10 et 249, paragraphes 2 et 3, CE) et de la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle il incombe à chacun des États membres de s’assurer que les particuliers obtiennent réparation du préjudice que leur cause le non-respect du droit communautaire, quelle que soit l’autorité publique auteur de cette violation.

B — Analyse

24.
    Nous examinerons, d’une part, si dans de telles circonstances le droit communautaire impose aux États membres une obligation de réparation à l’égard des particuliers et si, d’autre part, les obstacles avancés par certaines parties à la présente procédure s’opposent à la reconnaissance d’une telle obligation.

1. Le droit communautaire impose-t-il aux États membres une obligation de réparation du préjudice causé aux particuliers par la violation du droit communautaire du fait d’une juridiction suprême?

25.
    Nous estimons qu’il convient de répondre positivement à cette question (22). Cette réponse est fondée sur trois séries d’arguments tenant, premièrement, à la large portée conférée par la Cour au principe de la responsabilité de l’État en cas de violation du droit communautaire, deuxièmement, au rôle déterminant du juge national dans la mise en .uvre du droit communautaire, en particulier, lorsqu’il agit en qualité de juge suprême et, troisièmement, à la situation existante dans les États membres, notamment au regard des exigences de protection des droits fondamentaux.

a) La portée du principe jurisprudentiel de la responsabilité de l’État en cas de violation du droit communautaire

26.
    La portée du principe de la responsabilité de l’État en cas de violation du droit communautaire doit être analysée au regard des deux arrêts de référence précités de la Cour en la matière, à savoir, tout d’abord, l’arrêt Francovich e.a. et, ensuite, l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame.

i) L’arrêt Francovich e.a.

27.
    Le principe de la responsabilité de l’État a été posé par la Cour dans l’arrêt Francovich e.a. précité, dans une hypothèse particulière caractérisée par l’absence de transposition d’une directive dépourvue d’effet direct, ce qui empêche les particuliers de se prévaloir devant les juridictions nationales des droits qui leur sont conférés par cette directive (23). En dépit de la spécificité de la situation litigieuse, particulièrement «pathologique», la Cour s’est exprimée dans des termes très généraux: «le droit communautaire impose le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables» (24). Aucune précision n’a été donnée sur l’organe étatique à l’origine du dommage.

28.
    Cette conclusion se fonde sur une analyse dont la portée est également très générale. En effet, selon la Cour, «le principe de la responsabilité de l’État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables est inhérent au système du traité» (25). Ce principe est en quelque sorte consubstantiel au système du traité, il lui est nécessairement attaché. Ce lien indissoluble et irréductible entre le principe de la responsabilité de l’État et le système du traité tient à la spécificité de l’ordre juridique communautaire.

29.
    En effet, la Cour rappelle que «le traité CEE a créé un ordre juridique propre, intégré aux systèmes juridiques des États membres et qui s’impose à leurs juridictions, dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs ressortissants et que, de même qu’il crée des charges dans le chef des particuliers, le droit communautaire est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique; ceux-ci naissent non seulement lorsqu’une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison d’obligations que le traité impose d’une manière bien définie tant aux particuliers qu’aux États membres et aux institutions communautaires» (26).

30.
    En outre, selon «une jurisprudence constante, il incombe aux juridictions nationales, chargées d’appliquer dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit communautaire, d’assurer le plein effet de ces normes et de protéger les droits qu’elles confèrent aux particuliers» (27).

31.
    La Cour déduit de ces deux prémisses que «la pleine efficacité des normes communautaires serait mise en cause et la protection des droits qu’elles reconnaissent serait affaiblie si les particuliers n’avaient pas la possibilité d’obtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit communautaire imputable à un État membre» (28).

32.
    Accessoirement, la Cour indique que, en vertu de l’article 5 du traité CE (devenu article 10 CE), les États membres sont tenus d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit communautaire (29).

33.
    Plusieurs enseignements peuvent être tirés de cette démonstration.

34.
    Tout d’abord, comme l’avocat général Tesauro l’a souligné dans ses conclusions dans l’affaire Brasserie du pêcheur et Factortame, précitée, «dans l’arrêt Francovich e.a., la Cour ne s’est pas bornée à laisser au droit national le soin de tirer toutes les conséquences juridiques découlant de la violation de la norme communautaire, mais a estimé que le droit communautaire imposait à l’État une obligation de réparation à l’égard du particulier» (30).

35.
    En outre, cette obligation de réparation constitue un principe fondamental du droit communautaire, aussi fondamental que celui de la primauté du droit communautaire ou de l’effet direct. En effet, à l’instar de ces deux principes, l’obligation pour l’État de réparer les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire participe à garantir la pleine efficacité du droit communautaire au moyen d’une protection juridictionnelle effective des droits que les particuliers tirent de l’ordre juridique communautaire. Bien plus, le principe de la responsabilité de l’État constitue le prolongement nécessaire du principe général de protection juridictionnelle effective ou du «droit au juge», dont l’importance a été régulièrement soulignée par la Cour et dont la portée a été constamment étendue au fil de sa jurisprudence.

36.
    Selon nous, le raisonnement adopté par la Cour dans l’arrêt Francovich e.a., précité, est pleinement transposable à l’hypothèse d’une violation du droit communautaire du fait d’une juridiction suprême. La pleine efficacité des normes communautaires serait mise en cause et la protection des droits qu’elles reconnaissent serait affaiblie si les particuliers n’avaient pas la possibilité d’obtenir réparation lorsque leurs droits sont lésés par une violation du droit communautaire imputable à une juridiction suprême.

37.
    En effet, il ne suffit pas que les particuliers soient en droit de se prévaloir du droit communautaire devant une juridiction suprême afin d’obtenir une protection juridictionnelle effective des droits qu’ils tirent de l’ordre juridique communautaire ni que cette juridiction soit tenue de mettre en .uvre correctement le droit communautaire. Encore faut-il que, dans l’hypothèse où une juridiction suprême rendrait une décision contraire au droit communautaire, les particuliers soient en mesure d’obtenir réparation, du moins lorsque certaines conditions sont remplies.

38.
    Or, en l’absence de possibilité de recours contre une décision émanant d’une juridiction suprême, seule une action en responsabilité permet — in ultima ratio — de garantir le rétablissement du droit lésé et, finalement, d’assurer à la protection juridictionnelle effective, des droits que les particuliers tirent de l’ordre juridique communautaire, un niveau approprié (31).

39.
    À cet égard, il importe de garder présent à l’esprit que, en dépit des considérables avantages que peut présenter pour les particuliers l’engagement de la responsabilité de l’État, «le rétablissement du contenu patrimonial constitue [seulement] un pis-aller, un remède minimal par rapport à l’hypothèse d’un rétablissement complet sur le plan substantiel, qui reste le moyen de protection optimal» (32). Rien ne vaut en effet la protection substantielle, directe et immédiate des droits que les particuliers tirent de l’ordre juridique communautaire.

40.
    En conséquence, nous estimons que le principe de la responsabilité de l’État en cas de violation du droit communautaire doit être étendu à l’hypothèse où cette violation serait le fait d’une juridiction suprême. Cette conclusion s’impose d’autant plus au regard de l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité.

ii) L’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame

41.
    Dans l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, la Cour a déduit de sa jurisprudence Francovich e.a., précitée, que le principe de la responsabilité de l’État — dès lors qu’il est inhérent au système du traité — est valable pour toute hypothèse de violation du droit communautaire, et ce quel que soit l’organe de l’État dont l’action ou l’omission est à l’origine du manquement (33).

42.
    Par cette affirmation, la Cour ne se fonde plus seulement sur le système du traité. Elle se fonde également sur l’impératif d’uniformité d’application du droit communautaire ainsi que sur l’utile rapprochement avec la responsabilité de l’État dans l’ordre juridique international.

43.
    S’agissant de l’uniformité d’application du droit communautaire, la Cour a jugé que, «eu égard à l’exigence fondamentale de l’ordre juridique communautaire que constitue l’uniformité d’application du droit communautaire [.], l’obligation de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire ne saurait dépendre des règles internes de répartition des compétences entre les pouvoirs constitutionnels» (34). Selon nous, cette exigence fondamentale de l’ordre juridique communautaire s’impose aux autorités juridictionnelles avec la même force qu’aux autorités parlementaires. En effet, la garantie du respect du droit communautaire — à laquelle participe dans une large mesure le mécanisme de responsabilité de l’État (35) — ne saurait varier au gré des États membres, en fonction des règles internes concernant la répartition des compétences entre les pouvoirs constitutionnels ou celles concernant le statut et les conditions d’exercice des institutions étatiques.

44.
    S’agissant de la responsabilité de l’État en droit international, la Cour a jugé que, «dans l’ordre juridique international, l’État, dont la responsabilité serait engagée du fait de la violation d’un engagement international, est également considéré dans son unité, que la violation à l’origine du préjudice soit imputable au pouvoir législatif, judiciaire ou exécutif» (36). La Cour a ajouté qu’il doit en être d’autant plus ainsi dans l’ordre juridique communautaire qu’un intérêt majeur est porté à la situation juridique des particuliers (37).

45.
    Ce faisant, comme l’a souligné le gouvernement français, la Cour a entendu faire référence au principe de l’unité de l’État. Il importe désormais d’en tirer toutes les conséquences s’agissant de la responsabilité de l’État du fait d’une juridiction suprême. En effet, il est communément admis en droit international que ce principe, de nature coutumière, revêt une double signification.

46.
    En premier lieu, ce principe signifie qu’un fait illicite est nécessairement attribué à l’État, et non à l’organe étatique qui en est l’auteur. En effet, seul l’État a la qualité de sujet de droit international, à l’exclusion de ses organes. À ce titre, seule sa responsabilité est susceptible d’être engagée (38). Ce principe n’est pas étranger au droit communautaire (39) ni d’ailleurs au droit interne (40). En effet, comme nous l’avions déjà indiqué dans nos conclusions dans l’affaire Hedley Lomas, précitée, «le droit communautaire ne connaît qu’un responsable (l’État), de même que le recours en manquement ne connaît qu’un défendeur (l’État)» (41). Il en résulte que «[c]e n’est pas un organe de l’État déterminé mais l’État membre en tant que tel qui doit indemniser» (42).

47.
    En second lieu, la règle de l’unité de l’État implique que ce dernier est responsable des dommages qu’il cause par toute action ou toute omission contraire à ses obligations internationales, quelle que soit l’autorité étatique dont elle procède. Ce principe est clairement mis en évidence par l’article 4, paragraphe 1, du projet d’articles sur la responsabilité des États, qui a été élaboré par la Commission de droit international et qui a été approuvé, le 28 janvier 2002, par une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies (43). Cet article dispose que «le comportement de tout organe de l’État (44) est considéré comme un fait de l’État d’après le droit international, que cet organe exerce des fonctions législatives, exécutives, judiciaires ou autres, quelle que soit la position qu’il occupe dans l’organisation de l’État et quelle que soit sa nature en tant qu’organe du gouvernement central ou d’une collectivité territoriale de l’État» (45).

48.
    À ce propos, il est intéressant d’observer que la responsabilité internationale d’un État a déjà été reconnue — relativement tôt — dans le cas où le contenu d’une décision de justice définitive méconnaissait des obligations internationales de l’État en question (46). Un tel cas est regardé, en droit international, comme un déni de justice, c’est-à-dire un manquement à l’obligation coutumière — et de plus en plus conventionnelle — de protection juridictionnelle par l’État des ressortissants étrangers (47).

49.
    Le système institué par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH») apporte un éclairage intéressant à la question de la responsabilité de l’État du fait d’une juridiction suprême. En effet, les particuliers peuvent directement mettre en cause, devant la Cour européenne des droits de l’homme, la responsabilité de l’État du fait d’une juridiction nationale, à raison d’un manquement aux exigences du procès équitable — in procedendo —, mais aussi à raison de la violation d’une règle de fond — in iudicando — de nature à affecter le contenu même de la décision de justice (48). À la faveur d’une telle procédure, les justiciables sont susceptibles de bénéficier d’une indemnité sous la forme d’une «satisfaction équitable». Comme certains gouvernements l’ont indiqué, il est intéressant d’observer que la règle de l’épuisement des voies de recours interne implique que la décision de justice litigieuse émane d’une juridiction suprême. En revanche, il n’est pas évident que l’article 13 de la CEDH impose aux États contractants l’obligation de mettre à la disposition des particuliers un droit de recours interne — y compris un recours en responsabilité — contre une décision de justice (49).

50.
    Ces considérations sur l’unité de l’État en droit international sont bien connues en droit communautaire. C’est dans ce sens que s’inscrit le principe, figurant au point 34 de l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, selon lequel, «dans l’ordre juridique communautaire [.] toutes les instances de l’État, y compris le pouvoir législatif, sont tenues, dans l’accomplissement de leurs tâches, au respect des normes imposées par le droit communautaire». C’est en application de ce principe que la Cour a précisé, au point 35 dudit arrêt, que «la circonstance que le manquement reproché est, au regard des règles internes, imputable au législateur national n’est pas de nature à remettre en cause les exigences inhérentes à la protection des droits des particuliers qui se prévalent du droit communautaire et, en l’occurrence, le droit d’obtenir réparation du préjudice causé par ledit manquement devant les juridictions nationales».

51.
    Il résulte de l’ensemble de ces développements que, par l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, la Cour ne s’est pas bornée à reconnaître expressément, dans l’ordre juridique communautaire, le principe de la responsabilité de l’État du fait du législateur. En réalité, elle a aussi — implicitement, mais nécessairement — étendu ce principe à l’activité juridictionnelle, en tout cas à celle émanant des juridictions suprêmes (50). La présente procédure donne donc à la Cour l’occasion de préciser explicitement ce qu’elle a déjà implicitement entendu.

