Language of document : ECLI:EU:T:1999:179

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

28 septembre 1999 (1)

«Bananes — Importations des États ACP et des pays tiers — Demande de certificats d'importation — Cas de rigueur — Mesures transitoires — Règlement (CEE) n° 404/93»

Dans l'affaire T-612/97,

Cordis Obst und Gemüse Großhandel GmbH, société de droit allemand, établie à Ostrau (Allemagne), représentée par Me Gert Meier, avocat à Cologne, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Marc Baden, 24, rue Marie-Adélaïde,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Klaus-Dieter Borchardt et Hubert van Vliet, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

République française, représentée par Mmes Kareen Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et

Christina Vasak, secrétaire adjoint des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade de France, 8 B, boulevard Joseph II,

partie intervenante,

ayant pour objet une demande d'annulation de la décision de la Commission K(97) 3274 final, du 24 octobre 1997, rejetant la demande de la requérante visant à l'attribution spéciale de certificats d'importation dans le cadre des mesures transitoires prévues par l'article 30 du règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre),

composé de MM. J. D. Cooke, président, R. García-Valdecasas et Mme P. Lindh, juges,

greffier: M. J. Palacio González, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 20 avril 1999,

rend le présent

Arrêt

Cadre juridique

1.
    Le règlement (CEE) n° 404/93 du Conseil, du 13 février 1993, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la banane (JO L 47, p. 1, ci-après «règlement n° 404/93»), a mis en place un système commun d'importation de bananes qui s'est substitué aux différents régimes nationaux. Pour assurer une commercialisation satisfaisante des bananes récoltées dans la Communauté ainsi que des produits originaires des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) et des autres pays tiers, le règlement n° 404/93 prévoit l'ouverture d'un contingent tarifaire annuel pour les importations des bananes «pays tiers» et des bananes «non traditionnelles ACP». Les bananes non traditionnelles ACP correspondent aux quantités exportées par les pays ACP qui dépassent les quantités exportées traditionnellement par chacun de ces États, telles qu'elles sont fixées en annexe au règlement n° 404/93.

2.
    Chaque année est établi un bilan prévisionnel de la production et de la consommation de la Communauté, ainsi que des importations et des exportations. La répartition du contingent tarifaire déterminé sur la base de ce bilan prévisionnel est effectuée entre les opérateurs établis dans la Communauté en fonction de la provenance et des quantités moyennes de bananes qu'ils ont vendues au cours des trois dernières années pour lesquelles des données statistiques sont disponibles. Cette répartition donne lieu à la délivrance de certificats d'importation qui permettent aux opérateurs d'importer des bananes sans acquitter de droits ou à des tarifs douaniers préférentiels.

3.
    Le vingt-deuxième considérant du règlement n° 404/93 est rédigé comme suit:

«considérant que la substitution de cette organisation commune de marché aux différents régimes nationaux lors de l'entrée en vigueur du présent règlement risque d'entraîner une perturbation du marché intérieur; qu'il convient dès lors de prévoir, dès le 1er juillet 1993, la possibilité pour la Commission de prendre toutes les mesures transitoires nécessaires pour surmonter les difficultés de mise en oeuvre du nouveau régime».

4.
    L'article 30 du règlement n° 404/93 prévoit:

«Si des mesures spécifiques sont nécessaires, à compter de juillet 1993, pour faciliter le passage des régimes existant avant l'entrée en vigueur du présent règlement à celui établi par ce règlement, en particulier pour surmonter des difficultés sensibles, la Commission [...] prend toutes les mesures transitoires jugées nécessaires.»

Faits et procédure

5.
    La requérante, Cordis Obst und Gemüse Großhandel GmbH (ci-après «Cordis»), a été créée le 1er novembre 1990, postérieurement à la réunification de l'Allemagne, et est établie sur le territoire de l'ex-République démocratique allemande (ci-après «ex-RDA»). Elle a pour activité le commerce de fruits en gros ainsi, notamment, que le mûrissement et l'emballage des bananes.

6.
    L'économie planifiée et centralisée de l'ex-RDA attribuait le monopole de l'importation des bananes à un organisme d'État et celui du mûrissement à des entreprises nationalisées. Les mûrisseries de l'ex-RDA ont ensuite été vendues à des succursales de sociétés fruitières de la République fédérale d'Allemagne.

