Language of document : ECLI:EU:T:2022:440

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

13 juillet 2022 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne verbale RENŠKI HRAM – Cause de nullité absolue – Mauvaise foi – Article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑286/21,

Edvin Pejovič, demeurant à Pobegi (Slovénie), représenté par Me U. Pogačnik, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Ivanauskas, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

ETA živilska industrija d.o.o., établie à Kamnik (Slovénie), représentée par Me J. Sibinčič, avocat,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mmes V. Tomljenović, présidente, P. Škvařilová‑Pelzl (rapporteure) et M. I. Nõmm, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Edvin Pejovič, demande l’annulation et la réformation de la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 23 mars 2021 (affaire R 679/2020‑4) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 4 avril 2016, Šampionka, d.o.o. a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

3        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal RENŠKI HRAM.

4        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 30 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Vinaigres ».

5        La marque a été enregistrée le 20 juillet 2016 sous le numéro 15297302.

6        Le 3 avril 2018, un transfert de propriété de la marque indiquée au point 3 ci-dessus de Šampionka à l’intervenante, ETA živilska industrija d.o.o., a été inscrit au registre.

7        Le 21 août 2018, le requérant a présenté une demande en nullité de la marque susmentionnée pour les produits visés au point 4 ci-dessus.

8        La demande en nullité était fondée sur les marques antérieures suivantes, sur lesquelles le requérant disposait d’un privilège, à la suite d’une procédure d’exécution à l’encontre de sa débitrice Beohemija d.o.o., devenue Stečajna masa Beohemija d.o.o. – v stečaju (masse de la faillite de l’ancienne Beohemija d.o.o., en liquidation) (ci-après, prises séparément ou ensemble, « Beohemija ») :

–        la marque figurative slovène reproduite ci-après, enregistrée le 26 juin 1998 sous le numéro 9771713 et renouvelée pour les produits relevant des classes 29, 30, 31 et 32 et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 29 : « Viande, poisson, volaille et gibier ; extraits de viande ; fruits et légumes conservés, congelés, séchés et cuits ; gelées, confitures, compotes ; œufs, lait et produits laitiers ; huiles et graisses comestibles » ;

–        classe 30 : « Café, thé, cacao, sucre, riz, tapioca, sagou, succédanés du café ; farines et préparations faites de céréales, pain, pâtisserie et confiserie, glaces comestibles ; miel, sirop de mélasse ; levure, poudre pour faire lever ; sel, moutarde ; vinaigre, sauces (condiments) ; épices ; glace à rafraîchir » ;

–        classe 31 : « Produits agricoles, horticoles, forestiers et graines, non compris dans d’autres classes ; animaux vivants ; fruits et légumes frais ; semences, plantes et fleurs naturelles ; aliments pour les animaux, malt » ;

–        classe 32 : « Bières ; eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques ; boissons de fruits et jus de fruits ; sirops et autres préparations pour faire des boissons » :

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–        l’enregistrement international désignant l’Union européenne pour la marque figurative reproduite ci-après, enregistrée le 11 janvier 2010 sous le numéro 1030962 et renouvelée pour les produits relevant des classes 29, 30, 31 et 32 et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 29 : « Viande, poisson, volaille et gibier ; extraits de viande ; fruits et légumes conservés, congelés, séchés et cuits ; gelées, confitures, compotes ; œufs, lait et produits laitiers ; huiles et graisses comestibles » ;

–        classe 30 : « Café, thé, cacao, sucre, riz, tapioca, sagou, succédanés du café ; farines et préparations faites de céréales, pain, pâtisserie et confiserie, glaces comestibles ; miel, sirop de mélasse ; levure, poudre pour faire lever ; sel, moutarde ; vinaigre, sauces (condiments) ; épices ; glace à rafraîchir » ;

–        classe 31 : « Produits agricoles, horticoles, forestiers et graines, non compris dans d’autres classes ; animaux vivants ; fruits et légumes frais ; semences, plantes et fleurs naturelles ; aliments pour les animaux, malt » ;

–        classe 32 : « Bières ; eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques ; boissons de fruits et jus de fruits ; sirops et autres préparations pour faire des boissons » :

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9        Les causes de nullité invoquées par le requérant étaient celles visées à l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, ainsi qu’à l’article 60, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, sous a) et b), du même règlement.

10      Le 17 mars 2020, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité dans son intégralité et condamné le requérant à supporter les frais.

11      Le 8 avril 2020, le requérant a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation, suivi, le 23 avril 2020, d’un mémoire exposant les motifs du recours, conformément à l’article 72 du règlement 2017/1001.

12      Par la décision attaquée, la chambre de recours a confirmé la décision de la division d’annulation et, partant, rejeté le recours et condamné le requérant aux dépens.

