Language of document : ECLI:EU:T:2005:326

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

15 septembre 2005 (*)

« Fonctionnaires – Recrutement – Refus de nommer un lauréat de concours ne remplissant pas les conditions d’admission au concours »

Dans l’affaire T-306/04,

Monika Luxem, demeurant à Bruxelles (Belgique), représentée par Mes S. Orlandi, A. Coolen, J.-N. Louis et E. Marchal, avocats, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Currall et Mme L. Lozano Palacios, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission du 30 juillet 2003 portant refus d’engager la requérante en tant que fonctionnaire,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de M. M. Jaeger, président, Mme V. Tiili et M. O. Czúcz, juges,

greffier : M. I. Natsinas, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er juin 2005,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1       Le 11 avril 2001 a été publié au Journal officiel (JO L 110 A, p. 13) l’avis de concours général COM/A/6/01 pour la constitution d’une réserve de recrutement d’administrateurs (A 7/A 6) dans les domaines des relations extérieures et de la gestion de l’aide aux pays tiers.

2       Le point III B de l’avis de concours, relatif aux « conditions particulières d’admission », prévoit notamment :

« Les candidats doivent avoir accompli :

–       des études de niveau universitaire sanctionnées par un diplôme de fin d’études dans une des disciplines suivantes : économie, droit, sciences politiques, ingénieur, coopération au développement, commerce extérieur

ou

–       des études de niveau universitaire sanctionnées par un diplôme de fin d’études, complétées par des études de niveau postuniversitaire dans une des disciplines mentionnées ci-dessus et sanctionnées par un diplôme de fin d’études.

Seuls les diplômes pouvant donner accès aux études doctorales seront retenus. Le jury tiendra compte à cet égard des différentes structures d’enseignement. Un tableau annexé au guide à l’intention des candidats reprend, à titre indicatif, des exemples de diplômes minimaux exigés. »

3       L’annexe I du guide à l’intention des candidats (JO L 110 A, p. 1) contient un « tableau indicatif des diplômes donnant accès aux concours de catégorie A ». Pour l’Allemagne, il est indiqué « Hochschulabschluss/Fachhochschulabschluss (8 Semester) » tout en précisant que ces diplômes seraient « apprécié[s] cas par cas ».

4       La requérante est titulaire d’un diplôme universitaire en gestion administrative, dénommé « Diplom-Verwaltungswirtin » et obtenu après un cycle d’études qui a débuté le 1er août 1977 pour s’achever le 27 juin 1980.

5       Elle a été admise à participer aux épreuves du concours et, au terme de ses travaux, le jury a inscrit son nom sur la liste d’aptitude.

6       Le 28 novembre 2002, la Commission a publié l’avis de vacance COM/2002/6022/F portant sur un emploi de grade A 8/A 4 à la direction générale (DG) « Développement ». La requérante a posé sa candidature à cet emploi.

7       Le 20 décembre 2002, elle a été informée, par courrier électronique de l’unité 4 « Ressources humaines ; informatique » de la direction A – Affaires générales et appui opérationnel de la DG « Développement », que la demande de recrutement était officiellement transmise à la DG « Personnel et administration », seule compétente pour procéder au recrutement des fonctionnaires.

8       Le 28 avril 2003, à défaut de proposition d’engagement, la requérante s’est adressée à la DG « Personnel et administration » en demandant des informations sur l’examen de sa candidature. Par lettre du 30 juillet 2003 (ci-après la « décision attaquée »), le directeur de la direction A – Personnel et carrière de la DG « Personnel et administration » a informé la requérante qu’il avait été décidé de ne pas l’engager en tant que fonctionnaire au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions d’admission au concours pour ce qui concerne le niveau d’études requis. Cette lettre était rédigée comme suit :

« Lors de l’examen de votre dossier en vue d’un éventuel recrutement, l’autorité investie du pouvoir de nomination a remarqué que vous ne remplissez pas les conditions d’admission à ce concours concernant le niveau d’études. Vous avez obtenu le ‘Diplom-Verwaltungswirtin’ après trois ans d’études à la ‘Fachhochschule für öffentliche Verwaltung des Landes Rheinland-Pfalz’. Le guide à l’intention des candidats et l’avis de concours […] exigent, cependant, des diplômes universitaires donnant accès à des études doctorales. Concernant les diplômes allemands, il s’agit des ‘Hochschulabschluss/Fachhochschulabschluss (8 semestres)’.

La décision de recruter le lauréat d’un concours en qualité de fonctionnaire est une décision indépendante de l’autorité investie du pouvoir de nomination. Cette autorité n’a pas le pouvoir de modifier la liste de réserve établie par le jury du concours, mais elle a le pouvoir de vérifier que les lauréats remplissent les conditions d’admission établies par l’avis de concours. Lorsque c’est à tort que celui-ci a admis un candidat à concourir, l’autorité investie du pouvoir de nomination doit refuser de procéder à la nomination de ce candidat […] »

 Procédure et conclusions des parties

9       Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 juillet 2004, la requérante a introduit le présent recours. La défenderesse a déposé son mémoire en défense le 27 octobre 2004. Par courrier du 23 février 2005, la requérante a déclaré qu’elle renonçait au dépôt d’une réplique.

