Language of document : ECLI:EU:T:2015:923

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

2 décembre 2015 (*)

« Marque communautaire – Procédure d’opposition – Enregistrement international désignant la Communauté européenne – Marque verbale KENZO ESTATE – Marque communautaire verbale antérieure KENZO – Motif relatif de refus – Renommée – Article 8, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 207/2009 »

Dans l’affaire T‑414/13,

Kenzo Tsujimoto, demeurant à Osaka (Japon), représenté par Mes A. Wenninger-Lenz, W. von der Osten-Sacken et M. Ring, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), représenté par Mme M. Rajh et M. P. Bullock, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’OHMI, intervenant devant le Tribunal, étant

Kenzo, établie à Paris (France), représentée par Mes P. Roncaglia, G. Lazzeretti, F. Rossi et N. Parrotta, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’OHMI du 22 mai 2013 (affaire R 333/2012-2), relative à une procédure d’opposition entre Kenzo et M. K. Tsujimoto,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de M. H. Kanninen (rapporteur), président, Mme I. Pelikánová et M. E. Buttigieg, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 8 août 2013,

vu le mémoire en réponse de l’OHMI déposé au greffe du Tribunal le 27 novembre 2013,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 10 décembre 2013,

vu la question écrite du Tribunal aux parties sur les arrêts du 22 janvier 2015, Tsujimoto/OHMI – Kenzo (KENZO) (T‑322/13, EU:T:2015:47) et Tsujimoto/OHMI – Kenzo (KENZO) (T‑393/12, EU:T:2015:45),

vu les réponses à la question du Tribunal déposées par les parties au greffe du Tribunal les 17 et 25 juin 2015,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai d’un mois à compter de la signification de la clôture de la procédure écrite et ayant dès lors décidé, sur rapport du juge rapporteur et en application de l’article 135 bis du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 21 janvier 2008, le requérant, M. Kenzo Tsujimoto, a présenté une demande d’enregistrement international désignant la Communauté européenne, signifiée à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI) le 13 mars 2008, en vertu du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement international a été demandé est le signe verbal KENZO ESTATE.

3        Les produits pour lesquels l’enregistrement international a été demandé relèvent de la classe 33 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Vins ; boissons alcooliques à base de fruit ; liqueurs occidentales (en général) ».

4        La demande d’enregistrement international a été publiée au Bulletin des marques communautaires n° 12/2008, du 17 mars 2008.

5        Le 16 décembre 2008, l’intervenante, Kenzo, a formé opposition, au titre de l’article 42 du règlement n° 40/94 (devenu article 41 du règlement n° 207/2009), à l’enregistrement international de la marque demandé pour tous les produits visés au point 3 ci-dessus.

6        L’opposition était fondée sur la marque communautaire verbale antérieure KENZO, enregistrée le 20 février 2001 sous le numéro 720706, pour des produits relevant notamment des classes 3, 18 et 25 et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 3 : « Préparations pour blanchir et autres substances pour lessiver ; préparations pour nettoyer, polir, dégraisser et abraser ; savons ; produits de parfumerie, huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour les cheveux ; dentifrices » ;

–        classe 18 : « Cuir et imitations du cuir, ceintures, sacs, sacs à main, malles et valises, sacoches, sacs de voyages et autres bagages ; laisses, portefeuilles, porte-documents, serviettes, pochettes (maroquinerie), porte-monnaie, étuis pour clés (maroquinerie), boîtes et coffrets en cuir, imitations de cuir, porte-cartes, porte-chéquiers, attaché-case, mallettes pour produits de maquillages, trousses de voyage (maroquinerie) ; trousses de toilette et de maquillage (non équipée), peaux d’animaux ; parapluies, parasols et cannes ; fouets, harnais et sellerie » ;

–        classe 25 : « Vêtements (habillement), chaussures (à l’exception des chaussures orthopédiques), chapellerie ».

7        Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 40/94 [devenu article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009].

8        Par décision du 20 décembre 2011, la division d’opposition a rejeté l’opposition.

9        Le 15 février 2012, l’intervenante a formé un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 58 à 64 du règlement n° 207/2009, contre la décision de la division d’opposition.

