Language of document : ECLI:EU:T:1998:223

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

17 septembre 1998 (1)

«Recours en annulation — Importation de viande bovine de haute qualité ('boeuf Hilton‘) — Règlement (CEE) n° 1430/79 — Article 13 — Décision de la Commission refusant la remise de droits à l'importation — Droits de la défense — Erreur manifeste d'appréciation»

Dans l'affaire T-50/96,

Primex Produkte Import-Export GmbH & Co. KG, société de droit allemand, établie à Bad Hombourg (Allemagne),

Gebr. Kruse GmbH, société de droit allemand, établie à Hambourg (Allemagne),

Interporc Im- und Export GmbH, société de droit allemand, établie à Hambourg,

représentées par Me Georg M. Berrisch, avocat à Hambourg et à Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Guy Harles, 8-10, rue Mathias Hardt,

parties requérantes,

soutenues par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté initialement par Mme Stéphanie Ridley, du Treasury Solicitor's Department, en qualité d'agent, puis par M. John E. Collins, du même service, en qualité d'agent, assisté de M.

David Anderson, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade du Royaume-Uni, 14, boulevard Roosevelt,

partie intervenante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Götz zur Hausen, conseiller juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission du 26 janvier 1996, document K(96) 180 final, adressée à la République fédérale d'Allemagne et relative à une remise de droits à l'importation,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (première chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, R. M. Moura Ramos et P. Mengozzi, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 31 mars 1998,

rend le présent

Arrêt

Cadre réglementaire

1.
    L'article 13, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1430/79 du Conseil, du 2 juillet 1979, relatif au remboursement ou à la remise des droits à l'importation ou à l'exportation (JO L 175, p. 1, ci-après «règlement n° 1430/79»), tel que modifié par l'article 1er, paragraphe 6, du règlement (CEE) n° 3069/86 du Conseil, du 7 octobre 1986 (JO L 286, p. 1, ci-après «règlement n° 3069/86») dispose:

«Il peut être procédé au remboursement ou à la remise des droits à l'importation dans des situations particulières [...] qui résultent de circonstances n'impliquant ni manoeuvre ni négligence manifeste de la part de l'intéressé.»

2.
    L'article 4, point 2, sous c), du règlement (CEE) n° 3799/86 de la Commission, du 12 décembre 1986, fixant les dispositions d'application des articles 4 bis, 6 bis, 11 bis et 13 du règlement n° 1430/79 (JO L 352, p. 19, ci-après «règlement n° 3799/86»), retient comme situation ne constituant pas par elle-même une situation particulière au sens de l'article 13 du règlement n° 1430/79 «la présentation, même de bonne foi, pour l'octroi d'un traitement tarifaire préférentiel en faveur de marchandises déclarées pour la libre pratique, de documents dont il est établi ultérieurement qu'ils étaient faux, falsifiés ou non valables pour l'octroi de ce traitement tarifaire préférentiel».

3.
    L'article 5, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 1697/79 du Conseil, du 24 juillet 1979, concernant le recouvrement a posteriori des droits à l'importation ou des droits à l'exportation qui n'ont pas été exigés du redevable pour des marchandises déclarées pour un régime douanier comportant l'obligation de payer de tels droits (JO L 197, p. 1, ci-après «règlement n° 1697/79»), dispose:

«Les autorités compétentes peuvent ne pas procéder au recouvrement a posteriori du montant des droits à l'importation ou des droits à l'exportation qui n'ont pas été perçus par suite d'une erreur des autorités compétentes elles-mêmes qui ne pouvait raisonnablement être décelée par le redevable, ce dernier ayant pour sa part agi de bonne foi et observé toutes les dispositions prévues par la réglementation en vigueur en ce qui concerne sa déclaration en douane [...]»

4.
    Le 12 octobre 1992, le Conseil a adopté le règlement (CEE) n° 2913/92, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après «code des douanes»), qui est entré en application le 1er janvier 1994. L'article 251, paragraphe 1, du code des douanes a abrogé, notamment, les règlements nos 1430/79, 1697/79.

5.
    Le règlement n° 3799/86 a été abrogé par l'article 913 du règlement (CEE) n° 2454/93 de la Commission, du 2 juillet 1993, fixant certaines dispositions d'application du règlement n° 2913/92 (JO L 253, p. 1, ci-après «règlement n° 2454/93»), avec effet au 1er janvier 1994, date d'entrée en application du règlement n° 2454/93.

6.
    L'article 907 de ce dernier règlement dispose:

«Après consultation d'un groupe d'experts composé de représentants de tous les États membres réunis dans le cadre du comité afin d'examiner le cas d'espèce, la Commission prend une décision établissant soit que la situation particulière examinée justifie l'octroi du remboursement ou de la remise, soit qu'elle ne le justifie pas.

Cette décision doit intervenir dans un délai de six mois à compter de la date de réception par la Commission du dossier visé à l'article 905, paragraphe 2. Lorsque la Commission a été amenée à demander à l'État membre des éléments d'information complémentaires pour pouvoir statuer, le délai de six mois est prolongé du temps qui s'est écoulé entre la date de l'envoi par la Commission de la demande d'éléments d'information complémentaires et la date de réception de ceux-ci par la Commission.»

7.
    L'article 909 du même règlement énonce:

«Si la Commission n'a pas arrêté sa décision dans le délai visé à l'article 907 ou n'a notifié aucune décision à l'État membre concerné dans le délai visé à l'article 908, l'autorité douanière de décision donne une suite favorable à la demande de remboursement ou de remise.»

8.
    L'article 904 dispose:

«Il n'est pas procédé [...] à la remise des droits à l'importation lorsque, selon le cas, le seul motif à l'appui de la demande [...] de remise est constitué par:

[...]

c)    la présentation, même de bonne foi, pour l'octroi d'un traitement tarifaire préférentiel en faveur de marchandises déclarées pour la libre pratique, de documents dont il est établi ultérieurement qu'ils étaient faux, falsifiés ou non valables pour l'octroi de ce traitement tarifaire préférentiel.»

Faits à l'origine du litige

9.
    Pendant les années 1991 et 1992, les importations de viande bovine de haute qualité en provenance d'Argentine étaient, dans le cadre du tarif douanier commun [voir règlement (CEE) n° 2658/87 du Conseil, du 23 juillet 1987, relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (JO L 256, p. 1), tel que modifié ultérieurement], soumises à un droit de douane d'un taux de 20 %.

10.
    Un prélèvement à l'importation était applicable en sus de ce droit de douane. Le montant du prélèvement était fixé régulièrement par la Commission, conformément à l'article 12 du règlement (CEE) n° 805/68 du Conseil, du 27 juin 1968, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 148, p. 24, tel que modifié ultérieurement). Lors des importations litigieuses, il était de l'ordre de 10 DM par kilogramme.

11.
    Or, depuis 1980, la Communauté était tenue, dans le cadre de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), d'ouvrir un contingent tarifaire communautaire annuel exempté de prélèvement à l'importation pour la viande bovine en provenance, notamment, d'Argentine.

12.
    Conformément à ces obligations, le Conseil a, en ce qui concerne les années 1991 et 1992, adopté les règlements (CEE) nos 3840/90, du 20 décembre 1990 (JO L 367, p. 6), et 3668/91, du 11 décembre 1991 (JO L 349, p. 3), portant ouverture d'un contingent tarifaire communautaire pour les viandes bovines de haute qualité (dite «Hilton Beef»), fraîches, réfrigérées ou congelées, relevant des codes NC 0201 et 0202, ainsi que pour les produits relevant des codes NC 0206 10 95 et 0206 29 91 (ci-après «viande bovine Hilton»). Pour la viande importée dans le cadre de ce contingent (ci-après «contingent Hilton»), seul devait être acquitté le droit du tarif douanier commun applicable fixé à 20 % (article 1er, paragraphe 2, de chacun desdits règlements).

13.
    Pour les deux mêmes années, le Conseil a, par ailleurs, adopté les règlements (CEE) nos 2329/91, du 25 juillet 1991 (JO L 214, p. 1), et 1158/92, du 28 avril 1992 (JO L 122, p. 5), portant ouverture, à titre autonome, d'un quota exceptionnel d'importation de viandes bovines de haute qualité, fraîches, réfrigérées ou congelées, relevant des codes NC 0201 et 0202, ainsi que les produits relevant des codes NC 0206 10 95 et 0206 29 91. Par lesdits règlements, les quantités pouvant être importées dans le cadre du contingent Hilton ont été augmentées.

14.
    Enfin, pour la même période, la Commission a adopté le règlement (CEE) n° 3884/90, du 27 décembre 1990, établissant les modalités d'application des régimes d'importation prévus par les règlements (CEE) n° 3840/90 et (CEE) n° 3841/90 du Conseil dans le secteur de la viande bovine (JO L 367, p. 129), et le règlement (CEE) n° 3743/91, du 18 décembre 1991, établissant les modalités d'application des régimes d'importation prévus par les règlements (CEE) n° 3668/91 et (CEE) n° 3669/91 du Conseil dans le secteur de la viande bovine (JO L 352, p. 36) (ci-après «règlements d'application»).

