Language of document : ECLI:EU:T:2013:65

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre) 

7 février 2013 (*)

« Dumping – Importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie – Demande de réexamen intermédiaire partiel – Valeur normale – Prix à l’exportation – Articles 1er et 2 du règlement (CE) n° 384/96 [devenus articles 1er et 2 du règlement (CE) n° 1225/2009] »

Dans l’affaire T‑235/08,

Acron OAO, établie à Moscou (Russie),

Dorogobuzh OAO, établie à Moscou,

représentées initialement par Mes P. Vander Schueren et B. Evtimov, avocats, puis par MEvtimov et M. D. O’Keeffe, solicitor,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. J.-P. Hix et B. Driessen, en qualité d’agents, assistés initialement de Mes G. Berrisch et G. Wolf, avocats, puis de Me Berrisch,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission européenne, représentée par M. H. van Vliet et Mme K. Talabér-Ritz, en qualité d’agents,

et par

Fertilizers Europe, établie à Bruxelles (Belgique), représentée par M. B. O’Connor, solicitor, et Me S. Gubel, avocat,

parties intervenantes,

ayant pour objet un recours en annulation formé contre le règlement (CE) n° 236/2008 du Conseil, du 10 mars 2008, clôturant le réexamen intermédiaire partiel du droit antidumping institué sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie, conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 384/96 (JO L 75, p. 1),

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. L. Truchot, président, H. Kanninen (rapporteur) et Mme M. E. Martins Ribeiro, juges,

greffier : Mme J. Weychert, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 19 janvier 2012,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        La réglementation de base antidumping est constituée par le règlement (CE) n° 384/96 du Conseil, du 22 décembre 1995, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO 1996 L 56, p. 1), tel que modifié (ci-après le « règlement de base ») [remplacé par le règlement (CE) n° 1225/2009 du Conseil, du 30 novembre 2009, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet d’un dumping de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 343, p. 51, rectificatif au 2010, L 7, p. 22)].

2        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement de base (devenu article 1er, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 1225/2009) dispose :

« 1.      Peut être soumis à un droit antidumping tout produit faisant l’objet d’un dumping lorsque sa mise en libre pratique dans la Communauté cause un préjudice.

2.      Un produit est considéré comme faisant l’objet d’un dumping lorsque son prix à l’exportation vers la Communauté est inférieur au prix comparable, pratiqué au cours d’opérations commerciales normales, pour le produit similaire dans le pays exportateur. »

3        Aux termes de l’article 2 du règlement de base (devenu article 2 du règlement n° 1225/2009) :

« 1.      La valeur normale est normalement basée sur les prix payés ou à payer, au cours d’opérations commerciales normales, par des acheteurs indépendants dans le pays exportateur.

Lorsque l’exportateur dans le pays exportateur ne produit pas ou bien ne vend pas le produit similaire, la valeur normale est établie sur la base des prix d’autres vendeurs ou producteurs.

Les prix pratiqués entre des parties paraissant être associées ou avoir conclu entre elles un arrangement de compensation ne peuvent être considérés comme des prix pratiqués au cours d’opérations commerciales normales et être utilisés pour établir la valeur normale que s’il est établi que ces prix ne sont pas affectés par cette relation.

[…]

2. Les ventes du produit similaire destiné à la consommation sur le marché intérieur du pays exportateur sont normalement utilisées pour déterminer la valeur normale si le volume de ces ventes représente 5 % ou plus du volume des ventes du produit considéré dans la Communauté.

Toutefois, un volume des ventes inférieur peut être utilisé, par exemple, lorsque les prix pratiqués sont considérés comme représentatifs du marché concerné.

3. Lorsqu’aucune vente du produit similaire n’a lieu au cours d’opérations commerciales normales ou lorsque ces ventes sont insuffisantes ou lorsque, du fait de la situation particulière du marché, de telles ventes ne permettent pas une comparaison valable, la valeur normale du produit similaire est calculée sur la base du coût de production dans le pays d’origine, majoré d’un montant raisonnable pour les frais de vente, les dépenses administratives et autres frais généraux et d’une marge bénéficiaire raisonnable ou sur la base des prix à l’exportation, pratiqués au cours d’opérations commerciales normales, vers un pays tiers approprié, à condition que ces prix soient représentatifs. Il peut être considéré qu’il existe une situation particulière du marché pour le produit concerné au sens de la phrase précédente, notamment lorsque les prix sont artificiellement bas, que l’activité de troc est importante ou qu’il existe des régimes de transformation non commerciaux.

