Language of document : ECLI:EU:T:2016:248

Affaire T‑556/11

(publication par extraits)

European Dynamics Luxembourg SA e.a.

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle

« Marchés publics de services – Procédure d’appel d’offres – Développement de logiciels et services de maintenance – Rejet de l’offre d’un soumissionnaire – Classement d’un soumissionnaire dans la procédure en cascade – Causes d’exclusion – Conflit d’intérêts – Égalité de traitement – Devoir de diligence – Critères d’attribution – Erreur manifeste d’appréciation – Obligation de motivation – Responsabilité non contractuelle – Perte d’une chance »

Sommaire – Arrêt du Tribunal (quatrième chambre) du 27 avril 2016

1.      Marchés publics de l’Union européenne – Procédure d’appel d’offres – Attribution des marchés – Exclusion des soumissionnaires en situation de conflit d’intérêts – Notion de conflit d’intérêts – Participation aux travaux préparatoires du marché d’une société membre d’un consortium soumissionnaire – Inclusion – Condition – Existence d’un risque pour la concurrence entre les soumissionnaires

[Règlement du Conseil nº 1605/2002, art. 94, a)]

2.      Marchés publics de l’Union européenne – Procédure d’appel d’offres – Attribution des marchés – Exclusion des soumissionnaires en situation de conflit d’intérêts – Obligations incombant au pouvoir adjudicateur

[Règlement du Conseil nº 1605/2002, art. 94, a)]

3.      Marchés publics de l’Union européenne – Procédure d’appel d’offres – Attribution des marchés – Exclusion des soumissionnaires – Obligation pour l’adjudicataire de présenter, avant l’attribution du marché, un extrait récent de son casier judiciaire – Portée – Possibilité pour le pouvoir adjudicateur de se contenter d’une déclaration faite devant un notaire – Exclusion

[Règlement du Conseil nº 1605/2002, art. 93, § 1, a), b) et e) ; règlement de la Commission nº 2342/2002, art. 134, § 3, al. 1]

4.      Procédure juridictionnelle – Requête introductive d’instance – Exigences de forme – Identification de l’objet du litige – Exposé sommaire des moyens invoqués – Moyen tiré de l’illégalité des critères d’attribution techniques d’un marché public et fondé sur une argumentation renvoyant à l’annexe de la requête – Recevabilité – Conditions

[Statut de la Cour de justice, art. 21 et 53, al. 1 ; règlement de procédure du Tribunal, art. 44, § 1, c)]

5.      Marchés publics de l’Union européenne – Procédure d’appel d’offres – Attribution des marchés – Critères d’attribution – Exigence de clarté et de précision – Examen d’office par le juge de l’Union – Exclusion

(Règlement du Conseil nº 1605/2002, art. 89, § 1)

6.      Marchés publics de l’Union européenne – Procédure d’appel d’offres – Décision de rejet d’une offre – Défaut ou insuffisance de motivation – Examen d’office par le juge de l’Union

(Art. 296 TFUE)

7.      Marchés publics de l’Union européenne – Procédure d’appel d’offres – Attribution des marchés – Critères d’attribution – Énumération a posteriori des sous-critères dans le rapport d’évaluation des soumissionnaires – Inadmissibilité – Violation des principes d’égalité de traitement et de transparence

(Règlement du Conseil nº 1605/2002, art. 89, § 1)

8.      Marchés publics de l’Union européenne – Procédure d’appel d’offres – Contestation du cahier des charges – Recours d’un soumissionnaire mettant en cause, au moyen d’une exception d’illégalité, la formule d’évaluation financière retenue par le pouvoir adjudicateur – Recevabilité – Pouvoir d’appréciation du pouvoir adjudicateur quant au choix des critères d’attribution – Limites

(Art. 263 TFUE ; règlement du Conseil nº 1605/2002)

9.      Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Décision, dans le cadre de la procédure de passation d’un marché public de services, de ne pas retenir une offre – Obligation, pour le pouvoir adjudicateur, de communiquer, à la suite d’une demande écrite, les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue ainsi que le nom de l’attributaire – Obligation de fournir un résumé minutieux de la prise en compte de chaque détail de l’offre rejetée au titre de son évaluation ou une analyse comparative minutieuse de l’offre retenue et de l’offre du soumissionnaire évincé – Absence

