Language of document : ECLI:EU:T:2023:77

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre)

15 février 2023 (*)

« Instrument d’aide à la préadhésion – Règlement financier – Enquête de l’OLAF – Décision de la Commission portant sanction administrative – Exclusion des procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions financées par le budget général de l’Union et par le FED – Inscription sur la base de données du système de détection rapide et d’exclusion – Faute professionnelle grave – Erreur manifeste d’appréciation – Responsabilité non contractuelle – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers »

Dans l’affaire T‑175/21,

RH, établie à D, représentée par Me L. Levi, avocate,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Estrada de Solà, P. Rossi et R. Pethke, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (dixième chambre),

composé, lors des délibérations, de MM. A. Kornezov, président, E. Buttigieg et G. Hesse (rapporteur), juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 14 juillet 2022,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours, la requérante, RH, demande, d’une part, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation de la décision de la Commission européenne du 18 février 2021 l’excluant de la participation aux procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions dans le cadre du budget général de l’Union européenne et du onzième Fonds européen de développement ainsi que de la participation aux procédures d’octroi de fonds dans le cadre du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 et de la procédure de participation aux procédures d’octroi de fonds au titre du Fonds européen de développement régi par le règlement (UE) 2018/1877 (ci-après la « décision attaquée ») et, d’autre part, sur le fondement de l’article 268 TFUE, la réparation du préjudice qu’elle aurait subi de ce fait.

 Antécédents du litige

2        Le 17 juillet 2006, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement (CE) no 1085/2006, établissant un instrument d’aide de préadhésion (IAP) (JO 2006, L 210, p. 82). En vertu de l’article 1er de ce règlement, l’Union européenne devait aider les pays mentionnés aux annexes I et II, parmi lesquels figurait le Kosovo, à s’aligner progressivement sur les normes et les politiques de l’Union.

3        Dans le cadre de deux programmes nationaux en faveur du Kosovo financés au titre de l’IAP, deux marchés ont été attribués à des consortiums dirigés par la requérante. Un contrat a été conclu le 19 septembre 2011 au titre d’un premier projet (ci-après le « projet PC »). Un autre contrat a été conclu le 12 décembre 2012 au titre d’un second projet (ci-après le « projet GFP »). La valeur estimée de ce dernier projet était de 1 144 033,22 euros.

4        Le 24 septembre 2015, à la suite d’informations reçues par le bureau de l’UE au Kosovo (ci-après l’« EUOK »), l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a ouvert une enquête, sous la référence OF/2015/1023/A 2, relative à d’éventuelles fuites d’informations confidentielles commises dans le cadre de projets financés au titre de l’IAP mis en œuvre au Kosovo. Le 24 mai 2017, l’OLAF a ouvert une seconde enquête, sous la référence OC/2017/0321/A 2, à la suite d’une communication d’informations anonymes issues du système de notification des fraudes. Les deux enquêtes ont été fusionnées sous la référence OF/2015/1023/A 2.

5        Les 26 et 27 juin 2018, dans le cadre de cette enquête, l’OLAF a réalisé des contrôles dans les locaux de la requérante. Par lettres des 23 novembre 2018 et 19 février 2019, la requérante a été invitée à transmettre ses commentaires sur les faits retenus à son égard.

6        Le 11 juin 2019, l’OLAF a rendu son rapport final (ci-après le « rapport de l’OLAF »). Il a constaté que la requérante avait commis des irrégularités relatives aux passations des marchés concernant les projets PC et GFP. S’agissant plus particulièrement de la procédure de passation de marchés relative au projet GFP, l’OLAF a considéré que, au cours de la période comprise entre janvier 2012 et octobre 2014, la requérante s’était attachée les services de A, expert local et ancien employé de l’EUOK, en le rémunérant ainsi pour l’accès à des informations confidentielles relatives à la procédure de passation du marché concerné.

7        L’OLAF a entendu B, employé de la requérante, le 27 juin 2018. B et C, directrice auprès de la requérante, ont répondu par écrit le 7 décembre 2018 aux faits établis par l’OLAF.

8        Sur le fondement, notamment, du rapport de l’OLAF, l’instance visée à l’article 143 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier »), a été saisie d’une demande de recommandation au titre de l’article 143, paragraphe 6, dudit règlement (ci-après l’« instance »).

9        Par la lettre datée du 13 octobre 2020, l’instance a notifié à la requérante les faits concernés, leur qualification juridique préliminaire et les sanctions administratives envisagées et l’a invitée à présenter ses observations (ci-après la « lettre de notification »). L’instance envisageait de proposer d’infliger à la requérante une sanction administrative consistant en l’exclusion de celle-ci de la participation aux procédures d’attribution de marchés publics et d’octroi de subventions financées par le budget de l’Union pour une période de trois ans. Une version expurgée du rapport de l’OLAF accompagnée de certaines annexes à celui-ci était jointe à cette lettre.

10      Par la lettre en date du 20 octobre 2020, la requérante a accusé réception de la lettre de notification, du rapport de l’OLAF et des annexes qui y étaient jointes. Par le courrier du 29 octobre 2020, elle a demandé à l’instance de lui donner accès à certaines autres annexes dudit rapport. L’instance a fait parvenir à la requérante, le 12 novembre 2020, deux annexes qui la concernaient. Par les lettres datées du 9 et du 19 novembre 2020, la requérante a présenté ses observations.

11      Le 11 janvier 2021, l’instance a rendu à la Commission sa recommandation, par laquelle elle recommandait d’exclure la requérante pour une période de 18 mois de la participation aux procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions financées par le budget général de l’Union ainsi que de la participation aux procédures d’octroi de fonds dans le cadre du règlement (UE) 2018/1877 du Conseil, du 26 novembre 2018, portant règlement financier applicable au 11e Fonds européen de développement, et abrogeant le règlement (UE) 2015/323 (JO 2018, L 307, p. 1), et d’ordonner la publication de cette exclusion sur le site Internet de la Commission.

12      Par la décision attaquée, la Commission a suivi la recommandation de l’instance, considérant que la requérante avait commis une faute professionnelle grave.

 Conclusions des parties

13      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission à réparer les préjudices qu’elle aurait subis du fait de l’adoption de la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

14      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation

15      À l’appui du recours en annulation, la requérante soulève sept moyens, tirés, le premier, d’une erreur de droit relative à la qualification juridique de faute professionnelle grave de ses comportements, le deuxième, d’une violation de la présomption d’innocence et du renversement de la charge de la preuve, le troisième, d’une erreur manifeste d’appréciation des faits ayant conduit à la conclusion de l’existence d’une faute professionnelle grave, le quatrième, d’une violation du devoir de diligence et du principe de bonne administration, le cinquième, d’une violation des droits de la défense, le sixième, d’une violation de l’obligation de motivation et, le septième, d’une violation du principe de proportionnalité concernant la sanction.

 Sur les premier, troisième et quatrième moyens, tirés des erreurs manifestes d’appréciation commises par la Commission, d’une erreur de droit dans la qualification de faute professionnelle grave des comportements de la requérante et d’une violation du droit à une bonne administration

16      Par ses premier, troisième et quatrième moyens, qu’il convient de traiter ensemble, la requérante fait valoir, en substance, que la Commission a commis une erreur de droit, des erreurs manifestes d’appréciation ainsi qu’une violation du droit à une bonne administration en qualifiant ses faits et activités de faute professionnelle grave et en l’excluant de la participation aux procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions financées par le budget général de l’Union et le Fonds européen de développement.

17      Plus particulièrement, d’une part, par ses premier et troisième moyens, la requérante soutient que la Commission a violé l’article 93, paragraphe 1, sous c), du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1), et l’article 106, paragraphe 1, sous c), du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement n° 1605/2002 (JO 2012, L 298, p. 1), ainsi que l’article 136, paragraphe 1, du règlement financier en considérant qu’elle avait commis une faute professionnelle grave.

18      D’autre part, par son quatrième moyen, la requérante fait valoir, en substance, que son droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), a été violé. Les éléments pertinents de l’affaire n’auraient pas été examinés avec soin et prudence et la Commission aurait ainsi violé son obligation de diligence.

