Language of document : ECLI:EU:T:2007:338

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

9 novembre 2007(*)

« Référé – Directive 2003/87/CE – Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre – Plan national d’allocation de quotas d’émission pour la Pologne pour la période allant de 2008 à 2012 – Décision de rejet de la Commission – Demande de sursis à exécution – Défaut d’urgence »

Dans l’affaire T‑183/07 R,

République de Pologne, représentée par M. T. Nowakowski, en qualité d’agent,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. U. Wölker et Mme K. Herrmann, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mmes C. Gibbs et Z. Bryanston-Cross, en qualité d’agents, assisté de M. H. Mercer, barrister,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande de sursis à l’exécution de la décision C (2007) 1295 final de la Commission, du 26 mars 2007, concernant le plan national d’allocation de quotas d’émission de gaz à effet de serre notifié par la République de Pologne pour la période allant de 2008 à 2012, conformément à la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO L 275, p. 32),

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

 Cadre juridique

1        La directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO L 275, p. 32), crée, avec effet au 1er janvier 2005, un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté afin de favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en particulier de dioxyde de carbone (ci-après le « CO2 »), dans des conditions économiquement efficaces et performantes. La directive 2003/87 prévoit essentiellement que les émissions de gaz à effet de serre par les installations énumérées à son annexe I doivent faire l’objet d’une autorisation préalable (articles 4 à 8) et d’une attribution de quotas autorisant l’exploitant titulaire à émettre une certaine quantité de gaz à effet de serre (article 11), ces quotas étant alloués conformément à des plans nationaux d’allocation (ci-après les « PNA ») pour une première phase, allant de 2005 à 2007, et pour des phases subséquentes de cinq ans chacune. Si un exploitant parvient à réduire ses émissions, les quotas excédentaires sont susceptibles d’être vendus à d’autres exploitants. Inversement, l’exploitant d’une installation dont les émissions sont excessives peut acheter les quotas nécessaires auprès d’un exploitant qui dispose d’excédents.

2        Les conditions et les procédures suivant lesquelles les autorités nationales compétentes allouent, sur la base d’un PNA, des quotas aux exploitants d’installations sont prévues aux articles 9 à 11 de la directive 2003/87.

3        Ainsi, l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2003/87 précise :

« Pour chaque période visée à l’article 11, paragraphes 1 et 2, chaque État membre élabore un [PNA] précisant la quantité totale de quotas qu’il a l’intention d’allouer pour la période considérée et la manière dont il se propose de les attribuer. Ce [PNA] est fondé sur des critères objectifs et transparents, incluant les critères énumérés à l’annexe III, en tenant dûment compte des observations formulées par le public […]

[…] Pour les périodes [visées à l’article 11, paragraphe 2], le [PNA] est publié et notifié à la Commission et aux autres États membres au moins dix-huit mois avant le début de la période concernée. »

4        L’article 9, paragraphe 3, de la directive 2003/87 dispose :

« Dans les trois mois qui suivent la notification d’un [PNA] par un État membre conformément au paragraphe 1, la Commission peut rejeter ce [PNA] ou tout aspect de celui-ci en cas d’incompatibilité avec les critères énoncés à l’annexe III ou avec les dispositions de l’article 10. L’État membre ne prend une décision au titre de l’article 11, paragraphes 1 ou 2, que si les modifications proposées ont été acceptées par la Commission. Toute décision de rejet adoptée par la Commission est motivée. »

5        Aux termes de l’article 10, seconde phrase, de la directive 2003/87, les États membres doivent allouer au moins 90 % des quotas à titre gratuit pour la période de cinq ans qui débute le 1er janvier 2008.

6        L’article 11, paragraphes 2 et 4, de la directive 2003/87 concernant l’allocation et la délivrance de quotas prévoit :

« Pour la période de cinq ans qui débute le 1er janvier 2008, et pour chaque période de cinq ans suivante, chaque État membre décide de la quantité totale de quotas qu’il allouera pour cette période et lance le processus d’attribution de ces quotas à l’exploitant de chaque installation. Il prend cette décision au moins douze mois avant le début de la période concernée, sur la base de son [PNA] élaboré en application de l’article 9, et conformément à l’article 10, en tenant dûment compte des observations formulées par le public.

