Language of document : ECLI:EU:T:2022:590

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

28 septembre 2022 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Libye – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑627/20,

Libyan African Investment Company (LAICO), établie à Tripoli (Libye), représentée par Mes A. Bahrami et N. Korogiannakis, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme M.-C. Cadilhac et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé, lors des délibérations, de MM. D. Spielmann (rapporteur), président, U. Öberg et R. Mastroianni, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure

et à la suite de l’audience du 26 janvier 2022,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Libyan African Investment Company (LAICO), demande l’annulation, d’une part, de la décision d’exécution (PESC) 2020/1137 du Conseil, du 30 juillet 2020, mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2020, L 247, p. 40), et de la décision (PESC) 2021/1251 du Conseil, du 29 juillet 2021, modifiant la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2021, L 272, p. 71), en tant qu’elles maintiennent son nom sur la liste d’entités figurant à l’annexe IV de la décision (PESC) 2015/1333 du Conseil, du 31 juillet 2015, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant la décision 2011/137/PESC (JO 2015, L 206, p. 34), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2020/1130 du Conseil, du 30 juillet 2020, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2020, L 247, p. 14), et du règlement d’exécution (UE) 2021/1241 du Conseil, du 29 juillet 2021, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) no 204/2011 (JO 2021, L 272, p. 1), en tant qu’ils maintiennent son nom sur la liste d’entités figurant à l’annexe III du règlement (UE) 2016/44 du Conseil, du 18 janvier 2016, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) no 204/2011 (JO 2016, L 12, p. 1).

2        La requérante a été établie en 1990 en vertu de la résolution no 660/1990 du gouvernement libyen. Cette association anonyme libyenne, initialement dénommée Libyan Arab African Investment Company (ci-après « LAAICO »), est immatriculée au registre du commerce de Tripoli (Libye). Un nouvel enregistrement a eu lieu dans le registre du commerce général à la suite de la décision no 87 du conseil présidentiel du gouvernement d’entente nationale pour l’année 2016, puis à la suite de la décision du ministre de l’Économie et de l’Industrie no 396 pour l’année 2018 concernant la fusion des bureaux de registres du commerce.

3        Il ressort de l’attestation de l’inscription de la requérante au registre du commerce que celle-ci investit des fonds libyens dans des pays africains, dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie, des mines, de la pêche, du transport maritime, du commerce, des investissements à multiples finalités et des investissements financiers. Au fil des ans, la requérante s’est spécialisée exclusivement dans les secteurs de l’hôtellerie et de l’immobilier en Afrique, ainsi que dans des investissements à d’autres sociétés sous holding à finalités multiples. Ses investissements incluent actuellement des hôtels en Zambie, Gambie, Guinée-Bissau, au Burkina Faso, en Tanzanie, au Bénin, en Ouganda, à Madagascar, au Liberia, au Tchad, au Kenya, en Afrique du Sud, au Mali, en Tunisie, au Niger, dans la République du Congo et au Ghana.

4        Le 11 décembre 2006, les parts de capital de la requérante ont été transférées au Libya Africa Investment Portfolio (ci‑après le « LAIP »), un fonds d’investissement établi en 2006 par la résolution no 15 du Comité populaire général. Le LAIP est, à son tour, détenu par la Libyan Investment Authority (ci-après, la « LIA »), une société holding dirigée par l’État libyen, dont le siège est établi à Tripoli.

5        Le 26 février 2011, le Conseil de sécurité des Nations unies (ci-après le « CSNU ») a adopté la résolution 1970 (2011), qui instaure des mesures restrictives à l’encontre de la Libye et des personnes et entités ayant participé à la commission de violations graves des droits de l’homme contre des personnes, y compris à des attaques, en violation du droit international, contre des populations ou des installations civiles.

6        La requérante ne faisait pas partie des personnes visées par la résolution 1970 (2011) du CSNU.

7        Les 28 février et 2 mars 2011, le Conseil de l’Union européenne a adopté, respectivement, la décision 2011/137/PESC (JO 2011, L 58, p. 53), et le règlement (UE) no 204/2011 (JO 2011, L 58, p. 1), tous deux concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux de 2011 »).

8        L’article 5, paragraphe 1, sous b), de la décision 2011/137 prévoyait que les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes, non visées à l’annexe I de ladite décision, qui ordonnent, contrôlent ou dirigent de toute autre manière les violations graves des droits de l’homme contre des personnes se trouvant en Libye, ou qui en sont complices, y compris en planifiant, commandant, ordonnant ou conduisant des attaques, en violation du droit international, y compris des bombardements aériens, contre des populations ou des installations civiles, ou en étant complices, ou qui agissent au nom ou sur les instructions de ces personnes, dont le nom figure à l’annexe II de cette décision.

9        L’article 6, paragraphe 1, sous b), de la décision 2011/137 et l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 204/2011, lus en combinaison avec l’article 6, paragraphe 2, de ce dernier, disposaient, en substance, que les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques appartenant à, en possession de, détenus ou sous le contrôle direct ou indirect des personnes et des entités ne relevant pas de l’annexe III de ladite décision ou de l’annexe II dudit règlement, qui ordonnent, contrôlent ou dirigent de toute autre manière les violations graves des droits de l’homme contre des personnes se trouvant en Libye, ou qui en sont complices, y compris en préparant, commandant, ordonnant ou conduisant des attaques, en violation du droit international, y compris des bombardements aériens, contre des populations ou des installations civiles, ou en étant complices, ou des individus ou entités agissant en leur nom ou sur leurs instructions, ou d’entités se trouvant en leur possession ou sous leur contrôle, visés à l’annexe IV de cette décision et à l’annexe III de ce règlement, sont gelés.

10      La requérante ne figurait pas sur les listes annexées aux actes initiaux de 2011.

11      Le 21 mars 2011, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2011/175/PESC mettant en œuvre la décision 2011/137 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 76, p. 95), et le règlement d’exécution no 272/2011 mettant en œuvre l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 76, p. 32) (ci-après, pris ensemble, les « actes d’inscription de 2011 »), par lesquels il a inscrit des nouvelles personnes et des nouvelles entités sur les listes de celles qui devaient faire l’objet de mesures restrictives. Il s’agissait, notamment, de LAAICO, inscrite sur les listes figurant à l’annexe II de cette décision d’exécution et à l’annexe de ce règlement d’exécution, avec les informations d’identification et la motivation suivantes :

« Libyan Arab African Investment Company – LAAICO. Sous le contrôle du régime de Mouammar Kadhafi et source potentielle de financement pour ce dernier. »

12      Le 12 avril 2011, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) no 360/2011 mettant en œuvre l’article 16, paragraphes 1 et 2, du règlement no 204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2011, L 100, p. 12), en vertu duquel le nom de LAAICO a été maintenu sur la liste figurant à l’annexe III dudit règlement.

13      Le 11 juillet 2011, la requérante a, avec d’autres entités juridiques libyennes, saisi le Tribunal d’une demande d’annulation du règlement no 204/2011 et du règlement d’exécution no 360/2011, pour autant qu’ils la concernaient. Par ordonnance du 22 septembre 2011, Libyan Investment Authority e.a./Conseil (T‑374/11, non publiée, EU:T:2011:520), le Tribunal a rejeté le recours de la requérante comme étant manifestement irrecevable.

