Language of document : ECLI:EU:T:2002:111

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

30 avril 2002 (1)

«Aides d'État - Réglementations fiscales - Aides existantes ou aides nouvelles - Ouverture de la procédure formelle d'examen prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE»

Dans les affaires jointes T-195/01 et T-207/01,

Government of Gibraltar, représenté par MM. A. Sutton, M. Llamas, barristers, et Me W. Schuster, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. V. Di Bucci et R. Lyal, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume d'Espagne, représenté par Mme R. Silva de Lapuerta, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

ayant pour objet deux demandes d'annulation des décisions SG(2001) D/289755 et SG(2001) D/289757 de la Commission, du 11 juillet 2001, ouvrant la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE à l'égard des réglementations de Gibraltar sur les sociétés exemptées et les sociétés qualifiées,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de M. R. M. Moura Ramos, président, Mme V. Tiili, MM. J. Pirrung, P. Mengozzi et A. W. H. Meij, juges,

greffier: M. J. Plingers, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 5 mars 2002,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

Dispositions communautaires

1.
    L'article 87, paragraphe 1, CE prévoit que, sauf dérogations, les aides d'État sont interdites. Pour assurer l'efficacité de cette interdiction, l'article 88 CE impose à la Commission un devoir spécifique de contrôle et aux États membres des obligations précises en vue de faciliter la tâche de la Commission et d'éviter que celle-ci ne soit placée devant un fait accompli.

2.
    Ainsi, conformément à l'article 88, paragraphe 1, CE, la Commission procède avec les États membres à l'examen permanent des régimes d'aides existant dans ces derniers et leur propose, le cas échéant, «les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché commun».

3.
    En ce qui concerne les projets tendant à instituer ou à modifier des aides, l'article 88, paragraphe 3, CE exige que la Commission en soit informée en temps utile pour présenter ses observations. La Commission doit entamer la procédure contradictoire prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE, si elle estime qu'un projet notifié n'est pas compatible avec le marché commun. Les États membres sont tenus de ne pas mettre à exécution les mesures projetées avant que la Commission n'ait adopté une décision finale quant à l'éventuelle compatibilité de ces mesures avec le marché commun.

4.
    L'article 1er du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article [88] du traité CE (JO L 83, p. 1, ci-après le «règlement 'procédure aides d'État'»), qui est entré en vigueur le 16 avril 1999, comporte les définitions suivantes pertinentes pour les présentes procédures:

«a)    'aide': toute mesure remplissant tous les critères fixés à l'article [87], paragraphe 1, du traité;

b)    'aide existante':

    i)    [...] toute aide existant avant l'entrée en vigueur du traité dans l'État membre concerné, c'est-à-dire les régimes d'aides et aides individuelles mis à exécution avant, et toujours applicables après, ladite entrée en vigueur;

    

    [...]

    

    v)    toute aide qui est réputée existante parce qu'il peut être établi qu'elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l'évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l'État membre. Les mesures qui deviennent une aide suite à la libéralisation d'une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation;

c)    'aide nouvelle': toute aide, c'est-à-dire tout régime d'aides ou toute aide individuelle, qui n'est pas une aide existante, y compris toute modification d'une aide existante;

[...]

f)    'aide illégale': une aide nouvelle mise à exécution en violation de l'article [88], paragraphe 3, du traité;

[...]»

5.
    Selon les articles 2, paragraphe 1, et 3 du règlement «procédure aides d'État», «tout projet d'octroi d'une aide nouvelle est notifié en temps utile à la Commission par l'État membre concerné», et ne doit être mis à exécution «que si la Commission a pris, ou est réputée avoir pris, une décision l'autorisant». L'article 4, paragraphe 4, du même règlement prévoit que la Commission adopte une décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE (ci-après la «procédure formelle d'examen»), si elle constate, après un examen préliminaire, que la mesure notifiée suscite «des doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun».

6.
    Conformément à l'article 6, paragraphe 1, du même règlement, une «décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen récapitule les éléments pertinents de fait et de droit, inclut une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée visant à déterminer si elle présente le caractère d'une aide, et expose les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché commun».

7.
    Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, du règlement «procédure aides d'État», «la procédure formelle d'examen est clôturée par voie de décision conformément aux paragraphes 2 à 5 du présent article». Lorsque la Commission constate que la mesure notifiée ne constitue pas une aide, elle le fait savoir par voie de décision (paragraphe 2 du même article). Lorsqu'elle constate que l'aide notifiée est incompatible avec le marché commun, elle décide que ladite aide ne peut être mise à exécution (paragraphe 5 du même article). Les décisions prises en application des paragraphes 2 à 5 doivent l'être dès que les doutes visés à l'article 4, paragraphe 4, sont levés (paragraphe 6 du même article).

8.
    Quant aux mesures non notifiées, l'article 10, paragraphe 1, du règlement «procédure aides d'État» dispose que «[l]orsque la Commission a en sa possession des informations concernant une aide prétendue illégale, quelle qu'en soit la source, elle examine ces informations sans délai». Il est prévu à l'article 13, paragraphe 1, du même règlement que cet examen débouche, le cas échéant, sur une décision d'ouvrir une procédure formelle d'examen.

9.
    Aux termes de l'article 11, paragraphe 1, du règlement «procédure aides d'État», la Commission peut arrêter une décision enjoignant à l'État membre de suspendre le versement de toute aide illégale, jusqu'à ce qu'elle statue sur la compatibilité de cette aide avec le marché commun. Le paragraphe 2 de cet article autorise la Commission à arrêter une décision enjoignant à l'État membre de récupérer provisoirement toute aide versée illégalement, jusqu'à ce qu'elle statue sur la compatibilité de cette aide avec le marché commun, à condition, notamment, que «selon une pratique établie, le caractère d'aide de la mesure concernée ne [fasse] pas de doute».

10.
    S'agissant de la récupération de l'aide, il est prévu à l'article 14, paragraphe 1, du règlement «procédure aides d'État» que, en cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'État membre concerné prend toutesles mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire, sauf si, en exigeant une telle récupération, «elle allait à l'encontre d'un principe général de droit communautaire». Selon l'article 15, paragraphe 1, du même règlement, les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l'aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans.

11.
    La procédure relative aux régimes d'aides existants est prévue aux articles 17 à 19 du règlement «procédure aides d'État». Aux termes de l'article 18, si la Commission parvient à la conclusion qu'un régime d'aides existant n'est pas, ou n'est plus, compatible avec le marché commun, elle adresse à l'État membre concerné une recommandation proposant l'adoption de mesures utiles. Si l'État membre concerné n'accepte pas les mesures proposées, la Commission peut procéder, en vertu de l'article 19, paragraphe 2, à l'ouverture d'une procédure formelle d'examen conformément à l'article 4, paragraphe 4, précité.

Statut de Gibraltar et réglementations litigieuses

12.
    Le territoire de Gibraltar étant un territoire européen, au sens de l'article 299, paragraphe 4, CE, dont le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord assume les relations extérieures, les dispositions du traité s'appliquent à lui. Alors que, en vertu de l'article 28 de l'acte relatif aux conditions d'adhésion aux Communautés européennes du royaume de Danemark, de l'Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, qui est annexé au traité relatif à l'adhésion de ceux-ci (JO 1972, L 73, p. 5), les actes des institutions communautaires visant, notamment, l'«harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ne sont pas applicables à Gibraltar», en l'absence d'une décision du Conseil en disposant autrement, les règles du droit communautaire sur la concurrence, y compris celles relatives aux aides accordées par les États membres, s'y appliquent.

13.
    Les présentes affaires concernent deux réglementations relatives au droit des sociétés, portant, respectivement, sur les «sociétés exemptées» et les «sociétés qualifiées». Les premières ne sont pas implantées à Gibraltar, tandis que les dernières y ont «a bricks and mortar presence» («pignon sur rue») et sont actives dans divers secteurs.

Sociétés exemptées

14.
    Le 9 mars 1967, la House of Assembly (Gibraltar) a adopté l'Ordinance No. 2 of 1967, plus connue sous l'appellation de Companies (Taxation and Concessions) Ordinance [ordonnance sur les sociétés (imposition et avantages fiscaux)]. Cette ordonnance a été modifiée en 1969 et en 1970, ainsi qu'à dix reprises depuis l'adhésion du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, à savoir en 1974, en 1977, en 1978, en 1983, en 1984, en 1985, en 1987, en 1988, en 1990 et en 1993. C'est la version de cette ordonnance, telle que modifiée en 1978 et en 1983(ci-après la «réglementation sur les sociétés exemptées»), qui fait l'objet de la présente procédure.

15.
    Afin de jouir du statut de société exemptée, une entreprise doit satisfaire aux conditions prévues à l'article 3 de la réglementation sur les sociétés exemptées. Parmi ces conditions figure l'interdiction d'exercer une activité commerciale ou toute autre activité à Gibraltar, sauf avec d'autres sociétés exemptées, ainsi que, selon les informations fournies lors de la procédure en référé, avec des sociétés qualifiées. Les ressortissants de Gibraltar et les résidents ne peuvent être titulaires ou bénéficiaires d'aucune participation dans une société exemptée, sauf par l'intermédiaire d'une société anonyme et à titre d'actionnaire de celle-ci . En outre, avant la modification introduite en 1983, l'article 3 de la réglementation sur les sociétés exemptées a exclu le statut de société exemptée pour les sociétés visées au chapitre IX de l'ordonnance, c'est-à-dire les sociétés qui n'étaient pas constituées à Gibraltar et n'y avaient qu'un établissement; il s'agissait là, notamment, de succursales enregistrées de sociétés étrangères.

16.
    En vertu de l'article 8 de la réglementation sur les sociétés exemptées, et sous réserve de quelques exceptions limitées, une société exemptée est exonérée d'impôt sur les revenus à Gibraltar; en vertu de l'article 10 de cette réglementation, elle n'est tenue qu'au versement d'une taxe forfaitaire annuelle de 225 livres sterling (GBP). En outre, aux termes de l'article 9 de la même réglementation, toute participation dans une société exemptée, tout prêt accordé à une telle société et toute obligation émise par elle sont exemptés de droits de mutation.