[…]

L’autorité compétente délivre une partie de la quantité totale de quotas chaque année de la période visée au paragraphe 1 ou 2, au plus tard le 28 février de l’année en question. »

7        L’annexe III de la directive 2003/87 établit les critères applicables aux PNA visés à l’article 9 de cette même directive.

 Faits, procédure et conclusions des parties

8        Par lettre du 30 juin 2006, la République de Pologne a, conformément à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2003/87, notifié à la Commission son PNA pour la période allant de 2008 à 2012. Selon ce PNA, la République de Pologne entendait allouer à son industrie nationale une moyenne de 284,648332 millions de tonnes d’équivalent CO2 (ci-après « MteqCO2 ») par an au total.

9        À la suite d’un échange de lettres avec les autorités polonaises, la Commission a, le 26 mars 2007, adopté la décision C (2007) 1295 final concernant le PNA notifié par la République de Pologne pour la période allant de 2008 à 2012, conformément à la directive 2003/87 (ci-après la « décision attaquée »).

10      Dans cette décision, adoptée en vertu de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2003/87, la Commission énonce, en substance, que les autorités polonaises doivent réduire de 76,132937 MteqCO2 la quantité totale annuelle de quotas prévue dans le PNA notifié, de façon à ce qu’elle corresponde aux critères nos 1, 2, 3, 5, 6, 10 et 12 énumérés à l’annexe III de cette directive. Elle fixe donc cette quantité totale annuelle à 208,515395 MteqCO2.

11      Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :

« Article premier

Les aspects suivants du [PNA] de la [République de Pologne] pour la première période de cinq ans mentionnée à l’article 11, paragraphe 2, de la directive [2003/87] sont incompatibles avec :

[certains critères de l’annexe III de la directive.]

Article 2

Aucune objection ne sera soulevée à l’encontre du [PNA], à la condition que les modifications suivantes y soient apportées de façon non discriminatoire et que celles-ci soient notifiées à la Commission dès que possible, compte tenu des délais nécessaires pour mettre en œuvre les procédures nationales sans retard indu :

1. la quantité totale à allouer est réduite de 76,132937 [MteqCO2] par an […]

Article 3

1.      La quantité totale moyenne annuelle de quotas de 208,515395 [MteqCO2…] à allouer par la République de Pologne conformément à son [PNA] aux installations reprises dans ce [PNA] et aux nouveaux entrants ne doit pas être dépassée.

2.      Le [PNA] peut être modifié, sans acceptation préalable de la Commission, si la modification consiste en des changements apportés à l’allocation de quotas aux installations individuelles énumérées dans le [PNA] dans les limites de la quantité totale à allouer […]

Article 4

La présente décision est adressée à la République de Pologne. »

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 mai 2007, la République de Pologne a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

13      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, la République de Pologne a demandé qu’il soit statué selon la procédure accélérée visée à l’article 76 bis du règlement de procédure du Tribunal. Par décision du 10 juillet 2007, le Tribunal (cinquième chambre) a rejeté cette demande.

14      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 7 septembre 2007, la République de Pologne a introduit la présente demande en référé, dans laquelle elle conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal surseoir à l’exécution de la décision attaquée.

15      Dans ses observations écrites déposées au greffe du Tribunal le 17 septembre 2007, la Commission conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande de mesures provisoires ;

–        condamner la République de Pologne aux dépens.

16      Dans ses observations écrites déposées au greffe du Tribunal le 5 novembre 2007, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord s’est rallié aux conclusions de la Commission.

 En droit

17      En vertu des dispositions combinées des articles 242 CE et 243 CE, d’une part, et de l’article 225, paragraphe l, CE, d’autre part, le Tribunal peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant lui ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

18      L’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose que les demandes de mesures provisoires doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue (fumus boni juris) l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (voir ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73, et la jurisprudence citée).

19      En outre, dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit communautaire ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25].

20      Eu égard aux éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

 Arguments des parties

21      S’agissant du fumus boni juris, la République de Pologne reproche à la Commission d’avoir rendu la décision attaquée, en violation de l’article 9, paragraphe 3, de la directive 2003/87, après l’expiration du délai fixé pour son adoption, d’avoir analysé le PNA litigieux de manière arbitraire et sans tenir compte des données produites par les autorités polonaises, d’avoir violé les critères nos 1, 2 et 3 énoncés à l’annexe III de la directive 2003/87, ainsi que d’avoir méconnu le droit de la République de Pologne à prendre connaissance, au cours de la procédure administrative, des éléments de fait à la base de la décision attaquée.

