Language of document : ECLI:EU:T:2019:868

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

18 décembre 2019 (*)

« Marque de l’Union européenne – Demande de marque de l’Union européenne figurative GRES ARAGÓN – Motif absolu de refus – Absence de caractère distinctif – Article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001– Absence de caractère descriptif – Article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001– Obligation de motivation – Erreur de droit »

Dans l’affaire T‑624/18,

Gres de Aragón, SA, établie à Alcalñiz (Espagne), représentée par Me J. Learte Álvarez, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme S. Palmero Cabezas, MM. H. O’Neill et D. Botis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la première chambre de recours de l’EUIPO du 16 août 2018 (affaire R 2269/2017‑1), concernant une demande d’enregistrement du signe figuratif GRES ARAGÓN comme marque de l’Union européenne,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de MM. S. Frimodt Nielsen (rapporteur), président, V. Kreuschitz et Mme N. Półtorak, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 18 octobre 2018,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 28 janvier 2019,

à la suite de l’audience du 17 septembre 2019,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 2 février 2017, la requérante, Gres de Aragón, SA, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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3        Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 19 et 35 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, notamment, à la description suivante :

–        Classe 19 : « Matériaux en céramique pour la construction ; carreaux pour planchers et revêtements, azulejos et pavés en pierre ; matériaux de construction non métalliques ; tuyaux rigides non métalliques pour la construction ; constructions transportables non métalliques ; monuments non métalliques » ;

–        Classe 35 : « Services d’importation, d’exportation, de promotion et de vente au détail dans des commerces ou par le biais de réseaux informatiques mondiaux de produits en céramique ».

4        Le 13 mars 2017, l’EUIPO a fait part à la requérante de l’existence de motifs de refus en vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), et de l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 [devenus, respectivement, article 7, paragraphe 1, sous b) et c), et article 7, paragraphe 2, du règlement 2017/1001].

5        La requérante a répondu que sa marque avait acquis un caractère distinctif par l’usage et a produit des documents à l’appui de cette allégation.

6        Conformément aux instructions de la requérante communiquées à l’EUIPO en date du 1er mars 2017, la description des services désignés par la marque demandée relevant de la classe 35, à savoir « services d’importation, d’exportation, de promotion et de vente au détail dans des commerces ou par le biais de réseaux informatiques mondiaux de produits en céramique », a été remplacée, le 17 mars 2017, par la description suivante : « services d’importation, d’exportation, de promotion et de vente au détail dans des commerces ou par le biais de réseaux informatiques mondiaux de matériaux en céramique pour la construction ».

7        La demande d’enregistrement a été rejetée le 1er septembre 2017 uniquement pour les produits et services mentionnés au point 3 ci‑dessus.

8        Le 23 octobre 2017, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de l’examinateur. Elle a en outre joint à son mémoire exposant les motifs dudit recours des documents complémentaires visant à prouver que la marque demandée avait acquis un caractère distinctif par l’usage sur le marché.

9        Par décision du 16 août 2018 (ci-après la « décision attaquée »), la première chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. En particulier, elle a considéré que la marque demandée se compose des mots « gres » et « aragón » représentés en lettres majuscules légèrement stylisées, mais parfaitement lisibles et compréhensibles par le public hispanophone comme désignant un matériau en céramique (grès) provenant de la communauté autonome d’Aragon (Espagne) ou produit dans celle‑ci (point 10 de la décision attaquée). Elle a estimé que, dans la mesure où ces deux termes sont courants en espagnol et associés aux produits et services en cause, « gres » étant leur objet et « aragón » leur provenance, le public pertinent, constitué du grand public et des professionnels qui achètent des matériaux en céramique et de construction, ne verra pas dans la marque demandée un signe possédant un caractère distinctif (points 11 et 12 de la décision attaquée). La chambre de recours a ensuite estimé que les éléments stylistiques limités n’étaient pas suffisants pour conférer un caractère distinctif à la marque demandée (point 13 de la décision attaquée). Elle en a conclu que l’examinateur avait à bon droit estimé que la marque demandée était frappée par l’interdiction visée à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 en ce qui concerne les produits et services en cause (point 14 de la décision attaquée). La chambre de recours a ensuite considéré que les documents produits, même appréciés globalement, ne permettaient pas de démontrer que la marque demandée était devenue apte à identifier les produits ou services en cause en leur attribuant une origine commerciale déterminée (points 18 à 23 de la décision attaquée) et que, par conséquent, il n’était pas nécessaire d’examiner la question, soulevée par la requérante, de savoir si l’usage de la marque demandée avec une conception graphique différente suffisait à démontrer l’acquisition d’un caractère distinctif par la marque demandée (point 24 de la décision attaquée). Enfin, elle a estimé que les éléments de preuve produits en rapport avec la marque demandée ne permettaient pas d’attester qu’elle avait acquis un caractère distinctif par l’usage au sens de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 (point 25 de la décision attaquée).