14      Le 27 mars 2015, le CSNU a adopté la résolution 2213 (2015) qui a apporté, notamment, certaines modifications aux critères d’inscription sur les listes. En vue de la mise en œuvre de cette résolution, le 26 mai 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/818 modifiant la décision 2011/137 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2015, L 129, p. 13), et le règlement (UE) 2015/813 modifiant le règlement no 204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2015, L 129, p. 1).

15      Par la suite, le Conseil a procédé à un réexamen complet des listes de noms des personnes et des entités figurant aux annexes des actes initiaux et d’inscription de 2011.

16      Ce réexamen s’est clôturé par l’adoption, le 31 juillet 2015, de la décision 2015/1333, et, le 18 janvier 2016, du règlement 2016/44 (ci-après, pris ensemble, les « actes d’inscription subséquents »).

17      Le considérant 3 de la décision 2015/1333 énonce ce qui suit :

« Le 26 mai 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/818 modifiant la décision 2011/137/PESC en tenant compte du fait que la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ainsi que la réussite de la transition politique du pays continuent d’être mises en danger, notamment par l’exacerbation des divisions actuelles, par des personnes et entités identifiées comme ayant participé aux politiques répressives menées par l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, ou autrefois associées d’une autre manière à ce régime, ainsi que par le fait que la plupart de ces personnes ou entités n’ont pas répondu de leurs actes. Ladite décision prend également en considération le fait que les personnes et entités qui possèdent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés sous l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, susceptibles d’être utilisés pour mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique, constituent une menace. »

18      L’article 9, paragraphe 2, de la décision 2015/1333 dispose ce qui suit :

« Sont gelés tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques qui sont en la possession ou sous le contrôle, direct ou indirect, des personnes et entités :

a)      qui ordonnent, contrôlent ou dirigent de toute autre manière la commission de violations graves des droits de l’homme contre des personnes se trouvant en Libye, ou qui en sont complices, y compris en préparant, commandant, ordonnant ou conduisant des attaques, en violation du droit international, y compris des bombardements aériens, contre des populations ou des installations civiles ou en étant complices, ou des autorités libyennes ou des personnes et entités qui ont enfreint ou ont aidé à enfreindre les dispositions de la résolution 1970 (2011) du [CSNU] ou de la présente décision, ou des personnes ou entités agissant pour leur compte, en leur nom ou sous leurs ordres, ou d’entités qui sont en leur possession ou sous leur contrôle, ou en la possession ou sous le contrôle des personnes et entités figurant à l’annexe III de la présente décision ;

b)      qui sont identifiées comme ayant participé aux politiques répressives de l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, ou ayant été autrefois associées d’une autre manière à ce régime, et qui continuent de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays ;

c)      qui se livrent ou apportent un appui à des actes qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou qui entravent ou compromettent la réussite de sa transition politique, y compris en :

i)      préparant, donnant l’ordre de commettre ou commettant des actes qui violent le droit international des droits de l’homme ou le droit international humanitaire, ou qui constituent des atteintes aux droits de l’homme, en Libye ;

ii)      perpétrant des attaques contre un aéroport, une gare ou un port en Libye, ou contre une institution ou une installation publique libyenne, ou contre toute mission étrangère en Libye ;

iii)      fournissant un appui à des groupes armés ou des réseaux criminels par l’exploitation illégale de pétrole brut ou de toute autre ressource naturelle en Libye ;

iv)      menaçant ou contraignant les institutions financières libyennes et la Libyan National Oil Company (Compagnie pétrolière nationale libyenne), ou commettant tout acte susceptible d’entraîner le détournement de fonds publics libyens ;

v)      violant ou aidant à contourner les dispositions de l’embargo sur les armes imposé par la résolution 1970 (2011) du [CSNU] à l’égard de la Libye et par l’article 1er de la présente décision ;

vi)      agissant pour le compte, au nom ou sur les instructions de personnes ou d’entités inscrites sur la liste ;

d)      qui possèdent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés sous l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, susceptibles d’être utilisés pour mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique,

dont le nom figure à l’annexe IV. »

19      L’article 5, paragraphe 1, du règlement 2016/44 dispose que « [t]ous les fonds et ressources économiques appartenant à, en possession de, détenus ou contrôlés par les personnes physiques ou morales, entités ou organismes énumérés aux annexes II et III dudit règlement sont gelés ».

20      Selon l’article 6, paragraphe 2, du règlement 2016/44 :

« L’annexe III comprend les personnes physiques ou morales, les entités et les organismes non visés par l’annexe II qui :

a)      sont impliqués dans de graves atteintes aux droits de l’homme en Libye ou complices de ces atteintes en ayant ordonné, contrôlé ou dirigé celles-ci, notamment en étant impliqués ou complices d’attaques, y compris les bombardements aériens, qu’ils auraient planifiées, commandées, ordonnées ou menées en violation du droit international sur des populations ou installations civiles ;

b)      ont violé les dispositions des résolutions du [CSNU] 1970 (2011) ou 1973 (2011) ou du présent règlement, ou ont aidé à la violation de ces dispositions ;

c)      ont été identifiés comme ayant participé aux politiques répressives de l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, ou comme ayant été autrefois associés d’une autre manière à ce régime, et continuent de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays ;

d)      se livrent ou apportent un appui à des actes qui mettent en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou qui entravent ou compromettent la réussite de la transition politique du pays, notamment :

i)      en préparant, en donnant l’ordre de commettre ou en commettant en Libye des actes qui violent le droit international des droits de l’homme ou le droit international humanitaire applicable, ou des actes qui constituent des atteintes aux droits de l’homme en Libye ;

ii)      en perpétrant des attaques contre les aéroports, les gares ou les ports en Libye, ou contre une institution ou une installation publique libyenne, ou contre toute mission étrangère en Libye ;

iii)      en fournissant un appui à des groupes armés ou à des réseaux criminels par l’exploitation illicite de pétrole brut ou de toute autre ressource naturelle en Libye ;

iv)      en menaçant ou en contraignant les institutions financières publiques libyennes et la Compagnie pétrolière nationale libyenne ou en commettant tout acte susceptible d’entraîner le détournement de fonds publics libyens ;

v)      en violant les dispositions de l’embargo sur les armes imposé par la [résolution du CSNU] 1970 (2011) et l’article 1er du présent règlement à l’égard de la Libye ou en aidant à les contourner ;

vi)      en agissant pour le compte, au nom ou sur les ordres de toutes personnes, entités ou organismes visés ci-dessus, ou en étant détenus ou contrôlés par eux ou par des personnes, entités ou organismes énumérés à l’annexe II ou à III ; ou

e)      détiennent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés à l’époque de l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye susceptibles d’être utilisés pour menacer la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de la transition politique du pays. »

21      Le nom de la requérante a été inscrit sur les listes figurant à l’annexe IV de la décision 2015/1333 et à l’annexe III du règlement 2016/44 (ci-après les « listes litigieuses »).

22      Dans la liste figurant à l’annexe IV de la décision 2015/1333, intitulée « Liste des personnes et entités visées à l’article 9, paragraphe 2 », le nom de la requérante a été inscrit avec les informations d’identification et la motivation suivantes :

« Libyan Arab African Investment Company – LAAICO (alias LAICO). Étroitement associée à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi. »

23      Dans la liste figurant à l’annexe III du règlement 2016/44, intitulée « Liste des personnes physiques et morales, entités ou organismes visés à l’article 6, paragraphe 2 », le nom de la requérante a été inscrit avec les informations d’identification et la motivation suivantes :

« Libyan Arab African Investment Company – LAAICO. Placée sous le contrôle du régime de Mouammar Qadhafi et source potentielle de financement pour ce dernier. »

24      À la suite de l’adoption, le 31 juillet 2015, de la décision 2015/1333 et du règlement d’exécution 2015/1323 du Conseil mettant en œuvre l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 204/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2015, L 206, p. 4), l’inscription du nom de la requérante sur la liste des entités faisant l’objet des mesures restrictives susmentionnées a été confirmée, assortie d’un exposé des motifs inchangé, par les actes ultérieurs du Conseil adoptés en 2016, en 2017 et en 2018.