10     Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale.

11     Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 1er juin 2005.

12     La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       annuler la décision attaquée ;

–       condamner la défenderesse aux dépens.

13     La défenderesse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–       rejeter le recours ;

–       statuer sur les dépens comme de droit.

 En droit

 Arguments des parties

14     La requérante soulève deux moyens tirés, premièrement, de l’illégalité du retrait d’un acte ayant créé des droits subjectifs et d’une violation du principe de sécurité juridique et, deuxièmement, d’une violation de l’avis de concours et d’une erreur manifeste d’appréciation.

15     Par son premier moyen, la requérante fait valoir que, conformément au principe de sécurité juridique, une institution communautaire ne peut jamais retirer une décision légale conférant des droits subjectifs. Le retrait d’une telle décision ne serait admissible que s’il intervenait dans un délai raisonnable.

16     Elle rappelle que, en l’espèce, elle a été admise à participer au concours général COM/A/6/01 et qu’elle a été, à la suite des épreuves, inscrite sur la liste d’aptitude. En refusant son engagement en tant que fonctionnaire, la décision attaquée porterait retrait de la décision de la faire figurer sur la liste d’aptitude qui a été publiée à l’issue du concours. Elle fait valoir que le retrait de cette décision après sept mois n’est pas intervenu dans un délai raisonnable et que le refus de l’engager est donc illégal.

17     À l’audience, la requérante a précisé que la décision constitutive de droits sur laquelle l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») serait revenue en adoptant la décision attaquée est celle de publier la liste de réserve arrêtée par le jury sans procéder à une vérification de la conformité de cette liste avec l’avis de concours. Elle estime qu’une fois la liste de réserve publiée au Journal officiel, l’AIPN n’a plus le droit de vérifier si les conditions d’admission au concours sont remplies par les lauréats.

18     Par son second moyen, la requérante fait valoir, tout d’abord, qu’il résulte du guide à l’intention des candidats que le jury du concours avait un pouvoir discrétionnaire pour apprécier « cas par cas » si les diplômes délivrés par des Fachhochschulen répondaient aux conditions prévues par l’avis de concours. Elle estime que, le jury ayant décidé de l’admettre aux épreuves, l’AIPN ne pouvait pas remettre en question cette appréciation sans méconnaître le pouvoir discrétionnaire du jury et les termes de l’avis de concours.

19     Ensuite, la requérante fait valoir que, en tout état de cause, l’AIPN a commis une erreur manifeste d’appréciation en décidant que son diplôme ne lui donnait pas accès aux études doctorales. Elle affirme que l’accès aux études doctorales est réglé, en Allemagne, par la Promotionsordnung de chaque université, laquelle peut soit admettre les étudiants titulaires du Fachhochschulabschluss sans restriction, soit conditionner leur admission à la réussite d’un test, soit leur refuser l’accès auxdites études.

20     À titre subsidiaire, la requérante relève qu’elle a été admise à participer à deux autres concours, à savoir les concours COM/A/02 (JO 2002, C 177 A, p. 13) et PE/96/A (JO 2002, C 120 A, p. 12) qui prévoient, d’après d’elle, la même condition d’admission en ce qui concerne les diplômes requis.

21     La Commission conteste ces arguments. Elle fait valoir, d’abord, que la décision attaquée n’a porté retrait d’aucune décision créant des droits subjectifs à l’égard de la requérante, l’inscription sur une liste de réserve ne conférant pas un droit à être recruté. Elle rappelle, ensuite, que l’AIPN ne saurait être liée par une décision d’un jury entachée d’illégalité. Sur ce point, elle fait valoir que la décision du jury d’admettre la requérante aux épreuves a été prise en méconnaissance de l’avis de concours, dès lors que le diplôme de la requérante ne donnait pas accès à des études doctorales et qu’il n’était pas, en outre, un diplôme obtenu dans l’une des disciplines mentionnées par l’avis de concours ou complété par des études postuniversitaires dans l’une de ces disciplines.

 Appréciation du Tribunal

22     S’agissant du premier moyen, il convient de constater, premièrement, que ni la décision du jury d’inscrire la requérante sur la liste d’aptitude, ni la publication de cette liste au Journal officiel ne sont des actes donnant à la requérante le droit d’être nommée fonctionnaire. En effet, la décision du jury arrêtant la liste d’aptitude ne confère pas aux lauréats du concours un droit à nomination, mais uniquement une vocation à être nommé (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 mars 1991, Pérez-Minguez Casariego/Commission, T‑1/90, Rec. p. II‑143, point 80). Quant à la publication de la liste d’aptitude, elle n’implique, contrairement à ce que prétend la requérante, aucune décision de la part de l’AIPN et encore moins la possibilité pour celle-ci de demander au jury de la modifier, ce qui constituerait une immixtion de l’administration dans les travaux du jury incompatible avec l’indépendance de celui-ci.