7.
    Lors du démarrage de la requérante, la possibilité d'approvisionnement en bananes était faible dans sa région d'attraction commerciale, et la demande de bananes était supérieure à l'offre ainsi qu'à sa capacité de mûrissement. La requérante a donc décidé, en 1991, de s'agrandir et a construit de nouvelles installations de

mûrissement. A cet effet, la requérante n'a bénéficié d'aucune subvention sur fonds publics.

8.
    Selon la requérante, ses nouvelles installations étaient utilisées en dessous de leur capacité. A cet égard, elle fait valoir que, en application du règlement n° 404/93, l'importation de bananes vertes se trouvant soumise à l'obtention de certificats, la répercussion de leur coût par ses fournisseurs sur le prix des bananes a freiné la consommation. Dès lors, ces certificats étant attribués en fonction des quantités de bananes vendues, elle-même n'aurait pu obtenir que des certificats d'importation portant sur des quantités insuffisantes.

9.
    C'est dans ces circonstances que, le 7 avril 1996, en vertu de l'article 30 du règlement n° 404/93, la requérante a demandé à la Commission de lui attribuer, à bref délai, des certificats supplémentaires à titre de mesures transitoires destinées à compenser une situation de rigueur excessive due à la réglementation instituée dans le règlement n° 404/93.

10.
    Par décision du 24 octobre 1997, la Commission a rejeté la demande de la requérante (ci-après «décision attaquée»), en se fondant, notamment, sur les motifs suivants (septième, huitième, neuvième et onzième considérants):

«[...]

considérant que Cordis n'a pas démontré qu'elle avait été dans l'impossibilité d'obtenir des quantités de bananes à mûrir suffisantes pour que la mûrisserie fonctionne à plein rendement auprès d'autres opérateurs ou d'autre sources plutôt que de les importer elle-même; que l'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane n'empêche pas une telle démarche; que Cordis a effectivement obtenu des quantités importantes de bananes à mûrir auprès d'autres opérateurs ou d'autres sources sans les importer elle-même; que, par conséquent, il n'a pas été démontré que toute prétendue sous-utilisation de la mûrisserie et toutes prétendues stagnation du chiffre d'affaires dans le secteur de la banane, perte de clientèle et suppression de personnel qui s'en sont suivies étaient dues au passage des dispositions existant avant l'entrée en vigueur du règlement à l'organisation commune des marchés;

considérant que Cordis n'a pas démontré qu'elle disposait, avec certitude, d'une source d'approvisionnement de bananes à mûrir avant les investissements effectués dans la mûrisserie; que Cordis a accepté le risque qu'elle pourrait ne pas être en mesure d'obtenir suffisamment de bananes à mûrir pour que l'installation fonctionne à plein rendement; que, par conséquent, nonobstant les paragraphes précédents, même si Cordis n'a pas été en mesure d'obtenir des quantités de bananes à mûrir suffisantes pour que l'installation fonctionne à plein rendement auprès d'autres opérateurs ou d'autres sources sans les importer elle-même, cela est dû à un manque de diligence de la part de Cordis qui ne s'est pas assurée des approvisionnements avant les investissements effectués dans la mûrisserie;

considérant que Cordis a obtenu de Dole des quantités importantes de bananes à mûrir; qu'elle a obtenu des bananes mûres en quantités suffisantes pour couvrir les besoins de sa clientèle; que le mûrissement de bananes n'est que l'une des multiples activités de Cordis; que, par conséquent, Cordis n'a pas démontré que toute réduction prétendue de ses activités de mûrissement constituait une difficulté menaçant sa survie;

[...]

considérant que Cordis n'a pas démontré qu'elle avait entrepris d'autres démarches avant les dates précitées qui ont conduit à un cas de rigueur excessive au sens de l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire C-68/95 en raison de difficultés inhérentes au passage menant à l'abandon des régimes nationaux qui existaient avant l'entrée en vigueur du règlement en question;

[...]»