4.      Les ventes du produit similaire sur le marché intérieur du pays exportateur ou les ventes à destination d’un pays tiers à des prix inférieurs aux coûts de production unitaires (fixes et variables), majorés des frais de vente, dépenses administratives et autres frais généraux, ne peuvent être considérées comme n’ayant pas lieu au cours d’opérations commerciales normales en raison de leur prix et ne peuvent être écartées de la détermination de la valeur normale que s’il est déterminé que de telles ventes sont effectuées sur une période étendue en quantités substantielles et à des prix qui ne permettent pas de couvrir tous les frais dans un délai raisonnable.

Si les prix qui sont inférieurs aux coûts au moment de la vente sont supérieurs aux coûts moyens pondérés pendant la période d’enquête, il est considéré que ces prix permettent de couvrir les frais dans un délai raisonnable.

[…]

5.      Les frais sont normalement calculés sur la base des registres comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête, à condition que ces registres soient tenus conformément aux principes comptables généralement acceptés du pays concerné et tiennent compte raisonnablement des frais liés à la production et à la vente du produit considéré. Si les frais liés à la production et à la vente du produit faisant l’objet d’une enquête ne sont pas raisonnablement reflétés dans les registres de la partie concernée, ils sont ajustés ou déterminés sur la base d’autres producteurs ou exportateurs du même pays, ou, lorsque ces informations ne sont pas disponibles ou ne peuvent être utilisées, sur toute autre base raisonnable, y compris les informations émanant d’autres marchés représentatifs.

Il est tenu compte d’éléments de preuve soumis concernant la juste répartition des frais, à condition qu’il soit démontré que ce type de répartition a été utilisé de manière constante dans le passé. En l’absence d’une méthode plus appropriée, la préférence est accordée à un système de répartition des frais fondé sur le chiffre d’affaires. À moins qu’il n’en ait déjà été tenu compte dans la répartition des frais visée au présent alinéa, les frais sont ajustés de manière appropriée en fonction des éléments non renouvelables des frais dont bénéficie la production future et/ou courante.

Lorsque, pendant une partie de la période nécessaire à la couverture des coûts, ces derniers sont affectés par l’utilisation d’installations de production nouvelles requérant des investissements supplémentaires substantiels et par de faibles taux d’utilisation des capacités en raison d’opérations de démarrage ayant lieu pendant tout ou partie de la période d’enquête, les frais moyens de la période de démarrage sont ceux applicables, en vertu des règles de répartition susmentionnées, à la fin de cette phase et sont inclus à ce niveau, pour la période concernée, dans les frais moyens pondérés visés au paragraphe 4 deuxième alinéa. La durée de la phase de démarrage est déterminée en fonction des circonstances propres au producteur ou à l’exportateur concerné, mais n’excède pas une partie initiale appropriée de la période nécessaire à la couverture des coûts. Pour cet ajustement des frais applicables au cours de la période d’enquête, les informations relatives à une phase de démarrage s’étendant au-delà de cette période sont prises en compte dans la mesure où elles sont fournies avant les visites de vérification et dans les trois mois à compter de l’ouverture de l’enquête.

6.      Les montants correspondant aux frais de vente, dépenses administratives et autres frais généraux, ainsi qu’aux bénéfices, sont fondés sur des données réelles concernant la production et les ventes, au cours d’opérations commerciales normales, du produit similaire par l’exportateur ou le producteur faisant l’objet de l’enquête. Lorsque ces montants ne peuvent être ainsi déterminés, ils peuvent l’être sur la base :

a)       de la moyenne pondérée des montants réels établis pour les autres exportateurs ou producteurs faisant l’objet de l’enquête à l’égard de la production et des ventes du produit similaire sur le marché intérieur du pays d’origine ;

b)       des montants réels que l’exportateur ou le producteur en question a engagés ou obtenus à l’égard de la production et des ventes, au cours d’opérations commerciales normales, de la même catégorie générale de produits sur le marché intérieur du pays d’origine ;

c)       de toute autre méthode raisonnable, à condition que le montant correspondant au bénéfice ainsi établi n’excède pas le bénéfice normalement réalisé par d’autres exportateurs ou producteurs lors de ventes de produits de la même catégorie générale sur le marché intérieur du pays d’origine.

7.      a)       Dans le cas d’importations en provenance de pays n’ayant pas une économie de marché, la valeur normale est déterminée sur la base du prix ou de la valeur construite, dans un pays tiers à économie de marché, du prix pratiqué à partir d’un tel pays tiers à destination d’autres pays, y compris la Communauté, ou, lorsque cela n’est pas possible, sur toute autre base raisonnable, y compris le prix effectivement payé ou à payer dans la Communauté pour le produit similaire, dûment ajusté, si nécessaire, afin d’y inclure une marge bénéficiaire raisonnable.

            Un pays tiers à économie de marché approprié est choisi d’une manière non déraisonnable, compte tenu de toutes les informations fiables disponibles au moment du choix. Il est également tenu compte des délais et, le cas échéant, un pays tiers à économie de marché faisant l’objet de la même enquête est retenu.