 Conclusions des parties

10      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        accueillir le recours et annuler la décision attaquée ;

–        ordonner la poursuite de l’examen de la demande d’enregistrement de la marque demandée pour l’ensemble des produits et services visés par la demande d’enregistrement initiale ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

11      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions

12      L’EUIPO conteste la recevabilité du deuxième chef de conclusions de la requérante, qui tend, à ce qu’il plaise au Tribunal d’ordonner la poursuite de l’examen de la demande d’enregistrement de la marque demandée pour l’ensemble des produits et services visés par la demande d’enregistrement initiale.

13      La requérante a précisé, lors de l’audience, que ses conclusions devaient être interprétées comme tendant uniquement à l’annulation de la décision attaquée, sans qu’elle n’ait eu l’intention de demander à ce que le Tribunal prononce une injonction à l’encontre de l’EUIPO.

14      Par ses déclarations à l’audience, la requérante doit être considérée comme ayant renoncé au deuxième chef de conclusions de la requête, sur lesquelles il n’y a, dès lors, plus lieu de se prononcer.

15      En tout état de cause, à cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante que, dans le cadre d’un recours introduit devant le juge de l’Union européenne contre la décision d’une chambre de recours de l’EUIPO, ce dernier est tenu, conformément à l’article 72, paragraphe 6, du règlement 2017/1001, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du juge de l’Union. Dès lors, il n’appartient pas au Tribunal d’adresser des injonctions à l’EUIPO, auquel il incombe de tirer les conséquences du dispositif et des motifs des arrêts du juge de l’Union [voir arrêt du 14 février 2019, Beko/EUIPO – Acer (ALTUS), T‑162/18, non publié, EU:T:2019:87, point 23 et jurisprudence citée]. Partant, le deuxième chef de conclusions de la requérante tendant à ce que le Tribunal enjoigne à l’EUIPO de poursuivre l’examen de la demande d’enregistrement de la marque demandée pour l’ensemble des produits et services visés par la demande d’enregistrement initiale est en tout état de cause irrecevable.

 Sur le premier chef de conclusions

16      À l’appui de son recours, la requérante soulève deux moyens tirés, respectivement, le premier, de la violation de l’article 7, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 et, le second, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 2, de celui-ci, ainsi que d’un défaut de motivation. Le second moyen se subdivise en deux branches tirées, la première, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b) du règlement 2017/1001 et d’un défaut de motivation et, la seconde, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous c) du règlement 2017/1001.

17      Dans le cadre de la première branche, la requérante fait valoir, en substance, que c’est à tort que la chambre de recours a considéré que la marque demandée était dépourvue de caractère distinctif.

18      En premier lieu, au soutien de cette argumentation, elle fait valoir en substance que diverses marques qui ont une composition identique à celle de la marque demandée – à savoir un élément général descriptif, en l’occurrence l’élément « gres », une indication prétendument de provenance ainsi qu’un élément graphique – coexistent sur le marché espagnol pour des produits en céramique, marques qui ont fait l’objet soit d’enregistrements par l’EUIPO soit par l’Office espagnol des brevets et des marques, dont la marque GRES DE BREDA. Elle estime que la marque demandée sera par conséquent perçue, dans le secteur de la céramique et sur le marché hispanophone, comme une marque et non comme une indication de provenance géographique du produit.

