Language of document : ECLI:EU:T:2023:716

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)

15 novembre 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur les listes – Notion d’“homme d’affaires influent” – Article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145/PESC – Exception d’illégalité – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Droit d’être entendu – Droit de propriété – Liberté d’entreprise – Proportionnalité – Détournement de pouvoir »

Dans l’affaire T‑193/22,

OT, représenté par Mes J.-P. Hordies et C. Sand, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. V. Piessevaux, A. Boggio-Tomasaz et Mme M.-C. Cadilhac, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Royaume de Belgique, représenté par Mmes C. Pochet, L. Van den Broeck et M. Van Regemorter, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie),

composé de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, R. Mastroianni, Mme M. Brkan, MM. I. Gâlea et T. Tóth, juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu l’ordonnance du 30 mai 2022, OT/Conseil (T‑193/22 R, non publiée, EU:T:2022:307),

vu la phase écrite de la procédure, notamment :

–        la requête déposée au greffe du Tribunal le 15 avril 2022,

–        la décision du 2 juin 2022 accueillant la demande d’anonymat du requérant et rejetant sa demande de procédure accélérée,

–        la décision du 25 août 2022 admettant le Royaume de Belgique à intervenir au soutien du Conseil,

–        le mémoire en adaptation déposé au greffe du Tribunal le 11 novembre 2022,

–        les documents du requérant déposés au greffe du Tribunal le 19 décembre 2022 et versés au dossier,

–        la décision du 6 février 2023 de ne pas verser au dossier de nouvelles pièces produites par le requérant le 24 janvier 2023,

à la suite de l’audience du 26 avril 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, OT, demande l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2022/429 du Conseil, du 15 mars 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 87 I, p. 44), et du règlement d’exécution (UE) 2022/427 du Conseil, du 15 mars 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 87 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), et, d’autre part, après adaptation de la requête, de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien »), dans la mesure où ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.

 Antécédents du litige

2        Le requérant est un homme d’affaires de nationalité russe.

3        Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16). Le même jour, il a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).

4        Le 21 février 2022, le président de la Fédération de Russie a signé un décret reconnaissant l’indépendance et la souveraineté de la « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Lougansk », autoproclamées, et a ordonné le déploiement des forces armées russes dans ces zones.

5        Le 22 février 2022, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (ci-après le « haut représentant ») a publié une déclaration au nom de l’Union européenne condamnant ces actions, dès lors qu’elles constituaient une violation grave du droit international. Il a annoncé que l’Union réagirait à ces dernières violations par la Fédération de Russie en adoptant de toute urgence des mesures restrictives supplémentaires.

6        Le 23 février 2022, le Conseil a adopté une première série de mesures restrictives. Celles-ci concernaient, premièrement, des restrictions applicables aux relations économiques avec les régions non contrôlées par le gouvernement de Donetsk et de Lougansk, deuxièmement, des restrictions à l’accès au marché des capitaux, notamment en interdisant le financement de la Fédération de Russie, de son gouvernement et de sa banque centrale, et, troisièmement, l’ajout de membres du gouvernement, de banques, d’hommes d’affaires, de généraux ainsi que de 336 membres de la Gosudarstvennaya Duma Federal’nogo Sobrania Rossiskoï Federatsii (Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie) sur la liste des personnes, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives.

7        Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine.

8        Le même jour, le haut représentant a publié une déclaration au nom de l’Union condamnant avec la plus grande fermeté l’« invasion non provoquée » de l’Ukraine par les forces armées russes et a indiqué que la riposte de l’Union comprendrait des mesures restrictives à la fois sectorielles et individuelles.

9        Lors de sa réunion extraordinaire du même jour, le Conseil européen a condamné l’intervention militaire russe en Ukraine tout en marquant son accord de principe pour l’adoption de mesures restrictives et de sanctions économiques envers la Fédération de Russie au regard des propositions de la Commission européenne et du haut représentant.

10      Le 25 février 2022, le Conseil a adopté une deuxième série de mesures restrictives. À cette même date, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.

11      L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329, prévoit ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :

[…]

d)      à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs ;

[…]

g)      à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,

et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

12      Les modalités de ce gel de fonds sont définies à l’article 2, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/145.

13      L’article 1er, paragraphe 1, sous b) et e), de la décision 2014/145 telle que modifiée prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous d) et g), de cette même décision.

14      Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330, impose l’adoption de mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 telle que modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement tel que modifié reprend pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.

15      Dans ce contexte, par les actes initiaux, le Conseil a ajouté le nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figuraient à l’annexe de la décision 2014/145 telle que modifiée et à l’annexe I du règlement no 269/2014 tel que modifié (ci-après les « listes litigieuses »).

16      Les motifs de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses sont les suivants :

« [Le requérant] est un grand actionnaire du conglomérat d’Alfa Group, qui comprend Alfa Bank, l’un des plus grands contribuables de Russie. Il est considéré comme l’une des personnes les plus influentes de Russie. Ses liens avec le président russe sont bien établis. La fille aînée de Vladimir Poutine, Maria, a animé un projet caritatif, Alfa-Endo, qui était financé par Alfa Bank. Vladimir Poutine a récompensé Alfa Group pour sa loyauté envers les autorités russes en apportant un appui politique aux plans d’investissement d’Alfa Group à l’étranger.

Il apporte donc un soutien matériel ou financier actif aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, et tire avantage de ces décideurs. Il est également un homme d’affaires russe influent intervenant dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. »

17      Le 16 mars 2022, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145, modifiée par la décision 2022/429, et par le règlement no 269/2014, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2022/427 (JO 2022, C 121 I, p. 1). Cet avis indiquait, notamment, que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes annexées auxdits actes, en y joignant des pièces justificatives.

18      Par lettres des 5 et 8 avril 2022, le requérant a demandé au Conseil la communication du dossier sur lequel se fondait l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

19      Le 13 avril 2022, le Conseil a communiqué au requérant l’intégralité du dossier WK 3073/2022 (ci-après le « dossier de preuves »), sur lequel il avait fondé sa décision.

20      Les 14 avril, 30 mai, 7 juin, 5 juillet et 18 août 2022, le requérant a adressé ses observations au Conseil, lui demandant en particulier de reconsidérer la décision d’inscrire son nom sur les listes litigieuses et de l’auditionner.

21      Le 14 septembre 2022, le Conseil a adopté les actes de maintien. Il résulte de ces actes que les mesures restrictives individuelles applicables au requérant étaient prolongées jusqu’au 15 mars 2023 pour les mêmes motifs que ceux figurant dans les actes initiaux (voir point 16 ci-dessus).

22      Par courrier du 15 septembre 2022, le Conseil a notamment indiqué au requérant que les observations contenues dans ses courriers des 14 avril, 30 mai, 7 juin, 5 juillet et 18 août 2022 ne remettaient pas en cause son évaluation quant à la nécessité de maintenir les mesures restrictives en cause. Le Conseil a également indiqué que, vu la similitude des arguments, il faisait référence à ses observations présentées dans le cadre de la procédure de référé et dans la présente affaire. Il en a conclu que le nom du requérant devait être maintenu sur les listes litigieuses.

23      Le 15 septembre 2022, le Conseil a procédé à la publication au Journal officiel de l’Union européenne de l’avis à l’attention des personnes et entités faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2014/145, modifiée par la décision 2022/1530, et par le règlement no 269/2014, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2022/1529 (JO 2022, C 353 I, p. 1).

24      Le 1er novembre 2022, le requérant a adressé au Conseil une demande de réexamen.

 Conclusions des parties

25      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

26      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours en annulation ;

–        condamner le requérant aux dépens.

27      Le Royaume de Belgique conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours en annulation.

 En droit

28      À l’appui du recours, le requérant soulève, par la voie de l’exception, l’illégalité des dispositions de l’article 1er, sous d) et g), du règlement 2022/330. Il invoque en outre un moyen tiré d’une violation des articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, des articles 2 et 3 de la convention de New York relative aux droits de l’enfant, signée le 20 novembre 1989, et de l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, un moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation, un moyen tiré d’une violation des droits de la défense et du droit d’être entendu, un moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, un moyen tiré d’une violation du principe de proportionnalité et un moyen tiré d’une violation du droit de propriété, de la liberté d’entreprendre et du droit d’exercer une profession. Dans le cadre du mémoire en adaptation, il invoque également un moyen tiré de l’existence d’un détournement de pouvoir.

29      Lors de l’audience, le requérant a indiqué renoncer à invoquer les arguments tirés d’une violation des articles 7 et 24 de la charte des droits fondamentaux, des articles 2 et 3 de la convention de New York relative aux droits de l’enfant et de l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que les arguments concernant la vie privée et familiale, ce dont il a été pris acte.