(Art. 296, al. 2, TFUE ; règlement du Conseil nº 1605/2002, art. 100, § 2)

10.    Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Décision, dans le cadre de la procédure de passation d’un marché public de services, de ne pas retenir une offre – Utilisation, dans le calcul du score des soumissionnaires, d’une formule permettant une déduction de points pour certains sous-critères d’attribution et leur attribution aux offres d’autres soumissionnaires – Absence d’explication par le pouvoir adjudicateur quant à la corrélation entre les appréciations négatives d’une offre et les déductions de points opérées – Inadmissibilité

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; règlement du Conseil nº 1605/2002, art. 100, § 2)

11.    Recours en annulation – Recours dirigé contre une décision, dans le cadre de la procédure de passation d’un marché public de services, de ne pas retenir une offre – Décision d’adjudication du marché étroitement liée à la décision d’attribution dudit marché – Rejet de la demande d’annulation de la décision d’adjudication entraînant le rejet de la demande d’annulation de la décision d’attribution

12.    Responsabilité non contractuelle – Conditions – Application mutatis mutandis à la responsabilité non contractuelle du fait d’un comportement illégal de la part de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)

(Art. 340, al. 2, TFUE ; règlement du Conseil nº 207/2009, art. 118, § 3)

13.    Responsabilité non contractuelle – Conditions – Lien de causalité – Préjudice résultant, pour un soumissionnaire, de la perte d’un marché dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres – Décision d’attribution du marché entachée d’une violation des principes d’égalité de traitement et de transparence et d’erreurs manifestes d’appréciation – Existence d’un lien de causalité

[Art. 340, al. 2, TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; règlement du Conseil nº 1605/2002, art. 93, § 1, e)]

14.    Responsabilité non contractuelle – Préjudice – Évaluation – Défaut d’éléments permettant au juge de l’Union de se prononcer dans le cadre de l’arrêt constatant l’existence d’illégalités commises par l’Union – Renvoi à une phase ultérieure de la procédure pour la détermination de l’indemnisation

(Art. 340 TFUE)

1.      En matière de passation des marchés publics, l’existence de liens structurels entre deux sociétés, dont l’une a participé à l’élaboration du cahier des charges et l’autre participe à la procédure d’appel d’offres du marché public en cause, est, en principe, de nature à créer un conflit d’intérêts, au sens de l’article 94, sous a), du règlement nº 1605/2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes. En revanche, le risque de conflit d’intérêts apparaît moins important lorsque la ou les sociétés chargées de la préparation du cahier des charges ne font pas partie elles-mêmes du consortium soumissionnaire, mais sont seulement membres du même groupe d’entreprises auquel est rattachée également la société membre dudit consortium.

À cet égard, la seule constatation d’un rapport de contrôle entre une société mère et ses différentes filiales ne suffit pas pour que le pouvoir adjudicateur puisse exclure automatiquement une de ces sociétés de la procédure d’appel d’offres, sans vérifier si un tel rapport a eu une incidence concrète sur son comportement dans le cadre de cette procédure. Il en va de même, à plus forte raison, du constat de l’exécution de certains travaux préparatoires par une société d’un groupe d’entreprises, dont une autre société participe, en tant que membre d’un consortium soumissionnaire, à la procédure d’appel d’offres, cette dernière société devant être mise en mesure de démontrer que cette situation ne comporte aucun risque quelconque pour la concurrence entre les soumissionnaires.

Par ailleurs, tant que la procédure d’appel d’offres est en cours et qu’aucun marché n’a encore été attribué, ni aucun contrat signé dans le cadre de celle-ci, un conflit d’intérêts allégué en tant que cause d’exclusion ne peut trouver application, ce conflit ayant encore un caractère incertain et hypothétique. Or, pour qu’un soumissionnaire se trouve dans une situation de conflit d’intérêts, il faut que le conflit allégué ait influé sur le déroulement ou sur le résultat de la procédure d’appel d’offres.