- Modification de 1978

17.
    À la suite de la modification introduite en 1978, l'article 9 de la réglementation sur les sociétés exemptées dispose que la franchise des droits de mutation couvre désormais toute police d'assurance vie émise par une société exemptée, la valeur d'une telle police d'assurance ne pouvant être prise en compte ou ajoutée à celle d'autres biens en vue de déterminer le taux des droits de mutation payables sur ces derniers. Toutefois, ne bénéficient pas de l'exemption des droits de mutation, et peuvent être prises en compte quant à leur valeur, les polices d'assurance vie concernant un ressortissant ou un résident de Gibraltar. Le même article 9, en sa version modifiée en 1978, prévoit que, sans préjudice des dispositions de la Stamp Duty Ordinance (l'ordonnance sur les droits de timbre), il n'est perçu aucun droit de timbre lors de l'émission de polices d'assurance vie exemptées de droits de mutation, lors du versement de rentes par les sociétés exemptées ou lors de certaines opérations relatives à ces polices ou rentes, telles que la constitution de sûretés, la vente, etc.

- Modification de 1983

18.
    La modification introduite en 1983 a supprimé, dans l'article 3 de la réglementation sur les sociétés exemptées, les mots «à l'exception de son chapitre IX» (voir, ci-dessus, point 15) et a ainsi permis aux sociétés visées à ce chapitre d'acquérir le statut de sociétés exemptées.

Sociétés qualifiées

19.
    Le 14 juillet 1983, la House of Assembly a adopté l'Ordinance No. 24 of 1983, plus connue sous l'appellation de Income Tax (Amendment) Ordinance 1983 (ordonnance portant modification de l'ordonnance relative à l'impôt sur le revenu). Cette ordonnance a introduit la définition d'un type de société appelée «qualifying company» («société qualifiée») dans le texte de l'Ordinance No. 11 of 1952, plus connue sous l'appellation d'lncome Tax Ordinance (ordonnance relative à l'impôt sur le revenu), ainsi que certaines dispositions relatives à ce type de société. Les règles détaillées nécessaires à la mise en oeuvre de ces nouvelles dispositions ont été adoptées dans les Income Tax (Qualifying Companies) Rules [règles relatives à l'impôt sur le revenu (sociétés qualifiées)] du 22 septembre 1983. L'Ordinance No 24, précitée, et les règles de 1983 (ci-après la «réglementation sur les sociétés qualifiées») constituent la réglementation applicable aux sociétés qualifiées en cause dans les présentes procédures.

20.
    Les conditions pour bénéficier du statut de société qualifiée sont, pour l'essentiel, identiques à celles indiquées ci-dessus pour pouvoir bénéficier du statut de société exemptée.

21.
    Aux termes de l'article 41, paragraphe 4, de l'Income Tax Ordinance, les sociétés qualifiées sont assujetties à l'impôt sur les bénéfices, mais le taux ne peut dépasser celui de l'impôt sur les sociétés applicable à Gibraltar (fixé actuellement à 35 % des bénéfices). Aucun texte réglementaire ne précise le taux effectif de l'impôt qu'une société qualifiée doit acquitter. Toutefois, toutes ces sociétés acquittent, selon les informations fournies dans le dossier et dans le cadre de la procédure en référé, un impôt à un taux qui est négocié avec les pouvoirs fiscaux de Gibraltar et qui varie entre 2 et 10 % de leurs bénéfices. L'article 41, paragraphe 4, sous b) et c), de l'Income Tax Ordinance dispose également que les honoraires payables par une société qualifiée à des non-résidents (incluant les directeurs), ainsi que les dividendes versés aux actionnaires, sont imposés au même taux que celui applicable aux bénéfices de cette société. Enfin, conformément à la Stamp Duty Ordinance, il n'y a pas lieu d'acquitter de droit de timbre sur le transfert d'actions d'une société qualifiée, ni sur la souscription de polices d'assurance vie émises ou sur les rentes versées par ces sociétés, ni sur toute opération de vente, d'hypothèque ou autres relatives à de telles polices ou rentes.

Antécédents des litiges

22.
    Par lettre du 12 février 1999, la Commission a demandé au représentant permanent du Royaume-Uni auprès de l'Union européenne de lui fournir des informations générales, notamment, sur cinq régimes fiscaux en vigueur à Gibraltar qui faisaient déjà l'objet, par ailleurs, d'un examen effectué par le Conseil dans le cadre du codede conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises [annexé aux conclusions du Conseil «Ecofin» du 1er décembre 1997 sur la politique fiscale (JO 1998, C 2, p. 1)] et par un groupe, actuellement présidé par Mme Primarolo (ci-après le «groupe Primarolo»), institué en 1997 par le Conseil, comprenant des experts nationaux de haut niveau en matière fiscale et un représentant de la Commission.

23.
    Parmi ces réglementations figuraient celles sur les sociétés exemptées et sur les sociétés qualifiées. Le gouvernement du Royaume-Uni a fourni les informations demandées par courrier du 22 juillet 1999 et a sollicité, afin de discuter de ces réglementations, la tenue d'une réunion avec les services compétents de la Commission.

24.
    Les 23 mai et 28 juin 2000, la Commission a adressé, respectivement, une lettre et un rappel au représentant permanent du Royaume-Uni, demandant un complément d'informations concernant lesdites réglementations.

25.
    La représentation permanente du Royaume-Uni a répondu par un courrier du 3 juillet 2000, auquel elle a joint une copie de l'ordonnance sur les sociétés exemptées de 1967, modifiée en 1983, ainsi que l'ordonnance de 1983 sur les sociétés qualifiées dans sa version en vigueur en 1984.

26.
    Par lettre du 14 juillet 2000, adressée au représentant permanent du Royaume-Uni, la Commission a confirmé, sur la base des informations dont elle disposait, que la réglementation sur les sociétés exemptées lui semblait constituer une aide au fonctionnement incompatible avec le marché commun. Afin de déterminer si elle constitue une aide existante, elle a également demandé une copie de l'ordonnance dans sa version originale de 1967 et a invité le gouvernement du Royaume-Uni, conformément à l'article 17, paragraphe 2, du règlement «procédure aides d'État», à lui faire part de ses observations.

27.
    La représentation permanente du Royaume-Uni a répondu à la Commission par courriers des 3 août et 12 septembre 2000 en fournissant, dans le premier, une copie du texte initial de la réglementation, tel que modifié en 1969, en 1970, en 1977 et en 1978, et en demandant de nouveau qu'une réunion avec les représentants de la Commission ait lieu. Dans le second, elle a rappelé cette demande et transmis à la Commission un document préparé par le gouvernement de Gibraltar exposant les raisons pour lesquelles celui-ci considère que la réglementation sur les sociétés exemptées ne constitue pas une aide d'État.

28.
    Une réunion a eu lieu à Bruxelles le 19 octobre 2000 entre les représentants du gouvernement du Royaume-Uni et les services de la Commission. Le gouvernement du Royaume-Uni a également invité les représentants du gouvernement de Gibraltar à assister à cette réunion. Certaines réponses aux questions posées par la Commission lors de la réunion ont été formulées par le gouvernement de Gibraltar et présentées à la Commission le 28 novembre 2000, avant de lui être formellement transmises le 8 janvier 2001 par le gouvernement du Royaume-Uni.

Décisions attaquées

29.
    Par décisions SG(2001) D/289755 et SG(2001) D/289757 du 11 juillet 2001, notifiées au gouvernement du Royaume-Uni par lettres du même jour, la Commission a décidé d'ouvrir une procédure formelle d'examen à l'égard des réglementations sur les sociétés exemptées et qualifiées.

Décision sur les sociétés exemptées

30.
    Dans l'exposé des motifs de la décision SG(2001) D/289755, après avoir résumé les conditions principales qui doivent être remplies pour obtenir le statut de société exemptée, la Commission constate:

«Sur la base des informations communiquées par les autorités britanniques, il s'avère que la législation relative aux entreprises exonérées, qui a été introduite après l'adhésion du Royaume-Uni à l'Union européenne, semble contenir au moins deux modifications susceptibles d'être considérées comme des éléments devant être notifiés conformément à la réglementation sur les aides d'État [...]»

31.
    Quant à la modification de 1978, la Commission considère qu'elle a libéré les sociétés exemptées de leur assujettissement à une taxe en introduisant une exemption du droit de timbre perçu sur la souscription des polices d'assurance vie, sur le montant des rentes versées par elles et sur certaines opérations relatives à ces polices ou rentes. Quant à la modification de 1983, la Commission estime qu'elle a fait bénéficier du régime fiscal en question de nouvelles entreprises, qui ne remplissaient pas les conditions requises pour bénéficier du statut de société exemptée selon la version originale de 1967 de l'ordonnance sur les sociétés exemptées [à savoir les succursales des sociétés étrangères enregistrées conformément au titre IX de la Companies Ordinance (ordonnance sur les sociétés) de Gibraltar]. Ces entreprises, si elles obtiennent le statut de société exemptée, n'acquittent qu'une taxe annuelle forfaitaire de 300 GBP. La Commission conclut que, compte tenu de ces «modifications substantielles», qui concernent à la fois le montant de l'avantage accordé et l'étendue des bénéficiaires potentiels, «la réglementation sur les sociétés exemptées ne saurait être considérée comme une aide existante, mais comme une aide illégale».

32.
    Après avoir résumé les observations présentées par le gouvernement du Royaume-Uni et le gouvernement de Gibraltar lors de son examen préliminaire, la Commission affirme que ces observations ne suffisent pas à dissiper ses doutes quant à leurs allégations sur la nature d'aide d'État existante de la réglementation en question. Ensuite, elle analyse la compatibilité de l'aide et conclut qu'elle ne semble pas tomber dans le champ d'application des exceptions prévues par l'article87, paragraphe 3, CE. La Commission exprime le souhait d'obtenir les observations des parties intéressées concernant l'existence d'obstacles éventuels à la récupération de l'aide, «dans l'hypothèse où [celle-ci] serait déclarée illégale et incompatible avec le marché commun». La Commission rappelle au gouvernement du Royaume-Uni que la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 3, CE a des effets suspensifs et que l'article 14 du règlement «procédure aides d'État» prévoit qu'une aide illégale est récupérable auprès du bénéficiaire.

Décision sur les sociétés qualifiées

33.
    Dans l'exposé des motifs de la décision SG(2001) D/289757, la Commission indique que la réglementation sur les sociétés qualifiées «ne semble pas relever» de la définition d'une aide existante donnée par l'article 1er du règlement «procédure aides d'État» et qu'«elle doit être considérée, à ce stade, comme une aide non notifiée».