13      Dans la décision attaquée, la chambre de recours a repris, notamment, les faits pertinents suivants invoqués par les parties :

–        le 12 juin 2008, le requérant a vendu 100 % de ses parts dans la société Pejo Šampionka d.o.o. à Beohemija, pour un montant total de 6 millions d’euros, dont 2 millions d’euros n’ont pas été payés par Beohemija ; par conséquent, le requérant détient une créance de 2 millions d’euros à l’encontre de Beohemija ;

–        en 2008, Pejo Šampionka, qui était titulaire de la marque slovène visée au point 8 ci-dessus, l’a transférée à Beohemija ;

–        le 15 février 2009, Beohemija et Šampionka ont conclu un contrat, en vertu duquel Beohemija a autorisé Šampionka à fabriquer et à vendre des produits sous ses marques, y compris la marque slovène mentionnée au point 8 ci-dessus ;

–        en 2011, le requérant a engagé une procédure d’exécution à l’encontre de Beohemija en vue du recouvrement de sa créance de 2 millions d’euros susvisée ;

–        selon le contrat daté du 14 mai 2012, Beohemija a vendu à Šampionka les marques visées au point 8 ci-dessus, transféré à cette dernière les droits de propriété intellectuelle respectifs et l’a autorisée à enregistrer et à protéger lesdites marques dans d’autres pays de son choix ; néanmoins, dans les registres de l’Office slovène de la propriété intellectuelle et de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), ces transferts n’ont pas été enregistrés ;

–        dans le cadre de la procédure d’exécution susvisée, le requérant s’est vu octroyer un privilège sur la marque slovène et l’enregistrement international visés au point 8 ci-dessus, qui ont été mis en gage, respectivement, le 9 mai 2013 et le 13 avril 2016 ;

–        le 14 février 2018, un accord de transfert d’activités a été conclu entre Šampionka et l’intervenante, en vertu duquel cette dernière est devenue titulaire, notamment, de la marque contestée.

14      S’agissant de la demande en nullité fondée sur l’article 60, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, sous a) et b), dudit règlement, la chambre de recours a conclu, à l’instar de la division d’annulation, que le requérant n’avait pas la qualité pour déposer cette demande.

15      S’agissant de la demande en nullité fondée sur l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, la chambre de recours l’a rejetée comme non fondée. Elle a constaté que le requérant n’avait pas prouvé que la relation créancier gagiste-débiteur sur gage qui existait entre lui et la titulaire des marques mises en gage, à savoir les marques antérieures, démontrait l’allégation de mauvaise foi à l’encontre de la titulaire de la marque contestée et de son prédécesseur en droit. Plus particulièrement, la chambre de recours a considéré qu’il n’avait pas été démontré que la marque contestée avait été déposée non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque.

 Conclusions des parties

16      Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, réformer la décision attaquée de manière à faire droit à son recours et réformer la décision du 17 mars 2020 de la division d’annulation de l’EUIPO en approuvant la demande en nullité de la marque contestée ainsi que déclarer ladite marque nulle dans son intégralité ;

–        à titre subsidiaire, annuler la décision attaquée et renvoyer l’affaire à l’EUIPO pour réexamen ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens relatifs à la procédure devant le Tribunal ainsi qu’aux procédures de nullité et de recours devant l’EUIPO.

17      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur l’interprétation des chefs de conclusions présentés par le requérant à titre principal

18      En vertu de l’article 72, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, le Tribunal a compétence aussi bien pour annuler la décision attaquée que pour la réformer. Il importe, cependant, de souligner que l’annulation de tout ou partie d’une décision constitue une condition préalable et nécessaire à sa réformation. Dès lors, il ne peut être fait droit à une demande de réformation en l’absence de conclusions en annulation [voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2006, Camper/OHMI – JC (BROTHERS by CAMPER), T‑43/05, non publié, EU:T:2006:370, point 99].

19      En l’espèce, il y a lieu de constater que, par ses chefs de conclusions présentés à titre principal, le requérant se limite à demander la réformation de la décision attaquée. Toutefois, au vu du contenu de sa requête et, notamment, des chefs de conclusions présentés à titre subsidiaire, les chefs de conclusions présentés par le requérant à titre principal peuvent être interprétés comme incluant une demande d’annulation [voir, en ce sens, arrêt du 22 mai 2019, Andrea Incontri/EUIPO – Higicol (ANDREA INCONTRI), T‑197/16, non publié, EU:T:2019:347, point 19].

 Sur le droit applicable ratione temporis

20      Compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement de la marque contestée, à savoir le 4 avril 2016, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée).

21      Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée, par le requérant dans l’argumentation soulevée, par l’EUIPO ainsi que par l’intervenante à l’article 8, paragraphe 1, sous a) et b), à l’article 46, paragraphe 1, sous a), à l’article 59, paragraphe 1, sous b), à l’article 60, paragraphe 1, sous a), et à l’article 63, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 comme visant, respectivement, l’article 8, paragraphe 1, sous a) et b), l’article 41, paragraphe 1, sous a), l’article 52, paragraphe 1, sous b), l’article 53, paragraphe 1, sous a), et l’article 56, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

22      Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001.

 Sur le fond

23      À l’appui du présent recours, le requérant invoque, en substance, deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 53, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 et de l’article 56, paragraphe 1, sous b), du même règlement, lus conjointement avec l’article 41, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, et, le second, de la violation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 ainsi que des articles 94 et 95 du règlement 2017/1001.

24      Il convient de commencer l’examen du présent litige par l’analyse du second moyen.

25      Dans le cadre du second moyen, le requérant reproche à la chambre de recours d’avoir conclu à l’absence de la mauvaise foi lors du dépôt de la demande de la marque contestée, alors que les circonstances de l’affaire, établies au cours de la procédure devant l’EUIPO, auraient démontré l’existence de la mauvaise foi. Le requérant soutient que les conclusions de la chambre de recours reposent sur l’absence d’appréciation de tous les faits et éléments de preuve pertinents dans le cadre de la procédure ainsi que sur une interprétation exagérément restrictive de la notion de « mauvaise foi », et constituent, à ce titre, une violation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 ainsi que des articles 94 et 95 du règlement 2017/1001.

