Language of document : ECLI:EU:T:1997:158

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)

24 octobre 1997 (1)

«CECA — Recours en annulation — Aides d'État — Décisions individuelles autorisant l'octroi d'aides d'État à des entreprises sidérurgiques —

Incompatibilité avec les dispositions du traité — Rétroactivité —

Articles 4, sous b) et c), et 95, premier et deuxième alinéas, du traité»

Dans l'affaire T-239/94,

Association des aciéries européennes indépendantes (EISA), association de droit belge, établie à Bruxelles, représentée par Me Alexandre Vandencasteele, avocat au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Ernest Arendt, 8-10, rue Mathias Hardt,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Michel Nolin et Ben Smulders, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. Rüdiger Bandilla et Stephan Marquardt, respectivement directeur et administrateur au service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

République fédérale d'Allemagne, représentée par MM. Ernst Röder, Ministerialrat au ministère fédéral de l'Économie, et Bernd Kloke, Oberregierungsrat au même ministère, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de la République fédérale d'Allemagne, 20-22, avenue Émile Reuter,

République italienne, représentée par M. Umberto Leanza, chef du service du contentieux diplomatique du ministère des Affaires étrangères, en qualité d'agent, assisté de M. Pier Giorgio Ferri, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade d'Italie, 5, rue Marie-Adélaïde,

et

Ilva Laminati Piani SpA, société de droit italien, établie à Rome, représentée par Mes Aurelio Pappalardo, avocat au barreau de Trapani, et Massimo Merola, avocat au barreau de Rome, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Alain Lorang, 51, rue Albert 1er,

parties intervenantes,

ayant pour objet l'annulation des décisions 94/256/CECA à 94/261/CECA de la Commission, du 12 avril 1994, concernant les aides que divers États membres envisagent d'accorder à des entreprises sidérurgiques établies sur leurs territoires respectifs (JO L 112, respectivement p. 45, 52, 58, 64, 71 et 77),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre élargie),

composé de MM. A. Saggio, président, A. Kalogeropoulos, Mme V. Tiili, MM. A. Potocki et R. M. Moura Ramos, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 25 février 1997,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (ci-après «traité») prohibe, en principe, les aides d'État à des entreprises sidérurgiques, en déclarant, en son article 4, sous c), incompatibles avec le marché commun du charbon et de l'acier et, en conséquence, interdites dans les conditions prévues audit traité «les subventions ou aides accordées par les États ou les charges spéciales imposées par eux, sous quelque forme que ce soit».

2.
    L'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité énonce ce qui suit:

«Dans tous les cas non prévus au présent traité, dans lesquels une décision ou une recommandation de la Commission apparaît nécessaire pour réaliser dans le fonctionnement du marché commun du charbon et de l'acier et conformément aux dispositions de l'article 5 l'un des objets de la Communauté, tels qu'ils sont définis aux articles 2, 3 et 4, cette décision ou cette recommandation peut être prise sur avis conforme du Conseil, statuant à l'unanimité et après consultation du Comité consultatif.

La même décision ou recommandation, prise dans la même forme, détermine éventuellement les sanctions applicables.»

3.
    Afin de répondre aux exigences de la restructuration du secteur de la sidérurgie, la Commission s'est fondée sur les dispositions précitées de l'article 95 du traité pour mettre en place, à partir du début des années 80, un régime communautaire des aides autorisant l'octroi d'aides d'État à la sidérurgie dans certains cas limitativement énumérés. Ce régime a fait l'objet d'adaptations successives, en vue de faire face aux difficultés conjoncturelles de l'industrie sidérurgique. C'est ainsi que le code communautaire des aides à la sidérurgie en vigueur durant la période considérée dans la présente espèce est le cinquième de la série et a été instauré par la décision n° 3855/91/CECA de la Commission, du 27 novembre 1991, instituant des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie (JO L 362, p. 57, ci-après «code des aides»). Il ressort de ses considérants qu'il institue, tout comme les codes précédents, un système communautaire destiné à couvrir des aides, spécifiques ou non, accordées par les États sous quelque forme que ce soit. Ce code n'autorise ni les aides au fonctionnement ni les aides à la restructuration, sauf lorsqu'il s'agit d'aides à la fermeture.

Faits à l'origine du litige

4.
    Face à l'aggravation de la situation économique et financière dans le secteur sidérurgique, la Commission a présenté un plan de restructuration dans sa communication SEC(92) 2160 final au Conseil et au Parlement européen, du 23 novembre 1992, intitulée «Vers le renforcement de la compétitivité de l'industrie sidérurgique. Nécessité d'une nouvelle restructuration». Ce plan se fondait sur le constat du maintien d'une surcapacité de caractère structurel et visait principalement à réaliser, sur la base d'une participation volontaire de la part des entreprises sidérurgiques, une réduction substantielle et définitive de capacités de production de l'ordre de 19 millions de tonnes au minimum. Il prévoyait, à cette fin, un ensemble de mesures d'accompagnement dans le domaine social ainsi que des incitations financières, y compris des aides communautaires. Parallèlement, la Commission a donné un mandat d'exploration à un expert indépendant, M. Braun, ancien directeur général à la direction générale de l'industrie à la Commission, dont la mission essentielle consistait à faire le relevé des projets de fermeture d'entreprises du secteur sidérurgique pendant la période envisagée dans la communication susvisée, qui couvrait les années 1993 à 1995. M. Braun a soumis son rapport, en date du 29 janvier 1993, intitulé «Les restructurations en cours ou envisagées dans l'industrie sidérurgique», après avoir pris contact avec les dirigeants de quelque 70 entreprises.

5.
    Dans ses conclusions du 25 février 1993, le Conseil a accueilli favorablement les grandes lignes du programme présenté par la Commission à la suite du rapport Braun, en vue d'obtenir une réduction substantielle des capacités de production. La restructuration durable du secteur sidérurgique devait être facilitée par «un ensemble de mesures d'accompagnement limitées dans le temps, respectant strictement les règles sur le contrôle des aides d'État», étant entendu, en ce qui concerne les aides d'État, que «la Commission [confirmait] son attachement à une application rigoureuse et objective du code des aides et [veillerait] à ce que les dérogations éventuelles qui pourraient être proposées au Conseil au titre de l'article 95 du traité contribuent pleinement à l'effort global de réduction des capacités qui s'impose. Le Conseil [statuerait] rapidement suivant des critères objectifs sur ces propositions».

6.
    Dans cette ligne d'idées, le Conseil et la Commission ont indiqué, dans leur déclaration conjointe inscrite au procès-verbal du Conseil du 17 décembre 1993 — qui fait état de l'accord global obtenu au sein du Conseil en vue de donner ses avis conformes au titre de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, sur des aides d'État aux entreprises publiques Sidenor (Espagne), Sächsische Edelstahlwerke GmbH (Allemagne), Corporación de la Siderurgia Integral (CSI, Espagne), Ilva (Italie), EKO Stahl AG (Allemagne) et Siderurgia Nacional Company (Portugal) —, qu'ils «[considéraient] que le seul moyen de parvenir à une sidérurgie communautaire saine, compétitive sur le marché mondial, [était] de mettre définitivement fin aux subventions publiques à la sidérurgie et de fermer les

installations non rentables. En donnant son accord unanime aux propositions au titre de l'article 95 dont il [était] saisi, le Conseil [réaffirmait] son attachement à l'application stricte du code des aides [...] et, à défaut d'autorisation en vertu du code, à l'article 4, sous c), du traité CECA. Sans préjudice du droit de tout État membre de demander une décision au titre de l'article 95 du traité CECA, et conformément à ses conclusions du 25 février 1993, le Conseil se [déclarait] fermement résolu à éviter toute nouvelle dérogation au titre de l'article 95 pour des aides en faveur d'une entreprise particulière».

7.
    Le Conseil a donné son avis conforme le 22 décembre 1993, en vertu de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, sur l'octroi des aides susmentionnées destinées à accompagner la restructuration ou la privatisation des entreprises publiques concernées.

8.
    C'est dans ce contexte juridique et factuel que, pour faciliter une nouvelle restructuration de l'industrie sidérurgique, la Commission a adopté, le 12 avril 1994, à la suite de l'avis conforme du Conseil, susvisé, six décisions individuelles fondées sur l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, autorisant l'octroi d'aides d'État qui ne répondaient pas aux critères permettant, en application du code des aides, susvisé, de déroger à l'article 4, sous c), du traité. La Commission autorisait respectivement, dans ces six décisions, l'octroi des aides que l'Allemagne envisageait d'accorder à l'entreprise sidérurgique EKO Stahl AG, Eisenhüttenstadt (décision 94/256/CECA, JO L 112, p. 45, ci-après «décision 94/256»), les aides que le Portugal envisageait d'accorder à l'entreprise sidérurgique Siderurgia Nacional (décision 94/257/CECA, JO L 112, p. 52), les aides que l'Espagne envisageait d'accorder à l'entreprise publique de sidérurgie intégrée Corporación de la Siderurgia Integral (CSI) (décision 94/258/CECA, JO L 112, p. 58), l'octroi par l'Italie d'aides d'État aux entreprises sidérurgiques du secteur public (groupe sidérurgique Ilva) (décision 94/259/CECA, JO L 112, p. 64), les aides que l'Allemagne envisageait d'accorder à l'entreprise sidérurgique Sächsische Edelstahlwerke GmbH, Freital/Sachsen (décision 94/260/CECA, JO L 112, p. 71), et les aides que l'Espagne envisageait d'accorder à Sidenor, entreprise produisant des aciers spéciaux (décision 94/261/CECA, JO L 112, p. 77).

9.
    Ces autorisations étaient assorties, conformément à l'avis conforme du Conseil, «d'obligations correspondant à des réductions nettes de capacités pour 2 millions de tonnes au moins d'acier brut et pour un maximum de 5,4 millions de tonnes de laminés à chaud (abstraction faite de la construction d'un train à larges bandes à Sestão et d'une hausse de la capacité de EKO Stahl au-delà de 900 000 tonnes après mi-1999)», d'après la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 13 avril 1994 [COM(94) 125 final] visant à établir un bilan intermédiaire de la restructuration sidérurgique et à émettre des suggestions destinées à consolider ce processus, dans l'esprit des conclusions du Conseil du 25 février 1993, précitées.

Procédure

10.
    C'est dans ce contexte que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 6 juin 1994, l'Association des aciéries européennes indépendantes (EISA) a demandé, en vertu de l'article 33 du traité, l'annulation des six décisions du 12 avril 1994, susvisées.

11.
    Par acte séparé enregistré au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a également introduit, en vertu de l'article 39 du traité, une demande de sursis à l'exécution de l'article 1er des décisions attaquées, en ce qu'elles déclaraient compatibles avec le bon fonctionnement du marché commun et donc autorisaient les aides en question. Cette demande a été rejetée par ordonnance du président du Tribunal du 15 juillet 1994, EISA/Commission (T-239/94 R, Rec. p. II-703).