 Sur l’illégalité, soulevée par la voie de l’exception, de l’article 1er, sous d) et g), du règlement 2022/330, entraînant une violation des principes d’égalité de traitement, de sécurité juridique et de bonne administration

30      Le requérant soutient, à titre principal, que l’inscription de son nom sur les listes litigieuses résulte de l’application d’un texte illégal, au motif que le règlement no 269/2014 tel que modifié permet au Conseil d’inscrire sur les listes litigieuses les noms de personnes de nationalité russe qui n’ont aucun lien avec le régime visé par les mesures restrictives en cause, sous prétexte qu’elles seraient, par le biais de leurs activités économiques, une source de revenus pour le gouvernement russe. Il invoque une violation des principes d’égalité de traitement, de sécurité juridique et de bonne administration. L’inscription de son nom sur les listes litigieuses résultant de l’application d’un texte illégal devrait donc être annulée. Dans la réplique, il soutient que le Conseil a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon sélective et donc discriminatoire, en fonction de la nationalité ou des secteurs économiques concernés. De plus, selon lui, le Conseil devait être en mesure de justifier en quoi la création des catégories visées par l’article 1er, sous d) et g), du règlement 2022/330 a eu pour effet de remédier à l’inefficacité des mesures adoptées depuis 2014 et de démontrer leur caractère nécessaire, approprié et non substituable. Dans le mémoire en adaptation, il souligne l’effacement du lien entre la situation en Ukraine et le rôle des personnes physiques sanctionnées dans les critères établis depuis 2022 ainsi que la nécessité d’un contrôle juridictionnel accru qui en découle.

31      Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique, conteste cette argumentation.

32      Selon l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.

33      L’article 277 TFUE constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision qui lui est adressée, la validité des actes de portée générale qui forment la base d’une telle décision si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d’en demander l’annulation. L’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 55 et jurisprudence citée).

34      Concernant l’intensité du contrôle juridictionnel, selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée, et du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 65 et jurisprudence citée).

35      Il n’en demeure pas moins que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions des actes attaqués prévoyant les critères litigieux visés par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir [voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, points 44 et 45, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 149 (non publié)].

36      En l’espèce, il résulte de l’article 2 et de l’article 3, paragraphe 1, sous d) et g), du règlement no 269/2014 tel que modifié que sont gelés les fonds et ressources économiques « [d]es personnes physiques ou morales, entité ou organismes qui apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ces décideurs » [article 3, paragraphe 1, sous d), du règlement no 269/2014 tel que modifié] [ci-après le « critère d) »] et « [d]es femmes et hommes d’affaires influents, [d]es personnes morales, [d]es entités ou organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine » [article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014 tel que modifié] [ci-après le « critère g) »].

37      Le requérant soutient que les critères d) et g) (ci-après, pris ensemble, les « critères litigieux »), appliqués en l’espèce, enfreignent les principes d’égalité de traitement, de sécurité juridique et de bonne administration.

38      En premier lieu, il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement, qui constitue un principe fondamental de droit, interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, point 135).

39      Or, en l’espèce, force est de constater que les critères litigieux ne visent pas uniquement des ressortissants russes ou certains secteurs économiques, mais toute personne apportant un soutien matériel ou financier aux décideurs russes et toute personne physique influente au sens des critères applicables. Comme l’indique le Conseil, les ressortissants des États membres de l’Union sont également susceptibles de faire l’objet de mesures restrictives.

40      En outre, pour autant que le requérant soutient que le Conseil a omis d’adopter des mesures restrictives à l’égard de certaines personnes ou de certaines entités répondant aux critères litigieux, a exercé son pouvoir de façon discriminatoire et a omis d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments relatifs à ces personnes ou à ces entités, de tels arguments relèvent de l’examen de la situation individuelle du requérant. Partant, ils doivent être écartés comme étant dénués de pertinence au regard de la légalité du critère en cause.

41      Ce grief doit donc être rejeté.

42      En deuxième lieu, le principe de sécurité juridique implique que la législation de l’Union soit claire et précise et que son application soit prévisible pour les justiciables (voir arrêts du 5 mars 2015, Europäisch-Iranische Handelsbank/Conseil, C‑585/13 P, EU:C:2015:145, point 93 et jurisprudence citée, et du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 192 et jurisprudence citée).

43      En l’espèce, le requérant soutient que les critères litigieux ne répondent pas à l’exigence de prévisibilité, au motif, en substance, qu’ils sont définis en termes trop généraux.

44      Il y a lieu de relever que, d’une part, s’agissant du critère d), il ressort sans ambiguïté du texte même du règlement no 269/2014 tel que modifié que ledit critère vise de manière ciblée et sélective les personnes physiques et morales qui, même si elles n’ont, en tant que telles, aucun lien avec la déstabilisation de l’Ukraine, apportent un soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de celle-ci, ou tirent avantage de ces décideurs. Le critère d) se compose ainsi de deux éléments, à savoir le soutien matériel ou financier aux décideurs russes responsables de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine et le fait qu’un avantage soit tiré de ces décideurs, ces deux éléments n’étant pas cumulatifs. En outre, ce critère n’exige pas que les personnes ou les entités concernées tirent personnellement avantage de l’annexion de la Crimée ou de la déstabilisation de l’Ukraine. Il suffit qu’elles tirent avantage d’un des « décideurs russes » responsables de ces événements, sans qu’il soit nécessaire d’établir un lien entre les avantages dont bénéficient les personnes désignées et l’annexion de la Crimée ou la déstabilisation de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 87).

45      D’autre part, s’agissant du critère g), son libellé vise de façon suffisamment claire et précise notamment les femmes et les hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe. Eu égard au libellé de ce critère, il y a lieu de considérer que les personnes visées doivent être considérées comme influentes du fait de leur importance dans le secteur dans lequel elles exercent leur activité et de l’importance que revêt ce secteur pour l’économie russe (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157).

46      En outre, le critère g) s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis par la réglementation régissant les mesures restrictives en cause, à savoir la nécessité, compte tenu de la gravité de la situation, d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays. Dans cette perspective, les mesures restrictives en cause sont conformes à l’objectif visé à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations unies, signée à San Francisco (États-Unis) le 26 juin 1945 (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, points 115 et 123 ; du 25 juin 2020, VTB Bank/Conseil, C‑729/18 P, non publié, EU:C:2020:499, point 59, et du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 163).

47      De plus, le pouvoir d’appréciation conféré au Conseil par les critères litigieux est contrebalancé par une obligation de motivation et des droits procéduraux renforcés (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2014, National Iranian Oil Company/Conseil, T‑578/12, non publié, EU:T:2014:678, point 122 et jurisprudence citée).

48      Il s’ensuit que les critères litigieux répondent au degré de prévisibilité requis par le droit de l’Union.

49      Par ailleurs, s’agissant du critère g), contrairement à ce que soutient le requérant, il existe un lien logique entre, d’une part, le fait de cibler les femmes et les hommes d’affaires influents exerçant leurs activités dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement, au vu de l’importance que revêtent ces secteurs pour l’économie russe, et, d’autre part, l’objectif des mesures restrictives poursuivi en l’espèce, qui est d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que le coût des actions de cette dernière visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157 et jurisprudence citée).

50      Dès lors, l’argument du requérant concernant l’effacement du lien entre la situation en Ukraine et le rôle des personnes physiques faisant l’objet des mesures restrictives en cause doit être écarté.

51      Partant, le grief tiré d’une violation du principe de sécurité juridique doit être rejeté.

52      En troisième lieu, le grief tiré d’une violation du principe de bonne administration, qui implique l’obligation pour l’institution compétente d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 30 juin 2016, Al Matri/Conseil, T‑545/13, non publié, EU:T:2016:376, point 58, et du 6 juin 2018, Arbuzov/Conseil, T‑258/17, EU:T:2018:331, point 61), n’est pas autrement étayé et doit donc également être écarté.

53      En quatrième lieu, le requérant, dans la réplique, reproche au Conseil de n’avoir pas été en mesure de justifier en quoi les catégories de personnes et entités visées par l’article 1er, sous d) et g), du règlement 2022/330 auraient pour effet de remédier à l’inefficacité des mesures adoptées depuis 2014 et de démontrer leur caractère nécessaire, approprié et non substituable.