26      À cet égard, premièrement, le requérant soutient que la marque contestée a été enregistrée en sachant et en souhaitant qu’un tel enregistrement porte atteinte à ses droits en tant que créancier gagiste des marques antérieures et en cherchant, en même temps, à tirer profit du caractère distinctif et de la renommée des marques antérieures. Le but de Beohemija, ainsi que de Šampionka, aurait été de faire obstacle au remboursement de la dette de Beohemija envers lui. En particulier, le requérant souligne que la valeur des marques antérieures sur lesquelles il bénéficie d’un gage a été substantiellement réduite en raison de l’enregistrement de la marque contestée. Deuxièmement, le requérant reproche à la chambre de recours de ne pas avoir considéré comme indiquant la mauvaise foi le fait que Beohemija ne s’est aucunement opposée à l’enregistrement de la marque contestée, alors que ladite marque était identique ou très similaire à ses marques antérieures. Troisièmement, le requérant soutient que la mauvaise foi repose sur un lien indéniable entre Šampionka et Beohemija, qui détermine également le fait que Šampionka était avisée de l’existence des marques antérieures et de leur mise en gage. Quatrièmement, selon le requérant, la circonstance que Šampionka ait essayé, sans succès, d’enregistrer les marques slovènes Taliss et Salatena, aurait corroboré également le fait que la marque contestée a été déposée de mauvaise foi.

27      L’EUIPO, soutenu par l’intervenante, conteste les arguments du requérant. Il soutient que la demande en nullité a été rejetée à juste titre, étant donné qu’il n’a pas été démontré que la demande d’enregistrement de la marque contestée avait été déposée avec une intention malhonnête, à savoir dans le but de porter atteinte aux droits ou aux intérêts de tiers. Premièrement, s’agissant des affirmations du requérant quant à l’intention d’empêcher, par l’enregistrement de la marque contestée, le remboursement de sa créance à l’égard de Beohemija, qui est garantie par les marques antérieures données en gage, l’EUIPO soutient que le requérant n’a pas étayé son allégation selon laquelle la valeur des marques antérieures données en gage avait diminué ou diminuerait à l’avenir du fait de l’enregistrement de la marque contestée. Deuxièmement, s’agissant de l’allégation du requérant selon laquelle le dépôt de la marque contestée visait à exploiter le caractère distinctif ou la renommée des marques antérieures, il convient, selon l’EUIPO, de la rejeter comme étant irrecevable, car le requérant ne l’a pas étayée. Par ailleurs, l’usage de la marque contestée ne saurait porter préjudice aux marques antérieures, étant donné que la marque contestée avait été déposée avec l’intention d’être utilisée pour les mêmes produits que ceux concernés par les marques antérieures et avec l’autorisation de Beohemija. Troisièmement, l’EUIPO souligne qu’il n’a pas été prouvé que la marque contestée a été acquise dans l’intention de porter atteinte aux droits et aux intérêts du requérant, à savoir d’empêcher le remboursement de sa créance à l’égard de Beohemija. Quatrièmement, s’agissant des relations existantes entre les parties concernées par le présent litige, l’EUIPO fait valoir qu’il n’a pas été démontré qu’il existait un lien direct entre, d’une part, le requérant et, d’autre part, Šampionka. Cinquièmement, selon l’EUIPO, la marque contestée a été déposée à des fins commerciales normales, car Šampionka fabriquait et vendait des produits sous les marques RENŠKI HRAM avant même le dépôt de la marque contestée . En outre, en vertu de l’accord du 14 mai 2012, Beohemija aurait accepté de céder à Šampionka l’ensemble de ses marques RENŠKI HRAM et l’aurait également autorisée à enregistrer et à protéger ces marques dans d’autres pays de son choix. Il aurait également été logique que, après avoir donné son consentement, Beohemija ne se soit pas opposée au dépôt de la marque contestée. Sixièmement, s’agissant des tentatives de Šampionka d’enregistrer les marques slovènes Taliss et Salatena, l’EUIPO fait valoir, d’une part, que les circonstances de ces demandes étaient différentes de celles du cas d’espèce, et, d’autre part, que ce simple fait ne suffit pas à étayer l’allégation de la mauvaise foi en l’espèce.

28      L’intervenante, pour sa part, conteste les arguments du requérant et fait valoir que la chambre de recours a conclu, à bon droit, à l’absence de mauvaise foi au moment du dépôt de la marque contestée. Premièrement, l’intervenante déclare n’avoir aucun lien avec Šampionka, à l’exception de l’accord du 14 février 2018, par lequel Šampionka lui a cédé ses activités. Deuxièmement, selon l’intervenante, l’enregistrement de la marque contestée relèverait d’une stratégie commerciale normale ayant pour but de protéger une marque à succès sur le territoire de l’Union. À cet égard, elle souligne que la marque contestée a été enregistrée sur la base du contrat du 14 mai 2012 entre Beohemija et Šampionka qui a été conclu avant que le requérant n’obtienne un privilège sur les marques antérieures. Troisièmement, l’intervenante fait valoir qu’il est normal que Beohemija ne se soit pas opposée à l’enregistrement de la marque contestée, car celui-ci avait été demandé en conformité avec ledit accord entre Beohemija et Šampionka. Quatrièmement, elle soutient que le requérant n’a pas prouvé que la marque contestée aurait été enregistrée dans l’intention d’empêcher le remboursement de la dette de Beohemija envers lui et de porter ainsi atteinte à ses droits et intérêts légaux.