10      Par décision du 22 mai 2013 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours de l’OHMI a accueilli le recours. Selon la chambre de recours, les trois conditions cumulatives d’application de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 étaient remplies en l’espèce. S’agissant de la première condition, la chambre de recours a relevé que les marques en conflit étaient hautement similaires pour une partie non négligeable du public pertinent. S’agissant de la deuxième condition, la chambre de recours a estimé, contrairement à la division d’opposition, que l’intervenante avait démontré que la marque antérieure jouissait d’une renommée. S’agissant de la troisième condition, la chambre de recours a considéré qu’il semblait hautement probable que la marque dont l’enregistrement était demandé, pour laquelle aucun juste motif pour l’usage n’avait été démontré, allait se placer dans le sillage de la marque antérieure renommée, afin de bénéficier du pouvoir d’attraction, de la réputation et du prestige de cette dernière et d’exploiter, sans compensation financière, l’effort commercial déployé par le titulaire de cette marque pour créer et entretenir l’image de celle-ci. Elle a donc conclu qu’il existait un risque que l’usage de la protection demandée pour l’enregistrement international au sein de la Communauté tire indûment profit de la renommée de la marque antérieure, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009.

 Conclusions des parties

11      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’OHMI aux dépens.

12      L’OHMI et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

13      À l’appui de son recours, le requérant soulève deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 et, le second, de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du même règlement.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009

14      Le requérant se fonde sur la règle 19, paragraphe 1, et la règle 20, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement n° 40/94 (JO L 303, p. 1), pour soutenir qu’une opposition fondée sur l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 doit être rejetée si l’opposante ne rapporte pas la preuve de la renommée de la marque antérieure dans le délai fixé par l’OHMI pour établir l’existence et la validité des droits antérieurs. Le requérant considère que les documents présentés par l’intervenante, à la suite d’une demande de la division d’opposition, auraient dû être pris en considération par la chambre de recours uniquement pour déterminer si la preuve de l’usage sérieux de la marque avait été rapportée et non dans le cadre de l’appréciation de la question de savoir si la renommée de la marque antérieure avait été établie.

15      L’OHMI et l’intervenante contestent l’argumentation du requérant.

16      Il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence, la règle 50, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2868/95 prévoit, expressément, que la chambre de recours dispose, lors de l’examen d’un recours dirigé contre une décision d’une division d’opposition, du pouvoir d’appréciation découlant de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 afin de décider s’il y a lieu ou non de prendre en compte des preuves et des faits nouveaux ou supplémentaires qui n’ont pas été présentés dans les délais fixés ou précisés par la division d’opposition [arrêts du 3 octobre 2013, Rintisch/OHMI, C‑120/12 P, Rec, EU:C:2013:638, point 32, et du 22 janvier 2015, Tsujimoto/OHMI – Kenzo (KENZO), T‑393/12, EU:T:2015:45, point 26].

17      La prise en compte par l’OHMI de preuves ou de faits tardivement produits est, lorsqu’il est appelé à statuer dans le cadre d’une procédure d’opposition, en particulier susceptible de se justifier lorsque celui-ci considère que, d’une part, les éléments tardivement produits sont de prime abord susceptibles de revêtir une réelle pertinence en ce qui concerne le sort de l’opposition formée devant lui et, d’autre part, le stade de la procédure auquel intervient cette production tardive et les circonstances qui l’entourent ne s’opposent pas à cette prise en compte (voir arrêt Rintisch/OHMI, point 16 supra, EU:C:2013:638, point 38 et jurisprudence citée ; arrêt KENZO, point 16 supra, EU:T:2015:45, point 27).

18      À titre liminaire, il convient de relever que, contrairement à ce que soutient le requérant, il n’y a pas lieu d’interpréter le pouvoir d’appréciation de la chambre de recours au regard de la règle 20, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95, selon laquelle, si, avant l’expiration du délai visé à la règle 19, paragraphe 1, l’opposant ne prouve pas l’existence, la validité et l’étendue de la protection de sa marque antérieure ou de son droit antérieur ainsi que l’habilitation à former opposition, l’opposition est rejetée comme non fondée. En effet, il a déjà été jugé que c’est la règle 50, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement n° 2868/95 qui doit être appliquée devant la chambre de recours et non la règle 20, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95 (arrêts Rintisch/OHMI, point 16 supra, EU:C:2013:638, point 29, et KENZO, point 16 supra, EU:T:2015:45, point 28).