54      Toutefois, comme le souligne le Conseil, sans que cela ait été infirmé par le requérant lors de l’audience, il s’agit d’un argument qui n’a pas été soulevé dans la requête. Il doit donc être rejeté comme irrecevable en vertu de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, qui interdit la présentation, en cours d’instance, de moyens nouveaux qui ne se fondent pas sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

55      Au demeurant, la légalité des mesures restrictives n’est pas subordonnée à la constatation des effets immédiats de celles-ci, mais requiert uniquement qu’elles ne soient pas manifestement inappropriées au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2020, Rosneft e.a./Conseil, C‑732/18 P, non publié, EU:C:2020:727, point 97). Dès lors, le Conseil n’était aucunement tenu de démontrer que les critères litigieux étaient de nature à remédier à la prétendue inefficacité des mesures adoptées depuis 2014.

56      Quant au grief du requérant contestant le caractère nécessaire et approprié des critères litigieux, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêt du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 52).

57      En outre, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes et seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 77).

58      En l’espèce, les critères litigieux, tels qu’ils sont interprétés à la lumière du contexte législatif et historique dans lequel ils ont été adoptés, n’apparaissent pas comme manifestement inappropriés eu égard à l’objectif des mesures restrictives, rappelé au point 46 ci-dessus, à l’importance primordiale du maintien de la paix ainsi qu’à la sécurité et à la stabilité européennes et mondiales.

59      Enfin, les griefs du requérant selon lesquels il souligne que son nom est inscrit sur les listes litigieuses uniquement en raison de sa qualité d’actionnaire d’Alfa Bank et de la qualification d’Alfa Bank de gros contribuable de Russie, ce qu’il conteste, relèvent de l’examen de sa situation individuelle et, dès lors, de l’examen du moyen tiré de l’erreur d’appréciation.

60      Partant, l’exception d’illégalité doit être rejetée.

 Sur le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation

61      Le requérant soutient, premièrement, que la motivation des actes attaqués ne lui permettait pas de déterminer avec précision de quelles « transactions litigieuses » il s’agissait et de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. Deuxièmement, la motivation ne permettrait pas de constater que le Conseil a examiné avec soin les motifs de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses et serait en réalité purement formelle. Il ajoute, dans la réplique, que la motivation des actes n’est pas étayée et qu’elle est inexacte. Dans le mémoire en adaptation, le requérant soutient que les actes qui maintiennent son nom sur les listes litigieuses ne permettent pas d’identifier les raisons d’un tel maintien en septembre 2022, alors que la situation avait changé par rapport à celle du règlement initial de 2014. De plus, aucun bilan de l’impact des mesures ou appréciation actualisée n’aurait eu lieu. De même, la lettre du 15 septembre 2022 par laquelle le Conseil a rejeté sa demande de réexamen ne contiendrait aucune motivation permettant de comprendre les raisons du maintien de son nom sur les listes litigieuses.

62      Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique, conteste cette argumentation.

63      Selon la jurisprudence, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 49).

64      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de cet acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. Par conséquent, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 53 ; voir, également, arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 48 et jurisprudence citée).

65      Ainsi, d’une part, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard. D’autre part, le degré de précision de la motivation d’un acte doit être proportionné aux possibilités matérielles et aux conditions techniques ou de délai dans lesquelles celui-ci doit intervenir (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 104 et jurisprudence citée).

66      En outre, la jurisprudence a précisé que la motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne devait pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considérait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé devait faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 105 et jurisprudence citée).

67      En l’espèce, les mesures litigieuses ont été adoptées sur le fondement des actes attaqués qui, tant pour les actes initiaux que pour les actes de maintien, précisent le contexte, dans le cadre de leurs considérants respectifs, et les fondements juridiques sur lesquels ils ont été adoptés.

68      En outre, l’énoncé des circonstances factuelles tel qu’il est rappelé au point 16 ci-dessus constitue une motivation suffisamment claire et précise pour permettre au requérant de comprendre les raisons pour lesquelles son nom a été inscrit, puis maintenu, sur les listes litigieuses.

69      À cet égard, l’argument selon lequel la motivation des actes attaqués ne lui permettait pas de déterminer avec précision de quelles « transactions litigieuses » il s’agissait n’infirme pas ce constat, dès lors qu’il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents avant l’adoption d’un acte de maintien de son nom sur la liste litigieuse. De même, au vu de la motivation utilisée, l’argument selon lequel elle serait purement formelle doit également être écarté. En effet, la motivation contient en l’espèce suffisamment d’éléments factuels et de précisions pour permettre au requérant de comprendre la portée de la mesure prise à son égard et au Tribunal d’exercer son contrôle.

70      Les arguments du requérant selon lesquels la motivation du Conseil est inexacte ou non étayée relèvent de la légalité au fond et ne sont pas pertinents au regard de l’obligation de motivation. Il en va de même de l’argument selon lequel aucun bilan de l’impact des mesures ou aucune appréciation actualisée n’aurait été effectué.

71      Enfin, le requérant soutient, dans le mémoire en adaptation, que les actes de maintien ne permettent pas d’identifier les raisons d’un tel maintien.

72      Toutefois, ainsi que cela ressort des points 20 et 22 ci-dessus, il y a lieu de constater que le Conseil, après examen des observations soumises par le requérant, a considéré que, en raison de la similitude des arguments, ses précédentes observations dans le cadre de la présente affaire étaient applicables.

73      Cela signifie suffisamment clairement que les motifs du maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses sont les mêmes que ceux ayant justifié son inscription initiale, sans que, à six mois d’intervalle, une motivation supplémentaire soit nécessaire. De plus, il n’est pas exigé non plus que la motivation d’actes de maintien réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte.

74      Par ailleurs, l’argument selon lequel le règlement d’exécution 2022/1529 renvoie au règlement no 269/2014, alors que, selon le requérant, la situation avait changé, se rapporte au bien-fondé des motifs et n’est pas opérant au regard de l’obligation de motivation. En tout état de cause, il doit être écarté. En effet, les considérants de la décision 2022/1530 se fondent sur la poursuite de l’agression militaire russe en Ukraine et le règlement d’exécution 2022/1529 n’a fait qu’adapter l’annexe I du règlement no 269/2014 afin de la rendre conforme à l’annexe de la décision 2014/145, à la suite de la modification de cette dernière par la décision 2022/1530.

75      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que les actes attaqués énoncent à suffisance de droit les éléments de droit et de fait qui en constituent, d’après leur auteur, le fondement.

76      Il convient, dès lors, de rejeter le moyen tiré d’une violation de l’obligation de motivation.

 Sur le moyen tiré d’une violation des droits de la défense et du droit d’être entendu

77      Le requérant invoque une violation de ses droits de la défense, au motif qu’il n’a pas reçu en temps utile les motifs de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses. Il fait valoir que le Conseil ne lui a pas notifié individuellement les actes attaqués, mais a publié un avis au Journal officiel, alors que son adresse était connue des autorités françaises. Il souligne que sa demande d’être entendu formulée sans sa lettre du 7 juin 2022 est restée sans réponse. Il ajoute, dans le mémoire en adaptation, que le Conseil devait porter à sa connaissance les raisons du maintien de son nom sur les listes litigieuses. De plus, la production d’une pièce nouvelle dans la duplique violerait ses droits de la défense.

78      Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique, conteste cette argumentation.

79      Il y a lieu de rappeler que le droit d’être entendu dans toute procédure, prévu à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d’une procédure administrative et avant qu’une décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts ne soit prise à son égard (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 75 et jurisprudence citée).

80      L’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux admet toutefois des limitations à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, pour autant que la limitation concernée soit prévue par la loi, qu’elle respecte le contenu essentiel du droit fondamental en cause et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 101 et jurisprudence citée).

81      À cet égard, la Cour a, à plusieurs reprises, jugé que les droits de la défense pouvaient être soumis à des limitations ou à des dérogations, et ce notamment dans le domaine des mesures restrictives adoptées dans le contexte de la politique étrangère et de sécurité commune (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 67 et jurisprudence citée).

82      En outre, l’existence d’une violation des droits de la défense doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 102 et jurisprudence citée).

83      Il convient encore de rappeler que le juge de l’Union distingue, d’une part, l’inscription initiale du nom d’une personne sur les listes en cause et, d’autre part, le maintien du nom de cette personne sur lesdites listes (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2015, Al-Chihabi/Conseil, T‑593/11, EU:T:2015:249, point 40).

84      C’est à la lumière de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’analyser le présent moyen.

 Concernant les actes initiaux

85      Premièrement, le requérant soutient que le Conseil devait lui communiquer les actes initiaux par notification directe.

86      En l’espèce, la communication des motifs de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses a fait l’objet d’un avis publié au Journal officiel du 16 mars 2022 (voir point 17 ci-dessus).