 Sur la demande d’annulation de la décision attaquée

29      À titre liminaire, il convient de rappeler que la notion de mauvaise foi visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 n’est ni définie, ni délimitée, ni même décrite d’une quelconque manière dans la législation de l’Union [arrêt du 28 janvier 2016, Davó Lledó/OHMI – Administradora y Franquicias América et Inversiones Ged (DoggiS), T‑335/14, EU:T:2016:39, point 45].

30      Selon la jurisprudence, la notion de mauvaise foi se rapporte à une motivation subjective de la personne présentant une demande d’enregistrement de marque, à savoir une intention malhonnête ou un autre motif dommageable. Elle implique un comportement s’écartant des principes reconnus comme étant ceux entourant un comportement éthique ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale [arrêt du 7 juillet 2016, Copernicus-Trademarks/EUIPO – Maquet (LUCEO), T‑82/14, EU:T:2016:396, point 28].

31      Cette notion n’est donc pas applicable lorsque la demande d’enregistrement peut être considérée comme répondant à un objectif légitime et que l’intention du demandeur n’est pas contraire à la fonction essentielle d’une marque qui consiste à garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service concerné, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance [voir, en ce sens, arrêt du 23 mai 2019, Holzer y Cia/EUIPO – Annco (ANN TAYLOR et AT ANN TAYLOR), T‑3/18 et T‑4/18, EU:T:2019:357, point 32 et jurisprudence citée].

32      Ainsi, l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 répond à l’objectif d’intérêt général de faire échec aux enregistrements de marque abusifs ou contraires aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale. En effet, de tels enregistrements sont contraires au principe selon lequel l’application du droit de l’Union ne saurait être étendue jusqu’à couvrir les pratiques abusives d’opérateurs économiques qui ne permettent pas d’atteindre l’objectif poursuivi par la législation en cause (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 23 mai 2019, ANN TAYLOR et AT ANN TAYLOR, T‑3/18 et T‑4/18, EU:T:2019:357, point 33 et jurisprudence citée].

33      Aux fins de l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur, il convient de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce et existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque de l’Union européenne (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 53).

34      Parmi les facteurs pris en compte par la jurisprudence dans le cadre de l’analyse globale opérée au titre de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 figurent, notamment, le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit ou service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé, l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe, le degré de protection juridique dont jouissent les signes en cause, l’intention du demandeur d’empêcher un tiers de commercialiser un produit, l’origine du signe contesté et son usage depuis sa création, la logique commerciale dans laquelle s’est inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement du signe en tant que marque de l’Union européenne et la chronologie des événements ayant caractérisé la survenance dudit dépôt (voir, en ce sens, arrêts du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, points 38 et 44, et du 28 janvier 2016, DoggiS, T‑335/14, EU:T:2016:39, points 46 et 48).

35      Cela étant, il convient de souligner que les facteurs énumérés au point 34 ci-dessus ne sont que des illustrations parmi un ensemble d’éléments susceptibles d’être pris en compte à l’effet de se prononcer sur l’éventuelle mauvaise foi d’un demandeur d’enregistrement au moment du dépôt de la demande de marque [voir arrêt du 14 février 2019, Mouldpro/EUIPO – Wenz Kunststoff (MOULDPRO), T‑796/17, non publié, EU:T:2019:88, point 83 et jurisprudence citée].

36      Par ailleurs, il convient de rappeler qu’il incombe au demandeur en nullité qui entend se fonder sur le motif visé à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 d’établir les circonstances qui permettent de conclure que le titulaire d’une marque de l’Union européenne était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de cette dernière et que la bonne foi est présumée jusqu’à preuve du contraire [arrêt du 8 mars 2017, Biernacka-Hoba/EUIPO – Formata Bogusław Hoba (Formata), T‑23/16, non publié, EU:T:2017:149, point 45].

37      En outre, la Cour a également pu préciser que, aux fins d’apprécier l’existence de la mauvaise foi, il convient notamment de prendre en considération l’intention du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement. Cet élément subjectif doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, points 41 et 42).

38      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de contrôler la légalité de la décision attaquée en ce que la chambre de recours a conclu à l’absence de mauvaise foi de la demanderesse de l’enregistrement de la marque contestée, à savoir Šampionka, au moment du dépôt de ladite demande d’enregistrement.

39      Eu égard à la jurisprudence citée aux points 29 à 37 ci-dessus, afin de déterminer si, en l’espèce, l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 a été violé, il convient, en substance, d’apprécier si l’enregistrement de la marque contestée, dans le contexte de l’existence des marques antérieures, doit être considéré comme abusif ou contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale.