15.
    Au titre du contingent Hilton, certaines quantités de viande bovine Hilton en provenance d'Argentine pouvaient donc être importées dans la Communauté en franchise de prélèvement. L'octroi de cet avantage était subordonné à la présentation, lors de l'importation, d'un certificat d'authenticité délivré par l'organisme émetteur compétent du pays exportateur.

16.
    Jusqu'à la fin de l'année 1991, la délivrance des certificats d'authenticité en Argentine relevait de la compétence de la Junta Nacional de Carnes. A la fin de l'année 1991/début 1992, la délivrance des certificats d'authenticité a été transférée au Secretaría de Agricultura, Ganadería y Pesca. Seuls des exportateurs de viande bovine reconnus par les autorités argentines obtenaient de tels certificats d'authenticité.

17.
    Après avoir été informée, en 1993, du risque de falsifications des certificats d'authenticité, la Commission a, en collaboration avec les autorités argentines, entamé des enquêtes à ce sujet.

18.
    A plusieurs reprises, des fonctionnaires de la Commission se sont rendus en Argentine pour enquêter sur les faits, en collaboration avec des fonctionnaires nationaux.

19.
    Une première mission a eu lieu pendant la période allant du 8 au 19 novembre1993. Le résultat de cette mission a été consigné dans un rapport du 24 novembre 1993 (ci-après «rapport de 1993»), qui a confirmé l'existence d'irrégularités.

20.
    Selon ce rapport, les autorités argentines se sont interrogées sur la question de savoir pourquoi ces irrégularités n'avaient pas été découvertes lors de l'importation de la viande bovine Hilton dans la Communauté. Le point 11 du rapport indiquait: «[...] les autorités argentines ont souligné que, depuis des années, elles transmettaient aux services responsables de la Commission [direction générale Agriculture] (DG VI), de manière plus ou moins régulière, une liste de tous les certificats d'authenticité pour [la viande bovine Hilton] émis pendant les dix jours précédents, en indiquant certains paramètres tels que l'exportateur argentin, le destinataire dans la Communauté, les poids brut et net, etc. Sur la base d'une telle liste, il aurait été facilement possible, selon nos interlocuteurs, de comparer les données avec celles figurant sur les certificats présentés lors de l'importation des produits en cause et d'identifier ceux qui ne correspondent pas avec les données figurant sur la liste.»

21.
    Une seconde mission en Argentine a eu lieu pendant la période allant du 19 avril au 6 mai 1994. Selon le rapport de cette mission, daté du 17 août 1994 (ci-après «rapport de synthèse»), plus de 460 certificats d'authenticité argentins présentés en 1991 et 1992 avaient été falsifiés.

22.
    Les entreprises requérantes Primex Produkte Import-Export GmbH & Co. KG (ci-après «Primex»), Gebr. Kruse GmbH (ci-après «Gebr. Kruse») et Interporc Im- und Export GmbH (ci-après «Interporc») sont des sociétés allemandes exerçant leurs activités, notamment, dans le domaine de l'importation de viande et de produits dérivés de la viande. Depuis plusieurs années, elles importent également de la viande dans le cadre du contingent Hilton.

23.
    A l'occasion de la mise en libre pratique dans la Communauté de la viande bovine importée par les requérantes, une exemption de prélèvements leur était accordée, dans le cadre des contingents tarifaires ouverts, sur présentation des certificats d'authenticité.

24.
    Après que les falsifications mentionnées eurent été découvertes, les requérantes se sont vu réclamer a posteriori des droits à l'importation par les autorités allemandes. Entre le 3 mars et le 10 juin 1994, des commandements de payer leur ont été adressés pour des montants s'élevant, respectivement, à 90 975,30 DM (Primex), 174 286,46 DM (Gebr. Kruse) et 99 966,63 DM (Interporc).

25.
    Les requérantes ont alors, par lettres des 1er février, 24 février et 22 mars 1995, introduit auprès des autorités douanières allemandes compétentes des demandes de remise des droits à l'importation (ci-après «demandes de remise»). Celles-ci ont été motivées par des mémoires datant du 6 avril 1995. En vertu du droit national, elles ont également sollicité et obtenu une prorogation du délai de paiement.

26.
    Les demandes de remise ont été transmises au ministère fédéral des Finances. Celui-ci a demandé à la Commission de décider si l'octroi d'une remise des droits à l'importation était justifié en vertu de l'article 13 du règlement n° 1430/79. Sa demande a été présentée par lettres réceptionnées par la Commission respectivement les 1er août (affaire REM 8/95, Primex) et 21 août 1995 (affaires REM 11/95, Gebr. Kruse, et REM 12/95, Interporc).

27.
    Le 4 décembre 1995, un groupe d'experts composé de représentants de tous les États membres s'est réuni afin de rendre un avis sur le bien-fondé des demandes de remise des droits à l'importation, conformément à l'article 907 du règlement n° 2454/93.

28.
    Par décision du 26 janvier 1996, adressée à la République fédérale d'Allemagne, la Commission a estimé que les demandes de remise n'étaient pas justifiées (ci-après «décision attaquée»). Les requérantes en ont eu connaissance le 7 février 1996.

Procédure et conclusions des parties

29.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 avril 1996, les requérantes ont introduit un recours visant à l'annulation de la décision attaquée.

30.
    Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 25 juin 1996, elles ont, en vertu des articles 64, paragraphe 4, et 114 du règlement de procédure, demandé au Tribunal d'ordonner à la Commission de produire certains documents estimés pertinents pour la solution du litige.

31.
    Par acte déposé au greffe du Tribunal le 4 juillet 1996, la Commission a demandé que le Tribunal rejette la demande de mesures d'instruction.

32.
    Entre-temps, Interporc a, par lettre du 23 février 1996, demandé à la Commission l'accès à certains documents relatifs au contrôle des importations de la viande bovine Hilton en vertu de la décision 94/90/CECA, CE, Euratom de la Commission, du 8 février 1994, relative à l'accès du public aux documents de la Commission (JO L 46, p. 58).

33.
    Les directeurs généraux de la DG VI et de la direction générale Douane et fiscalité indirecte (DG XXI) ont, dans une large mesure, rejeté la demande d'accès aux documents par lettres des 22 et 25 mars 1996. Par lettre du 27 mars 1996, Interporc

a confirmé sa demande du 23 février 1996. Par décision du 29 mai 1996, le secrétaire général de la Commission a rejeté cette demande confirmative.

34.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 août 1996, Interporc a introduit un recours en annulation de la décision du 29 mai 1996. Par arrêt du 6 février 1998, Interporc/Commission (T-124/96, Rec. p. II-231), le Tribunal a annulé la décision de la Commission du 29 mai 1996, pour insuffisance de motivation.

35.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 octobre 1996, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a demandé à intervenir au soutien des conclusions des requérantes. Par ordonnance du 30 janvier 1997, le président de la troisième chambre a accueilli cette demande.

36.
    Par décision du Tribunal du 2 juillet 1997, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre, à laquelle l'affaire a, par conséquent, été attribuée.

37.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables. Il a toutefois, par lettre du 15 décembre 1997, invité les parties à produire certains documents et à répondre à certaines questions par écrit. La Commission et les requérantes ont, par lettres déposées au greffe du Tribunal respectivement les 13 et 14 janvier 1998, déféré à cette invitation.

38.
    Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

—     annuler la décision attaquée;

—     condamner la Commission aux dépens.

39.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—     rejeter le recours;

—     condamner les requérantes aux dépens.

40.
    Le Royaume-Uni, partie intervenante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal annuler la décision attaquée.

Sur le fond

41.
    A l'appui de leur recours, les requérantes font valoir en substance cinq moyens, tirés, premièrement, d'une violation des droits de la défense, deuxièmement, d'une violation des formes substantielles, en ce que la Commission n'aurait pas accordé au représentant de la République fédérale d'Allemagne la possibilité de s'exprimer oralement au cours de la réunion tenue le 4 décembre 1995 par le groupe d'experts composé de représentants des États membres, troisièmement, d'une violation de

l'article 13 du règlement n° 1430/79, quatrièmement, d'une violation du principe de proportionnalité et, cinquièmement, d'une insuffisance de motivation. Lors de l'audience, elles ont renoncé à un autre moyen, initialement invoqué, tiré de ce que la Commission aurait fondé la décision attaquée sur une base juridique erronée.

Sur le premier moyen, tiré d'une violation des droits de la défense

Arguments des parties

42.
    Les requérantes font valoir que la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure, en ce qu'elles n'ont pas eu la possibilité d'être entendues et de se défendre directement devant la Commission.

43.
    Il ressortirait de la jurisprudence que le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir à un acte faisant grief à celle-ci constitue un principe fondamental de droit communautaire et doit être assuré, même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure en cause (arrêt de la Cour du 29 juin 1994, Fiskano, C-135/92, Rec. p. I 2885, point 39).