87      À cet égard, il convient de relever, tout d’abord, que l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2014/145 telle que modifiée, d’une part, et l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 269/2014 tel que modifié, d’autre part, prévoient que le Conseil communique sa décision et l’exposé des motifs à la personne qui fait l’objet des mesures restrictives « soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations ».

88      Ensuite, il ressort de la jurisprudence que, si une communication individuelle de ce type de décisions est en principe nécessaire, la seule publication au Journal officiel n’étant pas suffisante, il y a cependant lieu pour le juge de l’Union d’examiner, dans chaque affaire, si le fait de ne pas avoir porté individuellement les motifs de la décision litigieuse à la connaissance de la partie requérante a eu pour conséquence de priver cette dernière de la possibilité de connaître, en temps utile, la motivation de la décision litigieuse et d’apprécier le bien-fondé de la mesure de gel de fonds et de ressources économiques adoptée à son égard (arrêts du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 48, et du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 102 ; voir également, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, EU:C:2011:735, point 56).

89      En outre, selon la jurisprudence, le Conseil peut être considéré comme étant dans l’impossibilité de communiquer individuellement à une personne physique ou morale ou à une entité un acte comportant des mesures restrictives la concernant soit lorsque l’adresse de cette personne ou cette entité n’est pas publique et ne lui a pas été fournie, soit lorsque la communication envoyée à l’adresse dont il dispose échoue, en dépit des démarches qu’il a entreprises, avec toute la diligence requise, afin d’effectuer une telle communication (arrêts du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 61, et du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 103).

90      En l’espèce, le Conseil soutient qu’il n’avait pas l’adresse du requérant.

91      Or, le requérant n’a pas apporté d’indices tendant à démontrer que le Conseil disposait de son adresse, qu’elle fût personnelle ou professionnelle, à la date d’adoption des actes initiaux, soit parce que ladite adresse lui avait été fournie, soit parce qu’elle était publique. À cet égard, le fait invoqué par le requérant que les autorités françaises disposaient de son adresse doit être écarté. En effet, la circonstance que les autorités françaises pouvaient détenir son adresse n’infirme pas le constat selon lequel, à la date desdits actes, le Conseil ne l’avait pas.

92      Dès lors, il y a lieu de considérer que l’argument selon lequel le Conseil aurait dû communiquer au requérant les actes initiaux par notification directe doit être écarté.

93      Au demeurant, il convient de noter que, selon la jurisprudence, l’absence de communication individuelle des actes initiaux, si elle a une incidence sur le moment auquel le délai de recours a commencé à courir, ne justifie pas, à elle seule, l’annulation des actes en question. Or, le requérant n’invoque aucun argument tendant à démontrer que, dans le cas d’espèce, l’absence de communication individuelle de ces actes a eu pour conséquence une atteinte à ses droits qui justifierait l’annulation de ces actes pour autant qu’ils le concernent (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, VTB Bank/Conseil, T‑734/14, non publié, EU:T:2018:542, point 111 et jurisprudence citée).

94      Deuxièmement, le requérant soutient qu’il n’aurait pas reçu en temps utile les motifs de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

95      Toutefois, il ressort des éléments du dossier que, à la suite de l’avis publié le 16 mars 2022, le requérant a demandé au Conseil, par lettre du 5 avril 2022, de lui communiquer les documents étayant ladite inscription, ce que le Conseil a fait par lettre du 13 avril 2022. Par lettre du 14 avril 2022, les observations du requérant ont été adressées au Conseil.

96      Dès lors, la communication des motifs doit être considérée en l’espèce comme ayant été effectuée en temps utile, dans la mesure où elle a permis au requérant de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son égard.

97      Troisièmement, il y a lieu de rappeler que ni la réglementation en cause ni le principe général du respect des droits de la défense ne confèrent aux intéressés le droit à une audition, la possibilité de présenter ses observations par écrit étant suffisante (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, EU:T:2008:461, point 93 ; du 6 septembre 2013, Bank Melli Iran/Conseil, T‑35/10 et T‑7/11, EU:T:2013:397, point 105, et du 10 novembre 2021, Alkattan/Conseil, T‑218/20, non publié, EU:T:2021:765, point 64).

98      En l’espèce, à la suite de la réception, le 13 avril 2022, de l’intégralité du dossier de preuves, le requérant a adressé ses observations au Conseil les 14 avril, 30 mai, 7 juin, 5 juillet et 18 août 2022. Il a également pu introduire un recours devant le Tribunal ainsi qu’une demande en référé, de façon étayée.

99      Dès lors, il y a lieu de constater que, en l’espèce, l’absence d’audition du requérant par le Conseil n’a pas porté atteinte à ses droits de la défense.

 Concernant les actes de maintien

100    Le requérant soutient, dans le mémoire en adaptation, que le Conseil devait porter à sa connaissance, préalablement au maintien de son nom sur les listes litigieuses, les raisons dudit maintien.

101    Il convient de rappeler que, dans le cas d’une décision de gel de fonds par laquelle le nom d’une personne ou d’une entité figurant déjà sur la liste des personnes et des entités dont les fonds sont gelés est maintenu sur cette liste, l’adoption d’une telle décision doit, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne ou à l’entité concernée d’être entendue (arrêt du 15 septembre 2021, Boshab/Conseil, T‑107/20, non publié, EU:T:2021:583, point 78 ; voir également, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 62).

102    Le droit d’être entendu préalablement à l’adoption d’actes qui maintiennent le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives s’impose lorsque le Conseil a retenu, dans la décision portant maintien de l’inscription de son nom sur cette liste, de nouveaux éléments contre cette personne, à savoir des éléments qui n’étaient pas pris en compte dans la décision initiale d’inscription de son nom sur cette même liste (voir arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 54 et jurisprudence citée).

103    Toutefois, lorsque le maintien du nom de la personne ou de l’entité concernée sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives est fondé sur les mêmes motifs que ceux qui ont justifié l’adoption de l’acte initial sans que de nouveaux éléments aient été retenus à son égard, le Conseil n’est pas tenu, pour respecter son droit d’être entendu, de lui communiquer à nouveau les éléments retenus à charge (arrêts du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, points 32 et 33, et du 22 juin 2022, Haswani/Conseil, T‑479/21, non publié, EU:T:2022:383, point 85).

104    Or, en l’espèce, par lettre du 15 septembre 2022, le Conseil a rejeté la demande de réexamen au motif que les observations du requérant ne remettaient pas en cause son appréciation selon laquelle il existait des motifs suffisants pour maintenir son nom dans les listes litigieuses. En outre, eu égard à la similitude des arguments, le Conseil a renvoyé à ses observations dans les affaires en référé qui concernent le requérant [affaires T‑193/22 R et C‑526/22 P (R)] et au mémoire en défense dans la présente affaire.

105    Ce faisant, le Conseil a informé le requérant du maintien de son nom sur les listes litigieuses pour les mêmes motifs que ceux qui avaient justifié l’adoption des actes initiaux, sans que de nouveaux éléments aient été retenus à son égard.

106    Au vu de ces circonstances, le Conseil n’était pas tenu, pour respecter son droit d’être entendu, de lui communiquer à nouveau les éléments retenus à charge.

107    Par ailleurs, il y a lieu de considérer que, comme le soutient le Conseil, l’article du journal Le Monde diplomatique de septembre 2019 concernant la corruption en Russie a été produit dans la duplique en réponse à un argument de la réplique et non en guise de motivation a posteriori. Il ne saurait donc être constaté une violation des droits de la défense à cet égard.

108    Partant, le moyen tiré d’une violation des droits de la défense et du droit d’être entendu doit être rejeté.

 Sur le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une motivation dépourvue de fondement

109    Il résulte de la motivation de l’inscription et du maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses qu’il est visé par les mesures restrictives en cause au titre des critères litigieux.

110    Dans le cadre du présent moyen, le requérant, premièrement, conteste la valeur probante des preuves produites au soutien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses et, deuxièmement, soulève le caractère manifestement erroné des appréciations figurant dans la motivation des actes attaqués.

111    Le Tribunal estime qu’il est pertinent de commencer par l’examen de ces deux branches au regard du critère g).

 Sur la première branche, tirée de l’absence de valeur probante des preuves produites au soutien du critère g)

112    Le requérant conteste la valeur probante des documents constituant le dossier de preuves du Conseil. Il soutient que les articles de presse produits par le Conseil ne sont pas datés ou datent de plus de 17 ans ou que leur auteur est inconnu. Il met en cause leur crédibilité et souligne qu’aucune vérification de leur vraisemblance n’a été effectuée par des recoupements avec d’autres sources émanant d’autorités officielles.

