Language of document : ECLI:EU:T:2011:770

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

22 décembre 2011 (*)

« Référé – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives à l’encontre de la Syrie – Gel de fonds et de ressources économiques – Demande de mesures provisoires – Défaut d’urgence – Absence de préjudice grave et irréparable »

Dans l’affaire T‑593/11 R,

Fares Al-Chihabi, demeurant à Alep (Syrie), représenté par Mes L. Ruessmann et W. Berg, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop et Mme R. Liudvinaviciute-Cordeiro, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, en substance, une demande de sursis à l’exécution de la décision 2011/522/PESC du Conseil, du 2 septembre 2011, modifiant la décision 2011/273/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO L 228, p. 16), du règlement (UE) n° 878/2011 du Conseil, du 2 septembre 2011, modifiant le règlement (UE) n° 442/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO L 228, p. 1), de la décision 2011/684/PESC du Conseil, du 13 octobre 2011, modifiant la décision 2011/273/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO L 269, p. 33), et du règlement (UE) n° 1011/2011 du Conseil, du 13 octobre 2011, modifiant le règlement (UE) n° 442/2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO L 269, p. 18), dans la mesure où ces textes visent le requérant,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Fares Al-Chihabi, est un citoyen syrien et un homme d’affaires. Il occupe actuellement le poste de président de la chambre de commerce d’Alep (Syrie).

2        Condamnant fermement la répression violente des manifestations pacifiques en divers endroit dans toute la Syrie et lançant un appel aux autorités syriennes pour qu’elles s’abstiennent de recourir à la répression, le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 9 mai 2011, la décision 2011/273/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO L 121, p. 11). Compte tenu de la gravité de la situation, il a institué un embargo sur les armes, une interdiction des exportations de matériel susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne, des restrictions à l’admission dans l’Union européenne ainsi qu’un gel des fonds de certaines personnes et entités responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne.

3        Les noms des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie ainsi que ceux des personnes (physiques ou morales) et des entités qui leur sont liées, sont mentionnés dans l’annexe de la décision 2011/273/PESC du Conseil du 9 mai 2011 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO L 121, p.11) En vertu de l’article 5 de cette décision, le Conseil, statuant sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, peut modifier ladite annexe.

4        Parmi les treize noms mentionnés dans l’annexe de la décision 2011/273, ne figure pas celui du requérant.

5        Étant donné que certaines des mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie entrent dans le champ d’application du traité FUE, le Conseil a adopté le règlement (UE) nº 442/2011 du 9 mai 2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO L 121, p. 11). Ce règlement est, pour l’essentiel, identique à la décision 2011/273, mais il prévoit des possibilités de déblocage des fonds gelés. L’annexe II dudit règlement – qui comprend une liste de noms de personnes, d’entités et d’organismes reconnus comme étant soit responsables de la répression en cause, soit associés auxdits responsables – est identique à celle figurant dans l’annexe de la décision 2011/273. Parmi les treize noms mentionnés dans l’annexe II de ce règlement, ne figure pas celui du requérant. En vertu de l’article 14, paragraphes 1 et 4, du règlement en question, lorsque le Conseil décide d’appliquer à une personne, à une entité ou à un organisme les mesures restrictives visées, il modifie l’annexe II en conséquence et examine, par ailleurs, la liste y figurant à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois.

6        Par décision 2011/522/PESC du 2 septembre 2011 (JO L 228, p. 16), le Conseil a modifié la décision 2011/273 en vue, notamment, d’appliquer les mesures restrictives en cause à d’autres personnes et entités profitant du régime ou appuyant celui-ci, en particulier aux personnes et aux entités qui financent le régime ou qui lui apportent un soutien logistique. Par conséquent, le champ d’application de la décision 2011/273 a été étendu aux « personnes bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci, et [aux] personnes qui leur sont liées, dont la liste figure à l’annexe ». En vertu de l’article 2 de la décision 2011/522, les noms de quatre personnes physiques et de trois entités, « énumérées à l’annexe de [cette] décision », ont été ajoutés à la liste figurant dans l’annexe de la décision 2011/273. Parmi ces noms, se trouve celui du requérant – orthographié Chehabi –, avec la mention « date d’inscription : 2.09.2011 » et les « motifs » suivants :

« Président de la chambre de commerce et d’industrie d’Alep. Apporte un soutien économique au régime syrien. »