19      Ces différents enregistrements de marques, dont le caractère distinctif aurait par conséquent été reconnu, démontreraient que l’on ne saurait considérer que la marque demandée est, quant à elle, dépourvue de caractère distinctif.

20      L’EUIPO aurait ainsi méconnu sa pratique administrative qui, même si elle ne le lie pas, aurait néanmoins dû être examinée.

21      Enfin, il aurait à tout le moins appartenu à la chambre de recours de motiver sa décision sur ce point, ce qu’elle aurait omis de faire.

22      En deuxième lieu, la requérante conteste l’appréciation des éléments graphiques de la marque demandée par la chambre de recours, suivant laquelle ces éléments seraient purement esthétiques.

23      En troisième lieu, la requérante considère, en substance, qu’il ne saurait être présumé que le consommateur associera le terme géographique « aragón » à un territoire typique pour la production du grès, la communauté autonome d’Aragon recouvrant un territoire très vaste sans qu’il n’y ait de lien entre celui-ci et le produit en cause, à la différence de Breda (Espagne), qui est un village célèbre pour la production de céramique. Or, la marque GRES DE BREDA a été admise à l’enregistrement comme marque de l’Union européenne par l’EUIPO nonobstant une indication d’origine géographique précise.

24      La requérante ajoute que la chambre de recours aurait omis toute considération à cet égard, se serait départie des directives relatives à l’examen pratiqué à l’EUIPO sur les marques de l’Union européenne et les dessins ou modèles communautaires enregistrés, et aurait méconnu sa pratique décisionnelle alors que, pour ce faire, elle est soumise à une obligation de motivation spécifique.

25      L’EUIPO conteste cette argumentation.

26      En premier lieu, s’agissant des enregistrements d’autres marques par l’EUIPO et l’Office espagnol des brevets et des marques, il convient, à titre liminaire, de rappeler que, aux termes de l’article 94, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO doivent être motivées. L’obligation de motivation, ainsi consacrée, a la même portée que celle découlant de l’article 296 TFUE. Il est de jurisprudence constante que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée [arrêts du 21 octobre 2004, KWS Saat/OHMI, C‑447/02 P, EU:C:2004:649, points 63 à 65 ; du 15 novembre 2011, Abbott Laboratories/OHMI (RESTORE), T‑363/10, non publié, EU:T:2011:662, point 73).

27      Ainsi, lorsque l’EUIPO refuse l’enregistrement d’un signe en tant que marque de l’Union européenne, il doit, pour motiver sa décision, indiquer le motif de refus, absolu ou relatif, qui s’oppose à cet enregistrement ainsi que la disposition dont ce motif est tiré et exposer les circonstances factuelles qu’il a retenues comme étant prouvées et qui, selon lui, justifient l’application de la disposition invoquée [arrêts du 9 juillet 2008, Reber/OHMI – Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (Mozart), T‑304/06, EU:T:2008:268, point 46, et du 23 janvier 2014, CARE TO CARE, T‑68/13, non publié, EU:T:2014:29, point 28].

28      En outre, selon la jurisprudence constante de la Cour, l’EUIPO est tenu d’exercer ses compétences en conformité avec les principes généraux du droit de l’Union, y compris les principes d’égalité de traitement et de bonne administration (arrêt du 10 mars 2011, Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, C‑51/10 P, EU:C:2011:139, point 73, et ordonnance du 11 avril 2013, Asa/OHMI, C‑354/12 P, non publiée, EU:C:2013:238, point 41).

29      La Cour a précisé que l’EUIPO doit, eu égard auxdits principes, prendre en considération les décisions qu’il a déjà adoptées sur des demandes similaires et s’interroger avec une attention particulière sur le point de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens, l’application de ces principes devant être conciliée avec le respect du principe de légalité, ce qui implique que l’examen de toute demande d’enregistrement doit être strict et complet et avoir lieu dans chaque cas concret (voir arrêts du 10 mars 2011, Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, C‑51/10 P, EU:C:2011:139, points 74, 75 et 77 ; et ordonnance du 14 avril 2016, KS Sports/EUIPO, C‑480/15 P, non publiée, EU:C:2016:266, point 37).