22      S’agissant de l’urgence, la République de Pologne soutient que, en l’absence de la mesure provisoire sollicitée, la mise en œuvre de la décision attaquée causerait un préjudice grave et irréparable à l’industrie polonaise soumise aux obligations de la directive 2003/87 et condamnerait vraisemblablement de nombreuses entreprises à l’abandon de leur activité. Même dans l’hypothèse où il serait fait droit au recours au principal, les entreprises polonaises lésées n’obtiendraient pas une indemnisation suffisante. Le délai d’attente avant le prononcé d’un arrêt au principal pourrait avoir des conséquences irréversibles sur l’économie polonaise, de nombreuses entreprises assujetties à la directive 2003/87 devant probablement mettre un terme à leur activité.

23      La République de Pologne estime, notamment, que les autorités polonaises seront, dans l’hypothèse d’une annulation de la décision attaquée, privées de la possibilité de réparer intégralement le préjudice subi par la remise de la situation dans son état antérieur (restitutio in integrum) en attribuant des quotas d’émission supplémentaires aux entreprises polonaises pendant la période de référence (allant de 2008 à 2012). En effet, la directive 2003/87 prévoirait, en son article 11, paragraphe 2, l’obligation de fixer en une fois, pour la période de référence, la quantité totale des quotas d’émission à allouer, tout en interdisant de modifier cette quantité pendant ladite période et de procéder à une nouvelle répartition de quotas supplémentaires. La fixation par les autorités polonaises du plafond national conformément à la décision attaquée ne pourrait donc plus être modifiée au cours de la période de référence. Par conséquent, la thèse de la Commission selon laquelle les autorités polonaises pourraient répartir les quotas récupérés à la suite d’une annulation de la décision attaquée, en modifiant le plafond du PNA national, ne serait manifestement pas conforme aux dispositions de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/87.

24      La République de Pologne ajoute que la directive 2003/87 a été transposée dans l’ordre juridique polonais par la loi du 22 décembre 2004 sur l’échange de quotas d’émission dans l’atmosphère de gaz à effet de serre et d’autres substances (Dz. U. de 2004, no 281, position 2784). Conformément à l’article 20 de ladite loi, le PNA polonais aurait dû être publié au plus tard le 30 septembre 2007 sous la forme d’un règlement. Or, l’exécution de la décision attaquée par la publication du PNA au 30 septembre 2007 rendrait, elle aussi, impossible toute introduction ultérieure de quotas supplémentaires sur le marché.

25      Dans ces circonstances, il serait nécessaire de surseoir à l’exécution de la décision attaquée afin que, pendant la durée de la procédure au principal, puisse être constituée une garantie consistant en une réserve nationale de quotas bloquée dans le PNA. Ainsi, les quotas dépassant le plafond défini dans la décision attaquée pourraient être affectés à cette réserve nationale. La répartition de ces quotas serait suspendue jusqu’à la résolution du litige au principal. Si la République de Pologne obtenait gain de cause au principal, cette réserve serait mobilisée, les quotas supplémentaires étant répartis entre les installations polonaises. Dans le cas contraire, ces quotas seraient annulés.

26      En ce qui concerne l’importance du préjudice prétendument causé à l’industrie polonaise, la République de Pologne affirme que, en l’absence du sursis à exécution sollicité, les installations polonaises couvertes par la directive 2003/87 subiront très probablement un préjudice du fait que les quotas alloués à la République de Pologne dans la décision attaquée ne répondent pas aux besoins réels du pays. En effet, il manquerait environ 6 MteqCO2 de quotas d’émission par an auxdites installations par rapport aux émissions réelles de l’année 2006.

27      Les entreprises concernées auraient, certes, la possibilité d’acheter les quotas manquants au prix du marché. Cela impliquerait toutefois la réalisation de transactions de droit privé irréversibles et inconditionnelles. Un arrêt du Tribunal annulant la décision attaquée ne modifierait pas la nature de ces transactions et ne les annulerait pas, de sorte que les dépenses supplémentaires des entreprises seraient irréversibles.