12.
    Parallèlement, deux autres recours ont été introduits, l'un par la société British Steel plc, contre les décisions 94/258 et 94/259, du 12 avril 1994, précitées, précitées, autorisant respectivement l'octroi d'aides d'État à l'entreprise CSI et au groupe sidérurgique Ilva (affaire T-243/94), et l'autre par les entreprises Wirtschaftsvereinigung Stahl, Thyssen Stahl AG, Preussag Stahl AG et Hoogovens Groep BV contre la décision 94/259, autorisant l'octroi d'aides d'État au groupe sidérurgique Ilva (affaire T-244/94).

13.
    Dans la présente espèce, la République fédérale d'Allemagne, le Conseil, la République italienne et Ilva Laminati Piani SpA (ci-après «Ilva») ont déposé au greffe du Tribunal, respectivement les 14, 24 et 28 octobre et le 2 novembre 1994, une demande tendant à intervenir dans le litige à l'appui des conclusions de la partie défenderesse. Par ordonnances en date des 25, 28 novembre et 15 décembre 1994, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a admis ces interventions à l'appui des conclusions de la partie défenderesse.

14.
    Le 21 décembre 1994, la Commission a, par la décision 94/1075/CECA, concernant un projet d'aide de l'Allemagne en faveur de l'entreprise sidérurgique EKO Stahl GmbH, Eisenhüttenstadt (JO L 386, p. 18), retiré la décision 94/256, concernant ladite entreprise.

15.
    Le 3 décembre 1996, le Tribunal a posé à la Commission, en application de l'article 64, paragraphe 3, du règlement de procédure, des questions auxquelles elle a répondu dans le délai imparti.

16.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience du 25 février 1997.

    Conclusions des parties

17.
    La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler les décisions 94/256 à 94/261, du 12 avril 1994, précitées;

—    condamner la Commission aux dépens.

18.
    La partie défenderesse, soutenue par le Conseil et la République italienne, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la requérante aux dépens.

19.
    La République fédérale d'Allemagne conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours en ce qu'il tend à l'annulation des décisions 94/256 et 94/260, du 12 avril 1994, précitées.

20.
    Ilva conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    déclarer le recours recevable mais non fondé;

—    condamner la partie requérante au paiement de l'ensemble des dépens, y compris ceux exposés par Ilva.

Sur la recevabilité du recours

Argumentation des parties

21.
    Afin d'établir la recevabilité de son recours, la requérante soutient que, contrairement aux allégations du gouvernement allemand, elle est concernée par les décisions attaquées, au sens de l'article 33, deuxième alinéa, du traité (arrêts de la Cour du 19 septembre 1985, Hoogovens/Commission, 172/83 et 226/83, Rec. p. 2831, et du 6 décembre 1990, Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie/Commission, C-180/88, Rec. p. I-4413). En outre, elle précise que plusieurs de ses membres ont une production en concurrence directe avec la production des deux entreprises allemandes bénéficiaires des aides en cause ainsi qu'avec celle de leurs acquéreurs.

22.
    La République fédérale d'Allemagne conteste la qualité pour agir de la requérante, au motif qu'elle n'aurait pas démontré que les décisions attaquées lèsent ses intérêts propres ou ceux des entreprises qu'elle représente. En particulier, les membres d'EISA ne seraient pas en concurrence avec les entreprises EKO Stahl

et Sächsische Edelstahlwerke, dans la mesure où il n'apparaîtrait pas qu'ils fabriquent les mêmes produits.

Appréciation du Tribunal

23.
    Avant d'examiner le bien-fondé de la fin de non-recevoir soulevée par la République fédérale d'Allemagne, le Tribunal estime nécessaire d'en apprécier la recevabilité à la lumière du règlement de procédure.

24.
    La partie défenderesse n'a pas soulevé cette fin de non-recevoir lors de la procédure écrite. Or, les conclusions d'une requête en intervention ne peuvent avoir d'autre objet que le soutien des conclusions de l'une des parties au litige [article 34, deuxième alinéa, et 46, premier alinéa, du statut (CECA) de la Cour]. En outre, l'intervenant accepte le litige dans l'état où il se trouve lors de son intervention (article 116, paragraphe 3, du règlement de procédure).

25.
    Il en résulte que la République fédérale d'Allemagne, partie intervenante, n'a pas qualité pour soulever une exception d'irrecevabilité et que le Tribunal n'est donc pas tenu d'examiner les moyens qu'elle a invoqués à cet égard (voir, à ce sujet, l'arrêt de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C-313/90, Rec. p. I-1125).

26.
    Toutefois, en vertu de l'article 113 du règlement de procédure, le Tribunal peut, à tout moment, examiner d'office les fins de non-recevoir d'ordre public, y compris celles invoquées par les parties intervenantes (voir, à ce sujet, les arrêts de la Cour du 11 juillet 1990, Neotype Techmashexport/Commission et Conseil, C-305/86 et C-160/87, Rec. p. I-2945, et du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203).

27.
    En l'espèce, la fin de non-recevoir soulevée par la République fédérale d'Allemagne soulève une question d'ordre public, dans la mesure où elle concerne la qualité pour agir de la requérante ainsi que son accès aux voies de recours, et, conformément à la jurisprudence susmentionnée, elle peut donc faire l'objet d'un examen d'office de la part du Tribunal.

28.
    Dans ce contexte, le Tribunal souligne qu'il relève d'une jurisprudence constante que les associations au sens de l'article 48 du traité, regroupant des entreprises du secteur sidérurgique et ayant pour but de représenter les intérêts communs de leurs membres, sont concernées — au sens de l'article 33, deuxième alinéa, du traité — par des décisions qui autorisent le versement d'aides d'État à des entreprises concurrentes (voir l'arrêt Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie/Commission, précité, point 23).

29.
    EISA est une association qui regroupe des aciéries européennes indépendantes, ce qui permet de présumer que les entreprises sidérurgiques publiques bénéficiaires

des aides autorisées par les décisions litigieuses sont des entreprises concurrentes des entreprises membres d'EISA. Or, comme l'a affirmé la requérante, il n'a été contesté ni par la partie défenderesse, ni par les parties intervenantes, à l'exception de la République fédérale d'Allemagne, que les entreprises représentées par EISA sont effectivement en concurrence avec les entreprises sidérurgiques publiques qui ont bénéficié des aides autorisées par les décisions litigieuses. Quant à la République fédérale d'Allemagne, elle s'est limitée à soutenir qu'il «n'apparaît pas» que les membres d'EISA fabriquent les mêmes produits que EKO Stahl ou que Sächsische Edelstahlwerke, sans pour autant avancer des arguments suffisants pour mettre en cause la qualité de concurrentes des entreprises représentées par EISA.

30.
    Il s'ensuit que le recours introduit par EISA doit être considéré comme recevable.

Sur l'objet de la demande en annulation

Argumentation des parties

31.
    En ce qui concerne la demande en annulation de la décision 94/256, concernant l'entreprise EKO Stahl AG (ci-après «EKO»), la République fédérale d'Allemagne soutient qu'elle serait devenue sans objet, la Commission ayant retiré cette décision, par la décision 94/1075, du 21 décembre 1994, précitée.

32.
    La requérante fait remarquer que, à supposer même que la décision 94/256 relative à EKO ait été retirée par la Commission, la demande en annulation de cette décision n'en est pas pour autant privée d'objet, dans la mesure où la requérante a intérêt à ce que le Tribunal constate l'illégalité des décisions individuelles autorisant l'octroi d'aides d'État au fonctionnement sur la base de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité afin d'éviter d'éventuelles répétitions de cette pratique.

33.
    La Commission confirme que, par sa décision 94/1075, du 21 décembre 1994, précitée, elle a procédé au «retrait-abrogation» de sa décision 94/256 et que, de ce fait, le recours en annulation en ce qui concerne la décision 94/256 étant devenu sans objet, il n'y a pas lieu, pour le Tribunal, de statuer.

Appréciation du Tribunal

34.
    Le Tribunal estime que la thèse de la partie requérante n'est pas fondée. Selon une jurisprudence bien établie, il n'y a pas lieu de statuer sur un recours en annulation lorsque la décision attaquée a été retirée, ce qui l'a rendue inapplicable (voir, à titre d'exemple, l'ordonnance de la Cour du 19 octobre 1983, Ferriere San Carlo/Commission, 75/83, Rec. p. 3123). Or, il est constant que la décision litigieuse

a été retirée, devenant ainsi inapplicable. Le recours en annulation formé par EISA contre la décision 94/256 est donc devenu sans objet, sans qu'il y ait lieu d'examiner les raisons qui ont conduit la Commission à retirer cette décision.

35.
    Par conséquent, il n'y a pas lieu de statuer sur la partie du recours visant à l'annulation de la décision 94/256.

Sur le fond du recours

36.
    La requérante invoque, à l'appui de sa demande en annulation, deux moyens tirés, d'une part, de la violation du traité et du code des aides ainsi que d'un détournement de pouvoir et, d'autre part, du caractère prétendument rétroactif des décisions litigieuses.

Sur le premier moyen, tiré de la violation du traité et du code des aides ainsi que d'un détournement de pouvoir

37.
    Dans le cadre de ce premier moyen, la requérante invoque, premièrement, la méconnaissance de l'interdiction des aides d'État prétendument édictée par le traité et le code des aides ainsi qu'un détournement de pouvoir, deuxièmement, la violation des conditions d'application de l'article 95, premier alinéa, du traité et, troisièmement, la violation du principe de non-discrimination consacré par le traité.

Argumentation des parties

38.
    La requérante relève d'abord que, dans les décisions attaquées, la Commissionreconnaît expressément que les aides en cause sont incompatibles avec le traité et avec le code des aides. Or, cette institution n'aurait pas été en droit de déroger à l'interdiction des aides énoncée par ces textes en se fondant sur l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité. En effet, l'adoption des décisions litigieuses entraînerait une véritable modification du traité et aurait nécessité un amendement préalable de celui-ci, conformément à la procédure prévue par l'article N du traité sur l'Union européenne, à la suite de l'abrogation de l'article 96 du traité CECA, avec effet au 1er novembre 1993, par l'article H, point 21, dudit traité.

39.
    A cet égard, la requérante fait valoir que, en accordant une série de dérogations individuelles, sans préciser les circonstances la conduisant à déroger aux dispositions du code des aides au profit des cinq entreprises destinataires des décisions litigieuses, la Commission s'est arrogé un pouvoir trop vague et trop général, qui va au-delà d'un aménagement du traité envisagé à l'article 95, tant en son premier alinéa qu'en ses troisième et quatrième alinéas, et qui, en tout état de cause, ne permet pas de vérifier si les conditions d'application de ces dispositions sont réunies.