[…] »

4        Les considérants 3 et 4 du règlement (CE) n° 1972/2002 du Conseil, du 5 novembre 2002, modifiant le règlement de base (JO L 305, p. 1), énoncent :

« (3) L’article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 384/96 dispose, entre autres, que lorsque les ventes du produit similaire ne permettent pas une comparaison valable, du fait d’une situation particulière du marché, la valeur normale doit être calculée sur la base du coût de production dans le pays d’origine, majoré d’un montant raisonnable pour les frais de vente, les dépenses administratives et autres frais généraux et d’une marge bénéficiaire raisonnable ou sur la base des prix à l’exportation, pratiqués au cours d’opérations commerciales normales, vers un pays tiers approprié, à condition que ces prix soient représentatifs. Il y a lieu de mieux définir les circonstances pouvant être considérées comme constituant une situation particulière du marché dans laquelle les ventes du produit similaire ne permettent pas une comparaison valable. Ces circonstances peuvent, par exemple, être liées à la pratique du troc et à l’existence d’autres régimes de transformation non commerciaux, ou à d’autres entraves au marché. En conséquence, les signaux du marché peuvent ne pas refléter correctement l’offre et la demande, ce qui peut avoir une incidence sur les coûts et prix correspondants et peut aussi entraîner un décalage des prix nationaux par rapport aux prix du marché mondial et aux prix d’autres marchés représentatifs. Il est évident que toutes les précisions données dans ce contexte ne peuvent pas être exhaustives compte tenu de la grande variété des éventuelles situations particulières du marché ne permettant pas une comparaison valable.

(4)       Il convient de fournir des indications sur la marche à suivre si, conformément à l’article 2, paragraphe 5, du règlement (CE) n° 384/96, les registres ne tiennent pas raisonnablement compte des frais liés à la production et à la vente du produit considéré, notamment dans des cas où, du fait d’une situation particulière du marché, les ventes du produit similaire ne permettent pas une comparaison valable. Dans ces circonstances, les données pertinentes doivent être obtenues de sources qui ne sont pas affectées par de telles distorsions. Il peut s’agir des coûts d’autres producteurs ou exportateurs établis dans le même pays ou, si ces informations ne sont pas disponibles ou ne peuvent être utilisées, de toute autre source raisonnable, notamment les informations émanant d’autres marchés représentatifs. Les données pertinentes peuvent être utilisées soit pour l’ajustement de certains éléments des registres de la partie concernée, soit, si ce n’est pas possible, pour la détermination des coûts de cette partie. »

5        L’article 2.2.1.1 de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO 1994, L 336, p. 103, ci-après l’« accord antidumping de 1994 ») qui figure à l’annexe 1A de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO L 336, p. 1), dispose :

« Aux fins du paragraphe 2, les frais seront normalement calculés sur la base des registres de l’exportateur ou du producteur faisant l’objet de l’enquête, à condition que ces registres soient tenus conformément aux principes comptables généralement acceptés du pays exportateur et tiennent compte raisonnablement des frais associés à la production et à la vente du produit considéré. Les autorités prendront en compte tous les éléments de preuve disponibles concernant la juste répartition des frais, y compris ceux qui seront mis à disposition par l’exportateur ou le producteur au cours de l’enquête, à condition que ce type de répartition ait été traditionnellement utilisé par l’exportateur ou le producteur, en particulier pour établir les périodes appropriées d’amortissement et de dépréciation et procéder à des ajustements concernant les dépenses en capital et autres frais de développement. À moins qu’il n’en ait déjà été tenu compte dans la répartition visée au présent alinéa, les frais seront ajustés de manière appropriée en fonction des éléments non renouvelables des frais dont bénéficie la production future et/ou courante, ou des circonstances dans lesquelles les frais ont été affectés, pendant la période couverte par l’enquête, par des opérations de démarrage d’une production. »

 Antécédents du litige

6        Le 15 avril 2002, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement (CE) n° 658/2002, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie (JO L 102, p. 1).

7        La Commission des Communautés européennes a reçu une demande de réexamen intermédiaire partiel au titre de l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base. Cette demande a été introduite par les requérantes, Acron OAO et Dorogobuzh OAO (dénommées antérieurement OJSC Acron et OJSC Dorogobuzh), deux producteurs-exportateurs russes liés, appartenant à la même société holding.

8        Ayant conclu, après consultation du comité consultatif, qu’il existait des éléments de preuve suffisants pour justifier l’ouverture d’un réexamen intermédiaire partiel, la Commission a publié, le 19 décembre 2006, un avis d’ouverture d’un réexamen intermédiaire partiel des mesures antidumping applicables aux importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie, conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base (JO C 311, p. 55).