7        Par règlement (UE) nº 878/2011 du 2 septembre 2011 (JO L 228, p. 1), le Conseil a modifié le règlement nº 442/2011 en étendant l’annexe II de ce dernier règlement à « des personnes et entités bénéficiant de l’appui du régime ou le soutenant, ou des personnes et entités qui leur sont associées ». En vertu de l’article 2 du règlement nº 878/2011, l’annexe II du règlement nº 442/2011 est modifiée conformément à l’annexe I du règlement nº 878/2011, cette dernière annexe comportant le nom du requérant et indiquant la même date d’inscription et les mêmes « motifs » que ceux repris dans la décision 2011/522.

8        Le 13 octobre 2011, le Conseil a adopté la décision 2011/684/PESC modifiant la décision 2011/273 (JO L 269, p. 33) et le règlement (UE) nº 1011/2011 modifiant le règlement nº 442/2011 (JO L 269, p. 18). Par ces actes, le Conseil, tout en ajoutant d’autres noms sur la liste des personnes et des entités faisant l’objet des mesures restrictives litigieuses, a maintenu la mention du nom du requérant sur cette liste.

9        En résumé, les règlements nº 878/2011 et nº 1011/2011 ainsi que les décisions 2011/522 et 2011/684 (ci-après les « actes contestés ») ont pour effet que l’entrée ou le passage en transit du requérant sur le territoire des États membres de l’Union est empêché, que tous les fonds et les ressources économiques qui, au sein de l’Union, appartiennent au requérant ou que ce dernier possède, détient ou contrôle doivent être gelés et que, en principe, aucun fonds ni aucune ressource économique ne doit, au sein de l’Union, être mis à la disposition, directement ou indirectement, du requérant ni dégagé à son profit.

 Procédure et conclusions des parties

10      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 novembre 2011, le requérant a introduit un recours visant, en substance, à l’annulation des actes contestés, dans la mesure où ces actes le concernent. À l’appui de ce recours, il dénonce, notamment, une violation du devoir de motivation et de ses droits de la défense, le Conseil ne lui ayant pas communiqué les motifs précis de la mention de son nom dans la liste des personnes et des entités faisant l’objet des mesures restrictives litigieuses, ce qui ne lui permettrait pas de se défendre utilement, ainsi qu’une violation de plusieurs droits fondamentaux, dont le droit de propriété, le droit de travailler, la liberté d’entreprise et le droit à la réputation.

11      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, le requérant a introduit la présente demande en référé, dans laquelle il conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution des actes contestés en ce qui le concerne jusqu’à ce que le Tribunal se soit prononcé sur le recours principal ;

–        ordonner toute autre mesure provisoire jugée appropriée ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

12      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 8 décembre 2011, le Conseil conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter la demande en référé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

13      Il ressort d’une lecture combinée de l’article 278 TFUE et de l’article 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires. Néanmoins, l’article 278 TFUE pose le principe du caractère non suspensif des recours, les actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l’Union bénéficiant d’une présomption de légalité. Ce n’est donc qu’à titre exceptionnel que le juge des référés peut ordonner le sursis à l’exécution d’un tel acte ou prescrire des mesures provisoires (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 17 décembre 2009, Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht/Commission, T‑396/09 R, non publiée au Recueil, point 31, et la jurisprudence citée).

14      En outre, l’article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), Rec. p. I‑4971, point 30].

15      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du président de la Cour du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), Rec. p. I‑2165, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée au Recueil, point 25]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du président de la Cour du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, Rec. p. I‑1461, point 73).

16      De plus, en cas de demande de sursis à l’exécution d’un acte, l’octroi de la mesure provisoire sollicitée n’est justifié que si l’acte en question constitue la cause déterminante du préjudice grave et irréparable allégué (voir, en ce sens, ordonnances du président du Tribunal du 26 mars 2010, SNF/ECHA, T‑1/10 R, non publiée au Recueil, point 66, et du 17 décembre 2010, Uspaskich/Parlement, T‑507/10 R, non publiée au Recueil, point 31).

17      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande de mesures provisoires, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales.

18      Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative à l’urgence est remplie.