30      En l’espèce, à l’appui de son argumentation suivant laquelle le signe demandé serait pourvu d’un caractère distinctif, la requérante invoque une série d’enregistrements de marques antérieurs.

31      L’EUIPO admet la recevabilité de cette argumentation concernant les enregistrements relatifs à la marque GRES DE BREDA auxquels la requérante s’est référée dans son recours introduit devant la chambre de recours, mais conteste la recevabilité de cette argumentation concernant les autres marques invoquées par la requérante pour la première fois dans sa requête, ainsi que l’EUIPO l’a précisé lors de l’audience en réponse à une question du Tribunal quant au sens des points 28 à 30 de son mémoire en réponse.

32      Il y a toutefois lieu de rappeler que les enregistrements de marques auxquels se réfère la requérante ne sont pas des preuves proprement dites, mais concernent la pratique décisionnelle de l’EUIPO et des offices nationaux des marques, auxquelles une partie doit avoir la possibilité de se référer pour la première fois devant le Tribunal, dès lors qu’il s’agit de reprocher à la chambre de recours non pas de n’avoir pas pris en compte des éléments de fait dans un arrêt ou une décision précis, mais d’avoir violé une disposition du règlement n° 2017/1001 et d’invoquer la jurisprudence ou une pratique décisionnelle à l’appui de ce moyen [voir arrêt du 26 juin 2018, Sicignano/EUIPO – IN.PRO.DI (GiCapri “a giacchett’e capri”), T‑619/16, non publié, EU:T:2018:385, point 31 et jurisprudence citée].

33      Toutefois, dans le cadre de l’examen de la première branche du second moyen, tirée notamment du défaut de motivation de la décision attaquée, il y a lieu de constater que la requérante n’a invoqué, devant la chambre de recours, que les enregistrements relatifs à la marque GRES DE BREDA.

34      En réponse aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience quant à l’absence de réponse à l’argumentation de la requérante sur ce point dans la décision attaquée, l’EUIPO a soutenu que cette argumentation aurait été insuffisamment développée par la requérante dans les motifs avancés par celle-ci au soutien de son recours, ce qui justifierait qu’il n’y ait pas été explicitement répondu par la chambre de recours.

35      Or, il y a lieu de constater que, au soutien de son recours introduit devant la chambre de recours, la requérante a avancé trois moyens distincts ; le deuxième moyen portait, en substance, sur le point de savoir pour quelles raisons la marque demandée se voit considérée comme dépourvue de caractère distinctif, alors que la marque GRES DE BREDA, qui concerne pourtant des produits en céramique venant d’une localité, Breda, connue en Espagne pour sa production de céramique, a pu être enregistrée sans que son caractère distinctif n’ait été contesté par l’EUIPO.

36      Contrairement à ce qu’affirme l’EUIPO, il y a lieu de constater que cette argumentation était suffisamment précise et circonstanciée pour être comprise par la chambre de recours.

37      Il convient ensuite de relever que l’EUIPO a exposé, dans son mémoire en réponse, les motifs pour lesquels la marque GRES DE BREDA s’était vue reconnaître un caractère distinctif, ceux-ci tenant principalement au caractère prépondérant des éléments figuratifs qui la composent en partie. Or, de tels éléments feraient défaut ou, en tout cas, n’auraient pas un tel caractère distinctif pour la marque demandée.

38      Force est toutefois de constater que ce raisonnement, à supposer même qu’il ait été suivi par la chambre de recours pour écarter l’argumentation de la requérante, ne figure nullement dans la décision attaquée et n’a été avancé pour la première fois par l’EUIPO qu’au stade de son mémoire en réponse.

39      Or, une décision doit se suffire à elle-même et sa motivation ne saurait résulter des explications écrites ou orales données ultérieurement, alors que la décision en question fait déjà l’objet d’un recours devant le juge de l’Union (voir arrêt du 24 mai 2011, NLG/Commission, T‑109/05 et T‑444/05, EU:T:2011:235, point 199 et jurisprudence citée). De même, l’argumentation présentée par l’agent de l’EUIPO lors de l’audience ne saurait remédier à l’insuffisance de la motivation de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2005, Confédération Nationale du Crédit Mutuel/Commission, T‑93/02, EU:T:2005:11, point 126 et jurisprudence citée).