40      Dans la décision attaquée, d’une part, la chambre de recours a conclu à l’absence d’incidence du dépôt de la marque contestée sur la protection des marques mises en gage. Selon elle, indépendamment de la question de savoir si Šampionka avait connaissance ou non, au moment du dépôt de la marque contestée, du privilège accordé sur les marques données en gage, et indépendamment de sa relation exacte avec la titulaire de ces marques, rien ne prouvait que Šampionka visait effectivement à empêcher l’exécution de la créance que le requérant détenait à l’égard de Beohemija et donc à le spolier en tant que créancier. À cet égard, la chambre de recours a considéré que le requérant n’avait pas prouvé que l’enregistrement et/ou l’usage de la marque contestée sur le marché avait effectivement diminué, ou aurait pu diminuer, la valeur des marques mises en gage, ou que la marque contestée avait eu une incidence négative sur la volonté d’acquérir d’acheteurs potentiels des marques mises en gage et sur leur empressement à les acheter, et encore moins que ces dernières avaient eu une incidence sur le droit réel du demandeur en nullité.

41      D’autre part, la chambre de recours a conclu que la marque contestée aurait été déposée à des fins commerciales normales, compte tenu notamment du fait que Šampionka, avec le consentement de Beohemija, exerçait des activités commerciales et proposait, sur le marché slovène, des vinaigres sous la marque Renški Hram.

42      Afin d’apprécier si lesdites considérations de la chambre de recours sont correctes, il convient, en premier lieu, d’examiner la question de l’impact potentiel de l’enregistrement de la marque contestée sur la valeur des marques antérieures ainsi que sur l’exécution de la créance du requérant à l’encontre de Beohemija.

43      À cet égard, premièrement, il y a lieu de souligner que les marques antérieures ont été mises en gage en tant que partie de la masse de faillite de Beohemija. En revanche, la marque contestée n’appartient pas à ce groupe des marques mises en gage. Il s’ensuit que, dans le cas où les marques antérieures seraient vendues, afin de garantir au requérant le remboursement de la dette de Beohemija, la marque contestée ne ferait pas partie de cette vente.

44      Par conséquent, un acheteur potentiel des marques mises en gage serait confronté à une situation où, après son achat éventuel desdites marques, il existerait encore une autre marque, similaire à ces marques, sur laquelle il ne détiendrait aucun droit. Il importe de souligner, à cet égard, que les parties ne contestent pas que les marques en cause sont, au moins, similaires.

45      Le requérant fait valoir, à juste titre, que cela jouerait nécessairement sur la volonté d’acquérir des acheteurs potentiels. En particulier, ces derniers pourraient décider de ne pas acquérir les marques antérieures susmentionnées, ou de ne les acquérir seulement qu’à un prix inférieur au prix qu’ils auraient été prêts à payer si la marque contestée n’avait pas existé, ce qui aurait pour résultat évident de diminuer la valeur des marques en cause.

46      Deuxièmement, il ressort de la jurisprudence que, parmi les critères qui peuvent avoir pour effet d’amoindrir la valeur d’une marque, figure le fait qu’une autre marque entende profiter du caractère distinctif et de la renommée acquise par ladite marque [voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010, Rubinstein/OHMI – Allergan (BOTOLIST), T‑345/08 et T‑357/08, non publié, EU:T:2010:529, point 88].

47      Or, selon le requérant, la marque contestée a été enregistrée en cherchant, notamment, à tirer profit du caractère distinctif des marques antérieures.

48      À cet égard, il y a lieu d’écarter d’emblée l’argument de l’EUIPO selon lequel cette allégation du requérant doit être rejetée comme étant irrecevable, car ce dernier ne l’aurait pas étayée par des preuves ou des arguments.

49      Contrairement à ce que fait valoir l’EUIPO, l’argument en cause du requérant est recevable, car, d’une part, il a été présenté ensemble avec d’autres arguments qui visent à démontrer l’existence de la mauvaise foi, ce qui permet d’identifier, d’une manière suffisante, les éléments sur lesquels il s’appuie. D’autre part, le requérant a indiqué les raisons qui, selon lui, confirmaient son allégation, à savoir, en substance, l’identité et/ou la similitude des marques et des produits en cause.

50      En effet, en l’espèce, il y a lieu de considérer que, du point de vue d’un acheteur potentiel des marques antérieures mises en gage, la marque contestée, similaire aux marques antérieures, pourrait être perçue comme étant susceptible de profiter de leur caractère distinctif ou de leur renommée.

51      Conformément à la jurisprudence citée au point 46 ci-dessus, la valeur des marques mises en gage, aux yeux d’un acheteur potentiel, pourrait ainsi être diminuée du seul fait de l’existence d’une autre marque qui ne fait pas partie du groupe des marques mises en gage, mais qui est similaire à ces dernières.

52      Troisièmement, il convient d’observer que les intérêts des acheteurs potentiels des marques antérieures seraient déterminés, notamment, par la fonction principale de l’enregistrement des marques de l’Union, à laquelle le requérant fait également référence dans son recours, à savoir de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer, sans confusion possible, ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance [voir arrêt du 25 septembre 2018, Gugler/EUIPO – Gugler France (GUGLER), T‑238/17, EU:T:2018:598, point 40 et jurisprudence citée].

53      Or, en l’espèce, un acheteur potentiel des marques antérieures mises en gage serait confronté à une situation où, après l’achat éventuel desdites marques, des produits ayant une autre provenance seraient désignés par une autre marque, à savoir la marque contestée, similaire à ses marques. Il s’ensuit que, aux yeux d’un acheteur potentiel, l’existence de la marque contestée risquerait de compromettre la fonction essentielle des marques antérieures, ce qui peut impacter leur valeur ainsi que sa volonté et son empressement à les acheter.