19      Le requérant affirme avoir subi des pertes économiques considérables depuis que ses ressources financières ont été gelées et qu’il n’a plus pu y accéder. Les actes contestés l’empêcheraient en outre d’exercer convenablement ses activités professionnelles, celles-ci impliquant essentiellement des sociétés établies aux États-Unis ou dans l’Union et nécessitant ainsi l’accomplissement de transactions financières internationales. En outre, l’inscription de son nom dans la liste des personnes et des entités faisant l’objet des mesures restrictives litigieuses aurait déjà entraîné un grave préjudice pour lui et sa famille et aurait porté atteinte à sa réputation sur le plan tant personnel que professionnel. Les sanctions qui lui ont été infligées auraient pour effet de rendre extrêmement difficile une vie en société normale, chaque transaction financière internationale comportant en effet le risque que les fonds soient gelés par les établissements financiers. Non seulement ladite inscription l’empêcherait d’exercer les tâches quotidiennes liées à ses diverses fonctions, mais cette inscription aurait également incité les adversaires du régime syrien à menacer sa sécurité personnelle et celle de sa famille.

20      Le requérant ajoute qu’il a également subi un préjudice en raison de la violation d’autres droits et libertés fondamentaux. Il fait valoir qu’un contrôle juridictionnel effectif des sanctions n’est possible que devant le Tribunal, devant lequel il peut uniquement connaître les motifs de l’inscription de son nom, se défendre contre les actes contestés ainsi que prouver leur caractère injuste et disproportionné. L’atteinte à ses droits et à ses libertés fondamentaux serait continue et ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation a posteriori.

21      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le caractère urgent d’une demande en référé doit s’apprécier par rapport à la nécessité de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite les mesures provisoires (ordonnance du président de la Cour du 18 octobre 1991, Abertal e.a./Commission, C‑213/91 R, Rec. p. I‑5109, point 18 ; ordonnances du président du Tribunal du 19 décembre 2001, Government of Gibraltar/Commission, T‑195/01 R et T‑207/01 R, Rec. p. II‑3915, point 95, et du 3 décembre 2002, Neue Erba Lautex/Commission, T‑181/02 R, Rec. p. II‑5081, point 82). Cependant, il n’est pas suffisant d’alléguer que l’exécution de l’acte dont le sursis est sollicité est imminente, mais il appartient à cette partie d’apporter la preuve sérieuse qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure relative au recours principal sans avoir à subir un préjudice de cette nature (ordonnance du président du Tribunal du 25 juin 2002, B/Commission, T‑34/02 R, Rec. p. II‑2803, point 85). Si l’imminence du préjudice ne doit pas être établie avec une certitude absolue, sa réalisation doit néanmoins être prévisible avec un degré de probabilité suffisant. La partie qui sollicite les mesures provisoires demeure tenue de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un préjudice grave et irréparable [ordonnance du président de la Cour du 14 décembre 1999, HFB e.a./Commission, C‑335/99 P(R), Rec. p. I‑8705, point 67, et ordonnance Neue Erba Lautex/Commission, précitée, point 83].

22      Il est également de jurisprudence bien établie qu’un préjudice d’ordre financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu’il peut, en règle générale, faire l’objet d’une compensation financière ultérieure. Dans un tel cas de figure, la mesure provisoire sollicitée se justifie s’il apparaît que, en l’absence de cette mesure, le requérant se trouverait dans une situation susceptible de mettre en péril sa viabilité financière avant l’intervention de la décision mettant fin à la procédure principale ou que ses parts de marché seraient modifiées de manière irrémédiable et importante au regard, notamment, de la taille de son entreprise (voir ordonnance du président du Tribunal du 28 avril 2009, United Phosporus/Commission, T‑95/09 R, non publiée au Recueil, points 33 à 35, et la jurisprudence citée).

23      De plus, pour pouvoir apprécier si le préjudice qu’appréhende le requérant présente un caractère grave et irréparable et justifie donc de suspendre, à titre exceptionnel, l’exécution de la décision attaquée, le juge des référés doit disposer d’indications concrètes et précises, étayées par des documents détaillés qui démontrent la situation financière du requérant et permettent d’apprécier les conséquences précises qui résulteraient, vraisemblablement, de l’absence des mesures demandées. Le requérant est ainsi tenu de fournir, pièces à l’appui, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière [voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2010, Almamet/Commission, T‑410/09 R, non publiée au Recueil, points 32, 57 et 61, confirmée sur pourvoi par ordonnance du président de la Cour du 16 décembre 2010, Almamet/Commission, C‑373/10 P(R), non publiée au Recueil, point 24].