44.
    De plus, les droits de la défense comprendraient non seulement le droit de pouvoir exprimer sa prise de position, mais aussi le droit d'être informé, avant l'adoption de la décision, sur tous les faits importants (arrêt de la Cour du 27 juin 1991, Al-Jubail Fertilizer/Conseil, C-49/88, Rec. p. I-3187) et sur les réflexions juridiques sur lesquelles la Commission a l'intention de fonder sa décision. Or, en l'espèce, le rapport de synthèse n'aurait été communiqué qu'après la clôture de la procédure administrative, bien que la Commission se soit, semble-t-il, fondée sur ledit rapport pour constater un manque de diligence de la part des requérantes.

45.
    La Commission se méprendrait sur la fonction des garanties de procédure lorsqu'elle observe que cette fonction consiste uniquement à mettre l'autorité de décision au courant des faits et arguments jugés pertinents par le demandeur. Il serait également essentiel pour les requérantes d'avoir une connaissance complète des faits pertinents, afin de pouvoir soutenir efficacement leurs demandes de remise.

46.
    La Cour aurait certes considéré comme compatibles avec le droit communautaire les anciennes règles de procédure qui ne prévoyaient aucune possibilité pour les redevables d'être entendus par la Commission (arrêt de la Cour du 13 novembre 1984, Van Gend & Loos et Expeditiebedrijf Wim Bosman/Commission, 98/83 et 230/83, Rec. p. 3763). Cependant, il conviendrait de rappeler que, l'article F, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne, adopté entre-temps, dispose notamment que l'Union respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du 4 novembre 1950. Or, la procédure en l'espèce ne serait pas

conforme à l'article 6 de cette convention, en particulier à son paragraphe 3, sous c), aux termes duquel chacun dispose du droit de «se défendre lui-même». Dans ce contexte, la Commission s'appuierait à tort sur l'arrêt de la Cour du 6 juillet 1993, CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission (C-121/91 et C-122/91, Rec. p. I-3873, point 52), cette jurisprudence ne correspondant plus à l'état actuel du droit communautaire.

47.
    Le respect du principe des droits de la défense s'imposerait d'autant plus en l'espèce que la Commission aurait agi à la fois comme juge et partie. En effet, elle aurait elle-même apprécié l'étendue de son comportement fautif et les conséquences qui en résultaient.

48.
    La Commission conteste avoir violé les droits de la défense. Elle rappelle que lesrègles de procédure ne prévoient pas, à l'heure actuelle, une participation du redevable à la procédure administrative devant la Commission. A cet égard, il conviendrait de constater que, par son arrêt du 9 novembre 1995, France-aviation/Commission (T-346/94, Rec. p. II-2841), le Tribunal n'a pas critiqué ni même jugé insuffisantes les dispositions du règlement n° 2454/93.

49.
    Comme la Cour l'aurait constaté dans son arrêt CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, précité (point 52), la procédure applicable dans le domaine des droits antidumping différerait sensiblement de la procédure suivie dans le domaine des remises de droits à l'importation. Il ne pourrait donc être fait référence aux droits formels relatifs aux procédures antidumping pour critiquer les règles de procédure applicables en l'espèce.

50.
    Cela étant précisé, la Commission estime que, contrairement à la situation examinée dans l'arrêt France-aviation/Commission, précité, la décision attaquée a été fondée sur un dossier complet. En effet, tant la Commission que les membres du groupe d'experts prévu par l'article 907 du règlement n° 2454/93 auraient disposé non seulement du dossier transmis par l'État membre, mais également des demandes de remise accompagnées de leur justification.

51.
    Conformément aux exigences découlant de la jurisprudence, tous les éléments jugés essentiels par les requérantes elles-mêmes auraient figuré dans le dossier au moment de l'adoption de la décision attaquée [arrêts de la Cour du 17 mars 1983, Control Data Belgium/Commission, 294/81, Rec. p. 911, Van Gend & Loos et Expeditiebedrijf Wim Bosman/Commission, précité, point 9, et CT Control (Rotterdam) et JCT Benelux/Commission, précité, point 48).

52.
    D'après la Commission, les requérantes méconnaissent, par le présent moyen, la fonction des garanties de procédure en matière de remise des droits à l'importation. Le seul but de ces garanties serait de mettre la Commission au courant des faits et arguments jugés pertinents par le demandeur afin d'établir le bien-fondé de sa demande de remise, et non de faire connaître à l'intéressé des éléments sur lesquels la Commission pourrait ensuite fonder sa décision.

53.
    Le redevable devrait certes avoir la possibilité de prendre position sur les documents retenus par l'institution communautaire (arrêt de la Cour du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C-269/90, Rec. p. I-5469, point 25, et arrêt France-aviation/Commission, précité, point 32). Toutefois, cela ne signifierait pas pour autant qu'il devrait pouvoir prendre position sur des documents autres que ceux retenus par la Commission pour adopter la décision attaquée.

54.
    Quant à l'argument selon lequel la Commission interviendrait à la fois comme juge et partie, l'institution fait valoir qu'il est parfaitement normal qu'une autorité administrative statue sur la question de savoir s'il y a lieu de procéder à un recouvrement de droits.

55.
    Enfin, la Commission relève que l'avocat des requérantes, avant l'adoption de la décision attaquée, s'est entretenu de l'affaire à plusieurs reprises avec ses services.

56.
    Le moyen devrait donc être rejeté.

Appréciation du Tribunal

57.
    A titre liminaire, il y a lieu de relever que la procédure administrative en matière douanière pour la remise des droits à l'importation comporte deux étapes distinctes. La première se déroule au niveau national. Le redevable doit présenter sa demande de remise à l'administration nationale. Si celle-ci estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la remise, elle peut, selon la réglementation, prendre une décision en ce sens sans soumettre la demande à la Commission. Une telle décision peut être soumise au contrôle du juge national. Au contraire, si l'administration nationale soit éprouve des doutes quant à la remise, soit pense qu'il faut accorder la remise, elle doit soumettre la demande à la Commission pour décision. La seconde étape de la procédure se déroule alors au niveau communautaire, les autorités nationales transmettant le dossier du redevable à la Commission. Celle-ci, après consultation d'un groupe d'experts composé de représentants de tous les États membres, prend ensuite une décision sur la justification de la demande de remise.

58.
    Le règlement n° 2454/93 ne prévoit que des contacts, d'une part, entre l'intéressé et l'administration nationale et, d'autre part, entre cette dernière et la Commission (arrêt France-aviation/Commission, précité, point 30). L'État membre concerné est donc, selon la réglementation en vigueur, le seul interlocuteur de la Commission. Les dispositions procédurales du règlement n° 2454/93 ne prévoient pas, notamment, un droit pour le redevable d'être entendu lors de la procédure administrative devant la Commission.

59.
    Toutefois, selon une jurisprudence constante, le respect des droits de la défense dans toute procédure ouverte à l'encontre d'une personne et susceptible d'aboutir

à un acte faisant grief constitue un principe fondamental de droit communautaire qui doit être assuré même en l'absence de toute réglementation concernant la procédure (arrêts de la Cour du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a., C-32/95 P, Rec. p. I-5373, point 21, du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission, C-48/90 et C-66/90, Rec. p. I-565, point 44, et Fiskano/Commission, précité, point 39).

60.
    Eu égard au pouvoir d'appréciation dont dispose la Commission lorsqu'elle adopte une décision en application de la clause générale d'équité prévue par l'article 13 du règlement n° 1430/79, le respect du droit d'être entendu doit d'autant plus être garanti dans les procédures de remise ou de remboursement de droits à l'importation (arrêt France-aviation/Commission, précité, point 34, et, dans le même sens, arrêt Technische Universität München, précité, point 14).

61.
    Le principe de respect des droits de la défense exige que toute personne à l'encontre de laquelle une décision faisant grief peut être prise soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue, à tout le moins, au sujet des éléments retenus à sa charge par la Commission pour fonder sa décision (voir, en ce sens, arrêts Commission/Lisrestal e.a., précité, point 21, et Fiskano/Commission, précité, point 40).

62.
    Dans le domaine de la concurrence, il ressort d'une jurisprudence constante que le droit d'accès au dossier est lui-même étroitement lié au principe de respect des droits de la défense. En effet, l'accès au dossier relève des garanties procédurales visant à protéger le droit d'être entendu (arrêts du Tribunal du 18 décembre 1992, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-10/92, T-11/92, T-12/92 et T-15/92, Rec. p. II-2667, point 38, et du 29 juin 1995, ICI/Commission, T-36/91, Rec. p. II-1847, point 69).

63.
    Cette jurisprudence est transposable en l'espèce. Le principe de respect des droits de la défense exige donc non seulement que la partie intéressée soit mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur la pertinence des faits, mais également qu'elle puisse prendre position, à tout le moins, sur les documents retenus par l'institution communautaire (arrêts Technische Universität München, précité, point 25, et France-aviation/Commission, précité, point 32).