28      S’agissant de l’achat des 6 MteqCO2 de quotas manquants, la République de Pologne précise que, en prenant pour base de prix la somme de 20 euros par quota, cela impliquerait pour l’industrie polonaise des dépenses injustifiées à hauteur de 180 millions d’euros par an. La nécessité pour les entreprises assujetties à la directive 2003/87 d’acheter les quotas manquants réduirait sensiblement leurs liquidités, ce qui entraînerait une perte de compétitivité par rapport à d’autres entreprises, surtout celles opérant dans des branches proches non couvertes par ladite directive, telles que les entreprises de production d’aluminium et de plastique, ou par rapport à des entreprises d’autres États membres ou d’États voisins de la Pologne non membres de l’Union européenne.

29      La République de Pologne s’oppose aux affirmations de la Commission selon lesquelles les entreprises polonaises ne subiront aucun préjudice, étant donné qu’elles pourraient emprunter les quotas de l’année en cours pour compenser l’insuffisance de quotas de l’année précédente. Elle prétend que, pour limiter l’incertitude quant à l’issue du litige au principal, une partie des entreprises achètera certainement des quotas sur le marché (20 % à 30 % des quotas manquants), et ce dans une situation de pénurie artificielle et à des prix élevés. Dans ce cas, même dans l’hypothèse d’une issue favorable à la République de Pologne dans le litige au principal, les entreprises polonaises subiraient un préjudice, car elles devraient assumer des dépenses supplémentaires en vue de minimiser le risque lié à leur participation au système d’échange de quotas dans une situation de pénurie artificielle de quotas.

30      En tout état de cause, l’utilisation des quotas relevant d’une année suivante risquerait – dans l’hypothèse où la République de Pologne n’obtiendrait pas gain de cause dans le litige au principal – de conduire à ce que les entreprises concernées soient obligées, dès lors qu’une amende pour défaut de quotas serait fixée à 100 euros par quota (article 16, paragraphe 3, de la directive 2003/87), d’acheter en urgence de grandes quantités de quotas au prix fort, ce qui pourrait entraîner la faillite de nombreuses entreprises.

31      En l’absence de mise en réserve de quotas supplémentaires dans le PNA, le préjudice causé à l’industrie polonaise serait irréparable pendant la période de référence. Par ailleurs, les préjudices liés à une insuffisance de quotas ne se traduiraient pas nécessairement au niveau des entreprises. En effet, les coûts supplémentaires assumés par les entreprises seraient partiellement répercutés sur les prix des produits et seraient donc supportés par la société dans son ensemble.

32      La Commission allègue que les craintes de la République de Pologne quant à la naissance d’un préjudice grave et irréparable pour les opérateurs nationaux du fait de l’exécution de la décision attaquée sont injustifiées, de sorte que la condition relative à l’urgence fait défaut en l’espèce. La quantité totale de quotas allouée à la République de Pologne dans la décision attaquée garantirait la couverture des besoins réels des opérateurs nationaux compte tenu de leur potentiel de réduction des émissions. La quantité annuelle moyenne de quotas de 208,515395 MteqCO2 s’appuierait sur le volume réel des émissions des installations polonaises en 2005, tel qu’il a été publié en octobre 2006. Il serait donc exclu que, lors de la répartition des quotas, les besoins des installations polonaises ne puissent pas être satisfaits.

33      En tout état de cause, il serait très improbable que la quantité de quotas à répartir entre les opérateurs polonais lors des premières années de la période de référence (allant de 2008 à 2012) se révèle insuffisante. En effet, il serait loisible à ces opérateurs, afin de respecter la limite d’émission prévue pour l’année 2008, d’utiliser les quotas délivrés pour l’année suivante. Une certaine insuffisance de quotas ne pourrait théoriquement se présenter que vers la fin de la période de référence, c’est-à-dire au plus tôt à la fin de l’année 2011 ou au début de l’année 2012, date à laquelle le Tribunal aurait statué sur le recours au principal.