25      Par courrier du 29 octobre 2018, la requérante a sollicité auprès du Conseil le retrait de son nom des listes litigieuses. Dans ce courrier, elle faisait valoir que les conditions nécessaires à l’application desdites mesures restrictives n’étaient plus réunies. Elle relevait que, en 2013, son conseil d’administration avait été presque entièrement remplacé et que le motif pour le maintien de l’inscription de son nom sur lesdites listes était tant inexact qu’insuffisant. Elle faisait également valoir que la radiation de son nom de ces listes était justifiée, dès lors que les mesures restrictives qui lui étaient imposées constituaient une grave menace économique pour le peuple libyen ainsi que pour ses employés et filiales.

26      Par courrier du 10 décembre 2018, le Conseil a refusé de lever les mesures restrictives imposées à la requérante. En particulier, il a relevé que les informations et documents transmis ne pouvaient pas remettre en question sa position, selon laquelle cette dernière devait rester soumise à des mesures restrictives. À cet égard, il a affirmé que le nom de la requérante avait été inscrit sur la liste figurant en annexe IV de la décision 2015/1333, parce qu’elle était étroitement associée à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi. Il a affirmé que les personnes et entités identifiées comme ayant participé aux politiques répressives menées par ledit régime, ou autrefois associées d’une autre manière à celui-ci, continuaient de faire peser une menace sur la paix, la stabilité ou la sécurité de la Libye et sur la réussite de sa transition politique, ce qui justifiait le maintien du nom de la requérante sur ladite liste. Enfin, il a considéré que l’affirmation de la requérante selon laquelle les activités de celle-ci contribuaient à préserver les ressources pour le bénéfice global des ressortissants libyens, ne remettait pas en question cette appréciation.

27      Le 9 janvier 2019, en vertu du rectificatif au règlement 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) no 204/2011 (JO 2019, L 6, p. 10), l’exposé des motifs concernant la requérante a été aligné sur celui qui figurait à l’annexe IV de la décision 2015/1333, pour être ainsi libellé comme suit :

« Étroitement associée à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi ».

28      Par courrier du 15 mai 2019, la requérante a de nouveau demandé au Conseil de retirer son nom des listes litigieuses. Elle lui a soumis des documents établissant la modification de la composition de son conseil d’administration. Elle a également fait valoir qu’elle se trouvait entièrement sous le contrôle du nouveau gouvernement d’entente nationale et qu’elle ne constituait aucune menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ainsi que pour une transition politique réussie.

29      Par courrier du 31 juillet 2019, le Conseil a rejeté cette demande. Il a notamment relevé que l’appréciation faite lors de l’adoption de la décision 2015/1333, selon laquelle des entités à l’instar de la requérante qui étaient autrefois associées au régime de Mouammar Qadhafi continuaient à poser une menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye et l’accomplissement de la transition politique du pays, était toujours valable. Il a également affirmé que les observations de la requérante ne pouvaient infirmer cette appréciation, dès lors que celle-ci était identifiée comme une entité ayant autrefois été associée audit régime et remplissait donc le motif d’inscription énoncé à l’article 9, paragraphe 2, sous b), de ladite décision.

30      Par ailleurs, le 31 juillet 2019, le Conseil a adopté la décision d’exécution (PESC) 2019/1299 mettant en œuvre la décision 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2019, L 204, p. 44), ainsi que le règlement d’exécution (UE) 2019/1292, du 31 juillet 2019, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye (JO 2019, L 204, p. 1), actes par lesquels le nom de la requérante a été maintenu sur les listes litigieuses, sans que le motif de sa désignation ait été modifié par rapport aux actes d’inscription précédents.

31      Le 30 juillet 2020, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2020/1137, ainsi que le règlement d’exécution 2020/1130 (ci-après, pris ensemble, les « actes de 2020 »), actes par lesquels le nom de la requérante a été maintenu sur les listes litigieuses, sans que le motif de sa désignation ait été modifié par rapport aux actes d’inscription précédents.

32      Par courrier du 31 juillet 2020, le Conseil a informé la requérante du maintien des mesures restrictives à son égard. Il a également indiqué le délai pour présenter des observations avant la prise de décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur les listes litigieuses.

33      Le 29 juillet 2021, le Conseil a adopté la décision 2021/1251 ainsi que le règlement d’exécution 2021/1241 (ci-après, pris ensemble, les « actes de 2021 »), actes par lesquels le nom de la requérante a été maintenu sur les listes litigieuses, sans que le motif de sa désignation ait été modifié par rapport aux actes d’inscription précédents.

 Conclusions des parties

34      À la suite de l’adaptation de la requête, la requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes de 2020 et les actes de 2021 (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués », dans la mesure où son nom a été maintenu sur les listes litigieuses ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

35      À la suite des observations relatives au mémoire en adaptation, le Conseil conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours, à la suite de l’adaptation de la requête, comme étant irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant non fondé ;

–        à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où les actes attaqués seraient annulés en ce qui concerne la requérante, ordonner que les effets de la décision 2021/1251 soient maintenus à son égard jusqu’à la date de prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/1241 ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

36      À l’appui du recours, la requérante se prévaut de six moyens, tirés, le premier, de la violation de la décision 2015/1333 et du règlement 2016/44, le deuxième, de la violation de l’obligation pesant au Conseil de réexaminer les mesures restrictives imposées, le troisième, des « erreurs manifestes d’appréciation » commises lors du maintien de son nom sur les listes litigieuses, le quatrième, de la violation du principe d’égalité, le cinquième, de la violation du principe de proportionnalité et, le sixième, de la violation de l’obligation de motivation et du droit à un recours effectif.

37      Dans les observations sur le mémoire en adaptation, réitérées lors de l’audience en réponse à une question du Tribunal, le Conseil fait valoir que, à la suite de l’adaptation de la requête, le présent recours ne vise plus les actes de 2020. Il estime que la requérante s’est désisté de fait de sa demande d’annulation de ces actes et que le présent recours doit être rejeté comme étant irrecevable, dès lors que les actes qui faisaient initialement l’objet du recours ne sont plus attaqués. À titre subsidiaire, il allègue que, par ladite adaptation, la requérante réitère en substance les moyens déjà soulevés dans son recours. Il se réfère à ses écritures et conclut que, à la suite de cette adaptation, le recours doit être rejeté comme étant non fondé, à l’instar de la « demande initiale ».

 Sur la recevabilité du recours et du mémoire adaptant la requête

38      Il ressort de l’article 86, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure du Tribunal que, lorsqu’un acte dont l’annulation est demandée est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, le requérant peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau. L’adaptation de la requête doit être effectuée par acte séparé et dans le délai, prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, dans lequel l’annulation de l’acte justifiant l’adaptation de la requête peut être demandée.

39      À cet égard, il convient de rappeler qu’il serait injuste que l’institution en cause puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête présentée au juge de l’Union contre un acte, adapter l’acte attaqué ou lui en substituer un autre et se prévaloir, en cours d’instance, de cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux à l’acte ultérieur ou de présenter des conclusions et moyens supplémentaires contre celui-ci (voir, par analogie, arrêt du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, EU:T:2008:461, point 46 et jurisprudence citée).