19      La Commission conteste les arguments de la requérante. Premièrement, elle rétorque que les critères au regard desquels il convient d’apprécier l’existence d’une faute professionnelle grave, tels qu’énoncés par le Tribunal au point 102 de l’arrêt du 23 septembre 2020, Fundación Tecnalia Research & Innovation/Commission (T‑314/19, non publié, EU:T:2020:421), sont réunis en l’espèce. La requérante se serait concertée avec le personnel de l’EUOK, notamment avec A qu’elle aurait recruté et rémunéré, dans le but d’obtenir des informations confidentielles sur les procédures de passation de marchés. La requérante aurait eu l’intention d’utiliser ces informations pour obtenir un avantage concurrentiel indu par rapport aux concurrents effectifs ou potentiels moins informés, en vue de remporter le marché du projet GFP, ce qui aurait été exposé de manière claire aux points 74 et 75 de la décision attaquée.

20      Deuxièmement, la Commission conteste l’allégation de la requérante selon laquelle les comportements de cette dernière relevaient d’une pratique commerciale normale dans le cadre de la préparation d’une offre pendant la période entre la publication de l’avis de préinformation et celle de l’avis de marché. S’il est vrai, selon la Commission, qu’un opérateur économique a le droit de contacter les institutions bénéficiaires, il importe de déterminer la teneur et la portée de ces contacts. La Commission souligne que le pouvoir adjudicateur dispose d’une marge d’appréciation relativement large pour qualifier la conduite concernée d’un opérateur économique de faute professionnelle grave. La Commission fait également référence à l’article 136, paragraphe 1, sous c), v), du règlement financier, selon lequel la tentative d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de donner un avantage indu lors de la procédure d’attribution serait mentionnée en tant que motif d’exclusion.

21      Troisièmement, la Commission rétorque qu’elle n’a pas violé le droit de la requérante à une bonne administration. La Commission aurait examiné les arguments de la requérante avec soin et aurait estimé qu’ils ne permettaient pas d’atténuer la valeur probante des constatations du rapport de l’OLAF pour ce qui concerne ses comportements constatés dans le cadre du projet GFP. Ainsi, la Commission, qui disposait d’une marge d’appréciation dans l’examen des faits présenté par l’OLAF, considère qu’il ne saurait lui être reproché de s’être appuyée sur les conclusions de ce dernier.

22      Tout d’abord, s’agissant des règles applicables, il convient de noter que, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant pas, en principe, des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur (voir arrêt du 14 février 2008, Varec, C‑450/06, EU:C:2008:91, point 27 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 juin 2017, NC/Commission, T‑151/16, EU:T:2017:437, points 35 et 36).

23      Il en résulte que, en l’espèce, les dispositions relatives à la procédure et aux formes prescrites en vigueur à la date de l’adoption de la décision attaquée, soit celles prévues par le règlement financier, sont applicables. En revanche, en vue de garantir le respect des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, le droit matériel applicable demeure celui en vigueur au moment où les activités litigieuses ont eu lieu, à savoir les dispositions du règlement no 1605/2002 puis celles du règlement no 966/2012.

24      Dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les comportements retenus à l’encontre de la requérante avaient eu lieu entre le 17 janvier 2012 et le 2 octobre 2014.

25      Les règles de fond appliquées, selon la période pertinente, par la Commission dans la décision attaquée sont, d’une part, l’article 93, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1605/2002, applicable jusqu’au 31 décembre 2012 et, d’autre part, l’article 106, paragraphe 1, du règlement no 966/2012, applicable à partir du 1er janvier 2013. Il ressort de ces dispositions que des sanctions administratives peuvent être infligées à un opérateur économique qui a commis une faute professionnelle grave.

26      Ainsi, selon l’article 93, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1605/2002, sont exclus de la participation à un marché les candidats ou les soumissionnaires qui, en matière professionnelle, ont commis une faute grave constatée par tout moyen que les pouvoirs adjudicateurs peuvent justifier.

27      Conformément à l’article 106, paragraphe 1, sous c), du règlement no 966/2012, tel qu’en vigueur pendant les faits litigieux, le pouvoir adjudicateur exclut un opérateur économique de la participation aux procédures de passation de marchés régies par ce règlement lorsqu’il a commis une faute grave en matière professionnelle.

28      Selon l’article 136, paragraphe 1, sous c), v), du règlement financier :

« 1. L’ordonnateur compétent exclut une personne ou une entité visée à l’article 135, paragraphe 2, de la participation aux procédures d’attribution régies par le présent règlement ou de la sélection pour l’exécution des fonds de l’Union lorsque cette personne ou entité se trouve dans une ou plusieurs des situations d’exclusion suivantes :

[…]

c)      il a été établi par un jugement définitif ou une décision administrative définitive que la personne ou l’entité a commis une faute professionnelle grave en ayant violé des dispositions législatives ou réglementaires applicables ou des normes de déontologie de la profession à laquelle elle appartient, ou en ayant adopté une conduite fautive qui a une incidence sur sa crédibilité professionnelle, dès lors que cette conduite dénote une intention fautive ou une négligence grave, y compris en particulier l’une des conduites suivantes :

[…]

v)      tentative d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui donner un avantage indu lors de la procédure d’attribution. »

29      Il ressort de la jurisprudence que les conditions qui doivent être réunies pour déterminer l’existence d’une faute professionnelle grave sont les suivantes. En premier lieu, l’opérateur doit avoir eu un comportement ayant une incidence sur sa crédibilité professionnelle, un manquement contractuel pouvant être considéré comme tel, et, en second lieu, ledit comportement doit dénoter une intention fautive ou une négligence grave. En outre, la constatation de l’existence d’une « faute grave » nécessite, en principe, que soit effectuée une appréciation concrète et individualisée de l’attitude de l’opérateur économique concerné (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 13 décembre 2012, Forposta et ABC Direct Contact, C‑465/11, EU:C:2012:801, points 27 à 31).

30      Il y a lieu de rappeler que la Commission dispose d’une marge d’appréciation en ce qui concerne l’appréciation du manquement pouvant aboutir à une déclaration de faute professionnelle grave, aux fins de l’article 93, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1605/2002 et de l’article 106, paragraphe 1, sous c), du règlement no 966/2012. À cet égard, le contrôle du Tribunal doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2022, Companhia de Seguros Índico/Commission, T‑672/19, non publié, EU:T:2022:64, point 50 et jurisprudence citée).

31      Au surplus, afin d’établir que, dans l’appréciation des faits, la Commission a commis une erreur à ce point manifeste qu’elle est de nature à justifier l’annulation de la décision attaquée, les éléments de preuve apportés par la partie requérante doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations retenues dans la décision en cause. En d’autres termes, le moyen tiré de l’erreur manifeste doit être rejeté si, en dépit des éléments avancés par la partie requérante, l’appréciation mise en cause peut être admise comme vraie ou valable (voir arrêt du 9 février 2022, Companhia de Seguros Índico/Commission, T‑672/19, non publié, EU:T:2022:64, point 52 et jurisprudence citée).

32      Tout d’abord, la requérante considère que ses comportements ne constituaient pas une faute professionnelle grave étant donné qu’ils s’inscrivaient dans le cadre d’une pratique commerciale courante et licite visant à la préparation de l’appel d’offres relatif au projet GFP. Les allégations de la Commission à son égard, fondées sur les preuves récoltées par l’OLAF, seraient peu concrètes et ne démontreraient pas de tentative d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui donner un avantage indu lors de la procédure d’attribution.

33      Il y a lieu de relever, à cet égard, que la Commission a identifié, notamment aux points 77 à 79 de la décision attaquée, les motifs pour lesquels elle a considéré que la conduite de la requérante constituait une faute professionnelle grave, en ce que celle-ci visait à obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui conférer des avantages indus dans le cadre de la procédure de passation du marché relatif au projet GFP.

34      En particulier, selon la Commission, premièrement, il s’agissait du fait que la requérante avait recruté et rémunéré A afin d’établir des contacts précoces avec des interlocuteurs importants pour les futurs appels d’offres, dont le marché relatif au projet GFP, et ainsi de faciliter l’accès à des informations confidentielles tout en présentant de façon erronée les véritables raisons de sa rémunération. Deuxièmement, B aurait, pour le compte de la requérante, rencontré, longtemps avant la publication de l’avis de marché, des fonctionnaires des institutions bénéficiaires. En conséquence, la requérante aurait eu la possibilité de recueillir des informations confidentielles et d’établir des contacts utiles qui auraient été ultérieurement utilisés pour remporter le marché relatif au projet GFP. L’accès illégitime à des informations alors confidentielles aurait procuré dans la procédure de passation de marchés un avantage indu à la requérante, qui aurait été en mesure à la fois de rechercher des partenaires, de s’assurer de la disponibilité des experts les plus compétents et de rédiger le dossier d’appel d’offres pour le projet avant les autres concurrents.