34      Selon la Commission, l’octroi supplémentaire des 76 MteqCO2 de quotas d’émission revendiqués par la République de Pologne – soit la différence entre les 284,6 MteqCO2 mentionnés dans le PNA polonais et les 208,5 MteqCO2 fixés dans la décision attaquée – à la suite de l’arrêt au principal du Tribunal est absolument impossible. Même si le Tribunal devait reconnaître le bien-fondé des moyens avancés par la République de Pologne, seule une infime partie de la quantité demandée pourrait être accordée à la suite du réexamen du PNA polonais que la Commission devrait entreprendre pour exécuter ledit arrêt en vertu de l’article 233 CE. En effet, les 284,6 MteqCO2 dont l’allocation annuelle a été proposée par les autorités polonaises dépasseraient de 81 MteqCO2 (40 %) le niveau d’émission enregistré en 2005 (203 MteqCO2). Or, une croissance économique en Pologne qui justifierait un tel accroissement des quotas serait impossible à atteindre.

35      Quant à l’allégation de la République de Pologne selon laquelle l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/87 s’opposerait à l’exécution d’un arrêt d’annulation du Tribunal, la Commission la considère comme dépourvue de tout fondement et incompatible avec l’article 233, premier alinéa, CE.

36      Dans la mesure où la République de Pologne soutient que la publication du PNA polonais le 30 septembre 2007 au plus tard rendrait impossible sa modification ultérieure à la suite de l’arrêt au principal du Tribunal, la Commission souligne que, une fois publié, le PNA polonais ne revêtira nullement un caractère irréversible, ainsi qu’il ressort de l’article 21 de la loi polonaise sur l’échange de quotas d’émission dans l’atmosphère de gaz à effet de serre et d’autres substances. Le PNA publié sur la base de la décision attaquée pourrait donc subir des modifications à la suite d’un arrêt du Tribunal imposant l’augmentation de la quantité de quotas à allouer.

37      La Commission conteste, enfin, le préjudice annuel évalué par la République de Pologne à 180 millions d’euros qui résulterait de la nécessité d’acheter des quotas supplémentaires en raison de la quantité insuffisante de quotas alloués à la République de Pologne par la décision attaquée (208,51 MteqCO2). En effet, une éventuelle insuffisance de quotas ne pourrait apparaître que vers la fin de la période de référence, lorsque le Tribunal aura déjà tranché la question de la légalité de la décision attaquée.

 Appréciation du juge des référés

38      Selon une jurisprudence constante, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. L’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue ; il suffit, particulièrement lorsque la réalisation du préjudice dépend de la survenance d’un ensemble de facteurs, qu’elle soit prévisible avec un degré de probabilité suffisant (voir ordonnance du président du Tribunal du 7 juin 2007, IMS/Commission, T‑346/06 R, non encore publiée au Recueil, points 121 et 123, et la jurisprudence citée). La partie qui s’en prévaut est tenue d’avancer des circonstances de nature à établir l’urgence et de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67 ; ordonnances du président du Tribunal du 15 novembre 2001, Duales System Deutschland/Commission, T‑151/01 R, Rec. p. II‑3295, point 188 ; du 25 juin 2002, B/Commission, T‑34/02 R, Rec. p. II‑2803, point 86, et du 9 juillet 2003, AIT/Commission, T‑288/02 R, Rec. p. II‑2885, point 15].

39      La présente demande en référé émanant d’un État membre, il importe de rappeler que les États membres sont responsables des intérêts, notamment économiques et sociaux, considérés comme généraux sur le plan national. Par conséquent, ils peuvent, dans le cadre d’une procédure de référé, faire état de préjudices affectant un secteur de leur économie, notamment lorsque la mesure communautaire contestée est susceptible d’entraîner des répercussions défavorables sur le niveau de l’emploi et sur le coût de la vie (ordonnances de la Cour du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil, C‑280/93 R, Rec. p. I‑3667, point 27, et du 12 juillet 1996, Royaume-Uni/Commission, C‑180/96 R, Rec. p. I‑3903, point 85).

40      Le préjudice invoqué par la République de Pologne relevant de cette catégorie, il y a lieu d’examiner si elle avance des circonstances de nature à établir l’urgence en démontrant avec une probabilité suffisante que, en l’état actuel des choses, l’exécution de la décision attaquée, faisant l’objet du litige au principal, est susceptible de léser gravement et irrémédiablement l’économie nationale polonaise.