19      Pour déterminer si la chambre de recours pouvait prendre en compte en l’espèce les éléments de preuve produits devant la division d’opposition après le délai fixé par celle-ci, à savoir le 16 mai 2010, il y a lieu d’examiner si la chambre de recours a considéré que ces éléments de preuve étaient susceptibles de revêtir une réelle pertinence et si, comme le soutient le requérant, le stade de la procédure et certaines circonstances de l’espèce s’opposaient à leur prise en compte (voir, en ce sens, arrêts Rintisch/OHMI point 16 supra, EU:C:2013:638, point 38, et KENZO, point 16 supra, EU:T:2015:45, point 29).

20      L’intervenante a présenté, le 17 mai 2010, les annexes 1 à 7 jointes à sa réponse contenant les faits, éléments de preuve et arguments à l’appui de son opposition.

21      Elle a aussi présenté, le 11 octobre 2010, les annexes 1 à 21 pour prouver l’usage de la marque antérieure.

22      En premier lieu, il y a lieu de relever que la chambre de recours a pris en compte à juste titre les éléments de preuve déposés le 17 mai 2010 par l’intervenante auprès de la division d’opposition, en indiquant que, si l’OHMI avait octroyé la possibilité de déposer les faits, éléments de preuve et arguments à l’appui de l’opposition avant le 16 mai 2010, la réponse déposée le 17 mai 2010 devait être réputée comme recevable, étant donné que le 16 mai 2010 était un dimanche. DA 33 En effet, en vertu de la règle 72, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95, si un délai expire le dimanche, le délai est prorogé jusqu’au premier jour où les documents peuvent être déposés et où le courrier ordinaire est distribué.

23      En second lieu, il convient de souligner que c’est le requérant qui a demandé que l’intervenante fournisse la preuve de l’usage de la marque antérieure. Il n’est pas contesté que l’OHMI a octroyé à l’intervenante un délai allant jusqu’au 11 octobre 2010 et que cette dernière a satisfait audit délai en présentant les annexes 1 à 21 à cette date. En outre, en indiquant que les preuves d’usage et les preuves de renommée étaient indissociables et que seul un formalisme excessif et illégitime voudrait que les preuves d’usage ne puissent pas être présentées au titre de preuves de renommée, la chambre de recours a fait usage de son pouvoir d’appréciation découlant de l’article 76, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 afin de décider qu’il y avait lieu de prendre en compte lesdits éléments et en estimant qu’ils revêtaient une réelle pertinence pour apprécier la renommée de la marque antérieure. Elle a ainsi justifié à bon droit leur prise en compte (voir, en ce sens, arrêt KENZO, point 16 supra, EU:T:2015:45, points 30 et 34).

24      Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté.

 Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009

25      Le second moyen est articulé en quatre branches, tirées, respectivement, de l’absence de similitude des marques en conflit, de l’absence de preuve de la renommée de la marque antérieure, de l’absence de risque de profit indu et de l’existence d’un juste motif pour l’usage de la marque visée par l’enregistrement demandé.

 Sur la première branche, tirée de l’absence de similitude des marques en conflit

26      La chambre de recours a considéré que les marques en conflit étaient hautement similaires en ce qu’elles avaient le mot « kenzo » en commun et qu’elles différaient dans la mesure où, dans la marque visée par l’enregistrement demandé, le mot « estate » était accolé au mot « kenzo ». Ce terme supplémentaire aurait trop peu d’effet pour atténuer le haut degré de similitude entre les deux marques. Tout d’abord, les consommateurs prêteraient davantage attention au début qu’à la fin d’une marque. Ensuite, le mot « estate » ne présenterait pas un caractère distinctif pour une partie significative des consommateurs pertinents. Enfin, le fait qu’une marque est composée exclusivement par la marque antérieure à laquelle un autre mot est accolé constituerait une indication de la similitude entre ces deux marques.