35      Par ailleurs, la Commission indique qu’elle n’a pas tenu compte de toutes les preuves avancées par l’OLAF, notamment les preuves produites en ce qui concerne la participation de la requérante au projet PC (voir point 3 ci-dessus), ne les considérant pas comme suffisamment probantes pour établir une faute professionnelle grave.

36      La requérante conteste, notamment, l’interprétation et la pertinence des preuves récoltées par l’OLAF et sur lesquelles la Commission a fondé la décision attaquée. Elle remet en cause la qualification juridique de faute professionnelle grave de son comportement.

–       Sur la correspondance par courrier électronique

37      En premier lieu, la Commission a retenu, ainsi qu’il ressort, notamment, des points 18, 19 et 22 de la décision attaquée, au titre d’élément de preuve du comportement de la requérante constituant une faute professionnelle grave, l’échange de courriels entre B et A visant la préparation de la mission sur place au Kosovo (« fact finding mission ») de la requérante. Parmi ces courriels figurent notamment un courriel du 17 janvier 2012 envoyé par B à A après la publication par la Commission, le 4 janvier 2012, de l’avis de préinformation du marché relatif au projet GFP, et un courriel du 8 février 2012 de B à A.

38      Dans le courriel du 17 janvier 2012, B a indiqué à A son intention d’organiser une mission sur place au Kosovo (« fact finding mission ») pour rencontrer des représentants de haut niveau des institutions bénéficiaires du projet GFP. À cette fin, B a demandé à A de lui proposer des interlocuteurs ou bien de confirmer les noms des interlocuteurs déjà identifiés par B sur la base de la fiche du projet. Ainsi qu’il ressort, notamment, du courriel envoyé par B à A le 8 février 2012, ce dernier a offert son assistance pour organiser pour la requérante des réunions avec, notamment, des agents des institutions bénéficiaires afin de discuter de plusieurs marchés futurs, dont le marché relatif au projet GFP.

39      La Commission ne conteste pas que la requérante était en droit de récolter des informations, d’établir des contacts et de se rendre sur place afin de préparer sa participation à la procédure de passation de marchés. Toutefois, elle reproche à la requérante une intention fautive dans ses démarches. Pourtant, lors de l’audience, la Commission a concédé que la correspondance susmentionnée, dont la teneur a été rappelée au point 38 ci-dessus, ne reflétait pas, à elle seule, l’intention fautive de la requérante.

40      En deuxième lieu, selon la Commission, ainsi qu’il ressort du point 55 de la décision attaquée, cette intention résulterait en particulier du projet de courriel non daté de C, qui témoignerait de l’objectif de la requérante d’influer sur le processus décisionnel du pouvoir adjudicateur et d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui procurer un avantage indu. Il convient de relever que ce projet contient un récapitulatif de ce que son auteur a considéré comme étant les objectifs généraux des missions d’information régulièrement effectuées par la requérante qui devaient permettre de connaître la « situation actuelle dans le secteur concerné » ainsi que des « besoins et attentes qui ne figuraient pas nécessairement dans le cahier des charges », par exemple un éventuel « agenda caché ». Ces missions auraient également pour objectif d’identifier des « personnes “ouvrant des portes”» en mesure d’organiser des réunions avec les institutions bénéficiaires et des « initiés » « dans la mesure où il est autorisé de les contacter. » Dans le courriel définitif daté du 3 novembre 2016, envoyé par C, l’objectif de l’identification des personnes « ouvrant des portes » n’avait pas été repris.

41      Ainsi que la Commission l’a confirmé lors de l’audience et l’a exposé au point 55 de la décision attaquée, selon elle, le projet de courriel mentionné au point 40 ci-dessus et la version finalement envoyée démontraient l’attitude de la requérante envers les procédures de passation des marchés en général et son intention, lors de ses missions de préparation sur place avant la publication de l’avis de marché, de rencontrer des personnes ayant des connaissances particulières des marchés à venir et de récolter des informations confidentielles inaccessibles aux autres soumissionnaires ainsi que l’intention d’influer sur des représentants des institutions bénéficiaires.

42      À cet égard, ainsi que l’a également relevé la requérante, il est constant que le courriel rédigé par C n’était qu’un projet dont la version définitive a été envoyée le 3 novembre 2016, donc plus de deux ans après les faits reprochés en l’espèce, qui auraient eu lieu, selon la Commission, entre le 17 janvier 2012 et le 2 octobre 2014. En outre, le libellé de ce projet de courriel n’est ni univoque ni conclusif. Si, certes, celui-ci fait référence à des « informations qui ne figuraient pas nécessairement dans le cahier des charges », à un « agenda caché » et à des « personnes ouvrant des portes », son auteur a pris le soin de préciser que de tels contacts pouvaient avoir lieu dans la mesure où ils étaient autorisés. Lu dans son ensemble, ce projet de courriel ne pouvait donc, à lui seul, être regardé comme constituant une faute professionnelle grave.

43      En effet, il ne ressort pas concrètement du courriel concerné que l’objectif de la requérante était de collecter des informations inaccessibles aux autres soumissionnaires, et ce dans le cadre de projets spécifiques et concrets, tels que le projet GFP. Le contenu dudit courriel ne démontre pas non plus que la requérante a eu pour but d’influer indument sur les institutions bénéficiaires.

44      En troisième lieu, ainsi qu’il résulte des points 20 et 56 de la décision attaquée, la Commission a fondé cette décision également sur un courriel daté du 24 janvier 2012 par lequel B a indiqué à C que A était « bien informé » du projet GFP et disposait du cahier des charges de l’appel d’offres. Or, s’il est vrai que ce courriel se rapporte concrètement au projet GFP et au fait que A aurait disposé du cahier des charges avant la publication de l’appel d’offres, il ne saurait en être déduit de manière univoque que l’objectif de la requérante était de se procurer, par l’intermédiaire de A, des informations confidentielles.

45      En effet, il est précisé, en substance, dans ce courriel que l’affirmation selon laquelle A était bien informé du marché relatif au projet GFP est fondée sur son expérience de projets précédents. Il y est également indiqué que, selon A, la requérante avait la possibilité de remporter ce marché étant donné que les institutions bénéficiaires ne se borneraient pas à travailler avec des opérateurs qui avaient déjà été en charge des projets précédents. En outre, A aurait identifié l’élément central du projet de même que d’autres aspects importants de celui-ci. Or, ces éléments ne sauraient être qualifiés d’informations confidentielles, mais sont le fruit d’une analyse effectuée par A et fondée sur ses expériences précédentes. Par ailleurs, il ressort du point 58 de la décision attaquée que le rapport de l’OLAF n’établit pas que la requérante a eu accès au cahier des charges avant sa publication, mais seulement à une fiche du projet divulgué par une agence de la République fédérale d’Allemagne.

46      Partant, contrairement à ce que la Commission a retenu, notamment, aux points 55, 56 et 61 de la décision attaquée, les courriels du 17 et du 24 janvier ainsi que du 8 février 2012 et le projet d’email et sa version définitive du 3 novembre 2016 ne démontrent pas de manière claire et non équivoque que la requérante a tenté d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de lui procurer un avantage indu lors de la procédure de passation de marchés du projet GFP.

–       Sur la rémunération de A

47      Il ressort, notamment, des points 31, 64 et 77 de la décision attaquée que, au soutien de sa conclusion selon laquelle la requérante a commis une faute professionnelle grave, la Commission a également fait valoir que la requérante avait rémunéré A aux fins de se procurer, par l’intermédiaire de ce dernier, un accès à des informations confidentielles. En outre, la requérante n’aurait pas communiqué à la Commission les véritables raisons de cette rémunération.

48      Il ressort du dossier dont dispose le Tribunal que, par le biais de son entreprise, A a été engagé comme expert par la requérante avec effet rétroactif, par contrat en date du 24 septembre 2014. Selon ce contrat, A aurait effectué, pendant la période du 1er février 2012 au 27 septembre 2014, « la compilation des documents de référence, la formulation de commentaires par rapport à la proposition technique et d’un conseil sur la rédaction d’un nouveau cahier des charges pour un prolongement du projet ». A a reçu une rémunération forfaitaire de 6 380 euros pour ces services. Sur la facture émise par l’entreprise de A le 2 octobre 2014, il était indiqué que les services facturés se rapportaient à l’« assistance pour préparer l’offre pour le marché public » (« [a]ssistance in preparing tender application »).