41      À cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que la République de Pologne se borne à faire état de sa crainte de voir « vraisemblablement » et « probablement » condamnées de nombreuses entreprises polonaises à l’abandon de leur activité si la décision attaquée était appliquée (points 44 et 60 de la demande), sans étayer ces affirmations vagues par des chiffres précis et concordants. Il en va de même de l’allégation selon laquelle les installations polonaises assujetties à la directive 2003/87 subiront « très probablement » (point 53 de la demande) un préjudice du fait qu’il manque 6 MteqCO2 de quotas par an à ces installations par rapport aux émissions réelles de l’année 2006.

42      Par ailleurs, la République de Pologne ne fournit aucun élément susceptible d’expliquer la contradiction entre les chiffres qu’elle a avancés dans ce contexte, en ce qu’elle prétend, d’une part, que l’industrie polonaise manquerait de 6 MteqCO2 de quotas par an et qu’elle demande, d’autre part, l’annulation de la décision attaquée, la Commission lui ayant attribué une quantité de quotas inférieure de 76 MteqCO2 à la quantité nécessaire (différence entre les 284,6 MteqCO2 mentionnés dans le PNA polonais initial et les 208,5 MteqCO2 fixés dans la décision attaquée).

43      Il convient d’ajouter que la République de Pologne chiffre le préjudice subi par l’industrie polonaise à 180 millions d’euros par an dans l’hypothèse d’un achat des quotas manquants au prix du marché sans exposer la méthode de calcul utilisée et en se limitant à indiquer un prix de 20 euros par quota lequel ne permet pas en le multipliant par les quotas manquants d’obtenir l’estimation du préjudice alléguée. En outre, elle s’abstient de démontrer que ce prix constitue effectivement celui d’un quota au cours de la période allant de 2008 à 2012.

44      En tout état de cause, à supposer que le montant de 180 millions d’euros soit avéré, il s’agit d’un préjudice dont le caractère grave et irréparable n’a pas été établi. En effet, d’une part, la République de Pologne n’a nullement démontré que ces entreprises seraient empêchées, en fait ou en droit, de se faire indemniser, en application de l’article 288, deuxième alinéa, CE, du préjudice financier subi en cas d’annulation de la décision attaquée au principal. D’autre part, elle a, elle-même, déclaré que les entreprises concernées pourraient partiellement répercuter les coûts supplémentaires en cause sur les prix de leurs produits et services (point 59 de la demande). Enfin, elle méconnaît que les quotas éventuellement achetés sur le marché pourraient ultérieurement être revendus par les entreprises concernées dans l’hypothèse où elles se verraient attribuer des quotas supplémentaires à la suite de l’annulation de la décision attaquée. Or, il ne saurait être exclu, en l’état actuel, que la valeur de ces quotas sur le marché augmente, ce qui permettrait même auxdites entreprises de tirer un bénéfice de ces transactions.

45      Dans la mesure où la République de Pologne invoque encore la perte de compétitivité des entreprises obligées d’acquérir des quotas sur le marché par rapport à des entreprises en situation de concurrence non couvertes par la directive 2003/87, telles que des entreprises établies dans des pays tiers ou des entreprises de production d’aluminium et de plastique, force est de constater qu’une telle argumentation, outre qu’elle n’est pas suffisamment étayée par des éléments chiffrés cohérents, ne saurait être examinée que dans le cadre d’une exception d’illégalité dirigée contre les règles visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre établies par la directive 2003/87 et contre son champ d’application défini à son annexe I. Or, une telle exception ne figure pas parmi les moyens présentés par la République de Pologne aux fins d’établir le fumus boni juris. Par conséquent, l’argumentation susmentionnée ne saurait fonder la nécessité de statuer provisoirement en l’espèce.

46      Il résulte de ce qui précède que la République de Pologne n’a pas démontré, à suffisance de droit, que la possibilité pour les entreprises polonaises concernées d’acquérir des quotas sur le marché serait de nature à leur causer un préjudice grave et irréparable.

47      Par conséquent, la crainte de la République de Pologne que les entreprises polonaises concernées soient obligées d’acheter les quotas manquants en urgence et à des prix élevés se révèle infondée. En tout état de cause, son affirmation selon laquelle une partie des entreprises achètera « certainement » 20 % à 30 % des quotas manquants sur le marché (point 58 de la demande) est trop vague pour pouvoir démontrer le caractère urgent du sursis à exécution demandé.