40.
    En particulier, les décisions attaquées ne se rapporteraient pas à un cas non prévu par le traité, dans la mesure où celui-ci interdit, au contraire, expressément les aides d'État, en son article 4, sous c). La requérante rejette l'argumentation de la Commission selon laquelle les décisions litigieuses autoriseraient non pas des aides d'État interdites par l'article 4, sous c), du traité, mais des aides communautaires. A cet égard, elle allègue qu'il ressort expressément des décisions attaquées que celles-ci approuvent des aides nationales et non pas des aides communautaires. Il serait évident que l'action de la Commission se limitait à autoriser, à certaines conditions, les États membres concernés à octroyer à leurs entreprises une aide dont ils ont eux-mêmes déterminé le montant et les modalités, en dehors de tout cadre communautaire. En écartant ainsi, même dans un but prétendument conforme aux objectifs du traité, l'interdiction des aides d'État énoncée par le traité, les décisions attaquées porteraient atteinte au principe d'une Communauté de droit.

41.
    Dans cette ligne d'idées, la requérante estime que le caractère individuel des dérogations à l'interdiction des aides d'État énoncée par le traité, accordées par les décisions attaquées, démontrerait qu'elles n'ont pas pour objet de résoudre un cas non prévu par le traité, en vue de réaliser les objectifs qu'il définit, mais de résoudre les difficultés que rencontreraient certaines entreprises à se soumettre aux règles du traité, dont le respect est imposé à leurs concurrents. Ces décisions viseraient en effet à légaliser certaines aides d'État qui ne pouvaient s'inscrire dans le cadre légal défini par le traité. En outre, même si le problème en cause pouvait être considéré comme un cas non prévu par le traité, ce que la requérante conteste, l'utilisation de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité pour adopter des décisions individuelles afin de résoudre un problème général constituerait un détournement de pouvoir. En effet, une telle utilisation irait à l'encontre d'un des objectifs fondamentaux du traité, à savoir l'égalité de traitement des opérateurs économiques.

42.
    La requérante soutient ensuite que les conditions d'application de l'article 95, premier alinéa, du traité, ne sont pas remplies par les décisions litigieuses. En autorisant des aides au fonctionnement, ces décisions ne s'inscriraient pas dans le cadre du fonctionnement du marché commun de l'acier et ne viseraient pas à la réalisation de l'un des objectifs de la Communauté. En outre, elles ne seraient pas nécessaires en vue de réaliser les objectifs poursuivis.

43.
    En premier lieu, la requérante fait valoir que les décisions attaquées ne s'inscrivent pas dans le cadre du fonctionnement du marché commun de l'acier et ne tendent pas à la réalisation de l'un des objets de la Communauté tels qu'ils sont définis aux articles 2, 3 et 4, ainsi que l'exige l'article 95, premier alinéa, dudit traité. En effet, ces décisions viseraient à maintenir artificiellement des productions excédentaires, par le biais d'aides au fonctionnement. A l'appui de sa thèse, la requérante relève d'abord que les décisions attaquées ne contiennent pas les informations nécessaires pour conclure à la viabilité des plans de restructuration présentés par les États

membres concernés. Par ailleurs, la requérante exprime ses doutes sur la valeur des déclarations selon lesquelles les aides en cause seraient les dernières aides au fonctionnement autorisées, au motif que, dans le passé, la Commission a déjà été conduite à revenir sur de tels engagements. Sous cet aspect, elle relève que, dans ses conclusions du 17 décembre 1993, le Conseil a pris soin d'indiquer que c'est sans préjudice du droit de tout État membre de demander une décision au titre de l'article 95 qu'il se déclare résolu à éviter toute nouvelle dérogation pour des aides en faveur d'une entreprise particulière. La requérante dénonce les difficultés — apparues dès la remise des premiers rapports des États membres, ainsi qu'il ressort de la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, du 21 juin 1994, intitulée «Relancer la restructuration sidérurgique communautaire», précitée — auxquelles se heurterait la Commission dans l'exercice de son contrôle du respect des conditions imposées par les décisions attaquées.

44.
    Dans ces conditions, les décisions attaquées iraient à l'encontre de la réalisation de la plupart des objectifs définis par les articles susvisés du traité, en maintenant artificiellement des entreprises non viables, ce qui entretiendrait la situation de surcapacité à l'origine d'une crise structurelle affectant l'ensemble du secteur. De la sorte, elles ne permettraient pas l'établissement de conditions assurant la répartition la plus rationnelle de la production, visées à l'article 2, second alinéa, du traité. En outre, les aides en cause entraîneraient une amélioration de la position des entreprises bénéficiaires sur le marché, grâce à une politique de production et/ou de prix subventionnés. En contribuant à fausser de manière artificielle les conditions de concurrence, ces aides ne seraient pas de nature à assurer un niveau de prix permettant les amortissements nécessaires et une rémunération normale des capitaux engagés [article 3, sous c), du traité], le maintien de conditions incitant les entreprises à développer et à améliorer leur potentiel de production [article 3, sous d)], l'égalisation des conditions de vie et de travail de la main-d'oeuvre [article 3, sous e)], le développement des échanges internationaux [article 3, sous f)], ou l'expansion régulière et la modernisation de la production et l'amélioration de la qualité [article 3, sous g)]. En effet, l'octroi d'aides à certaines entreprises sidérurgiques mettrait sévèrement en cause la viabilité des autres entreprises, en raison du maintien en activité artificiel de leurs concurrents. A cet égard, la requérante fait observer que, s'il est vrai que le code des aides en vigueur durant la période 1980-1985 prévoyait la possibilité d'octroyer des aides au fonctionnement, les effets de telles aides sur la situation concurrentielle des entreprises étaient strictement limités, à l'époque, par l'encadrement de la production et des prix instauré par la Commission, de 1980 à 1988, dans le cadre du régime de crise manifeste visé à l'article 58 du traité.

45.
    En second lieu, les décisions litigieuses ne seraient pas nécessaires aux fins de la réalisation des objectifs poursuivis, comme l'exige l'article 95, premier alinéa, du traité. Sous cet aspect, la requérante écarte l'argumentation de la Commission selon laquelle ces décisions s'inscrivent dans le cadre d'une politique générale de réductions de capacités assorties de mesures d'accompagnement, dans la ligne du rapport Braun du 29 janvier 1993, susmentionné. Elle fait observer qu'une telle

politique générale pouvait être réalisée au moyen des instruments législatifs et réglementaires existants. Comme le code des aides autorise expressément les aides à la fermeture, une réduction de capacités aurait pu être obtenue moyennant des mesures sociales d'accompagnement, destinées à réduire les charges des entreprises en cas de fermeture. Telle aurait d'ailleurs été la solution préconisée dans le rapport Braun, qui dénonce, d'après la requérante, les conséquences dommageables résultant des interventions financières des pouvoirs publics, semblables à celles qui ont été autorisées, en l'occurrence, par les décisions attaquées. Par ailleurs, la requérante précise qu'elle n'a jamais été associée à l'élaboration du plan de restructuration approuvé par le Conseil, qui, contrairement aux allégations de cette institution, n'aurait pas été élaboré «conjointement avec l'industrie sidérurgique».

46.
    Enfin, la requérante estime que les décisions attaquées entraînent une discrimination entre producteurs, ce qui serait contraire à l'article 4, sous b), du traité. Elle conteste d'abord que la fermeture de capacités de production par les entreprises bénéficiaires des aides, visée à l'article 3 des décisions litigieuses, démontre l'absence de toute discrimination entre ces entreprises et les autres producteurs du secteur sidérurgique. En particulier, la réduction de capacités de 750 000 tonnes par an pour chaque milliard d'écus d'aide octroyé, appliquée dans les décisions litigieuses, serait particulièrement favorable, si on la compare à celle de 516 000 tonnes pour 400 000 écus, qui ne seront versés qu'après fermeture, retenue dans le cadre des discussions entre la Commission et Bresciani, une entreprise sidérurgique privée italienne. De surcroît, il ressortirait, en l'espèce, du tableau relatif aux réductions de capacités prévues dans les décisions attaquées, produit par la Commission, que la plupart des fermetures sont programmées pour la fin de la période durant laquelle les aides sont octroyées. Au cours de cette période, la compétitivité des entreprises bénéficiaires serait ainsi artificiellement accrue. Au surplus, certaines réductions seraient largement compensées par des investissements nouveaux. Ceux-ci entraîneraient une augmentation de capacité de 900 000 tonnes tant pour CSI que pour Siderurgia Nacional. Par ailleurs, d'autres réductions concerneraient des capacités plus nominales que réelles. Tel serait le cas d'Ilva, à hauteur de 300 000 tonnes au moins.

47.
    En outre, elle fait remarquer que la discrimination réside également dans le fait que les entreprises bénéficiaires des aides en cause peuvent, à l'occasion de leur restructuration, réduire leurs charges financières jusqu'à un niveau atteignant au moins 3,5 % du chiffre d'affaires annuel, ce qui correspondrait à la moyenne pour les entreprises sidérurgiques communautaires (article 4 de la décision 94/256 et article 3 des autres décisions litigieuses). Les décisions attaquées permettraient ainsi de ramener artificiellement à la moyenne communautaire les charges financières d'entreprises non viables et qui, de ce fait, auraient un taux d'endettement nettement plus élevé. La requérante ajoute que la discrimination alléguée ne saurait être imputée aux États membres concernés, comme le suggère la Commission, même si les aides en cause émanent de ces États. Avant de prendre toute décision sur la base de l'article 95, premier et deuxième alinéas, la

Commission serait tenue de vérifier qu'elle n'entraîne aucune discrimination contraire aux objectifs visés à l'article 4, sous b), du traité.

48.
    La Commission, soutenue par les parties intervenantes, conteste que les aides autorisées par les décisions litigieuses soient incompatibles avec le traité. Elle admet que ces aides, telles qu'elles avaient été notifiées par les États membres concernés, étaient incompatibles avec ce traité en vertu de l'article 4, sous c), précité, dudit traité et du code de aides, en tant qu'aides nationales, compte tenu du fait qu'elles n'entraient pas dans le champ d'application de ladite décision. Elle précise toutefois que les aides en cause ont été «communautarisées» par lesdécisions litigieuses qui les autorisent sur la base de l'article 95, premier et deuxième alinéas, après les avoir assorties de conditions strictes, de sorte que ces aides peuvent être considérées comme compatibles avec le fonctionnement du marché commun.