52.
    En tout état de cause, à supposer que cette lecture de l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, ne soit pas retenue, nous ne voyons pas comment la Cour pourrait se prononcer autrement qu’en faveur de la responsabilité de l’État du fait d’une juridiction suprême. En effet, outre qu’elle s’inscrirait harmonieusement dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour dont il vient d’être fait largement état, l’admission d’une telle responsabilité apparaît comme le corollaire de la mission — de premier ordre — assignée aux juridictions suprêmes dans la protection directe, immédiate et effective des droits que les particuliers tirent de l’ordre juridique communautaire. La situation qui prévaut dans les États membres, en particulier au regard des exigences de protection des droits fondamentaux, plaide également en ce sens.

b) Le rôle déterminant du juge national dans la mise en .uvre du droit communautaire

53.
    Constituées par le droit, les Communautés européennes se sont développées et consolidées essentiellement au moyen du droit. Ayant pour fonction d’appliquer le droit, y compris le droit communautaire, le juge national constitue inéluctablement un rouage essentiel dans l’ordre juridique communautaire. Placé au «carrefour» de plusieurs systèmes juridiques, il a vocation à apporter une importante contribution à l’application effective du droit communautaire et, finalement, au développement du processus d’intégration européenne. Dès lors, on comprend que la Cour n’ait eu de cesse, au fil de sa jurisprudence, de souligner le rôle déterminant du juge national dans la mise en .uvre du droit communautaire. On peut d’ailleurs y voir l’élaboration progressive d’une véritable «éthique juridictionnelle communautaire» (51). Comme l’a souligné Barav, A., «tant la primauté du droit communautaire que son effet direct constituent, avant tout, des interpellations des juridictions nationales» (52). En effet, en vertu de ces deux principes (53), le juge national est invité à jouer à la fois un rôle d’arbitre dans le cadre d’un conflit de normes — internes et communautaires — et de protecteur «naturel» des droits que les particuliers tirent du droit communautaire.

54.
    L’office du juge national s’articule autour d’une double obligation: celle d’interpréter, dans toute la mesure du possible, son droit interne conformément au droit communautaire et, à défaut d’une telle possibilité, d’écarter l’application du droit interne contraire au droit communautaire (54).

55.
    S’agissant de l’obligation d’interprétation conforme, elle a été posée par la Cour à la fois à l’égard du droit communautaire primaire (les dispositions du traité) (55) et dérivé (en particulier les directives). À cet égard, la Cour a jugé que l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de l’article 5 du traité, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent à toutes les autorités des États membres, y compris dans le cadre de leurs compétences, aux autorités juridictionnelles. Elle en a conclu que, «en appliquant le droit national, [qu’il s’agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive] la juridiction nationale appelée à l’interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l’article 189, troisième alinéa, du traité CE (devenu article 249, troisième alinéa, CE» (56). La Cour a précisé que «[l]e principe de l’interprétation conforme s’impose tout spécialement à la juridiction nationale lorsqu’un État membre a estimé [.] que les dispositions préexistantes de son droit national répondaient aux exigences de la directive concernée» (57), de sorte qu’il n’a pas cru utile de procéder à sa transposition en droit interne.

56.
    La seule limite qui s’impose au juge national, dans le cadre de cet exercice d’interprétation conforme, est de ne pas opposer à un particulier une obligation prévue par une directive non transposée ou de déterminer ou d’aggraver, sur la base de la directive et en l’absence d’une loi prise pour sa mise en .uvre, la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions (58).

57.
    S’agissant de l’obligation d’écarter l’application du droit interne contraire au droit communautaire, elle a été vigoureusement affirmée par la Cour dans l’arrêt Simmenthal, précité. Se fondant sur les principes de l’applicabilité directe et de la primauté du droit communautaire, la Cour a posé l’exigence selon laquelle «le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence [en tant qu’organe d’un État membre], les dispositions du droit communautaire a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel» (59).

58.
    Il ressort de l’arrêt Simmenthal, précité, que le juge national est tenu à une obligation majeure, comparable à une obligation de résultat. Il doit assurer la protection immédiate des droits que les particuliers tirent de l’ordre juridique communautaire. Cette exigence d’immédiateté dans la protection des droits conférés par le droit communautaire répond à un double objectif d’effectivité: effectivité de la protection et, en conséquence, effectivité de la règle de droit elle-même.

59.
    À cet égard, il a été souligné que, si le juge national, comme tout organe d’un État membre, est tenu d’appliquer le droit communautaire, sa mission est «d’autant plus cruciale que, ‘face au stade ultime de l’exécution de la règle’, il est le garant du respect de celle-ci» (60). Sa position est d’autant plus «stratégique» qu’il lui appartient d’apprécier l’articulation de son droit interne avec le droit communautaire et d’en tirer les conséquences qui s’imposent. Ainsi, il n’est plus nécessairement, comme pouvait le dire autrefois Montesquieu, «la bouche de la loi». Bien au contraire, il est tenu de porter un regard critique sur son droit interne afin de s’assurer, avant de l’appliquer, de sa conformité au droit communautaire. S’il estime que son droit interne est insusceptible d’interprétation conforme, il lui appartient d’exclure son application et même d’appliquer des dispositions de droit communautaire à la place de son droit interne par un jeu de substitution de normes, à moins qu’il en résulte — là aussi — une aggravation de la situation juridique des particuliers (61).

60.
    Cette jurisprudence a largement contribué à valoriser l’office du juge, à renforcer son autorité au sein de l’État, au prix, dans certains systèmes juridiques nationaux, d’évolutions d’ordre constitutionnel. En même temps, cela implique de sa part un nécessaire effort d’adaptation à un environnement juridique élargi et complexifié en raison des difficultés que peut susciter l’articulation entre le droit interne et le droit communautaire. Toutefois, il importe de souligner que le juge national n’est pas totalement livré à lui-même, il peut être aidé dans cette tâche par la Cour, grâce au mécanisme de coopération judiciaire que constitue la procédure de la question préjudicielle.

61.
    Dans le prolongement de l’arrêt Simmenthal, précité, la Cour a jugé, dans l’arrêt Factortame e.a., précité (62), que le juge national doit écarter tout obstacle de droit interne qui l’empêcherait d’ordonner, si nécessaire, des mesures provisoires destinées à protéger des droits que les particuliers prétendent tirer du droit communautaire. Il s’agissait en l’espèce d’ordonner des mesures provisoires dans l’attente du prononcé par le juge national d’une décision au fond sur l’existence des droits invoqués par des particuliers sur le fondement du droit communautaire, cet élément étant lui-même subordonné à la réponse de la Cour à une question préjudicielle posée par ledit juge sur l’interprétation des règles communautaires concernées. Cet arrêt témoigne du souci de la Cour d’éviter que les particuliers subissent un préjudice — supposé irréparable — du fait de l’application par le juge national de normes nationales dont la conformité au droit communautaire pouvait raisonnablement être mise en doute. L’exigence de protection immédiate des droits que les particuliers tirent de l’ordre juridique communautaire est loin d’être négligeable, puisque la Cour investit le juge national d’une mission particulièrement efficace et opérationnelle, qui le rapproche d’un juge des référés.

62.
    L’implication du juge national dans la protection des droits tirés de l’ordre juridique communautaire se manifeste avec une particulière intensité dans le cadre du contentieux de la répétition de l’indu. Dès 1983, la Cour a jugé que «le droit d’obtenir le remboursement de taxes perçues par un État membre en violation des règles du droit communautaire est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions communautaires interdisant les taxes d’effet équivalant aux droits de douane ou, selon le cas, l’application discriminatoire de taxes intérieures» (63). Ce droit au remboursement implique la mise à disposition au niveau national d’une voie de droit appropriée permettant aux particuliers de récupérer intégralement les sommes qu’ils ont à tort et effectivement supportées. Il implique corrélativement, pour le juge national, l’obligation d’enjoindre à l’administration de restituer les sommes litigieuses aux intéressés.

63.
    Cette jurisprudence constitue une avancée importante dans la définition de l’office du juge national. En effet, non seulement ce dernier est tenu de se dégager des dispositions de son droit interne — contraires au droit communautaire — pour faire droit à la demande de remboursement (dans le prolongement de l’arrêt Simmenthal, précité), mais en plus, il est contraint d’enjoindre à l’administration de procéder au remboursement (64).

64.
    Une étape décisive et complémentaire a été franchie avec les arrêts précités Francovich e.a. et Brasserie du pêcheur et Factortame. Comme on le sait, la Cour a posé le principe de la responsabilité de l’État pour les dommages causés aux particuliers par des violations du droit communautaire qui lui sont imputables. Il en résulte que les particuliers sont en droit d’obtenir réparation en mettant en cause — devant le juge national — la responsabilité de l’État. Ce mécanisme de responsabilité vient utilement compléter celui de la répétition de l’indu, dans l’hypothèse où le préjudice causé par un organe étatique ne résulterait pas de l’exécution d’un ordre de paiement d’une somme d’argent et ne peut, dès lors, être réparé par la restitution d’une telle somme. Il permet également de surmonter les limites de l’obligation d’interprétation conforme et de la portée juridique des directives (65).

65.
    Enfin, il convient d’avoir présent à l’esprit que, dans certains cas, les juridictions nationales sont tenues de soulever d’office un moyen de droit tiré de l’ordre juridique communautaire, dans l’hypothèse où aucune des parties ne s’en serait prévalue (66).

66.
    On peut aisément déduire de l’ensemble de cette jurisprudence que la Cour confère au juge national un rôle capital dans la mise en .uvre du droit communautaire et dans la protection des droits qui en découlent pour les particuliers. On se plaît d’ailleurs à qualifier le juge national, selon une expression communément employée, de «juge communautaire de droit commun». Cette expression ne doit pas être entendue de manière littérale, mais plutôt symbolique. En effet, lorsque le juge national connaît du droit communautaire, c’est en tant qu’organe d’un État membre (67), et non en tant qu’organe communautaire, à la suite d’une opération de dédoublement fonctionnel.

67.
    Ce rôle capital du juge national dans la mise en .uvre du droit communautaire s’est finalement traduit par la reconnaissance d’un «droit au juge» et par sa consécration comme principe général du droit communautaire. En effet, la Cour a jugé que «[l]e contrôle juridictionnel [.] est l’expression d’un principe général de droit qui se trouve à la base des traditions constitutionnelles communes aux États membres [. et qui] a également été consacré par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales» (68).

68.
    Cette notion de «droit au juge» est le corollaire de l’État de droit. En effet, comme l’a indiqué l’avocat général Darmon dans ses conclusions dans l’affaire Johnston, précitée, «[s]i le principe de légalité est la pierre angulaire de l’État de droit, il n’est pas exclusif de la prise en considération des nécessités de l’ordre public. Il se doit même de les intégrer pour que puisse être assurée la survie de l’État tout en prévenant l’arbitraire. À cet effet, le contrôle juridictionnel constitue une garantie fondamentale: le droit au juge est inhérent à l’État de droit» (69). Il en a conclu que, «[c]onstituée d’États de droit, la Communauté européenne est nécessairement une Communauté de droit. Sa création comme son fonctionnement, autrement dit le pacte communautaire, reposent sur l’égal respect par les États membres de l’ordre juridique communautaire» (70). On peut en conclure que le «droit au juge» est à la fois «une conquête et un instrument de l’État de droit» (71).

69.
    Ces considérations trouvent aujourd’hui un écho significatif dans l’article 6, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne, issu du traité de Maastricht, puisqu’on peut y lire que «[l]’Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit, principes qui sont communs aux États membres».

70.
    Nous estimons que l’égal respect par les États membres de l’ordre juridique communautaire, conformément aux exigences d’une Communauté de droit constituée d’États de droit, implique que les États membres sont tenus pour responsables en cas de violation du droit communautaire, quel que soit l’organe qui en est l’auteur, législatif, exécutif ou judiciaire. En effet, on ne voit pas comment un État membre pourrait a priori échapper à toute responsabilité du fait de ses juridictions suprêmes alors que, précisément, ces dernières ont pour mission d’appliquer et de faire respecter le droit communautaire. Il y aurait manifestement là un paradoxe insurmontable. Il en résulte que, si la spécificité de la fonction juridictionnelle, par rapport à celle de l’administration ou du législateur, peut justifier l’institution d’un régime de responsabilité particulier, elle ne saurait en aucun cas justifier a priori une exclusion du principe de la responsabilité de l’État du fait de ses juridictions suprêmes.

71.
    Cette conclusion est à la mesure du rôle éminent des juridictions suprêmes dans la mise en .uvre du droit communautaire.

72.
    En effet, conformément à leurs fonctions traditionnelles d’unification de l’interprétation du droit, ces dernières sont chargées de s’assurer du respect, par les autres juridictions nationales, de la mise en .uvre correcte et effective du droit communautaire. À ce titre, il leur incombe de porter une attention toute particulière à la conformité du droit interne à l’égard du droit communautaire et d’en tirer les conséquences qui s’imposent.

73.
    D’ailleurs, l’expérience démontre que les juridictions suprêmes se trouvent régulièrement confrontées à des situations justifiant un tel examen et sont ainsi amenées à procéder à une interprétation conforme des dispositions nationales, voire à les écarter en raison de leur incompatibilité ou de leur contrariété avec le droit communautaire. La jurisprudence de la Cour sur le point de droit concerné apporte assurément des éléments utiles à leur réflexion, à cet égard (72). De plus, certaines juridictions suprêmes n’hésitent pas à faire preuve d’une grande vigilance en ce qui concerne l’obligation de soulever d’office l’application du droit communautaire (73).

74.
    En outre, il importe de rappeler que les auteurs du traité ont investi les juridictions suprêmes d’un rôle déterminant dans la mise en .uvre du mécanisme de coopération juridictionnelle que constitue la procédure préjudicielle. En effet, l’article 234 CE prévoit que, contrairement aux autres juridictions nationales qui disposent d’une simple faculté de saisir la Cour d’une question préjudicielle, les juridictions dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours sont tenues de le faire (74).

75.
    L’importance de l’obligation de renvoi, posée par l’article 234 CE, a été soulignée avec force par la Cour dans l’arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a. (75). L’institution d’une telle obligation vise à éviter que s’établissent des divergences de jurisprudence à l’intérieur de la Communauté sur des questions de droit communautaire (76). C’est aux juridictions suprêmes que revient la charge de poser des questions préjudicielles, afin d’éviter que perdurent ou apparaissent des divergences de jurisprudence entre les États membres et, en particulier, entre les juridictions ordinaires de l’État dans lequel elles exercent leurs fonctions.