9        L’enquête relative au dumping a couvert la période comprise entre le 1er octobre 2005 et le 30 septembre 2006.

10      Les parties intéressées ont eu la possibilité de faire connaître leur point de vue par écrit et de demander à être entendues. Toutes les parties intéressées qui en ont fait la demande et ont démontré qu’il existait des raisons particulières de les entendre ont été entendues.

11      Le 10 mars 2008, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 236/2008 du Conseil, du 10 mars 2008, clôturant le réexamen intermédiaire partiel du droit antidumping institué sur les importations de nitrate d’ammonium originaire de Russie, conformément à l’article 11, paragraphe 3, du règlement de base (JO L 75, p. 1, ci-après le « règlement attaqué »). Aux termes du règlement attaqué, le Conseil a décidé de clore le réexamen intermédiaire partiel sans modification des mesures antidumping en vigueur.

12      Les considérants 16 à 19 et 46 à 48 du règlement attaqué sont ainsi rédigés :

« (16) La Commission a […] examiné si les ventes sur le marché intérieur pouvaient être considérées comme ayant été effectuées au cours d’opérations commerciales normales, conformément à l’article 2, paragraphe 4, du règlement de base. À cet effet, le coût de production du produit fabriqué et vendu par le requérant sur le marché intérieur a été examiné.

(17) Le gaz est une matière première importante dans le processus de fabrication du produit concerné et représente une part importante du coût total de production. Il a été examiné, conformément à l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base, si les frais afférents à la production et à la vente du produit considéré étaient ou non raisonnablement pris en compte dans les registres comptables des parties concernées.

(18) Il a été établi, sur la base de chiffres publiés par des sources internationalement reconnues spécialisées dans les marchés énergétiques, que les tarifs acquittés par le requérant étaient anormalement bas. À titre d’exemple, ces prix représentaient un cinquième du prix à l’exportation du gaz naturel en provenance de Russie et étaient également nettement plus faibles que le prix du gaz payé par les producteurs communautaires. À cet égard, toutes les données disponibles indiquent que les prix intérieurs du gaz en Russie sont des prix régulés, nettement inférieurs aux prix du marché payés sur les marchés du gaz naturel non régulés.

(19) Comme les registres du requérant ne tenaient pas compte des coûts liés au gaz, ces derniers ont dû être ajustés en conséquence. En l’absence de prix du gaz non faussés sur le marché intérieur russe et conformément à l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base, les prix du gaz ont dû être calculés sur une autre base raisonnable, notamment à partir de données provenant d’autres marchés représentatifs. Le prix ajusté a été établi à partir du prix moyen du gaz russe lorsque celui-ci est vendu à l’exportation à la frontière germano-tchèque (Waidhaus), net de frais de transport et ajusté afin de tenir compte des coûts de distribution locaux. Principale plaque tournante pour les ventes de gaz russe à l’Union européenne, laquelle est le principal débouché du gaz russe et, en même temps, applique des tarifs qui tiennent raisonnablement compte des coûts de revient, Waidhaus peut être considéré comme un marché représentatif.

[…]

(46) Il a […] été considéré que les prix sur le marché intérieur ne fournissaient pas une base appropriée pour le calcul de la valeur normale et une autre méthode a dû être appliquée. Conformément à l’article 2, paragraphes 3 et 6, du règlement de base, la valeur normale a été élaborée en ajoutant aux coûts de fabrication du produit concerné supportés par l’exportateur, ajustés si nécessaire, comme indiqué au considérant 19 ci-avant, un montant raisonnable correspondant aux frais de vente, dépenses administratives et autres frais généraux ainsi qu’un montant raisonnable correspondant aux bénéfices.

(47) Les frais de vente, les dépenses administratives, les autres frais généraux et les bénéfices n’ont pas pu être établis sur la base du chapeau de l’article 2, paragraphe 6, du règlement de base, car le requérant n’a pas effectué, sur le marché intérieur, de ventes représentatives du produit concerné au cours d’opérations commerciales normales. L’article 2, paragraphe 6, [sous] a), du règlement de base n’a pu être appliqué, car seul un requérant a fait l’objet de l’enquête. Le point b) de l’article 2, paragraphe 6, n’était pas non plus applicable, car le coût de production du requérant pour les produits appartenant à la même catégorie générale de produits devrait également être ajusté par rapport aux coûts du gaz, pour les raisons indiquées au considérant 18 ci-avant. En conséquence, les frais de vente, dépenses administratives et autres frais généraux, ainsi que les bénéfices, ont été déterminés sur la base de l’article 2, paragraphe 6, [sous] c), du règlement de base.