40      En l’espèce, l’adaptation de la requête porte sur des actes, à savoir les actes de 2021, qui remplacent les actes visés par le recours initial, à savoir les actes de 2020. De plus, elle a été introduite avant la clôture de la phase orale de la procédure, et dans le délai prescrit. Le mémoire adaptant la requête est donc recevable.

41      Quant à l’argument du Conseil selon lequel le recours est irrecevable, car la requérante s’est désistée des conclusions en annulation formulées dans la requête en ne visant que l’annulation des actes de 2021 dans l’adaptation de la requête , il doit être rejeté.

42      Il est vrai que, dans l’adaptation de la requête, d’une part, la requérante indique que les actes de 2021 sont « identiques » aux actes de 2020 initialement attaqués et, d’autre part, les nouvelles conclusions figurant dans ladite adaptation ne visent expressément que les actes de 2021. Toutefois, accepter l’approche du Conseil quant au contenu de cette adaptation et rejeter le recours comme irrecevable irait à l’encontre tant de la lettre des dispositions pertinentes du règlement de procédure que du droit d’accès à un tribunal, tel qu’il est garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

43      En particulier, l’article 86, paragraphe 1, du règlement énonce explicitement que le requérant peut adapter la requête « pour tenir compte [du remplacement ou de la modification de l’acte dont l’annulation est demandée par un autre acte ayant le même objet]». L’expression « pour tenir compte » indique que, à travers l’adaptation de la requête, le requérant n’entend pas retirer ses conclusions en annulation initiales, mais bien les remplacer ou les compléter par celles figurant dans ladite adaptation.

44      Par ailleurs, il convient de relever que l’approche du Conseil quant au contenu de l’adaptation de la requête implique de considérer que la requérante s’est implicitement désisté des conclusions en annulation formulées dans la requête. Toutefois, cela ne serait pas conforme à l’article 125 du règlement de procédure, qui énonce que le requérant « fait connaître au Tribunal, par écrit ou à l’audience, qu’il entend renoncer à l’instance ». Cette disposition exige en effet une déclaration explicite en ce sens de la part du requérant. Par conséquent, il ne saurait être considéré en l’espèce que la requérante s’est désisté de l’instance de manière implicite, ainsi qu’il a été suggéré par le Conseil lors de l’audience, mais, au contraire, qu’elle ne l’a pas fait, en ne le faisant pas savoir, de manière explicite, au Tribunal.

45      Au vu de tout ce qui précède, il convient de rejeter les fins de non-recevoir avancées par le Conseil. En effet, il y a lieu de considérer que, par l’adaptation de la requête, la requérante étend, en substance, ses conclusions en annulation aux actes de 2021 afin que ceux-ci soit pris en compte, au sens de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure.

 Sur le fond

46      Tout d’abord, il convient d’examiner ensemble les premier et troisième moyens, en ce que, par ceux-ci, la requérante reproche, notamment, au Conseil, d’une part, la violation de la décision 2015/1333 et du règlement 2016/44 lors de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses et, d’autre part, des « erreurs manifestes d’appréciation » commises lors du maintien de son nom sur lesdites listes , relatives à la base factuelle ayant servi de fondement pour ledit maintien.

47      D’une part, la requérante fait valoir que l’inscription de son nom sur les listes litigieuses n’a pas satisfait aux conditions requises par la décision 2015/1333 et le règlement 2016/44. En particulier, elle allègue, en substance, que cette inscription est dénuée de fondement, car elle ne remplit pas le critère d’inscription énoncé à l’article 9, paragraphe 2, sous a), de ladite décision. Elle affirme n’avoir jamais participé à des violations des droits de l’homme ou à des attaques contre des populations et installations civiles.

48      Par ailleurs, la requérante soutient, en substance, que l’inscription de son nom sur les listes litigieuses est dénuée de fondement, car elle ne remplit pas non plus le critère d’inscription énoncé à l’article 9, paragraphe 2, sous d), de la décision 2015/1333. Elle allègue que les fonds gelés lui appartenant ou appartenant à ses filiales n’ont pas été détournés et que les fonds générés en raison de ses activités commerciales n’ont pas été et ne seront pas utilisés pour mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou même pour entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique.

49      La requérante fait également valoir que les conditions d’inscription d’entités sur les listes au sens du considérant 3 de la décision 2015/1333 restent cumulatives et exigent que les entités associées au régime de Mouammar Qadhafi possèdent ou contrôlent des fonds publics détournés. Elle soutient que les dispositions pertinentes de ladite décision ne sauraient être interprétées comme ayant pour objectif de restreindre l’utilisation des actifs appartenant à l’État libyen par son gouvernement actuel reconnu sur le plan international.

50      Dans la réplique, la requérante relève que le considérant 3 et l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la décision 2015/1333 imposent, en plus de la condition qu’une personne ait été identifiée par le Conseil comme étant associée à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi, un élément supplémentaire, à savoir que ladite personne doit constituer une menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité et la réussite de la transition politique en Libye. Quant à la référence du Conseil à l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520), elle soutient que celle-ci a été sortie de son contexte, dès lors que le Tribunal y précise qu’avant d’exercer son large pouvoir d’appréciation le Conseil doit dûment respecter les garanties et exigences figurant dans la jurisprudence constante mentionnée aux points 98 à 103 dudit arrêt.

51      D’autre part, la requérante allègue que le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en renouvelant l’inscription de son nom sur les listes litigieuses au motif qu’elle était « étroitement associée à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi ». En particulier, elle fait valoir, premièrement, que le Conseil a omis de tenir compte du fait qu’elle n’avait pas de lien avec le « régime Qadhafi ». Elle relève à ce titre que son seul actionnaire est le LAIP qui, à son tour, est une filiale détenue à 100 % par la LIA. Étant donné que ses deux sociétés mères successives sont des entités détenues entièrement par l’État libyen et que son conseil d’administration a été nommé pour la dernière fois par ces entités le 22 août 2019, elle estime qu’il n’existe aucun lien avec ce régime. Deuxièmement, elle reproche au Conseil de n’avoir pas pris en compte que son conseil d’administration se compose de professionnels indépendants, expérimentés et hautement qualifiés. Troisièmement, elle relève que ses sociétés mères, à savoir LIA et LAIP, font l’objet de mesures beaucoup moins restrictives, dès lors que seuls leurs actifs existant avant le 16 septembre 2011 sont gelés et, contrairement à sa situation, tous les fonds et revenus générés après cette date peuvent être utilisés librement par lesdites sociétés. Elle estime qu’il est paradoxal que les LIA et LAIP puissent disposer librement des fonds générés postérieurement à la chute dudit régime et que l’une de leurs filiales, contrôlée par elles-mêmes, soit privée de l’usage de tous ses actifs, de ses fonds et ressources. Selon elle, cette différence de traitement entre elle et ses sociétés mères confirme que les actes attaqués sont entachés d’une erreur manifeste d’appréciation.