76.
    L’ensemble de ces développements démontre combien le rôle des juridictions nationales — et, au premier chef, celui des juridictions suprêmes — est déterminant dans la mise en .uvre du droit communautaire et dans la protection des droits qui en découlent pour les particuliers. Ce rôle déterminant implique nécessairement, en contrepartie, l’admission d’un principe de la responsabilité de l’État du fait des juridictions suprêmes. Afin de s’en convaincre encore davantage — si besoin il y a — il suffit de prendre connaissance de l’état du droit interne des États membres à cet égard.

c) L’état du droit interne des États membres en matière de responsabilité étatique du fait des juridictions

77.
    À notre connaissance, tous les États membres admettent le principe de la responsabilité de l’État du fait de l’activité juridictionnelle. Tous — hormis pour l’instant l’Irlande (77) — admettent ce principe à propos des décisions juridictionnelles proprement dites, dès lors qu’elles méconnaissent des règles de droit applicables sur leur territoire, en particulier, en cas d’atteinte à des droits fondamentaux.

78.
    Toutefois, la portée de ce principe varie en fonction de la nature de la règle de droit méconnue et/ou de l’origine de la décision juridictionnelle.

79.
    S’agissant de la nature de la règle de droit, seuls le Royaume-Uni et le royaume des Pays-Bas limitent clairement le jeu de la responsabilité de l’État à l’hypothèse d’une méconnaissance des règles posées à l’article 5 (en cas de privation de liberté), voire à l’article 6 de la CEDH (concernant les garanties du procès équitable, in procedendo, c’est-à-dire au cours de l’élaboration de la décision de justice, et non les garanties in iudicando, c’est-à-dire celles afférentes au contenu de la décision elle-même).

80.
    Tous les autres États membres (78) — hormis les Républiques hellénique, portugaise et française qui connaissent une situation évolutive et plus nuancée — admettent le principe de la responsabilité de l’État quelle que soit la nature de la règle de droit violée.

81.
    S’agissant de l’origine de la décision juridictionnelle, seuls la république d’Autriche et le royaume de Suède limitent la responsabilité de l’État aux décisions émanant des juridictions ordinaires, à l’exclusion de celles prononcées par des juridictions suprêmes. La législation suédoise excluant la responsabilité de l’État du fait des juridictions suprêmes a, semble-t-il, été inspirée par l’absence de juridiction nationale adéquate pour examiner une éventuelle action en responsabilité de ce type. Toutefois, cette exclusion de responsabilité ne joue pas lorsqu’une décision a été révoquée ou modifiée par la juridiction suprême elle-même.

82.
    Il résulte de ces données de droit comparé que, en dépit des divergences existantes à ce jour, le principe de la responsabilité de l’État — du fait d’une décision d’une juridiction suprême portant violation d’une règle de droit — est généralement reconnu par les États membres, ou du moins une forte tendance se dessine en ce sens.

83.
    Cette reconnaissance n’est pas seulement d’origine normative (constitutionnelle ou législative), mais également d’origine jurisprudentielle. Il est intéressant de signaler que le royaume de Belgique est le seul État membre qui ait reconnu, par la voie jurisprudentielle, le principe général de la responsabilité de l’État du fait de son activité juridictionnelle. Ce principe a été posé par un arrêt de la Cour de cassation (Belgique) du 19 décembre 1991, De Keyser (79), dans le cadre d’un litige opposant un particulier à l’État belge, à la suite d’une décision de justice passée en force de chose jugée, au motif que cette décision a déclaré la faillite d’office d’une société, en méconnaissance des principes de publicité et du contradictoire. Cette juridiction suprême a jugé que «les principes de séparation des pouvoirs, de l’indépendance du pouvoir judiciaire et des magistrats qui le composent, ainsi que l’autorité de la chose jugée n’impliquent pas que l’État serait, d’une manière générale, soustrait à l’obligation, résultant des dispositions légales précitées (articles 1382 et 1383 du code civil), de réparer le dommage causé à autrui par sa faute ou celle de ses organes dans l’administration du service public de la justice, notamment dans l’accomplissement des actes qui constituent l’objet direct de la fonction juridictionnelle».

84.
    Enfin, il est intéressant d’observer que, en Italie, ce principe de la responsabilité, d’origine normative, a été récemment appliqué par une décision du Tribunale di Roma (Italie) du 28 juin 2001, à un cas où la Corte suprema di cassazione aurait méconnu le droit communautaire (80).

85.
    Il résulte de cette analyse de droit comparé que le principe de la responsabilité de l’État du fait des juridictions suprêmes est susceptible d’être reconnu comme un principe général de droit communautaire. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que, pour reconnaître l’existence d’un principe général de droit, la Cour n’exige pas que la règle figure dans tous les ordres juridiques nationaux. De même, le fait que la portée et les conditions d’application de la règle varient d’un État membre à un autre est sans incidence. La Cour se limite à constater que le principe est généralement reconnu et que, au-delà des diversités, les droits internes des États membres révèlent l’existence de critères communs (81).

86.
    Il résulte de l’ensemble de ces développements sur la portée du principe de la responsabilité de l’État, sur le rôle du juge national et sur l’état du droit interne des États membres que le droit communautaire impose à ces derniers une obligation de réparation en cas de violation du droit communautaire du fait d’une juridiction suprême. Cette conclusion ne saurait être contredite par les prétendus obstacles invoqués par certaines parties à la présente procédure.

2. Les obstacles invoqués par certaines parties à la présente procédure ne sont pas de nature à exclure la responsabilité de l’État du fait de la méconnaissance du droit communautaire par une juridiction suprême

87.
    Plusieurs obstacles ont été avancés par la république d’Autriche et par les gouvernements autrichien, français et du Royaume-Uni. Ces obstacles tiendraient à l’indépendance de la justice, au rapprochement du régime de responsabilité des États membres avec celui de la Communauté, à l’autorité de la chose définitivement jugée et à l’impartialité du juge national qui statuerait sur une telle action en responsabilité. Nous examinerons ces divers arguments dans l’ordre qui vient d’être indiqué.

a) Sur l’indépendance de la justice

88.
    Il importe de rappeler que l’argument tiré de l’indépendance de la justice est dépourvu de pertinence en droit communautaire, comme en droit international. On le sait, en droit international, un État ne peut se prévaloir des particularités de son organisation constitutionnelle pour échapper à l’engagement de sa responsabilité. Cette situation n’est qu’une expression particulière du principe général selon lequel «une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution du traité» (82). Il en résulte que «le comportement d’un organe de l’État — même indépendant du pouvoir exécutif — doit être regardé comme un fait de cet État» (83).

89.
    Il en va de même en droit communautaire. En effet, la Cour répète invariablement «qu’un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations et délais résultant des directives communautaires» (84). Elle en conclut, selon une jurisprudence constante, que «la responsabilité d’un État membre au regard de l’article 169 est engagée, quel que soit l’organe de l’État dont l’action ou l’inaction est à l’origine d’un manquement, même s’il s’agit d’une institution constitutionnellement indépendante» (85).

90.
    Au demeurant, on peut se demander si la question de l’indépendance de la justice ne devrait pas davantage se poser dans le cadre de l’institution d’un régime de responsabilité personnelle des magistrats que dans celui d’un régime de responsabilité de l’État (86).

91.
    En outre, force est de constater que de telles considérations —aussi légitimes soient-elles — n’ont pas fait obstacle, dans bon nombre d’États membres, à l’institution d’un tel régime de responsabilité étatique.

b) Sur le parallèle entre le régime de responsabilité des États membres et celui de la Communauté

92.
    Il est vrai que la détermination des conditions de fond régissant le régime de la responsabilité des États membres n’est pas sans incidence sur celles régissant l’engagement de la responsabilité de la Communauté. À cet égard, la jurisprudence de la Cour a connu un mouvement de rapprochement mutuel, qui s’est notamment illustré dans l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (87), s’agissant de la responsabilité des États membres, puis dans l’arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission (88), s’agissant de la responsabilité de la Communauté.

93.
    D’ailleurs, le fonctionnement de la justice communautaire a déjà été mis en cause au motif que le Tribunal aurait méconnu le principe du délai raisonnable (89). Cette prétention a été examinée par la Cour, en sa qualité de juridiction suprême de l’ordre juridique communautaire.

94.
    Toutefois, on ne saurait en conclure que le régime de la responsabilité des États membres et celui de la Communauté se réduisent à un parallélisme absolu. En effet, en l’état actuel du droit communautaire, la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée du fait d’une décision de la Cour, dès lors qu’elle constitue la juridiction suprême de l’ordre juridique communautaire. Il en irait sans doute différemment, notamment, dans l’hypothèse où la Communauté européenne, voire l’Union européenne, adhérerait à la CEDH et accepterait de se soumettre au contrôle juridictionnel de la Cour européenne des droits de l’homme s’agissant de la protection des droits fondamentaux dans le cadre de la mise en .uvre du droit communautaire (90).

c) Sur le respect de l’autorité de la chose définitivement jugée

95.
    Il convient de préciser le sens de cette notion avant de déterminer les conséquences que l’on est en droit d’en tirer.

96.
    Res judicata pro veritate habetur: ce qui a été jugé est tenu pour être conforme à la vérité. Ce principe issu du droit romain est reconnu par tous les États membres (91) ainsi que dans l’ordre juridique communautaire. Il signifie qu’une décision juridictionnelle — par laquelle un litige a été tranché — ne peut être remise en cause, sauf par l’exercice des voies de recours prévues par la loi. Il en résulte que, en cas d’épuisement des voies de recours, une telle décision (revêtue de l’autorité de la chose jugée) ne peut plus être remise en cause par l’engagement d’un même procès (elle acquiert alors force de chose jugée ou autorité de la chose définitivement jugée). Comme l’ont souligné plusieurs gouvernements, ce principe repose sur la nécessité d’assurer la stabilité des rapports juridiques en évitant le renouvellement indéfini des contestations. Il est donc inspiré par une double exigence: de sécurité juridique et de bonne administration de la justice.

97.
    Quelle conclusion peut-on en tirer dans le cadre de la mise en .uvre du droit communautaire? Les États membres sont-ils en droit de se prévaloir du principe de l’autorité de la chose définitivement jugée pour s’opposer à l’engagement d’une action en responsabilité contre l’État du fait d’une décision d’une juridiction suprême prise en méconnaissance du droit communautaire? En l’absence de réglementation communautaire en la matière, la réponse doit être recherchée sur le terrain de l’autonomie procédurale des systèmes nationaux et du nécessaire encadrement qui l’accompagne tenant au respect du principe d’équivalence et d’effectivité.

98.
    Tout d’abord, il importe de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, «il appartient, en principe, aux juridictions nationales de vérifier si les modalités procédurales destinées à assurer, en droit interne, la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire [.] sont conformes au principe de l’équivalence» (92), c’est-à-dire qu’elles ne sont pas moins favorables que celles concernant des réclamations semblables de nature interne. En effet, les juridictions nationales sont les mieux placées pour procéder à une telle appréciation dès lors qu’elle implique une connaissance relativement précise des règles procédurales internes. Néanmoins, la Cour prend généralement le soin de formuler certaines observations sur ce point afin de guider les juridictions nationales dans cet exercice (93).

99.
    Comme on le sait, plusieurs États membres ont admis le droit pour les particuliers d’introduire une action en responsabilité contre l’État du fait de la violation d’une règle de droit interne par une décision émanant d’une juridiction suprême. Conformément au principe d’équivalence, ces États membres sont tenus de réserver le même traitement à une action similaire fondée sur le droit communautaire.

100.
    En outre, et en tout état de cause, il convient de souligner qu’aucun État membre n’est en droit de conférer au principe de l’autorité de la chose définitivement jugée une portée plus étendue à l’égard des actions en responsabilité fondées sur le droit communautaire qu’à l’égard de celles fondées sur son droit interne.

101.
    Or, selon une conception traditionnelle dominante, l’autorité de la chose jugée — et, par voie de conséquence, l’autorité de la chose définitivement jugée — n’a vocation à jouer que dans certaines circonstances, lorsqu’il existe une triple identité — d’objet, de cause et de parties — entre un litige déjà tranché et un litige survenu ultérieurement. L’autorité de la chose jugée est donc en principe relative et non absolue (94). En conséquence, force est de constater qu’un litige — tel que le litige au principal — ayant pour objet la réparation d’un dommage causé par une violation du droit communautaire et mettant en cause l’État ne répond pas à cette triple exigence d’identité (cumulative et non alternative).

102.
    D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle la règle de l’autorité de la chose jugée n’a pas empêché plusieurs États membres d’instituer un régime de responsabilité de l’État du fait du contenu des décisions de justice.

103.
    Il en résulte que, en vertu du principe d’équivalence, les États membres ne sont pas en droit de se prévaloir du principe de l’autorité de la chose définitivement jugée pour s’opposer a priori à l’engagement d’une telle action en responsabilité contre l’État. Cela est d’autant plus vrai au regard du principe d’effectivité (95).

104.
    En effet, il importe de rappeler que les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables. Ce principe a été posé par la Cour dans l’arrêt Francovich e.a., précité (96), et a été constamment réaffirmé depuis lors, notamment, dans l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (97). Les États membres sont donc tenus de ne pas rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à réparation, s’agissant d’un droit conféré par l’ordre juridique communautaire. Or, à l’évidence, l’exclusion d’un droit de recours destiné à obtenir réparation tend à nier l’existence d’un tel droit et méconnaît donc nécessairement le principe d’effectivité qui encadre l’autonomie procédurale des États membres.

105.
    Il en résulte que le principe de l’autorité de la chose définitivement jugée ne saurait s’opposer à l’institution dans le chef des États membres d’une obligation de réparer les dommages causés par une décision d’une juridiction suprême rendue en méconnaissance du droit communautaire (98).