40      Il convient par conséquent de constater que la chambre de recours est restée en défaut de répondre à l’argumentation avancée par la requérante s’agissant des enregistrements de marques antérieurs qu’elle avait évoqués au soutien de son recours.

41      En second lieu, s’agissant de l’argumentation de la requérante relative à l’absence de démonstration par la chambre de recours du lien entre les produits en cause et le territoire de la communauté autonome d’Aragon, la décision attaquée violant ainsi la jurisprudence, les directives d’examen de l’EUIPO, la pratique décisionnelle de l’EUIPO et l’obligation de motivation, il convient tout d’abord de constater que la chambre de recours s’est bornée à considérer que « comme [les deux termes “gres”et “aragón”] sont courants en espagnol et sont liés aux produits et services en cause, [le premier terme] étant leur objet et [le second terme] leur provenance, le public de référence ne verra pas dans la marque demandée un signe possédant un caractère distinctif » (point 12 de la décision attaquée).

42      Or, il résulte d’une jurisprudence constante que, lorsqu’un signe est composé d’un nom géographique, l’EUIPO est tenu d’établir que, d’une part, ce nom géographique est connu dans les milieux intéressés en tant que désignation d’un lieu et, d’autre part, ledit nom présente actuellement, aux yeux des milieux intéressés, un lien avec les produits ou les services concernés, ou qu’il soit raisonnable d’envisager qu’un tel nom puisse, aux yeux de ce public, désigner la provenance géographique desdits produits ou services [arrêts du 15 janvier 2015, MEM/OHMI (MONACO), T‑197/13, EU:T:2015:16, point 51 ; du 6 octobre 2017, Karelia/EUIPO (KARELIA), T‑878/16, non publié, EU:T:2017:702, point 19, et du 5 novembre 2019, APEDA/EUIPO – Burraq Travel & Tours General Tourism Office (SIR BASMATI RICE), T‑361/18, non publié, EU:T:2019:777, point 34].

43      Cette jurisprudence est rappelée au point 2.6, intitulé « Termes géographiques », du chapitre 4 de la section 4 de la partie B des directives d’examen de l’EUIPO, qui prévoit ce qui suit :

« […] Concernant les termes dont il est raisonnable d’envisager qu’ils puissent désigner la provenance géographique des produits et services concernés, un refus au titre de l’article 7, paragraphe 1, point c), du [règlement n° 207/2009] ne peut reposer uniquement sur l’argument selon lequel les produits ou services peuvent théoriquement être produits ou fournis dans le lieu désigné par le terme géographique [arrêt du 8 juillet 2009, Mineralbrunnen Rhön-Sprudel Egon Schindel/OHMI – Schwarzbräu (Alaska), T‑226/08, non publié, EU:T:2009:257]. Les facteurs susmentionnés doivent être appréciés (connaissance plus ou moins grande qu’a le public pertinent du terme géographique ainsi que des caractéristiques du lieu désigné par celui-ci et de la catégorie de produits ou services concernée).

Une telle appréciation doit tenir compte en particulier de l’importance de la provenance géographique des produits en question ainsi que des habitudes commerciales en matière d’utilisation de noms géographiques pour indiquer l’origine des produits ou faire référence à certains critères qualitatifs et objectifs des produits. […] »

44      Certes, il ressort d’une jurisprudence constante que les directives d’examen de l’EUIPO ne constituent pas des actes juridiques contraignants pour l’interprétation des dispositions du droit de l’Union et que la légalité des décisions des chambres de recours doit être appréciée uniquement sur le fondement du règlement 2017/1001, tel qu’interprété par le juge de l’Union, et non sur la base d’une pratique décisionnelle antérieure à ces directives (voir arrêt du 16 janvier 2019, Pologne/Stock Polska sp. z o.o. et EUIPO, C‑162/17 P, non publié, EU:C:2019:27, point 59 et jurisprudence citée).