11.
    Par requête déposée le 29 décembre 1997, la requérante a introduit le présent recours.

12.
    Par requête déposée le 8 mai 1998, la République française a demandé à intervenir dans l'affaire à l'appui des conclusions de la Commission.

13.
    Cette demande a été admise par ordonnance du président de la quatrième chambre le 6 juillet 1998, et la République française a déposé ses observations le 4 septembre 1998.

14.
    Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (cinquième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale sans procéder à des mesures d'instruction préalables.

15.
    Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions du Tribunal lors de l'audience publique du 20 avril 1999.

Conclusions des parties

16.
    Cordis, partie requérante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    annuler la décision attaquée;

—    condamner la Commission aux dépens.

17.
    La Commission, partie défenderesse, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

—    rejeter le recours;

—    condamner la requérante aux dépens.

18.
    La République française, partie intervenante, conclut à ce qu'il plaise au Tribunal rejeter le recours.

Sur les conclusions en annulation

19.
    A l'appui de son recours, la requérante invoque deux moyens, tirés, d'une part, d'une violation de l'article 30 du règlement n° 404/93 et d'un détournement de pouvoir et, d'autre part, d'une violation de l'obligation de motivation.

Sur le premier moyen, tiré d'une violation de l'article 30 du règlement n° 404/93 etd'un détournement de pouvoir

Arguments des parties

20.
    La requérante fait valoir que le champ d'application de l'article 30 du règlement n° 404/93 dépasse les limites fixées par la Cour dans son arrêt du 26 novembre 1996, T. Port (C-68/95, Rec. p. I-6065). En effet, l'article 30, en ce qu'il fait référence à des difficultés sensibles, devrait pouvoir s'appliquer au problème structurel rencontré en l'espèce, même si les conditions d'application décrites dans l'arrêt T. Port ne sont pas remplies.

21.
    La requérante expose que, dans son ordonnance du 29 juin 1993, Allemagne/Conseil (C-280/93 R, Rec. p. I-3667), la Cour a déclaré que l'article 30 du règlement n° 404/93 était destiné à faire face à la perturbation du marché intérieur risquant de résulter de la substitution de l'organisation commune des marchés aux différents régimes nationaux. La Commission devrait donc prendre toutes les mesures transitoires nécessaires et non pas, comme il a été énoncé dans l'arrêt T. Port, précité, limiter ses interventions à l'hypothèse d'un cas de rigueur excessive.

22.
    En l'espèce, l'intervention de la Commission serait nécessaire afin d'assurer le respect du principe d'égalité de traitement. En effet, les anciennes entreprises de la République fédérale d'Allemagne seraient dans une situation différente de celle des entreprises nouvelles qui sont établies sur le territoire de l'ex-RDA (ci-après «entreprises nouvelles»). Les premières auraient eu la possibilité de déterminer leur comportement en fonction de leurs propres projets économiques alors que les secondes, en raison des problèmes relatifs à la réunification de l'Allemagne, seraient confrontées à un cas de rigueur collectif inévitable. Toutes les entreprises nouvelles auraient donc droit à l'attribution de certificats d'importation supplémentaires.

23.
    En outre, le règlement n° 404/93, par sa méthode d'attribution des certificats sur la base de la quantité moyenne de bananes écoulées pendant la période de référence, aurait figé la situation concurrentielle initiale en empêchant les entreprises nouvelles de réduire leur handicap. Or, la Commission aurait comme obligation de rétablir l'équilibre entre les entreprises. En effet, aux termes de l'arrêt T. Port, précité, une intervention des institutions communautaires s'imposerait, en particulier, dans le cas où le passage à l'organisation commune des marchés porte atteinte aux droits fondamentaux protégés par le droit communautaire de certains opérateurs économiques.

24.
    Par ailleurs, aucune disposition de l'article 30 du règlement n° 404/93 n'exclurait qu'il puisse s'appliquer à des cas de rigueur «collectifs», c'est-à-dire à des situations où plusieurs sociétés sont toutes dans la même position et ont chacune droit à une compensation individuelle. En effet, les entreprises nouvelles, dont la requérante fait partie, seraient toutes victimes des problèmes d'ordre structurel existant dans l'ex-RDA. En outre, elles seraient d'un nombre limité. Par conséquent, l'attribution d'un contingent spécial à ces entreprises ne remettrait pas en cause l'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane.