27      Le requérant conteste la décision attaquée en soutenant que, si la chambre de recours avait procédé à la comparaison nécessaire des signes sur les plans visuel, phonétique et conceptuel, elle aurait conclu à l’absence de similitude entre les marques. L’élément supplémentaire « estate » augmenterait de manière significative la longueur de la marque, dont l’enregistrement est demandé, sur les plans visuel et phonétique et entraînerait des différences substantielles dans la sonorité, la couleur et le rythme. Le requérant invoque, à cet égard, les arrêts du 2 septembre 2010, Calvin Klein Trademark Trust/OHMI (C‑254/09 P, Rec, EU:C:2010:488), et du 7 mai 2009, Klein Trademark Trust/OHMI – Zafra Marroquineros (CK CREACIONES KENNYA) (T‑185/07, Rec, EU:T:2009:147), pour soutenir que, dans la présente affaire, la chambre de recours aurait dû conclure à l’absence de similitude.

28      L’OHMI et l’intervenante contestent l’argumentation du requérant.

29      Il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que le degré de similitude requis dans le cadre de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, d’une part, et du paragraphe 5 du même article, d’autre part, est différent. En effet, tandis que la mise en œuvre de la protection instaurée par la première de ces deux dispositions est subordonnée à la constatation d’un degré de similitude entre les marques en conflit tel qu’il existe, dans l’esprit du public concerné, un risque de confusion entre celles-ci, l’existence d’un tel risque n’est pas requise pour la protection conférée par la seconde d’entre elles. Ainsi, les atteintes visées à l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 peuvent être la conséquence d’un degré moindre de similitude entre les marques antérieure et postérieure, pour autant que celui-ci est suffisant pour que le public concerné effectue un rapprochement entre lesdites marques, c’est-à-dire établisse un lien entre celles-ci (voir arrêt du 24 mars 2011, Ferrero/OHMI, C‑552/09 P, Rec, EU:C:2011:177, point 53 et jurisprudence citée ; arrêt du 20 novembre 2014, Intra-Presse/Golden Balls, C‑581/13 P et C‑582/13 P, EU:C:2014:2387, point 72).

30      Selon cette même jurisprudence, l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009, tout comme son paragraphe 1, sous b), est manifestement inapplicable lorsque le Tribunal écarte toute similitude entre les marques en conflit. C’est uniquement dans l’hypothèse où les marques en conflit présentent une certaine similitude, même faible, qu’il incombe au Tribunal de procéder à une appréciation globale afin de déterminer si, nonobstant le faible degré de similitude entre celles-ci, il existe, en raison de la présence d’autres facteurs pertinents, tels que la notoriété ou la renommée de la marque antérieure, un risque de confusion ou un lien entre ces marques dans l’esprit du public concerné (arrêts Ferrero/OHMI, point 29 supra, EU:C:2011:177, point 66, et Intra-Presse/Golden Balls, point 29 supra, EU:C:2014:2387, point 73).

31      En premier lieu, il importe de relever que la chambre de recours a considéré à juste titre que la circonstance selon laquelle une marque est composée exclusivement de la marque antérieure à laquelle un autre mot est accolé constitue une indication de la similitude entre ces deux marques [voir, en ce sens, arrêts du 4 mai 2005, Reemark/OHMI – Bluenet (Westlife), T‑22/04, Rec, EU:T:2005:160, point 40, et du 12 novembre 2008, ecoblue/OHMI – Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (Ecoblue), T‑281/07, EU:T:2008:489, point 28].

32      En deuxième lieu, il est aussi exact qu’il ressort de la jurisprudence que, en principe, le consommateur prête normalement davantage attention au début d’un signe qu’à sa fin [arrêts du 16 mars 2005, L’Oréal/OHMI – Revlon (FLEXI AIR), T‑112/03, Rec, EU:T:2005:102, points 64 et 65, et du 11 décembre 2014, Oracle America/OHMI – Aava Mobile (AAVA CORE), T‑618/13, EU:T:2014:1053, point 38].

33      En troisième lieu, il n’apparaît pas que la chambre de recours ait commis une quelconque erreur d’appréciation en considérant que le mot « estate », associé aux produits visés par la marque dont l’enregistrement est demandé, ne présentait pas un caractère distinctif pour une partie significative des consommateurs pertinents. Pour les locuteurs anglophones, ce mot peut évoquer l’endroit où l’on cultive et produit du vin, « estate » signifiant « un bien foncier de grande taille ». Il en découle que la chambre de recours a pu considérer à juste titre que les consommateurs pertinents attacheraient moins d’attention à ce terme et se focaliseraient sur le premier élément, plus distinctif, qu’est le terme « kenzo ».