54      Les appréciations figurant aux points 43 à 53 ci-dessus ne sauraient être remises en cause par les arguments de l’EUIPO et de l’intervenante.

55      Premièrement, il convient de rejeter l’argument de l’EUIPO selon lequel le fait que Beohemija ne se soit pas opposée à l’enregistrement de la marque contestée laisse entendre qu’elle n’a pas identifié de risques liés à la valeur de ces marques.

56      En particulier, les circonstances du cas d’espèce confirment que l’enregistrement de la marque contestée n’était pas susceptible de porter atteinte aux intérêts de Beohemija parce que Šampionka était autorisée, déjà depuis 2009, à exercer ses activités commerciales en utilisant les marques de Beohemija.

57      Il n’est donc pas surprenant que, du point de vue de Beohemija, il n’existait pas de risques par rapport à la valeur des marques antérieures, tant que la marque contestée appartenait à Šampionka.

58      Il s’ensuit que l’absence d’opposition de la part de Beohemija, par rapport à l’enregistrement de la marque contestée, ne peut pas être considérée comme un critère objectif qui permettrait de constater que ledit enregistrement n’était pas susceptible d’affecter la valeur des marques mises en gage aux yeux de leurs acheteurs potentiels.

59      Deuxièmement, les conclusions relatives à l’impact de l’enregistrement de la marque contestée sur la valeur des marques antérieures ne sauraient être remises en cause par l’argument de l’EUIPO selon lequel le dépôt dudit enregistrement ne visait pas à exploiter le caractère distinctif ou la renommée des marques antérieures, car ce dépôt aurait été effectué avec l’intention d’utiliser la marque contestée pour les mêmes produits que ceux pour lesquels les marques antérieures étaient utilisées.

60      Ainsi que cela a été souligné aux points 50 et 51 ci-dessus, dans le cadre de l’appréciation de l’impact de l’enregistrement de la marque contestée sur la valeur des marques antérieures, il convient d’examiner la question de l’exploitation éventuelle du caractère distinctif ou de la renommée de ces marques, par rapport à la perception d’un acheteur potentiel. Il s’ensuit que l’argument de l’EUIPO en cause serait valable si les marques antérieures n’avaient pas été mises en gage, mais l’existence dudit gage, qui est susceptible, en cas de mobilisation de ce gage, d’aboutir à la vente desdites marques à un tiers, rend cet argument sans pertinence, pour les raisons visées aux points susmentionnés.

61      Troisièmement, il y a lieu d’écarter les arguments de l’EUIPO selon lesquels l’enregistrement de la marque contestée n’aurait pas eu d’incidence sur la valeur des marques antérieures, ni sur la volonté de les acheter, car leurs acheteurs potentiels auraient eu la possibilité de demander la nullité de la marque contestée sur la base des marques antérieures.

62      Certes, une action en nullité pourrait être envisagée par des acheteurs potentiels des marques antérieures. Toutefois, il est évident qu’une telle perspective serait susceptible de les décourager d’acquérir les marques mises en gage ou, à tout le moins, d’avoir un impact négatif sur l’appréciation, par ceux-ci, de leur valeur.

63      Eu égard aux appréciations exposées aux points 43 à 62 ci-dessus, il y a lieu de constater que le requérant a démontré, d’une manière suffisante, l’impact potentiel que l’enregistrement de la marque contestée pourrait avoir sur la valeur des marques antérieures ainsi que sur leur attractivité pour leurs acheteurs éventuels, ce qui affecterait intrinsèquement ladite valeur.

64      Partant, dans la décision attaquée, la chambre de recours s’est fondée sur une prémisse erronée en considérant que le requérant n’avait pas prouvé que le dépôt de la marque contestée, à tout le moins, aurait pu affecter la valeur des marques antérieures.

65      Le fait que l’enregistrement de la marque contestée pourrait avoir une incidence négative sur la valeur des marques antérieures conduit à considérer que cet enregistrement pourrait également avoir une incidence négative sur l’exécution de la créance monétaire que le requérant détenait sur Beohemija, notamment parce que ladite exécution aurait pu être empêchée ou entravée.

66      En deuxième lieu, afin d’apprécier si les conclusions de la chambre de recours sur l’absence de mauvaise foi sont correctes, il y a lieu d’examiner, conformément à la jurisprudence citée au point 30 ci-dessus, les intentions de la demanderesse d’enregistrement de la marque contestée, à savoir Šampionka, au regard des conséquences que ses actions étaient susceptibles d’entraîner.

67      À cet égard, la chambre de recours a constaté que rien ne prouvait que Šampionka visait effectivement à empêcher l’exécution de la créance détenue par le requérant sur Beohemija et donc à spolier le requérant en tant que créancier, et ce indépendamment de la question de savoir si Šampionka avait connaissance ou non, au moment du dépôt de la marque contestée, du privilège accordé sur les marques antérieures mises en gage, et indépendamment de sa relation exacte avec la titulaire de ces marques.