106.
    Cette conclusion s’impose à plus forte raison au regard du principe de primauté du droit communautaire. Une règle nationale, comme celle du respect de l’autorité de la chose définitivement jugée, ne saurait être opposée à un particulier pour faire échec à une action en réparation fondée sur le droit communautaire.

d) Sur les garanties d’impartialité du juge national

107.
    Nous admettons que l’on est légitimement en droit de se demander si le juge national — qui aurait à connaître des recours en responsabilité contre l’État du fait d’une décision émanant d’une juridiction suprême — présenterait des garanties suffisantes d’impartialité au regard des exigences posées par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH (99).

108.
    En effet, en vertu d’une jurisprudence constante, la Cour européenne des droits de l’homme estime que «l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, essayant de déterminer la conviction personnelle de tel juge en telle occasion, et aussi selon une démarche objective amenant à s’assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime», étant précisé que, «en la matière, les apparences peuvent revêtir de l’importance» (100).

109.
    Cela étant, cette question délicate n’est sans doute pas inédite pour les États membres qui ont déjà institué un système de responsabilité étatique du fait des juridictions, incluant les juridictions suprêmes.

110.
    En outre, comme nous le verrons ultérieurement, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la détermination des juridictions compétentes en la matière, cette question relevant de manière privilégiée de la sphère d’autonomie des États membres.

111.
    Enfin, une garantie d’impartialité pourrait être puisée dans les ressources du mécanisme de coopération judiciaire que constitue la procédure de la question préjudicielle. En effet, afin de dissiper tout doute légitime sur son impartialité, on peut imaginer que le juge national fasse le choix de poser une question préjudicielle et donc confie à la Cour le soin d’examiner si la juridiction suprême concernée a effectivement violé le droit communautaire et, si oui, dans quelle mesure. Le recours à un tel procédé présenterait un double avantage puisqu’il permettrait à la fois de dissiper tout doute légitime sur l’impartialité du juge national et d’éclairer ce dernier dans cet exercice délicat en écartant le risque d’erreur dans l’appréciation d’une prétendue erreur.

112.
    Dans de telles circonstances, le rôle que la Cour serait invitée à jouer — en sa qualité de juridiction internationale indépendante des juridictions nationales — pourrait être rapproché de celui de la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre de l’examen des requêtes individuelles. Toutefois, il serait excessif d’en conclure qu’une telle situation aboutirait à instituer un ultime droit de recours, c’est-à-dire à ériger la Cour en un ultime degré de juridiction. En effet, il ne s’agit pas d’instaurer un renvoi préjudiciel automatique, mais plutôt de rappeler l’existence d’une possibilité de renvoi. Nous ne voyons pas dans ce type de renvoi préjudiciel autre chose que l’expression d’un mécanisme de coopération judiciaire inspiré par une logique de dialogue et de confiance mutuelle de juge à juge.

113.
    Cet argument relatif aux garanties d’impartialité du juge national, pas plus que ceux tirés de l’indépendance de la justice, du parallèle avec le régime de responsabilité de la Communauté ou de l’autorité de la chose définitivement jugée, ne sont de nature à faire obstacle à l’admission du principe de la responsabilité de l’État en cas de violation du droit communautaire par une juridiction suprême.

114.
    En conséquence, il convient de répondre à la première question préjudicielle que le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables est applicable lorsque le manquement reproché est attribué à une juridiction suprême.

VI — Sur les conditions de fond requises pour mettre en .uvre la responsabilité de l’État du fait de la violation du droit communautaire par une juridiction suprême

115.
    Avant de formuler des observations à propos du cas d’espèce, il importe de dessiner les contours du régime de responsabilité de l’État du fait d’une juridiction suprême.

A — Observations des parties

116.
    Les parties qui se sont exprimées sur ce point ont plaidé en faveur d’un régime de responsabilité spécifique, restrictif, limité à des cas exceptionnels, voire très exceptionnels.

117.
    Selon le gouvernement allemand, l’engagement de la responsabilité de l’État supposerait que la décision de la juridiction suprême soit objectivement indéfendable et résulte d’une violation intentionnelle du droit communautaire.

118.
    Selon le gouvernement néerlandais, la responsabilité de l’État devrait répondre à l’hypothèse d’une violation manifeste et grave de l’obligation de renvoi préjudiciel, dans le cadre de la préparation de la décision de justice. Il précise qu’une prétendue violation de l’obligation de renvoi devrait être appréciée au regard de la situation existante au moment de l’adoption de la décision de justice. Cette conception rejoint en partie celle de M. Köbler.

119.
    Selon la Commission, l’engagement de la responsabilité de l’État devrait être lié à une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, dans l’hypothèse où une juridiction suprême abuserait manifestement de son pouvoir ou méconnaîtrait visiblement le sens et la portée du droit communautaire. Une telle violation recouvrirait, notamment, l’hypothèse d’un manquement à l’obligation de renvoi préjudiciel.

B — Analyse

120.
    À ce stade, une question vient immédiatement à l’esprit: la détermination des conditions de fond d’une telle responsabilité relève-t-elle du droit national ou du droit communautaire?

121.
    Nous estimons qu’un simple renvoi au droit national présenterait de sérieux inconvénients en termes de cohérence dans la protection effective des droits que les justiciables tirent du droit communautaire, au rang desquels figure le droit à réparation. En effet, comme l’a souligné l’avocat général Tesauro dans ses conclusions dans l’affaire Brasserie du pêcheur et Factortame, précitée, «un simple renvoi au droit national risquerait d’avaliser un système discriminatoire, dans la mesure où, pour une même violation, la protection offerte aux ressortissants communautaires serait inégale, voire inexistante pour certains d’entre eux» (101). Il en a tiré la conclusion suivante: «[a]fin qu’une protection soit assurée dans tous les États membres de manière, sinon tout à fait uniforme, du moins homogène, il est indispensable que ce soit le droit communautaire lui-même qui établisse au moins les conditions minimales qui déterminent le droit à réparation» (102). Nous ne pouvons que partager ces considérations. C’est à cet exercice que s’est livrée la Cour dans l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, s’agissant de la responsabilité de l’État du fait du législateur, en affinant la jurisprudence Francovich e.a., précitée.

122.
    Il convient donc d’examiner à quelles conditions «communautaires» minimales doit répondre la responsabilité de l’État du fait de ses juridictions suprêmes. Peut-on se contenter de transposer purement et simplement les conditions qui ont été dégagées par la Cour pour le législateur ou l’administration? Selon nous, une réponse négative s’impose compte tenu de la spécificité de la fonction juridictionnelle. Néanmoins, il importe de respecter une certaine cohérence avec les régimes qui ont été définis pour ces deux autres organes de l’État et qui ont été appliqués à plusieurs reprises.

123.
    Selon une formule devenue usuelle, la Cour a posé le principe selon lequel «un droit à réparation est reconnu par le droit communautaire dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers, que la violation soit suffisamment caractérisée, enfin, qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par les personnes lésées» (103). Il importe de déterminer le sens et la portée de ces trois conditions de fond quant à la responsabilité de l’État du fait des juridictions suprêmes, étant rappelé qu’il s’agit là de conditions minimales. Elles n’excluent pas que la responsabilité de l’État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit national (104).

1. La nature de la règle violée

124.
    Il est communément admis que l’exigence selon laquelle la règle violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers n’implique pas nécessairement que la règle concernée soit pourvue de l’effet direct. Il suffit que cette règle comporte l’attribution de droits au profit des particuliers et que le contenu de ces droits soit identifiable avec une précision suffisante (sur la base des dispositions de la règle en question) (105). L’effet direct de la règle de droit en cause n’est pas nécessaire, mais suffisant pour répondre à cette exigence. Selon nous, cette exigence concernant la responsabilité de l’État du fait du législateur ou de l’administration est transposable au cas de la responsabilité du fait des juridictions suprêmes.

125.
    En outre, nous pensons que la responsabilité de l’État du fait d’une juridiction suprême ne saurait être limitée au cas d’une méconnaissance d’une règle supérieure, à l’exclusion de toutes les autres. Plusieurs arguments plaident en ce sens.

126.
    Tout d’abord, la détermination du caractère supérieur d’une règle de droit est loin d’être aisée, en particulier dans un système juridique comme le droit communautaire qui ne connaît pas de hiérarchie des normes (106).

127.
    En outre, à ce jour, cette condition de supériorité de la règle de droit violée qui a été dégagée par la Cour il y a un certain nombre d’années, à propos de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté, a été abandonnée récemment à la faveur de l’arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, précité, de sorte que l’on peut aujourd’hui parler d’un alignement des deux régimes de responsabilité (Communauté-États membres) (107).

128.
    Enfin, eu égard à cette logique de cohérence des régimes de responsabilité, il serait pour le moins singulier d’introduire à présent une telle exigence. En effet, de même que «la protection des droits que les particuliers tirent du droit communautaire ne saurait varier en fonction de la nature nationale ou communautaire de l’autorité à l’origine du dommage» (108), de même devrait-il en être ainsi entre les différents organes de l’État, sous réserve de certaines adaptations liées à la fonction spécifique en cause.

129.
    Ces précisions sur la nature de la règle de droit communautaire violée étant faites, il convient à présent de déterminer à quelles conditions doit répondre la violation du droit communautaire pour être susceptible de donner lieu à réparation.

2. La nature de la violation du droit communautaire

130.
    Il résulte de l’arrêt Francovich e.a., précité, que, «[s]i la responsabilité de l’État est imposée par le droit communautaire, les conditions dans lesquelles celle-ci ouvre un droit à réparation dépendent de la nature de la violation du droit communautaire qui est à l’origine du dommage causé» (109).

131.
    Cette condition tenant à la nature de la violation en cause a été précisée par la Cour dans l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité. Dans le prolongement de sa jurisprudence concernant les conditions d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de la Communauté du fait de son activité normative, elle a distingué les deux hypothèses suivantes.

132.
    Premièrement, dans l’hypothèse où l’État membre en cause, au moment où il a commis l’infraction, n’était pas confronté à des choix normatifs et disposait d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire peut suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée. C’est le cas lorsque le droit communautaire impose au législateur national, dans un domaine régi par le droit communautaire, des obligations de résultat ou des obligations de comportement (comme la transposition d’une directive dans un certain délai) (110) ou d’abstention. Cette conception large de la responsabilité de l’État a été appliquée à plusieurs reprises par la Cour notamment à raison de l’absence de transposition d’une directive (111), d’une transposition méconnaissant les effets dans le temps d’une directive (112), du refus de l’administration de délivrer une licence d’exportation alors que l’octroi d’une telle délivrance aurait dû être quasi automatique eu égard à l’existence de directives d’harmonisation dans le domaine concerné (113).

133.
    Deuxièmement, dans l’hypothèse où un État membre agit dans un domaine dans lequel il dispose d’un large pouvoir d’appréciation, sa responsabilité ne peut être engagée qu’en cas de violation suffisamment caractérisée, c’est-à-dire lorsque, dans l’exercice de sa fonction normative, il a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposent à l’exercice de ses pouvoirs (114).

134.
    Toutefois, on peut s’interroger sur la pertinence actuelle d’une telle distinction au regard de l’évolution récente de la jurisprudence de la Cour en matière de responsabilité de l’État du fait du législateur ou de l’administration.

135.
    En effet, dans la première hypothèse visée par l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, c’est-à-dire lorsque les États membres disposent d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, l’appréciation par la Cour de l’existence d’une violation suffisamment caractérisée repose de moins en moins sur la constatation d’une simple infraction au droit communautaire. Elle se fonde au contraire de plus en plus sur des critères comparables à ceux qui prévalent dans la seconde hypothèse visée par l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, c’est-à-dire lorsque les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation.

136.
     Ainsi, la Cour a jugé qu’«une simple infraction au droit communautaire par un État membre peut constituer une violation suffisamment caractérisée, mais ne la constitue pas nécessairement» (115). Elle a ajouté que, «[p]our déterminer si une telle infraction au droit communautaire constitue une violation suffisamment caractérisée, le juge national saisi d’une demande en réparation doit tenir compte de tous les éléments qui caractérisent la situation qui lui est soumise» (116). Elle a précisé que, «parmi ces éléments, figurent notamment le degré de clarté et de précision de la règle violée (117), le caractère intentionnel ou involontaire du manquement commis ou du préjudice causé, le caractère excusable ou inexcusable d’une éventuelle erreur de droit, la circonstance que les attitudes prises par une institution communautaire ont pu contribuer à l’adoption ou au maintien de mesures ou de pratiques nationales contraires au droit communautaire» (118). Il est frappant de constater que ces éléments sont identiques, en tout point, à ceux énoncés par l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, dans une hypothèse où il a été considéré que le législateur disposait d’un large pouvoir d’appréciation (119).

137.
    Cette jurisprudence a été confirmée par l’arrêt Larsy, précité (120), à propos de l’allocation par l’administration belge d’une pension de retraite à un travailleur indépendant. La Cour a pris soin de préciser que, dans cette affaire, l’institution nationale compétente n’était confrontée à aucun choix normatif (121).

138.
    Dans ces conditions, en l’état actuel de la jurisprudence de la Cour, nous estimons qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si l’État dispose dans l’exercice de la fonction juridictionnelle d’un large pouvoir d’appréciation ou non. En revanche, il importe de déterminer si les éléments posés par la Cour pour évaluer l’existence d’une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire, imputable au législateur ou à l’administration, peuvent être totalement ou partiellement transposés au cas d’une violation imputable à une juridiction suprême.

139.
    Selon nous, l’élément décisif tient au caractère excusable ou inexcusable de l’erreur de droit en cause. Cette qualification peut dépendre soit du degré de clarté et de précision de la règle de droit violée, soit de l’existence ou de l’état de la jurisprudence de la Cour en la matière. Plusieurs exemples peuvent être évoqués en ce sens.

140.
    Ainsi, la responsabilité de l’État est susceptible d’être engagée, par exemple, dans l’hypothèse où une juridiction suprême rendrait une décision contraire à des dispositions de droit communautaire bien que leur sens et leur portée soient évidents. Ce serait le cas lorsque le libellé des dispositions en cause est clair et précis en tous ses éléments et dépourvu d’ambiguïté, de sorte qu’il ne laisse finalement la place à aucun travail d’interprétation, mais à son application pure et simple.