24      Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que cette image fidèle et globale de la situation financière doit être fournie dans le texte de la demande en référé. En effet, une telle demande doit être suffisamment claire et précise pour permettre, à elle seule, à la partie défenderesse de préparer ses observations et au juge des référés de statuer sur la demande, le cas échéant, sans autres informations à l’appui, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celle-ci se fonde devant ressortir d’une façon cohérente et compréhensible du texte même de la demande en référé [ordonnance du président du Tribunal du 31 août 2010, Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, T‑299/10 R, non publiée au Recueil, point 17 ; voir, également, ordonnance du président de la Cour du 30 avril 2010, Ziegler/Commission, C‑113/09 P(R), non publiée au Recueil, point 13].

25      En l’espèce, s’agissant du préjudice financier allégué, le requérant invoque des « pertes économiques considérables » et se plaint du fait que les actes contestés « l’empêchent d’exercer convenablement ses activités professionnelles ». Si ces affirmations sont étayées par quelques données chiffrées, annexées à la demande en référé, force est de constater que le requérant ne prétend et encore moins ne démontre, preuves à l’appui, être exposé au risque, en raison de la mention de son nom dans les actes contestés, de perdre sa viabilité financière, en tant que homme d’affaires, ou de subir une modification irrémédiable et importante des parts de marché de son entreprise, au sens de la jurisprudence citée au point 22 ci-dessus.

26      Le requérant s’est également abstenu de fournir, dans la demande en référé, des informations susceptibles d’établir une image fidèle et globale de sa situation financière en tant que homme d’affaires, c’est-à-dire propriétaire, actionnaire et/ou directeur d’entreprises, au sens de la jurisprudence citée au point 23 ci-dessus. Il n’a pas davantage démontré que, en cas d’annulation des actes contestés, il ne pourrait pas obtenir une compensation financière ultérieure par la voie d’un recours en indemnité au titre des articles 268 TFUE et 340 TFUE, étant entendu que, selon une jurisprudence bien établie, la seule possibilité de former un tel recours suffit à attester du caractère en principe réparable d’un préjudice financier, et ce malgré l’incertitude liée à l’issue du litige en question [voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 14 décembre 2001, Commission/Euroalliages e.a. C‑404/01 P(R), Rec. p. I‑10367, points 70 à 75, et du président du Tribunal du 24 avril 2009, Nycomed Danmark/EMEA, T‑52/09 R, non publiée au Recueil, points 72 et 73].

27      À défaut de tels éléments, le requérant n’a donc pas suffisamment étayé ses affirmations relatives au caractère grave et irréparable du préjudice financier allégué.

28      À titre surabondant, il y a lieu de relever que le requérant dispose de la possibilité de demander aux autorités compétentes d’un État membre le déblocage de certains fonds gelés. En effet, l’article 6 du règlement n° 442/2011 prévoit :

« 1. Par dérogation à l’article 4, les autorités compétentes des États membres […] peuvent autoriser le déblocage ou la mise à disposition de certains fonds ou ressources économiques gelés, aux conditions qu’elles jugent appropriées, après avoir établi que ces fonds ou ressources économiques sont :

a)      nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux des personnes énumérées à l’annexe II et des membres de leur famille qui sont à leur charge, y compris les dépenses consacrées à l’achat de vivres, au paiement de loyers ou au remboursement de prêts hypothécaires, à l’achat de médicaments et au paiement de frais médicaux, d’impôts, de primes d’assurance et de redevances de services publics ;

[…]. »

29      Or, dans la demande en référé, le requérant n’a pas indiqué qu’il avait présenté une demande visant à obtenir l’autorisation d’utiliser les fonds gelés et qu’il avait rencontré des difficultés pour obtenir une telle autorisation auprès de l’autorité compétente d’un État membre.

30      Il s’ensuit que la condition relative à l’urgence fait défaut en ce qui concerne le préjudice financier allégué.

31      S’agissant du préjudice lié à l’atteinte portée à sa réputation sur le plan personnel et professionnel, le requérant n’a pas démontré que ce préjudice résultait des actes contestés et non des événements politiques survenus en Syrie, événements qui avaient amené le Conseil à adopter lesdits actes. Ainsi, il n’a pas établi le lien causal entre les actes contestés et ladite atteinte. Or, selon une jurisprudence constante, l’octroi d’une mesure provisoire n’est justifié que si l’acte en question constitue la cause déterminante du préjudice allégué (voir, en ce sens, ordonnances SNF/ECHA, précitée, point 66, et Uspaskich/Parlement, précitée, point 31).