68      Or, d’une part, si Šampionka avait été ou aurait dû être au courant de la mise en gage des marques antérieures, cela signifierait qu’elle aurait déposé la demande d’enregistrement de la marque contestée tout en sachant ou devant savoir que cela pourrait avoir les conséquences négatives sur le requérant visées au point 65 ci-dessus, à savoir empêcher l’exécution de sa créance. Le choix d’enregistrer la marque contestée, dans ces conditions impliquerait que l’intention de la demanderesse dudit enregistrement, à savoir Šampionka, aurait été de poursuivre ledit enregistrement malgré tous les effets négatifs prévisibles de celui-ci pour le requérant. Un tel comportement de Šampionka ne pourrait pas être perçu comme étant dépourvu de pertinence quant à l’appréciation de savoir si son action était de mauvaise foi.

69      D’autre part, il ne peut pas être exclu que l’analyse systémique des liens existant entre le requérant, Šampionka et Beohemija, tels qu’ils ressortent notamment de leurs relations contractuelles, pourrait permettre de mieux apprécier le contexte dans lequel Šampionka a présenté la demande d’enregistrement de la marque contestée et, notamment, servir à évaluer la connaissance, de ladite société, quant à la mise en gage des marques antérieures. Partant, les liens entre toutes les parties susmentionnées ne peuvent pas non plus être considérés comme étant dépourvus de pertinence pour la solution de l’affaire.

70      Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que, dans la décision attaquée, la chambre de recours a effectué son appréciation des intentions de la demanderesse à l’enregistrement de la marque contestée, à savoir Šampionka, sans avoir pris en compte des circonstances importantes que le requérant avait invoquées devant elle et tenant à la connaissance éventuelle, par Šampionka, de la mise en gage des marques antérieures, ainsi qu’aux liens existant entre toutes les parties visées au point précédent, à savoir, le requérant, Šampionka et Beohemija.

71      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de l’EUIPO selon lequel Šampionka ou son successeur en droit n’auraient pas pu avoir l’intention de saper la valeur des marques antérieures, étant donné qu’ils auraient dû savoir que la titulaire desdites marques pouvait, à tout moment, engager une action en nullité de la marque contestée.

72      En effet, cet argument ne peut être utilement invoqué dans la mesure où, ainsi qu’il a été constaté aux points 56 et 57 ci-dessus, l’enregistrement de la marque contestée ne contredit pas les intérêts de Beohemija. Certes, cela pourrait changer, notamment dans le cas où les marques antérieures mises en gage devraient être vendues à un tiers qui n’aurait aucun lien avec la titulaire de la marque contestée. Toutefois, ainsi qu’il a été relevé au point 62 ci-dessus, la perspective de pouvoir engager une action en nullité contre la marque contestée ne serait pas susceptible d’éliminer tout impact négatif de l’enregistrement de la marque contestée sur la valeur des marques antérieures, mais, au contraire, découragerait leurs acheteurs potentiels et contribuerait ainsi à la diminution de leur valeur.

73      En troisième lieu, étant donné que la chambre de recours a considéré que l’enregistrement de la marque contestée avait été demandé à des fins commerciales normales, il convient d’apprécier si cette circonstance aurait pu être suffisante pour exclure l’existence de la mauvaise foi en l’espèce.

74      À l’instar de la chambre de recours, l’EUIPO et l’intervenante soutiennent, à cet égard, que, d’une part, la marque contestée aurait été enregistrée avec l’intention de l’utiliser conformément à ses fonctions essentielles et, d’autre part, cet enregistrement était conforme à la logique commerciale normale, compte tenu des relations contractuelles existant entre Beohemija et Šampionka.

75      Certes, les faits visés au point 74 ci-dessus pourraient être susceptibles d’indiquer, dans des circonstances normales, un comportement honnête. Toutefois, en l’espèce, lesdits faits devaient être appréciés à la lumière des circonstances exceptionnelles de l’espèce, en particulier liées à la mise en gage des marques antérieures.

76      En tout état de cause, la conclusion de la chambre de recours quant à la pratique commerciale normale n’est pas suffisante pour exclure l’existence de la mauvaise foi, sans que soient appréciés tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce, en particulier les circonstances exceptionnelles liées à la mise en gage des marques antérieures.

77      Par ailleurs, contrairement à ce qu’a indiqué en substance la chambre de recours au point 53 de la décision attaquée, les éléments et arguments présentés par le requérant étaient suffisants pour conduire celle-ci à devoir s’interroger sur l’incidence potentielle d’une relation directe ou indirecte entre les parties concernées par le présent litige sur l’existence ou non d’une mauvaise foi. En effet, ainsi que cela ressort de la décision attaquée et du dossier de la procédure devant l’EUIPO, le requérant a fait valoir qu’il existait un lien entre Šampionka et Beohemija en invoquant le fait qu’elles appartenaient au même groupe de sociétés.

78      Compte tenu de ces éléments, la chambre de recours était tenue d’examiner de façon concrète les relations entre toutes les parties susmentionnées et l’éventuelle incidence de ces relations sur l’existence ou non de la mauvaise foi.

79      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de constater, à l’instar du requérant, que les erreurs commises par la chambre de recours, telles qu’elles ont été constatées au point 70 ci-dessus, ont eu pour résultat que celle-ci a exclu l’existence de la mauvaise foi sans prendre en compte des facteurs pertinents propres au cas d’espèce, qui auraient, s’ils avaient été pris en compte, pu éventuellement changer son appréciation.

80      À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence citée au point 33 ci-dessus, l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur exige que tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce et existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe soient pris en compte.