141.
    La responsabilité de l’État est également susceptible d’être engagée, par exemple, dans l’hypothèse où une juridiction suprême rendrait une décision méconnaissant manifestement la jurisprudence de la Cour, telle qu’elle se présente au jour du prononcé de la décision en cause. En effet, les arrêts rendus par la Cour, en particulier dans le cadre de la procédure de la question préjudicielle, lient nécessairement les juridictions nationales quant à l’interprétation des dispositions de droit communautaire (122). Celles-ci ne peuvent s’écarter de la jurisprudence de la Cour. Elles sont uniquement en droit de poser une question préjudicielle afin d’obtenir des précisions utiles pour trancher le litige qui leur est soumis (123).

142.
    En revanche, la responsabilité de l’État ne saurait être engagée à raison d’une décision d’une juridiction suprême qui serait contraire à une jurisprudence de la Cour, intervenue postérieurement à son prononcé, alors que cette décision serait conforme à l’état de la jurisprudence existante à cette date, à plus forte raison lorsque tout portait à croire que cette jurisprudence était définitivement établie. En effet, dans une telle hypothèse, si erreur il y a, on ne saurait reprocher à la juridiction suprême d’avoir manqué à une quelconque de ses obligations, car elle s’est à juste titre fondée sur la jurisprudence existante au jour où elle a statué. Selon nous, cette analyse n’est pas incompatible avec les effets dans le temps des arrêts préjudiciels en interprétation.

143.
    On le sait, la Cour a invariablement jugé (124) que l’interprétation qu’elle donne d’une disposition de droit communautaire éclaire et précise la signification et la portée de cette règle telle qu’elle aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de son entrée en vigueur, de sorte que la règle ainsi interprétée peut et doit être appliquée par le juge à des rapports juridiques nés et constitués avant le prononcé de l’arrêt préjudiciel en interprétation. Mais, selon nous, encore faut-il que de tels rapports juridiques n’aient pas été définitivement consolidés par une décision de justice, à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’une décision insusceptible de recours. Si les rapports juridiques en cause ont été définitivement consolidés par une décision d’une juridiction suprême, le principe de sécurité juridique s’oppose à toute mise en cause de la responsabilité de l’État de ce chef (125).

144.
    Enfin, selon nous, on ne peut a priori exclure l’engagement de la responsabilité de l’État du fait de la méconnaissance manifeste par une juridiction suprême de l’obligation de renvoi préjudiciel qui pèse sur elle, par exemple, dans le cas où il n’existe pas de jurisprudence de la Cour sur le point de droit en cause à la date du prononcé de sa décision.

145.
    À ce jour, la Cour ne s’est jamais précisément prononcée à ce sujet (126).

146.
    Comme on le sait, l’obligation de renvoi préjudiciel est fondamentale. Elle participe largement à la garantie de l’application uniforme du droit communautaire ainsi qu’à celle de la protection effective des droits que les particuliers tirent de l’ordre juridique communautaire. Ces considérations étaient bien présentes à l’esprit de la Cour lorsqu’elle a déterminé, dans l’arrêt Cilfit e.a., précité (127), la portée de l’obligation de renvoi posée par le traité.

147.
    En outre, l’obligation de renvoi préjudiciel tend à s’inscrire dans la logique du «droit au juge». En effet, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, «si le droit de saisir la Cour par voie de question préjudicielle n’est pas absolu [.], il n’est pas exclu que, dans certaines circonstances, le refus opposé par une juridiction nationale, appelée à se prononcer en dernière instance, puisse porter atteinte au principe d’équité de la procédure, tel qu’énoncé à l’article 6, paragraphe [1], de la convention, en particulier lorsqu’un tel refus apparaît comme entaché d’arbitraire» (128). D’ailleurs, comme cela a été indiqué à l’audience, ce corollaire du «droit au juge» trouve une expression particulière en Allemagne (129).

148.
    Dans ces conditions, il est logique et raisonnable de considérer que le manquement manifeste à une obligation de renvoi de la part d’une juridiction suprême est, en soi, susceptible d’engager la responsabilité de l’État.

149.
    Toutefois, dans de telles circonstances, la mise en cause de la responsabilité de l’État risque de se heurter à certaines difficultés pour rapporter la preuve d’un lien de causalité direct entre le manquement à l’obligation de renvoi et le préjudice allégué. En effet, cette preuve du lien de causalité suppose que le particulier soit en mesure d’établir que l’absence de renvoi lui a nécessairement causé un préjudice, réel et certain, et non hypothétique, qui ne serait pas survenu si la juridiction suprême avait décidé de poser une question préjudicielle.

150.
    Cette preuve sera sans doute relativement facile à établir s’agissant d’un préjudice purement moral, qui tiendrait par exemple à la perte d’une chance de voir ses prétentions aboutir (130).

151.
    Tel ne sera vraisemblablement pas le cas s’agissant d’un préjudice matériel. En effet, la preuve du lien de causalité entre un tel préjudice et le manquement à l’obligation de renvoi suppose que le particulier prétendument lésé établisse que la décision de la juridiction suprême aurait été conforme à ses prétentions si cette dernière avait effectivement posé une question préjudicielle. Sauf à ce que la Cour prononce un arrêt sur le point de droit concerné, peu de temps après le prononcé de la décision de la juridiction suprême, et que cet arrêt conforte ce particulier dans ses prétentions, il est difficile d’imaginer comment la preuve d’un tel lien de causalité pourrait être rapportée.

152.
    Selon nous, il serait excessif d’imposer au juge national, qui serait saisi d’une demande en réparation d’un prétendu dommage matériel, de poser une question préjudicielle à la Cour afin de connaître la réponse qu’elle aurait été susceptible de donner dans l’hypothèse où elle aurait été effectivement saisie d’une telle question.

153.
    Ces développements et les exemples qui ont été donnés démontrent que, pour apprécier si une juridiction suprême a commis une violation suffisamment caractérisée susceptible d’engager la responsabilité de l’État, il importe de rechercher si cette juridiction a commis une erreur de droit excusable ou inexcusable.

154.
    Selon nous, dans le cadre de cet exercice, il n’est ni nécessaire ni opportun de porter une attention particulière à des éléments tels que l’attitude des institutions communautaires ou le caractère intentionnel ou involontaire de la violation du droit communautaire.

155.
    S’agissant de l’attitude des institutions communautaires (du moins celle de la Commission), contrairement à ce qui est le cas pour la responsabilité de l’État du fait du législateur ou de l’administration, il est difficile d’admettre que cet élément est pertinent pour apprécier si la responsabilité de l’État est engagée du fait d’une juridiction suprême. En effet, les juridictions suprêmes ne sont pas les mieux placées pour avoir connaissance de l’attitude de la Commission, telle que l’engagement d’une procédure en manquement par la Commission qui mettrait en cause, par exemple, la conformité de dispositions de droit interne avec le droit communautaire.

156.
    S’agissant du caractère intentionnel ou involontaire de la violation du droit communautaire, force est de reconnaître qu’il serait particulièrement difficile de se prononcer sur l’existence d’un élément subjectif, à plus forte raison dans l’hypothèse fort probable où la décision de justice en cause émanerait d’une formation collégiale. Au demeurant, à notre avis, il serait délicat de demander à un juge national de rechercher si un de ses collègues a été inspiré par l’intention malveillante de violer une règle de droit.

3. Le lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par les personnes lésées

157.
    Cet aspect a déjà été abordé à propos du manquement à l’obligation de renvoi préjudiciel. Il suffit qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation concernée et un dommage réel et certain, de nature patrimoniale ou morale.

158.
    En conséquence, il convient d’indiquer à la juridiction de renvoi que, lorsqu’une violation du droit communautaire par un État membre est imputable à une juridiction suprême, les particuliers lésés ont droit à réparation, dès lors que la règle de droit communautaire violée a pour objet de leur conférer des droits, que la violation est suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers. Sous cette réserve, c’est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu’il incombe à l’État de réparer les conséquences du préjudice causé par la violation du droit communautaire qui lui est imputable, étant entendu que les conditions fixées en droit national ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne ni aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation.

VII — Sur la détermination de la juridiction compétente pour apprécier le bien-fondé de l’action en réparation

159.
    Ce point concerne à la fois la détermination de la juridiction nationale compétente et le rôle respectif de la juridiction nationale et de la Cour pour apprécier le bien-fondé d’une action en réparation intentée contre l’État à raison de sa responsabilité du fait d’une juridiction suprême.

A — Sur la détermination de la juridiction nationale compétente

160.
    Par sa deuxième question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si les États membres demeurent libres de désigner la juridiction nationale compétente pour examiner une action en réparation intentée contre l’État à raison de sa responsabilité du fait d’une juridiction suprême.

161.
    Il importe de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, «il appartient à l’ordre juridique de chaque État membre de désigner la juridiction compétente pour trancher les litiges qui mettent en cause des droits individuels, dérivés de l’ordre juridique communautaire, étant entendu cependant que les États membres portent la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, une protection effective à ces droits» (131). La Cour en a conclu que, «[s]ous cette réserve, il n’appartient pas à la Cour d’intervenir dans la solution des problèmes de compétence [.] au plan de l’organisation judiciaire nationale» (132).

162.
    En réponse à la question de la juridiction de renvoi sur ce point, il importe de préciser que ce principe d’autonomie institutionnelle, sous réserve d’assurer une protection juridictionnelle effective, a également vocation à s’appliquer aux éventuelles actions en réparation engagées par les particuliers contre les États membres à raison de leur responsabilité du fait d’une juridiction suprême.

B — Sur le rôle respectif de la Cour et des juridictions nationales pour apprécier le bien-fondé de l’action en réparation

163.
    Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, s’il lui appartient d’apprécier en l’espèce le bien-fondé de l’action en réparation ou si cette tâche revient à la Cour.

164.
    Il importe de rappeler que, dans l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, la Cour a jugé qu’elle «ne saurait substituer son appréciation à celles des juridictions nationales, seules compétentes pour établir les faits des affaires au principal et pour caractériser les violations du droit communautaire en cause» (133). Néanmoins, elle «[a] estimé [.] utile de rappeler certaines circonstances dont les juridictions nationales pourraient tenir compte» (134). Cette jurisprudence a été confirmée à plusieurs reprises (135). Elle s’applique pleinement dans le cas d’une action mettant en cause la responsabilité de l’État du fait de la violation du droit communautaire par une juridiction suprême. Nous nous contenterons donc de formuler quelques observations sur le cas d’espèce.

VIII — Sur le cas d’espèce

165.
    Par ses troisième et quatrième questions préjudicielles, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si, en l’espèce, les conditions de fond pour retenir la responsabilité de l’État sont remplies.

166.
    À titre liminaire, il convient de rappeler que la règle de droit prétendument violée, à savoir l’article 48 du traité, est d’effet direct et a donc nécessairement pour objet de conférer des droits aux particuliers (136). Cet article énonce, en son paragraphe 1, le principe de la libre circulation des travailleurs. Cette liberté implique notamment, aux termes de son paragraphe 2, l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des États membres en ce qui concerne l’emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Ces règles du traité ont été mises en .uvre et explicitées par le règlement n° 1612/68.

167.
    En outre, il convient de préciser que la Cour a jugé que le principe de non-discrimination, posé à l’article 39, paragraphe 2, CE et mis en .uvre par le règlement n° 1612/68, s’applique à «tout ressortissant communautaire, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui a fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une activité professionnelle dans un autre État membre» (137). En conséquence, selon la Cour, le fait que le particulier qui se prévaut du principe de non-discrimination est un ressortissant de l’État membre en cause, et non d’un autre État membre, est sans incidence sur l’application d’un tel principe (138). En vertu de cette jurisprudence, M. Köbler était donc en droit de se prévaloir du principe de non-discrimination des travailleurs, posé par l’article 39, paragraphe 2, CE.

168.
    En outre, en vertu d’une jurisprudence constante, ce principe prohibe non seulement les discriminations ostensibles, fondées sur la nationalité, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (139). Dans l’arrêt O’Flynn, précité, la Cour a précisé que «doivent être regardées comme indirectement discriminatoires les conditions de droit national qui, bien qu’indistinctement applicables selon la nationalité, affectent essentiellement [.] ou dans leur grande majorité les travailleurs migrants [.], ainsi que les conditions indistinctement applicables qui peuvent être plus facilement remplies par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants [.] ou encore qui risquent de jouer, en particulier, au détriment des travailleurs migrants» (140).

169.
    Au regard de ces données jurisprudentielles, tel est manifestement le cas de la condition d’octroi de l’indemnité spéciale d’ancienneté tenant à l’acquisition de quinze ans d’ancienneté de professorat dans les universités — exclusivement — autrichiennes. En effet, force est de constater que cette condition risque de jouer, en particulier au détriment des travailleurs migrants, c’est-à-dire au détriment des travailleurs qui ont exercé leur droit à la libre circulation. C’est le cas de ceux qui, comme M. Köbler, ont quitté leur État membre d’origine pour aller travailler dans un autre État membre et qui y reviennent ensuite pour poursuivre leur carrière.

170.
    Selon nous, il est difficile d’admettre que le Verwaltungsgerichtshof a commis une erreur excusable en jugeant que l’exigence d’une telle condition, indirectement discriminatoire, était raisonnablement justifiée par la volonté de récompenser la fidélité d’un employé à l’égard de son employeur.

171.
    En effet, à supposer que cette prétendue justification ait eu vocation à s’appliquer en l’espèce, au motif que les universités autrichiennes relèveraient d’un employeur unique, contrairement à ce qui était le cas dans l’affaire Schöning-Kougebetopoulou, précitée, la juridiction suprême aurait dû vérifier si la condition d’ancienneté en cause était proportionnée à un tel objectif. Nous rappelons que la Cour a maintes fois souligné cette exigence générale de proportionnalité (141). Elle a également pris soin de la rappeler au point 21 de l’arrêt Schöning-Kougebetopoulou, précité, qu’elle a transmis à la juridiction suprême à la suite de son ordonnance de renvoi, même si, dans cette affaire, la Cour a jugé que la prétendue justification tirée de la récompense de la fidélité entre un employé et un employeur déterminé était dénuée de pertinence. Dans cette affaire, il n’était donc pas nécessaire, pour résoudre le litige au principal, d’examiner le rapport de proportionnalité entre la condition d’ancienneté en cause et une telle justification (142).