52      Le Conseil relève, d’une part, que le nom de la requérante n’est pas inscrit sur les listes litigieuses au titre des critères énoncés à l’article 9, paragraphe 2, sous a) et d) de la décision 2015/1333, comme il est en substance allégué par celle-ci, mais sur la base du critère énoncé à l’article 9, paragraphe 2, sous b), de ladite décision. Il ajoute que la requérante affirme de manière inexacte dans la requête que le nom des entités autrefois associées à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi ne peut être inscrit que si elles possèdent ou contrôlent des fonds publics détournés, dès lors que le considérant 3 de cette décision établit une distinction entre la question des fonds détournés et celle des personnes et entités identifiés comme ayant des liens avec ledit régime. En faisant référence à l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520), le Conseil fait valoir qu’il a, à bon droit, considéré, conformément audit considérant, que, au moment de l’adoption de pareille décision, les personnes et entités identifiées comme ayant participé aux politiques répressives menées par ce régime en Libye, ou autrefois associées d’une autre manière au même régime, continuaient de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ainsi que la réussite de la transition politique du pays. Enfin, selon lui, la lettre envoyée au représentant de la requérante, datée du 31 juillet 2019, confirme qu’il a pris en considération les informations fournies par celle-ci tout en concluant qu’elle continuait de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ainsi que la réussite de la transition politique du pays.

53      Dans la duplique, le Conseil fait valoir, en faisant référence à l’arrêt du 4 février 2014, Syrian Lebanese Commercial Bank/Conseil (T‑174/12 et T‑80/13, EU:T:2014:52), que le fait que la requérante était contrôlée par le régime de Mouammar Qadhafi démontre l’existence d’une association étroite entre elle et ce régime. Il allègue à ce titre que la requérante est restée la même entité juridique depuis sa création en 1990. Quant à la phrase « et qui continuent de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays » de l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la décision 2015/1333, il soutient qu’elle ne reflète que son appréciation politique selon laquelle toutes les personnes et entités ayant participé aux politiques répressives dudit régime en Libye continuaient de représenter un tel danger. En renvoyant à l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520), il prétend que cette affaire et le cas d’espèce présentaient d’importantes similarités, dès lors que les noms de deux personnes concernées avaient été inscrits sur la liste sur le fondement des mêmes motifs, à savoir qu’elles étaient étroitement associées au régime en question. Par ailleurs, il précise, en renvoyant à l’article 17, paragraphe 2, de ladite décision, qu’il était censé procéder au réexamen annuel des mesures restrictives en cause en vue de déterminer si les conditions de leur application étaient toujours remplies.

54      Le Conseil rétorque, d’autre part, en ce qui concerne les arguments de la requérante tirés du fait qu’elle est une entreprise publique dont le conseil d’administration n’a aucun lien avec l’ancien régime de Mouammar Qadhafi et que son conseil d’administration se compose de professionnels hautement qualifiés, indépendants et expérimentés, que la raison d’être de la désignation des personnes et entités telles que la requérante ressort du considérant 3 de la décision 2015/1333. Il rappelle que ladite disposition prévoit que les personnes et entités identifiées comme ayant participé aux politiques répressives menées par ledit régime ou autrefois associées à ce régime, continuent de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ainsi que la réussite de la transition politique du pays. Selon le Conseil cette appréciation était valable au moment de l’adoption des actes attaqués.

55      De surcroît, le Conseil soutient que le fait que les LIA et LAIP ne fassent pas l’objet du même type de restrictions peut facilement s’expliquer dès lors que ces sociétés ne se trouvent dans la même situation que celle de la requérante. En particulier, il relève que, si l’article 9, paragraphe 3, de la décision 2015/1333 et la disposition correspondante du règlement 2016/44 constituent une simple transposition de la résolution 2009 (2011) du CSNU, l’article 9, paragraphe 2, de ladite décision et la disposition correspondante dudit règlement sont le résultat de l’exercice par le Conseil de la large marge d’appréciation dont il dispose pour définir les critères généraux d’inscription.

56      Enfin, le Conseil fait valoir que le fait que la situation politique en Libye diffère de ce qu’elle était en 2011, lorsque le nom de la requérante a été inscrit sur les listes litigieuses pour la première fois, ne signifie pas nécessairement que les mesures restrictives qui la visent ne sont plus justifiées. À cet égard, il prétend que la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ainsi que la réussite de la transition politique du pays continuaient d’être mises en danger, notamment par l’exacerbation des divisions actuelles, par des personnes et entités identifiées comme ayant participé aux politiques répressives menées par l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, ou autrefois associées d’une autre manière à ce régime.

57      À titre liminaire, il importe de relever que le troisième moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’« erreurs manifestes d’appréciation ». En effet, le Conseil ne jouissait d’aucune marge d’appréciation dans l’application du critère d’inscription lors du renouvellement des mesures restrictives en cause pour déterminer s’il disposait d’éléments suffisants pour maintenir le nom de la requérante sur les listes litigieuses (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 décembre 2021, Klymenko/Conseil, T‑195/21, EU:T:2021:925, point 65 et jurisprudence citée).

58      Selon la jurisprudence, en vue de définir l’étendue du pouvoir d’appréciation du Conseil et l’intensité du contrôle juridictionnel sur l’exercice de ce pouvoir, il y a lieu de distinguer entre, d’une part, les règles générales définissant les conditions légales entourant l’adoption de mesures restrictives et, d’autre part, l’adoption, sur la base d’un examen individuel, de décisions de gel des fonds et de restrictions de mouvement en application de ces conditions légales, à l’égard de personnes et d’entités déterminées (voir, en ce sens, arrêts du 12 juin 2013, HTTS/Conseil, T‑128/12 et T‑182/12, non publié, EU:T:2013:312, point 45, et du 6 septembre 2013, Bateni/Conseil, T‑42/12 et T‑181/12, non publié, EU:T:2013:409, point 42).

59      En ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir. Ce contrôle restreint s’applique, en particulier, à l’appréciation des considérations d’opportunité sur lesquelles les mesures restrictives sont fondées (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, point 45).

60      Cependant, de manière générale, le juge de l’Union doit, conformément aux compétences dont il est investi en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58 et jurisprudence citée, et du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 65 et jurisprudence citée).

61      En effet, l’Union est une union de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base que sont les traités TUE et FUE et que ce dernier a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice de l’Union européenne le contrôle de la légalité des actes des institutions (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 281 et jurisprudence citée).

62      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).

63      Il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée). En revanche, il incombe à ladite autorité compétente de l’Union, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. À cette fin, il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122).

64      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir, d’une part, si le motif retenu pour le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses était conforme au critère général prévu par la décision 2015/1333 et le règlement 2016/44 et, d’autre part, si ledit maintien reposait sur une base suffisamment solide.

65      En ce qui concerne le premier moyen, il convient de relever que les griefs de la requérante ont trait, en substance, à la concordance entre les motifs du maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses et le critère d’inscription, tel qu’il est énoncé à l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la décision 2015/1333. À ce titre, il convient de relever que, ainsi qu’il est explicitement admis par le Conseil, ledit nom a été maintenu sur ces listes en vertu de cette disposition et non pas de l’article 9, paragraphe 2, sous a) ou d), de cette décision. Dès lors, les arguments de la requérante, tels que formulés dans la requête et visant l’absence d’implication dans des violations des droits de l’homme ou dans des attaques contre des populations ou des installations civiles ainsi que le fait que les fonds gelés lui appartenant ou appartenant à ses filiales n’auraient pas été détournés, doivent être rejetés comme inopérants.

66      En outre, il échet de rappeler que l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la décision 2015/1333, dispose ce qui suit :

« Sont gelés tous les fonds, autres avoirs financiers et ressources économiques qui sont en la possession ou sous le contrôle, direct ou indirect, des personnes et entités :

(…)

b)      qui sont identifiées comme ayant participé aux politiques répressives de l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, ou ayant été autrefois associées d’une autre manière à ce régime, et qui continuent de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays ».