25.
    La Commission conteste l'argument de la requérante selon lequel le champ d'application de l'article 30 du règlement n° 404/93 dépasserait les limites établies par la Cour dans son arrêt T. Port, précité. En application de cet article, elle ne serait tenue d'intervenir qu'en présence d'un cas de rigueur excessive dont l'existence est subordonnée à la réunion des quatre conditions suivantes, fixées dans cet arrêt:

—    l'existence de dispositions économiques pertinentes juridiquement sous l'empire du régime national antérieur;

—    la perte de valeur de ces dispositions en raison de l'entrée en vigueur de l'organisation commune des marchés;

—    le caractère imprévisible des difficultés;

—    la nécessité d'une réglementation des cas de rigueur, eu égard, en particulier, à la présence de difficultés menaçant la survie des importateurs et la protection des droits communautaires fondamentaux.

26.
    En l'espèce, la requérante ne démontrerait pas qu'il lui était impossible de se fournir en bananes ni qu'elle s'est trouvée confrontée à des difficultés menaçant sa survie et qui seraient dues au passage des régimes nationaux existant avant l'entrée en vigueur de l'organisation commune des marchés au régime communautaire. Elle ne justifierait donc pas être dans une situation de rigueur excessive.

27.
    En outre, les autres conditions d'application de l'article 30 du règlement n° 404/93, énoncées dans l'arrêt T. Port, précité, ne seraient pas réunies en l'espèce, puisque les désavantages structurels des entreprises nouvelles ne seraient pas liés à l'instauration de l'organisation commune des marchés, mais existeraient déjà auparavant. Au contraire, la mise en place de l'organisation commune aurait amélioré la possibilité de développement des mûrisseries comme celle de la requérante.

28.
    Quant à la prétendue violation du principe d'égalité de traitement, la Commission affirme qu'elle ne saurait être à l'origine d'un cas de rigueur excessive. En effet, d'une part, le cas de rigueur «collectif» invoqué par la requérante ne relèverait pas de l'article 30 du règlement n° 404/93, les conditions imposées par celui-ci ne pouvant être appréciées qu'à titre individuel. D'autre part, les mûrisseries, en tant que telles, ne seraient pas limitées dans leurs opérations par le passage à l'organisation commune des marchés. Seules celles qui veulent importer elles-mêmes des bananes pays tiers ou des bananes non traditionnelles ACP auraient besoin de certificats. Aucune restriction ne serait imposée à l'importation de bananes étrangères, c'est-à-dire importées par d'autres importateurs.

29.
    Enfin, quant à l'allégation selon laquelle une compensation collective serait possible en raison du petit nombre d'entreprises qui en bénéficieraient, la Commission rétorque que tout contingent spécial accordé pour des cas de rigueur au profit de certains opérateurs l'est au détriment des autres. Par conséquent, l'attribution d'un contingent spécial à l'ensemble des entreprises nouvelles, comme le demande la requérante, porterait atteinte aux autres opérateurs. Or, comme le président du Tribunal l'a souligné dans son ordonnance du 21 mars 1997, Camar/Commission (T-79/96 R, Rec. p. II-403), les dérogations éventuelles au régime général d'attribution de certificats ne devraient en aucun cas altérer l'ensemble du système commun d'importation.

30.
    La République française, en ce qui concerne l'allégation selon laquelle le champ d'application de l'article 30 du règlement n° 404/93 dépasserait les limites posées dans l'arrêt T. Port, précité, soutient la position de la Commission. Par ailleurs, la requérante ne répondrait pas aux critères jurisprudentiels, en particulier pour ce qui est de la menace sur la survie de l'entreprise. De même, elle ne saurait prétendre que ses difficultés sont inhérentes au passage à l'organisation commune des marchés.

31.
         Quant à l'application de l'article 30 à des cas de rigueur «collectifs», la République française, en se fondant sur le point 37 de l'arrêt T. Port, précité, fait valoir que l'évaluation du comportement d'opérateurs pris dans leur ensemble ne serait pas possible. En outre, une telle interprétation serait contraire à l'objet même de l'article 173, quatrième alinéa, du traité CE (devenu, après modification, article 230, paragraphe 4, CE), qui requiert que les recours se rapportent à des décisions dont la requérante est destinataire ou qui la concernent directement et individuellement.