172.
    En l’espèce, on peut regretter que le Verwaltungsgerichtshof n’ait pas procédé à la vérification du respect du principe de proportionnalité. En effet, il est difficile de considérer que la condition d’ancienneté en cause soit proportionnée à une éventuelle justification de ce type. Elle va, sans aucun doute, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif invoqué (143).

173.
    En outre, cette juridiction suprême aurait dû maintenir sa question préjudicielle, quitte à la compléter afin d’obtenir certaines précisions sur la portée de l’arrêt Schöning-Kougebetopoulou, précité. En effet, si l’on s’en tient à la jurisprudence Cilfit e.a., précitée, il est difficile de considérer que cette dernière était effectivement convaincue, d’une part, que l’application — supposée correcte — du droit communautaire s’imposait avec une telle évidence qu’elle ne laissait place à aucun doute raisonnable sur la manière de résoudre le point de droit en cause et que, d’autre part, cette évidence s’imposerait à la fois aux juridictions des autres États membres et à la Cour (144).

174.
    En conséquence, il convient de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi que l’article 39 CE doit être interprété comme ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Dans des circonstances telles que celles du litige au principal, on peut considérer que l’erreur commise par le Verwaltungsgerichtshof sur le sens et la portée de cet article du traité est inexcusable, et donc susceptible d’engager la responsabilité de l’État.

IX — Conclusion

175.
    Eu égard à l’ensemble de ces considérations, nous proposons à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Landesgericht für Zivilrechtssachen Wien de la manière suivante:

«1)    Le principe selon lequel les États membres sont obligés de réparer les dommages causés aux particuliers par les violations du droit communautaire qui leur sont imputables est applicable lorsque le manquement reproché est attribué à une juridiction suprême.

2)    Lorsqu’une violation du droit communautaire par un État membre est imputable à une juridiction suprême, les particuliers lésés ont droit à réparation, dès lors que la règle de droit communautaire violée a pour objet de leur conférer des droits, que la violation est suffisamment caractérisée et qu’il existe un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice subi par les particuliers. Sous cette réserve, c’est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu’il incombe à l’État de réparer les conséquences du préjudice causé par la violation du droit communautaire qui leur est imputable, étant entendu que les conditions fixées en droit national ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne ni aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’obtention de la réparation.

3)    Le principe selon lequel il appartient à l’ordre juridique de chaque État membre de désigner la juridiction compétente pour trancher les litiges qui mettent en cause des droits individuels dérivés de l’ordre juridique communautaire, sous réserve d’assurer une protection juridictionnelle effective, est applicable aux actions en réparation engagées par les particuliers contre un État membre en raison d’une prétendue violation du droit communautaire du fait d’une juridiction suprême.

4)    Les juridictions nationales sont seules compétentes pour apprécier si les conditions de fond pour retenir la responsabilité de l’État du fait d’une juridiction suprême sont remplies, en particulier pour déterminer le caractère excusable ou inexcusable de l’erreur de droit à l’origine de la violation du droit communautaire en cause. Dans le cadre de cet exercice, elles peuvent tenir compte des observations formulées par la Cour à cet égard.

5)    L’article 39 CE doit être interprété comme ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Dans des circonstances telles que celles du litige au principal, on peut considérer que l’erreur commise par la juridiction suprême concernée sur le sens et la portée de cet article du traité est inexcusable et, donc, susceptible d’engager la responsabilité de l’État.»


1: -     Langue originale: le français.


2: -     —    Auparavant, ces questions délicates n’avaient pas manqué de susciter un vif intérêt de la part de la doctrine. Voir, notamment, Toner, H., «Thinking the unthinkable? State Liability for Judicial Acts after Factortame (III)», dans Yearbook of European Law, 1997/17, p. 165, et Anagnostaras, G., «The principle of State Liability for Judicial Breaches: The impact of European Community Law», European Public Law, volume 7/2, 2001, p. 281.


3: -     —    C-6/90 et C-9/90, Rec. p. I-5357.


4: -     —    C- 46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029.


5: -     —    Affaire pendante devant la Cour, qui concerne les modalités de remboursement de taxes nationales indûment perçues, car contraires au droit communautaire.


6: -     —    Affaire C-453/00, Kühne & Heitz, pendante devant la Cour.


7: -     —    L'article 23, paragraphe 1, de la Constitution fédérale prévoit que «l’État fédéral, les Länder, les districts, les communes et les autres collectivités et organismes de droit public sont responsables des dommages que leurs organes ont infligés, dans l’exécution des lois, à qui que ce soit par une action fautive et illicite».


8: -     —    Loi fédérale régissant la responsabilité de l’État fédéral, des Länder, des districts, des communes ainsi que d’autres collectivités et organismes de droit public pour les préjudices découlant de l’application des lois (BGBl., 1949/20).


9: -     —    Cette juridiction, dénommée «Cour administrative», est la seule juridiction compétente pour le contentieux administratif. Elle intervient à la suite d’un contrôle interne à l’administration. Ses décisions ne sont pas susceptibles de recours. Bien qu’elle ne soit supérieure à aucune autre juridiction dans le domaine relevant de sa compétence, elle joue le rôle d’une juridiction suprême (ci-après autrement nommée la «juridiction suprême administrative»).


10: -     —    Il s’agit de la Cour constitutionnelle.


11: -     —    Il s’agit de la juridiction suprême pour les contentieux en matière civile et commerciale, en matière de sécurité sociale et de droit du travail ainsi qu’en matière pénale. Au sein de cet ordre juridictionnel, elle se situe à un niveau supérieur par rapport à d’autres juridictions de première ou de deuxième instance.


12: -     —    BGBl., 1956/54.


13: -     —    BGB1. I, 2001/34.


14: -     —    JO L 257, p. 2.


15: -     —    Voir ordonnance de renvoi.


16: -     —    C-15/96, Rec. p. I-47.


17: -     —    Il s’agit d’une juridiction de première instance en matière civile et commerciale.


18: -     —    Première question de l’ordonnance de renvoi.


19: -     —    C'est ce qui ressort, en substance, des première, troisième et quatrième questions de l’ordonnance de renvoi.


20: -     —    Deuxième et cinquième questions de l’ordonnance de renvoi.


21: -     —    Troisième et quatrième questions de l’ordonnance de renvoi.


22: -     —    Nous nous sommes déjà exprimé brièvement, en ce sens, dans nos conclusions dans l'affaire Hedley Lomas (arrêt du 23 mai 1996, C-5/94, Rec. p. I-2553, point 114).


23: -     —    Directive 80/987/CEE du Conseil, du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur (JO L 283, p. 23).


24: -     —    Point 37.


25: -     —    Ibidem (point 35). Cette formule a été invariablement reprise par la Cour, notamment dans les arrêts Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (point 31); du 26 mars 1996, British Telecommunications (C-392/93, Rec. p. I-1631, point 38); Hedley Lomas, précité (point 24); du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a. (C-178/94, C-179/94, C-188/94 à C-190/94, Rec. p. I-4845, point 20); du 17 octobre 1996, Denkavit e.a. (C-283/94, C-291/94 et C-292/94, Rec. p. I-5063, point 47); du 2 avril 1998, Norbrook Laboratories (C-127/95, Rec. p. I-1531, point 106); du 24 septembre 1998, Brinkmann (C-319/96, Rec. p. I-5255, point 24); du 4 juillet 2000, Haim (C-424/97, Rec. p. I-5123, point 26); du 18 janvier 2001, Stockholm Lindöpark (C-150/99, Rec. p. I-493, point 36), et du 28 juin 2001, Larsy (C-118/00, Rec. p. I-5063, point 34).


26: -     —    Arrêt Francovich e.a., précité (point 31). La Cour fait référence aux arrêts du 5 février 1963, Van Gend & Loos (26/62, Rec. p. 1), et du 15 juillet 1964, Costa (6/64, Rec. p. 1141).


27: -     —    Arrêt Francovich e.a., précité (point 32). La Cour fait référence aux arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, Rec. p. 629, point 16), et du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C-213/89, Rec. p. I-2433, point 19).


28: -     —    Arrêt Francovich e.a., précité (point 33).


29: -     —    Ibidem (point 36).


30: -     —    Point 22.


31: -     —    En cela, la question de la responsabilité de l’État du fait de ses juridictions suprêmes fait appel à une problématique sensiblement différente de celle de la responsabilité de l’État du fait de ses juridictions ordinaires ou de l’ensemble de ses juridictions.


32: -     —    Voir conclusions de l’avocat général Tesauro dans l’affaire Brasserie du pêcheur et Factortame, précitée (point 34).


33: -     —    Point 32, à lire en relation avec le point 31. Cette formule a été reprise et étendue par la Cour dans les arrêts du 1er juin 1999, Konle (C-302/97, Rec. p. I-3099, point 62); Haim, précité (point 27), et Larsy, précité (point 35), selon les termes suivants: «[i]l incombe à chacun des États membres de s’assurer que les particuliers obtiennent réparation du préjudice que leur cause le non-respect du droit communautaire, quelle que soit l'autorité publique auteur de cette violation et quelle que soit celle à laquelle incombe en principe, selon le droit de l’État membre concerné, la charge de cette réparation». Cette précision s’adresse en particulier aux États membres à structure fédérale.


34: -     —    Arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (point 33). Voir, également, arrêt du 21 février 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest (C-143/88 et C-92/89, Rec. p. I-415, point 26).


35: -     —    La Cour n’a pas manqué de souligner, dans le fameux arrêt Van Gend & Loos, précité, que «la vigilance des particuliers intéressés à la sauvegarde de leurs droits entraîne un contrôle efficace qui s’ajoute à celui que les articles 169 et 170 confient à la diligence de la Commission et des États membres» (p. 25).


36: -     —    Arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (point 34).


37: -     —    En droit communautaire, la responsabilité de l’État peut être — directement — mise en cause par les particuliers. Ce n’est pas le cas en droit international, car la prise en compte des intérêts des particuliers est assurée par l’État au titre de la protection diplomatique de ses ressortissants. La responsabilité de l’État n'est donc qu’indirectement mise en cause par les particuliers.


38: -     —    Voir, à ce propos, Nguyen Quoc Dinh, Droit international public, LGDJ, 6e édition entièrement refondue par Daillier, P., et Pellet, A., 1999 (p. 740 à 751), ainsi que Brownlie, I., System of the Law of Nations, State Responsability, Part I, Clarendon Presse-Oxford, 1983 (p. 144).


39: -     —    Voir note en bas de page 42 des conclusions de l’avocat général Tesauro dans l'affaire Brasserie du pêcheur et Factortame, précitée.


40: -     —    Sur le fondement de ce principe, certaines juridictions administratives françaises ont retenu la responsabilité de l’État pour violation du droit communautaire, tout en évitant de consacrer expressément le principe d’une telle responsabilité du fait du législateur. Voir, en ce sens, nos conclusions dans l’affaire Hedley Lomas, précitée (points 118 à 125).


41: -     —    Point 126 en liaison avec le point 113.


42: -     —    Ibidem (point 112).


43: -     —    Voir annexe de la résolution (Doc A/Res/56/83).


44: -     —    Un organe de l’État est défini par le paragraphe 2 du même article comme comprenant toute personne ou entité qui a ce statut d’après le droit interne de l’État.


45: -     —    Ces dispositions sont à rapprocher de celles adoptées provisoirement en 1973 dans la même enceinte, selon lesquelles «le comportement d’un organe de l’État est considéré comme un fait de cet État d’après le droit international, que cet organe appartienne au pouvoir constituant, législatif, exécutif, judiciaire ou autre, que ses fonctions aient un caractère international ou interne, et que sa position dans le cadre de l’organisation de l’État soit supérieure ou subordonnée». Voir Annuaire de la Commission de droit international, 1973, vol. II, p. 197.


46: -     —    Tribunal italo-vénézuélien, sentence du 3 mai 1930, affaire Martini (RSA, vol. II, p. 978). Cette sentence a été rendue dans le cadre d’un différend concernant l’exécution d’un contrat de concession accordé par la république du Venezuela à une entreprise italienne pour l’exploitation de mines de charbon. L’État vénézuélien a été tenu pour responsable à raison d’une décision de la Cour fédérale et de cassation (Venezuela) jugée partiellement incompatible avec une sentence arbitrale internationale prononcée conformément à un accord international auquel cet État est partie.


47: -     —    La notion de «déni de justice» recouvre divers cas de figure comme le refus opposé aux étrangers d’accéder aux tribunaux, le retard excessif ou à l’inverse la conduite inhabituellement expéditive de la procédure, le comportement manifestement malveillant envers un plaideur ou un ressortissant étranger, le jugement définitif incompatible avec les obligations internationales de l’État ou manifestement injuste, ainsi que le refus d’assurer l’exécution d’un jugement favorable à un étranger (voir Nguyen Quoc Dinh, précité).


48: -     —    C’est le cas, notamment, pour le contentieux familial et de l’état civil (au regard des dispositions de l’article 8 de la convention européenne des droits de l'homme), pour celui concernant le droit de propriété (au regard des dispositions de l’article 1er du protocole additionnel n° 1) ou celui touchant à la liberté d’expression (au regard des dispositions de l’article 10 de cette convention). S’agissant de la liberté d’expression, voir, notamment, arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, du 26 avril 1979, Sunday Times/Royaume-Uni, à propos d’une décision de la House of Lords qui, par application de la notion de «Contempt of Court», a interdit la publication d’articles de presse relatifs à un médicament pendant le cours du procès que ce produit a suscité (série A n° 30).


49: -     —    Voir, sur ce point, Pettiti, L.-E.; Decaux E., et Imbert, P.-H., Commentaire article par article de la convention européenne des droits de l’homme, Economica, 2e éd., 1999, p. 462.