49.
    La Commission explique qu'elle était habilitée à adopter les décisions attaquées sur la base de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité. Elle allègue que, malgré l'adoption de codes des aides à la sidérurgie de plus en plus stricts, l'industrie sidérurgique de la Communauté connaît, depuis le début des années 90, «sa période la plus difficile depuis la première moitié des années 80», ainsi qu'il ressort des considérants des cinq décisions attaquées. Dans son arrêt du 3 octobre 1985, Allemagne/Commission (214/83, Rec. p. 3053), la Cour aurait reconnu qu'une situation de crise est une situation non prévue par le traité susceptible de justifier une intervention au titre de l'article 95, premier et deuxième alinéas, dudit traité. La seule limite que la Cour aurait fixée à l'action de la Commission résiderait dans le fait que cette dernière «ne peut cependant pas autoriser des aides dont l'octroi pourrait occasionner une discrimination manifeste entre le secteur public et le secteur privé. En effet, dans un tel cas, l'octroi des aides concernées entraînerait des distorsions de concurrence dans une mesure contraire à l'intérêt commun» (arrêt du 24 février 1987, Falck/Commission, 304/85, Rec. p. 871, point 27). Dans la présente espèce, les aides autorisées par les décisions litigieuses n'entraîneraient aucune discrimination, dans la mesure notamment où la Commission a subordonné ces autorisations à la condition que les charges financières nettes des entreprises bénéficiaires ne soient pas inférieures à 3,5 % (et à 3,2 % pour l'entreprise AST) de leur chiffre d'affaires annuel, ce qui correspondrait à la moyenne actuelle pour les entreprises sidérurgiques communautaires. Par ailleurs, en subordonnant l'autorisation des aides en cause à des mesures de compensation proportionnelles, sous forme de réductions importantes de capacités, les décisions attaquées s'inscriraient dans un plan de restructuration globale mis en oeuvre également dans l'intérêt des entreprises privées.

50.
    La Commission souligne que la requérante n'a pas contesté que des aides communautaires pouvaient être octroyées sur la base de l'article 95 du traité dans le cadre de décisions générales. La seule question qui se pose serait donc de savoir si des aides à la fermeture partielle, qui n'étaient pas éligibles au regard du code des aides, pouvaient faire l'objet de décisions individuelles d'approbation sur la

base de ces dispositions. Une approbation ad hoc, selon la procédure instituée par l'article 95, serait possible, dès lors qu'elle poursuit la même finalité et est assortie des mêmes conditions que les aides autorisées dans le cadre des codes successifs. La Commission estime que tel est le cas, en l'espèce, dans la mesure où les décisions attaquées imposent les trois conditions essentielles entourant l'octroi d'aides d'État dans le secteur de la sidérurgie, selon la pratique constamment suivie par cette institution depuis 1980. En particulier, la Commission aurait vérifié, sur la base de rapports établis par des experts indépendants dans la majorité des cas, que les aides autorisées garantiraient la viabilité financière de l'entreprise bénéficiaire. Le montant de l'aide aurait été limité au strict nécessaire. Enfin, l'aide aurait été assortie d'une contrepartie, sous forme de réductions de capacités proportionnées au montant de l'aide, afin d'être conforme à l'intérêt commun.

51.
    Dans ces conditions, la Commission conteste que le pouvoir qu'elle a exercé en adoptant les décisions litigieuses ait été trop vague et général pour s'inscrire dans le cadre défini par l'article 95 du traité. Elle admet, comme le souligne la requérante, que «les décisions attaquées n'instaurent pas un cadre réglementaire qui permettrait à toute entreprise se trouvant dans les conditions objectives décrites par la réglementation de bénéficier d'une dérogation à l'interdiction énoncée à l'article 4, sous c), du traité». Cependant, ces décisions individuelles procéderaient de la même logique que les divers codes instaurés depuis 1980 et imposeraient des conditions suffisamment claires et précises, de sorte que les griefs avancés par la requérante seraient privés de tout fondement.

52.
    En particulier, la Commission soutient que, contrairement aux allégations de la requérante, les décisions attaquées tendent à la réalisation des objectifs de la Communauté, comme l'exige l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité. Elle rappelle qu'elle a prévu, sur la base du rapport Braun, susvisé, deux actions parallèles et complémentaires consistant, d'une part, à élaborer un programme de réductions de capacités d'au moins 19 millions de tonnes et, d'autre part, à mettre en place des mesures d'accompagnement visant le domaine social, l'amélioration des structures et la stabilisation du marché et des relations extérieures sur la base des textes existants, à savoir notamment le code des aides et les articles 46, 53, sous a), et 56 du traité (annexe 9 à la défense), pour faciliter la mise en oeuvre de ce programme. En visant la suppression programmée de surcapacités dans le cadre d'un plan global, l'assainissement des entreprises concernées et, partant, la préservation de milliers d'emplois, les décisions attaquées poursuivraient les objectifs définis aux articles 2 et 3 du traité.

53.
    La Commission rejette également les critiques de la requérante relatives au mécanisme de surveillance. Elle allègue en particulier que les rapports des États membres ne sont pas pertinents en l'espèce, puisque la validité d'une décision ne saurait être affectée par des actes postérieurs à son adoption.

54.
    Le Conseil souligne, pour sa part, que les décisions attaquées constituent une partie essentielle du plan de restructuration élaboré par la Commission en concertation avec l'industrie sidérurgique au vu des nouvelles difficultés apparues dans le secteur sidérurgique. Les décisions attaquées se rapporteraient à des aides qui, si elles ne sont pas prévues par le traité, contribueraient à la réalisation de ses objectifs, notamment à un assainissement du marché au moyen de fermetures partielles d'installations de production dans le cadre d'un programme de réduction définitive de capacités. Ces aides devraient dès lors être considérées comme des aides communautaires qui ne sont pas interdites par l'article 4, sous c), du traité, lequel interdit les aides étatiques pour la seule raison que de telles aides peuvent en principe entraîner des distorsions de concurrence contraires aux objectifs du traité. En l'espèce, cette disposition ne s'opposerait donc pas à l'autorisation des aides en cause, en vertu de l'article 95, premier alinéa, du traité. En adoptant les décisions attaquées, la Commission n'aurait pas excédé les pouvoirs que lui confère cet article.

55.
    La République fédérale d'Allemagne rappelle que les décisions attaquées s'inscrivent dans le cadre du programme actuel de restructuration de la sidérurgie communautaire, adopté par le Conseil dans ses conclusions du 25 février 1993. Elles seraient régulièrement fondées sur l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, dans la mesure où elles se rapportent à une situation que ne prévoit ni le traité ni le code des aides, non seulement en raison de l'aggravation de la situation du marché sidérurgique, mais également parce que les entreprises allemandes en cause étaient soumises, avant la fin de 1990, à une économie dirigée et planifiée. Le gouvernement allemand met également en relief le parallélisme entre le code des aides et les décisions attaquées dans la poursuite des objectifs fondamentaux du traité. Dans les deux cas, il appartiendrait à l'État membre de décider, selon les règles nationales, de l'octroi d'aides financées par le budget national et de choisir les entreprises bénéficiaires, même lorsque les aides sont attribuées au titre du code des aides. En ce qui concerne les réductions de capacités imposées dans les décisions litigieuses, elles seraient conformes au rapport habituel de 750 000 tonnes pour chaque milliard d'écus d'aides. De plus, ces décisions ne placeraient pas les entreprises bénéficiaires dans une situation privilégiée par rapport aux entreprises concurrentes, dans la mesure où elles limitent le montant des aides autorisées au strict nécessaire, s'opposent à un allégement de l'endettement au-delà du niveau habituel dans le secteur et prévoient un autofinancement approprié par les investisseurs privés.

56.
    La République italienne soutient, pour sa part, que les aides en cause ne sont pas incompatibles avec le marché commun de l'acier, dans la mesure où elles apparaissent nécessaires à la réalisation des objectifs de la Communauté définis par les articles 2, 3 et 4 du traité. Elle explique que les interventions financées à l'aide de ressources étatiques ne sont pas, en elles-mêmes, en contradiction avec le traité, dès lors qu'elles poursuivent les objectifs qu'il définit. En particulier, l'article 4, qui placerait les aides d'État sur le même pied que les droits de douane et les restrictions quantitatives, interdirait uniquement l'octroi d'aides d'État dans le cadre

d'une politique étatique de protection des entreprises nationales. L'absence d'interdiction générale des aides étatiques serait confirmée par le fait que l'article 5 du traité inclut les mesures de soutien financier aux entreprises parmi les moyens accessibles à la Communauté dans l'accomplissement de sa mission. Or, souligne le gouvernement italien, le critère permettant de déterminer si une aide est licite ne réside pas dans la source de son financement, étatique ou communautaire, mais dans sa conformité aux objectifs du traité. En l'occurrence, les graves crises de la sidérurgie européenne auraient imposé une action de la Communauté en vue de sauvegarder tant la production que l'emploi. Dans ce contexte, en l'absence de réglementation spécifique prévue par le traité la Commission était habilitée à se fonder sur l'article 95, premier alinéa, du traité, pour autoriser les aides en cause.

57.
    Ilva soutient que, conformément à la jurisprudence de la Cour, l'article 95, premier alinéa, a pour but d'instituer un système de dérogation particulière au traité CECA afin de permettre à la Commission de faire face à des situations imprévues qui justifient des aménagements ponctuels et temporaires du traité soit sous la forme d'une seule mesure individuelle, soit sous la forme d'une décision créant un cadre réglementaire en vue d'un nombre indéterminé d'applications. A cet égard, l'adoption d'un cadre réglementaire général ne serait toutefois pas nécessaire, lorsque la situation ne l'exige pas, puisque le texte de l'article 95, premier alinéa, n'y fait aucune référence. En tout état de cause, dans la présente espèce, un tel cadre serait fourni par la résolution du Conseil du 25 février 1993, précitée. Dans cette optique, Ilva soutient que le code des aides ne saurait se voir reconnaître un caractère exhaustif. Il aurait uniquement vocation à fixer les conditions fondamentales auxquelles certaines catégories d'aides bien spécifiques peuvent être considérées comme compatibles avec le traité. Il ne s'opposerait aucunement à l'adoption de décisions complémentaires autorisant des aides qui ne correspondent pas à ces catégories ou ne remplissent pas les conditions prévues, lorsque, au terme d'un examen approfondi de ces aides, la Commission considère qu'elles tendent à la réalisation d'un des objectifs du traité et que les autres conditions d'application de l'article 95, premier alinéa, sont remplies.

58.
    En l'espèce, les aides en cause permettraient de restructurer les entreprises concernées et de réduire les capacités de production. Elles tendraient ainsi à éviter que les économies des États membres ne connaissent des troubles persistants et graves, conformément à l'article 2, deuxième alinéa, du traité. Par ailleurs, l'assainissement des entreprises considérées permettrait de sauvegarder des milliers d'emplois, conformément à l'article 2, deuxième alinéa, et à l'article 3, sous e), du traité et de maximaliser l'efficacité de leur outil de production, objectif visé à l'article 3, sous d) et g), dans le respect des principes de bonne gestion économique énoncés à l'article 3, sous c).