67      Par ailleurs, le nom de la requérante a été inscrite sur la liste figurant à l’annexe IV de la décision 2015/1333 avec la motivation suivante :

« Étroitement associée à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi ».

68      Le même motif figure dans le rectificatif au règlement 2016/44 par lequel l’exposé des motifs concernant la requérante a été aligné sur celui qui figurait à l’annexe IV de la décision 2015/1333 et il n’a pas non plus été modifié par les actes attaqués.

69      Il y a lieu de constater qu’il ressort du motif de maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses que le Conseil ne s’est fondé que sur l’association étroite de la requérante à l’ancien régime de Moummar Qadhafi. Néanmoins, l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la décision 2015/1333 ne fait pas uniquement référence, contrairement audit motif, à la seule association de la requérante à ce régime. Ladite disposition vise les personnes ou entités « ayant autrefois été associées d’une autre manière [audit régime] » en poursuivant avec la phrase « et qui continuent de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays ». Il ressort donc de la lecture simple de cette disposition que le critère d’inscription s’articule en deux conditions cumulatives : la personne ou entité dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses doit non seulement avoir été associée au régime en question, mais, également, continuer à menacer la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays.

70      Partant, le motif de maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses entre en contradiction avec le critère général d’inscription, dès lors qu’il ne satisfait pas la seconde condition explicitement prévue par celui-ci, à savoir que la requérante « continu[ait] de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays ».

71      Certes, le Conseil, en renvoyant à l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520), argumente que la partie de la phrase « et qui continuent de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays » reflète simplement son appréciation politique selon laquelle toutes les personnes et entités identifiées comme ayant participé aux politiques répressives de l’ancien régime politique de Mouammar Qadhafi en Libye, ou comme ayant été autrefois associées d’une autre manière à ce régime, continuent en effet de représenter un tel danger.

72      Or, cet argument ne saurait être retenu. En effet, certes, au point 105 de l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520), le Tribunal indique qu’il ne lui appartient pas « de remettre en cause l’appréciation constante du Conseil qui porte sur la situation en Libye et selon laquelle la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ainsi que la réussite de la transition politique du pays continuent d’être mises en danger, notamment par l’exacerbation des divisions actuelles, par des personnes et entités identifiées comme ayant participé aux politiques répressives menées par l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, ou autrefois associées d’une autre manière à ce régime, ainsi que par le fait que la plupart de ces personnes ou entités n’ont pas répondu de leurs actes ».

73      Toutefois, une telle constatation porte sur l’appréciation générale effectuée par le Conseil sur la situation politique en Libye et non sur un motif particulier d’inscription sur les listes litigieuses du nom de la personne concernée. Le Conseil se trouvait donc, au cas d’espèce, sous l’obligation de veiller à ce que le motif de maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses soit conforme au critère général d’inscription énoncé à l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la décision 2015/1333.

74      Par ailleurs, il convient de relever que, au point 103 de l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520), le Tribunal précise que « le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard [des] informations ou éléments [en sa possession ] et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne concernée à leur sujet ». Ensuite, au point 109 du même arrêt, il examine le rôle du requérant, qui, au moment de l’adoption des actes litigieux, était l’ancien chef de cabinet de Mouammar Qadhafi, dans la vie politique libyenne. À ce titre, il relève notamment que « le requérant a reconnu qu’il lui arrivait, aujourd’hui encore et malgré son retrait de la vie politique libyenne, d’être consulté par des forces en présence en Libye, en raison précisément des fonctions de très haut niveau précédemment occupées et de son expertise sur la Libye », pour conclure, au point 113 dudit arrêt, qu’il y a lieu « de considérer les affirmations du Conseil selon lesquelles la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ainsi que la réussite de la transition politique du pays continuent d’être mises en danger, notamment par l’exacerbation des divisions actuelles, par des personnes et entités identifiées comme ayant participé aux politiques répressives menées par l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, ou autrefois associées d’une autre manière à ce régime, comme établies ».

75      En définitive, au vu des considérations du Tribunal figurant dans l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520), si, en l’espèce, l’appréciation du Conseil figurant au considérant 3 de la décision 2015/1333 selon laquelle la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ainsi que la réussite de la transition politique du pays continuent d’être mises en danger, notamment par l’exacerbation des divisions actuelles, par des personnes et entités identifiées comme ayant autrefois été associées d’une autre manière à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi, constitue une appréciation politique qui ne saurait être remise en cause par le Tribunal, cela ne dispensait pas le Conseil de son obligation de prévoir un motif de maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses satisfaisant aux deux conditions prévues de manière cumulative par l’article 9, paragraphe 2, sous b), de ladite décision. De surcroît, le Conseil se trouvait, également, sous l’obligation d’établir dans le cas d’espèce et conformément au critère énoncé à cette dernière disposition que la requérante continuait à constituer, lors de l’adoption des actes attaqués, un danger à la paix, à la stabilité ou à la sécurité en Libye ou à la réussite de la transition politique du pays.

76      Au vu de ce qui précède, et eu égard au constat opéré au point 70 ci-dessus, le motif de maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses ne peut pas être considéré comme étant conforme au critère d’inscription énoncé à l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la décision 2015/1333.

77      D’autre part, s’agissant des erreurs d’appréciation reprochées au Conseil, il y a lieu de constater que, au vu de la jurisprudence citée au point 59 ci-dessus, le choix des critères d’inscription sur les listes litigieuses relèvent d’une appréciation de nature politique du Conseil. Par ailleurs, leur légalité ainsi que la désignation de la requérante comme remplissant lesdits critères, en ce qu’elle était considérée comme étroitement associée à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi, ne peuvent plus être remises en cause, faute pour la requérante d’avoir contesté en temps utile devant le juge de l’Union les actes d’inscription de 2011 ainsi que les actes d’inscription subséquents, à savoir la décision 2015/1333 et le règlement 2016/44.

78      Toutefois, tout comme les actes d’inscription de 2011, les actes d’inscription subséquents, sur la base desquels les actes attaqués ont été adoptés, prévoient, respectivement à leurs articles 17, paragraphe 2, et 21, paragraphe 6, un réexamen périodique des mesures restrictives afin de permettre au Conseil de tenir compte des changements de circonstances concernant la situation individuelle des personnes visées par celles-ci. Les actes attaqués représentent l’aboutissement de cet exercice de réexamen périodique.

79      Dès lors, et ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 62 et 74 ci-dessus, il y a lieu d’examiner si la décision de maintenir les mesures restrictives à l’égard de la requérante en vertu des actes attaqués, en ce qu’elle était étroitement associée à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi, repose sur une base factuelle suffisamment solide.

80      À ce titre, il convient de rappeler que les actes initiaux de 2011 avaient été adoptés « [c]ompte tenu de la gravité de la situation en Libye », « pour qu’il soit mis fin immédiatement à l’usage de la force et pour que des mesures soient prises afin de répondre aux exigences légitimes de la population » et parce que l’Union estimait qu’il était « nécessaire d’instituer des mesures restrictives supplémentaires » à celles instaurées par le CSNU, comme l’exposent les considérants 1 à 5 de la décision 2011/137.

81      La décision 2015/1333 et le règlement 2016/44 ont été adoptés dans le but de consolider dans de nouveaux instruments juridiques les mesures restrictives imposées par les actes initiaux de 2011, tels que modifiés et mis en œuvre par plusieurs actes ultérieurs, « [c]ompte tenu de la menace spécifique que la situation en Libye fait peser sur la paix et la sécurité internationales dans la région ».