32      Il convient d’ajouter que, à supposer même que l’atteinte portée à la réputation du requérant ait été causée de manière déterminante par la mention du nom du requérant dans les actes contestés, ladite atteinte durerait aussi longtemps que cette mention n’est pas annulée dans l’affaire principale. Dans ces conditions, un sursis à l’exécution des actes contestés, que le juge des référés ne pourrait ordonner qu’à titre purement provisoire et dans le cadre d’une procédure sommaire, ne serait guère de nature à dissiper la suspicion qui pèse sur le requérant (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 27 août 2008, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 R, non publiée au Recueil, point 52).

33      Par ailleurs, dans la mesure où la finalité de la procédure en référé n’est pas d’assurer la réparation d’un préjudice, mais de garantir la pleine efficacité de la décision au fond, il convient de conclure, s’agissant du préjudice lié à l’atteinte portée à la réputation, que la condition relative à l’urgence fait défaut (ordonnance du président du Tribunal du 15 mai 2003, Sison/Conseil et Commission, T‑47/03 R, Rec. p. II‑2047, point 41). En tout état de cause, il est de jurisprudence bien établie que l’octroi du sursis à exécution demandé ne pourrait remédier au préjudice invoqué plus que ne le ferait une éventuelle annulation partielle des actes en cause au terme de la procédure principale (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 7 mai 2002, Aden e.a./Conseil et Commission, T‑306/01 R, Rec. p. II‑2387, point 117, et ordonnance Melli Bank/Conseil, précitée, point 53).

34      En l’espèce, une annulation, par le juge du fond, des actes contestés, dans la mesure où ils visent le requérant, constituerait une réparation suffisante du préjudice lié à l’atteinte portée à la réputation de ce dernier. En effet, un tel arrêt d’annulation mettrait formellement et définitivement en évidence que le Conseil a fait preuve d’un comportement illégal en portant atteinte à la réputation du requérant, ce qui donnerait satisfaction à ce dernier (voir, en ce sens, ordonnance Melli Bank/Conseil, précitée, point 54).

35      Il s’ensuit que la condition relative à l’urgence n’est pas remplie en ce qui concerne le préjudice lié à l’atteinte portée à la réputation du requérant.

36      Dans la mesure où, en affirmant que les actes contestés ont incité les adversaires du régime syrien à formuler des menaces dirigées contre lui et sa famille en Syrie, le requérant invoque un risque pour sa sécurité personnelle et celle de sa famille, force est de constater que cette affirmation repose sur une « attestation » qu’il a lui-même rédigée et qui se réfère, à titre de preuves, à un message publié sur un site Internet, dont une transcription en anglais a été annexée à la demande en référé. Il ne ressort toutefois pas de ces documents que les menaces alléguées ont été formulées en raison de la seule mention du nom du requérant dans les actes contestés.

37      En tout état de cause, dans les circonstances prévalant depuis un certain temps en Syrie, caractérisées par des émeutes de plus en plus violentes s’apparentant à une guerre civile, il apparaît plausible que les menaces adressées au requérant et à sa famille aient pour origine première – et, partant, déterminante – des dénonciations du requérant, en tant que soutien du régime syrien, émanant du cercle des adversaires de ce régime, dénonciations qui peuvent avoir été parallèlement portées à la connaissance de l’Union. En effet, ainsi que le requérant l’admet dans son « attestation », il occupait une position prééminente en Syrie en tant qu’homme d’affaires prospère et président de la chambre de commerce d’Alep. Dans ces conditions, il ne semble pas surprenant que le requérant ait été identifié et pris pour cible, par les adversaires du régime syrien et dans le contexte de quasi-guerre civile, comme une personne profitant de ce régime et appuyant celui-ci.