49      S’agissant du contexte de l’engagement de A, il convient de relever que la requérante a expliqué, au point 30 de sa requête, sans être contredite, qu’il était habituel pour elle dans le cadre de marchés d’engager une entreprise locale en vue d’identifier et, le cas échéant, d’engager des experts pour la réalisation du projet concerné. C’est ainsi qu’elle a entendu établir une coopération durable avec A dans le cadre de la future réalisation du projet GFP, au cas où elle devrait remporter le marché. En outre, il est constant que, au moment de son engagement par la requérante ainsi qu’au moment du premier contact rapporté par la Commission entre lui et la requérante dans le cadre du projet GFP, le 17 janvier 2012, A ne travaillait plus pour l’EUOK, cet engagement ayant pris fin le 31 décembre 2011.

50      Initialement, ainsi que l’a reconnu également la requérante, il était prévu de s’attacher les services d’assistance de A en échange d’heures de travail sur le projet GFP pour un montant compris entre 15 000 et 20 000 euros. En effet, il ressort d’un courriel en date du 23 janvier 2013 que B a demandé à la cheffe du projet « à l’égard de [A] […] quelles “activités” concrètes [elle] voudrai[t] externaliser et quel budget [elle] envisage[ait] ». Il lui a également demandé si elle « [p]ourrai[t] […] concevoir un paquet d’environ 15 000 à 20 000 euros ». À cet égard, la requérante soutient, en se fondant sur l’échange de courriels entre B, A et la cheffe du projet, qu’elle avait convenu que A sélectionnerait et proposerait des experts non essentiels nationaux pour la mise en œuvre du projet GFP.

51      Certes, A a lui-même déclaré à ce propos, lors d’une interview avec l’OLAF dont le compte rendu figure à l’annexe A.12 de la requête, que « [la requérante] avait un “gentlemen’s agreement” avec [lui] selon lequel elle [lui] offrirait un nombre restreint de jours sur le projet par l’intermédiaire de [s]a société pour [l]e récompenser d’avoir soutenu leur offre ». Cependant, il ressort de la lettre de la requérante adressée à l’instance et datée du 19 novembre 2020, produite en annexe à sa requête, que la requérante a expliqué à cet égard qu’elle « n’a[vait] jamais demandé à A de la soutenir ou d’influer sur les institutions bénéficiaires d’une manière ou d’une autre ». Par ailleurs, elle a fait valoir que « A prêtait uniquement des services d’ordre logistique dans le cadre de la mission sur place en fixant des rendez-vous avec ces institutions [en son] nom » et qu’il « jouait un rôle mineur dans la préparation de [son] offre […] pour la procédure de passation du marché relatif au projet GFP, rôle qui se limitait à des recherches, à l’identification d’experts à court terme (potentiellement locaux) pour le projet et au soutien d’ordre logistique ». La Commission ne conteste pas les explications ainsi fournies par la requérante.

52      Il ressort également du dossier dont dispose le Tribunal que la cheffe du projet s’était opposée à l’engagement des experts proposés par A et que, par conséquent, la requérante a décidé d’engager A lui-même en tant qu’expert externe conformément à un contrat signé en 2014, en le rémunérant ainsi de 6 380 euros, montant qui compensait le temps investi par A dans la recherche des experts locaux qui n’avaient pas été retenus au final et pour éviter que sa fiabilité soit mise en doute au motif qu’elle n’avait pas respecté l’accord informel conclu avec A.

53      Certes, les services que A a effectués pour la requérante ne sont pas définis de manière claire dans le contrat du 24 septembre 2014 ni sur la facture du 2 octobre 2014 (voir point 48 ci-dessus). Toutefois, en l’absence d’une démonstration univoque par la Commission que A a été rémunéré en échange de services permettant à la requérante d’avoir accès à des informations confidentielles, le seul fait qu’elle ait engagé et rémunéré A ne suffit pas pour démontrer qu’elle aurait ainsi commis une faute professionnelle grave. Au contraire, l’explication fournie par la requérante, selon laquelle elle a été amenée à rémunérer A pour ses heures de travail investies dans l’identification d’experts nationaux pour la mise en œuvre du projet GFP, est plausible et est appuyée par les éléments du dossier dont dispose le Tribunal. La rémunération d’un tel service n’est, en soi et en l’absence d’autres indices, ni illégale, ni constitutive d’une conduite fautive, même si les experts en cause n’ont finalement pas été recrutés par la requérante. La Commission ne prétend pas, et encore moins ne prouve, que les services rendus par A auraient été fictifs et que la requérante aurait occulté les véritables raisons de sa rémunération.

54      Au demeurant, il est constant entre les parties que la requérante a payé la rémunération de A sur ses fonds propres et non pas sur ceux provenant du budget de l’Union.

–       Sur la nature des informations échangées

55      Selon le point 58 de la décision attaquée, les preuves récoltées par l’OLAF comportent des exemples de la nature des informations confidentielles échangées entre la requérante et A. Parmi ces exemples figure, selon la Commission, un courriel daté du 7 février 2012 par lequel A avait communiqué à B les coordonnées d’un expert du contrôle interne des finances publiques de la Commission chargé du projet GFP tout en précisant que la requérante n’avait pas le droit, officiellement, de le contacter (voir, notamment, point 21 de la décision attaquée). Par ce même courriel, A aurait transféré la fiche du projet à la requérante. Par ailleurs, la Commission a retenu, notamment au point 62 de la décision attaquée, un extrait d’une conversation sur Skype datée du 6 novembre 2012 entre B et un interlocuteur non identifié, dont il ressortirait que la requérante aurait été informée, avant la notification officielle de la décision concernée, qu’elle avait remporté le marché du projet GFP.

56      S’agissant, premièrement, de la fiche du projet, il convient de relever que la requérante fait valoir, sans être contredite, que celle-ci avait déjà été mise à sa disposition par l’intermédiaire d’une agence officielle de la République fédérale d’Allemagne le 6 décembre 2011, qui l’avait obtenue dans le cadre d’une réunion au sujet de l’IAP. La requérante précise que tous les États membres sont en principe représentés à ces réunions par leurs agences pour la promotion du commerce et des investissements internationaux ou par leurs ambassades. Elle indique également, toujours sans être contredite, qu’il est courant pour les soumissionnaires potentiels de demander les fiches des projets auprès de l’agence concernée de leur État membre d’établissement. Ainsi, le fait que la Commission n’ait publié la fiche du projet que le 8 février 2012 ne signifie pas qu’elle était confidentielle avant cette date.

57      Il s’ensuit que, en l’absence d’autres éléments avancés par la Commission dans le sens inverse, la fiche du projet en cause ne saurait être qualifiée d’information confidentielle au moment de l’envoi de celle-ci par A à B. L’allégation de la Commission selon laquelle la seule réception de cette fiche, quand bien même la requérante en disposait déjà de manière légitime et les autres soumissionnaires potentiels pouvaient, en principe, y avoir accès également, témoignait déjà d’une intention fautive de la requérante et de A n’est pas suffisamment étayée pour établir une tentative, de la part de la requérante, d’obtenir des informations confidentielles.

58      S’agissant, deuxièmement, de l’expert du contrôle interne des finances publiques en charge du projet GFP au sein de la Commission, il n’a pas été démontré que la requérante avait contacté cette personne. La transmission de ces coordonnées ne démontre dès lors pas de manière non équivoque que la requérante aurait tenté d’obtenir des informations confidentielles de nature à lui conférer un avantage indu. Le reproche à l’encontre de la requérante que la Commission a exprimé au point 58 in fine de la décision attaquée, selon lequel la requérante n’a pas rejeté l’assistance de A et n’a pas attiré l’attention de celui-ci sur le caractère non éthique de la communication de ce type d’informations, ne saurait altérer ce qui précède. En effet, le fait que la requérante n’a pas averti A n’implique pas à lui seul qu’elle aurait commis une faute professionnelle grave.