45      Cependant, suivant une jurisprudence également constante rappelée au point 29 ci-dessus, il appartient à l’EUIPO, eu égard aux principes d’égalité de traitement et de bonne administration, de prendre en considération les décisions qu’il a déjà adoptées sur des demandes similaires et de s’interroger avec une attention particulière sur le point de savoir s’il y a lieu ou non de décider dans le même sens, l’application de ces principes devant toutefois être conciliée avec le respect du principe de légalité, ce qui implique que l’examen de toute demande d’enregistrement doit être strict et complet et avoir lieu dans chaque cas concret.

46      Par son argumentation, la requérante fait valoir en substance que l’Aragon est un vaste territoire qui n’est pas connu, en tant que tel, pour la production de céramique et reproche à la chambre de recours, d’une part, d’avoir omis de procéder à l’examen prévu par la jurisprudence et décrit par les directives d’examen de l’EUIPO et, d’autre part, de ne pas avoir exposé les motifs pour lesquels elle s’écartait de ces principes.

47      Premièrement, force est de constater, d’une part, que la chambre de recours s’est bornée à considérer que le terme « aragón » décrivait la provenance des produits et services, sans examiner l’existence d’un lien entre le nom géographique Aragon et les produits et services visés par la marque demandée.

48      Deuxièmement, il convient de relever que la chambre de recours n’a pas précisé les raisons pour lesquelles il n’y aurait pas eu lieu, en l’espèce, de procéder à un tel examen.

49      Troisièmement, s’agissant du point de savoir si l’Aragon est un territoire notoirement connu pour sa production de céramique, il convient de relever que l’EUIPO a exposé, tant dans ses écritures que lors de l’audience, que le territoire de la communauté autonome d’Aragon serait connu comme un lieu de provenance de la céramique en raison de l’utilisation de la céramique mudéjare dans le domaine de la décoration architecturale.

50      L’EUIPO a également fait valoir que lorsque, dans sa requête, la requérante appuie son argumentation sur les autres enregistrements de marques réalisés par l’EUIPO, elle reconnaîtrait elle-même le lien existant entre les produits concernés et, premièrement, la localité espagnole de Breda, située dans la province de Gérone, province de la communauté autonome de Catalogne, qui jouxte la communauté autonome d’Aragon, deuxièmement, la communauté valencienne et, notamment, Castellón, située dans la communauté valencienne, qui jouxte géographiquement la communauté autonome d’Aragon, et, enfin, troisièmement, la localité de Muel, située dans la province de Saragosse, province de la communauté autonome d’Aragon.

51      L’EUIPO soutient que, associés à la reconnaissance du terme « aragón » comme désignation d’un lieu géographique, ce que la requérante ne contesterait pas, ces éléments permettent de conclure que le nom géographique Aragon est un nom géographique recevable pour désigner l’origine géographique des produits et services concernés, sans que les caractéristiques du lieu désigné rendent invraisemblable  pareille association par le public, ainsi que le requerrait la jurisprudence.

52      Or, il convient d’une part, de constater, que cette argumentation ne fait pas partie des motifs sur lesquels est fondée la décision attaquée et a été avancée pour la première fois par l’EUIPO devant le Tribunal. Celle-ci doit par conséquent être écartée pour les motifs exposés au point 39 ci‑dessus.

53      D’autre part, force est de considérer que les éléments avancés par l’EUIPO ne sont pas de nature à établir qu’il serait notoire que l’Aragon serait un lieu bien connu pour la production de céramique.

54      Il y a dès lors lieu de constater que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit, en ce que la chambre de recours n’a pas procédé à l’examen du lien entre le terme géographique « aragón », figurant dans la marque demandée, et les biens et services visés par ladite marque.

55      Il convient par conséquent d’annuler la décision attaquée pour les motifs exposés aux points 40 et 54 ci-dessus, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments avancés par la requérante au soutien de son recours.

 Sur les dépens

56      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 16 août 2018 (affaire R 2269/2017-1) est annulée.

2)      L’EUIPO est condamné aux dépens.

Frimodt Nielsen

Kreuschitz

Półtorak

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 décembre 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.