(48) Conformément à l’article 2, paragraphe 6, [sous] c), du règlement de base, les montants correspondant aux frais de vente, dépenses administratives et autres frais généraux, ainsi qu’aux bénéfices, ont été établis sur la base d’une méthode raisonnable. Le marché nord-américain a affiché un important volume de ventes sur le marché intérieur, ainsi qu’une forte concurrence aussi bien de la part des sociétés nord-américaines que des sociétés étrangères. À cet égard, l’attention s’est portée sur les informations accessibles au public portant sur les principales sociétés opérant dans le secteur des engrais. Il a été constaté que les données correspondantes provenant des producteurs nord-américains (États-Unis d’Amérique et Canada) étaient les plus appropriées aux fins de l’enquête, compte tenu de la grande disponibilité d’informations financières publiques fiables et complètes provenant de sociétés cotées dans cette région du monde. […] »

 Procédure et conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 juin 2008, les requérantes ont introduit le présent recours.

14      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler le règlement attaqué, en ce qu’il leur impose un droit antidumping ainsi qu’à leurs sociétés affiliées ;

–        ordonner au Conseil et à la Commission (ci-après les « institutions ») d’interrompre l’imposition du droit antidumping en ce qui les concerne ainsi que leurs sociétés affiliées, jusqu’à l’adoption par les institutions des mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt à intervenir ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

15      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

16      À la suite d’une demande d’intervention présentée par la Commission le 24 septembre 2008, cette dernière a été, par ordonnance du président de la première chambre du Tribunal en date du 2 mars 2010, autorisée à intervenir au soutien des conclusions du Conseil. La Commission a déposé au greffe du Tribunal, le 27 avril 2010, un mémoire en intervention, auquel ont répondu les requérantes et le Conseil par mémoires, respectivement, des 1er et 6 juillet 2010.

17      Par ordonnances du président de la première chambre du Tribunal, en date des 14 août 2008, 3 juin et 17 décembre 2009, la présente affaire a été suspendue du 14 août 2008 au 17 décembre 2009.

18      À la suite d’une demande d’intervention présentée par Fertilizers Europe le 9 février 2011, cette dernière a été, par ordonnance du président de la huitième chambre du Tribunal en date du 11 mai 2011, autorisée à intervenir à l’audience au soutien des conclusions du Conseil.

19      Dans leurs observations écrites sur la demande en intervention, déposées au greffe du Tribunal le 18 mars 2011, les requérantes ont estimé que la demande de Fertilizers Europe, présentée dans la demande d’intervention, de les voir condamnées à ses dépens était irrecevable, dès lors que l’article 40 du statut de la Cour de justice prévoit que les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que les conclusions de l’une des parties. Elles ont ajouté qu’il ressortait de la pratique du Tribunal que la condamnation aux dépens exposés par une partie intervenante non institutionnelle tenait compte de la pertinence de l’intervention et de son apport à la clarification des problèmes soumis à l’examen du Tribunal. Or, en l’espèce, si l’intervention de Fertilizers Europe se limite à apporter des observations au cours de la procédure orale, une telle intervention ne contribuerait pas de façon substantielle à l’examen du Tribunal. Les requérantes ont demandé que Fertilizers Europe soit condamnée aux dépens exposés dans le cadre de cette intervention, conformément à l’article 87, paragraphe 4, troisième alinéa, du règlement de procédure du Tribunal.

20      Les requérantes ayant déposé le 18 mars 2011 une demande de traitement confidentiel au titre de l’article 116, paragraphe 2, du règlement de procédure, le président de la huitième chambre du Tribunal a, dans la même ordonnance en date du 11 mai 2011, réservé la décision de savoir si les requérantes recevraient le rapport d’audience en vue d’identifier les éléments pouvant être considérés comme confidentiels.

21      Par lettre du 14 novembre 2011, le greffe du Tribunal a communiqué le projet de rapport d’audience aux requérantes, qui ont indiqué, par lettre du 29 novembre 2011, que ce projet ne contenait aucun élément pouvant être considéré comme étant confidentiel.

 En droit

22      Au soutien de leur recours, les requérantes invoquent un moyen unique, tiré de la violation des articles 1er et 2 du règlement de base. Elles articulent ce moyen en deux branches, aux termes desquelles, en substance, elles soutiennent, en premier lieu, que, pour le calcul de la valeur normale, il a été considéré à tort que les frais liés à la production et à la vente du produit concerné n’étaient pas raisonnablement reflétés dans leurs registres comptables et qu’il convenait, en conséquence, de procéder à un ajustement. En second lieu, elles indiquent que l’ajustement opéré pour le prix du gaz russe a été, à tort, calculé à partir du prix à Waidhaus (Allemagne), que n’a pas été déduit du montant de cet ajustement le droit à l’exportation de 30 % applicable au gaz russe et qu’il a été procédé, à tort, à un ajustement de 15 % pour refléter les coûts locaux de distribution.