59.
    Enfin, Ilva conteste le caractère discriminatoire des aides en cause. La situation des entreprises bénéficiaires des aides autorisées par les décisions attaquées se différencierait suffisamment de celle de leurs concurrentes au moment de

l'autorisation des aides, ce qui exclurait toute discrimination conformément à une jurisprudence bien établie (arrêt Allemagne/Commission, précité). En outre, en tout état de cause, une telle discrimination ne serait pas le fait de la Commission mais bien celui des États membres à qui revient l'initiative de demander à la Commission d'autoriser des aides (arrêt Falck/Commission, précité).

Appréciation du Tribunal

— Sur la méconnaissance alléguée de l'interdiction des aides d'État et le détournement de pouvoir

60.
    La requérante soutient, en substance, que, en autorisant les aides en cause, dans les décisions individuelles litigieuses, la Commission a utilisé les pouvoirs que lui confère l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, en vue de tourner l'interdiction des aides d'État qui serait édictée par le traité et par le code des aides. Sa thèse repose sur la prémisse que ce code — dont elle ne conteste pas formellement la validité — définirait de manière contraignante et exhaustive les catégories d'aides d'État susceptibles d'être autorisées.

61.
    A cet égard, il convient de rappeler au préalable le contexte juridique dans lequel s'inscrivent les décisions entreprises. L'article 4, sous c), du traité interdit, en principe, les aides d'État, à l'intérieur de la Communauté européenne du charbon et de l'acier, dans la mesure où elles sont susceptibles de porter atteinte à la réalisation des objectifs essentiels de la Communauté définis par le traité, notamment à l'instauration d'un régime de libre concurrence. Aux termes de cette disposition «sont reconnues incompatibles avec le marché commun du charbon et de l'acier et, en conséquence, sont abolies et interdites dans les conditions prévues au présent traité, à l'intérieur de la Communauté: [...] c) les subventions ou aides accordées par les États [...] sous quelque forme que ce soit.»

62.
    Toutefois, la présence d'une telle interdiction ne signifie pas que toute aide étatique dans le domaine de la CECA doive être considérée comme incompatible avec les objectifs du traité. L'article 4, sous c), interprété à la lumière de l'ensemble des objectifs du traité, tels qu'ils sont définis par ses articles 2 à 4, ne vise pas à faire obstacle à l'octroi d'aides d'États susceptibles de contribuer à la réalisation des objectifs du traité. Il réserve aux institutions communautaires la faculté d'apprécier la compatibilité avec le traité et, le cas échéant, d'autoriser l'octroi de telles aides, dans le domaine couvert par le traité. Cette analyse est confirmée par l'arrêt du 23 février 1961, De Gezamenlijke Steenkolenmijnen in Limburg/Haute Autorité (30/59, Rec. p. 1), dans lequel la Cour a jugé que, de même que certains concours financiers non étatiques à des entreprises productrices de charbon ou d'acier, autorisés par les articles 55, paragraphe 2, et 58, paragraphe 2, du traité, ne peuvent être attribués que par la Commission ou sur son autorisation expresse, de même l'article 4, sous c), doit être interprété en ce sens qu'il attribue aux institutions communautaires une compétence exclusive dans le domaine des aides

à l'intérieur de la Communauté (motivation en droit, chapitre B.I.1.b, attendu neuf, sixième alinéa, p. 43).

63.
    Dans l'économie du traité, l'article 4, sous c), ne s'oppose donc pas à ce que la Commission autorise, à titre dérogatoire, des aides envisagées par les États membres et compatibles avec les objectifs du traité, en se fondant sur l'article 95, premier et deuxième alinéas, en vue de faire face à des situations imprévues (voir l'arrêt de la Cour du 12 juillet 1962, Pays-Bas/Haute Autorité, 9/61, Rec. p. 413).

64.
    En effet, les dispositions susvisées de l'article 95 habilitent la Commission à adopter une décision ou une recommandation sur avis conforme du Conseil, statuant à l'unanimité et après consultation du Comité consultatif CECA, dans tous les cas non prévus par le traité dans lesquels cette décision ou cette recommandation apparaît nécessaire pour réaliser dans le fonctionnement du marché commun du charbon et de l'acier et conformément aux dispositions de l'article 5 l'un des objectifs de la Communauté, tels qu'ils sont définis aux articles 2, 3 et 4. Elles prévoient que la même décision ou recommandation, prise dans la même forme, détermine éventuellement les sanctions applicables. Il s'ensuit que, dans la mesure où, à la différence du traité CE, le traité CECA n'attribue à la Commission ou au Conseil aucun pouvoir spécifique en vue d'autoriser les aides d'État, la Commission est habilitée, en vertu de l'article 95, premier et deuxième alinéas, à prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs du traité et, partant, à autoriser, suivant la procédure qu'il instaure, les aides qui lui paraissent nécessaires pour atteindre ces objectifs.

65.
    La Commission est ainsi compétente, en l'absence de disposition spécifique du traité, pour adopter toute décision générale ou individuelle nécessaire à la réalisation des objectifs de celui-ci. L'article 95, premier et deuxième alinéas, qui lui confère cette compétence ne comporte en effet aucune précision relative à la portée des décisions que cette institution est habilitée à arrêter. Dans ce contexte, il lui appartient d'apprécier, dans chaque cas, lequel de ces deux types de décisions, générales ou individuelles, est le plus approprié en vue d'atteindre le ou les objectifs poursuivis.

66.
    Dans le domaine des aides d'État, la Commission a utilisé l'instrument juridique de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité selon deux approches différentes. Elle a, d'une part, adopté des décisions générales — les «codes des aides» —, prévoyant une dérogation générale à l'interdiction des aides d'États en ce qui concerne certaines catégories d'aides déterminées. D'autre part, elle a arrêté des décisions individuelles autorisant certaines aides spécifiques à titre exceptionnel.

67.
    En l'espèce, le problème est, partant, de déterminer l'objet et la portée respectifs du code des aides et des décisions individuelles litigieuses.

68.
    A cet égard, il convient de rappeler que le code des aides applicable lors de l'adoption des décisions attaquées a été instauré par la décision n° 3855/91, du 27 novembre 1991, précitée. Il s'agissait du cinquième code des aides, entré en vigueur le 1er janvier 1992 et applicable jusqu'au 31 décembre 1996, ainsi que le prévoyait son article 9. Fondé sur l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, ce code s'inscrivait explicitement dans la ligne des codes précédents (voir, en particulier, les décisions de la Commission n°s 3484/85/CECA, du 27 novembre 1985, et 322/89/CECA, du 1er février 1989, instituant des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie, respectivement, JO L 340, p. 1, et JO L 38, p. 8), en relation avec lesquels il peut, dès lors, être interprété. Il ressort de ses motifs (voir notamment le point I des motifs de la décision n° 3855/91) qu'il visait tout d'abord «à ne pas priver la sidérurgie du bénéfice des aides à la recherche et au développement ainsi que de celles destinées à lui permettre d'adapter ses installations aux normes nouvelles de protection de l'environnement». Afin de réduire les surcapacités de production et de rééquilibrer le marché, il autorisait également, sous certaines conditions, «les aides sociales susceptibles de favoriser une fermeture partielle d'installations et des aides au financement d'une cessation définitive de toute activité CECA des entreprises les moins compétitives». Enfin, il interdisait expressément les aides au fonctionnement ou à l'investissement, à l'exception des «aides régionales à l'investissement pour certains États membres». Les entreprises établies sur le territoire de la Grèce, du Portugal ou de l'ancienne République démocratique allemande étaient susceptibles de bénéficier de telles aides régionales.

69.
    Les cinq décisions litigieuses ont été, quant à elles, adoptées par la Commission sur la base de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, en vue, d'après leurs motifs, de permettre la restructuration d'entreprises sidérurgiques publiques en proie à de graves difficultés, dans les États membres concernés, dans lesquels le secteur sidérurgique connaissait alors sa crise la plus importante, du fait de la forte détérioration du marché communautaire de l'acier. L'objectif essentiel des aides en cause, en l'espèce, était l'assainissement des entreprises bénéficiaires. La Commission précisait, dans les décisions attaquées, que la conjoncture très difficile à laquelle était confrontée l'industrie sidérurgique communautaire s'expliquait par des facteurs économiques largement imprévisibles. Elle s'estimait dès lors confrontée à une situation exceptionnelle qui n'était pas spécifiquement prévue par le traité (point IV des motifs).

70.
    La comparaison du cinquième code des aides, d'une part, et des décisions litigieuses, d'autre part, permet ainsi de mettre en évidence que ces divers actes sont tous fondés sur la même base juridique, l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, et introduisent des dérogations au principe d'interdiction générale des aides énoncé par l'article 4, sous c), du traité. Ils ont un champ d'application différent, le code se référant d'une façon générale à certaines catégories d'aides qu'il considère comme compatibles avec le traité et les décisions litigieuses autorisant, pour des raisons exceptionnelles et una tantum, des aides qui, en principe, ne pourraient être considérées comme compatibles avec le traité.

71.
    Dans cette perspective, la thèse selon laquelle la Commission n'était pas habilitée à déroger, par des décisions individuelles, à l'interdiction des aides d'État prévue, selon la requérante, non seulement par l'article 4, sous c), du traité, mais également par le code des aides, ne peut pas être retenue. En effet, le code ne représente un cadre juridique contraignant que pour les aides relevant des catégories d'aides compatibles avec le traité qu'il énumère. Dans ce domaine, il instaure un système global destiné à assurer un traitement uniforme, dans le cadre d'une seule procédure, de toutes les aides relevant des catégories qu'il définit. La Commission est uniquement liée par ce système lorsqu'elle apprécie la compatibilité avec le traité d'aides visées par le code. Elle ne saurait alors autoriser de telles aides par une décision individuelle en contradiction avec les règles générales instituées par ce code (voir les arrêts de la Cour du 29 mars 1979, dits «roulements à billes», NTN Toyo Bearing e.a./Conseil, 113/77, Rec. p. 1185; ISO/Conseil, 118/87, Rec. p. 1277, Nippon Seiko e.a./Conseil et Commission, 119/77, Rec. p. 1303, Koyo Seiko e.a./Conseil et Commission, 120/77, Rec. p. 1337, Nachi Fujikoshi e.a./Conseil, 121/77, Rec. p. 1363, ainsi que ses arrêts, du 21 février 1984, Walzstahl-Vereinigung et Thyssen/Commission, 140/82, 146/82, 221/82 et 226/82, Rec. p. 951, du 14 juillet 1988, Peine-Salzgitter et Hoogovens/Commission, 33/86, 44/86, 110/86, 226/86 et 285/86, Rec. p. 4309, et CIRFS e.a./Commission, précité).