64.
    Étant donné que les requérantes reprochent à la Commission des manquements graves dans son chef en ce qui concerne le contrôle du contingent Hilton, le Tribunal considère, en outre, que, afin de rendre efficace l'exercice du droit d'être entendu, la Commission est tenue, sur demande, de donner accès à tous les documents administratifs non confidentiels concernant la décision attaquée. En effet, il ne saurait être exclu que les documents jugés non pertinents par la Commission puissent présenter un intérêt pour les requérantes. Si la Commission était en mesure d'exclure unilatéralement de la procédure administrative des documents qui lui sont éventuellement préjudiciables, cela pourrait constituer une

grave violation des droits de la défense du demandeur d'une remise des droits à l'importation (voir, dans le même sens, arrêt ICI/Commission, précité, point 93).

65.
    En l'espèce, il convient de constater que le ministère fédéral des Finances, dans ses avis relatifs aux demandes de remise, émis lors de la transmission des dossiers à la Commission, avait conclu qu'il n'y avait eu ni négligence ni manoeuvre de la part des requérantes.

66.
    Or, dans la décision attaquée, il est pour la première fois reproché aux requérantes de ne pas avoir fait preuve de toute la diligence nécessaire en ne prenant pas à l'égard de ses contractants et de ses intermédiaires en Argentine toutes les garanties nécessaires. Les requérantes n'auraient notamment pas contrôlé directement la circulation des certificats d'authenticité dont elles bénéficiaient (vingt-deuxième considérant de la décision), alors qu'elles auraient disposé des moyens pour prendre des précautions (seizième considérant).

67.
    A cet égard, il convient de rappeler que, dans son arrêt France-aviation/Commission, précité (point 36), le Tribunal a considéré que, lorsque la Commission envisage de s'écarter de la prise de position des autorités nationales compétentes sur la question de savoir si une négligence manifeste peut être reprochée à l'intéressé, elle est tenue de faire entendre celui-ci sur ce point. En effet, une telle décision implique une appréciation juridique complexe qui ne peut être portée que sur la base de toutes les données factuelles pertinentes.

68.
    Cette jurisprudence est transposable en l'espèce, bien qu'il ne soit reproché aux requérantes qu'un manque de diligence. En effet, la Commission s'est fondée notamment sur ce grief pour rejeter les demandes de remise en application de l'article 13 du règlement n° 1430/79, disposition qui exige toutefois l'absence de «négligence manifeste» de la part de l'intéressé.

69.
    Il ressort du dossier que la Commission n'a pas mis les requérantes en mesure, au cours même de la procédure qui s'est déroulée devant elle, de prendre position et de faire connaître utilement leur point de vue sur les griefs relatifs à un manque de diligence.

70.
    S'il est vrai que le conseil des requérantes a eu des entretiens avec les services de la Commission, les griefs invoqués aux seizième et vingt-deuxième considérants de la décision attaquée n'ont toutefois pas fait l'objet des discussions. En réponse à une question posée à ce sujet par le Tribunal, les requérantes ont affirmé, sans être contredites par la Commission, que les questions relatives au défaut de diligence ou à la négligence manifeste des requérantes ou des importeurs de manière générale n'ont pas été abordées lors de ces entretiens.

71.
    Il s'ensuit que la décision attaquée a été adoptée à l'issue d'une procédure administrative viciée par une violation des formes substantielles.

72.
    Le premier moyen, tiré d'une violation des droits de la défense, est donc fondé.

Sur le troisième moyen, tiré d'une violation de l'article 13 du règlement n° 1430/79

Arguments des parties requérantes et intervenante

73.
    Les requérantes font valoir que la Commission a violé l'article 13 du règlement n° 1430/79, en considérant qu'il n'existait en l'espèce aucune «situation particulière» au sens de cette disposition. En adoptant la décision attaquée, l'institution aurait notamment méconnu l'étendue de ses propres fautes graves en ce qui concerne la surveillance des importations dans le cadre du contingent Hilton et les conséquences juridiques qui en résultaient.

74.
    Dans la mesure où l'article 13 du règlement n° 1430/79 constituerait une clause générale d'équité, le recouvrement des droits à l'importation devrait être limité aux cas dans lesquels le paiement de ces droits est justifié et conciliable avec les principes juridiques fondamentaux (arrêt de la Cour du 1er avril 1993, Hewlett Packard France, C-250/91, Rec. p. I-1819, point 46). La Commission ne disposerait d'aucune marge d'appréciation dans l'application dudit article 13 (voir, en ce qui concerne l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79, arrêt de la Cour du 22 octobre 1987, Foto-Frost, 314/85, Rec. p. 4199, point 23).

75.
    La Commission aurait eu l'obligation de contrôler les importations effectuées dans le cadre du contingent Hilton. Cette obligation résulterait notamment des règlements d'application. En effet, l'article 6, paragraphe 1, de chacun de ces règlements aurait imposé aux États membres de lui communiquer de manière régulière les importations effectuées dans le cadre du contingent Hilton. Seule la Commission aurait été en position de déterminer la quantité de viande bovine Hilton effectivement importée et de veiller à ce que cette quantité ne dépassât pas le contingent.

76.
    Les requérantes reprochent des manquements tant à la Commission qu'aux autorités argentines.

— Manquements reprochés à la Commission

77.
    Les requérantes font notamment grief à la Commission de ne pas avoir procédé à un amortissement continuel pendant l'année des quantités qui pourraient être importées dans le cadre du contingent Hilton et de ne pas avoir comparé les communications régulières émanant des États membres, relatives aux importations de la viande bovine Hilton, avec celles des autorités argentines, relatives aux exportations.

78.
    En outre, elle n'aurait transmis aux autorités nationales ni les noms et échantillons de signatures des personnes habilitées à délivrer des certificats d'authenticité, ni les données relatives aux exportations provenant d'Argentine. Ces omissions auraient

empêché les autorités nationales de contrôler efficacement la validité des certificats d'authenticité lors des importations litigieuses.

79.
    De surcroît, déjà en 1989, la Commission aurait été en mesure de constater des dépassements importants du contingent. Si elle avait, à cette époque, entrepris des enquêtes relatives à ces irrégularités, l'importation de quantités excédentaires liées aux falsifications des certificats d'authenticité au cours des années 1991 et 1992 aurait pu être évitée.

80.
    Par ailleurs, la Commission aurait elle-même reconnu des négligences en ce qui concerne le contrôle du contingent. Au soutien de cette allégation, les requérantes s'appuient notamment sur le rapport de 1993 et sur une note du directeur général de la DG VI du 8 avril 1994, adressée au directeur général de la DG XXI, dans laquelle des défaillances de l'ancien système de contrôle auraient été reconnues.

81.
    Les manquements de la Commission auraient créé des conditions permettant aux falsifications de prendre l'ampleur constatée aujourd'hui. Ils constitueraient une «situation particulière» au sens de l'article 13 du règlement n° 1430/79.

— Manquements reprochés aux autorités argentines

82.
    Les requérantes font valoir que les autorités argentines ont également commis des fautes au cours de la surveillance et du contrôle de la mise en oeuvre du contingent Hilton. Ainsi, elles auraient, d'une part, employé pour l'établissement des certificats d'authenticité des formulaires qui n'étaient pas garantis contre les falsifications et, d'autre part, distribué des formulaires en blanc aux exportateurs argentins. En outre, le transfert des pouvoirs de la Junta Nacional de Carnes au Secretaría de Agricultura, Ganadería y Pesca aurait eu pour conséquence d'entraîner, pour une période de plusieurs mois, des confusions sur les compétences et les domaines de responsabilité respectifs, ce qui aurait facilité des irrégularités.

83.
    La Commission serait responsable du comportement fautif des autorités argentines, dès lors qu'elle leur aurait, en connaissance de cause, délégué l'administration du contingent Hilton.

84.
    Contrairement à son avis, la référence à l'article 904, sous c), du règlement n° 2454/93 ne serait pas pertinente en l'espèce. En effet, les requérantes ne se fonderaient pas uniquement sur le fait qu'elles auraient présenté de bonne foi les certificats falsifiés. Elles auraient, au contraire, également invoqué une série d'autres facteurs, notamment un comportement fautif de la Commission.

85.
    Les falsifications en cause ne relèveraient pas d'un risque commercial normal. La Commission invoquerait à tort, dans le présent contexte, l'arrêt de la Cour du 11 décembre 1980, Acampora (827/79, Rec. p. 3731). En effet, dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, il se serait agi d'une seule importation, de sorte que l'on

n'aurait pas pu raisonnablement reprocher à la Commission de ne pas avoir décelé les irrégularités en question. En revanche, dans la présente espèce, les manquements de la Commission auraient permis la continuation des falsifications pendant plusieurs années. Pour cette raison, les falsifications constatées dépasseraient le risque commercial normal.