Appréciation du Tribunal

32.
    L'article 30 du règlement n° 404/93 confère à la Commission le pouvoir de prendre des mesures transitoires spécifiques «pour faciliter le passage des régimes existant avant l'entrée en vigueur du [...] règlement à celui établi par ce règlement, en particulier pour surmonter des difficultés» provoquées par ce passage. Selon une jurisprudence constante, ces mesures transitoires sont destinées à faire face à la perturbation du marché intérieur qu'entraîne la substitution de l'organisation commune des marchés aux différents régimes nationaux et ont pour but de résoudre les difficultés auxquelles sont confrontés les opérateurs économiques à la suite de l'établissement de l'organisation commune des marchés, mais ayant pour origine les conditions qui existaient sur les marchés nationaux avant l'entrée en vigueur du règlement n° 404/93 (voir ordonnance Allemagne/Conseil, précitée, points 46 et 47, arrêts de la Cour T. Port, précité, point 34, et du 4 février 1997, Belgique et Allemagne/Commission, C-9/95, C-23/95 et C-156/95, Rec. p. I-645, point 22, ainsi que l'ordonnance Camar/Commission, précitée, point 42).

33.
    La Cour a énoncé que la Commission doit prendre en considération, à cet égard, la situation d'opérateurs économiques qui ont adopté, dans le cadre d'une réglementation nationale antérieure au règlement n° 404/93, un certain comportement sans avoir pu prévoir les conséquences que ce comportement aurait après l'instauration de l'organisation commune des marchés (voir arrêt T. Port, précité, point 37).

34.
    Il s'ensuit que l'objectif de cet article est de faciliter le passage à l'organisation commune des marchés dans le secteur de la banane pour les entreprises qui ont rencontré de ce fait des problèmes particuliers et imprévisibles.

35.
    Il convient donc d'examiner si les problèmes rencontrés par la requérante sont dus au passage à l'organisation commune des marchés.

36.
    A cet égard, il y a lieu d'observer que la société requérante a été créée le 1er novembre 1990, postérieurement à la réunification de l'Allemagne. Elle a donc décidé, en 1991, de s'agrandir en construisant de nouvelles installations de mûrissement sans ignorer la situation existante en Allemagne consécutivement à la réunification.

37.
    Or, force est de constater qu'elle n'a présenté aucun argument permettant d'établir que les problèmes structurels relatifs à la réunification de l'Allemagne ont produit, en ce qui la concerne, un problème particulier et imprévisible résultant de l'instauration de l'organisation commune des marchés dans le secteur des bananes. Il convient d'ajouter que les parties ont confirmé lors de l'audience que, antérieurement à l'établissement de l'organisation commune des marchés, les entreprises de mûrissage de l'ex-RDA ne pouvaient pas importer elles-mêmes des bananes. La Commission est donc fondée à affirmer que la mise en place de

l'organisation commune des marchés n'a pas aggravé les désavantages structurels invoqués par la requérante (voir point 27 ci-dessus).

38.
    La requérante considère cependant que l'intervention de la Commission est nécessaire afin d'assurer le respect du principe d'égalité de traitement. Le règlement n° 404/93, par sa méthode d'attribution des certificats d'importation en fonction du volume de bananes écoulées pendant la période de référence, aurait figé la situation concurrentielle initiale en empêchant les entreprises nouvelles de réduire leur handicap.

39.
         Or, cet argument ne peut être retenu. En effet, l'article 30 du règlement n° 404/93, qui doit être interprété restrictivement en tant que dérogation au régime général applicable, ne peut pas permettre de compenser le désavantage concurrentiel des entreprises nouvelles, lié aux différences d'opportunités existant en Allemagne. Eneffet, ce désavantage n'est pas dû à l'établissement de l'organisation commune des marchés.