34.
    Ayant constaté que cette réglementation semble constituer une aide au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE, la Commission conclut qu'elle pourrait, «à ce stade», être considérée comme une aide au fonctionnement, qui ne semble pas relever des exceptions prévues à l'article 87, paragraphe 3, CE. Elle sollicite des observations des parties intéressées concernant l'existence d'obstacles éventuels à la récupération de l'aide, «dans l'hypothèse où [celle-ci] serait déclarée illégale et incompatible avec le marché commun». Le gouvernement du Royaume-Uni est avisé des effets suspensifs de la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 3, CE et son attention est attirée sur le fait que l'article 14 du règlement «procédure aides d'État» prévoit qu'une aide illégale est récupérable auprès du bénéficiaire.

Procédure

35.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 août 2001, enregistrée sous le numéro T-195/01, le gouvernement de Gibraltar a introduit, en vertu de l'article 230, quatrième alinéa, CE, un recours visant à l'annulation de la décision SG(2001) D/289755 (ci-après la «décision attaquée I») ouvrant une procédure formelle d'examen à l'égard de la réglementation sur les sociétés exemptées.

36.
    Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit une demande de sursis à l'exécution de la décision attaquée I et de mesures provisoires, sous forme d'injonction visant à empêcher la publication, par la Commission, de l'ouverture de ladite procédure.

37.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 septembre 2001, enregistrée sous le numéro T-207/01, le requérant a introduit, en vertu de l'article 230, quatrième alinéa, CE, un recours visant à l'annulation de la décision SG(2001) D/289757 (ci-après la «décision attaquée II») ouvrant une procédure formelle d'examen à l'égard de la réglementation sur les sociétés qualifiées.

38.
    Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit une demande de sursis à l'exécution de la décision attaquée II et de mesures provisoires, sous forme d'injonction visant à empêcher la publication, par la Commission, de l'ouverture de ladite procédure.

39.
    En réponse à une demande de renseignements adressée au représentant permanent du Royaume-Uni dans le cadre de la procédure en référé, le gouvernement du Royaume-Uni a exposé, par lettre du 11 octobre 2001 (ci-après la «réponse du Royaume-Uni»), que le requérant et la House of Assembly ont, respectivement, compétence pour proposer et adopter la réglementation ayant trait à la fiscalité des entreprises, celle-ci relevant des «defined domestic matters» («affaires intérieures déterminées») au sens de l'article 55 du Gibraltar Constitution Order (ordonnance sur la constitution de Gibraltar) de 1969. Seules les affaires ne relevant pas de cette catégorie resteraient de la compétence exclusive du gouverneur de Gibraltar. La dépêche ministérielle du 23 mai 1969 prévoirait que le gouverneur peut intervenir, au nom du gouvernement du Royaume-Uni, au cas où une telle intervention s'avérerait nécessaire pour assurer le respect, notamment, des obligations internationales, y compris celles découlant du droit communautaire, du gouvernement du Royaume-Uni. S'agissant du pouvoir d'ester en justice dans les affaires relatives à la fiscalité des entreprises, le Chief Minister pourrait être mandaté pour exercer un recours au nom du requérant, ce dernier ayant le droit d'introduire un tel recours nonobstant la répartition de compétence interne en la matière entre lui et la House of Assembly.

40.
    Lors de sa conférence de chambre du 12 novembre 2001, la deuxième chambre élargie du Tribunal, à laquelle les affaires au principal ont été attribuées, a décidé, sur la base de l'article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal, tel que modifié le 6 décembre 2000 (JO L 322, p. 4), après avoir entendu le requérant sur cette question, de faire droit à la demande de procédure accélérée déposée le 18 octobre 2001 par la Commission.

41.
    Par ordonnance du président de la deuxième chambre élargie du Tribunal du 14 novembre 2001, les deux affaires au principal ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de l'arrêt, conformément à l'article 50 du règlement de procédure du Tribunal.

42.
    Par mémoires déposés le 29 novembre 2001, le requérant et la Commission ont présenté, sur invitation du Tribunal, des observations écrites sur les éventuelles conséquences de l'arrêt de la Cour du 9 octobre 2001, Italie/Commission (C-400/99, Rec. p. I-7303, ci-après l'«arrêt Tirrenia») pour les présents litiges.

43.
    Par ordonnance du 19 décembre 2001, le président du Tribunal a rejeté les demandes en référé, introduites par le requérant, dans les affaires T-195/01 R et T-207/01 R.

44.
    Par ordonnance du 21 janvier 2002, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a admis le royaume d'Espagne à intervenir dans les présentes affaires au soutien des conclusions de la partie défenderesse et a fait droit, dans un premier temps, à la demande du requérant visant à obtenir un traitement confidentiel de certaines pièces du dossier vis-à-vis de la partie intervenante.

45.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre élargie) a décidé d'ouvrir la procédure orale.

46.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience qui s'est déroulée le 5 mars 2002.

Conclusions des parties

47.
    Le requérant conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    annuler la décision attaquée I et la décision attaquée II;

-    condamner la Commission aux dépens.

48.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter les recours comme irrecevables;

-    à titre subsidiaire, les rejeter comme non fondés;

-    condamner le requérant aux dépens.

49.
    Le royaume d'Espagne se rallie aux conclusions de la Commission.

Sur la recevabilité des recours

50.
    La Commission, soutenue par le royaume d'Espagne, soulève deux moyens d'irrecevabilité. Par le premier, elle conteste la qualité pour agir du requérant. Par le second, elle soutient que les décisions attaquées ne produisent pas d'effets juridiques et ne peuvent donc pas être attaquées par un recours en annulation.

Sur la qualité pour agir

Arguments de la Commission et du royaume d'Espagne

51.
    La Commission et le royaume d'Espagne expriment des doutes quant à la qualité pour agir du requérant et quant au pouvoir du Chief Minister d'introduire les présents recours. Elles estiment qu'il existe une certaine incompatibilité entre la réponse du Royaume-Uni (voir, ci-dessus, point 39) et la position adoptée par le Royaume-Uni dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour du 29 juin 1993, Gibraltar/Conseil (C-298/89, Rec. p. I-3605), dans laquelle le Royaume-Uni a déclaré que, même en ce qui concerne les affaires intérieures déterminées, la compétence du Conseil des ministres ne s'étend pas à l'application à Gibraltar des conventions internationales, ni à l'exécution à Gibraltar des obligations internationales contractées, ni à la participation de Gibraltar à des organisations internationales spécialisées. Dans ces domaines, une action en justice au nom du gouvernement de Gibraltar ne pourrait être intentée que sur les instructions du gouverneur de Gibraltar. La Commission s'en remet à la sagesse du Tribunal pour apprécier s'il y a lieu de poursuivre l'examen de cette question.

Appréciation du Tribunal

52.
    À cet égard, il convient de rappeler, tout d'abord, que l'article 230, quatrième alinéa, CE autorise «toute personne physique ou morale» à introduire un recours en annulation. En l'espèce, il n'est pas contesté que, en droit britannique, le requérant jouit d'une personnalité juridique et doit, à ce titre, être considéré comme une personne morale au sens de la disposition susmentionnée.

53.
    Quant au pouvoir du requérant d'introduire les présents recours, il ressort de la réponse du Royaume-Uni (voir, ci-dessus, point 39) que le droit britannique pertinent attribue au requérant une compétence dans le domaine spécifique faisant l'objet du cas d'espèce, celui de la fiscalité des entreprises, en tant qu'«affaire intérieure déterminée». Aucun élément du dossier ne permet au Tribunal d'infirmer le contenu de cette réponse.

54.
    Dans ces conditions, la référence de la Commission et du royaume d'Espagne à l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Gibraltar/Conseil, précité, dans laquelle le Royaume-Uni aurait contesté la qualité pour agir du gouvernement de Gibraltar, est sans pertinence, étant observé que l'objet de cette affaire portait sur le trafic aérien intracommunautaire et était donc foncièrement différent de celui du cas d'espèce.

55.
    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le premier moyen d'irrecevabilité au vu des éléments du dossier, sans qu'il soit nécessaire de procéder d'office à une analyse plus approfondie de cette question de recevabilité.

Sur la nature juridique des décisions attaquées

Arguments de la Commission et du royaume d'Espagne

56.
    Selon la Commission, les décisions attaquées n'ont pas d'effets juridiques. À la différence des décisions qui ont fait l'objet des arrêts de la Cour du 30 juin 1992, Espagne/Commission (C-312/90, Rec. p. I-4117, ci-après l'«arrêt Cenemesa»), et Italie/Commission (C-47/91, Rec. p. I-4145, ci-après l'«arrêt Italgrani»), les décisions attaquées ne comporteraient pas de conclusions définitives quant au caractère nouveau ou existant des aides alléguées et à leur compatibilité avec le marché commun. Par conséquent, ces décisions n'impliqueraient pas automatiquement la mise en oeuvre de l'obligation de suspension prévue à l'article 88, paragraphe 3, CE. Elles rappelleraient simplement au Royaume-Uni l'effet de cette disposition au cas où elle se trouverait applicable. La question de savoir si les réglementations litigieuses, au cas où elles constitueraient des aides, doivent être qualifiées d'aides nouvelles ou existantes resterait donc en suspens.

57.
    La Commission ajoute qu'elle n'a pris aucune décision enjoignant à l'État membre de récupérer provisoirement l'aide en application de l'article 11, paragraphe 2, du règlement «procédure aides d'État». Elle aurait simplement invité le Royaume-Uni et les autres parties intéressées à présenter leurs observations sur le point de savoir si les bénéficiaires des aides étaient susceptibles d'avoir acquis une confiance légitime de nature à empêcher la récupération «dans l'hypothèse où ces aides seraient considérées comme illégales et incompatibles avec le marché commun».

58.
    Admettant que la jurisprudence des arrêts Cenemesa et Italgrani a été confirmée par la Cour dans l'arrêt Tirrenia, la Commission considère que cet arrêt, cependant, n'énonce pas que toute décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen entraîne nécessairement des effets juridiques. À l'instar des arrêts Cenemesa et Italgrani, l'arrêt Tirrenia reposerait sur l'idée que la Commission avait qualifié la mesure en cause d'aide nouvelle. Dans ce contexte, la Commission renvoie, notamment, au point 59 de l'arrêt Tirrenia, dans lequel il est question d'une décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE à l'égard d'une mesure en cours d'exécution «et qualifiée d'aide nouvelle». En l'espèce, en revanche, la Commission n'aurait pris aucune décision en ce sens et n'aurait pas déclaré les aides illégales.