86.
    Les requérantes soutiennent que la Commission tend, par son mémoire en défense, à introduire des motifs supplémentaires et/ou à remplacer la motivation de la décision attaquée par une nouvelle motivation. D'une part, elle y présenterait une motivation juridique nouvelle, relative aux conditions à remplir afin d'obtenir une remise des droits en vertu de l'article 13 du règlement n° 1430/79. D'autre part, elle émettrait à l'encontre des requérantes des griefs nouveaux quant à l'existence d'une négligence manifeste au sens de cette disposition. Ne figurant pas dans la décision attaquée, ces allégations devraient donc être rejetées comme irrecevables.

87.
    Quant au fond, les requérantes font valoir que la Commission assimile à tort la notion de «négligence manifeste», au sens de l'article 13 du règlement n° 1430/79, à la notion de bonne foi visée par l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79. Certes, les deux dispositions poursuivraient le même but. Cependant, les notions susvisées ne seraient pas identiques, ne serait-ce que dans la mesure où le domaine d'application de la première disposition serait sensiblement plus large que celui de la seconde (voir, à cet égard, arrêt de la Cour du 15 décembre 1983, Schoellershammer/Commission, 283/82, Rec. p. 4219).

88.
    En tout état de cause, les requérantes contestent l'existence d'une négligence manifeste de leur part. Elles n'auraient eu aucun doute quant à la validité des certificats d'authenticité. Ne disposant pas d'indices montrant que des irrégularités avaient été commises, elles n'auraient pas eu non plus de raisons de nourrir de tels doutes. De plus, il ne s'agirait pas d'un cas isolé, mais bien de falsifications à grande échelle. A cet égard, les entreprises impliquées dans les falsifications n'auraient pas livré de la viande de haute qualité uniquement avec des certificats d'authenticité falsifiés. La plupart du temps, elles auraient également livré des quantités importantes avec des certificats valables.

89.
    Contrairement à ce que prétend la Commission, les requérantes n'auraient, en pratique, disposé d'aucune possibilité de prendre des précautions ou des garanties à l'encontre de leurs partenaires contractuels. Il aurait été également impossible pour les requérantes, domiciliées en Europe, de déterminer de qui les exportateurs avaient obtenu les certificats d'authenticité.

90.
    Bien qu'elle détienne tous les documents pertinents, la Commission n'aurait pas avancé d'éléments de nature à étayer son grief selon lequel les requérantes n'auraient pas fait preuve de toute la diligence nécessaire.

91.
    Les requérantes concluent que le recouvrement contre elles des prélèvements n'était pas justifié, les conditions d'application de l'article 13 du règlement n° 1430/79 étant toutes remplies. La décision attaquée devrait donc être annulée.

92.
    Le Royaume-Uni fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit en considérant que l'article 13 du règlement n° 1430/79 n'était pas applicable ou, subsidiairement, qu'elle a exercé d'une façon manifestement erronée la faculté discrétionnaire que lui confère cette disposition.

93.
    La décision attaquée serait inéluctablement viciée, dès lors que la Commission n'aurait pas tenu suffisamment compte du fait qu'elle avait, elle-même, contribué aux problèmes des requérantes. La motivation et les conclusions contenues dans la décision attaquée seraient manifestement erronées, dans la mesure où la Commission serait responsable envers les opérateurs économiques de la détection de la fraude et aurait manqué à ses obligations de contrôle résultant des règlements d'application.

94.
    Compte tenu de la responsabilité assumée par la Commission dans la surveillance et le contrôle du contingent, et des manquements qui lui sont imputables dans l'exercice de cette responsabilité, rien n'aurait justifié, sur le plan juridique, un refus de la remise. Ce refus aurait eu pour conséquence de sanctionner des opérateurs parfaitement innocents, ce qui serait directement contraire à l'objectif général d'équité de l'article 13 du règlement n° 1430/79.

Arguments de la partie défenderesse

95.
    La Commission affirme qu'elle a considéré à juste titre que les faits du cas d'espèce ne constituaient pas une situation particulière justifiant une remise des droits à l'importation.

96.
    Se référant à l'arrêt Hewlett Packard France, précité (point 46), ainsi qu'à l'arrêt de la Cour du 14 mai 1996, Faroe Seafood e.a. (C-153/94 et C-204/94, Rec. p. I-2465, point 83), elle fait valoir que les conditions énoncées par l'article 13 du règlement n° 1430/79 doivent être appréciées à la lumière de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79.

97.
    Il en résulterait qu'une remise des droits à l'importation n'est justifiée que si les trois conditions cumulatives énoncées par cette dernière disposition sont remplies, à savoir que les droits n'aient pas été perçus à la suite d'une erreur des autorités compétentes, que le redevable ait agi de bonne foi, c'est-à-dire qu'il n'ait pas pu raisonnablement déceler l'erreur commise par les autorités compétentes, et qu'il ait observé toutes les dispositions prévues par la réglementation en vigueur en ce qui concerne sa déclaration en douane [voir également article 220, paragraphe 2, sous b), du code des douanes]. Dans ce contexte, contrairement à l'avis des requérantes, les deux dispositions susvisées seraient globalement comparables, car

elles poursuivraient le même but (arrêt Hewlett Packard France, précité, point 46), ou seraient même interchangeables (arrêt du Tribunal du 5 juin 1996, Günzler Aluminium, T-75/95, Rec. p. II-497, point 55).

98.
    Une interprétation stricte de ces conditions s'imposerait afin de garantir une application uniforme du droit communautaire (arrêt de la Cour du 27 juin 1991, Mecanarte, C-348/89, Rec. p. I-3277, point 33).

99.
    En ce qui concerne l'allégation d'une erreur des autorités compétentes, la Commission fait valoir que l'argumentation correspondante est irrecevable, ayant été présentée pour la première fois dans le mémoire en réplique.

100.
    De surcroît, les autorités compétentes n'auraient pas commis d'erreur au sens de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79. La confiance légitime du redevable ne serait digne de protection que si les autorités compétentes elles-mêmes ont créé la base sur laquelle reposait la confiance. L'erreur devrait être imputable à un comportement actif des autorités compétentes (arrêts Hewlett Packard France, précité, point 16, Faroe Seafood e.a., précité, point 91, et Mecanarte, précité, point 23). Tel ne serait pas le cas lorsque les autorités compétentes sont induites en erreur par des déclarations inexactes de l'exportateur dont elles n'ont pas à vérifier ou à apprécier la validité.

101.
    Cette solution découlerait également d'une lecture de l'article 4, point 2, sous c), du règlement n° 3799/86, et de l'article 904, sous c), du règlement n° 2454/93. Il ressortirait de ces dispositions que la présentation de bonne foi de documents falsifiés ne vaut pas en soi comme circonstance particulière justifiant une remise. Le fait que les autorités douanières allemandes aient, dans un premier temps, accepté les certificats d'authenticité comme valables n'aurait pu créer une confiance légitime dans le chef des requérantes (arrêt Faroe Seafood e.a., précité, point 93).

102.
    La Commission souligne ensuite qu'il ressort de la jurisprudence, d'une part, que la Communauté n'a pas à supporter les conséquences préjudiciables des agissements incorrects des fournisseurs de ses ressortissants et, d'autre part, qu'en supputant les avantages que peut procurer le commerce de marchandises susceptibles de bénéficier de préférences tarifaires, un opérateur économique avisé et averti de l'état de la réglementation doit pouvoir évaluer les risques inhérents au marché qu'il prospecte et les accepter comme rentrant dans la catégorie des inconvénients normaux du négoce (arrêt Acampora, précité, point 8). En invoquant un comportement fautif des services de la Commission, les requérantes essaieraient donc, à tort, d'échapper à la conséquence de cette jurisprudence.

103.
    Les griefs invoqués par les requérantes ne seraient pas de nature à supprimer ou à limiter le risque commercial qui leur incombe (voir notamment arrêt Van Gend & Loos et Expeditiebedrijf Wim Bosman/Commission, précité, points 16 et 17). Le système de contrôle aurait uniquement eu pour but de garantir que seule la viande importée dans le cadre des contingents bénéficiait de l'exemption de prélèvement.

Pour autant que le marché de la viande bovine dans la Communauté n'était pas menacé, un dépassement du contingent n'aurait pas conduit nécessairement la Commission à adopter immédiatement des mesures à ce sujet.

104.
    Le système de contrôle n'aurait notamment pas eu pour but d'informer, voire de protéger, les intéressés à l'égard d'éventuelles fraudes, mais bien de vérifier la bonne application des contingents. Il n'y aurait donc pas eu d'obligation de la Commission vis-à-vis des intéressés.

105.
    Le comportement des services de la Commission concernant la surveillance de l'utilisation du contingent Hilton, critiqué par les requérantes, ne pourrait pas être considéré comme une situation particulière au sens de la réglementation applicable. La Commission rejette explicitement les affirmations selon lesquelles elle aurait, elle-même, rendu possible la falsification des certificats d'authenticité. Il n'existerait pas non plus un lien de causalité entre son comportement et l'origine des prélèvements à l'importation.