(cf. points 43, 45, 57)

2.      En matière de passation des marchés publics, l’existence d’un conflit d’intérêts doit amener le pouvoir adjudicateur à exclure le soumissionnaire concerné, lorsque cette démarche constitue la seule mesure possible pour éviter une violation des principes d’égalité de traitement et de transparence qui s’imposent dans toute procédure de passation d’un marché public, c’est-à-dire lorsqu’il n’existe pas de mesure moins restrictive pour assurer le respect desdits principes. Un conflit d’intérêts constitue, en soi et objectivement, un dysfonctionnement grave ou une anormalité sérieuse, sans qu’il soit besoin de tenir compte, pour sa qualification, des intentions des intéressés et de leur bonne ou mauvaise foi.

(cf. point 46)

3.      Selon l’article 134, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement nº 2342/2002, établissant les modalités d’exécution du règlement nº 1605/2002 portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes, l’adjudicataire d’un marché public est censé présenter, à la fin de la procédure d’appel d’offres, à savoir avant l’attribution du marché, un extrait récent de son casier judiciaire ou, à défaut, un document équivalent délivré récemment par une autorité judiciaire ou administrative du pays d’origine ou de provenance pour démontrer qu’aucune des causes d’exclusion au sens de l’article 93, paragraphe 1, sous a), b) ou e), du règlement nº 1605/2002 n’est remplie. Ces éléments de preuve ne peuvent pas être remplacés par une déclaration sous serment ou solennelle faite, notamment, devant un notaire du pays d’origine ou de provenance.

Dans ces conditions, lorsque le pouvoir adjudicateur se contente d’une déclaration solennelle au titre de preuve de l’absence de la cause d’exclusion visée à l’article 93, paragraphe 1, sous e), du règlement nº 1605/2002 et que le cahier des charges établit une obligation explicite de produire des preuves spécifiques à cet égard, dont le non-respect doit impérativement aboutir à l’exclusion du soumissionnaire concerné, ledit pouvoir adjudicateur manque manifestement à son devoir de diligence dans l’instruction de l’existence, notamment, de la cause d’exclusion prévue dans le cahier des charges et à l’article 93, paragraphe 1, sous e), dudit règlement. Il viole, de ce fait, ces dispositions ainsi que le principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires qui aurait exigé, conformément à l’obligation d’exclusion prévue dans le cahier des charges, d’exclure le soumissionnaire concerné.

(cf. points 71, 76, 77)

4.      En vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut, et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de 1991, toute requête doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Ainsi, il est notamment nécessaire, pour qu’un recours devant le Tribunal soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. À cet égard, s’agissant d’un moyen fondé sur des erreurs manifestes d’appréciation qui se rapportent à différents critères et sous-critères d’attribution d’un marché public, dès lors que ceux-ci revêtent un caractère technique, la question de savoir si les éléments essentiels de fait et de droit, sur lesquels les divers griefs se fondent, ressortent, à tout le moins de manière succincte ou sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même ne peut être tranchée que dans le cadre d’un examen du bien-fondé de chacun de ces griefs. En effet, dans le cas d’un moyen fondé sur une argumentation faisant référence à une annexe de la requête, seul un tel examen est susceptible de déterminer si soit les considérations développées dans l’annexe de la requête se limitent à étayer et à compléter le corps de la requête sur des points spécifiques, notamment, par des renvois à des passages déterminés de ladite annexe, soit, concernant certains de ces griefs, il s’agit d’un renvoi global à l’exposé figurant dans cette annexe, qui ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en fait et en droit devant figurer dans la requête elle-même. Dans ces conditions, au lieu de déclarer un tel moyen irrecevable, il y a lieu de réserver l’examen de la recevabilité des considérations exposées dans une annexe de la requête et de procéder à l’appréciation du bien-fondé des différents griefs soulevés dans le cadre dudit moyen, tirés d’erreurs manifestes d’appréciation quant à l’application des critères d’attribution techniques, étant entendu que cette appréciation doit se fonder, à titre principal, sur les arguments de fait et de droit exposés dans la requête elle-même.