38      Par conséquent, le requérant n’a pas suffisamment étayé, par des éléments de preuve, ses affirmations relatives aux menaces dirigées contre lui et sa famille en Syrie à la suite de la publication des actes contestés. Il n’a notamment pas établi que ces actes constituaient la cause déterminante desdites menaces et, partant, constituent la cause déterminante du risque que ces menaces puissent se transformer en actes de violence. Or, à défaut d’éléments de preuve suffisants, le juge des référés ne saurait admettre l’urgence invoquée, en se contentant des affirmations unilatérales du requérant. En effet, compte tenu du caractère strictement exceptionnel de l’octroi de mesures provisoires (voir point 13 ci-dessus), de telles mesures ne peuvent être accordées que si lesdites affirmations et reposent sur des éléments de preuve (voir, en ce sens, ordonnance Babcock Noell/Entreprise commune Fusion for Energy, précitée, point 57, et la jurisprudence citée).

39      À titre surabondant, il convient d’ajouter que, s’agissant d’actes de violence dirigées contre une personne faisant l’objet d’une mesure restrictive de nature économique et financière, telles que celles incriminées en l’espèce, la perpétration de tels actes est manifestement étrangère au but visé par l’auteur de ladite mesure. Elle est le fait autonome de criminels pour lesquels la mesure restrictive ne sert que de prétexte. Or, dans la mesure où le requérant admet avoir occupé une position prééminente en Syrie, il paraît improbable, notamment dans la situation de quasi-guerre civile et d’anarchie qui règne actuellement en Syrie, que les criminels s’apprêtant à commettre des agressions contre lui et sa famille se laissent impressionner par la publication d’une ordonnance de référé, dont il ressortirait par ailleurs que la désignation du requérant dans les actes contestés ne disparaîtrait que provisoirement, à la suite d’un examen purement sommaire du juge des référés et contre la volonté explicite du Conseil ayant le droit de former un pourvoi contre cette ordonnance.

40      Il s’ensuit que le requérant n’est pas non plus parvenu à établir l’urgence en ce qui concerne le préjudice lié au risque pour sa sécurité personnelle et celle de sa famille.

41      S’agissant enfin du préjudice lié à la violation de certains droits et libertés fondamentaux, qui serait continue et ne pourrait pas faire l’objet d’une réparation ultérieure, il convient de relever que l’argumentation du requérant à cet égard vise à faire apprécier sous l’aspect de l’urgence des éléments relevant, en réalité, du fumus boni juris. Or, si le caractère plus ou moins sérieux du fumus boni juris n’est pas sans influence sur l’appréciation de l’urgence, il n’en reste pas moins qu’il s’agit là de deux conditions distinctes qui président à l’obtention d’un sursis à exécution, de sorte que le requérant demeure tenu de démontrer l’imminence d’un préjudice grave et irréparable [voir ordonnance du président de la Cour du 31 janvier 2011, Commission/Éditions Jacob, C‑404/10 P(R), non publiée au Recueil, points 26 et 27, et la jurisprudence citée].

42      En l’espèce, le requérant s’est toutefois abstenu d’expliciter la nature, les modalités et le degré de la violation de ses droits et libertés fondamentaux qu’il allègue. Partant, le juge des référés n’est pas en mesure d’apprécier le caractère plus ou moins sérieux du fumus boni juris à cet égard et d’en tirer des conséquences quant au caractère grave du préjudice lié à cette prétendue violation. En effet, selon la jurisprudence, d’une part, les droits fondamentaux n’apparaissent pas comme des prérogatives absolues, leur exercice pouvant faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général, et, d’autre part, toute mesure de sanction comporte, par définition, des effets qui affectent les droits de propriété et le libre exercice des activités professionnelles, ce qui peut justifier, en principe, des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs (arrêt de la Cour du 30 juillet 1996, Bosphorus, C‑84/95, Rec. p. I‑3953, points 21 à 23, et la jurisprudence citée). La Cour vient d’ailleurs de confirmer cette jurisprudence en jugeant que le droit de propriété et de la liberté d’exercer une activité économique, auquel le gel de fonds porte atteinte, ne jouit pas d’une protection absolue, que ce soit dans le contexte du droit de l’Union ou de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (voir, en ce sens, arrêt du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, non encore publié au Recueil, points 89 et 114).

43      Par conséquent, le requérant n’a pas davantage démontré l’urgence en ce qui concerne le préjudice lié à la violation de ses droits et libertés fondamentaux.

44      L’existence de l’urgence n’étant pas établie, il y a lieu de rejeter la présente demande en référé, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les autres conditions d’octroi du sursis à exécution sollicité, notamment celle relative à l’existence d’un fumus boni juris, sont remplies.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en référé est rejetée.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 22 décembre 2011.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.