106.
    En réponse aux griefs selon lesquels les services de la Commission n'auraient pas tout mis en oeuvre pour faire obstacle aux irrégularités, la Commission rétorque qu'elle ne doit pas assumer la responsabilité financière des falsifications qui auraient peut-être pu être évitées si les autorités compétentes avaient pris des mesures plus strictes et dans de meilleurs délais. Dans presque tous les secteurs, il existerait des réglementations chargeant les autorités compétentes de certaines obligations de surveillance. Le risque de subir des inconvénients, qui ne seraient peut-être pas apparus si la surveillance avait été totalement efficace, serait cependant toujours supporté par l'intéressé.

107.
    De plus, en vertu du système en vigueur pendant la période en question, la Commission n'aurait été informée qu'à l'expiration de l'année civile du nombre de certificats d'authenticité délivrés par les autorités argentines. De ce fait, d'éventuels dépassements de contingents n'auraient pu être constatés que vers la fin de l'année concernée ou au début de l'année suivante, de sorte qu'il n'aurait plus été possible d'y faire obstacle.

108.
    En outre, la comparaison n'aurait pas été facile. D'une part, les exportations effectuées n'auraient pas nécessairement coïncidé dans le temps avec la notification faite par les autorités argentines. D'autre part, l'indication, dans le certificat, de l'État membre prévu pour l'importation n'aurait pas été contraignante, de sorte que l'importation aurait souvent eu lieu dans un État membre autre que celui indiqué dans le certificat.

109.
    Des dépassements de contingents auraient effectivement eu lieu en 1989. Cependant, ils auraient pu s'expliquer par des confusions avec des certificats d'authenticité concernant d'autres importations de viande. Ayant reçu, en 1993, des indications concernant des falsifications de certificats d'authenticité, les services de

la Commission auraient immédiatement réagi. Il ne pourrait donc être question de lourdes négligences de leur part. Par ailleurs, les dépassements connus pour les années 1991 et 1992 auraient été de peu d'importance.

110.
    En l'absence d'erreur des autorités compétentes, la première des trois conditions cumulatives énoncées par l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79 ne serait donc pas remplie.

111.
    La deuxième condition, à savoir la bonne foi du redevable, ne serait pas non plus satisfaite. La Commission souligne que, si la décision attaquée ne reproche pas aux requérantes une «négligence manifeste», elle fait toutefois état d'une absence de diligence (voir seizième et vingt-deuxième considérants). En effet, il serait constaté au vingt-deuxième considérant que les requérantes ont omis de prendre elles-mêmes toutes les mesures de sécurité nécessaires vis-à-vis de leurs cocontractants et intermédiaires en Argentine et qu'elles ont notamment négligé de contrôler directement les canaux par lesquels leur parvenaient les certificats d'authenticité.

112.
    Compte tenu de leur connaissance du système du contingent ainsi que de leur expérience professionnelle, les requérantes auraient été parfaitement à même de prendre des mesures pour empêcher l'utilisation de certificats d'authenticité falsifiés. Elles ne l'auraient pas fait, alors qu'elles auraient dû être au courant du risque de manipulations, eu égard aux intérêts économiques en jeu. Elles se seraient largement appuyées sur des intermédiaires en Argentine dans le cadre de leurs opérations. A cet égard, l'intervention d'un partenaire commercial supplémentaire entre l'abattoir et l'importateur aurait donc dû inciter ce dernier à être plus vigilant.

113.
    La falsification des certificats d'authenticité aurait pu être décelée si les requérantes avaient fait preuve de diligence en les examinant. Les requérantes auraient obtenu les originaux des certificats d'authenticité. En présence de doutes quant à leur validité, elles auraient été tenues d'acquérir la certitude qu'ils étaient valables (arrêts Hewlett Packard France, précité, point 24, et Faroe Seafood e.a., précité, point 100).

114.
    La Commission conclut au rejet du présent moyen, étant donné que les conditions d'une remise des droits à l'importation, prévues à l'article 13 du règlement n° 1430/79, n'étaient pas remplies en l'espèce, les autorités compétentes n'ayant commis aucune erreur au sens de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79 et les requérantes n'ayant pas agi de bonne foi.

Appréciation du Tribunal

115.
    Selon une jurisprudence constante, l'article 13 du règlement n° 1430/79 constitue une clause générale d'équité destinée à couvrir les situations autres que celles qui étaient le plus couramment constatées dans la pratique et qui pouvaient, au moment de l'adoption du règlement n° 1430/79, faire l'objet d'une réglementation

particulière (arrêts de la Cour du 12 mars 1987, Cerealmangimi et Italgrani/Commission, 244/85 et 245/85, Rec. p. 1303, point 10, et du 18 janvier 1996, SEIM, C-446/93, Rec. p. I-73, point 41). Il est notamment destiné à être appliqué lorsque les circonstances qui caractérisent le rapport entre l'opérateur économique et l'administration sont telles qu'il n'est pas équitable d'imposer à cet opérateur un préjudice qu'il n'aurait normalement pas subi (arrêt de la Cour du 26 mars 1987, Coopérative agricole d'approvisionnement des Avirons, 58/86, Rec. p. 1525, point 22).

116.
    La Commission doit donc apprécier l'ensemble des éléments de fait afin de déterminer si ceux-ci sont constitutifs d'une situation particulière au sens de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 mai 1986, Oryzomyli Kavallas e.a./Commission, 160/84, Rec. p. 1633, point 16). Si elle jouit à cet égard d'un pouvoir d'appréciation (arrêt France-aviation/Commission, précité, point 34), elle est tenue d'exercer ce pouvoir en mettant réellement en balance, d'une part, l'intérêt de la Communauté à s'assurer du respect des dispositions douanières et, d'autre part, l'intérêt de l'importateur de bonne foi à ne pas supporter des préjudices dépassant le risque commercial ordinaire. Par suite, lors de son examen de la justification de la demande de remise, elle ne saurait se contenter de tenir compte des agissements des importateurs. Elle doit également évaluer l'incidence de son propre comportement, le cas échéant fautif, sur la situation créée.

117.
    Dès lors que les deux conditions énoncées par l'article 13 du règlement n° 1430/79, à savoir l'existence d'une situation particulière et l'absence de manoeuvre et de négligence manifeste de la part de l'intéressé, sont réunies, le redevable a droit, sous peine de priver cette disposition de son effet utile, à ce qu'il soit procédé au remboursement ou à la remise des droits à l'importation (voir, en ce qui concerne l'application de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79, les arrêts de la Cour Mecanarte, précité, point 12, du 4 mai 1993, Weis, C-292/91, Rec. p. I-2219, point 15, et Faroe Seafood e.a., précité, point 84).

118.
    Il y a donc lieu de rejeter la thèse de la Commission selon laquelle une remise des droits à l'importation n'est justifiée que si les trois conditions cumulatives énoncées par l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79 sont remplies, à savoir que les droits n'aient pas été perçus à la suite d'une erreur des autorités compétentes, que le redevable ait agi de bonne foi, c'est-à-dire qu'il n'ait pas raisonnablement pu déceler l'erreur commise par les autorités compétentes, et qu'il ait observé toutes les dispositions prévues par la réglementation en vigueur en ce qui concerne sa déclaration en douane.

119.
    Si la Cour a jugé que l'article 13 du règlement n° 1430/79 et l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79 poursuivent le même but, à savoir limiter le paiement a posteriori des droits à l'importation ou à l'exportation aux cas où un tel paiement est justifié et où il est compatible avec un principe fondamental tel que le principe

de la confiance légitime (arrêt Hewlett Packard France, précité, point 46), elle n'a pas considéré que les deux dispositions coïncident.

120.
    Elle s'est bornée à considérer que le caractère décelable de l'erreur des autoritéscompétentes, au sens de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79, correspond à la négligence manifeste ou à la manoeuvre, au sens de l'article 13 du règlement n° 1430/79, de sorte que les conditions de cette dernière disposition doivent être appréciées à la lumière de celles de l'article 5, paragraphe 2, susvisé.

121.
    A supposer même que les autorités compétentes n'aient pas commis d'erreur au sens de l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79, cela n'exclut donc pas a priori que l'intéressé puisse, à titre subsidiaire, invoquer l'article 13 du règlement n° 1430/79, en faisant valoir l'existence d'une situation particulière justifiant la remise des droits à l'importation.

122.
    La thèse de la Commission méconnaît les finalités des deux dispositions. Alors que l'article 5, paragraphe 2, du règlement n° 1697/79 a pour objectif de protéger la confiance légitime du redevable quant au bien-fondé de l'ensemble des éléments intervenant dans la décision de recouvrer ou non les droits de douane (arrêt Faroe Seafood e.a., précité, point 87), l'article 13 du règlement n° 1430/79 constitue, ainsi que cela a été rappelé ci-dessus, une clause générale d'équité. L'article 13 perdrait son caractère de disposition générale d'équité si les conditions énoncées à l'article 5, paragraphe 2, devaient être remplies dans tous les cas.