(cf. points 83-88)

5.      Le libellé d’un critère d’attribution dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché public doit être suffisamment clair, précis et univoque pour permettre à tous les soumissionnaires raisonnablement informés et normalement diligents de l’interpréter de la même manière et mettre le pouvoir adjudicateur en mesure de l’appliquer de manière objective et uniforme en vérifiant si leurs offres correspondent aux exigences dudit critère.

Cependant, lorsque, à l’occasion d’un recours contre la décision du pouvoir adjudicateur de rejeter l’offre d’un soumissionnaire, ce dernier ne remet pas expressément et directement en cause l’imprécision ou le manque de clarté de ce critère d’attribution, le juge de l’Union n’est pas autorisé à soulever d’office la légalité en tant que telle dudit critère et doit limiter son contrôle aux arguments explicites avancés par ledit soumissionnaire.

(cf. points 101, 102)

6.      Lorsque des motifs avancés au soutien de la décision de rejet de l’offre d’un soumissionnaire empêchent tant ce dernier que le juge de l’Union de juger du bien-fondé de l’évaluation du pouvoir adjudicateur à cet égard, cette évaluation est viciée d’une insuffisance de motivation que le juge de l’Union est tenu de soulever d’office en tant que moyen d’ordre public et que le pouvoir adjudicateur ne saurait plus pallier en cours d’instance.

(cf. point 145)

7.      En matière de passation des marchés publics, l’énumération a posteriori par le pouvoir adjudicateur de sous-critères d’attribution dans le rapport d’évaluation comportant l’évaluation qualitative des offres des soumissionnaires est manifestement contraire à la jurisprudence constante ayant jugé que, pour garantir le respect des principes d’égalité de traitement et de transparence, il importe que tous les éléments pris en considération par le pouvoir adjudicateur pour identifier l’offre économiquement la plus avantageuse et si possible leur importance relative soient connus des soumissionnaires potentiels au moment de la préparation de leurs offres et que, partant, un pouvoir adjudicateur ne saurait appliquer, pour les critères d’attribution, des sous-critères qu’il n’a pas préalablement portés à la connaissance des soumissionnaires.

(cf. point 193)

8.      En matière de passation des marchés publics, un soumissionnaire est recevable à contester incidemment la légalité de la formule d’évaluation financière retenue dans le cahier des charges et utilisée par le pouvoir adjudicateur lors de l’évaluation comparative des offres. S’agissant de la légalité au fond du choix de la formule d’évaluation financière contestée, le pouvoir adjudicateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant au choix, au contenu et à la mise en œuvre des critères d’attribution pertinents liés au marché en cause, y compris ceux destinés à déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse, ces critères devant correspondre à la nature, à l’objet et aux spécificités dudit marché et servir au mieux les besoins visés et les objectifs poursuivis par le pouvoir adjudicateur.

(cf. point 215)

9.      Voir le texte de la décision.

(cf. points 240, 241, 244, 245, 257)

10.    Si, en principe, le pouvoir adjudicateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant au choix de critères d’attribution hiérarchisés et des points qu’il convient d’attribuer aux différents critères et sous-critères et n’est pas tenu de fournir au soumissionnaire évincé un résumé minutieux de la manière dont chaque détail de son offre a été pris en compte au titre de l’évaluation de celle-ci, il n’en demeure pas moins que, au cas où le pouvoir adjudicateur a procédé à un tel choix, le juge de l’Union doit être en mesure de vérifier, sur le fondement du cahier des charges et de la motivation de la décision d’adjudication, le poids respectif des différents critères et sous-critères d’attribution techniques dans l’évaluation, c’est-à-dire dans le calcul du score total, ainsi que le nombre minimal et maximal de points pour chacun de ces critères ou sous-critères. Par ailleurs, lorsque le pouvoir adjudicateur rattache des évaluations spécifiques à la manière dont l’offre en cause satisfait ou non à ces différents critères et sous-critères, qui sont manifestement pertinentes pour la notation globale de ladite offre, le devoir de motivation englobe nécessairement le besoin d’expliquer la façon dont, notamment, les évaluations négatives ont donné lieu à la déduction de points.