23     Deuxièmement, il y a lieu de rappeler qu’il résulte d’une jurisprudence constante que l’AIPN est tenue, dans l’exercice de ses propres compétences, de prendre des décisions exemptes d’illégalités. Elle ne saurait donc se trouver liée par des décisions de jurys dont l’illégalité serait susceptible d’entacher, par voie de conséquence, ses propres décisions (arrêt de la Cour du 23 octobre 1986, Schwiering/Cour des comptes, 142/85, Rec. p. 3177, point 19, et du Tribunal du 16 mars 2005, Ricci/Commission, T‑329/03, non encore publié au Recueil, point 35). Par conséquent, lorsque le jury admet à tort un candidat à concourir et le classe par la suite sur la liste d’aptitude, l’AIPN doit refuser de procéder à la nomination de ce candidat par une décision motivée, permettant au Tribunal (et à la Cour, le cas échéant) d’en apprécier le bien-fondé (voir, en ce sens, arrêts Schwiering/Cour des comptes, précité, point 20, et Ricci/Commission, précité, point 35).

24     Il convient de souligner que, en vertu de cette jurisprudence, l’AIPN, si elle estime que l’admission à concourir d’un candidat est illégale, doit refuser de le nommer. Il en résulte nécessairement que l’AIPN ne doit examiner la légalité de la décision du jury d’admettre un candidat au concours qu’au moment où la question du recrutement effectif se pose et nullement au moment où le jury lui communique la liste de réserve.

25     Dès lors, par la décision attaquée, l’AIPN s’est bornée à exercer les compétences qui sont les siennes et n’a retiré aucun acte antérieur qui aurait créé des droits subjectifs à l’égard de la requérante. Dans ces circonstances, le premier moyen doit être rejeté.

26     S’agissant du second moyen, il convient de rappeler que l’avis de concours indiquait expressément, au point III B 2, que les diplômes mentionnés dans le guide à l’intention des candidats étaient des exemples de diplômes minimaux requis. Par conséquent, dès lors que pour l’Allemagne, les diplômes mentionnés étaient ceux délivrés après au moins huit semestres d’études, il y a lieu de constater que la requérante, dont le diplôme a été obtenu après seulement six semestres d’études, n’était pas titulaire d’un diplôme du niveau minimal exigé par l’avis de concours.

27     Le fait que le guide à l’intention des candidats indiquait que les diplômes allemands qui y étaient mentionnés seraient appréciés cas par cas ne saurait infirmer cette conclusion. En effet, même à supposer que le jury du concours disposait, en vertu de cette indication, d’un large pouvoir d’appréciation concernant le niveau des diplômes allemands, ce pouvoir d’appréciation ne lui était conféré qu’à l’égard des diplômes remplissant les conditions minimales clairement indiquées par l’avis de concours. Étant donné que, comme il a été indiqué ci-dessus, le diplôme de la requérante ne répondait pas auxdites conditions minimales, le jury ne pouvait valablement passer outre cette exigence sans violer l’avis de concours.

28     Par conséquent, l’AIPN n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que la requérante n’était pas titulaire d’un diplôme lui permettant d’être admise au concours.

29     Concernant l’argument de la requérante selon lequel elle aurait été admise à d’autres concours communautaires prévoyant la même condition d’admission, il suffit de noter que l’appréciation d’un titre universitaire au regard des conditions de l’avis de concours est une appréciation ad hoc dont la légalité ne peut être examinée que par rapport audit avis de concours (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 13 juillet 1989, Jaenicke Cendoya/Commission, 108/88, Rec. p. 2711, point 21). En conséquence, et sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la légalité des appréciations portées par d’autres jurys de concours ou par les institutions communautaires dans d’autres circonstances, il convient de constater que ces appréciations sont sans pertinence dans le cadre du présent recours. En outre, la requérante n’a pas apporté la preuve de son admission à ces concours.

30     Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le second moyen et, partant, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

31     Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l’article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci. Cette règle s’applique également aux litiges intentés par des personnes qui revendiquent la qualité d’agent communautaire (arrêts du Tribunal du 27 juin 2001, Leroy e.a./Conseil, T‑164/99, T‑37/00 et T‑38/00, Rec. p. II‑1819, point 98, et Ricci/Commission, précité, point 90). La requérante ayant succombé, il y a lieu de décider que chaque partie supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Chacune des parties supportera ses propres dépens.

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 septembre 2005.



Jaeger

Tiili

Czúcz

Le greffier

 

       Le président

H. Jung

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le français.