123.
    Afin d'examiner la question de savoir si la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que les conditions énoncées par l'article 13 du règlement n° 1430/79 n'étaient pas remplies en l'espèce, il convient d'examiner d'abord la deuxième condition relative à l'absence de manoeuvre et de négligence manifeste des requérantes et, ensuite, la première condition relative à l'existence d'une situation particulière.

— Sur l'absence de manoeuvre et de négligence manifeste

124.
    Aucune manoeuvre ou négligence manifeste au sens de l'article 13 du règlement n° 1430/79 n'est reprochée aux requérantes dans la décision attaquée ou dans les écritures de la Commission. En réponse à une question posée par le Tribunal, la Commission a expressément confirmé, lors de l'audience, qu'elle ne soutient pas que les requérantes ont fait preuve d'une négligence manifeste.

125.
    De plus, contrairement à ce que fait valoir la Commission, pas même une absence de diligence ne peut être retenue en l'espèce contre les requérantes.

126.
    Il ressort tout d'abord du dossier que celles-ci, jusqu’à l’ouverture des enquêtes par la Commission en 1993 (voir ci-dessus point 17), n'ont pas eu connaissance des falsifications ou des irrégularités des certificats d’authenticité.

127.
    Ensuite, s'agissant du mode de falsification, il convient de relever, ainsi que cela a déjà été constaté dans l'arrêt du Tribunal du 19 février 1998, Eyckeler & Malt/Commission (T-42/96, Rec. p. II-401, points 143 et 144), que, en règle générale, deux versions du certificat d'authenticité — portant le même numéro — étaient établies en vue d'une exportation donnée et que, conformément à l'article 4 de chacun des règlements d'application, elles étaient toutes les deux revêtues d'une signature et d'un cachet, provenant apparemment du même organisme émetteur compétent, à savoir soit la Junta Nacional de Carnes, soit le Secretaría de Agricultura, Ganadería y Pesca.

128.
    En outre, une comparaison des signatures que comportent les différentes versions d'un certificat donné montre que ces signatures sont à première vue identiques ou, à tout le moins, très ressemblantes.

129.
    Enfin, les deux versions comportaient des renseignements identiques relatifs à la date et au lieu d'émission, à l'exportateur argentin, au destinataire dans la Communauté et au navire au moyen duquel l'exportation devait être effectuée. La seule différence existant entre les versions quant aux informations y figurant tenait au poids indiqué. La version intitulée «duplicado», destinée aux autorités argentines, faisait apparaître un poids sensiblement plus faible que celui figurant dans le certificat original remis à l'importateur. Alors que la version «duplicado» mentionnait des poids de l'ordre de 600 à 2 000 kg, le poids indiqué dans l'original, qui correspondait aux quantités effectivement exportées vers la Communauté, était de l'ordre de 10 000 kg. A cet égard, il y a lieu de relever que, pendant la période en cause, la viande bovine Hilton était normalement transportée dans des conteneurs ayant une capacité d'environ 10 000 kg.

130.
    Selon le rapport de synthèse établi par la Commission, la falsification des documents était «favorisée par le fait que les jeux des formulaires n'étaient pas prénumérotés, que le nombre de formulaires n'était pas pris en compte et que les exportateurs les remplissaient eux-mêmes». A cela s'ajoute, selon le rapport de 1993, que pendant une période de plusieurs mois suivant le remplacement de la Junta Nacional de Carnes par le Secretaría de Agricultura, Ganadería y Pesca comme organisme compétent pour délivrer les certificats d'authenticité (voir ci-dessus point 16) les compétences et les modalités n'étaient pas clairement déterminées, de sorte que certains opérateurs en auraient tiré avantage en détournant les dispositions en vigueur.

131.
    Dès lors, plusieurs éléments du dossier laissent à penser que l'autorité argentine compétente a établi un certificat comportant un numéro de certificat pour un poids faible, a classé ce certificat dans ses dossiers et a remis à certains abattoirs argentins un certificat comportant le même numéro ainsi que les cachets et la signature sans précision de la quantité. Les abattoirs pouvaient ensuite mentionner des quantités supérieures correspondant au tonnage effectivement exporté. Le

rapport de synthèse a d'ailleurs conclu que des employés des douanes et des services vétérinaires argentins ont dû «fermer les yeux» lors du chargement.

132.
    Dans les circonstances de l'espèce, il doit être admis que les requérantes n'ont pas raisonnablement pu déceler les falsifications en question, un tel contrôle ne relevant pas du domaine de leurs possibilités. Comme l'ont fait valoir à juste titre les requérantes, les certificats d'authenticité falsifiés n'étaient pas reconnaissables en tant que tels. En outre, aucun élément du dossier ne permet de conclure que les requérantes avaient des raisons de nourrir des doutes quant à la validité des certificats d'authenticité.

133.
    Enfin, deux constatations doivent être faites en ce qui concerne les prix payés par les requérantes pour la viande litigieuse.

134.
    En premier lieu, il n'est pas contesté que, en raison de l'absence de prélèvements à l'importation dans le cadre du contingent Hilton, les prix payés pour la viande bovine Hilton étaient supérieurs aux prix de la viande bovine vendue sans certificat d'authenticité. A cet égard, les requérantes ont fait valoir, sans être contredites par la Commission, que la différence de prix entre les deux sortes de viande correspondait approximativement aux prélèvements qui devaient être acquittés lors de l'importation de la viande bovine autre que Hilton.

135.
    En second lieu, la Commission n'a pas non plus contesté l'affirmation des requérantes selon laquelle les prix payés pour la viande bovine importée avec des certificats d'authenticité, dont il a été établi ultérieurement qu'ils étaient falsifiés, étaient approximativement du même niveau que ceux payés pour la viande bovine Hilton accompagnée de certificats valables.

136.
    Ces dernières constatations sont de nature à démontrer la bonne foi des requérantes lors des importations litigieuses.

137.
    Étant donné que la manière dont les requérantes avaient conclu leurs contrats d'achat et effectué les importations litigieuses relevait d'une pratique commerciale habituelle, il incombait à la Commission d'apporter la preuve d'une négligence manifeste de leur part.

138.
    Or, la Commission n'a même pas tenté d'apporter une telle preuve. En effet, en réponse à une question posée à ce sujet par le Tribunal lors de l'audience, elle s'est bornée à répéter les allégations contenues dans la décision attaquée, selon lesquelles les requérantes n'avaient pas fait preuve de toute la diligence nécessaire, en omettant de prendre à l'égard de leurs cocontractants et de leurs intermédiaires en Argentine toutes les mesures nécessaires et en ne contrôlant pas directement la circulation des certificats d'authenticité dont elles bénéficiaient.

139.
    Compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, il y a lieu de conclure que le comportement des requérantes n'a été constitutif ni d'un manque de diligence ni

d'une manoeuvre ou d'une négligence manifeste au sens de l'article 13 du règlement n° 1430/79.

— Sur l'existence d'une situation particulière

140.
    Selon la réglementation en la matière et conformément à une jurisprudence constante, la présentation, même de bonne foi, pour l'octroi d'un traitement tarifaire préférentiel en faveur de marchandises déclarées pour la libre pratique, de documents dont il est établi ultérieurement qu'ils étaient falsifiés ne saurait constituer en soi une situation particulière justifiant une remise des droits à l'importation [articles 4, point 2, sous c), du règlement n° 3799/86, et 904, sous c), du règlement n° 2454/93; arrêts de la Cour Van Gend & Loos et Expeditiebedrijf Wim Bosman/Commission, précité, point 16, Acampora, précité, point 8, et du 17 juillet 1997, Pascoal & Filhos, C-97/95, Rec. p. I-4209, points 57 à 60].

141.
    Toutefois, en l'espèce, les requérantes ne font pas seulement valoir qu'elles ont, lors des importations litigieuses, présenté de bonne foi des documents falsifiés. A titre principal, elles fondent leurs demandes de remise sur les graves manquements qu'elles imputent notamment à la Commission dans la surveillance de l'application du contingent Hilton, circonstances qui auraient facilité les falsifications.

142.
    Il s'ensuit que les dispositions susvisées ne constituent pas, contrairement à ce que prétend la Commission, un obstacle à l'obtention d'une remise des droits à l'importation.

143.
    En vertu de l'article 155 du traité et du principe de bonne administration, la Commission avait l'obligation d'assurer une correcte application du contingent Hilton et de veiller à ce qu'il ne fût pas dépassé (voir, dans le même sens, arrêt de la Cour du 15 janvier 1987, Krohn/Commission, 175/84, Rec. p. 97, point 15).