En effet, le respect de cette exigence est d’autant plus nécessaire que l’éventuelle déduction de points nets pour certains sous-critères ou sous-points a pour conséquence automatique, en vertu de la formule de calcul appliquée par le pouvoir adjudicateur, de faire augmenter le nombre de points bruts à attribuer aux offres des adjudicataires au titre de leur qualité technique. Autrement dit, un soumissionnaire a intérêt à connaître la déduction de points opérée pour chacun des sous-critères et sous-points concernant lesquels le rapport d’évaluation contient une appréciation négative pour être en mesure de faire valoir que, eu égard au caractère manifestement erroné de ladite appréciation, cette déduction – impliquant une augmentation correspondante de points en faveur des autres soumissionnaires – n’est pas justifiée.

À cet égard, même lorsque l’offre d’un soumissionnaire obtient, au titre de sa qualité technique, le nombre maximal de points bruts, celui-ci conserve, au regard du principe de protection juridictionnelle effective visé à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui a un lien intrinsèque avec l’obligation de motivation, un intérêt à connaître la mesure dans laquelle les appréciations négatives avancées par le pouvoir adjudicateur lui ont valu déduction de points nets dont la portée et la justification peuvent se révéler décisives dans le cadre du contrôle de la légalité de l’évaluation tant individuelle que comparative des offres.

(cf. points 250, 251, 253)

11.    Voir le texte de la décision.

(cf. point 261)

12.    L’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organes, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. Ces principes s’appliquent mutatis mutandis à la responsabilité non contractuelle engagée par l’Union, au sens de la même disposition, du fait d’un comportement illégal et d’un dommage causé par un de ses organismes, tels que l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle, que ce dernier est tenu de réparer en vertu de l’article 118, paragraphe 3, du règlement nº 207/2009 sur la marque communautaire.

(cf. point 264)

13.    S’agissant de la responsabilité non contractuelle de l’Union en matière de passation des marchés publics et de l’existence d’un lien de causalité entre l’illégalité commise et le préjudice prétendument subi, lorsque la décision de rejet de l’offre du requérant est entachée de plusieurs insuffisances de motivation, cette illégalité n’est pas susceptible en tant que telle d’engager la responsabilité de l’Union, en particulier parce qu’elle n’est pas de nature à démontrer que, en son absence, le marché aurait pu, voire dû, être attribué à la partie requérante.

En revanche, s’agissant du lien de causalité entre des illégalités, telles une violation du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires, des erreurs manifestes d’appréciation et la perte d’une chance de conclure le marché, l’institution concernée ne saurait se limiter à alléguer que, compte tenu de son large pouvoir d’appréciation en tant que pouvoir adjudicateur, elle n’était pas obligée de signer un contrat-cadre avec la requérante. En effet, lorsque la violation du principe d’égalité de traitement des soumissionnaires, en combinaison avec celle de l’article 93, paragraphe 1, sous e), du règlement nº 1605/2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes, et les erreurs manifestes d’appréciation commises par le pouvoir adjudicateur dans le cadre de l’appréciation individuelle de l’offre de la requérante ont nécessairement affecté la chance de cette dernière d’être mieux classée dans la procédure en cascade et de devenir, à tout le moins, le troisième adjudicataire, il en découle que, même en tenant compte de la large marge d’appréciation du pouvoir adjudicateur concernant l’octroi du marché en cause, la perte de chance subie par la requérante constitue un préjudice réel et certain.

Par ailleurs, dans une situation où, au terme de la procédure litigieuse devant le juge de l’Union, il existe un risque important que le marché en cause soit déjà pleinement exécuté, l’absence même de reconnaissance par le juge de l’Union de la perte d’une telle chance et de la nécessité d’octroyer une compensation à cet égard serait contraire au principe de protection juridictionnelle effective consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, dans une telle situation, l’annulation rétroactive d’une décision d’adjudication n’apporte plus aucun avantage au soumissionnaire évincé, de sorte que la perte de chance se présente comme irrémédiable. De surcroît, en raison des conditions régissant les procédures en référé devant le président du Tribunal, le soumissionnaire ayant vu évaluer et écarter illégalement son offre n’est, en pratique, que rarement en mesure d’obtenir le sursis à l’exécution d’une telle décision.

(cf. points 265, 266, 268-271)

14.    Voir le texte de la décision.

(cf. points 273, 282)