113    Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique, conteste cette argumentation.

114    Il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité du juge de l’Union est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. À cet égard, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue en tenant compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir arrêts du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 107 et jurisprudence citée, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 95 (non publié) et jurisprudence citée].

115    En l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires (arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 59).

116    En outre, il importe de relever que la situation de conflit dans lequel la Fédération de Russie et l’Ukraine sont impliquées rend en pratique particulièrement difficile l’accès à certaines sources, l’indication expresse de la source primaire de certaines informations ainsi que l’éventuel recueil de témoignages de la part de personnes acceptant d’être identifiées. Les difficultés d’investigation qui s’ensuivent peuvent ainsi contribuer à faire obstacle à ce que des preuves précises et des éléments d’information objectifs soient apportés (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 46, et du 24 novembre 2021, Al Zoubi/Conseil, T‑257/19, EU:T:2021:819, point 73).

117    En l’espèce, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses au regard du critère g), le Conseil s’est fondé sur un article rédigé le 6 avril 2018 sur un site d’actualités américain, le Daily Beast, rédigé par une historienne des États-Unis (élément de preuve no 1). L’argument du requérant selon lequel ces chroniques visaient à exploiter un nouveau champ de blogues satiriques et populaires à la veille de l’élection aux États-Unis ne saurait enlever toute valeur probante à ce document.

118    L’article extrait du site Internet « astral.ru » (élément de preuve no 2), quoique non daté, contient un sous-titre démontrant qu’il concerne les plus gros contribuables de Russie en 2020. En outre, même si, comme l’indique le requérant, il s’agit du site commercial d’un fournisseur russe de services numériques, il se réfère à une ordonnance du service fédéral russe des impôts et il indique les critères en application desquels une organisation est considérée parmi les plus gros contribuables. Il ajoute une liste des plus gros contribuables russes en 2020. Il s’ensuit que la valeur probante de cet article, qui cite ses sources et les éléments vérifiables sur lesquels il se fonde, ne saurait être écartée.

119    L’article publié sur le site Internet « banki.ru » le 30 août 2018 (élément de preuve no 3) se réfère au classement du magazine Forbes concernant les Russes les plus influents. Même s’il s’agit d’une source secondaire, il cite sa source comme étant le classement d’influence de Forbes 2018 et sa valeur probante ne saurait donc être remise en cause.

120    Au vu de tout ce qui précède, compte tenu du contexte caractérisant la situation de la Russie et en l’absence de pouvoirs d’enquête du Conseil dans des pays tiers (voir jurisprudence citée aux points 115 et 116 ci-dessus), la valeur probante des pièces du dossier de preuves ne saurait être écartée.

 Sur la seconde branche, tirée d’une appréciation « manifestement » erronée des faits au regard du critère g)

121    Tout d’abord, il importe de relever que ce moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est certes vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 70 et jurisprudence citée).

122    Ensuite, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

123    C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).

124    L’appréciation du bien-fondé de ces motifs doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure restrictive et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).

125    C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient de déterminer si le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant que, en l’espèce, il existait une base factuelle suffisamment solide pouvant justifier, d’une part, l’inscription initiale et, d’autre part, le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses.

126    Au préalable, il y a lieu de se prononcer sur la recevabilité des pièces supplémentaires produites par le requérant.

–       Sur la recevabilité des pièces supplémentaires produites par le requérant

127    Il y a lieu de rappeler que l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure prévoit que, à titre exceptionnel, les parties principales peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.

128    En l’espèce, le requérant a produit cinq pièces supplémentaires le 19 décembre 2022, justifiant de leur tardiveté en indiquant qu’il poursuivait au quotidien l’instruction de son dossier et répondait aux arguments du Conseil.

129    Le Conseil soutient que ces preuves sont tardives et donc irrecevables ainsi que, en tout état de cause, non pertinentes.

130    La première pièce supplémentaire est une attestation datée du 9 décembre 2022 émanant des auditeurs d’ABH Holdings SA et la deuxième pièce supplémentaire est une attestation datée du 16 décembre 2022, émanant du cabinet d’avocat de ladite société. Ces pièces évoquent notamment la qualité d’actionnaire minoritaire du requérant, un accord concernant la cession de ses parts dans ABH Holdings la veille de l’adoption des actes attaqués de mars 2022 et la structure de l’actionnariat de cette société. Ces éléments de preuve relayent ainsi des éléments d’information dont le requérant avait nécessairement connaissance à un stade antérieur. Or, le requérant n’a pas indiqué qu’il n’avait pas été en mesure d’en obtenir la production à un stade antérieur de la procédure et pour quelle raison il ne l’avait pas été. Le fait qu’il ait indiqué poursuivre au quotidien l’instruction de son dossier ne constitue pas une circonstance exceptionnelle justifiant leur production tardive au sens de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure.

131    La troisième pièce supplémentaire contient un témoignage daté du 28 mars 2022, alors que les quatrième et cinquième pièces supplémentaires contiennent des témoignages datés du 1er avril 2022. Or, force est de constater que ces pièces auraient pu être produites en annexe à la réplique, du 19 août 2022, voire en annexe à la requête, du 15 avril 2022.

132    Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que le requérant n’a pas justifié, au sens de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure, la production tardive de ces preuves supplémentaires. Partant, ces éléments sont irrecevables et ne seront pas pris en compte par le Tribunal dans l’examen du présent moyen.

–       Sur l’inscription initiale

133    Le requérant soutient qu’il ne remplit pas les conditions du critère g), qui vise, selon lui, un cercle restreint de femmes et d’hommes d’affaires influents qui ont les faveurs du président Poutine et qui apportent un soutien au régime russe, ce qui n’est pas son cas. Aucune des pièces figurant dans le dossier de preuves ne permettrait de conclure qu’il serait un homme d’affaires influent. Il conteste également la notion de « personne influente » retenue par le Conseil, qui ne saurait être fondée sur la seule importance de la personne sans qu’il y ait lieu de se soucier de ses liens étroits avec le régime politique concerné. Il conteste le classement de l’édition russe de Forbes en soulignant que certains hommes d’affaires y sont mentionnés sans pour autant être sanctionnés. Il ajoute qu’il ne répond pas à la définition d’oligarque en droit ukrainien.

134    En outre, il conteste la confusion qui est faite entre lui et l’entité Alfa Bank alors qu’il n’aurait jamais eu de rôle exécutif dans cette entité, dont il serait actionnaire minoritaire à hauteur de 16,3%, sans même une minorité de blocage, et dont il aurait démissionné lors de l’adoption des actes initiaux. Alfa Bank exercerait une activité régulière en Russie sans pour autant soutenir les activités du régime. Il souligne que la notion d’« influence » n’est pas limitée à la seule détention d’une participation dans une société du pays concerné sans que la fonction exécutive ou la participation majoritaire soit prise en compte. Or, il n’exercerait de contrôle et ne serait bénéficiaire effectif dans aucune entité d’Alfa Group.

135    [Confidentiel](1).

136    Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique, conteste cette argumentation.

137    Il y a lieu de rappeler que le nom du requérant a été inscrit sur les listes litigieuses sur la base du critère g), au motif qu’il « est un grand actionnaire du conglomérat d’Alfa Group, qui comprend Alfa Bank, l’un des plus grands contribuables de Russie [et qu’i]l est considéré comme l’une des personnes les plus influentes de Russie ».

138    Il convient de constater que le critère g) emploie la notion de « femmes ou hommes d’affaires influents » en corrélation avec l’exercice d’une « activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement [russe] », sans autre condition concernant un lien, direct ou indirect, avec ledit gouvernement. La finalité poursuivie par ce critère est en effet d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays.

139    À cet égard, comme il est rappelé précédemment (voir point 49 ci-dessus), il existe un lien logique entre le fait de cibler les hommes et les femmes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant des revenus substantiels au gouvernement russe, d’une part, et l’objectif des mesures restrictives en l’espèce, qui est d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que d’accroître le coût des actions de cette dernière visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, d’autre part (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157).

140    Toutefois, rien dans les considérants ou les dispositions de la décision 2014/145 et du règlement no 269/2014 tels que modifiés ne permet de conclure qu’il incomberait au Conseil de démontrer l’existence d’un lien étroit ou d’une interdépendance entre, d’une part, la personne dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses et, d’autre part, le gouvernement russe ou ses actions compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

141    Contrairement à ce que soutient le requérant, il ne saurait être inféré de la jurisprudence relative au critère de l’« homme d’affaires influent » appliqué dans le cadre des mesures restrictives prises à l’encontre de la République arabe syrienne que la notion de « femme et homme d’affaires influents », utilisée dans le cadre du critère appliqué en l’espèce, impliquerait l’obligation pour le Conseil de démontrer l’existence de liens étroits ou d’interdépendance avec le gouvernement russe.