59.
    En outre, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Tirrenia, la Commission n'aurait soulevé, dans sa lettre de mise en demeure adressée aux autorités italiennes, que la question de l'existence et de la compatibilité avec le droit communautaire de l'aide dénoncée par des plaignants. À aucun moment, la Commission n'aurait fait état de doutes quant au caractère nouveau de l'aide alléguée. Au contraire, elle aurait clairement indiqué que, selon elle, l'aide en question était nouvelle et devait être supprimée. Elle aurait demandé aux autorités italiennes de confirmer la suspension de cette aide dans un délai de dix jours, leur rappelant la nécessité d'une telle mesure pour éviter toute distorsion ultérieure du marché. Elle aurait également rappelé la possibilité de saisir directement la Cour en application de l'article 88, paragraphe 2, CE, au cas où la République italienne ne se conformerait pas à la décision de suspension. Dans une lettre ultérieure, elle aurait fait part deson intention d'arrêter une décision enjoignant à la République italienne de suspendre le versement de cette aide.

60.
    En l'espèce, en revanche, la Commission n'aurait pas arrêté de décision de suspension de l'aide alléguée ni indiqué son intention de le faire. Elle n'aurait pas non plus menacé de saisir directement la Cour si l'aide alléguée n'était pas suspendue. Elle n'aurait pris aucune de ces mesures pour la simple raison qu'elle n'a pas encore déterminé si l'aide alléguée est nouvelle ou existante. L'une des questions auxquelles la procédure formelle d'examen devrait répondre concernerait justement le caractère nouveau des mesures alléguées. Selon la Commission, ce n'est que lorsqu'une réponse aura été donnée à cette question qu'il sera possible de dire clairement si Gibraltar est tenu de suspendre le versement de l'aide alléguée.

61.
    La Commission ajoute que, dans l'arrêt Tirrenia, la Cour a estimé que la décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen produisait des effets juridiques autonomes, puisque cette décision impliquait que la Commission «n'entend[ait] pas examiner l'aide dans le cadre de l'examen permanent des régimes d'aides existants» (point 58). Ainsi, selon la Cour, l'aide avait été, du point de vue de la Commission, «illégalement mise en oeuvre, en méconnaissance de l'effet suspensif découlant, à l'égard des aides nouvelles, de l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE» (point 58). Cette décision comportait, toujours selon la Cour, «à tout le moins un doute important sur la légalité de cette mesure, qui [...] [devait] conduire l'État membre à en suspendre le versement» (point 59).

62.
    La Commission souligne que les décisions attaquées en l'espèce ne peuvent pas être assimilées à celle adoptée dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Tirrenia. En l'espèce, la Commission n'aurait pas indiqué, ni ne serait parvenue à la conclusion, que l'aide était mise en oeuvre illégalement; en outre, les décisions attaquées n'impliqueraient pas qu'elle n'entend pas examiner l'aide «dans le cadre de l'examen permanent des régimes d'aides existants». La Commission ne serait pas encore parvenue à un stade où elle peut dire, avec certitude, que les mesures en question sont nouvelles ou existantes. Si elles sont existantes, elles devraient alors être examinées dans le cadre du régime des aides existantes, tandis que si elles sont nouvelles, leur suspension s'imposerait. Toutefois, pour déterminer le régime applicable, il serait nécessaire de disposer de plus amples renseignements.

63.
    La Commission admet que les décisions attaquées en l'espèce font naître un doute quant à la légalité des mesures en question (elle se réfère au point 59 de l'arrêt Tirrenia). Toutefois, ce doute pourrait logiquement survenir à toute étape de la procédure, lorsque la question du caractère nouveau ou existant de l'aide alléguée est soulevée.

64.
    Selon la Commission, il n'est donc pas exact de considérer, en se fondant sur l'arrêt Tirrenia, que toute décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen implique nécessairement une décision constatant que l'aide examinée est une aidenouvelle. Chaque décision devrait être appréciée en fonction de son contenu. Or, les décisions attaquées en l'espèce ne tireraient aucune conclusion définitive sur le point de savoir si les mesures en cause sont à considérer comme des aides nouvelles ou des aides existantes. Elles ne feraient que présenter les éléments qui tendent à indiquer qu'il s'agit d'aides nouvelles et inviteraient les parties intéressées à faire part de leurs observations. Ce serait la seule façon pour la Commission d'obtenir des renseignements complets par des sources aussi nombreuses que possible.

65.
    À l'audience, la Commission a déclaré que l'ouverture de la procédure formelle d'examen, telle qu'elle a été opérée par les décisions attaquées sans donner aux mesures en question une qualification juridique, constitue une approche procédurale «innovatrice». Cette approche n'en serait pas moins conforme aux textes applicables.

66.
    La Commission soutient que toute opinion contraire reviendrait à considérer qu'elle ne peut ouvrir la procédure formelle d'examen sans déterminer au préalable si la mesure en question, pour autant qu'elle soit une aide, constitue une aide nouvelle ou une aide existante. Or, la possibilité d'obtenir des informations auprès de l'État membre concerné ne suffirait pas toujours. La Commission pourrait, du moins dans certains cas, avoir besoin de la contribution de tiers pour pouvoir apprécier correctement cette question, de même que pour parvenir à une conclusion sur la compatibilité de l'aide avec le marché commun. Dans le cas d'espèce, notamment, où la détermination du caractère nouveau des aides alléguées dépend de leurs effets économiques ou de l'évolution du marché, ce seraient les opérateurs économiques qui constitueraient les meilleures sources d'information.

67.
    Le royaume d'Espagne se rallie, en substance, au raisonnement de la Commission.

Appréciation du Tribunal

68.
    Il convient de rechercher les critères d'une décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen et de vérifier si les actes attaqués remplissent ces critères ou s'ils doivent être considérés, ainsi que la Commission le prétend, comme des innovations procédurales de nature autre que celle d'une décision d'ouverture «classique».

69.
    À cet égard, il y a lieu de rappeler, tout d'abord, que l'ouverture par la Commission de la procédure formelle d'examen est prévue, en vertu de l'article 88 CE et de l'article 4, paragraphe 4, du règlement «procédure aides d'État», ainsi que des articles 13, 16 et 19, paragraphe 2, du même règlement, dans quatre cas de figure limitativement énumérés, à savoir en vue de l'examen d'une aide nouvelle notifiée, en vue de l'examen d'une «éventuelle aide illégale», en cas d'application abusive d'une aide, au sens de l'article 1er, sous g), dudit règlement et lorsqu'un État membre rejette les mesures utiles proposées par la Commission concernant un régime d'aides existant.

70.
    En l'espèce, les deux derniers cas de figure doivent être écartés d'emblée. En outre, les réglementations nationales en cause n'ont pas fait l'objet d'une notification conforme à l'article 88, paragraphe 3, CE, leur communication au groupe Primarolo - institué par le Conseil et constitué notamment d'experts nationaux - ne pouvant pas être assimilée à une notification formelle auprès de la Commission au sens des règles communautaires relatives aux aides d'État. Par conséquent, la question de savoir si l'approche procédurale choisie par la Commission en l'espèce doit être qualifiée d'ouverture de la procédure formelle d'examen avec les effets juridiques liés à une telle ouverture ne saurait être examinée qu'au regard de l'hypothèse d'une «éventuelle aide illégale».

71.
    Il convient de relever, ensuite, que, en vertu de l'article 4, paragraphe 4, et de l'article 6, paragraphe 1, du règlement «procédure aides d'État», toute procédure formelle d'examen doit être ouverte par une décision qui, d'une part, comporte une «évaluation préliminaire» par la Commission de la mesure en question visant à déterminer si celle-ci présente le caractère d'une aide et, d'autre part, expose les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché commun. La procédure formelle d'examen peut être clôturée, en vertu de l'article 7 du règlement «procédure aides d'État», par une décision constatant que la mesure en cause ne constitue pas une aide (paragraphe 2), par une décision positive déclarant l'aide compatible avec le marché commun (paragraphe 3), par une décision positive conditionnelle (paragraphe 4) ou par une décision déclarant l'aide incompatible avec le marché commun (paragraphe 5).

72.
    Ces dispositions permettent à la Commission d'examiner, sous tous les aspects possibles, le caractère de la mesure étatique en cause, susceptible de constituer une aide nouvelle ou la modification d'une aide existante, afin de parvenir, au cours de la procédure formelle d'examen, à surmonter les doutes qu'elle éprouve quant à la compatibilité de ladite mesure avec le marché commun (voir, en ce sens, arrêt Tirrenia, point 45). La Commission a même l'obligation d'ouvrir cette procédure conformément à l'article 4, paragraphe 4, du règlement «procédure aides d'État» si son examen préliminaire de la mesure en cause n'a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par l'appréciation de cette mesure (voir arrêts du Tribunal du 15 septembre 1998, Gestevisión Telecinco/Commission, T-95/96, Rec. p. II-3407, point 52, du 15 septembre 1998, BP Chemicals/Commission, T-11/95, Rec. p. II-3235, point 166, et du 15 mars 2001, Prayon-Rupel/Commission, T-73/98, Rec. p. II-867, point 42).

73.
    Au terme de la phase préliminaire d'examen portant sur une mesure étatique, la Commission a ainsi un triple choix: soit elle décide que la mesure étatique en cause ne constitue pas une aide d'État, soit elle décide que cette mesure, bien que constituant une aide, est compatible avec le marché commun, soit elle décide d'ouvrir la procédure formelle d'examen (arrêt Gestevisión Telecinco/Commission, précité, point 55, et arrêt du Tribunal du 3 juin 1999, TF1/Commission, T-17/96, Rec. p. II-1757, point 28).

74.
    Il résulte de ce qui précède que la procédure formelle d'examen ne peut être ouverte que par une «décision» au sens de l'article 249, quatrième alinéa, CE et que cette décision doit contenir une «évaluation préliminaire» du caractère de la mesure étatique en cause. Cette évaluation constitue un élément inhérent à la décision d'ouverture.

75.
    S'agissant d'examiner si les actes attaqués en l'espèce satisfont à ces critères, il y a lieu de constater, tout d'abord, que chacun d'eux comporte une formule introductive selon laquelle la Commission «a décidé d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE». En outre, chacun comporte une «évaluation préliminaire» de la réglementation sur les sociétés exemptées ou de la réglementation sur les sociétés qualifiées.

76.
    Ainsi, dans la décision attaquée I, la Commission relève que, sur la base des informations communiquées par les autorités britanniques, il s'avère que la législation en question «semble contenir au moins deux modifications susceptibles d'être considérées comme des éléments devant être notifiés» (point 9). La Commission conclut que, compte tenu de ces «modifications substantielles», la réglementation sur les sociétés exemptées ne saurait être considérée comme une aide existante, mais comme une aide illégale (point 16). Elle ajoute que les observations présentées par le gouvernement du Royaume-Uni et le gouvernement de Gibraltar ne suffisent pas à dissiper ses doutes quant à leurs allégations sur la nature d'aides d'État existantes de la réglementation en question (points 34 et 35) et, enfin, que l'aide ne semble pas tomber dans le champ d'application des exceptions prévues par l'article 87, paragraphe 3, CE (point 48).