72.
    A l'inverse, les aides ne relevant pas des catégories spécialement visées par les dispositions du code sont susceptibles de bénéficier d'une dérogation individuelle à cette interdiction, si la Commission estime, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire au titre de l'article 95 du traité, que de telles aides sont nécessaires aux fins de la réalisation des objectifs du traité. En effet, le code des aides a seulement pour objet d'autoriser de manière générale, et sous certaines conditions, des dérogations à l'interdiction des aides en faveur de catégories déterminées d'aides qu'il énumère de manière exhaustive. La Commission n'est pascompétente en vertu de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité, qui vise uniquement les cas non prévus par le traité (voir l'arrêt Pays-Bas/Haute Autorité, précité, point 2), pour prohiber certaines catégories d'aides, puisqu'une telle prohibition est déjà prévue par le traité lui-même, en son article 4, sous c). Les aides ne relevant pas des catégories que le code exonère de cette interdiction demeurent donc exclusivement soumises à l'article 4, sous c). Il en résulte que, lorsque de telles aides s'avèrent néanmoins nécessaires pour réaliser les objectifs du traité, la Commission est habilitée à recourir à l'article 95 du traité, en vue de faire face à cette situation imprévue, le cas échéant, au moyen d'une décision individuelle (voir ci-dessus points 32 à 36).

73.
    En l'occurrence, les décisions litigieuses — autorisant des aides d'État en vue de permettre la restructuration de grands groupes sidérurgiques publics — ne relèvent pas du champ d'application du code des aides. Celui-ci introduit, sous certaines conditions, des dérogations présentant une portée générale à l'interdiction des aides d'État en ce qui concerne exclusivement les aides à la recherche et au développement, celles en faveur de la protection de l'environnement, les aides à

la fermeture ainsi que les aides régionales aux entreprises sidérurgiques établies sur le territoire ou une partie du territoire de certains États membres. Or, les aides au fonctionnement et à la restructuration en cause, en l'espèce, ne relèvent manifestement d'aucune des catégories d'aides susmentionnées. Il s'ensuit que les dérogations autorisées par les décisions attaquées ne sont pas subordonnées aux conditions énoncées par le code des aides et présentent dès lors un caractère complémentaire par rapport à celui-ci, aux fins de la poursuite des objectifs définis par le traité (voir ci-après points 77 à 83).

74.
    Dans ces circonstances, les décisions litigieuses ne sauraient être considérées comme des dérogations injustifiées au cinquième code des aides, mais constituent des actes trouvant, tout comme celui-ci, leur source dans les dispositions de l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité.

75.
    Partant, la thèse de la partie requérante, selon laquelle les décisions attaquées auraient été adoptées pour favoriser les entreprises bénéficiaires des aides en cause, en modifiant de manière déguisée le code des aides, est privée de tout fondement. En effet, la Commission ne pouvait en aucun cas se dessaisir, par l'adoption du code des aides, du pouvoir qui lui est attribué par l'article 95 du traité d'adopter des actes individuels afin de faire face à des situations imprévues. Comme, en l'espèce, le champ d'application du code ne couvrait pas la situation économique ayant conduit la Commission à arrêter les décisions litigieuses, celle-ci était habilitée à se fonder sur l'article 95 du traité pour autoriser les aides en cause, à condition de respecter les conditions d'application de cette disposition.

76.
    Pour l'ensemble des motifs qui précèdent, le grief relatif à la méconnaissance de l'interdiction des aides d'État et à un détournement de pouvoir doit être rejeté.

— Sur la violation alléguée de l'article 95, premier alinéa, du traité

77.
    Il convient de rappeler liminairement que, ainsi qu'il vient d'être jugé, la Commission, en vertu de l'article 95, premier et deuxième alinéas du traité, a le pouvoir d'autoriser des aides d'État, à l'intérieur de la Communauté, chaque fois que la situation économique dans le secteur sidérurgique rend l'adoption de mesures de ce type nécessaire en vue de réaliser l'un des objectifs de la Communauté.

78.
    Cette condition est remplie notamment lorsque le secteur concerné est confronté à des situations de crise exceptionnelle. Sous cet aspect, la Cour a souligné, dans son arrêt Allemagne/Commission, précité, «le lien étroit qui réunit, dans le cadre de la mise en oeuvre du traité CECA, en temps de crise, l'octroi d'aides à l'industrie sidérurgique et les efforts de restructuration qui s'imposent à cette industrie» (point 30). La Commission apprécie discrétionnairement, dans le cadre

de cette mise en oeuvre, la compatibilité, avec les principes fondamentaux du traité, des aides destinées à accompagner les mesures de restructuration.

79.
    En l'occurrence, il n'est pas contesté que, au début des années 90, la sidérurgie européenne a connu une crise soudaine et grave, du fait de l'action combinée de plusieurs facteurs, tels que la récession économique internationale, la fermeture des circuits d'exportation traditionnels, la montée en flèche de la concurrence des entreprises sidérurgiques des pays en voie de développement et la croissance rapide des importations communautaires de produits de la sidérurgie à partir des pays membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). C'est en tenant compte de ce contexte de crise qu'il y a lieu d'apprécier, en l'espèce, si les aides en cause étaient nécessaires, comme l'exige l'article 95, premier et deuxième alinéas du traité, en vue de réaliser certains objectifs fondamentaux du traité.

80.
    Les décisions litigieuses indiquent clairement, au point IV de leurs motifs, qu'elles visent à l'assainissement du secteur sidérurgique dans les États membres concernés, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs du traité définis en ses articles 2 et 3. Elles tendent, à cette fin, à conférer une structure saine et viable aux entreprises bénéficiaires des aides qu'elles autorisent.

81.
    A cet égard, il y a lieu de rejeter les allégations de la requérante, qui met en doute le fait que les décisions litigieuses ont réellement pour finalité de rétablir la viabilité des entreprises bénéficiaires, au motif, d'une part, qu'elles ne contiendraient pas les informations nécessaires pour conclure à l'aptitude des plans de restructuration communiqués par les États membres concernés à rétablir cette viabilité et, d'autre part, que rien ne garantirait que la Commission n'autorisera pas, ultérieurement, l'octroi de nouvelles aides à ces mêmes entreprises, comme cela se serait déjà produit dans le passé.

82.
    En effet, l'historique et la motivation des décisions litigieuses témoignent d'une analyse approfondie de la situation de crise actuelle de la sidérurgie européenne et des moyens les plus appropriés pour y faire face. La Commission avait donné un mandat d'exploration à un expert indépendant, M. Braun, dont la mission consistait à faire le relevé des projets de fermeture d'entreprises du secteur sidérurgique et dont le rapport a été présenté le 29 janvier 1993. Ce rapport corroborait les données contenues dans la communication de la Commission au Conseil du 23 novembre 1992 (voir ci-dessus point 4). De plus, il ressort du dossier que la Commission a examiné minutieusement, avec l'assistance d'experts extérieurs, les plans de restructuration qui accompagnaient les projets d'aides envisagés par les États membres concernés, sous l'angle de leur capacité à assurer la viabilité des entreprises bénéficiaires (point III des motifs des décisions litigieuses). De plus, les communications de la Commission au Conseil, au cours de la procédure ayant conduit à l'adoption des décisions litigieuses, contiennent également un examen approfondi des conditions de viabilité de l'entreprise bénéficiaire de l'aide en cause.

83.
    En outre, les décisions attaquées indiquent clairement les principaux volets des plans de restructuration destinés à être mis en oeuvre grâce à l'octroi des aides en cause. Il en ressort que celles-ci visent à faciliter la privatisation des entreprises publiques bénéficiaires des aides en cause ou de certains de leurs établissements, la fermeture des installations non rentables, la réduction de certaines capacités excédentaires et la suppression d'emplois — accompagnée, le cas échéant, de mesures sociales destinées à assurer un équilibre entre les considérations d'ordre social et les exigences liées à la rentabilité future des entreprises concernées. Ces divers aspects sont exposés de manière précise et détaillée (voir le point II des motifs des décisions litigieuses). C'est grâce à l'ensemble de ces volets que les décisions litigieuses tendent à doter les entreprises concernées d'une structure saine et rentable.

84.
    Dans ces conditions, le fait de suggérer — en se limitant à invoquer l'inefficacité de certaines aides antérieures, sans examiner les mesures concrètes de restructuration prévues dans les décisions litigieuses en vue d'assurer la viabilité des entreprises bénéficiaires — que les aides en cause ne permettront probablement pas d'atteindre les résultats escomptés ne constitue rien d'autre qu'une anticipation de nature purement spéculative et hypothétique. Quant aux arguments de la requérante se rapportant à des éléments postérieurs à l'adoption des décisions attaquées, mentionnés en particulier dans la communication du 21 juin 1994, ils sont en toute hypothèse — à supposer même qu'ils soient fondés, ce qui n'est pas établi — privés de pertinence aux fins de l'appréciation de la régularité de ces décisions, qui ne saurait être affectée par des éléments postérieurs à leur adoption.

85.
    Après avoir établi que les décisions litigieuses visent effectivement à assurer la viabilité des entreprises bénéficiaires des aides en cause, il convient de vérifier si, dans le contexte de la crise traversée par l'industrie sidérurgique (voir ci-dessus points 77 à 79), cette finalité participe des objectifs définis par le traité en ses articles 2 et 3, spécialement invoqués dans la motivation de ces décisions.

86.
    Dans cette perspective, il y a lieu de rappeler au préalable que, eu égard à la diversité des objectifs fixés par le traité, le rôle de la Commission consiste à assurer la conciliation permanente de ces différents objectifs, en utilisant son pouvoir discrétionnaire afin de parvenir à la satisfaction de l'intérêt commun, conformément à une jurisprudence constante (voir les arrêts de la Cour du 13 juin 1958, Meroni/Haute Autorité, 9/56, Rec. p. 9, 43, du 21 juin 1958, Groupement des hauts fourneaux et aciéries belges/Haute Autorité, 8/57, Rec. p. 223, 242, et du 29 septembre 1987, Fabrique de fer de Charleroi et Dillinger Hüttenwerke/Commission, 351/85 et 360/85, Rec. p. 3639, point 15). En particulier, dans l'arrêt du 18 mars 1980, Valsabbia e.a./Commission (154/78, 205/78, 206/78, 226/78, 227/78, 228/78, 263/78 et 264/78, 31/79, 39/79, 83/79 et 85/79, Rec. p. 907, point 55), la Cour a jugé que, «si la nécessité d'un compromis entre les divers objectifs s'impose dans une situation normale de marché, il faut l'admettre a fortiori dans un état de crise qui justifie l'adoption de mesures exceptionnelles, de caractère dérogatoire par rapport aux règles normales de fonctionnement du

marché commun de l'acier et qui entraînent à l'évidence le non-respect de certains objectifs de l'article 3, ne serait-ce que celui (c), qui demande de veiller à l'établissement des prix les plus bas».