48      Il convient de constater, en second lieu, que l’argumentation fondée sur l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/87, qui interdirait aux autorités polonaises de « prélever à l’avance » pour une année donnée les quotas de l’année subséquente, au motif que la quantité totale des quotas ne pourrait plus être modifiée pendant la période de référence, procède d’une interprétation erronée de la disposition en cause.

49      À cet égard, il y a lieu de relever que le libellé de l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/87 ne comporte aucun élément permettant de l’interpréter en ce sens que la décision de l’État membre relative à la quantité totale de quotas qu’il allouera pour la période de cinq ans débutant le 1er janvier 2008 empêcherait cet État de procéder à un tel « prélèvement à l’avance », tout en respectant ce plafond quinquennal.

50      Par ailleurs, aux termes de l’article 3, paragraphe 2, de la décision attaquée, les autorités polonaises sont explicitement en droit de modifier le PNA dès lors que la modification concerne l’allocation de quotas à certaines installations, et non la quantité totale quinquennale de quotas à allouer (voir, par analogie, ordonnances du Tribunal du 1er octobre 2007, US Steel Košice/Commission, T‑489/04, non publiée au Recueil, point 63, et US Steel Košice/Commission, T‑27/07, non publiée au Recueil, point 63).

51      Il s’ensuit que rien dans les termes de la directive 2003/87, dans son économie générale et dans les objectifs du régime qu’elle établit n’exclut la possibilité pour les autorités polonaises d’allouer, lors des premières années de la période allant de 2008 à 2012 – en attendant le prononcé de l’arrêt dans le litige au principal –, aux entreprises polonaises qui en auraient besoin des quotas dépassant la quantité prévue dans la décision visée à l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/87, en utilisant des quotas relevant des années subséquentes, mais en respectant les limites de la quantité totale quinquennale fixée dans la décision attaquée pour cette même période.

52      En troisième lieu, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre, la République de Pologne ne saurait prétendre que la décision visée à l’article 11, paragraphe 2, de la directive 2003/87 ne pourrait être modifiée, si le Tribunal prononçait un arrêt portant annulation de la décision attaquée au fond en raison du caractère insuffisant de la quantité totale de quotas autorisée par la Commission. En effet, dans l’hypothèse d’une telle annulation, il appartiendrait à la Commission, en application de l’article 233, premier alinéa, CE – de rang supérieur à celui de ladite disposition de la directive –, de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt, à savoir procéder à une nouvelle appréciation du PNA polonais et allouer éventuellement des quotas supplémentaires.

53      Dans la mesure où la République de Pologne invoque encore l’incertitude à laquelle les entreprises polonaises seraient exposées quant à l’issue du litige au principal, il suffit de constater que cette incertitude résulte non de la décision attaquée, mais de l’introduction du recours au principal par la République de Pologne.

54      Enfin, s’agissant de la référence faite par la République de Pologne au droit national polonais, lequel rendrait impossible toute modification de la quantité totale de quotas fixée, force est de constater que d’éventuelles difficultés dans l’adoption des actes législatifs et administratifs nécessaires au niveau national relèvent de l’ordre juridique interne de la République de Pologne et ne sauraient en aucune manière conférer un caractère urgent à la demande en référé présentée au niveau communautaire. Par ailleurs, la Commission a renvoyé, à juste titre, à l’article 21 de la loi polonaise sur l’échange de quotas d’émission dans l’atmosphère de gaz à effet de serre et d’autres substances, selon lequel le conseil des ministres peut « suspendre ou limiter le caractère contraignant du [PNA] dans sa totalité ou en rapport avec des installations particulières […] si cela se justifie par des considérations économiques ou de sécurité énergétique nationale ».

55      Il résulte de tout ce qui précède que la République de Pologne ne démontre pas, en l’état actuel des choses, que l’économie nationale polonaise subirait un préjudice grave et irréparable si le sursis à exécution demandé n’était pas octroyé.

56      En conséquence, la demande en référé doit être rejetée pour défaut d’urgence, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les autres conditions d’octroi du sursis à exécution sont remplies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 9 novembre 2007.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : le polonais.