77.
    Dans la décision attaquée II, la Commission indique que la réglementation en question «ne semble pas relever» de la définition d'une aide existante et «doit être considérée, à ce stade, comme une aide non notifiée» (point 1). Ayant constaté que la réglementation semble constituer une aide au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE (point 17), la Commission conclut qu'elle pourrait, «à ce stade», être considérée comme une aide au fonctionnement, qui ne semble pas relever des exceptions prévues à l'article 87, paragraphe 3, CE (points 23 et 24).

78.
    Par conséquent, malgré l'argumentation fondée par la Commission sur la prétendue innovation procédurale, les actes attaqués, loin d'être caractérisés par une absence totale d'évaluation juridique préliminaire, constituent de véritables décisions d'ouverture de la procédure formelle d'examen au sens du règlement «procédure aides d'État» et de la jurisprudence pertinente.

79.
    L'analyse selon laquelle la Commission a provisoirement estimé que les réglementations en cause constituent des aides illégales et incompatibles avec le marché commun n'est pas infirmée par l'invitation qui est faite (respectivement au point 49 et au point 25 des décisions attaquées) aux parties intéressées de s'exprimer sur une éventuelle récupération de l'aide «dans l'hypothèse où [celle-ci] serait déclarée illégale et incompatible avec le marché commun». Il s'agit là d'unesimple clause de précaution qui ne fait que rappeler qu'une décision finale, adoptée au terme de la procédure formelle et à la lumière des observations déposées par les parties intéressées, pourra comporter une qualification juridique différente de l'évaluation préliminaire figurant dans la décision d'ouverture.

80.
    Or, c'est au sujet d'une décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen à l'égard d'une aide prétendue illégale que la Cour a jugé, dans l'arrêt Tirrenia, que, «s'agissant d'une aide en cours d'exécution dont le versement se poursuit et dont l'État membre estime qu'elle constitue une aide existante, la qualification contraire d'aide nouvelle, fût-elle provisoire, retenue par la Commission dans sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE à l'égard de cette aide emporte des effets juridiques autonomes» (point 57). Selon la Cour, une telle décision «implique que la Commission n'entend pas examiner l'aide dans le cadre de l'examen permanent des régimes d'aides existants prévu par les articles 88, paragraphe 1, CE, et 17 à 19 du règlement 'procédure aides d'État'» (point 58) et «modifie nécessairement la situation juridique de la mesure considérée, ainsi que celle des entreprises qui en sont bénéficiaires, notamment en ce qui concerne la poursuite de sa mise en oeuvre» (point 59). La Cour a ajouté:

«Alors que, jusqu'à l'adoption d'une telle décision, l'État membre, les entreprises bénéficiaires et les autres opérateurs économiques peuvent penser que la mesure est régulièrement exécutée en tant qu'aide existante, après son adoption, il existe à tout le moins un doute important sur la légalité de cette mesure, qui [...] doit conduire l'État membre à en suspendre le versement, dès lors que l'ouverture de la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE exclut une décision immédiate concluant à la compatibilité avec le marché commun qui permettrait de poursuivre régulièrement l'exécution de ladite mesure.» (Point 59.)

81.
    Il importe de relever que ce raisonnement de la Cour a été développé au regard d'une décision d'ouverture de la Commission qui n'avait ordonné à l'État membre concerné ni de suspendre l'exécution des mesures visées conformément à l'article 11, paragraphe 1, du règlement «procédure aides d'État» (point 55), ni de récupérer provisoirement l'aide qui avait déjà été versée (article 11, paragraphe 2, du règlement «procédure aides d'État»). Le fait de ne pas avoir utilisé les possibilités de l'article 11 est donc, contrairement à la thèse de la Commission, dénué de pertinence pour la qualification de la nature juridique d'une décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen.

82.
    Par conséquent, même si la qualification de l'aide répond à une situation objective qui ne dépend pas de l'appréciation retenue au stade de l'ouverture de la procédure formelle d'examen et si la simple ouverture de cette procédure n'a pas le même caractère contraignant immédiat qu'une injonction de suspension adressée à l'État membre concerné (arrêt Tirrenia, points 58 et 60), le choix par la Commission de la procédure formelle d'examen, assorti de la qualification provisoire d'aides nouvelles des réglementations en cause, au lieu du choix de laprocédure relative aux éventuelles aides existantes, emporte des effets juridiques tels que décrits par la Cour dans l'arrêt Tirrenia.

83.
    Il convient d'ajouter que, en dépit du caractère provisoire des évaluations juridiques qu'elle contient, toute décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen, telle que les décisions attaquées en l'espèce, présente un élément définitif dans la mesure où le choix fait par la Commission d'ouvrir cette procédure produit des effets au moins jusqu'à sa clôture.

84.
    D'une part, en effet, même une décision finale de la Commission qui, après avoir qualifié les mesures étatiques en cause d'aides nouvelles, déclarerait ces aides compatibles avec le marché commun n'aurait pas pour conséquence de régulariser a posteriori les actes d'exécution qui devraient être considérés comme ayant été pris en méconnaissance de l'interdiction édictée par l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE (arrêt Cenemesa, point 23).

85.
    D'autre part, la décision d'ouverture peut, en tout état de cause, être invoquée devant un juge national (arrêt Tirrenia, point 59) et exposer, ainsi, les bénéficiaires de la mesure en cause et des entités territoriales telles que le requérant au risque de voir le juge national ordonner la suspension de la mesure et/ou la récupération des versements effectués, afin d'assurer le respect de l'article 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE, l'effet direct de l'interdiction de mise à exécution des mesures projetées prévue par cet article s'étendant à toute aide qui a été mise à exécution sans avoir été notifiée (arrêts de la Cour du 11 décembre 1973, Lorenz, 120/73, Rec. p. 1471, point 8, et du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C-39/94, Rec. p. I-3547, point 39). Ces bénéficiaires et entités territoriales encourent donc un risque économique et financier plus élevé que si la procédure formelle d'examen n'avait pas été ouverte. C'est en particulier pour cette raison que la décision d'ouvrir cette procédure est de nature à affecter leur situation juridique (voir, par analogie, arrêt du Tribunal du 9 novembre 1994, Scottish Football/Commission, T-46/92, Rec. p. II-1039, point 13).

86.
    Il s'ensuit que le choix procédural de la Commission doit pouvoir être soumis à un contrôle de légalité également dans une hypothèse telle que celle de l'espèce. En effet, l'ouverture de la procédure formelle d'examen produit les effets juridiques susmentionnés, alors que, dans le cadre de l'examen d'une aide existante, la situation juridique ne change pas jusqu'à l'acceptation éventuelle par l'État membre concerné de propositions de mesures utiles ou jusqu'à l'adoption d'une décision finale par la Commission (arrêt Tirrenia, point 61).

87.
    Par conséquent, le second moyen d'irrecevabilité ne saurait non plus être retenu.

88.
    Dès lors, les recours doivent être déclarés recevables.

Sur le fond

89.
    À l'appui de ses demandes en annulation, le requérant soulève des moyens qui se recoupent largement dans les deux affaires. Le premier moyen est tiré d'une violation du devoir de motivation. Le deuxième est tiré d'une violation des droits de la défense du requérant et du Royaume-Uni. Par son troisième moyen, le requérant dénonce l'incompatibilité des décisions attaquées avec l'article 88 CE et l'article 1er du règlement «procédure aides d'État». Le quatrième moyen est tiré d'une violation du principe de proportionnalité. Le cinquième est pris d'une violation des principes de sécurité juridique et de confiance légitime.

90.
    Dans les circonstances du cas d'espèce, il est opportun de regrouper ces moyens et de commencer par l'examen conjoint des moyens tirés, respectivement, d'une violation des articles 88 CE et 1er du règlement «procédure aides d'État» ainsi que d'une violation des principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de confiance légitime.

Sur les moyens tirés, respectivement, d'une violation des articles 88 CE et 1er du règlement «procédure aides d'État» ainsi que d'une violation des principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de confiance légitime

Arguments des parties

91.
    S'agissant de la réglementation sur les sociétés exemptées, le requérant soutient que la Commission a commis une erreur manifeste d'appréciation en déclarant que les modifications de 1978 et de 1983 constituaient des «modifications substantielles» apportées à un régime d'aides non notifié. En les qualifiant ainsi, et, par voie de conséquence, en qualifiant l'ensemble de la réglementation sur les sociétés exemptées de «régime d'aides nouveau», sans avoir égard au contexte juridique communautaire dans lequel, à l'époque, cette réglementation a été adoptée et sans procéder à une analyse économique, la Commission aurait donné une signification exorbitante et arbitraire à la notion d'aide nouvelle.

92.
    Quant à la modification de 1978, le requérant allègue qu'elle n'a fait que confirmer, par voie réglementaire, une pratique existante et largement répandue et n'aurait donc eu aucun effet concret. En ce qui concerne la modification de 1983, le requérant soutient que la Commission a omis d'effectuer une analyse économique de l'impact de cette modification sur la concurrence et sur les échanges dans le marché unique.

93.
    Le requérant estime que la Commission a, en tout état de cause, violé le principe de proportionnalité en qualifiant le régime fiscal des sociétés exemptées dans son intégralité d'aide nouvelle, bien que les modifications de 1978 et de 1983 soient séparables du régime de 1967.

94.
    Quant à la réglementation sur les sociétés qualifiées, le requérant considère que la Commission a commis une erreur de droit en ne la qualifiant pas de régime d'aides existant. Selon le requérant, elle date de 1983, à savoir d'une époque à laquelle iln'apparaissait clairement ni à la Commission, ni aux États membres, ni, surtout, aux opérateurs économiques si, et dans quelle mesure, il convenait d'appliquer systématiquement les règles en matière d'aides d'État à une réglementation nationale concernant l'impôt sur les sociétés. La réglementation en cause précéderait donc de dix ans la libéralisation des mouvements de capitaux et de quinze ans la clarification de la notion d'aides d'État faite par la Commission dans sa communication, publiée le 10 décembre 1998, sur l'application des règles relatives aux aides d'État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises (JO C 384, p. 3).