34      En quatrième lieu, le requérant ne saurait valablement se fonder sur les arrêts Calvin Klein Trademark Trust/OHMI, point 27 supra (EU:C:2010:488), et CK CREACIONES KENNYA, point 27 supra (EU:T:2009:147), tant les circonstances de fait de ces arrêts diffèrent de celles de la présente affaire. Il suffit à cet égard de relever qu’étaient en conflit une marque demandée composée d’un signe verbal et des marques antérieures représentées par des signes figuratifs, alors que, dans la présente affaire, sont en conflit deux marques verbales. En outre, il a été jugé, dans lesdites affaires, que les éléments distinctifs et dominants des marques en conflit n’étaient pas les mêmes, alors que, en l’espèce, le terme « kenzo » commun aux marques en conflit est aussi l’élément le plus distinctif pour celles-ci.

35      Il s’ensuit qu’il convient de rejeter la première branche du second moyen comme non fondée.

 Sur la deuxième branche, tirée de l’absence de preuve de la renommée de la marque antérieure

36      Le requérant fait valoir, en premier lieu, que la chambre de recours ne pouvait pas prendre en compte, dans le cadre de l’appréciation de la renommée de la marque antérieure, les éléments de preuve produits pour démontrer l’usage sérieux de cette marque.

37      À cet égard, il suffit de rappeler qu’il ressort de l’examen du premier moyen que la chambre de recours pouvait prendre en compte ces éléments de preuve.

38      Le requérant fait valoir, en second lieu, que la chambre de recours n’aurait pas dû prendre en compte les éléments de preuve produits avant le 17 mai 2010 devant la division d’opposition pour démontrer la renommée de la marque antérieure, parce que ces éléments de preuve n’étaient accompagnés d’aucune explication relative, notamment, à la durée de l’usage de la marque antérieure, à la portée géographique des campagnes publicitaires de la marque antérieure, au degré précis de connaissance de la renommée de la marque antérieure, aux chiffres d’affaires et aux parts de marché de l’intervenante.

39      À cet égard, il y a lieu de relever que le requérant n’a pas précisé sur quelle disposition juridique il se fondait pour soutenir que les éléments de preuve présentés par l’intervenante devaient être accompagnés d’explications afin d’être pris en compte.

40      En tout état de cause, il n’est pas contesté que les éléments de preuve déposés par l’intervenante devant la division d’opposition dans la présente affaire soient identiques à ceux déposés par elle dans les deux affaires mentionnées aux points 30 et 35 de la décision attaquée et qui ont donné lieu à l’arrêt KENZO, point 16 supra (EU:T:2015:45), ainsi qu’à l’arrêt du 22 janvier 2015, Tsujimoto/OHMI – Kenzo (KENZO) (T‑322/13, EU:T:2015:47).

41      À la lumière de ce qui avait été décidé dans lesdites affaires au cours de la procédure devant l’OHMI, la chambre de recours a conclu, au point 35 de la décision attaquée, que, dans le cas d’espèce, pour lequel la date effective de l’enregistrement international est le 21 janvier 2008, la renommée était démontrée, à la lumière des preuves produites. La chambre de recours a ajouté que, puisque aucun élément nouveau n’avait été produit pour ébranler ces preuves, il y avait lieu de confirmer que la marque antérieure KENZO jouissait d’une renommée dans l’Union européenne pour des vêtements, des cosmétiques et des parfums. La chambre de recours a souligné que le requérant n’avait pas soulevé d’objections substantiellement différentes de celles qu’il avait soulevées dans les décisions rendues dans les deux affaires mentionnées au point 35 de la décision attaquée.

42      À cet égard, il importe de relever que, dans les arrêts KENZO, point 16 supra (EU:T:2015:45, points 43 à 50), et KENZO, point 40 supra (EU:T:2015:47, points 27 à 32), qui n’ont pas fait l’objet de pourvois de la part du requérant, il a déjà été jugé que les éléments de preuve produits par l’intervenante permettaient de démontrer la renommée de la marque antérieure.