59      S’agissant, troisièmement, de la conversation sur Skype du 6 novembre 2012, la requérante soutient qu’il n’est pas inhabituel que des informations sur l’issue d’une procédure de passation de marchés soient communiquées par la voie informelle avant la notification officielle du résultat. Il convient de relever, à cet égard, que la communication, par la voie informelle, de cette information n’était pas susceptible de conférer un avantage indu à la requérante. En effet, il ressort du point 26 de la décision attaquée que la dernière réunion du comité d’évaluation avait eu lieu le 5 novembre 2012. Même à supposer que, entre cette date et la notification de la décision officielle d’attribution du marché concerné à la requérante, le 20 novembre 2012, le résultat des évaluations devait rester strictement confidentiel, la Commission n’a pas démontré que le fait d’y avoir eu accès au lendemain de la dernière réunion du comité d’évaluation aurait conféré à la requérante un avantage indu dans la procédure en cause ni que l’obtention de cette information par la requérante était le résultat d’une immixtion interdite de B et de A dans la procédure en cause.

60      Il en est de même, au demeurant, de la teneur de la conversation sur Skype entre B et un interlocuteur non identifié du 16 novembre 2012, à laquelle la Commission fait référence au point 27 de la décision attaquée, conversation qui porte sur le moment où la notification de la décision officielle d’attribution du marché concerné était attendue, dans laquelle B indique que, à sa connaissance, la procédure était gérée par le service des contacts et qu’ils n’avaient plus d’influence. Il résulte de l’extrait de cette conversation qu’elle portait uniquement sur le déroulement dans le temps de la fin de la procédure de passation du marché et qu’il n’était pas question d’une tentative ou de l’intention de la requérante d’influer sur la procédure d’attribution.

61      Eu égard aux éléments apportés par la requérante et non contredits par la Commission, il convient de conclure que cette dernière n’a pas établi de manière claire et non équivoque que la requérante avait commis une faute professionnelle grave en ayant demandé et reçu des informations confidentielles susceptibles de lui conférer un avantage indu lors de la procédure d’attribution en cause.

–       Conclusion

62      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de constater que les preuves retenues par la Commission à l’encontre de la requérante, examinées à la lumière des éléments avancés par cette dernière, ne sont pas suffisamment spécifiques, convaincantes et concrètes et ne sont, dès lors, pas de nature à établir de manière non équivoque et claire que la requérante a adopté une conduite fautive ayant une incidence sur sa crédibilité professionnelle qui, en plus, dénoterait une intention fautive ou une négligence grave au sens de l’article 136, paragraphe 1, sous c), v), du règlement financier et de la jurisprudence citée au point 29 ci-dessus.

63      La Commission n’a donc pas démontré à suffisance de droit que la requérante avait commis une faute professionnelle grave justifiant son exclusion de la participation aux procédures de passation de marchés sur le fondement de l’article 93, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1605/2002 et de l’article 106, paragraphe 1, sous c), du règlement no 966/2012 ainsi que la publication sur son site Internet de cette sanction.

64      En outre, il y a lieu de relever que l’erreur manifeste d’appréciation commise par la Commission coïncide avec une violation de l’obligation de diligence, relevant du droit à une bonne administration, consacré par l’article 41, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2022, SGL Carbon e.a./Commission, C‑65/21 P et C‑73/21 P à C‑75/21 P, EU:C:2022:470, points 30 à 32). En effet, ainsi qu’il a été jugé aux points 62 et 63 ci-dessus, les preuves récoltées par l’OLAF et partiellement reprises par l’instance et par la Commission ne sont pas suffisamment convaincantes, concrètes et spécifiques pour étayer les allégations d’irrégularités commises par la requérante dans le cadre du marché public relatif au projet GFP. Il s’ensuit que la Commission n’a pas examiné avec le soin et la prudence requis, d’une part, tous les éléments de preuve rapportés par l’OLAF, pris isolément et dans leur ensemble et, d’autre part, les éléments de fait et de preuve avancés par la requérante exposant le contexte dans lequel se situaient les comportements reprochés.

65      Partant, il y a lieu d’accueillir les premier, troisième et quatrième moyens.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de la présomption d’innocence et du renversement de la charge de la preuve

66      La requérante fait valoir que la Commission a présumé sans le démontrer l’échange d’informations confidentielles entre la requérante et ses interlocuteurs au Kosovo, notamment A. La Commission aurait reproché à la requérante de ne pas avoir apporté de preuves démontrant que les informations obtenues, notamment lors des réunions au Kosovo avec des représentants des institutions bénéficiaires, n’étaient pas confidentielles. Or, il incomberait à la Commission de prouver et de démontrer que la requérante avait tenté d’obtenir, voire avait obtenu, des informations confidentielles lui conférant un avantage indu. En ayant agi ainsi, la Commission aurait violé le principe de la présomption d’innocence, consacré notamment par l’article 48 de la Charte, et aurait, à tort, renversé la charge de la preuve.

67      La Commission conteste les arguments de la requérante.

68      Aux termes de l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

69      À cet égard, il convient d’indiquer que l’article 52, paragraphe 3, de la Charte précise que, dans la mesure où cette dernière contient des droits correspondant à ceux garantis par la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère cette convention. Or, ainsi qu’il résulte des explications afférentes à l’article 48 de la Charte, le paragraphe 1 de cet article correspond à l’article 6, paragraphe 2, de la convention susvisée [voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2021, IS (Illégalité de l’ordonnance de renvoi), C‑564/19, EU:C:2021:949, point 101 et jurisprudence citée].

70      À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que le principe de la présomption d’innocence se trouve méconnu si une décision ou une déclaration officielle concernant une personne concernée contient une déclaration claire, faite en l’absence de décision définitive établissant sa culpabilité, selon laquelle ladite personne a commis l’infraction en question [voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, AH e.a. (Présomption d’innocence), C‑377/18, EU:C:2019:670, point 43 et jurisprudence citée].

71      Or, la requérante n’établit pas avoir fait l’objet d’une quelconque déclaration claire de la Commission, avant l’adoption de la décision attaquée, selon laquelle elle aurait commis l’infraction en cause.

72      Certes, il incombait à la Commission de rapporter les preuves afin d’établir à suffisance de droit l’existence d’une faute professionnelle grave. Il est constant qu’elle n’y est pas parvenue et qu’elle a commis une erreur manifeste d’appréciation à cet égard. Pourtant, le fait que la qualification de faute professionnelle grave des comportements de la requérante était erronée ne signifie pas que la Commission a également violé le principe de la présomption d’innocence.

73      Partant, la requérante n’a pas établi que le principe de la présomption d’innocence avait été violé en l’espèce.

74      Pour le reste, le grief selon lequel la Commission aurait, à tort, renversé la charge de la preuve n’a pas de contenu autonome par rapport aux premier, troisième et quatrième moyens, étant donné que les arguments de la requérante à l’appui de ce grief sont dirigés, en substance, contre la qualification de faute professionnelle grave de ses comportements.

75      Il y a donc lieu d’écarter le deuxième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du droit d’être entendu

76      Par le cinquième moyen, la requérante soutient qu’elle n’a pas été informée de son statut de personne concernée avant la notification du résumé des faits. En outre, son droit d’être entendue avant l’adoption de la décision attaquée n’aurait pas été respecté par l’OLAF et, ensuite, par la Commission.

–       Sur l’argument tiré de ce que la requérante n’aurait pas été informée de son statut de personne concernée avant la notification du résumé des faits

77      La requérante soutient, en substance, qu’elle n’a pas été informée de son statut de personne concernée avant la notification du résumé des faits, et ce en violation des garanties procédurales prévues à l’article 9, paragraphe 3, du règlement (UE, Euratom) no 883/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 septembre 2013, relatif aux enquêtes effectuées par l’OLAF et abrogeant le règlement (CE) n° 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (Euratom) n° 1074/1999 du Conseil (JO 2013, L 248, p. 1). Premièrement, l’habilitation remise par le personnel de l’OLAF lors des vérifications sur place des 26 et 27 juin 2018 ne lui aurait pas permis de considérer qu’elle était une personne concernée. Deuxièmement, elle n’aurait pas reçu de copie du rapport rendant compte des vérifications sur place et daté du 23 juillet 2018, et ce en violation de l’article 14.6 des lignes directrices sur les procédures d’enquête à l’intention du personnel de l’OLAF. La requérante aurait seulement été informée qu’elle était considérée comme une personne concernée lors de la notification des faits du 22 novembre 2018.