144.
    Cette obligation de contrôle résultait également des règlements d'application. En effet, l'article 6, paragraphe 1, de chacun de ces règlements énonçait: «Les États membres communiquent à la Commission, pour chaque période de dix jours, au plus tard quinze jours après la période considérée, les quantités de produits mis en libre pratique visés à l'article 1er, ventilées par pays d'origine et par code de la nomenclature combinée.» Une telle prescription aurait été dépourvue de sens, si elle ne pouvait pas être considérée comme assortie de l'obligation, pesant sur la Commission, de contrôler l'application correcte du contingent.

145.
    En outre, il ressort des documents produits par la Commission à la demande du Tribunal que les autorités argentines ont, pendant les années 1991 et 1992, envoyé à la Commission de manière régulière des listes des certificats d'authenticité délivrés pendant une période de dix jours précédant leur envoi, en indiquant notamment le numéro du certificat, l'exportateur argentin, le destinataire dans laCommunauté et le poids net des quantités exportées. Les autorités argentines lui

ont également adressé les noms et des échantillons de signatures des fonctionnaires argentins habilités à signer les certificats d'authenticité.

146.
    Force est donc de constater que la Commission était la seule à disposer des données nécessaires afin d'effectuer un contrôle efficace de l'utilisation du contingent Hilton. Dans une telle situation, l'obligation de veiller à la bonne application du contingent s'imposait d'autant plus.

147.
    Or, il ressort du dossier que de graves défaillances imputables à la Commission peuvent être constatées en ce qui concerne le contrôle de l'application du contingent Hilton pendant la période en cause.

148.
    Premièrement, la Commission n'a pas, pour les années 1991 et 1992, vérifié de manière régulière et efficace les renseignements communiqués par les autorités argentines concernant les volumes d'exportation soumis à contingent ainsi que les certificats d'authenticité délivrés par rapport aux renseignements analogues que lui avaient envoyés les États membres. Si la Commission avait procédé à une telle vérification, l'existence de la fraude aurait pu, selon toute vraisemblance, être découverte beaucoup plus tôt.

149.
    En réalité, le contrôle des importations opéré par la Commission n'a été qu'approximatif et incomplet.

150.
    Ainsi, la Commission a résumé les communications qui lui avaient été envoyées dans des listes établies seulement au début de l'année suivante, de sorte que des différences quantitatives et, le cas échéant, des dépassements ne pouvaient être constatés qu'à ce moment. Pour cette raison, elle n'a pas pu, au cours d'une année donnée, informer les États membres de l'épuisement éventuel du contingent afférent à cette année.

151.
    Au demeurant, il ne s'agissait que de listes manuscrites. Or, si la Commission avait traité les données fournies par des moyens informatiques, elle aurait pu effectuer un contrôle beaucoup plus efficace. De plus, elle aurait pu, sans difficultés particulières, surmonter les problèmes liés au fait que les indications, dans les certificats d'authenticité, de l'État membre prévu pour l'importation n'étaient pas contraignantes, de sorte qu'une exportation pouvait avoir lieu dans un État membre autre que celui indiqué dans le certificat.

152.
    Deuxièmement, la Commission a omis de faire circuler, à l'intention des États membres, les spécimens des signatures des fonctionnaires argentins autorisés à signer les certificats d'authenticité ou de les faire publier au Journal officiel des Communautés européennes. Dès lors, les autorités nationales ont été privées d'un moyen potentiellement efficace pour déceler, en temps utile, des falsifications.

153.
    Troisièmement, la Commission a omis de réagir à la suite des constatations de dépassements du contingent Hilton, qui ont eu lieu auparavant.

154.
    A cet égard, il résulte du rapport de synthèse que l'enquête menée en Argentine en 1993 a permis de constater que plus de 460 certificats d'authenticité, présentés en 1991 et 1992, avaient été falsifiés. Par conséquent, au cours de ces deux années, 4 500 tonnes de viande bovine sont entrées dans la Communauté avec de faux certificats, les prélèvements non perçus y afférents s'élevant à quelque 18 millions d'écus.

155.
    Or, il n'est pas contesté que, déjà en 1989, la Commission avait rencontré des dépassements d'une importance comparable. Ainsi que cela ressort du point 178 de l'arrêt Eyckeler & Malt/Commission, précité, la Commission a reconnu que, pendant cette seule année, le contingent Hilton avait été dépassé de plus de 3 000 tonnes.

156.
    Le manque de réaction, à la suite de cette constatation, constitue un grave manquement de la part de l'institution. Les irrégularités constatées auraient dû attirer son attention sur la nécessité de procéder à des contrôles plus approfondis. Dès cette époque, elle aurait donc dû entreprendre des recherches afin d'établir les causes exactes des dépassements.

157.
    Si la Commission avait eu recours, en temps utile, à des mesures de contrôle plus efficaces pour faire face aux problèmes liés aux dépassements du contingent constatés en 1989, les falsifications commises au cours des années 1991 et 1992 n'auraient vraisemblablement pas pu atteindre le niveau constaté par la suite, à savoir environ 10 % du volume du contingent Hilton. De plus, les pertes encourues par les opérateurs économiques auraient alors certainement pu être limitées.

158.
    L'omission de mise en place d'un système de contrôle efficace ainsi que les autres manquements relevés en ce qui concerne la surveillance du contingent Hilton ont créé des conditions permettant aux falsifications de perdurer et de prendre l'ampleur constatée dans le cadre du présent litige.

159.
    A ce stade du raisonnement, il convient en outre de rappeler, ainsi que cela a été constaté ci-dessus au point 134, que le prix du marché de la viande bovine Hilton vendue avec un certificat d'authenticité valable était normalement sensiblement supérieur à celui de la viande vendue sans ce certificat, la différence de prix s'expliquant par le fait qu'il fallait acquitter, pour la viande bovine importée hors du contingent Hilton, des prélèvements de l'ordre de 10 DM par kilogramme (voir ci-dessus, point 10).

160.
    Les prix acquittés par les requérantes pour la viande bovine importée avec des certificats d'authenticité falsifiés étaient, ce que la Commission ne conteste pas, approximativement de même niveau que ceux demandés pour la viande bovine Hilton accompagnée de certificats valables (voir également ci-dessus point 135).

161.
    De ce fait, les requérantes allèguent, sans être contredites sur ce point par la Commission, que, sur le plan économique, elles ont, en ce qui concerne les importations litigieuses, déjà payé un prix comprenant grosso modo le prélèvement à l'importation litigieux, en raison du prix d'achat plus élevé de la viande bovine Hilton.

162.
    Il est vrai que la confiance d'un redevable en la validité d'un certificat d'authenticité qui se révèle faux lors d'un contrôle ultérieur n'est normalement pas protégée par le droit communautaire, une telle circonstance relevant du risque commercial (arrêts Van Gend & Loos et Expeditiebedrijf Wim Bosman/Commission, précité, point 17, Acampora, précité, point 8, Mecanarte, précité, point 24, et Pascoal & Filhos, précité, points 59 et 60).

163.
    Toutefois, en l'espèce, les falsifications n'ont pu entraîner des dépassements majeurs du contingent Hilton que parce que la Commission avait manqué à son devoir de surveillance et de contrôle de l'application du contingent pendant les années 1991 et 1992. Dans ces circonstances, ces falsifications, au demeurant mises en oeuvre de manière très professionnelle, dépassaient le risque commercial normal que doivent supporter les requérantes, conformément à la jurisprudence citée au point précédent.

164.
    L'article 13 du règlement n° 1430/79 étant destiné à être appliqué lorsque les circonstances qui caractérisent le rapport entre l'opérateur économique et l'administration sont telles qu'il n'est pas équitable d'imposer à cet opérateur un préjudice qu'il n'aurait normalement pas subi (arrêt Coopérative agricole d'approvisionnement des Avirons, précité, point 22), il convient de considérer que, compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, les circonstances de l'espèce sont constitutives d'une situation particulière au sens de ladite disposition et qu'elles justifient une remise des droits à l'importation.

165.
    La Commission a donc commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que les manquements dans le contrôle de l'application du contingent Hilton ne pouvaient en aucun cas constituer une situation particulière.

166.
    Il résulte de ce qui précède que, tout comme le premier moyen, le troisième moyen, tiré d'une violation de l'article 13 du règlement n° 1430/79, est fondé.

167.
    Par suite, sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur les deuxième, quatrième et cinquième moyens, respectivement tirés d'une violation des formes substantielles, d'une violation du principe de proportionnalité et d'une violation de l'obligation de motivation, il y a lieu d'annuler la décision attaquée.

Sur les dépens

168.
    En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens des requérantes.

169.
    Le Royaume-Uni, partie intervenante, supportera ses propres dépens, en application de l'article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête:

1)    La décision de la Commission du 26 janvier 1996, adressée à la République fédérale d'Allemagne et relative à une demande de remise de droits à l'importation, est annulée.

2)    La Commission est condamnée aux dépens.

3)    Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord supportera ses propres dépens.

Vesterdorf Moura Ramos Mengozzi

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 septembre 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

B. Vesterdorf


1: Langue de procédure: l'allemand.

Rec