50: -     —    Voir, également, en ce sens, Barav, A., «Responsabilité et irresponsabilité de l’État en cas de méconnaissance du droit communautaire», Liber Amicorum Jean Waline, p. 435; Simon, D., «La responsabilité de l’État saisie par le droit communautaire», AJDA, juillet-août 1996, p. 494, et Dubouis, L., «La responsabilité de l’État législateur pour les dommages causés aux particuliers par la violation du droit communautaire et son incidence sur la responsabilité de la Communauté», RFDA, mai-juin 1996, p. 585.


51: -     —    Cette expression a été employée par Grévisse, F., et Bonichot, J.-C., dans «Les incidences du droit communautaire sur l’organisation et l’exercice de la fonction juridictionnelle dans les États membres», L’Europe et le droit, Mélanges en hommage à Jean Boulouis, Dalloz, 1991, p. 297 et suiv.


52: -     —    Barav, A., «La plénitude de compétence du juge national en sa qualité de juge communautaire», L’Europe et le droit, Mélanges en hommage à Jean Boulouis, Dalloz, 1991, p. 1 et suiv.


53: -     —    Ces deux principes fondamentaux de l’ordre juridique communautaire ont été dégagés par la Cour dans les fameux arrêts précités Van Gend & Loos et Costa.


54: -     —    Nous n’évoquerons pas le rôle du juge national à l’égard de l’appréciation de la validité d’un acte de droit communautaire dérivé. Nous nous concentrerons sur la situation mise en cause dans le litige au principal, à savoir l’application par le juge national de son droit national prétendu contraire au droit communautaire.


55: -     —    Voir, notamment, arrêt du 4 février 1988, Murphy e.a. (157/86, Rec. p. 673, point 11).


56: -     —    Voir, notamment, arrêts du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann (14/83, Rec. p. 1891, point 26); du 13 novembre 1990, Marleasing (C-106/89, Rec. p. I-4135, point 8); du 14 juillet 1994, Faccini Dori (C-91/92, Rec. p. I-3325, point 26); du 26 septembre 1996, Arcaro (C-168/95, Rec. p. I-4705, point 41), et du 11 juillet 2002, Marks & Spencer (C-62/00, Rec. p. I-6325, point 24).


57: -     —    Arrêt du 16 décembre 1993, Wagner Miret (C-334/92, Rec. p. I-6911, point 21).


58: -     —    Arrêt Arcaro, précité (point 42), se référant à l’arrêt du 8 octobre 1987, Kolpinghuis Nijmegen (80/86, Rec. p. 3969, points 13 et 14).


59: -     —    Point 24 en liaison avec le point 16. On pouvait déjà voir dans l’arrêt du 19 décembre 1968, Salgoil (13/68, Rec. p. 661), des éléments en ce sens.


60: -     —    Voir Wathelet, M., et Van Raepenbusch, S., «La responsabilité des États membres en cas de violation du droit communautaire. Vers un alignement de la responsabilité de l’État sur celle de la Communauté ou l’inverse?», Cahiers de droit européen, 1-2, 1997, p. 13, 17.


61: -     —    Il résulte de l'arrêt du 11 juin 1987, Pretore di Salò (14/86, Rec. p. 2545, point 20), qu'une «directive [.] ne peut avoir pour effet, par elle-même et indépendamment d’une loi interne d’un État membre prise pour son application, de déterminer ou d’aggraver la responsabilité pénale de ceux qui agissent en infraction à ses dispositions». Voir, également, arrêts du 26 février 1986, Marshall (152/84, Rec. p. 723, point 48), et Kolpinghuis Nijmegen, précité (points 9 et 13). La Cour a précisé que cette jurisprudence vise à éviter qu’un État membre ne puisse tirer avantage de sa méconnaissance du droit communautaire. Voir arrêts Faccini Dori, précité (point 22); du 7 mars 1996, El Corte Inglés (C-192/94, Rec. p. I-1281, point 16), et Arcaro, précité (points 36 et 42).


62: -     —    Point 23.


63: -     —    Arrêt du 9 novembre 1983, San Giorgio (199/82, Rec. p. 3595, point 12).


64: -     —    Ce mécanisme d’injonction judiciaire à l’administration était loin d’être acquis dans certains États membres compte tenu du principe traditionnel de séparation des pouvoirs.


65: -     —    La Cour a précisé que, «[p]our le cas où le résultat prescrit par la directive ne pourrait être atteint par voie d’interprétation [.], selon l’arrêt [.] Francovich e.a. [.], le droit communautaire impose aux États membres de réparer les dommages qu’ils ont causés aux particuliers en raison de l’absence de transposition d’une directive». Voir, notamment, arrêts précités Faccini Dori (point 27) et El Corte Inglés (point 22). Cette jurisprudence est intervenue dans des cas où l’effet direct d’une directive était exclu, en raison de l’absence d’effet direct horizontal (c’est-à-dire dans les rapports entre particuliers).


66: -     —    La Cour a jugé que le droit communautaire s’oppose, dans certaines circonstances (notamment en l’absence d’un double degré de juridiction), à l’application d’une règle de procédure nationale qui interdit au juge national, saisi dans le cadre de sa compétence, d’apprécier d’office la compatibilité d’un acte de droit interne avec une disposition communautaire, lorsque cette dernière n’a pas été invoquée dans un certain délai par le justiciable. Voir arrêt du 14 décembre 1995, Peterbroeck (C-312/93, Rec. p. I-4599, point 21). En outre, la Cour a jugé que, dès lors que, en vertu du droit national, les juridictions doivent soulever d’office les moyens de droit tirés d’une règle interne de nature contraignante, qui n’auraient pas été avancés par les parties, une telle obligation s’impose également s’agissant des règles communautaires contraignantes. Elle a ajouté qu’il en va de même lorsque le droit national confère au juge la simple faculté — et non l’obligation — d’appliquer d’office la règle de droit contraignante. Voir arrêt du 14 décembre 1995, Van Schijndel et Van Veen (C-430/93 et C-431/93, Rec. p. I-4705, points 13 et 14).


67: -     —    Voir arrêt Simmenthal, précité (point 16).


68: -     —    Arrêt du 15 mai 1986, Johnston (222/84, Rec. p. 1651, point 18). Le caractère fondamental d’un tel principe a été rappelé à plusieurs reprises. Voir, notamment, arrêts du 3 décembre 1992, Oleificio Borelli/Commission (C-97/91, Rec. p. I-6313, point 14); du 11 janvier 2001, Kofisa Italia (C-1/99, Rec. p. I-207, point 46); Siples (C-226/99, Rec. p. I-277, point 17); du 27 novembre 2001, Commission/Autriche (C-424/99, Rec. p. I-9285, point 45), et du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C-50/00 P, Rec. p. I-6677, point 39).


69: -     —    Point 3.


70: -     —    Idem.


71: -     —    Voir Rideau, J., Le droit au juge dans l'Union européenne, LGDJ, Paris, 1998, et, plus particulièrement, Picod, F., «Le droit au juge en droit communautaire», p. 141 à 170.


72: -     —    C’est ce que démontre, notamment, la jurisprudence de la Cour de cassation (France) à propos du maintien des contrats de travail en cas de modification dans la situation juridique de l’employeur. Les dispositions prévues en ce sens à l’article L 122-12 du code du travail ont été interprétées par la Cour de cassation, au moyen d’un revirement de jurisprudence, dans un sens extensif conforme à l’interprétation donnée par la Cour à la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d’entreprises, d’établissements ou de parties d’établissements (JO L 61, p. 26). Voir arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 1990 (Bull. civ. Ass. Plén. n° 3), à la suite de l’arrêt de la Cour du 10 février 1988, Tellerup (324/86, Rec. p. 739), ainsi que plusieurs arrêts de la Cour de cassation, notamment du 22 janvier 2002 (Bull. civ. 2002, V, n° 25, p. 22), à la suite de l’arrêt de la Cour du 26 septembre 2000, Mayeur (C-175/99, Rec. p. I-7755). On peut également citer l’exemple de la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Allemagne) à propos du droit de révocation des contrats conclus par démarchage à domicile. Les dispositions prévues en ce sens en droit allemand ont été interprétées de manière extensive conformément à l’interprétation donnée par la Cour à la directive 85/577/CEE du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant la protection des consommateurs dans le cas de contrats négociés en dehors des établissements commerciaux (JO L 372, p. 31). Voir arrêt du Bundesgerichtshof, du 9 avril 2002 (XI ZR 91/99, Neue Juristische Wochenschrift 2002, p. 1881), à la suite de l’arrêt de la Cour du 13 décembre 2001, Heininger (C-481/99, Rec. p. I-9945).


73: -     —    La Cour a jugé que l’obligation de soulever d’office l’application du droit communautaire ne s’impose pas dans l’hypothèse où le juge national serait ainsi conduit à sortir des limites du litige, tel qu’il a été circonscrit par les parties, ou à examiner des faits qui n’ont pas été discutés devant lui (voir arrêt Van Schijndel et Van Veen, précité, points 20 à 22). Cette dernière précision intéresse essentiellement les juridictions suprêmes dès lors qu’elles sont généralement habilitées à statuer exclusivement en droit, et non également en fait. Cela étant, la limitation des attributions des juridictions suprêmes n’empêche pas certaines d’entre elles d’exercer un contrôle «en amont» fondé sur des moyens mélangés de fait et de droit en censurant une juridiction de fond pour ne pas avoir suffisamment recherché si, compte tenu de certains éléments de fait sur lesquels elles ne sauraient porter elles-mêmes d’appréciation, l’application du droit communautaire ne devrait pas conduire à une solution différente. Voir, à ce propos, Canivet, G., «Le rôle de la Cour de cassation française dans la construction d’une Europe du droit», dans L’Europe du droit, Conférence des notariats de l’Union européenne, Bruxelles, 2002, p. 153.


74: -     —    Ce schéma général a été en partie remanié pour certains domaines spécifiques, qui sont entrés, en vertu du traité d’Amsterdam, dans le champ d’application du droit communautaire. C’est le cas de l’ensemble des domaines relevant du titre IV du traité CE (visas, asile, immigration, coopération judiciaire civile). En effet, l’article 68, paragraphe 1, CE prévoit que les juridictions, dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours, sont seules compétentes pour poser des questions préjudicielles dans ces nouveaux domaines du droit communautaire. Cette compétence exclusive se conjugue avec l’institution d’une obligation de renvoi à leur égard. Ce système renforce encore davantage la position éminente des juridictions suprêmes dans la mise en .uvre du droit communautaire.


75: -     —    283/81, Rec. p. 3415.


76: -     —    Ibidem (point 7).


77: -     —    Dans l’attente de l’entrée en vigueur d’un projet de loi (European Convention on Human Rights Bill, 2001).


78: -     —    Le royaume de Belgique, le royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, le royaume d’Espagne, la République italienne, le grand-duché de Luxembourg, la république d’Autriche, la république de Finlande et le royaume de Suède.


79: -     —    Journal des tribunaux, 1991, p. 141. Voir, également, les intéressantes conclusions de l’avocat général Velu dans cette affaire (Journal des tribunaux, 1992, p. 142 à 152), ainsi que les commentaires que cet arrêt a suscités de la part de la doctrine européenne (notamment dans European Review of Private Law 2, 1994, p.111 à 140).


80: -     —    Giurisprudenza di merito, 2002, p. 360.


81: -     —    Voir, à ce propos, nos conclusions dans l'affaire Commission/CCRE (C-87/01 P, pendante devant la Cour, points 51 à 53).


82: -     —    Voir article 27 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités.


83: -     —    Voir avis consultatif de la Cour internationale de justice du 29 avril 1999 à propos d’un différend opposant l’Organisation des Nations unies et l’État malaisien à la suite de la méconnaissance par les autorités de cet État, notamment judiciaires, de l’immunité de juridiction d’une personne en droit de s’en prévaloir sur le fondement de la convention de 1946 sur les privilèges et immunités des Nations unies (point 63).


84: -     —    Voir, notamment, arrêts du 26 février 1976, Commission/Italie (52/75, Rec. p. 277, point 14); du 12 février 1987, Commission/Belgique (390/85, Rec. p. 761, point 7); du 12 mars 1987, Commission/Belgique (9/86, Rec. p. 1331, point 5), ainsi que, plus récemment, du 8 mars 2001, Commission/Portugal (C-276/98, Rec. p. I-1699, point 20), et du 7 novembre 2002, Commission/Espagne (C-352/01, non encore publié au Recueil, point 8).


85: -     —    Voir, notamment, arrêts du 5 mai 1970, Commission/Belgique (77/69, Rec. p. 237, point 15), et du 18 novembre 1970, Commission/Italie (8/70, Rec. p. 961, point 9), à propos d’une situation de manquement du fait de l’institution parlementaire. À rapprocher de la jurisprudence constante de la Cour sur le devoir du juge national d’interpréter son droit national d’une manière conforme à une directive au motif que «l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir, en vertu de l’article 5 du traité [.], de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles» (voir arrêt Marks & Spencer, précité, point 24. Voir, également, arrêt du 14 décembre 2000, Masterfoods et HB, C-344/98, Rec. p. I-11369, point 49).


86: -     —    C’est ce que la Cour de cassation (Belgique) a estimé dans l’arrêt De Keyser, précité, conformément aux conclusions de l’avocat général Velu sur ce point (Journal des tribunaux, 1992, p. 142).


87: -     —    Point 42.


88: -     —    C-352/98 P, Rec. p. I-5291 (points 39 à 47).


89: -     —    Voir, à ce propos, arrêts du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C-185/95 P, Rec. p. I-8417), et du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Rec. p. I-8375).


90: -     —    Voir, à ce sujet, avis de la Cour du 28 mars 1996, à propos d’un projet d’adhésion de la Communauté à la convention européenne des droits de l’homme (avis 2/94, Rec. p. I-1759, points 20, 21, 34 et 35).


91: -     —    Voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Peterbroeck, précitée (point 23). Cette règle est également partagée par les États membres dans le domaine pénal au travers du principe non bis inidem (voir arrêt du 11 février 2003, Gözütok et Brügge, C-187/01 et C-385/01, non encore publié au Recueil).


92: -     —    Voir, notamment, arrêts du 10 juillet 1997, Palmisani (C-261/95, Rec. p. I-4025, point 33); du 1er décembre 1998, Levez (C-326/96, Rec. p. I-7835, point 39), et du 16 mai 2000, Preston e.a. (C-78/98, Rec. p. I-3201, point 56).