81      Il s’ensuit que la chambre de recours n’a pas correctement apprécié l’existence de la mauvaise foi en l’espèce et a ainsi violé l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

82      Partant, il convient d’accueillir le second moyen, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres arguments et griefs soulevés par les parties dans ce contexte, notamment une éventuelle violation des articles 94 et 95 du règlement 2017/1001.

83      Dès lors, il y a lieu d’accueillir le recours, sans qu’il soit besoin d’examiner le premier moyen, et, partant, d’annuler la décision attaquée.

 Sur la demande en réformation de la décision attaquée

84      À titre principal, le requérant conclut également à ce que le Tribunal réforme la décision attaquée de manière à faire droit à son recours et à réformer la décision du 17 mars 2020 de la division d’annulation de l’EUIPO, en approuvant la demande en nullité de la marque contestée, ainsi qu’à ce que le Tribunal déclare ladite marque nulle dans son intégralité.

85      Il convient de considérer que, par cette demande, le requérant a formulé, en vertu de l’article 72, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, une demande de réformation visant à ce que le Tribunal adopte la décision que la chambre de recours aurait dû prendre [voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2012, Feng Shen Technology/OHMI – Majtczak (FS), T‑227/09, EU:T:2012:138, point 54, et du 13 mai 2020, Divaro/EUIPO – Grendene (IPANEMA), T‑288/19, non publié, EU:T:2020:201, point 85].

86      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le pouvoir de réformation, reconnu au Tribunal en vertu l’article 72, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, n’a pas pour effet de conférer à celui-ci le pouvoir de procéder à une appréciation sur laquelle la chambre de recours n’a pas encore pris position. L’exercice du pouvoir de réformation doit, par conséquent, en principe, être limité aux situations dans lesquelles le Tribunal, après avoir contrôlé l’appréciation portée par ladite chambre, est en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre [voir, par analogie, arrêt du 16 mai 2017, Airhole Facemasks/EUIPO – sindustrysurf (AIR HOLE FACE MASKS YOU IDIOT), T‑107/16, EU:T:2017:335, point 45].

87      En effet, la demande de réformation ne consiste pas à solliciter du Tribunal qu’il condamne l’EUIPO à une quelconque obligation de faire ou de ne pas faire, ce qui constituerait une injonction adressée à ce dernier. Elle vise, au contraire, à ce que le Tribunal décide, au même titre que la chambre de recours, si la marque contestée doit être annulée au regard de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009. Une telle décision figure parmi les mesures qui, en principe, peuvent être prises par le Tribunal au titre de son pouvoir de réformation (voir arrêt du 16 mai 2017, AIR HOLE FACE MASKS YOU IDIOT, T‑107/16, EU:T:2017:335, points 46 et 47 et jurisprudence citée).

88      En l’espèce, les conditions pour l’exercice du pouvoir de réformation ne sont pas réunies.

89      Ainsi que cela a été constaté au point 70 ci-dessus, la chambre de recours n’a pas examiné, pour apprécier la mauvaise foi de Šampionka, tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce invoqués par le requérant, notamment la connaissance éventuelle de la mise en gage des marques antérieures ainsi que les liens existant entre le requérant, Šampionka et Beohemija.

90      Partant, les éléments examinés dans la décision attaquée ne permettent pas de déterminer la décision que la chambre de recours aurait été tenue de prendre. Si ces éléments ne justifient pas le constat selon lequel Šampionka n’était pas de mauvaise foi, au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, ainsi qu’il a été constaté au point 79 ci-dessus dans le cadre de l’examen de la demande en annulation, ils ne justifient pas non plus, à eux seuls, le constat contraire.

91      Il ressort de la jurisprudence que de telles circonstances sont considérées comme empêchant le Tribunal d’exercer son pouvoir de reformation [voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2012, Feng Shen Technology/OHMI – Majtczak (FS), T‑227/09, EU:T:2012:138, points 56 et 57].

92      Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la demande en réformation présentée par le requérant, tendant à ce que le Tribunal déclare nulle la marque contestée.

 Sur les dépens

93      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Aux termes de l’article 134, paragraphe 2, dudit règlement, si plusieurs parties succombent, le Tribunal décide du partage des dépens.

94      Le requérant a conclu à ce que l’EUIPO soit condamné aux dépens relatifs à la procédure devant le Tribunal ainsi qu’aux procédures de nullité et de recours devant l’EUIPO.

95      L’EUIPO ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il y a lieu de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le requérant relatifs à la procédure devant le Tribunal.

96      S’agissant des dépens relatifs aux procédures de nullité devant la division d’annulation et de recours devant la chambre de recours, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme des dépens récupérables. Il n’en va toutefois pas de même des frais exposés aux fins de la procédure devant la division d’annulation.

97      Partant, la demande du requérant tendant à ce que l’EUIPO soit condamné aux dépens relatifs aux procédures devant la division d’annulation et devant la chambre de recours ne peut être accueillie que s’agissant des seuls dépens exposés aux fins de la procédure devant la chambre de recours.

98      L’intervenante ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il convient de la condamner à supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 23 mars 2021 (affaire R 679/20204) est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      L’EUIPO supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par M. Edvin Pejovič aux fins de la présente procédure ainsi qu’aux fins de la procédure devant la chambre de recours.

4)      ETA živilska industrija d.o.o. supportera ses propres dépens.

Tomljenović

Škvařilová-Pelzl

Nõmm

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 juillet 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.