78      La Commission conteste cette argumentation.

79      Aux termes de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 883/2013, dès qu’il ressort d’une enquête qu’un fonctionnaire, un autre agent, un membre d’une institution ou d’un organe, un dirigeant d’un organisme ou un membre du personnel pourrait être une personne concernée, ce fonctionnaire, cet autre agent, ce membre d’une institution ou d’un organe, ce dirigeant d’un organisme ou ce membre du personnel en est informé, pour autant que cette information ne nuise pas au déroulement de l’enquête ou de toute procédure d’enquête relevant de la compétence d’une autorité judiciaire nationale.

80      En l’espèce, l’OLAF a effectué, les 26 et 27 juin 2018, des vérifications dans les locaux de la requérante, après remise d’une habilitation par le personnel de l’OLAF. Il ressort du rapport rendant compte des vérifications sur place du 23 juillet 2018 que, lors de celles-ci, le personnel de l’OLAF a informé deux membres dirigeants de la requérante au cours des contrôles que cette dernière avait été identifiée comme une personne concernée à la suite de suspicions d’irrégularités ou de fraude dans la mise en œuvre de trois projets financés par l’Union auxquels elle avait participé au Kosovo. Ce rapport a été présenté par l’OLAF à ces deux cadres dirigeants, qui l’ont contresigné, de sorte qu’il convient de conclure que ces derniers ont ainsi attesté avoir été informés, au cours des vérifications sur place les 26 et 27 juin 2018, du statut de personne concernée de la requérante.

81      À cet égard, l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 883/2013 enjoint au directeur général de l’OLAF de délivrer une habilitation indiquant seulement l’objet et le but de l’enquête ainsi que les bases juridiques pour effectuer ces enquêtes et les pouvoirs d’enquête en découlant. Or, aucune disposition du droit de l’Union n’oblige l’OLAF à indiquer dans ladite habilitation l’identité de la personne ou des personnes concernées.

82      Toutefois, la requérante fait valoir qu’elle n’aurait pas été régulièrement informée de ce statut, en ce qu’elle n’aurait pas reçu de copie du rapport rendant compte des vérifications sur place, en violation de l’article 14.6 des lignes directrices sur les procédures d’enquête à l’intention du personnel de l’OLAF. La copie dudit rapport ne lui aurait été transmise par l’instance que le 30 novembre 2020.

83      L’article 14.6 des lignes directrices sur les procédures d’enquête à l’intention du personnel de l’OLAF prévoit que des copies du rapport relatif au contrôle sur place sont fournies à l’autorité nationale et, le cas échéant, à l’opérateur économique concerné. Cet article n’indique pas le moment précis auquel l’OLAF doit transmettre une copie de ce rapport audit opérateur.

84      En tout état de cause, il ne saurait être admis que l’absence de transmission de la copie du rapport relatif aux vérifications sur place, ou une transmission prétendument tardive de celle-ci, aurait empêché la requérante de prendre connaissance de son statut de personne concernée. En effet, deux de ses cadres dirigeants ayant contresigné le rapport des vérifications sur place (voir point 80 ci-dessus), il convient de considérer qu’ils l’ont consulté et ont confirmé avoir pris connaissance du statut de personne concernée de la requérante au moment des contrôles en juin 2018.

85      Il en résulte que, dans les circonstances de l’espèce, la requérante a été, au moment des vérifications sur place, régulièrement informée de l’objet et du but de l’enquête ainsi que de son statut de personne concernée.

86      Il s’ensuit que le grief tiré de ce que la requérante n’aurait pas été informée de son statut de personne concernée en violation de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 883/2013 doit être rejeté comme étant non fondé.

–       Sur la violation alléguée du droit de la requérante en tant que « personne concernée » d’être entendue par l’OLAF

87      La requérante fait valoir l’existence d’une violation du droit d’être entendu, tel que consacré par l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, dans la mesure où, en substance, premièrement, l’OLAF ne l’aurait pas entendue avant la notification du résumé des faits. Elle considère, notamment, que ses dirigeants auraient dû être auditionnés lors des vérifications sur place. Deuxièmement, elle n’aurait pas été pleinement en mesure de formuler des observations sur le résumé des faits, car ce document ne faisait pas référence à une quelconque violation de l’article 136, paragraphe 1, sous c), v), du règlement financier. Elle estime par ailleurs que, si son droit d’être entendue avait été respecté, l’issue de la procédure aurait pu être différente.

88      La Commission conteste cette argumentation.

89      En vertu de l’article 41, paragraphe 2, de la Charte, le droit à une bonne administration comporte également le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard.

90      Ce principe est mis en œuvre à l’article 9, paragraphe 4, du règlement no 883/2013, lequel prévoit que l’OLAF doit, en principe, une fois que l’enquête a été achevée et avant que les conclusions se rapportant nommément à une personne concernée n’aient été tirées, accorder à cette dernière la possibilité de présenter ses observations sur les faits la concernant (arrêt du 30 septembre 2021, Cour des comptes/Pinxten, C‑130/19, EU:C:2021:782, point 168). Ladite disposition prévoit à cet égard que l’OLAF envoie à la personne concernée une invitation à présenter ses observations par écrit ou lors d’un entretien avec le personnel désigné par l’OLAF et lui joint pour cela un résumé des faits la concernant.

91      En l’espèce, force est de constater que la requérante ne conteste pas qu’elle a eu l’opportunité de présenter ses observations à plusieurs reprises avant l’adoption du rapport de l’OLAF sur les faits constatés ayant fondé la décision attaquée. À cet égard, il convient de relever que l’OLAF a, lors de la notification du résumé des faits du 22 novembre 2018, invité la requérante à présenter ses observations sur les faits établis durant l’enquête. Cette dernière a, le 28 novembre 2018, transmis à l’OLAF ses commentaires relatifs au « résumé des faits sur la personne concernée » et a formulé une demande de transmission de certains documents. La requérante a transmis à l’OLAF de nouvelles observations le 7 décembre 2018. Le 19 février 2019, l’OLAF a invité la requérante à présenter à nouveau ses observations sur des faits supplémentaires ajoutés au résumé des faits. La requérante a répondu à cette demande le 28 février 2019.

92      Dans ces circonstances, il convient de conclure que, ayant entendu la requérante à trois reprises avant d’établir son rapport final prévu à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 883/2013, l’OLAF a respecté son droit d’être entendue.

93      L’argument de la requérante selon lequel l’OLAF aurait dû, au cours des vérifications sur place, auditionner ses cadres dirigeants ne remet pas en cause cette conclusion.

94      D’une part, l’article 9, paragraphe 4, du règlement no 883/2013 n’oblige pas l’OLAF à accorder à la personne concernée la possibilité de présenter ses observations sur les faits la concernant avant la notification du résumé des faits.

95      D’autre part, selon une jurisprudence constante, le droit d’être entendu n’implique pas nécessairement l’obligation de mettre la personne intéressée en mesure de s’exprimer oralement (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 25 février 2016, Musso/Parlement, T‑589/14 et T‑772/14, non publié, EU:T:2016:101, point 59, et du 19 juin 2018, Le Pen/Parlement, T‑86/17, non publié, EU:T:2018:357, point 98). Ainsi, la mise en œuvre du droit d’être entendu n’implique pas nécessairement une audition de la personne concernée, la possibilité de présenter des observations par écrit permettant également de satisfaire audit droit (arrêt du 19 juin 2018, Le Pen/Parlement, T‑86/17, non publié, EU:T:2018:357, point 99).

96      Ainsi, force est de constater que, bien que les cadres dirigeants de la requérante n’aient pas été auditionnés lors des vérifications sur place, elle a eu l’opportunité de faire connaître par écrit à l’OLAF les raisons pour lesquelles elle estimait que les faits établis par ce dernier n’étaient pas avérés.

97      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel elle n’aurait pas été pleinement mise en mesure de formuler des observations en ce que le résumé des faits du 22 novembre 2018 transmis par l’OLAF ne faisait pas référence à une violation de l’article 136, paragraphe 1, sous c), v), du règlement financier, force est de constater que ledit résumé citait les règles déontologiques et de prévention des conflits d’intérêts contenues dans le guide pratique des procédures contractuelles applicables à l’action extérieure de l’Union ainsi que dans les conditions générales des contrats de service pour l’action extérieure financés par l’Union, lesquels contiennent, en substance, le même motif d’exclusion que celui prévu par l’article 136, paragraphe 1, sous c), v), du règlement financier.