93: -     —    Voir jurisprudence citée à la note en bas de page 92.


94: -     —    L’autorité de la chose jugée est en principe relative. En droit français, voir article 1351 du code civil; Tomasin, D., Essai sur l’autorité de la chose jugée en matière civile (comprenant des éléments de droit comparé), Paris, 1975, et Couchez, «Procédure civile», Armand Colin, 11e éd. 2000, p. 165. En droit espagnol, voir Oliva Santos, A., Sobre la cosa juzgada (Civil, contencioso-administrativa y penal, con examen de la jurisprudencia del Tribunal Constitucional), Editorial Centro de Estudios Ramón Areces, SA,p. 44 à 57. En droit allemand, voir paragraphes 322 ZPO et 121 VmGo. En droit autrichien, voir paragraphe 411 ZPO. L’autorité absolue de la chose jugée ne s’applique généralement qu’aux décisions procédant à l’annulation d’un acte dans le cadre d’un contrôle de légalité. Voir, notamment, Chapus, R., Droit du contentieux administratif, 2e éd., Montchrestien, Paris, 1990, p. 587 à 600. Cette règle peut être rapprochée de celle applicable dans l’ordre juridique communautaire dans le cadre des recours en annulation fondés sur l’article 230 CE.


95: -     —    Le principe d'effectivité signifie que les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire ne doivent pas être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice de ces droits.


96: -     —    Point 37.


97: -     —    Point 36.


98: -     —    Cette conclusion n’est pas contraire à ce que la Cour a jugé dans l’arrêt du 1er juin 1999, Eco Swiss (C-126/97, Rec. p. I-3055, points 43 à 48). Dans cette affaire, les règles procédurales nationales en cause limitaient la possibilité de demander l’annulation d’une sentence arbitrale dont la validité était contestée sur le fondement de l’article 85 CE, étant précisé que cette sentence développait une sentence arbitrale intermédiaire, ayant acquis l’autorité de la chose jugée dès lors qu’elle n’avait pas fait l’objet d’un recours en annulation dans un certain délai. Si la Cour a admis cette règle procédurale en se fondant sur les principes régissant le système juridictionnel national, tels que ceux de la sécurité juridique et du respect de la chose jugée qui en constitue l’expression, on ne saurait en conclure qu’il devrait en aller également ainsi dans le cadre d’une action en responsabilité, car elle n’a pas pour objet ni nécessairement pour effet de réformer, de réviser ou de rétracter une décision de justice.


99: -     —    Cette exigence d’impartialité du juge est également présente dans la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (article 47).


100: -     —    Voir, notamment, arrêts Piersak du 1er octobre 1982 (série A n° 11, § 31); De Cubber du 26 octobre 1984 (série A n° 86); Hauschildt du 24 mai 1989 (série A n° 154, § 46), ou Mc Gonnel du 8 février 2000 (série A n° 2112). Voir, à ce propos, nos conclusions dans l’affaire Baustahlgewebe/Commission, précitée (point 67).


101: -     —    Point 49.


102: -     —    Point 50.


103: -     —    Voir arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (point 51).


104: -     —    Ibidem (points 66 et 74).


105: -     —    Voir, notamment, arrêts précités Francovich e.a. (points 40 et 44) et Dillenkofer e.a. (points 33 à 46), ainsi que arrêt du 15 juin 1999, Rechberger e.a. (C-140/97, Rec. p. I-3499, points 22 et 23).


106: -     —    Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Tesauro dans l’affaire Brasserie du pêcheur et Factortame, précitée (points 71 et 72).


107: -     —    Point 42.


108: -     —    Voir arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (point 42).


109: -     —    Point 38.


110: -     —    Voir arrêt Francovich e.a., précité (point 46 faisant référence à la situation de non-transposition de cette affaire).


111: -     —    Arrêt Dillenkofer e.a., précité (point 26).


112: -     —    Arrêt Rechberger e.a., précité (point 51).


113: -     —    Arrêt Hedley Lomas, précité (points 18, 28 et 29).


114: -     —    Voir arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité (points 45, 47, 51 et 55).


115: -     —    Arrêt Haim, précité (point 41). Le litige au principal opposait un dentiste à une association de dentistes mutualistes allemande, à la suite du refus de cette dernière de procéder à son inscription sur le registre des dentistes en vue d’obtenir ultérieurement son conventionnement par une caisse d’assurance maladie. L’intéressé a engagé une action en responsabilité de l’État du fait de l’administration afin d’obtenir l’indemnisation du manque à gagner qu’il aurait indûment subi. La Cour n’a pas précisé si l’on se trouvait dans la première ou dans la seconde hypothèse visée par l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité. Elle a laissé au juge de renvoi le soin d’en décider, étant précisé que l’existence et l’étendue de la marge d’appréciation de l’État membre concerné doivent être déterminées par rapport au droit communautaire et non par rapport au droit national (point 40).


116: -     —    Ibidem (point 42).


117: -     —    Cet élément a également été pris en compte dans l’arrêt Rechberger e.a., précité (points 50 et 51), à propos de la transposition d’une directive méconnaissant ses effets dans le temps (à rapprocher de l’affaire Dillenkofer e.a., précitée), ainsi que dans l’arrêt Stockholm Lindöpark, précité (points 39 et 40). Dans ces deux arrêts, la Cour a précisé que l’État membre concerné n’était pas confronté à un choix normatif. On se trouvait donc bien dans la première hypothèse visée par l’arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité.


118: -     —    Arrêt Haim, précité (point 43).


119: -     —    Point 56.


120: -     —    Point 39.


121: -     —    Point 41.


122: -     —    Voir, notamment, arrêts du 24 juin 1969, Milch-, Fett- und Eierkontor (29/68, Rec. p. 165, point 3), et du 3 février 1977, Benedetti (52/76, Rec. p. 163, point 26).


123: -     —    Une juridiction nationale peut ou doit poser une question préjudicielle, même si elle en a déjà posé une dans le cadre du même litige. Cette possibilité a été soulignée par l’arrêt Milch-, Fett- und Eierkontor, précité (point 3). La Cour a précisé qu’un nouveau renvoi préjudiciel peut être justifié «lorsque le juge national se heurte à des difficultés de compréhension ou d’application de l’arrêt, lorsqu’il pose à la Cour une nouvelle question de droit ou, encore, lorsqu’il lui soumet de nouveaux éléments d’appréciation susceptibles de conduire la Cour à répondre différemment à une question déjà tranchée» (voir arrêt Pretore di Salò, précité, point 12, et ordonnance du 5 mars 1986, Wünsche, 69/85, Rec. p. 947, point 15). Ce mécanisme a été appliqué à plusieurs reprises par les juridictions nationales. Voir, notamment, arrêts du 13 juillet 1978, Milac (8/78, Rec. p. 1721); du 16 décembre 1981, Foglia (244/80, Rec. p. 3045); du 12 novembre 1992, Kerafina — Keramische und Finanz-Holding et Vioktimatiki (C-134/91 et C-135/91, Rec. p. I-5699), et Denkavit e.a., précité.


124: -     —    Voir, notamment, arrêts du 27 mars 1980, Denkavit italiana (61/79, Rec. p. 1205, point 16); du 11 août 1995, Roders e.a. (C-367/93 à C-377/93, Rec. p. I-2229, point 42); du 13 février 1996, Bautiaa et Société française maritime (C-197/94 et C-252/94, Rec. p. I-505, point 47), et du 15 septembre 1998, Edis (C-231/96, Rec. p. I-4951, point 15).


125: -     —    C’est d’ailleurs dans l’intérêt de la sécurité juridique que la Cour a admis certaines limites aux effets de ses arrêts dans le temps tenant à l’épuisement des délais raisonnables de recours à peine de forclusion (voir arrêt Edis, précité, point 20, et jurisprudence à laquelle il est fait référence). Il est intéressant d’indiquer que, dans cette affaire, l’avocat général Ruiz-Jarabo Colomer a souligné, au point 24 de ses conclusions, que «[l]es arrêts [de la Cour] ne sont pas investis d’une espèce d’effet supratemporel». Il a précisé que «[l]eur effet doit au contraire s’exercer sur les situations juridiques qui, selon le droit interne, sont encore susceptibles de faire l’objet d’une controverse ou d’une révision et qui, de ce fait, peuvent se trouver soumises à la décision d’un organe juridictionnel».


126: -     —    En 1975, dans ses suggestions sur l’Union européenne, la Cour a estimé qu’il serait opportun de prévoir — dans le traité — une garantie appropriée pour la sauvegarde des droits des particuliers en cas de violation de l’article 177 du traité CE (devenu article 234 CE). Toutefois, elle a laissé ouverte la question de savoir si cette garantie devrait consister en un recours devant la Cour par les parties au principal, en une procédure obligatoire de manquement ou en une action en réparation contre l’État concerné à la requête de la partie lésée (Bull. CE, suppl. 9/75, p. 18).


127: -     —    Points 13 à 17.


128: -     —    Voir, notamment, décisions du 23 mars 1999 sur la recevabilité de la requête de André Desmots contre France (n° 41358/98, point 2); du 25 janvier 2000, Peter Moosbrugger contre Autriche (n° 44861/98, point 2), et arrêt sur le fond Coëme et autres c. Belgique du 22 juin 2000 (nos 32492/96, 32547/96, 33209/96 et 33210/96, § 114), ainsi que décisions du 4 octobre 2001 sur la recevabilité de Nicolas Calena Santiago contre Espagne (n° 60350/00), et du 13 juin 2002, sur la recevabilité de la requête de Lambert Bakker contre Autriche (n° 43454/98, point 2). Dans toutes ces affaires, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que l’absence de renvoi préjudiciel n’était pas entachée d’arbitraire.


129: -     —    La Cour constitutionnelle allemande considère que la Cour de justice est un «juge légal» des parties au sens de l’article 101 de la Constitution allemande. Il en résulte que, lorsqu’une juridiction suprême ne pose pas de question préjudicielle, en violation de l’article 234, paragraphe 3, CE, la Cour constitutionnelle a compétence pour casser un tel arrêt pour violation de la Constitution. Voir, par exemple, ordonnance du 9 janvier 2001 du Bundesverfassungsgericht concernant une décision du Bunderverwaltungsgericht à propos de l’égalité entre hommes et femmes dans le cadre de la profession médicale (BvR 1036/99).


130: -     —    Voir, à ce propos, jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme dans le cadre de l’examen de requêtes individuelles fondées sur la violation de l’article 6 de la CEDH (notamment arrêt Coëme et autres c. Belgique, précité, §155 à 158). Selon la Cour européenne des droits de l'homme, on ne peut spéculer sur ce qu’aurait été l’issue d’une procédure conforme à l’article 6 de ladite convention, et donc faire droit à une demande en réparation de dommage matériel. En revanche, elle admet, compte tenu de l’ampleur du dommage moral subi, que le simple constat de la violation des dispositions précitées est insuffisant et justifie l’allocation d’une certaine somme à titre de réparation.


131: -     —    Ce principe a été posé par l’arrêt du 9 juillet 1985, Bozzetti (179/84, Rec. p. 2301, point 17), se référant sur ce point à l’arrêt Salgoil, précité (spécialement p. 675). Il a été réaffirmé, notamment, dans les arrêts du 18 janvier 1996, SEIM (C-446/93, Rec. p. I-73, point 32), et Dorsch Consult, précité (cité par la juridiction de renvoi).


132: -     —    Idem.


133: -     —    Point 58.


134: -     —    Idem.


135: -     —    Voir, notamment, arrêts précités Konle (point 59), Haim (point 44) et Stockholm Lindöpark (point 38).


136: -     —    Voir, notamment, arrêts du 4 décembre 1974, Van Duyn (41/74, Rec. p. 1337, points 5 à 8), et du 15 décembre 1995, Bosman (C-415/93, Rec. p. I-4921, point 129).


137: -     —    Voir arrêt du 22 novembre 1995, Vougioukas (C-443/93, Rec. p. I- 4033, points 38 à 42). Voir, également, arrêt du 23 février 1994, Scholz (C-419/92, Rec. p. I-505, point 9).


138: -     —    Arrêt Scholz, précité (point 8).


139: -     —    Voir, notamment, arrêts du 12 février 1974, Sotgiu (152/73, Rec. p. 153, point 11); du 21 novembre 1991, Le Manoir (C-27/91, Rec. p. I-5531, point 10); du 10 mars 1993, Commission/Luxembourg (C-111/91, Rec. p. I-817, point 9); Scholz, précité (point 7), et du 23 mai 1996, O’Flynn (C-237/94, Rec. p. I-2613, point 17).


140: -     —    Point 18.


141: -     —    Voir, notamment, arrêts du 2 août 1993, Allué e.a. (C-259/91, C-331/91 et C-332/91, Rec. p. I-4309, point 15); O’Flynn, précité (point 19), ainsi que arrêt du 12 mars 1998 — rendu quelques mois avant le prononcé de la décision du Verwaltungsgerichtshof — Commission/Grèce (C-187/96, Rec. p. I-1095, point 19).


142: -     —    Voir arrêt Schöning-Kougebetopoulou, précité (points 26 et 27).


143: -     —    D'ailleurs, c'est ce que la Cour a jugé ultérieurement à propos d'une législation autrichienne moins restrictive au regard de la libre circulation des personnes. Selon cette législation, les périodes d'activités antérieures effectuées dans d'autres États membres sont prises en compte pour la détermination de la rémunération des enseignants, mais dans des conditions plus strictes que celles applicables aux périodes accomplies en Autriche. Après avoir écarté la prétendue justification tenant à la récompense de fidélité, compte tenu de la multiplicité d'employeurs, la Cour a pris soin d'indiquer que, en tout état de cause, la restriction discriminatoire litigieuse n'était pas proportionnelle à un tel objectif (voir arrêt du 30 novembre 2000, Österreichischer Gewerkschaftsbund, C-195/98, Rec. p. I-10497, point 50).


144: -     —    Voir arrêt Cilfit e.a., précité (point 16).