95.
    La réglementation sur les sociétés qualifiées aurait même été notifiée au groupe Primarolo par le gouvernement du Royaume-Uni avant la publication de la communication de la Commission de 1998 susmentionnée. Selon le requérant, cette communication comporte la première définition globale, mais non exhaustive, des «aides d'État à caractère fiscal» et peut être considérée davantage comme une déclaration de politique en ce qui concerne l'action future de la Commission dans ce domaine que comme une «clarification» des dispositions applicables.

96.
    En outre, le fait que les dispositions du droit communautaire applicables aux aides d'État puissent évoluer grâce aux décisions de la Commission et des juridictions communautaires serait reconnu à l'article 1er, sous b), v), du règlement «procédure aides d'État» (voir, ci-dessus, point 4). La réglementation sur les sociétés qualifiées constituerait une mesure, telle que prévue par cette disposition, qui ne serait devenue une aide que par la suite. En ne considérant pas cette réglementation comme une aide existante, la Commission appliquerait, rétroactivement, les critères relativement élaborés servant à la définition des aides d'État en 2001 à la situation juridique et économique différente qui existait en 1983. Le requérant fait référence, à cet égard, au régime fiscal des sociétés irlandaises qui, selon lui, n'a pas, au départ, été considéré comme une aide, alors que le point de vue de la Commission a changé par la suite et a reflété l'évolution progressive de la réglementation communautaire vers plus de sévérité en ce qui concerne les régimes d'incitation fiscale [voir la proposition de mesures utiles de la Commission concernant le centre de services financiers internationaux et la zone franche de l'aéroport de Shannon (JO 1998, C 395, p. 14) et la proposition de mesures utiles de la Commission concernant l'impôt sur les sociétés irlandaises (JO 1998, C 395, p. 19)].

97.
    Le requérant considère que la Commission a aussi violé le principe de proportionnalité en soumettant la réglementation fiscale des sociétés qualifiées au régime prévu pour les aides nouvelles. Un tel traitement aurait des conséquences économiques dramatiques. Ce préjudice important serait disproportionné par rapport à l'intérêt poursuivi par l'ouverture d'une procédure, compte tenu notamment de la très petite taille de l'économie de Gibraltar et de l'impact négligeable de la réglementation en cause sur la concurrence et sur le commerce international. Le requérant soutient qu'une démarche plus équitable de la part de la Commission aurait consisté à considérer la réglementation en cause soit uniquement sous l'angle du code de conduite dans le domaine de la fiscalité desentreprises, soit selon les articles 96 CE et 97 CE ou selon la procédure applicable aux aides existantes.

98.
    Enfin, la Commission aurait violé les principes de sécurité juridique et de confiance légitime en attendant respectivement 18 et 23 ans avant de mettre en cause les réglementations en question, adoptées en 1967 et en 1983, et en n'effectuant pas dans un délai raisonnable son enquête sur lesdites réglementations. La conformité de ces réglementations avec le droit communautaire n'aurait jamais été mise en doute par la Commission avant le mois de février 1999. Cette inaction prolongée de la part de la Commission aurait créé des attentes légitimes de la part de Gibraltar. En outre, les règles de prescription devraient s'appliquer aux enquêtes de la Commission. Ainsi, en application de l'article 15 du règlement «procédure aides d'État», toute aide individuelle accordée en vertu d'un régime d'aides dix ans avant que la Commission n'agisse devrait être considérée comme une aide existante. En appliquant cette règle, la Commission aurait dû considérer les réglementations en cause comme des régimes d'aides existants. La Commission aurait, en tout état de cause, violé le principe de confiance légitime et de sécurité juridique en laissant s'écouler un délai excessif après l'ouverture de son examen desdites réglementations. L'enquête préliminaire aurait débuté le 12 février 1999; toutefois, la procédure formelle d'examen n'aurait été ouverte que deux ans et demi plus tard, le 11 juillet 2001. Au cours de l'enquête préliminaire, la Commission serait restée silencieuse pendant une période, respectivement, de dix et douze mois.

99.
    La Commission soutient, s'agissant de la réglementation sur les sociétés exemptées, que la véritable question qui se pose est de savoir si les modifications apportées en 1978 et en 1983 sont substantielles en ce qu'elles touchent à la substance de l'aide, plutôt qu'à son importance (conclusions de l'avocat général M. Fennelly sous l'arrêt de la Cour du 19 octobre 2000, Italie et Sardegna Lines/Commission, C-15/98 et C-105/99, Rec. p. I-8855, I-8859, points 62 et 63). La Commission ne serait donc pas obligée d'analyser l'effet économique des changements apportés, mais uniquement d'examiner les dispositions légales en question. Un examen devrait se faire dans le cadre d'une procédure formelle d'examen, dès qu'il ne paraîtrait pas justifié de conclure à première vue que les modifications visées n'ont pas changé la substance du régime en cause.

100.
    Or, il existerait, à ce stade, des motifs permettant de considérer à première vue que les deux modifications mentionnées dans la décision attaquée I ont changé le régime sur le fond. La modification de 1978 aurait libéré les entreprises couvertes par le régime de leur assujettissement à une taxe; même si celle-ci était largement éludée, il n'en demeurerait pas moins qu'une exonération nouvelle a été instituée. Quant à la modification de 1983, elle aurait étendu le bénéfice du régime à une nouvelle catégorie potentiellement très importante d'entreprises. Le fait que ces entreprises aient été peu nombreuses à faire usage de cette possibilité ne changerait rien au caractère substantiel de la modification. Les éléments dont disposait la Commission auraient donc suffi pour le moins à l'autoriser à ouvrir laprocédure formelle d'examen afin de procéder à un examen approfondi. La Commission ajoute que le requérant aura la possibilité de faire valoir, pendant la procédure formelle, les arguments qu'il a avancés devant le Tribunal.

101.
    La Commission admet que les arguments du requérant concernant le caractère mineur des modifications apportées au régime précédent et la possibilité que la qualification d'aide nouvelle se limite aux aspects du régime qui ont été modifiés sont des arguments légitimes et pertinents. Il conviendrait de tenir compte de ces arguments, non pas pour des raisons de proportionnalité, mais parce qu'ils portent sur le caractère substantiel de la modification et ses conséquences. Cependant, ils ne justifieraient pas que la Commission soit empêchée de procéder à l'appréciation même du régime. Pour le reste, la Commission estime que certaines des considérations invoquées par le requérant peuvent concerner la question de savoir s'il y a lieu d'ordonner la récupération de l'aide versée, alors que d'autres peuvent se rapporter à l'examen de la compatibilité de cette mesure avec le marché commun.

102.
    Quant à la réglementation sur les sociétés qualifiées, la Commission soutient qu'il n'entrait pas dans ses intentions d'établir à titre définitif si l'aide alléguée était une aide nouvelle ou une aide existante. Cette question devrait être approfondie au cours de la procédure formelle d'examen. Toutefois, il existerait, à ce stade, des indices portant à considérer que la mesure constituait une aide au sens de l'article 87 CE depuis l'origine. Les éléments de preuve dont dispose la Commission suffiraient donc pour le moins à l'autoriser à ouvrir la procédure afin de procéder à un examen approfondi.

103.
    Au cours de la procédure formelle d'examen, le requérant serait en mesure de faire valoir ses arguments. Selon la Commission, il devrait y avoir un débat, notamment, sur le point de savoir dans quelle mesure les activités des entreprises bénéficiaires du régime des sociétés qualifiées étaient ouvertes à la concurrence internationale, ces entreprises étant actives dans une large gamme de secteurs, dont les services financiers, la réparation navale, les véhicules automobiles, les télécommunications et les jeux de hasard. Il faudrait donc faire porter l'analyse sur les diverses activités exercées par ces entreprises et sur les conditions du marché en 1983 et ultérieurement. Néanmoins, à ce stade, le fait même que les sociétés qualifiées doivent exercer des activités en dehors de Gibraltar laisserait penser qu'elles font du commerce international.

104.
    Le royaume d'Espagne soutient, en substance, les arguments de fond présentés par la Commission.

Appréciation du Tribunal

- Sur la décision attaquée I relative au régime fiscal des sociétés exemptées

105.
    S'agissant de vérifier si la Commission était autorisée à ouvrir la procédure formelle d'examen ou si elle aurait dû examiner la mesure étatique en cause dans le cadre de l'examen permanent des régimes d'aides existants prévu par l'article 88, paragraphe 1, CE et par les articles 17 à 19 du règlement «procédure aides d'État», il y a lieu de rappeler, tout d'abord, que la procédure a été ouverte, en l'espèce, parce que la Commission éprouvait des doutes sérieux quant à la qualification de ce régime d'«éventuelle aide illégale» et quant à son éventuelle compatibilité avec le marché commun. L'aide illégale est définie par l'article 1er, sous f), du règlement «procédure aides d'État» comme une «aide nouvelle mise à exécution en violation de l'article [88], paragraphe 3, du traité».

106.
    Or, il est constant que le régime fiscal initial de 1967 - à supposer qu'il puisse être qualifié de «régime d'aides» - constituait, en tout état de cause, une «aide existante» au sens de l'article 1er, sous b), i), du règlement «procédure aides d'État», lorsque le Royaume-Uni a adhéré à la Communauté le 1er janvier 1973.

107.
    La décision attaquée I relève expressément que ce régime initial a fait l'objet de deux modifications qui y ont été apportées en 1978 et en 1983. Ces modifications sont qualifiées de substantielles, de sorte que «la réglementation sur les sociétés exemptées ne saurait être considérée comme une aide existante, mais comme une aide illégale» (point 16 de la décision). En outre, la décision fait état de toutes les sociétés exemptées qui existent à Gibraltar, et non seulement des sociétés concernées par les modifications de 1978 et de 1983 (point 38).

108.
    La Commission a donc provisoirement estimé que les deux modifications, adoptées après l'adhésion du Royaume-Uni à la Communauté, ont transformé le régime fiscal initial dans son ensemble en un régime d'aides nouveau.

109.
    Or, en vertu de l'article 1er, sous c), du règlement «procédure aides d'État», doit être considérée comme aide nouvelle «toute modification d'une aide existante». Selon ce texte non équivoque, ce n'est pas «toute aide existante modifiée» qui doit être considérée comme une aide nouvelle, mais c'est seulement la modification en tant que telle qui est susceptible d'être qualifiée d'aide nouvelle.

110.
    Cette analyse est confirmée par l'arrêt de la Cour du 9 août 1994, Namur-Les assurances du crédit (C-44/93, Rec. p. I-3829, points 13 et 16), dans lequel la Cour a jugé que doivent être considérées comme des aides nouvelles les mesures «qui tendent à modifier des aides» et que les «projets tendant [...] à modifier des aides» ne peuvent pas être mis à exécution avant que la procédure n'ait abouti à une décision finale de la Commission.