142    Une telle interprétation se heurterait non seulement au libellé du critère g), mais encore à l’objectif visé.

143    En effet, d’une part, eu égard au libellé du critère g), comme il est rappelé au point 44 ci-dessus, il y a lieu de considérer que les personnes visées doivent être considérées comme influentes du fait de leur importance dans le secteur dans lequel elles exercent leur activité et de l’importance que revêt ce secteur pour l’économie russe (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 157 et jurisprudence citée). À cet égard, la notion d’« hommes d’affaires influents », doit donc être comprise comme visant l’importance de ces derniers au regard, notamment, de leurs statuts professionnels, de l’importance de leurs activités économiques, de l’ampleur de leurs possessions capitalistiques ou de leurs fonctions au sein d’une ou de plusieurs entreprises dans lesquelles ils exercent ces activités.

144    D’autre part, l’objectif des mesures restrictives en cause n’est pas de sanctionner certaines personnes ou certaines entités en raison de leurs liens avec la situation en Ukraine ou de leurs liens avec le gouvernement russe, mais, comme cela est rappelé au point 46 ci-dessus, d’imposer des sanctions économiques à la Fédération de Russie, afin d’accroître la pression sur celle-ci ainsi que le coût de ses actions visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de mettre un terme, aussi vite que possible, à l’agression subie par celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Rosneft e.a./Conseil, T‑715/14, non publié, EU:T:2018:544, point 160).

145    Dès lors, contrairement à ce que le requérant affirme, le critère g) n’implique pas, pour le Conseil, de démontrer l’existence de liens étroits ou d’une relation d’interdépendance avec le gouvernement russe. Il ne dépend pas davantage d’une imputabilité au requérant de la décision de poursuite de l’agression militaire de l’Ukraine ou d’un lien direct ou indirect avec l’annexion de la Crimée ou la déstabilisation de l’Ukraine, comme soutenu dans le mémoire en adaptation.

146    C’est à l’aune de ces considérations qu’il y a lieu d’apprécier si le Conseil a entaché sa décision d’une erreur d’appréciation en considérant que le requérant était un homme d’affaires influent ayant une activité dans un secteur économique qui fournissait une source substantielle de revenus au gouvernement russe.

147    En l’espèce, en premier lieu, concernant la qualité d’homme d’affaires influent appliquée au requérant, il y a lieu de rappeler que, ainsi que cela résulte notamment de l’élément de preuve no 1, il est le cofondateur d’Alfa Group, qui est un grand groupe industriel et financier privé de Russie qui, comme le requérant l’a admis lors de l’audience, a des intérêts dans différents secteurs, tels que le pétrole, le gaz, le commerce, l’assurance, les télécommunications et la banque commerciale et d’affaires.

148    Il ressort également de l’élément de preuve no 3 que le magazine Forbes a compilé un classement des femmes et des hommes russes les plus influents, incluant des politiciens, des parlementaires, des gouverneurs ainsi que des directeurs des plus grandes entreprises, et que le requérant est cité dans la liste des 100 personnes russes les plus influentes. Comme l’indique le Conseil, si l’on peut avoir des opinions divergentes sur les paramètres utilisés pour réaliser le classement en question, ce dernier n’en est pas moins indicatif des personnes occupant une position importante dans les domaines économique, politique ou administratif en Russie. Au demeurant, cela est confirmé également par l’article de Insider du 13 avril 2022, produit en annexe à la requête, qui se réfère au classement Forbes international de 2022 et mentionne le requérant comme l’« une des personnes les plus influentes de Russie ». L’argument du requérant selon lequel certains hommes d’affaires y sont mentionnés sans pour autant être visés par les mesures restrictives doit être écarté, dès lors qu’une éventuelle pratique divergente du Conseil à cet égard relève de sa marge d’appréciation et ne saurait entraîner, pour les personnes et les entités concernées, une confiance légitime (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 62).

149    De plus, il résulte des éléments du dossier que le requérant était l’un des huit membres du conseil de surveillance (Supervisory Board) de A 1 Investment Holding SA, une structure d’investissement du consortium Alfa Group, d’octobre 2018 au 15 mars 2022.

150    Il ressort enfin des éléments du dossier et des précisions apportées par le requérant lors de l’audience qu’Alfa Group comprend une structure bancaire, ABH Holdings, laquelle détient notamment Alfa Bank, et que le requérant était actionnaire d’ABH Holdings à hauteur de 16,3%.

151    Il s’ensuit que, quand bien même, depuis 2010, le requérant n’occuperait plus de fonctions exécutives dans ABH Holdings ou dans ses filiales, le Conseil n’a pas commis d’erreur d’appréciation en le qualifiant de « grand actionnaire du conglomérat d’Alfa Group », au regard du fait qu’il détenait une participation à hauteur de 16,3 % d’ABH Holdings. S’il est vrai qu’il s’agit d’une participation minoritaire, elle n’en demeure pas moins significative compte tenu du fait que cette société détient à son tour Alfa Bank, qui est la plus grande banque commerciale et d’affaires privée russe.

152    Certes, il ressort de l’attestation du 6 avril 2022 du directeur d’ABH Holdings que le requérant aurait cédé ses parts dans cette société le 14 mars 2022 et qu’il n’aurait plus d’intérêts (ownership interest) dans celle-ci.

153    Toutefois, outre que la valeur probante de cette attestation, qui émane du directeur de la société dont le requérant était actionnaire, doit être relativisée en application de la jurisprudence précitée (voir point 114 ci-dessus), il y a lieu de constater que ladite attestation implique que le requérant était actionnaire d’ABH Holdings jusqu’à la veille de l’adoption des actes initiaux. Ce prétendu changement de situation intervenu la veille de l’adoption des actes initiaux, à le supposer avéré, ne saurait permettre d’écarter la qualité d’homme d’affaires influent du requérant et de constater une erreur d’appréciation du Conseil à cet égard.

154    De plus, au vu du critère g), la notion de « femme et homme d’affaires influents » se réfère à des éléments factuels qui s’inscrivent à la fois dans le passé et dans la durée. Dès lors, le fait que les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses se réfèrent à une situation factuelle qui existait avant l’adoption des actes initiaux et qui aurait très récemment été modifiée n’implique pas nécessairement l’obsolescence des mesures restrictives adoptées à son égard par lesdits actes (voir, par analogie, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 83).

155    Partant, au vu de l’ensemble de ces considérations, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que, à la date d’adoption des actes initiaux, le Conseil a considéré que le requérant remplissait les conditions de l’homme d’affaires influent au sens du critère g).

156    En second lieu, concernant le secteur économique en cause, il y a lieu de relever qu’Alfa Bank, détenue par ABH Holdings, est une banque privée qui, comme l’indique le requérant, exerce une activité régulière en Russie, est la plus grande banque commerciale et d’affaires privée russe et fait partie d’Alfa Group, un grand groupe industriel et financier privé de Russie. À cet égard, il importe de souligner qu’il ressort du critère g) que c’est le secteur économique, et non la personne physique ou morale dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses, qui doit constituer une source substantielle de revenus pour le gouvernement russe. Le secteur économique en cause est, en l’espèce, le secteur bancaire, dont il n’est pas contesté qu’il est une source substantielle de revenus pour le gouvernement russe.

157    En outre, le constat selon lequel Alfa Bank est l’un des plus grands contribuables de Russie repose sur les éléments de preuve concordants produits par le Conseil. En particulier, l’élément de preuve no 1 mentionne Alfa Bank comme une des plus grandes banques privées de Russie et l’élément de preuve no 2 contient la liste des 24 plus gros contribuables russes de 2020, parmi lesquels Alfa Bank.

158    L’argument du requérant contestant la position d’Alfa Bank parmi les 24 plus gros contribuables de Russie doit être écarté. En effet, le requérant conteste le classement évoqué dans ce document, au motif que, sauf publication par les sociétés de leurs états financiers, la qualité de contributeur fiscal ne pourrait être vérifiée et prouvée sans avoir obtenu, de l’autorité fiscale du pays concerné, l’information exacte du rang contributif du contribuable en question. Toutefois, si le requérant conteste le caractère fiable et exact dudit classement, il ne remet pas en cause la qualité de contributeur fiscal important de cette société.

159    Il s’ensuit que le Conseil a établi par des indices suffisamment concrets, précis et concordants qu’Alfa Group, qui comprend Alfa Bank, intervient dans un secteur économique, en l’occurrence le secteur bancaire, fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement russe.