23      Il convient, à titre liminaire, de rappeler que, lorsque les institutions adoptent, en vertu du règlement de base, des actions de protection antidumping concrètes, elles disposent d’un large pouvoir d’appréciation en raison de la complexité des situations économiques, politiques et juridiques qu’elles doivent examiner (arrêts de la Cour du 7 mai 1991, Nakajima/Conseil, C‑69/89, Rec. p. I‑2069, point 86, et du 29 mai 1997, Rotexchemie, C‑26/96, Rec. p. I‑2817, point 10 ; arrêts du Tribunal du 28 septembre 1995, Ferchimex/Conseil, T‑164/94, Rec. p. II‑2681, point 131 ; du 5 juin 1996, NMB France e.a./Commission, T‑162/94, Rec. p. II‑427, point 72 ; du 18 septembre 1996, Climax Paper/Conseil, T‑155/94, Rec. p. II‑873, point 98 ; du 25 septembre 1997, Shanghai Bicycle/Conseil, T‑170/94, Rec. p. II‑1383, point 63, et du 17 juillet 1998, Thai Bicycle/Conseil, T‑118/96, Rec. p. II‑2991, point 32).

24      Il en résulte que le contrôle du juge de l’Union sur ces appréciations doit être limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus pour opérer le choix contesté, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation de ces faits ou de l’absence d’un détournement de pouvoir (arrêts de la Cour du 7 mai 1987, NTN Toyo Bearing e.a./Conseil, 240/84, Rec. p. 1809, point 19 ; du 7 mai 1987, Nippon Seiko/Conseil, 258/84, Rec. p. 1923, point 21 ; du 14 mars 1990, Gestetner Holdings/Conseil et Commission, C‑156/87, Rec. p. I‑781, point 63 ; Rotexchemie, point 23 supra, point 11 ; arrêts Climax Paper/Conseil, point 23 supra, point 98 ; Shanghai Bicycle/Conseil, point 23 supra, point 64, et Thai Bicycle/Conseil, point 23 supra, point 33).

 Sur la première branche du moyen

25      Dans le cadre de cette première branche, les requérantes entendent démontrer que, pour le calcul de la valeur normale, les institutions ont à tort retenu le principe de l’ajustement ainsi qu’une méthode destinée aux pays dépourvus d’une économie de marché, ce qui serait contraire non seulement au libellé de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base mais aussi à cette disposition lue en combinaison avec les autres dispositions des articles 1er et 2 du règlement de base (premier grief), ainsi qu’aux dispositions de l’accord sur la mise en œuvre de l’article VI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (JO 1994, L 336, p. 103, ci‑après l’« accord antidumping de 1994 ») (second grief).

–       Sur le premier grief

26      Selon les requérantes, le libellé de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base permet aux institutions de vérifier que les principaux frais de production et de vente sont dûment enregistrés et comptabilisés dans les registres des producteurs. En revanche, il ne prévoirait pas que ces institutions puissent vérifier si ces frais sont raisonnables par rapport au niveau des prix sur un autre marché. Le libellé de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base n’impliquerait pas qu’il convienne de vérifier la « fiabilité » des principaux éléments des frais de production et de vente du produit concerné à la lumière des prix ou valeurs d’intrants similaires exportés vers l’Union européenne ou que l’on trouve sur les marchés non réglementés de pays tiers.

27      Les requérantes soutiennent, en outre, que l’interprétation de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base, lu en combinaison avec les autres dispositions de l’article 1er et de l’article 2, paragraphes 1 à 6, du même règlement, ne permet pas de confirmer le recours à l’ajustement du prix du gaz par les institutions en l’espèce.

28      À titre liminaire, il y a lieu de relever que l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base prévoit, d’une part, les critères de la mise à l’écart de la méthode d’établissement de la valeur normale, fondée sur les prix sur le marché intérieur du pays exportateur, et, d’autre part, les méthodes subsidiaires de calcul de cette valeur. Selon cette disposition, l’un des motifs permettant de recourir à une méthode subsidiaire est la circonstance qu’aucune vente de produit similaire n’ait lieu au cours d’opérations commerciales normales.

29      L’article 2, paragraphe 4, du même règlement précise les conditions dans lesquelles les ventes peuvent être considérées comme n’ayant pas lieu au cours d’opérations commerciales normales. Aux termes de cette disposition, les ventes du produit similaire sur le marché intérieur du pays exportateur ou les ventes à destination d’un pays tiers à des prix inférieurs aux coûts de production unitaires, majorés des frais de vente, dépenses administratives et autres frais généraux, ne peuvent être considérées comme n’ayant pas lieu au cours d’opérations commerciales normales en raison de leur prix et ne peuvent être écartées de la détermination de la valeur normale que s’il est déterminé que de telles ventes sont effectuées sur une période étendue en quantités substantielles et à des prix qui ne permettent pas de couvrir tous les frais dans un délai raisonnable.