87.
    En l'espèce, le Tribunal constate que les décisions litigieuses concilient divers objectifs du traité, en vue de sauvegarder des intérêts majeurs. En effet, la rationalisation de l'industrie sidérurgique européenne à travers l'assainissement de certains groupes, la fermeture des installations obsolètes ou peu compétitives, la réduction des capacités excédentaires, la privatisation de certaines entreprises afin d'en assurer la viabilité et la suppression d'emplois dans une mesure «raisonnable» — selon les termes utilisés par la Commission —, visées par ces décisions, concourent à la réalisation des objectifs du traité, eu égard à la sensibilité du secteur sidérurgique et au fait que le maintien, voire l'aggravation, de la crise auraient risqué de provoquer, dans l'économie des États membres concernés, des troubles extrêmement graves et persistants. Il n'est pas contesté que ce secteur revêt, dans plusieurs États membres, une importance essentielle, en raison de la localisationdes installations sidérurgiques dans des régions caractérisées par une situation de sous-emploi et de l'ampleur des intérêts économiques en jeu. Dans ce contexte, des décisions éventuelles de fermeture et de suppression d'emplois, ainsi que la prise de contrôle des entreprises concernées par des sociétés privées agissant exclusivement selon la logique du marché, auraient été susceptibles de créer, en l'absence de mesures de soutien de l'autorité publique, de très graves difficultés d'ordre public, notamment en aggravant le problème du chômage et en risquant de générer une situation de crise économique et sociale majeure.

88.
    Dans ces circonstances, en visant à résoudre de telles difficultés par l'assainissement des groupes sidérurgiques concernés, les décisions litigieuses tendent incontestablement à sauvegarder «la continuité de l'emploi» et à éviter «de provoquer, dans les économies des États membres, des troubles fondamentaux et persistants», comme l'exige l'article 2, deuxième alinéa, du traité. En outre, elles poursuivent les objectifs consacrés par l'article 3, relatifs, entre autres, au «maintien de conditions incitant les entreprises à développer et à améliorer leur potentiel de production» [sous d] et à la promotion de «l'expansion régulière et de la modernisation de la production ainsi que de l'amélioration de la qualité, dans des conditions qui écartent toute protection contre les industries concurrentes» [sous g]. En effet, elles tendent à rationaliser l'industrie sidérurgique européenne notamment à travers la fermeture définitive d'installations obsolètes ou peu compétitives et la réduction irréversible des capacités de production de certains produits en vue de faire face à la situation de surcapacité (voir l'article 2 des décisions litigieuses). Elles s'inscrivent dans le cadre d'un programme global de restructuration durable du secteur sidérurgique et de réduction des capacités de production dans la Communauté (voir ci-dessus points 4 à 6). Dans cette optique, il y a lieu de souligner que la finalité des aides en cause n'est pas d'assurer la pure et simple survie de l'entreprise bénéficiaire — ce qui serait contraire à l'intérêt commun —

mais de rétablir sa viabilité tout en limitant l'incidence de l'aide sur la concurrence au minimum et en veillant au respect des règles de concurrence loyale.

89.
    Il en résulte que les décisions litigieuses visent à sauvegarder l'intérêt commun, conformément aux objectifs du traité. La thèse de la requérante, selon laquelle ces décisions seraient incompatibles avec la plupart des objectifs définis par les articles 2 et 3 du traité, doit dès lors être rejetée.

90.
    Quant à l'argumentation de la requérante, selon laquelle les aides en cause ne seraient pas nécessaires pour atteindre les objectifs qu'elles poursuivent, elle doit également être écartée. En effet, il ressort du dossier que les cinq décisions litigieuses s'inscrivent dans le cadre d'un programme global de restructuration de l'industrie sidérurgique et de réduction de la capacité de production dans la Communauté (voir ci-dessus points 4 à 6). Or, il ne saurait être fait grief à la Commission de ne pas avoir recouru, dans le cadre de ce programme, à d'autres moyens entraînant des distorsions prétendument moindres que les aides en cause, en vue de rétablir la viabilité des entreprises concernées. A supposer même que des solutions alternatives aient été envisageables et applicables en pratique, ce qui n'est pas établi, l'existence de telles options ne suffirait pas à elle seule à démontrer que les aides en cause ne sont pas nécessaires au sens de l'article 95, premier alinéa, du traité et à vicier les décisions litigieuses, dès lors que la solution retenue par la Commission n'est entachée ni d'une erreur manifeste d'appréciation ni d'un détournement de pouvoir. En effet, il n'appartient pas au Tribunal d'exercer un contrôle sur l'opportunité du choix effectué par la Commission, sous peine de substituer sa propre appréciation des faits à celle de cette institution.

91.
    Il ressort de ce qui précède que la requérante n'avance aucun argument convaincant susceptible de mettre en doute que les décisions litigieuses ont été adoptées conformément aux conditions énoncées par l'article 95, premier et deuxième alinéas, du traité.

— Sur la violation alléguée du principe de non-discrimination

92.
    Selon la requérante, le caractère discriminatoire des décisions litigieuses découlerait spécialement du fait que, d'une part, elles n'imposeraient pas de réductions de capacités suffisantes en contrepartie des aides en cause et, d'autre part, elles permettraient de réduire l'endettement des entreprises bénéficiaires de ces aides.

93.
    S'agissant, en premier lieu, des réductions de capacités, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, aucun «rapport quantitatif précis» ne doit être établi entre le «montant des aides et l'importance des capacités de production à éliminer» (voir, à cet égard, l'arrêt Allemagne/Commission, précité, point 33). Au contraire, les facteurs de nature à influencer les montants exacts des aides à autoriser «ne consistent pas seulement en un nombre de tonnes de capacité de production à éliminer, mais comprennent également d'autres éléments qui varient

d'une région de la Communauté à l'autre», tels que l'effort de restructuration, les problèmes régionaux et sociaux provoqués par la crise de l'industrie sidérurgique, l'évolution technique et l'adaptation des entreprises aux exigences du marché (ibidem point 34). Il s'ensuit que l'appréciation de la Commission ne peut pas être soumise à un contrôle se fondant uniquement sur des critères économiques. Elle peut légitimement tenir compte d'un large éventail de considérations d'ordre politique, économique ou social, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire au titre de l'article 95 du traité.

94.
    En l'espèce, il convient de constater que, dans les cinq décisions litigieuses, la Commission souligne expressément que les aides en cause doivent être limitées au montant strictement nécessaire de façon à ne pas altérer les conditions de la concurrence dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Elle en déduit qu'il importe de prévoir des contreparties adéquates, au regard du montant des aides approuvées à titre exceptionnel, afin d'apporter une contribution majeure aux ajustements structurels qui s'imposent dans ce secteur.

95.
    Dans cette optique, elle détermine, sous le point V des motifs des décisions attaquées, le niveau, les modalités et le calendrier des fermetures d'établissements ou des réductions de capacités imposées aux entreprises bénéficiaires, le cas échéant en se référant au plan de restructuration notifié par l'État membre concerné. Or, il y a lieu de souligner, à cet égard, que la requérante n'avance aucun argument susceptible de démontrer que ces fermetures ou ces réductions de capacités sont insuffisantes au regard de l'importance des aides autorisées et des objectifs poursuivis.

96.
    En particulier, la comparaison effectuée par la requérante entre la réduction de capacités de 750 000 tonnes par an par milliard d'écus d'aide versée, appliquée dans les décisions litigieuses, d'une part, et celle de 516 000 tonnes pour 400 000 écus d'aides, retenue lors des discussions entre la Commission et l'entreprise sidérurgique publique italienne Bresciani, d'autre part, n'est pas pertinente, parce qu'elle ne tient pas compte de la situation particulière des entreprises bénéficiaires des aides en cause en l'espèce et de la spécificité des décisions litigieuses, adoptées en vue de faire face à une situation de crise exceptionnelle, sur la base de l'article 95, premier alinéa, du traité, ainsi qu'il a déjà été jugé (voir ci-dessus points 87 et 89). Dans le même ordre d'idées, le grief selon lequel la plupart des fermetures auraient été prévues, dans ces décisions, à la fin de la période de versement des aides, n'est pas fondé. En effet, pour fixer le délai de fermeture, la Commission pouvait légitimement tenir compte de la finalité de ces aides, visant au rétablissement de la viabilité des entreprises en cause. En outre et en toute hypothèse, les fermetures requises ont, par exemple, été réalisées intégralement par Sidenor et à concurrence des deux tiers par Ilva, alors que l'aide versée était encore très modeste, d'après les précisions fournies par la Commission et non contestées par la requérante.

97.
    S'agissant des arguments relatifs à l'augmentation de la capacité de CSI qui résulterait des nouveaux investissements, le Tribunal constate que cette augmentation, liée à la création proposée d'une capacité de laminage à chaud à Sestao à laquelle se réfère la requérante lorsqu'elle invoque l'augmentation de capacité de CSI, est dissociée du plan de restructuration soutenu par l'aide autorisée dans la décision litigieuse concernant cette entreprise (point V, premier alinéa, des motifs de cette décision). Pour ce qui est de l'augmentation de capacité de Siderurgia Nacional, il ressort de l'article 2 de la décision la concernant que, conformément aux explications fournies par la Commission, le remplacement du haut fourneau de l'usine de Seixal par un four à arc électrique d'une capacité de 900 000 tonnes n'a pas d'incidence sur l'obligation de cette entreprise de réduire sa capacité de production de 140 000 tonnes de laminés à chaud.

98.
    Enfin, l'argument selon lequel les réductions de capacité d'Ilva seraient, à concurrence de 300 000 tonnes par an, purement théoriques, doit également être rejeté. A cet égard, il ressort des indications de la Commission que celle-ci a retenu, pour la fermeture de l'usine de Bagnoli — qui possédait une capacité de production maximale de 1,25 million de tonnes par an —, une réduction de capacité de 300 000 tonnes par an, au motif que la production y avait cessé. En l'absence de toute indication contraire, cette réduction de capacité ne saurait être considérée comme privée de caractère effectif, dans la mesure où la réduction de capacité ne doit pas être déterminée sur la base de la production effective de l'entreprise, qui est fonction de la conjoncture, mais de la capacité réelle de production susceptible d'être mobilisée rapidement et à peu de frais.

99.
    Dans ces conditions, aucun élément ne permet de présumer que les réductions de capacité imposées dans les décisions litigieuses ne constituent pas une contrepartie appropriée à l'octroi des aides en cause eu égard, d'une part, au montant des aides et, d'autre part, tant aux objectifs économiques et sociaux poursuivis par ces décisions qu'à la nécessité de réduire la capacité de production dans le cadre du programme global de restructuration de l'industrie sidérurgique, susmentionné, approuvé par le Conseil.