160    Au vu de l’ensemble de ces considérations, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que, à la date d’adoption des actes initiaux, le Conseil a considéré que le requérant remplissait les conditions d’application du critère g).

161    Les autres arguments soulevés par le requérant n’infirment pas ce constat.

162    Premièrement, les éléments exposés par le requérant concernant le fait qu’Alfa Group, non contrôlé par l’État russe et n’en recevant aucun soutien, est resté à l’écart de la politique, utilise les « normes occidentales d’éthique » et occupe une part importante de l’économie ukrainienne ne sont pas pertinents au regard du critère g). Il en va de même de l’affirmation selon laquelle Alfa Bank exerce une activité régulière en Russie sans pour autant soutenir les activités du gouvernement russe contre l’Ukraine. En effet, le critère g) mentionne que le secteur doit être une source substantielle de revenus pour le gouvernement russe, sans poser comme condition l’existence d’un lien entre cette source de revenus et les actions dudit gouvernement en Ukraine ou la preuve d’une intention de soutenir ces actions. Au demeurant, ainsi que le requérant l’a admis lors de l’audience, Alfa Bank figure sur les listes européennes de mesures restrictives depuis le 25 février 2022 [voir annexe V de la décision (PESC) 2022/327 du Conseil, du 25 février 2022, modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Fédération de Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 48, p. 1)].

163    Deuxièmement, le requérant soutient que l’inscription de son nom sur les listes litigieuses est une erreur au regard de la politique multilatérale de sanctions. Toutefois, les arguments du requérant concernant le fait que son nom n’est pas inscrit sur les listes de sanctions ukrainiennes ou des États-Unis ne sauraient être déterminants pour interpréter les critères de désignation propres à l’ordre juridique de l’Union. De même, les termes d’une disposition du droit de l’Union doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de cette disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2020, Pantochim, C‑19/19, EU:C:2020:456, point 37 et jurisprudence citée). Dès lors, la définition d’oligarque en droit ukrainien n’est pas pertinente pour interpréter le critère g), qui est indépendant de l’implication personnelle du requérant dans la guerre ou de l’existence de liens directs ou étroits ou d’une relation d’interdépendance avec le régime politique concerné.

164    [Confidentiel].

165    Il résulte de tout ce qui précède que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a considéré, dans les actes initiaux, que le requérant remplissait les conditions du critère g).

–       Sur le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses

166    Le requérant soutient, dans le mémoire en adaptation, qu’il a soumis au Conseil des éléments qui n’ont pas été pris en compte, tels que le fait qu’il n’est qu’un actionnaire minoritaire, qu’il n’exerce aucune influence sur les opérations ou la stratégie de la banque et qu’il n’est donc pas un homme d’affaires actif dans le secteur concerné. Il invoque également l’inefficacité des mesures, l’absence de bilan ou d’évaluation de ces mesures et la prise en compte du seul contexte existant en septembre 2022 sans égard pour sa situation individuelle.

167    Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique, conteste cette argumentation.

168    Il importe de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 55 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 67).

169    Pour justifier le maintien du nom d’une personne sur la liste en cause, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la personne concernée sur cette liste, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 99). Ledit contexte inclut non seulement la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi, mais également la situation particulière de la personne concernée [arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78 ; voir, également, arrêt du 9 juin 2021, Borborudi/Conseil, T‑580/19, EU:T:2021:330, point 60 (non publié) et jurisprudence citée,]. De même, le maintien sur la liste litigieuse est justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’auraient pas été atteints (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 83 et 84 ; du 27 avril 2022, Boshab/Conseil, T‑103/21, non publié, EU:T:2022:248, point 121, et du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 56).

170    En l’espèce, il résulte de l’article 6 de la décision 2014/145 telle que modifiée que cette décision fait l’objet d’un suivi constant et est prorogée, ou modifiée le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints. L’article 14, paragraphe 4, du règlement no 269/2014 tel que modifié prévoit quant à lui la révision à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois de la liste figurant à son annexe.

171    Dans le cadre des actes de maintien, il y a lieu de constater que les motifs d’inscription sont demeurés les mêmes que dans les actes initiaux.

172    Il convient donc, en application de la jurisprudence précitée (point 169 ci-dessus), de vérifier si le contexte, les objectifs et la situation individuelle du requérant permettaient de maintenir l’inscription de son nom sur la base de motifs inchangés.

173    S’agissant du contexte général lié à la situation de l’Ukraine, force est de constater que, à la date d’adoption des actes de maintien de l’inscription du nom du requérant, la gravité de la situation en Ukraine demeurait.

174    De même, les mesures restrictives sont toujours justifiées au regard de l’objectif poursuivi, à savoir exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays, et accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.

175    S’agissant de la situation individuelle du requérant, il y a lieu de constater que les courriers du requérant, notamment son courrier du 30 mai 2022 et sa demande de réexamen du 1er novembre 2022, se réfèrent à des arguments déjà évoqués dans le cadre des observations concernant les actes initiaux. En particulier, le requérant y souligne [confidentiel] que seule Alfa Bank est contribuable russe et qu’il n’est qu’un actionnaire minoritaire d’Alfa Bank sans fonction dirigeante.

176    Dès lors, les éléments avancés par le requérant dans ses documents adressés au Conseil en vue du réexamen des mesures restrictives ont pu, à juste titre, être considérés par le Conseil comme n’étant ni nouveaux ni décisifs par rapport aux échanges effectués dans le cadre de la présente affaire concernant les actes initiaux.

177    Il s’ensuit que, au vu de ces éléments, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a constaté l’absence de changement dans la situation individuelle du requérant et s’est fondé sur les mêmes éléments pour maintenir l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

178    L’argument du requérant tiré de l’absence de toute imputabilité à son égard de la décision de poursuivre l’invasion de l’Ukraine, soulevé dans le mémoire en adaptation, doit être écarté, dès lors que le critère g) ne mentionne pas une telle condition.

179    De même, les autres arguments du requérant, concernant l’absence de bilan ou d’évaluation de ces mesures et l’inefficacité des mesures, doivent être écartés. En effet, ils ne sont pas de nature à démontrer une erreur d’appréciation dans l’évaluation de sa situation individuelle au regard du critère applicable.

180    Enfin, s’agissant de l’argument du requérant tiré de la cession de ses parts dans ABH Holdings, il convient de rappeler qu’il y a lieu de considérer que ladite cession n’a pas été démontrée par des éléments suffisamment convaincants dans le cadre de la procédure devant le Tribunal. En effet, comme il est rappelé au point 114 ci-dessus, pour apprécier la valeur probante d’un document, il convient de tenir compte, notamment, de l’origine de celui-ci, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire et de se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable.

181    En l’espèce, l’attestation produite en annexe à la réplique, du 19 août 2022, émane du directeur d’ABH Holdings et indique que, le 14 mars 2022, le requérant a cédé ses parts dans cette société à un tiers et qu’il n’a plus d’intérêts (ownership interest) dans ladite société.

182    Or, force est de constater que cette attestation est produite sans autre document officiel à l’appui et sans précision, notamment, quant au cessionnaire des parts du requérant ou quant aux modalités de la cession desdites parts. Au surplus, dans le cadre de la demande de réexamen adressée au Conseil le 1er novembre 2022, comme dans le cadre de ses écritures devant le Tribunal, le requérant a continué de mentionner sa qualité d’« associé minoritaire » ou d’« actionnaire minoritaire d’Alfa Bank ».

183    Dans les circonstances de l’espèce, il convient de considérer que, en l’absence de preuve de la cession des parts, alléguée par le requérant, à une tierce personne qui ne lui serait pas liée, c’est à juste titre que le Conseil a estimé que la situation individuelle du requérant n’avait pas évolué d’une manière telle que les éléments du dossier de preuves dans le cadre de l’inscription initiale de son nom sur les listes litigieuses seraient devenus obsolètes.

184    Dès lors, compte tenu de la gravité de la situation en Ukraine qui demeure, du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives n’ont pas été atteints et de l’absence d’éléments probants attestant que la situation individuelle du requérant avait changé, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a maintenu les mesures restrictives en cause.

185    Au vu de tout ce qui précède, il convient de considérer que le motif d’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, fondé sur le statut d’homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe, correspondant au critère g), est suffisamment étayé, de sorte que, au regard de celui-ci, l’inscription et le maintien de son nom sur les listes litigieuses, résultant des actes initiaux et des actes de maintien, sont bien fondés.

186    Or, selon la jurisprudence, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, et eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, le fait que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).