82      À ce titre, il y a lieu de noter que, par son courrier du 10 décembre 2018 (voir point 26 ci-dessus), le Conseil a rejeté la demande de la requérante tendant à obtenir une levée des mesures restrictives qui lui avaient été imposées. Il a notamment considéré que le nom de la requérante avait été inscrit sur la liste figurant à l’annexe IV de la décision 2015/1333, parce qu’elle était étroitement associée à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi, en ajoutant que les personnes et entités identifiées comme ayant participé aux politiques répressives menées par ledit régime, ou autrefois associées d’une autre manière à celui-ci, continuaient à faire peser une menace sur la paix, la stabilité ou la sécurité de la Libye et sur la réussite de sa transition politique, ce qui justifiait le maintien de ladite inscription.

83      Par ailleurs, dans son courrier du 31 juillet 2019, par lequel le Conseil a rejeté la nouvelle demande de la requérante, datée du 15 mai 2019, de voir son nom rayé des listes litigieuses, celui-ci a repris la même motivation que celle employée dans son courrier du 10 décembre 2018. Il a ainsi répondu à la requérante que, selon lui, elle continuait à constituer une menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ainsi que pour l’accomplissement réussi de la transition politique en raison de son association autrefois au régime de Mouammar Qadhafi. Quant aux arguments de la requérante tirés de l’absence de liens avec ledit régime et du fait qu’elle était entièrement contrôlée par le gouvernement libyen d’entente nationale, il a répondu qu’ils ne pouvaient pas infirmer cette appréciation, dès lors que la requérante était identifiée comme une entité ayant été autrefois associée à ce régime et remplissait donc le critère énoncé par l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la décision 2015/1333.

84      Toutefois, le Conseil ne saurait présumer, du seul fait que la requérante était « étroitement associée à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi » au moment où les actes à l’origine des sanctions contre ce régime ont été commis, qu’elle restait liée audit régime même après sa chute, voire même dix ans environ après les actes d’inscription de 2011.

85      Tout d’abord, la requérante a explicitement relevé dans sa lettre adressée au Conseil le 29 octobre 2018, en soumettant des documents à l’appui, que, en 2013, la composition de son conseil d’administration avait été presque entièrement remaniée par rapport à celle de la période remontant avant 2011. En particulier, elle a indiqué que, à la suite de la modification de son conseil d’administration en 2013, seul l’un des sept membres le composant exerçait les mêmes fonctions avant 2011. Elle a également cité l’article 27 de son statut, selon lequel les décisions du conseil d’administration étaient prises sur la base de la majorité des membres présents pour conclure que le vote du membre siégeant avant 2011 ne pourrait pas exercer une influence sur sa politique décisionnelle.

86      En outre, ainsi qu’il est soutenu par la requérante dans la requête sans qu’elle soit contredite par le Conseil, son conseil d’administration a été récemment nommé, en 2019, par l’assemblée plénière de ses actionnaires, autrement dit le LAIP. Étant donné que ce dernier est entièrement contrôlé par la LIA, qui, à son tour, est contrôlée par le gouvernement actuel libyen, force est de constater que le conseil d’administration de la requérante, nommé par ledit gouvernement après la chute du « régime de Qadhafi », ne présente pas, par définition, de lien avec l’« ancien régime de Mouammar Qadhafi ».

87      Il y a lieu de relever que, lors de l’audience, le Conseil a fait valoir que le gouvernement actuel libyen ne contrôle plus la requérante. Or, ainsi que l’a rétorqué la requérante lors de l’audience, sans qu’elle soit contredite par le Conseil, il s’agit là d’un argument nouveau soulevé par ce dernier qui ne ressort ni du motif des actes attaqués ni de ses écritures. Il convient de rappeler que, selon l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure. Dès lors que l’argument mis en avant par le Conseil lors de l’audience ne se fonde pas sur des éléments de droit et de fait révélés pendant la procédure, il y a lieu de l’écarter.

88      Par conséquent, c’est à tort que le Conseil a présumé, en substance, l’association de la requérante à l’ancien régime politique de Mouammar Qadhafi sur la seule base de l’inscription du nom de celle-ci sur les listes litigieuses en 2011. Au vu des arguments et des éléments de preuve avancés par la requérante devant le Conseil, ce dernier aurait dû se baser sur des informations concrètes permettant d’établir que les organes de direction de la requérante entretenaient toujours des tels liens avec l’« ancien régime de Mouammar Qadhafi », en dépit de leur nomination en substance par le gouvernement libyen actuel.

89      Ensuite, il y a lieu de relever que l’article 9, paragraphe 2, sous b), de la décision 2015/1333 qui, ainsi qu’il a été admis par le Conseil, énonce le critère d’inscription applicable en l’espèce, prévoit l’inscription sur les listes litigieuses du nom des personnes physiques ou morales « qui sont identifiées comme ayant participé aux politiques répressives de l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, ou ayant été autrefois associées d’une autre manière à ce régime, et qui continuent de mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays ». Il est évident que, au regard dudit critère, et ainsi qu’il a été relevé au point 75 ci-dessus, le Conseil n’aurait pas dû se contenter de l’association dans le passé de la requérante audit régime, mais devait, au contraire, établir que, lors de l’adoption des actes attaqués, celle-ci continuait de constituer une menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays.

90      À cet égard, le considérant 3 de la décision 2015/1333 va dans le même sens en énonçant que le Conseil a tenu compte du fait que la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ainsi que la réussite de la transition politique du pays continuaient d’être mises en danger, notamment par l’exacerbation des divisions actuelles, par des personnes et entités identifiées comme ayant participé aux politiques répressives menées par l’ancien régime de Mouammar Qadhafi en Libye, ou autrefois associées d’une autre manière à ce régime, ainsi que par le fait que la plupart de ces personnes ou entités n’ont pas répondu de leurs actes. La référence dudit considérant à « l’exacerbation des divisions actuelles » confirme l’obligation du Conseil de démontrer que la requérante, autrefois associée audit régime, jouait toujours un rôle actif à l’exacerbation des divisions sociales et politiques actuelles en Libye. Or, l’actualité de la menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la réussite de la transition politique du pays n’a aucunement été examinée en l’espèce par le Conseil, qui, au contraire, s’est uniquement contenté de l’association initiale de la requérante au régime en question pour maintenir l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses.

91      Enfin, la position du Conseil justifiant le maintien du nom de la requérante sur les listes litigieuses par les actes attaqués manque de cohérence. En effet, le Conseil soutient, en substance, que la participation en soi d’une personne physique ou morale aux politiques de l’ancien régime politique de Mouammar Qadhafi ou son association à ce régime signifie qu’elle met en danger, de manière automatique et irrévocable, la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye ou la transition politique du pays. Or, accepter ladite position, à savoir qu’une fois associée audit régime, la requérante constitue toujours une menace pour la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, conduirait à figer sa situation (voir, en ce sens, arrêt du 3 juillet 2014, Alchaar/Conseil, T‑203/12, non publié, EU:T:2014:602, point 155) et à vider de tout effet utile l’exercice du réexamen périodique prévu par les actes d’inscription subséquents, à savoir la décision 2015/1333 et le règlement 2016/44.

92      Certes, dans son courrier du 31 juillet 2019 (voir point 29 ci-dessus), le Conseil a réitéré sa position selon laquelle la requérante continuait à constituer une menace en raison de son association à l’ancien régime politique, en indiquant que, cette appréciation avait été validée par le Tribunal dans son arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520).