30      En l’espèce, il ressort du règlement attaqué que les institutions ont écarté les méthodes primaires de calcul au motif que les ventes n’avaient pas été effectuées dans le cadre d’opérations commerciales normales. Elles ont ensuite eu recours à la méthode prévue à l’article 2, paragraphe 3, du règlement de base, selon laquelle la valeur normale du produit est calculée sur la base du coût de production dans le pays d’origine, majoré d’un montant raisonnable pour les frais de vente, les dépenses administratives et autres frais généraux et d’une marge bénéficiaire raisonnable (ci-après la « valeur normale construite »).

31      Les parties s’opposent en ce qui concerne la détermination du coût de production du produit concerné en application de l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base. Plus précisément, le litige porte sur le calcul du coût que représente le gaz dans la production du produit concerné.

32      Il est constant que le gaz constitue le principal intrant du produit concerné et que le prix du gaz dont les requérantes ont bénéficié pour la production dudit produit était réglementé en Russie. Le coût du gaz en tant que tel supporté par les requérantes n’est pas litigieux, le Conseil ne soutenant pas que ce coût aurait été autre que celui chiffré dans les registres comptables des requérantes. Les requérantes reprochent au Conseil de ne pas avoir calculé la valeur normale du produit concerné sur la base de ce coût et d’avoir utilisé pour ce calcul un autre prix du gaz, plus élevé, tiré d’un autre marché que le marché intérieur russe.

33      Il ressort de la lecture combinée de l’article 2, paragraphe 3, première phrase, paragraphe 4, premier et deuxième alinéas, et paragraphe 5, premier alinéa, première phrase, du règlement de base que, pour la détermination du coût de production, les frais sont normalement calculés sur la base des registres comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête.

34      Les institutions soutiennent que l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, première phrase, du règlement de base apporte deux précisions, pouvant se présenter comme deux conditions, à savoir, d’une part, que les registres doivent être tenus conformément aux principes comptables généralement acceptés du pays concerné et, d’autre part, que les registres doivent tenir compte raisonnablement des frais liés à la production et à la vente du produit considéré. La seconde condition permettrait aux institutions de vérifier le caractère « raisonnable » de la prise en compte des frais dans les registres même si les principes comptables généralement acceptés du pays concerné sont respectés et, le cas échéant, d’opérer des ajustements, en se fondant sur d’autres sources d’informations que les registres, conformément à l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, seconde phrase,du règlement de base.

35      Il n’est pas soutenu par le Conseil que la première condition ne soit pas remplie en l’espèce. En revanche, celui-ci estime que les registres des requérantes ne tiennent pas compte raisonnablement des frais liés à la production du produit concerné, étant donné que le prix du gaz serait artificiellement bas, nettement inférieur aux prix du gaz pratiqués sur les marchés non réglementés. De ce fait, le Conseil aurait été en droit, conformément à l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base, d’ajuster le prix du gaz sur la base d’informations provenant d’autres marchés représentatifs.

36      Il importe donc d’examiner si le Conseil pouvait écarter le coût du gaz effectivement supporté par les requérantes, indiqué dans la comptabilité de celles-ci, pour la production du produit concerné, au motif que ce coût était, selon le Conseil, artificiellement bas en raison de la réglementation du prix du gaz en Russie, et s’il pouvait, en conséquence, ajuster ce coût à la hausse en prenant en considération le prix du gaz sur un marché considéré par lui comme représentatif.

37      L’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base prévoit que les frais de production sont normalement calculés sur la base des registres comptables de la partie faisant l’objet de l’enquête. Ainsi, les frais sont normalement calculés en utilisant des informations tirées desdits registres.

38      L’article 2, paragraphe 5, deuxième et troisième alinéas, du règlement de base contient des dispositions spécifiques concernant la répartition des frais et les frais de démarrage. Ces dispositions prévoient des possibilités d’ajustement des frais retranscrits dans les registres comptables, ces frais pouvant être adaptés et répartis de manière différente sous certaines conditions.

39      Il ressort également de l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base que les registres comptables de la partie concernée ne sont pas pris comme base pour le calcul de la valeur normale si les frais liés à la production d’un produit faisant l’objet d’une enquête ne sont pas raisonnablement reflétés dans ces registres. Dans ce cas, selon la seconde phrase dudit alinéa, les frais sont ajustés ou déterminés sur la base d’autres sources d’information que ces registres. Ces informations peuvent être tirées des frais exposés par d’autres producteurs ou exportateurs ou, lorsque ces dernières informations ne sont pas disponibles ou ne peuvent être utilisées, de toute autre source d’information raisonnable, y compris les informations émanant d’autres marchés représentatifs.

40      À cet égard, il y a lieu de rappeler que la seconde phrase de l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base, relative à la méthode de calcul de ladite valeur, a été insérée par le règlement n° 1972/2002.