100.
    Pour ce qui est, en second lieu, de l'incidence des aides en cause sur la concurrence, il y a lieu de rappeler que, si toute aide est susceptible de favoriser une entreprise par rapport à une autre, la Commission ne peut cependant pas autoriser des aides entraînant «des distorsions de concurrence dans une mesure contraire à l'intérêt commun» (arrêt Falck/Commission, précité, point 27). Concrètement, l'obligation de la Commission d'agir dans l'intérêt commun ne signifie pas, d'après la jurisprudence de la Cour, que cette institution doive «agir dans l'intérêt de tous les assujettis sans exception car son rôle ne comporte pas l'obligation de n'agir qu'à condition qu'aucun intérêt ne soit affecté. Par contre, elle doit agir en appréciant les divers intérêts, en évitant les conséquences dommageables, si la décision à prendre le permet raisonnablement. La Commission peut, dans l'intérêt commun, user de son pouvoir de décision selon les exigences

des circonstances, même au préjudice de certains intérêts particuliers» (arrêt Valsabbia e.a./Commission, précité, point 49).

101.
    En l'espèce, le Tribunal constate que les décisions litigieuses approuvent l'octroi d'aides destinées notamment à remédier au surendettement des entreprisesconcernées, de manière à permettre le retour de ces entreprises à la viabilité (voir le point II des motifs des décisions litigieuses). Elles limitent les mesures de restructuration financières aux montants strictement nécessaires, pour ne pas altérer «les conditions des échanges dans la Communauté dans une mesure contraire à l'intérêt commun, en particulier, eu égard aux difficultés actuelles du marché sidérurgique» (point VI des motifs des décisions litigieuses). En particulier, afin de ne pas fournir aux entreprises concernées un avantage indu par rapport à d'autres entreprises du secteur, la Commission veille notamment, dans les décisions litigieuses, à ce que ces entreprises ne bénéficient pas dès le départ de charges financières nettes inférieures à 3,5 % du chiffre d'affaires annuel (3,2 % pour AST, Acciai Speciali Terni), ce qui, d'après les indications concordantes des parties, représente l'endettement moyen des entreprises sidérurgiques communautaires. Plus généralement, les décisions litigieuses imposent, en leur article 2, un certain nombre de conditions destinées à garantir que l'aide au financement se limite au strict nécessaire.

102.
    Dans ces conditions, le fait de réduire l'endettement des entreprises bénéficiaires à un niveau correspondant à l'endettement moyen des entreprises sidérurgiques communautaires ne saurait être considéré comme contraire à l'intérêt commun. En effet, dans le cadre de son appréciation des divers intérêts en jeu, la Commission a tenu compte des exigences liées à l'assainissement financier des entreprises concernées, nécessaire au rétablissement de leur viabilité, tout en évitant les conséquences défavorables pour les autres opérateurs économiques dans la mesure où l'objet même et la finalité des décision litigieuses le permettaient.

103.
    Il s'ensuit que le grief relatif à la violation du principe de non-discrimination est privé de fondement.

104.
    Il s'ensuit que le premier moyen doit être rejeté.

Sur le second moyen, tiré du caractère prétendument rétroactif des décisions litigieuses

Argumentation des parties

105.
    La requérante soutient que les décisions attaquées, adoptées le 12 avril 1994 et publiées le 3 mai 1994, présentent un caractère rétroactif dans la mesure où l'autorisation des aides en cause aurait été considérée comme acquise à la suite de l'avis favorable rendu par le Conseil le 17 décembre 1993 et où les États membres concernés auraient mis en oeuvre leurs programmes d'aides à partir de cette date.

En attesterait notamment le fait que ces décisions prévoient la communication, pour le 15 mars 1994, par chacun de ces États membres, du premier rapport concernant l'entreprise bénéficiaire et sa restructuration. Cette rétroactivité, pour laquelle la Commission n'aurait fourni aucune justification satisfaisante, porterait atteinte aux droits de la défense, puisque la possibilité, pour la requérante, de former un recours, aurait été retardée de quatre mois. En outre, les recours en annulation n'ayant, en vertu de l'article 39 du traité, aucun effet suspensif, les États membres concernés pourraient, d'après la requérante, se fonder sur le principe de protection de la confiance légitime pour s'opposer à toute demande de remboursement.

106.
    La Commission objecte que le délai entre le 17 décembre 1993 et le 12 avril 1994 est uniquement imputable à des raisons administratives, ce qui expliquerait la date du premier rapport des États membres concernés, fixée au 15 mars 1994, qui figurait dans les projets de décisions dont le Conseil avait été saisi au mois de décembre 1993. Par ailleurs, la Commission considère que le fait que les décisions n'aient été adoptées que le 12 avril 1994 n'a eu aucune conséquence pour la requérante, du fait qu'elle avait la possibilité de contester leur légalité en se prévalant devant les juridictions nationales de l'effet direct de l'article 4, sous c), du traité (arrêt de la Cour du 23 avril 1956, Groupement des industries sidérurgiques luxembourgeois/ Haute Autorité, 7/54 et 9/54, Rec. p. 53). De plus, la Commission fait valoir que, si les décisions attaquées étaient annulées par le Tribunal, elle serait tenue d'exiger le remboursement des aides en cause, en vue d'assurer l'effet utile de l'arrêt du Tribunal, conformément à l'article 34 du traité (voir l'arrêt CIRFS e.a./Commission, précité). En tout état de cause, le moyen tiré de l'illicéité du caractère rétroactif des décisions attaquées serait étranger au présent recours, qui ne porte que sur la légalité de ces décisions et non sur une éventuelle responsabilité de la Commission.

Appréciation du Tribunal

107.
    Il n'est pas contesté qu'il y a eu un retard sensible dans l'adoption des décisions litigieuses après l'avis du Conseil: celui-ci a rendu son avis le 22 décembre 1993, tandis que les décisions ont été adoptées le 12 avril 1994. Se limitant à invoquer des «raisons administratives», la Commission ne fournit aucune justification précise à cet égard.

108.
    Il convient dès lors de déterminer si ce retard a porté atteinte aux droits de la partie requérante.

109.
    A ce sujet, EISA fait valoir que le retard en question l'a obligée à introduire son recours en annulation contre les décisions litigieuses seulement après que les aides avaient vraisemblablement déjà été octroyées par les États membres suite à l'avis du Conseil. Toutefois, à supposer même que les aides aient été versées dès l'émission de l'avis conforme du Conseil, ce qui n'est pas établi, cette circonstance

n'était pas de nature à priver la requérante d'une protection adéquate de ses droits. En effet, comme la Commission le fait observer à juste titre, la Cour a reconnu depuis longtemps l'effet direct de l'interdiction des aides étatiques énoncées à l'article 4, sous c), du traité (voir l'arrêt Groupement des industries sidérurgiques luxembourgeoises/Haute Autorité, précité, p. 88), et la partie requérante aurait pu s'en prévaloir devant les juridictions nationales, afin de faire constater l'illégalité de l'octroi d'aides d'État avant leur autorisation par la Commission. De plus, la jurisprudence communautaire a reconnu aux particuliers la possibilité d'obtenir réparation lorsque leurs droits ont été lésés par une violation du droit communautaire commise par un État membre, même en cas de dispositions ayant un effet direct (voir les arrêts de la Cour du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C-46/93 et C-48/93, Rec. p. I-1029, points 20 à 36, et du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a., C-178/94, C-179/94, C-188/94, C-189/94 et C-190/94, Rec. p. I-4845, points 20 à 29). La partie requérante bénéficiait donc d'une protection juridique adéquate.

110.
    Par ailleurs, il y a lieu de rejeter l'argument de la partie requérante, selon lequel le versement allégué des aides en cause, avant l'adoption des décisions litigieuses, aurait eu pour effet de faire naître dans le chef des entreprises bénéficiaires une confiance légitime dans la compatibilité de ces aides avec le traité, confiance dont elles pourraient se prévaloir dans le cas où, à la suite de l'annulation éventuelle des décisions litigieuses par le Tribunal, la Commission demanderait aux États membres la récupération des aides. En effet, cet argument est dénué de pertinence, en l'espèce, parce qu'il ne présente aucun rapport avec la légalité des décisions litigieuses.

111.
    Il s'ensuit que les décisions litigieuses ne sont pas entachées d'illégalité du fait du retard de la Commission en leur adoption.

112.
    Il ressort de ce qui précède, que le recours est devenu sans objet en ce qui concerne la demande en annulation de la décision 94/256 et qu'il doit être rejeté pour le surplus.

Sur les dépens

113.
    Selon l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Or, il ressort de ce qui précède que EISA — à la seule exception de la demande visant à l'annulation de la décision 94/256, devenue sans objet — a succombé en ses conclusions tendant à l'annulation des décisions litigieuses. La Commission et Ilva, partie intervenante à son appui, ayant conclu en ce sens, il y aurait lieu, en ligne de principe, de condamner EISA au paiement des dépens de celles-ci.

114.
    Quant à la demande en annulation de la décision 94/256, le Tribunal a prononcé un non-lieu partiel à statuer. Or, sur la base de l'article 87, paragraphe 6, du règlement de procédure, le Tribunal peut régler librement les dépens, en fonction notamment du fait, d'une part, que la décision litigieuse a été retirée par la partie défenderesse après l'introduction du recours en annulation et, d'autre part, que la partie requérante n'a pas reconnu l'inutilité de poursuivre le recours sur ce point et, ne s'étant pas désistée, n'a pas demandé que les dépens soient partiellement supportés par la Commission en vertu de l'attitude de cette dernière (voir article 87, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de procédure).

115.
    Il s'ensuit que, en supposant que les six décisions attaquées aient eu, pour la partie requérante, la même importance, il convient que celle-ci soit condamnée à payer 5/6 des dépens de la Commission, partie défenderesse, ainsi que la totalité des dépens d'Ilva.

116.
    Selon l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supporteront leurs dépens. Il s'ensuit que le Conseil, la République fédérale d'Allemagne et la République italienne, parties intervenantes, devront supporter leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête:

1)    Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande en annulation de la décision 94/256/CECA, de la Commission, du 12 avril 1994, concernant les aides que l'Allemagne envisage d'accorder à l'entreprise sidérurgique EKO Stahl AG, Eisenhüttenstadt.

2)     Le recours est rejeté pour le surplus.

3)    La partie requérante est condamnée à payer 5/6 des dépens de la partie défenderesse et la totalité des dépens d'Ilva Laminati Piani SpA, partie intervenante.

4)    Le Conseil, la République fédérale d'Allemagne et la République italienne supporteront chacun leurs propres dépens.

Saggio                Kalogeropoulos              Tiili

Potocki Moura Ramos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 octobre 1997.

Le greffier

Le président

H. Jung

A. Saggio


1: Langue de procédure: le français.