98      En outre et en tout état de cause, la requérante a eu l’opportunité de présenter sa position quant à la qualification juridique des faits devant l’instance, y compris en ce qui concerne l’article 136, paragraphe 1, sous c), v), du règlement financier.

99      À cet égard, il convient de rappeler que le règlement financier établit un système unique de détection rapide et d’exclusion, mis en place par la Commission afin de protéger les intérêts financiers de l’Union. Il est prévu à l’article 143, paragraphe 5, dudit règlement que l’instance respecte, avant d’adopter ses recommandations, le droit de la personne ou de l’entité concernée, visée à l’article 135, paragraphe 2, de ce règlement, de présenter ses observations sur les faits ou constatations visés à l’article 136, paragraphe 2, du même règlement ainsi que sur la qualification juridique préliminaire.

100    En l’espèce, l’instance a, le 13 octobre 2020, transmis à la requérante la notification des faits et leur qualification juridique préliminaire, et l’a invitée à formuler des observations. Par un courriel du 9 novembre 2020, la requérante a transmis ses observations à l’instance. Le 12 novembre 2020, l’instance a communiqué à la requérante deux annexes au rapport de l’OLAF supplémentaires que cette dernière avait demandées, qui ont fait l’objet de commentaires de la part de la requérante le 19 novembre 2020. Le 30 novembre 2020, l’instance a fait savoir à la requérante qu’elle avait pris note de ses observations du 9 novembre 2020 concernant la façon dont l’OLAF avait conduit son enquête et a en conséquence interrogé ce dernier. Celui-ci a transmis à l’instance certains documents dont elle n’avait pas connaissance lors de l’adoption de la lettre d’accusation. L’instance a alors invité la requérante à présenter ses observations sur lesdits documents, qui étaient déjà en sa possession ou bien qu’elle avait déjà consultés et signés.

101    Il en résulte que l’OLAF et l’instance n’ont pas violé le droit d’être entendue de la requérante, étant donné les multiples occasions qui lui ont été offertes, une fois que l’enquête a été achevée et avant que les conclusions se rapportant à celle-ci aient été tirées, de faire connaître son point de vue par écrit, possibilité qu’elle a effectivement utilisée (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2020, Agmin Italy/Commission, T‑290/18, non publié, EU:T:2020:196, point 83). Il y a donc lieu d’écarter le présent grief.

–       Sur le droit de la requérante d’être entendue par la Commission avant l’adoption de la décision attaquée

102    Enfin, concernant le grief de la requérante selon lequel la Commission aurait dû l’entendre avant l’adoption de la décision attaquée, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 143, paragraphe 6, du règlement financier, lorsque la Commission envisage de prendre une décision plus sévère que celle que l’instance a recommandée, elle veille au respect du droit d’être entendu de la personne concernée.

103    En l’espèce, dès lors que la Commission a suivi la recommandation de l’instance et n’a ainsi pas adopté une décision plus sévère que cette recommandation, la requérante n’avait pas à être entendue une nouvelle fois (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2022, Elevolution – Engenharia/Commission, T‑652/19, non publié, EU:T:2022:63, points 62 et 63).

104    Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de ce que la requérante n’a pas été entendue préalablement à l’adoption de la décision attaquée doit être rejeté comme étant non fondé.

105    Il s’ensuit que le droit d’être entendue de la requérante n’a pas été violé et que, partant, le cinquième moyen doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur le sixième moyen, tiré d’un défaut de motivation

106    La requérante soutient que, en omettant d’identifier les informations qu’elle jugeait confidentielles ainsi que les circonstances concrètes de nature à justifier la qualification juridique de faute professionnelle grave, la Commission ne lui a pas permis de comprendre la décision attaquée et d’en contester la légalité. En outre, la Commission n’aurait pas évalué la nécessité de la publication de cette décision ni expliqué en quoi la seule exclusion n’était pas suffisante au regard des circonstances de l’espèce.

107    La Commission conteste ces arguments.

108    Il convient de souligner, d’emblée, que la méconnaissance de l’obligation de motivation relève de la violation des formes substantielles et ne se rapporte pas à la légalité au fond de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, points 67 à 72).

109    S’agissant de la motivation de la décision attaquée, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 30 avril 2014, Hagenmeyer et Hahn/Commission, T‑17/12, EU:T:2014:234, point 173 et jurisprudence citée).

110    En l’espèce, les éléments factuels et les preuves qui ont été considérés comme pertinents par la Commission ressortent de la décision attaquée, notamment de ses points 55, 56, 77 et 78. La Commission qualifie ces faits de constitutifs d’une faute professionnelle grave, notamment aux points 75 et 76 de la décision attaquée. Aux points 83 et 84 de cette décision, elle motive la sanction et, en particulier, elle explique au point 89 de ladite décision qu’elle estime nécessaire la publication de l’exclusion.

111    En outre, au titre du contexte dans lequel la décision attaquée a été adoptée, il convient de considérer que les nombreux échanges écrits, intervenus d’abord dans le cadre de l’enquête sur place de l’OLAF puis à la suite de la lettre de notification, évoqués notamment aux points 91 et 100 ci-dessus, contiennent des informations suffisantes et concordantes permettant à la requérante de comprendre les motifs fondant la position de la Commission.

112    La décision attaquée a donc permis à la requérante de connaître la justification de la mesure prise et, ainsi qu’il ressort de l’analyse des premier à cinquième moyens, au Tribunal d’exercer son contrôle. Il s’ensuit que la Commission n’a pas méconnu son obligation de motivation.

113    Il y a dès lors lieu de rejeter le sixième moyen.

 Sur le septième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

114    Ainsi que le Tribunal l’a considéré aux points 22 à 64 ci-dessus, les allégations de la Commission selon lesquelles la requérante aurait commis une faute professionnelle grave n’ont pas été établies à suffisance de droit, de sorte que la sanction administrative infligée en raison de ladite faute professionnelle grave n’a pas de fondement juridique. Dès lors, les arguments dirigés contre la proportionnalité de la sanction administrative en cause sont devenus sans objet.

115    Par conséquent, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur le septième moyen.

 Conclusion sur la demande en annulation

116    Compte tenu du bien-fondé des premier, troisième et quatrième moyens du recours, il y a lieu d’annuler la décision attaquée.

 Sur les conclusions indemnitaires

117    La requérante demande au Tribunal, en outre, de condamner la Commission à lui verser une indemnité d’un montant de 17 385 832 euros. Elle estime que les conditions d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union, prévue à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, sont réunies.

118    Premièrement, elle fait valoir une violation suffisamment caractérisée de plusieurs règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, notamment des violations des droits de la défense, de l’obligation de motivation, du devoir de diligence ainsi que des principes de proportionnalité et de la présomption d’innocence.

119    Deuxièmement, la requérante considère qu’elle a subi un préjudice réel et certain, constitué en partie par la perte d’une chance de remporter des appels d’offres durant la période d’exclusion, mais également par l’atteinte à sa réputation qu’elle subirait sur une période plus longue.

120    Troisièmement, la requérante soutient que son préjudice est directement causé par la décision attaquée.

121    La Commission fait valoir que la demande en indemnité n’est pas fondée.

122    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour le comportement illicite de ses institutions, est subordonné à la réunion de plusieurs conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (voir arrêt du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, EU:C:2006:708, point 26 et jurisprudence citée ; arrêts du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, EU:T:2010:54, point 139, et du 8 mai 2019, Enrico Colombo et Corinti Giacomo/Commission, T‑690/16, non publié, EU:T:2019:303, point 118).

123    S’agissant de la condition relative à l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Le critère décisif, qui permet de considérer que l’exigence de ne pas laisser peser sur ces particuliers les conséquences de manquements que l’institution concernée aurait commis de façon flagrante et inexcusable est respectée, est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Cette notion de méconnaissance manifeste et grave ne se confond pas avec la notion d’erreur manifeste d’appréciation, mais doit en être distinguée. En effet, faute d’une telle distinction, toute erreur manifeste d’appréciation et, partant, toute erreur de l’administration de l’Union dans des situations lui conférant une marge d’appréciation seraient susceptibles d’engager sa responsabilité non contractuelle. Or, la jurisprudence en la matière ne considère pas que toute illégalité fonde, en soi, une telle responsabilité. Ce qui est donc déterminant pour établir l’existence d’une telle violation, c’est la marge d’appréciation dont disposait l’institution en cause (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2020, SGL Carbon/Commission, T‑639/18, non publié, EU:T:2020:628, point 82 et jurisprudence citée).