187    Dès lors, il y a lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs soulevés par le requérant et visant à remettre en cause l’appréciation du Conseil au regard du critère d), de rejeter le quatrième moyen, en ce qui concerne tant les actes initiaux que les actes de maintien, comme non fondé.

 Sur les moyens tirés d’une violation du principe de proportionnalité et d’une violation du droit de propriété, de la liberté d’entreprendre et du droit d’exercer une profession

188    Le requérant soutient que les actes attaqués sont disproportionnés dans la mesure où ils l’empêchent d’exercer une activité professionnelle. Les mesures restrictives dont il fait l’objet constitueraient également une violation disproportionnée de son droit de propriété, de sa liberté d’entreprise et de son droit d’exercer une profession, d’autant plus que les preuves sur lesquelles le Conseil s’est fondé seraient manifestement insuffisantes.

189    Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique, conteste cette argumentation.

190    Il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qui est repris à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient de nature à permettre que soient atteints les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs (arrêts du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays-Bas/Al-Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, point 122, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 133).

191    En outre, le droit de propriété fait partie des principes généraux de droit de l’Union et se trouve consacré à l’article 17 de la charte des droits fondamentaux. De même, aux termes de l’article 16 de ladite charte, « [l]a liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales ».

192    En l’espèce, il y a lieu de relever que les mesures restrictives que comportent les actes attaqués entraînent des limitations dans l’exercice par le requérant de son droit de propriété et de son droit à la liberté d’entreprise.

193    Toutefois, les droits fondamentaux invoqués par le requérant ne constituent pas des prérogatives absolues et leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par les objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union, à condition que de telles restrictions répondent effectivement auxdits objectifs d’intérêt général et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même des droits ainsi garantis (arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 148, et du 25 juin 2020, VTB Bank/Conseil, C‑729/18 P, non publié, EU:C:2020:499, point 80).

194    Pour être conforme au droit de l’Union, une atteinte aux droits fondamentaux en cause doit être prévue par la loi, respecter le contenu essentiel de ladite liberté, viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union, et ne pas être disproportionnée (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 222 et jurisprudence citée).

195    Or, force est de constater que ces quatre conditions sont remplies en l’espèce.

196    En premier lieu, les mesures restrictives en cause sont « prévues par la loi », puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union ainsi que d’une prévisibilité suffisante, ce qui n’est pas contesté par le requérant.

197    En deuxième lieu, les actes attaqués s’appliquent pour six mois et font l’objet d’un suivi constant, comme cela est prévu à l’article 6 de la décision 2014/145. Dès lors que lesdites mesures sont temporaires et réversibles, il y a lieu de considérer qu’elles ne portent pas atteinte au contenu essentiel des libertés invoquées. En outre, les actes attaqués prévoient la possibilité d’accorder des dérogations aux mesures restrictives appliquées. En particulier, concernant les gels de fonds, l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 telle que modifiée et l’article 4, paragraphe 1, l’article 5, paragraphe 1, et l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 269/2014 tel que modifié prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou pour satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

198    En troisième lieu, les mesures restrictives en cause répondent à un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union, de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150). En effet, elles visent à exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. À cet égard, en février 2022, le Conseil a souhaité affaiblir stratégiquement l’économie russe, d’une part, en interdisant notamment le financement de la Fédération de Russie, de son gouvernement et de sa banque centrale et, d’autre part, en appliquant de telles mesures notamment dans le domaine de la finance, de la défense, et de l’énergie. Il ressort, en outre, du considérant 11 de la décision 2022/329 que le Conseil a estimé que, eu égard à la gravité de la situation en Ukraine, il convenait de modifier les critères de désignation. Dès lors, il apparaît que l’Union cherche à réduire les revenus de l’État russe et à mettre la pression sur le gouvernement russe, afin de diminuer sa capacité à financer les actions de celui-ci compromettant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et d’y mettre fin en vue de la préservation de la stabilité européenne et mondiale. Or, il s’agit là d’un objectif qui relève de ceux poursuivis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune et visés à l’article 21, paragraphe 2, sous b) et c), TUE, tels que la préservation de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale.

199    En quatrième lieu, s’agissant du caractère approprié des mesures restrictives en cause, il convient de relever que, au regard d’objectifs d’intérêt général aussi fondamentaux pour la communauté internationale que ceux mentionnés au point 198 ci-dessus, celles-ci ne sauraient, en tant que telles, passer pour inadéquates (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 2 décembre 2020, Kalai/Conseil, T‑178/19, non publié, EU:T:2020:580, point 171 et jurisprudence citée).

200    En outre, en ce qui concerne leur caractère nécessaire, d’autres mesures moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable, ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir l’exercice d’une pression sur les soutiens du gouvernement russe ou sur les femmes ou hommes d’affaires influents, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 2 décembre 2020, Kalai/Conseil, T‑178/19, non publié, EU:T:2020:580, point 172 et jurisprudence citée). De plus, comme il est indiqué précédemment, il s’agit de restrictions temporaires et réversibles et qui prévoient des possibilités de dérogations accordées par les États membres.

201    En ce qui concerne le préjudice causé au requérant, il est vrai que le droit de propriété de celui-ci est restreint par les actes attaqués, dès lors qu’il ne peut notamment pas disposer des fonds lui appartenant qui sont situés sur le territoire de l’Union ou transférer des fonds lui appartenant vers l’Union, sauf en vertu d’une autorisation particulière.

202    Toutefois, les inconvénients causés au requérant ne sont pas démesurés par rapport à l’importance de l’objectif poursuivi par les actes attaqués. En effet, ces actes prévoient de réviser l’inscription sur les listes litigieuses périodiquement en vue d’assurer que les noms des personnes et des entités ne répondant plus aux critères pour figurer sur ces listes soient radiés. En outre, comme il est rappelé au point 197 ci-dessus, les actes attaqués prévoient la possibilité d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques. À cet égard, il incombe aux autorités nationales d’apprécier, conformément au principe de proportionnalité, l’opportunité et la portée des autorisations et des dérogations nécessaires et de s’assurer de leur mise en œuvre au niveau national.

203    Enfin, l’argument du requérant concernant l’insuffisance des preuves du bien-fondé des mesures restrictives en cause relève de l’appréciation au fond de celles-ci et non de leur proportionnalité.

204    Il résulte de ce qui précède que les actes attaqués n’ont pas enfreint le principe de proportionnalité et n’ont pas porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété, à la liberté d’entreprise ni au droit d’exercer une profession du requérant.

205    Au vu des considérations qui précèdent, il convient de rejeter les moyens tirés d’une violation du principe de proportionnalité et d’une violation du droit de propriété, de la liberté d’entreprendre et du droit d’exercer une profession.

 Sur le moyen, soulevé dans le cadre de l’adaptation de la requête, tiré de l’existence d’un détournement de pouvoir

206    Le requérant soutient que, en incluant son nom dans les listes litigieuses, le Conseil le tient pour responsable, entre autres, de la situation en Ukraine, alors qu’il n’y a aucun lien direct ou indirect entre lui et la déstabilisation de ce pays. En prenant des mesures restrictives dont l’objectif ne peut être la préservation de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine, puisqu’elles sont totalement déconnectées de ceux qui sont réellement responsables de la déstabilisation de l’Ukraine et sans aucun lien direct ou indirect avec cette situation, le Conseil aurait modifié l’objectif poursuivi initialement, sans en tirer les conséquences nécessaires en vue du maintien des mesures restrictives individuelles. Il aurait commis, ce faisant, un détournement de pouvoir, constitué par une substitution d’objectif sans bilan préalable justifiant le maintien des mesures restrictives à l’égard du requérant.

207    Le Conseil, soutenu par le Royaume de Belgique, conteste cette argumentation.

208    Selon une jurisprudence constante, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 135, et du 25 juin 2020, Vnesheconombank/Conseil, C‑731/18 P, non publié, EU:C:2020:500, point 63).

209    Or, il suffit de relever que le requérant n’a pas fourni de tels indices en l’espèce. Comme le souligne le Conseil, l’objectif poursuivi, à savoir exercer sur la Fédération de Russie une pression maximale afin qu’elle mette un terme à la guerre en Ukraine, n’a aucunement été modifié.

210    Dès lors, il convient de rejeter le moyen tiré de l’existence d’un détournement de pouvoir et, par voie de conséquence, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

211    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

212    Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, le Royaume de Belgique supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      OT supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne, y compris ceux afférents à la procédure de référé.

3)      Le Royaume de Belgique supportera ses propres dépens.

Spielmann

Mastroianni

Brkan

Gâlea

 

      Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 novembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.


1 Données confidentielles occultées.