43      Il s’ensuit que la deuxième branche doit être rejetée comme non fondée.

 Sur la troisième branche, tirée de l’absence de risque de profit indu

44      Le requérant fait valoir que la chambre de recours a méconnu l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 en ne tenant pas compte, dans son appréciation de l’existence d’un risque de profit indu, des facteurs autres que la forte similitude des signes en conflit et la renommée de la marque antérieure. La chambre de recours n’aurait pas expliqué quel lien pouvait être établi entre, d’une part, les produits pour lesquels la marque antérieure jouissait d’une renommée, à savoir des vêtements, des parfums et des cosmétiques, et, d’autre part, les produits visés par la marque dont l’enregistrement est demandé. Elle n’aurait pas tenu compte du fait que ces produits étaient de nature différente et appartenaient à des secteurs commerciaux très différents. Il serait donc très peu probable que l’image d’exclusivité et de luxe qui s’attache aux vêtements, aux parfums et aux cosmétiques puisse être transférée aux produits visés par la marque dont l’enregistrement est demandé. Ainsi, l’usage de cette marque ne pourrait conférer aucun avantage s’agissant de la commercialisation des produits couverts par elle.

45      Afin de déterminer si l’usage de la marque dont l’enregistrement est demandé tire indûment profit de la renommée de la marque antérieure, il convient d’établir un lien dans l’esprit du public pertinent entre les signes en conflit pour les produits concernés. La forte similitude entre les signes en conflit ne suffit pas à conclure à l’existence d’un tel lien (voir, par analogie, arrêt du 27 novembre 2008, Intel Corporation, C‑252/07, Rec, EU:C:2008:655, point 45). Pour apprécier l’existence de ce lien, il convient de procéder à une appréciation globale qui tienne compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, au nombre desquels figurent, notamment, l’importance de la renommée et le degré de caractère distinctif de la marque antérieure, le degré de similitude entre les marques en conflit ainsi que la nature et le degré de proximité des produits ou des services (voir, par analogie, arrêt Intel Corporation, précité, EU:C:2008:655 points 41 et 42).

46      L’existence de ce lien ne saurait toutefois suffire, à elle seule, pour conclure à l’existence d’un risque que l’usage du signe tire indûment profit de la renommée de la marque antérieure (voir, en ce sens, ordonnance du 30 avril 2009, Japan Tobacco/OHMI, C‑136/08 P, EU:C:2009:282, point 37).

47      Il résulte d’une jurisprudence constante que la notion de profit que l’usage sans juste motif de la marque demandée tirerait indûment de la renommée de la marque antérieure consiste en ce que l’image de la marque renommée ou les caractéristiques projetées par cette dernière soient transférées aux produits désignés par la marque demandée, de sorte que leur commercialisation serait facilitée par cette association avec la marque antérieure renommée [voir arrêt du 25 mars 2009, L’Oréal/OHMI – Spa Monopole (SPALINE), T‑21/07, EU:T:2009:80, point 19 et jurisprudence citée].

48      Le profit résultant de l’usage par un tiers d’un signe ayant des similitudes avec une marque renommée est tiré indûment par ce tiers du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque lorsque celui-ci tente par cet usage de se placer dans le sillage de la marque renommée afin de bénéficier du pouvoir d’attraction, de la réputation et du prestige de cette dernière et d’exploiter, sans compensation financière, l’effort commercial déployé par le titulaire de la marque pour créer et entretenir l’image de celle-ci (voir, par analogie, arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., C‑487/07, Rec, EU:C:2009:378, point 50).

49      Admettre que l’usage de la marque demandée tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure nécessite de fournir la preuve d’une association de la marque demandée avec des qualités positives de la marque antérieure identique ou similaire, lesquelles pourraient donner lieu à une exploitation ou à un parasitisme manifestes par la marque demandée [voir arrêt du 30 janvier 2008, Japan Tobacco/OHMI – Torrefacção Camelo (CAMELO), T‑128/06, EU:T:2008:22, point 65 et jurisprudence citée].

50      S’agissant de la nature et du degré de proximité des produits concernés, la chambre de recours a relevé, d’une part, que les produits pour lesquels la marque antérieure jouissait d’une renommée étaient des cosmétiques, des parfums et des vêtements, alors que les produits visés par la marque dont l’enregistrement est demandé étaient des vins, des liqueurs et des boissons alcoolisées fruitées. La chambre de recours a relevé, d’autre part, que les produits couverts par la marque antérieure s’adressaient à des consommateurs du marché des produits de luxe, alors que les produits couverts par la marque dont l’enregistrement est demandé visaient non seulement le consommateur moyen, mais également des buveurs et amateurs de vin sophistiqués.