93      Or, au vu des considérations exposées au point 77 ci-dessus, l’argument du Conseil fondé sur l’arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil (T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520), doit être écarté. En effet, à la différence de la présente affaire, les éléments de preuve produits par le requérant dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt n’étaient pas de nature à remettre en cause l’exactitude matérielle des faits tels qu’ils avaient été présentés par le Conseil (point 108 dudit arrêt). Le requérant avait même reconnu qu’il lui arrivait encore et malgré son retrait de la vie politique libyenne, d’être consulté par des forces en présence en Libye, en raison précisément des fonctions de très haut niveau précédemment occupées et de son expertise sur la Libye (point 109 du même arrêt).

94      En l’espèce, si l’association de la requérante à l’ancien régime de Mouammar Qadhafi a pu justifier sa désignation dans les actes d’inscription initiaux et subséquents, à savoir la décision 2015/1333 et le règlement 2016/44, dont la légalité ne peut, au demeurant, plus être remise en cause, le Conseil aurait dû, lors du réexamen du maintien de l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses, tenir compte du fait que sa situation différait de celle de l’ancien chef de cabinet de Mouammar Qadhafi.

95      À cet égard, ainsi qu’il a été relevé aux points 85 et 86 ci-dessus, la situation de la requérante a changé après la chute de l’ancien régime de Mouammar Qadhafi, voire depuis les actes d’inscription de 2011 et les actes d’inscription subséquents. En particulier, alors que M. Alsharghawi était encore sollicité au moment des actes d’inscription subséquents par des forces en présence en Libye, en raison précisément des fonctions de très haut niveau précédemment occupées et de son expertise sur la Libye, le conseil d’administration actuel de la requérante a été nommé par ses sociétés mères qui sont contrôlées à 100 % par le gouvernement actuel d’entente nationale. Étant donné qu’il s’agit du nouveau régime politique en Libye, il ne saurait être exclu, faute d’éléments contraires avancés par le Conseil que le conseil d’administration actuel de la requérante ne présente pas, par définition, de lien avec l’« ancien régime de Mouammar Qadhafi ».

96      En l’absence d’éléments avancés par le Conseil permettant d’établir que les organes de direction de la requérante entretenaient toujours des tels liens avec l’ancien régime de Mouammar Qadhafi et compte tenu des éléments avancés par la requérante, notamment leur nomination indirectement par le gouvernement libyen actuel, qui permettent d’opérer une distinction entre sa situation et celle de M. Alsharghawi, c’est à tort qu’il a été conclu dans les actes attaqués que, au moment de leur adoption, la requérante demeurait liée audit régime.

97       Si le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune pour examiner le contexte existant en Libye et pour effectuer les choix qu’il estime appropriés, il y a lieu de constater que la décision de maintenir les mesures restrictives à l’égard de la requérante en vertu des actes attaqués, du seul fait de son association en 2011 à l’ancien régime politique de Mouammar Qadhafi, ne repose pas sur une base factuelle suffisamment solide. En effet, le Conseil s’est borné à réitérer les justifications ayant conduit à l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses, sans réfuter, lors du réexamen de ladite inscription avant l’adoption des actes attaqués, les informations en sa possession et les changements invoqués par la requérante concernant sa situation factuelle et individuelle.

98      Eu égard aux considérations qui précèdent, les griefs de la requérante tirés du fait que les actes attaqués sont dépourvus de base factuelle justifiant le maintien de son nom sur les listes litigieuses, sont fondés.

99      Par conséquent, au vu des conclusions aux points 76 et 98 ci-dessus, il convient d’accueillir les premier et troisième moyens et, par voie de conséquence, d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent la requérante.

 Sur la demande subsidiaire du Conseil de maintien des effets de la décision 2021/1251

100    À la suite de l’adaptation de la requête, le Conseil demande, à titre subsidiaire, que, en cas d’annulation partielle des actes de 2021, les effets de la décision 2021/1251 soient maintenus jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/1241. À cet égard, il soutient que l’annulation des actes attaqués aurait pour conséquence de faire disparaître immédiatement le nom de la requérante de la liste figurant à l’annexe IV de la décision 2015/1333. Or, selon lui, l’existence d’une différence entre la date effective de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2021/1241 et celle de l’annulation partielle de la décision 2021/1251 serait susceptible de porter atteinte à la sécurité juridique, puisque ces actes prévoient des mesures qui sont identiques sur le fond.

101    La requérante fait valoir que la demande du Conseil de différer les effets de l’annulation est disproportionnée et déraisonnable, étant donné que les actes attaqués ne sont pas conformes à plusieurs principes généraux du droit de l’Union, qu’ils sont dépourvus de toute motivation individuelle et in concreto et, enfin, qu’elle-même ne fait pas l’objet de mesures restrictives adoptées par le CSNU.

102    Il résulte de l’article 60, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que le pourvoi n’a pas d’effet suspensif. L’article 60, second alinéa, de ce statut prévoit, cependant, que, par dérogation à l’article 280 TFUE, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai pendant lequel un pourvoi peut être introduit ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci.

103    En l’espèce, le règlement d’exécution 2021/1241 a la nature d’un règlement, dès lors qu’il prévoit qu’il est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre, ce qui correspond aux effets d’un règlement tels que prévus à l’article 288 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2016, Conseil/Bank Saderat Iran, C‑200/13 P, EU:C:2016:284, point 121).

104    L’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne est donc bien applicable en l’espèce (voir, par analogie, arrêt du 21 avril 2016, Conseil/Bank Saderat Iran, C‑200/13 P, EU:C:2016:284, point 122).

105    Enfin, en ce qui concerne les effets dans le temps de l’annulation de la décision 2021/1251, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs.

106    En l’espèce, l’existence d’une différence entre la date d’effet de l’annulation du règlement d’exécution 2021/1241 et celle de la décision 2021/1251 serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique, ces deux actes infligeant à la requérante des mesures identiques (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2018, Klyuyev/Conseil, T‑731/15, EU:T:2018:90, point 263). Par conséquent, les effets de la décision 2021/1251 doivent être maintenus, en ce qui concerne la requérante, jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement d’exécution 2021/1241.

 Sur les dépens

107    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision d’exécution (PESC) 2020/1137 du Conseil du 30 juillet 2020, mettant en œuvre la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye, et la décision (PESC) 2021/1251 du Conseil du 29 juillet 2021 modifiant la décision (PESC) 2015/1333 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye, sont annulées en tant qu’elles maintiennent le nom de Libyan African Investment Company (LAICO) sur la liste d’entités figurant à l’annexe IV de la décision (PESC) 2015/1333 du Conseil, du 31 juillet 2015, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant la décision 2011/137/PESC.

2)      Le règlement d’exécution (UE) 2020/1130 du Conseil, du 30 juillet 2020, mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye, et le règlement d’exécution (UE) 2021/1241 du Conseil du 29 juillet 2021 mettant en œuvre l’article 21, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/44 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) no 204/2011, sont annulées en tant qu’ils maintiennent le nom de LAICO sur la liste d’entités figurant à l’annexe III du règlement (UE) 2016/44 du Conseil, du 18 janvier 2016, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) no 204/2011.

3)      Les effets de l’article 1er de la décision 2021/1251 sont maintenus à l’égard de LAICO jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet éventuel du pourvoi.

4)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Spielmann

Öberg

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 septembre 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.