111.
    C'est donc seulement dans l'hypothèse où la modification affecte le régime initial dans sa substance même que ce régime se trouve transformé en un régime d'aides nouveau. Or, il ne saurait être question d'une telle modification substantielle lorsque l'élément nouveau est clairement détachable du régime initial.

112.
    En l'espèce, la Commission a elle-même déclaré, au point 12 de la décision attaquée I, que la modification de 1978 a introduit une exemption des droits de timbre lors de l'émission par les sociétés exemptées de polices d'assurance vie, du versement de rentes par ces sociétés ou de certaines opérations relatives à ces polices ou rentes, l'avantage ainsi accordé aux sociétés exemptées n'ayant pas été prévu par la réglementation initiale. Aux points 13 et 14 de la même décision, la Commission a relevé que la modification de 1983 a fait bénéficier du régime fiscal en cause une nouvelle catégorie d'entreprises, qui ne remplissait auparavant pas les conditions requises pour bénéficier du régime initial de 1967.

113.
    Il s'avère donc que, dans le raisonnement même de la Commission, les deux modifications en cause constituent de simples ajouts au régime initial de 1967, qui ont, d'une part, étendu les transactions exemptées à un seul type de transactions supplémentaire, celui des assurances vie, et, d'autre part, ajouté une seule catégorie de sociétés au nombre des bénéficiaires de la franchise fiscale, celle des succursales de certaines sociétés. En revanche, aucun élément du dossier ne permet d'établir que ces ajouts ont affecté le fonctionnement intrinsèque du régime fiscal initial en ce qui concerne les autres transactions et catégories de sociétés. Les modifications de 1978 et de 1983 doivent donc être considérées comme des éléments détachables du régime fiscal initial de 1967, de sorte que - à supposer qu'elles puissent être qualifiées d'aides - elles ne peuvent pas changer le caractère d'aide existante de ce dernier.

114.
    Cette analyse n'est pas contredite par l'arrêt Namur-Les-assurances du crédit (précité, point 28), dans lequel la Cour a jugé que c'est par référence aux dispositions qui la prévoient qu'une aide peut être qualifiée de nouveauté ou de modification. En effet, s'il est vrai que, dans le cas d'espèce, les modifications de 1978 et de 1983 ont été introduites dans le texte de la législation initiale de 1967, il n'en reste pas moins que ces modifications sont des éléments détachables du régime initial. Or, l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt Namur-Les assurances du crédit, précité, n'a pas soulevé la question du caractère détachable de la modification et la Cour ne s'est pas prononcée sur ce point.

115.
    Il résulte de ce qui précède que, en ouvrant la procédure formelle d'examen à l'égard du régime fiscal des sociétés exemptées dans sa totalité et en qualifiant provisoirement ce régime d'aide nouvelle dans son ensemble, la Commission a violé les articles 88 CE et 1er du règlement «procédure aides d'État». Par conséquent, la décision attaquée I doit être annulée dans son ensemble, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens et arguments invoqués contre elle.

116.
    Il convient d'ajouter qu'une annulation partielle de cette décision limitée à l'introduction dans le régime initial des modifications en cause est exclue, étant donné que le Tribunal ne saurait se substituer à la Commission en décidant qu'il est justifié de maintenir la procédure formelle d'examen au regard des seules modifications de 1978 et de 1983.

- Sur la décision attaquée II relative au régime fiscal des sociétés qualifiées

117.
    Il y a lieu de relever, tout d'abord, que le régime fiscal des sociétés qualifiées date de 1983. Il est donc postérieur à l'adhésion du Royaume-Uni à la Communauté. Dès lors, il ne saurait être considéré comme une «aide existante» au sens de l'article 1er, sous b), i), du règlement «procédure aides d'État».

118.
    Il convient de rappeler, ensuite, que le choix par la Commission de la procédure formelle d'examen au lieu de celle relative aux aides existantes ne saurait éventuellement être censuré par le Tribunal que sur la base des moyens et arguments soulevés par la partie requérante au soutien de ses conclusions. Or, aucun des arguments ou moyens avancés par le requérant dans le présent litige n'est réellement dirigé contre la présentation des éléments de fait et de droit ou contre l'évaluation préliminaire de nature juridique que la Commission a effectuée dans la décision attaquée II et par laquelle elle est parvenue à estimer provisoirement que le régime en cause constitue une aide nouvelle incompatible avec le marché commun.

119.
    En effet, le requérant se borne à faire état de l'évolution historique, de la situation juridique incertaine existant en 1983, de la libéralisation subséquente des mouvements de capitaux et des clarifications de la notion d'aide d'État à caractère fiscal qui n'auraient été apportées que vers la fin des années 90. En outre, il se limite à affirmer, de manière générale, que les règles en matière d'aides d'État constituent un «droit vivant» et que la notion d'aide connaît une certaine évolution dans le temps, phénomène qui serait reconnu par l'article 1er, sous b), v), du règlement «procédure aides d'État». Enfin, il estime qu'il serait de bon sens et équitable de conclure que, en 2001, la réglementation sur les sociétés qualifiées de 1983 constitue un régime «existant», alors que le fait de le qualifier de «nouveau» serait contraire à toute logique et au sens normal et usuel des dispositions communautaires applicables.

120.
    Force est de relever que cette argumentation générale n'est pas de nature à établir que le régime fiscal de 1983 doit, en raison de ses caractéristiques intrinsèques, être qualifié de régime d'aides existant.

121.
    Il convient d'ajouter que la Cour a jugé, dans son arrêt du 17 juin 1999, Piaggio (C-295/97, Rec. p. I-3735, points 45 à 48), que la réponse à la question de savoir si une aide est nouvelle ne saurait dépendre d'une appréciation subjective de la Commission. Ainsi, la Cour a sanctionné, en 1999, le comportement de la Commission à l'égard d'une loi nationale datant de 1979 qui avait été qualifiée par la Commission d'aide d'État existante «pour des raisons d'opportunité», parmi lesquelles figuraient les doutes qu'avait éprouvés la Commission pendant quatorze ans quant à la qualification d'aide d'État de cette loi. Le Tribunal en conclut que le caractère d'aide existante ou d'aide nouvelle d'une mesure étatique donnée doit être déterminé indépendamment du temps qui s'est écoulé depuis l'instauration de la mesure en cause et indépendamment de toute pratique administrative antérieure.

122.
    Dans la mesure où le requérant soutient que le régime fiscal en cause doit être qualifié d'aide existante du fait qu'il a été porté à la connaissance du groupe Primarolo, il a déjà été relevé ci-dessus (point 70) que cette communication ne peut pas être assimilée à une notification formelle auprès de la Commission au sens des règles communautaires relatives aux aides d'État.

123.
    Quant à la référence aux deux propositions de la Commission concernant le régime irlandais en matière d'impôt sur les sociétés, il y a lieu de constater que la situation factuelle et juridique à l'origine de ces propositions se distingue nettement de celle de l'espèce. Aucun enseignement ne saurait donc être tiré de ces propositions pour une éventuelle qualification d'aide existante du régime fiscal faisant l'objet du présent litige.

124.
    Le requérant souligne encore la taille réduite de Gibraltar, en faisant valoir que l'impact du régime en cause sur la concurrence au sein du marché commun et sur les échanges entre les États membres a toujours été marginal, le nombre de sociétés qualifiées enregistrées à Gibraltar n'étant que de 150 après 18 ans d'application du régime. Par ailleurs, la Commission aurait omis d'effectuer une analyse économique de cet impact.

125.
    Force est de constater que cette argumentation ne contient aucune précision chiffrée sur le volume des mesures fiscales en cause et sur la taille des sociétés bénéficiaires en termes de chiffres d'affaires et de bénéfices. Il suffit donc de relever que, selon une jurisprudence constante, l'importance relativement faible d'une aide ou la taille relativement modeste de l'entreprise bénéficiaire n'excluent pas a priori l'éventualité que les échanges entre États membres soient affectés (voir arrêt du Tribunal du 28 janvier 1999, BAI/Commission, T-14/96, Rec. p. II-139, point 77, et la jurisprudence citée). En outre, pour que la qualification d'aide d'État soit retenue, il suffit que les mesures étatiques en cause «menacent» de fausser la concurrence et soient «susceptibles» d'avoir une incidence sur les échanges entre États membres.

126.
    Par conséquent, en l'absence de précisions de la part du requérant, la constatation faite dans la décision attaquée II (point 14), selon laquelle les sociétés qualifiées bénéficiaires du régime en cause sont susceptibles, effectivement ou potentiellement, de faire du commerce avec des sociétés situées dans d'autres États membres, et ce d'autant qu'elles ne sont normalement pas autorisées à faire du commerce à Gibraltar, n'a pas été valablement contestée.

127.
    En outre, c'est à juste titre que la Commission a fait valoir que la procédure formelle d'examen, en ce qu'elle permet d'associer les opérateurs économiques intéressés au processus d'adoption de la décision finale, constitue le cadre procédural approprié pour effectuer l'analyse économique sollicitée par le requérant.

128.
    Quant à l'argument tiré de ce que l'ouverture de la procédure formelle d'examen porte une atteinte irréparable à la position de Gibraltar en tant que place financière internationale, le risque d'abrogation du régime fiscal en cause faisant peser une menace réelle sur la viabilité de l'économie de Gibraltar, il suffit de rappeler (voir, ci-dessus, points 72 et 121), que la Commission a l'obligation d'ouvrir la procédure formelle d'examen si, après avoir provisoirement qualifié la mesure en cause d'aide nouvelle, elle éprouve des difficultés sérieuses à apprécier sa compatibilité avec le marché commun. Les risques économiques provoqués par la décision d'ouvrir cette procédure, tels que dénoncés par le requérant, ne sauraient donc aucunement affecter, à eux seuls, la légalité d'une telle décision. Par conséquent, cet argument doit être écarté.

129.
    Dans la mesure où le requérant invoque enfin les principes de proportionnalité, de confiance légitime et de sécurité juridique, il résulte de ce qui précède que le simple fait pour la Commission de ne pas avoir ouvert d'enquête, durant une période relativement longue, sur une mesure étatique donnée ne saurait, à lui seul, conférer à cette mesure le caractère objectif d'une aide existante, s'il s'agit d'une aide (arrêt Piaggio, précité, points 45 à 47). Ainsi que la Commission l'a relevé à juste titre, les incertitudes susceptibles d'avoir existé à cet égard peuvent, tout au plus, être considérées comme ayant fait naître une confiance légitime des bénéficiaires empêchant la récupération de l'aide versée par le passé (arrêts de la Cour du 24 novembre 1987, RSV/Commission, 223/85, Rec. p. 4617, points 16 et 17, et du 20 septembre 1990, Commission/Allemagne, C-5/89, Rec. p. I-3437, points 16 et 17).