51      La chambre de recours a considéré que les produits de luxe haut de gamme, tels que des parfums, des vêtements à la mode et des vins de qualité, évoquaient des images « glamour », reflétant le succès et le statut social. Elle a ajouté que, dans les campagnes publicitaires, une personne dégustant du champagne ou essayant un parfum était inévitablement habillée à la mode et que tous ces produits étaient associés à l’image emblématique courante d’un homme ou d’une femme conjuguant la réussite et la beauté, et souvent la jeunesse.

52      Partant, c’est à tort que le requérant soutient que la chambre de recours n’a pas expliqué quel lien pouvait être établi entre, d’une part, les produits couverts par la marque antérieure, à savoir des vêtements, des parfums et des cosmétiques, et, d’autre part, les produits visés par la marque dont l’enregistrement est demandé.

53      Par ailleurs, il y a lieu d’observer que l’appréciation de la chambre de recours relative à l’existence de ce lien doit être approuvée. En effet, les produits appartenant au secteur du vin peuvent, comme les vêtements, les parfums et les cosmétiques, appartenir au domaine du luxe. En outre, il y a lieu de relever qu’il est possible que des titulaires de marques de produits cosmétiques soient également actifs dans le secteur des boissons alcoolisées (arrêt KENZO, point 40 supra, EU:T:2015:47, point 42).

54      S’agissant de l’existence du risque de profit indu, il convient de relever que c’est en tenant compte de l’existence d’un lien entre les produits couverts par la marque antérieure et ceux visés par la marque dont l’enregistrement est demandé, de la renommée substantielle de la marque antérieure, du haut degré de similitude des marques en conflit et de l’image sophistiquée et emblématique véhiculée par la marque antérieure, qui peut être transférée à d’autres secteurs, comme celui du vin, que la chambre de recours a estimé qu’il était hautement probable que la marque dont l’enregistrement est demandé aille se placer dans le sillage de la marque antérieure, afin de bénéficier du pouvoir d’attraction, de la réputation et du prestige de cette dernière et d’exploiter, sans compensation financière, l’effort commercial déployé par l’intervenante pour créer et entretenir l’image de celle-ci.

55      C’est donc à tort que le requérant soutient que la chambre de recours s’est uniquement fondée sur le degré élevé de similitude des marques en conflit pour apprécier le risque de profit indu.

56      Il s’ensuit que la troisième branche du second moyen doit être rejetée comme non fondée.

 Sur la quatrième branche, tirée de l’existence d’un juste motif pour l’usage de la marque dont l’enregistrement est demandé

57      Le requérant fait valoir que, dans ses observations devant la division d’opposition, il a soutenu que la marque dont l’enregistrement est demandé tendait à utiliser son prénom et donc qu’elle était demandée et utilisée pour un juste motif. La chambre de recours n’aurait pas tenu compte de cet argument et, de ce fait, aurait violé l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009.

58      Il convient de relever que la chambre de recours a répondu à l’argument du requérant en affirmant qu’« aucun juste motif n’a[vait] été démontré » (point 42 de la décision attaquée). Certes, cette réponse est succincte, mais elle est suffisante. En effet, le règlement n° 207/2009 ne donne aucun droit inconditionnel à l’enregistrement d’un nom en tant que marque communautaire [voir, en ce sens, arrêt du 25 mai 2011, Prinz von Hannover/OHMI (Représentation d’armoiries), T‑397/09, EU:T:2011:246, point 29] et, a fortiori, à l’enregistrement d’un prénom en tant que marque. Par conséquent, le fait que Kenzo soit le prénom du requérant n’est pas suffisant pour constituer un juste motif pour l’usage de la marque dont l’enregistrement est demandé, au sens de l’article 8, paragraphe 5, du règlement n° 207/2009 (voir arrêts KENZO, point 16 supra, EU:T:2015:45, points 20 et 21, et KENZO, point 40 supra, EU:T:2015:47, point 47).

59      Il s’ensuit que la quatrième branche du second moyen doit être rejetée.

60      Partant, il y a lieu de rejeter le second moyen et, par conséquent, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

61      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’OHMI et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Kenzo Tsujimoto est condamné aux dépens.

Kanninen

Pelikánová

Buttigieg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 décembre 2015.

Signatures


** Langue de procédure : l’anglais.