124    Pourtant, bien qu’elle présente un caractère déterminant, l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’institution concernée ne constitue pas un critère exclusif. Au contraire, il y a aussi lieu de tenir compte, notamment, de la complexité des situations à régler et des difficultés d’application ou d’interprétation des textes (voir arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, points 36 et 37 et jurisprudence citée) ou, plus généralement, du domaine, des conditions et du contexte dans lesquels la règle méconnue s’impose à l’institution ou à l’organe de l’Union en cause (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, point 40 et jurisprudence citée).

125    Il s’ensuit que seule la constatation d’une irrégularité que n’aurait pas commise, dans des circonstances analogues, une administration normalement prudente et diligente permet d’engager la responsabilité de l’Union (voir arrêt du 16 décembre 2020, SGL Carbon/Commission, T‑639/18, non publié, EU:T:2020:628, point 85 et jurisprudence citée).

126    Dans ce contexte, il appartient au juge de l’Union, après avoir déterminé, d’abord, si l’institution concernée disposait d’une marge d’appréciation, de prendre en considération, ensuite, la complexité de la situation à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes, le degré de clarté et de précision de la règle violée et le caractère intentionnel ou inexcusable de l’erreur commise (voir arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 40 et jurisprudence citée).

127    À cet égard, la Cour a également jugé qu’une simple violation du principe de diligence ne saurait suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée propre à générer une responsabilité de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2017, Médiateur/Staelen, C‑337/15 P, EU:C:2017:256, points 36 et 37).

128    Eu égard à la jurisprudence citée aux points 123 à 127 ci-dessus, il convient d’écarter, d’emblée, l’argument de la requérante selon lequel une erreur manifeste d’appréciation constitue dans tous les cas une violation suffisamment caractérisée d’une règle discrétionnaire. En effet, le recours en indemnité étant une voie procédurale autonome, l’illégalité d’un acte de la Commission ne suffit pas, en soi, pour engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.

129    Il y a lieu de tenir compte des circonstances de l’espèce qui sont les suivantes.

130    Premièrement, ainsi qu’il ressort, notamment, du point 63 ci-dessus, la Commission a méconnu l’article 93, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1605/2002 et l’article 106, paragraphe 1, sous c), du règlement no 966/2012 ainsi que l’article 136, paragraphe 1, du règlement financier et elle a commis une erreur manifeste d’appréciation à cet égard. Concomitamment, elle a violé le droit de la requérante à une bonne administration, plus particulièrement son obligation de diligence.

131    Toutefois, ainsi qu’il résulte des points 73, 105, 112 et 114 ci-dessus, il n’a pas été établi à suffisance de droit que la Commission avait violé le principe de la présomption d’innocence de la requérante, le droit d’être entendue de cette dernière, l’obligation de motivation de ses décisions, ou le principe de proportionnalité.

132    Deuxièmement, s’agissant du domaine concerné, il convient de relever qu’il s’agit des marchés publics et, donc, de la gestion des fonds puisés dans les deniers publics de l’Union. Les dispositions violées citées au point 130 ci-dessus doivent être appréhendées au regard du principe de bonne gestion financière visé à l’article 310, paragraphe 5, et à l’article 317, premier alinéa, TFUE. Compte tenu du rôle et de la responsabilité que ces dispositions du droit primaire de l’Union et les règlements financiers attribuent à la Commission en ce qui concerne l’exécution du budget de l’Union, cette institution a, en effet, la charge de veiller au respect dudit principe (voir, en ce sens, arrêts du 28 février 2019, Alfamicro/Commission, C‑14/18 P, EU:C:2019:159, points 65 et 66, et du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, points 100 et 101).

133    À cet égard, comme la Commission l’a indiqué lors de l’audience, elle se fonde pour les futures passations de marchés sur des expériences du passé afin d’assurer une bonne gestion financière des ressources de l’Union. Elle souligne, à juste titre, que, pourvu qu’un ou plusieurs des critères d’exclusion prévus à l’article 136 du règlement financier soient remplis, l’adoption d’une mesure d’exclusion constitue avant tout une mesure de prévention afin d’éviter une gestion financière moins optimale des fonds publics en cause.

134    Troisièmement, s’agissant des conditions et du contexte dans lesquels les règles méconnues s’imposaient en l’espèce, force est de constater que, d’une part, ainsi qu’il ressort également du point 4 ci-dessus, l’EUOK et l’OLAF ont reçu à plusieurs reprises, entre les années 2015 et 2017, des informations de différentes sources anonymes faisant état d’irrégularités et de fraude concernant des marchés publics de l’Union au Kosovo. Selon ces informations, il s’agissait notamment de fuites d’informations confidentielles par le personnel de l’EUOK vers des parties commerciales intéressées par les marchés publics concernés.

135    D’autre part, la Commission et l’OLAF disposaient de certains indices qui étaient susceptibles de faire naître des interrogations quant à certains agissements de la requérante et de justifier l’ouverture d’une enquête à ce sujet. En effet, en l’espèce, certains aspects des éléments de preuve, mentionnés aux points 37, 40, 44, 47, 53 et 55 ci-dessus, pourraient témoigner d’un comportement qui ne saurait être qualifié à certains égards de conforme à la norme ou aux habitudes du secteur concerné. Toutefois, la Commission est restée en défaut de démontrer à suffisance de droit que ces agissements étaient d’une gravité telle qu’ils devaient être considérés comme constituant une faute professionnelle grave.

136    Eu égard à son rôle consistant à assurer une bonne gestion financière des ressources de l’Union, prévu à l’article 317 TFUE, et au contexte factuel et juridique de l’espèce, exposé aux points 130 à 135 ci-dessus, l’erreur manifeste d’appréciation et la violation du droit de la requérante à une bonne administration que la Commission a commises ne sauraient être considérées comme étant à un tel point inexcusables et flagrantes qu’elles équivaudraient à une méconnaissance manifeste et grave des limites qui s’imposaient au pouvoir d’appréciation de l’institution concernée. Il convient de relever, à cet égard, que la Commission n’a pas omis d’instruire les questions qui étaient au cœur de cet examen ni tiré de celui-ci des conclusions clairement inappropriées, déficientes, déraisonnables ou non étayées.

137    En effet, la Commission a examiné les preuves produites par l’OLAF et la recommandation de l’instance. Ce faisant, ainsi qu’il ressort du point 35 ci-dessus, elle a décidé, à l’instar de l’instance, de ne pas reprendre toutes les preuves et accusations formulées par l’OLAF. Ainsi, elle n’a pas tenu compte des preuves relatives au projet PC ainsi que d’un certain nombre d’éléments de preuve relatifs au projet GFP, car, selon elle, ces preuves n’étaient pas suffisamment pertinentes ou convaincantes. En outre, elle a examiné les éléments de fait et de preuve apportés par la requérante, ainsi qu’il ressort des points 37, 39, 50, 51, 54, 57, 59, 63, 65, 70 et 72 de la décision attaquée. Quand bien même la Commission a commis des erreurs dans l’appréciation de ces éléments et dans leur qualification juridique, il convient de conclure que ces erreurs ne sont pas d’une gravité telle qu’elles devraient être qualifiées de violations suffisamment caractérisées du droit de l’Union.

138    Partant, la Commission n’a pas commis de violation suffisamment caractérisée des dispositions citées aux points 26 et 27 ci-dessus ni de l’obligation de diligence.

139    En conséquence, il y a lieu de rejeter les conclusions en indemnité.

 Sur les dépens

140    En vertu de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens.

141    En l’espèce, la requérante et la Commission ont partiellement succombé. Partant, il y a lieu d’ordonner que chaque partie supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (dixième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission européenne du 18 février 2021 excluant RH de la participation aux procédures de passation de marchés et d’octroi de subventions dans le cadre du budget général de l’Union européenne et du onzième Fonds européen de développement ainsi que de la participation aux procédures d’octroi de fonds dans le cadre du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 et de la procédure de participation aux procédures d’octroi de fonds au titre du Fonds européen de développement régi par le règlement (UE) 2018/1877 est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Chaque partie supportera ses propres dépens.

Kornezov

Buttigieg

Hesse

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 février 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.