130.
    Il en va de même du délai de prescription prévu à l'article 15 du règlement «procédure aides d'État» qui, loin d'être l'expression d'un principe général transformant une aide nouvelle en aide existante, exclut seulement la récupération des aides instituées plus de dix ans avant la première intervention de la Commission.

131.
    Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés d'une violation des articles 88 CE et 1er du règlement «procédure aides d'État» ainsi que des principes de proportionnalité, de sécurité juridique et de confiance légitime doivent être rejetés, en ce qui concerne le recours dirigé contre la décision attaquée II.

132.
    Il y a donc lieu de procéder à l'examen des autres moyens soulevés à l'appui de ce recours.

Sur le moyen tiré d'une violation de l'obligation de motivation

Arguments du requérant

133.
    Le requérant soutient que l'article 253 CE consacre le principe selon lequel les actes adoptés par les institutions communautaires doivent reposer sur une motivation suffisamment précise qui fait apparaître, de façon claire et nonéquivoque, le raisonnement de l'institution concernée. Il souligne que, contrairement aux règlements, de nature générale, les décisions, qui sont destinées à des personnes déterminées, requièrent une motivation détaillée .

134.
    Les décisions de la Commission en matière d'aides d'État auraient des effets particulièrement importants pour les États membres, les régions et les collectivités locales, ainsi que pour les entreprises privées. Elles seraient de nature économique et exigeraient donc une motivation économique concernant l'impact de la mesure sur la concurrence et sur les échanges d'un point de vue tant qualitatif que quantitatif .

135.
    Le requérant considère que, au point 1 de la décision attaquée II, la Commission a choisi une formulation hésitante qui est loin d'être claire et qui n'explique en rien pourquoi la réglementation sur les sociétés qualifiées ne constitue pas un régime d'aides existant. Or, une motivation approfondie se serait imposée, du fait que la réglementation en cause a fait partie de l'ordre juridique de Gibraltar pendant 18 ans sans avoir été dénoncée par la Commission et du fait que la question de savoir si les règles en matière d'aides d'État devaient être appliquées systématiquement au régime fiscal des sociétés était loin d'être résolue en 1983.

Appréciation du Tribunal

136.
    Ainsi que la Commission l'a relevé à juste titre, la motivation exigée par l'article 253 CE doit être adaptée à la nature de l'acte en cause et permettre de connaître les justifications de ce dernier. À cet égard, il convient de prendre en considération non seulement le libellé de l'acte en question, mais aussi son contexte ainsi que l'ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêt de la Cour du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink's France, C-367/95 P, Rec. p. I-1719, point 63).

137.
    Afin d'apprécier l'étendue de l'obligation de motiver une décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen, il convient de rappeler que, conformément à l'article 6 du règlement «procédure aides d'État», lorsque la Commission décide d'ouvrir la procédure formelle d'examen, la décision d'ouverture peut se limiter à récapituler les éléments pertinents de fait et de droit, à inclure une «évaluation préliminaire» de la mesure étatique en cause visant à déterminer si elle présente le caractère d'une aide et à exposer les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché commun.

138.
    Selon le même article 6, la décision d'ouverture doit mettre les parties intéressées en mesure de participer de manière efficace à la procédure formelle d'examen lors de laquelle elles auront la possibilité de faire valoir leurs arguments. À cette fin, il suffit que les parties connaissent le raisonnement qui a amené la Commission à considérer provisoirement que la mesure en cause pouvait constituer une aide nouvelle incompatible avec le marché commun.

139.
    Dès lors, les insuffisances de motivation alléguées par le requérant ne sauraient être considérées comme une violation de l'article 253 CE. S'agissant de la formulation prétendument hésitante de la décision attaquée II, il reflète précisément les interrogations de la Commission qui l'ont incitée à ouvrir la procédure formelle d'examen. Pour le reste, cette décision expose les caractéristiques du régime fiscal faisant l'objet de la procédure formelle d'examen et indique que la Commission, au vu des éléments dont elle dispose à ce stade, considère provisoirement qu'il s'agit d'une aide incompatible avec le marché commun.

140.
    Par conséquent, ce moyen doit être rejeté.

Sur le moyen tiré d'une violation des droits de la défense du requérant et du Royaume-Uni

Arguments du requérant

141.
    Le requérant soutient que toute personne à l'encontre de laquelle une décision faisant grief peut être prise doit être mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue au sujet des éléments retenus à sa charge par la Commission pour fonder la décision en cause (arrêt du Tribunal du 6 décembre 1994, Lisrestal e.a./Commission, T-450/93, Rec. p. II-1177, point 42). Ce principe bénéficierait également à toute personne directement et individuellement concernée par une telle décision (arrêt de la Cour du 29 juin 1994, Fiskano/Commission, C-135/92, Rec. p. I-2885, points 26 et 41). Or, la Commission aurait violé les droits de la défense du requérant, puisqu'elle a pris la décision attaquée II sans aucune discussion avec lui et sans l'avoir autorisé à exprimer un quelconque point de vue.

142.
    Le requérant précise que, depuis la réponse adressée par le Royaume-Uni à la Commission le 3 juillet 2000, la Commission a interrompu son enquête sur la réglementation relative aux sociétés qualifiées, tout en poursuivant ses investigations parallèles sur la réglementation relative aux sociétés exemptées. Ce faisant, la Commission aurait unilatéralement supprimé toute possibilité de discussion sur la nature de la réglementation relative aux sociétés qualifiées. De plus, la Commission n'aurait pas cherché à impliquer le requérant dans la procédure administrative et aurait refusé de traiter directement avec lui.

143.
    Selon le requérant, les arguments présentés au sujet de la violation de ses droits de la défense sont valables mutatis mutandis aux droits de la défense du Royaume-Uni.

Appréciation du Tribunal

144.
    À cet égard, il suffit de rappeler que la Cour a jugé, dans son arrêt Commission/Sytraval et Brink's France, précité (points 58 et 59), qu'il n'existeaucune base pour imposer à la Commission l'obligation d'engager un débat contradictoire avec un plaignant lors de la phase préliminaire d'examen des aides d'État. Ce raisonnement vaut également pour toutes les parties intéressées et tous les États membres, auxquels les dispositions applicables ne confèrent aucun droit à être associés, de manière contradictoire, à la phase d'examen préliminaire, antérieure à la décision d'ouvrir la procédure formelle d'examen. En effet, c'est la Commission qui a seule le pouvoir d'ordonner à l'État membre concerné de lui «fournir des renseignements» (article 2, paragraphe 2, article 5, paragraphes 1 et 2, et article 10, paragraphe 2, du règlement «procédure aides d'État»). Il s'ensuit que les États membres et les parties intéressées n'ont pas la possibilité d'obliger la Commission à les entendre afin de pouvoir influencer l'«évaluation préliminaire» amenant la Commission à ouvrir la procédure formelle d'examen.

145.
    Dès lors, il n'incombait pas à la Commission de mettre le requérant ou le Royaume-Uni en mesure de faire connaître leur point de vue au cours de la phase d'examen préliminaire.

146.
    En tout état de cause, il ressort du dossier que le requérant et le Royaume-Uni ont effectivement pu faire valoir leur position au cours de la procédure préliminaire: après avoir transmis à la Commission plusieurs courriers relatifs aux réglementations sur les sociétés exemptées et les sociétés qualifiées, le Royaume-Uni a envoyé à la Commission, le 12 septembre 2000, un document provenant du gouvernement de Gibraltar, présentant les raisons pour lesquelles ce dernier considérait que la réglementation sur les sociétés exemptées ne tombait pas sous le coup du régime communautaire des aides d'État; le requérant a également pu assister à une réunion organisée par la Commission le 19 octobre 2000, lors de laquelle le document susmentionné a été discuté. Si ces interventions étaient apparemment limitées à la réglementation sur les sociétés exemptées, rien ne permet de supposer que le Royaume-Uni et le requérant auraient été empêchés de commenter également la réglementation sur les sociétés qualifiées, s'ils l'avaient jugé utile.

147.
    Dès lors, ce moyen doit également être rejeté.

148.
    Aucun des moyens dirigés contre la décision attaquée II n'ayant été retenu, le recours introduit dans l'affaire T-207/01 doit être rejeté.

Sur les dépens

149.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Dans l'affaire T-195/01, la Commission ayant succombé en ses conclusions et le requérant ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner la Commission aux dépens. Dans l'affaire T-207/01, le requérant ayant succombé en ses conclusions etla Commission ayant conclu, elle aussi, en ce sens, il y a lieu de condamner le requérant aux dépens.

150.
    Dans les affaires jointes T-195/01 R et T-207/01 R, le requérant ayant succombé en ses conclusions et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner le requérant aux dépens.

151.
    Contrairement à la demande du requérant formulée à l'audience, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, étant donné que le cas d'espèce ne saurait être qualifié d'exceptionnel et que les frais que la Commission a fait exposer au requérant ne peuvent pas être considérés comme frustratoires ou vexatoires.

152.
    En vertu de l'article 87, paragraphe 4, du même règlement, le royaume d'Espagne supportera ses propres dépens dans les deux affaires.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

déclare et arrête:

1)    Dans l'affaire T-195/01:

    a)    la décision SG (2001) D/289755 de la Commission, du 11 juillet 2001, ouvrant la procédure prévue à l'article 88, paragraphe 2, CE à l'égard de la réglementation de Gibraltar sur les sociétés exemptées est annulée;

    b)    la Commission est condamnée à supporter les dépens exposés par le Government of Gibraltar ainsi que ses propres dépens, à l'exception des dépens de la procédure de référé T-195/01 R qui seront supportés en leur totalité par le Government of Gibraltar;

    c)    le royaume d'Espagne supportera ses propres dépens.

2)    Dans l'affaire T-207/01:

    a)    le recours est rejeté;

    b)    le Government of Gibraltar est condamné à supporter les dépens exposés par la Commission ainsi que ses propres dépens, y compris les dépens de la procédure de référé T-207/01 R;

    c)    le royaume d'Espagne supportera ses propres dépens.

Moura Ramos
Tiili
Pirrung

Mengozzi Meij

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 avril 2002.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. M. Moura Ramos


1: Langue de procédure: l'anglais.