40.
    De surcroît, s'il est vrai que toutes les entreprises ne sont pas affectées de la même manière par le règlement n° 404/93, la Cour a déjà jugé dans son arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil (C-280/93, Rec. p. I-4973, points 73 et 74), que ce traitement différencié apparaît comme inhérent à l'objectif d'une intégration de marchés jusqu'alors cloisonnés, compte tenu de la situation distincte dans laquelle se trouvaient les différentes catégories d'opérateurs économiques avant l'instauration de l'organisation commune des marchés.

41.
    Enfin, la requérante n'est pas fondée à alléguer que le rejet de sa demande par la décision attaquée constitue un détournement de pouvoir. A cet égard, il suffit de rappeler que, conformément à la jurisprudence, une décision n'est entachée de détournement de pouvoir que si elle apparaît, sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été prise pour atteindre des fins autres que celles excipées (voir arrêt du Tribunal du 6 avril 1995, Ferriere Nord/Commission, T-143/89, Rec. p. II-917, point 68, et arrêt de la Cour du 12 novembre 1996, Royaume-Uni/Conseil, C-84/94, Rec. p. I-5755, point 69). Or, la requérante n'a apporté aucun élément de preuve en ce sens.

42.
    Il ressort de ce qui précède que la Commission a correctement appliqué l'article 30 du règlement n° 404/93 et que, en prenant la décision attaquée, elle n'a pas poursuivi un objectif distinct de celui prévu par cet article.

43.
    Par conséquent, le premier moyen doit être rejeté.

Sur le second moyen, tiré d'une violation de l'obligation de motivation

44.
    La requérante estime que le onzième considérant de la décision attaquée, aux termes duquel la Commission considère qu'elle n'a pas établi avoir entrepris, avant

le 10 septembre 1992, d'autres démarches ayant entraîné un cas de rigueur excessive au sens de l'arrêt T. Port, précité, serait incompréhensible et que, partant, la décision attaquée serait entachée d'un défaut de motivation.

45.
    Cet argument ne peut être retenu. En effet, l'obligation de motiver une décision individuelle a pour but de permettre au juge communautaire d'exercer son contrôle de légalité et à l'intéressé de connaître les justifications de la mesure prise, afin de défendre ses droits et de vérifier si la décision est ou non bien fondée (voir arrêts de la Cour du 28 mars 1984, Bertoli/Commission, 8/83, Rec. p. 1649, point 12, et du Tribunal du 24 janvier 1992, La Cinq/Commission, T-44/90, Rec. p. II-1, point 42, et du 29 juin 1993, Asia Motor France e.a./Commission, T-7/92, Rec. p. II-669, point 30).

46.
    Or, le considérant contesté est précédé, dans la décision attaquée, par l'exposé en détail des motifs pour lesquels la Commission a considéré que la requérante ne pouvait pas bénéficier d'une exemption au sens de l'article 30 du règlement n° 404/93. Il est mentionné, notamment, que la requérante n'a pas démontré que toute réduction prétendue de ses activités de mûrissement constituait une difficulté menaçant sa survie. De plus, dans le considérant contesté, la Commission a insisté sur le fait que la requérante n'avait pas démontré avoir accompli d'autres démarches conduisant à un cas de rigueur excessive «en raison de difficultés inhérentes au passage menant à l'abandon des régimes nationaux qui existaient avant l'entrée en vigueur du règlement en question» (voir point 10 ci-dessus).

47.
    La Commission a donc simplement rappelé qu'il incombait à la requérante de démontrer que les critères énoncés dans l'arrêt T. Port, précité, étaient remplis.

48.
    Ainsi, la décision attaquée contient une motivation suffisante permettant au juge communautaire d'exercer un contrôle de légalité et à l'intéressé de connaître les justifications de la mesure prise. Elle n'est donc pas entachée d'un défaut de motivation.

49.
    Il s'ensuit que le second moyen n'est pas fondé et, partant, que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

Sur les dépens

50.
    Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner la requérante aux dépens exposés par celle-ci. Conformément à l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, la République française, partie intervenante au litige, supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1)    Le recours est rejeté.

2)    La requérante supportera ses propres dépens ainsi que les dépens de la Commission.

3)    La République française supportera ses propres dépens.

Cooke                García-Valdecasas            Lindh

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 28 septembre 1999.

Le greffier

Le président

H. Jung

J. D. Cooke


1: Langue de procédure: l'allemand.