41      Il ressort du considérant 4 de ce dernier règlement que l’insertion de ladite seconde phrase visait à fournir des indications sur la marche à suivre si les registres ne tiennent pas raisonnablement compte des frais liés à la production et à la vente du produit considéré, notamment dans des situations particulières du marché où les ventes du produit similaire ne permettent pas une comparaison valable. En pareil cas, les données doivent, selon le même considérant, provenir de sources qui ne sont pas affectées par de telles distorsions.

42      Au même considérant 4 du règlement n° 1972/2002, il est précisé qu’il est possible de recourir aux coûts d’autres producteurs ou exportateurs établis dans le même pays ou, si ces informations ne sont pas disponibles ou ne peuvent être utilisées, à toute autre source raisonnable, notamment les informations émanant d’autres marchés représentatifs. Il ressort également de ce considérant que les données pertinentes peuvent être utilisées soit pour l’ajustement de certains éléments des registres de la partie concernée soit, si ce n’est pas possible, pour la détermination des coûts de cette partie.

43      En l’espèce, le Conseil a soutenu devant le Tribunal qu’il n’y avait pas d’opérations commerciales normales dès lors que le prix du gaz, l’intrant principal du produit concerné, était réglementé de sorte que ce prix était artificiellement bas sur le marché intérieur. Les requérantes n’ont pas contesté le fait que le prix du gaz sur le marché russe était réglementé et qu’il représentait une part importante du coût du produit concerné.

44      Le prix du gaz en Russie étant réglementé, il y a effectivement lieu de considérer que le coût de production du produit concerné était affecté par une distorsion du marché intérieur russe en ce qui concerne le prix du gaz, ce prix ne résultant pas des forces du marché.

45      Par ailleurs, l’interprétation de l’article 2, paragraphe 5, première phrase, du règlement de base, avancée par les requérantes, tendant à calculer les frais de production sur la base des seuls registres comptables de la partie concernée, reviendrait à empêcher en définitive le recours à la valeur normale construite dans un cas, notamment, où les frais de production ne résultent pas d’opérations commerciales normales, bien qu’un tel recours soit expressément prévu à l’article 2, paragraphe 3, du même règlement.

46      Les institutions ont donc pu conclure à bon droit que l’un des éléments des registres des requérantes ne pouvait être considéré comme raisonnable et qu’il convenait, par conséquent, de procéder à son ajustement, en recourant à d’autres sources émanant de marchés qu’elles considéraient comme plus représentatifs, et, partant, d’effectuer l’ajustement du prix du gaz.

47      S’agissant de l’argument selon lequel seul l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base permet aux institutions d’établir la valeur normale par référence non pas aux données relatives aux prix et aux coûts dans le pays exportateur ou d’origine, mais aux données relatives aux prix et aux coûts dans un pays tiers ayant une économie de marché, les requérantes soutiennent que le champ d’application de ladite disposition est limité à une liste exhaustive de pays, dépourvus d’économie de marché. Or, les requérantes relèvent que, à la date d’ouverture de l’enquête relative au réexamen des mesures parvenant à expiration dans la présente affaire, la Fédération de Russie ne figurait pas dans la liste des pays visés. La Fédération de Russie avait obtenu le statut d’économie de marché au niveau national en 2002 et un tel statut constituerait une présomption irréfutable que les coûts des producteurs établis dans ce pays et faisant l’objet d’une enquête seraient suffisamment fiables pour que la valeur normale puisse être calculée sur la base, notamment, de l’article 2, paragraphes 3 à 6, du règlement de base.

48      En l’espèce, la valeur normale n’a pas été établie en se fondant sur l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base, dès lors que la Fédération de Russie n’était pas, au moment des faits de l’espèce, un pays visé par l’article 2, paragraphe 7, du règlement de base et que l’article 2, paragraphes 1 à 6, du même règlement était applicable pour lesdits faits. Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 37 ci-dessus, l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, du règlement de base permet, sous certaines conditions, de prendre en considération des informations émanant d’autres marchés que le marché du pays exportateur ou d’origine.

49      Les requérantes ajoutent que l’interprétation de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base proposée par les institutions aboutirait à plusieurs résultats incohérents.

50      D’une part, le producteur qui profite de prix bas sur le marché domestique des principaux intrants de ses produits serait confronté à un dilemme, à savoir soit ne pas augmenter ses prix, mais avec le risque, alors, d’être considéré comme étant importateur dans l’Union de produits faisant l’objet d’un dumping, soit augmenter ses prix pour éviter toute enquête antidumping, mais avec le risque, alors, d’avoir des prix qui deviennent prohibitifs sur le marché domestique. Les mêmes producteurs, pour éviter l’enquête antidumping, seraient conduits à inscrire dans leurs registres, en violation de leur droit national, non pas le coût réel des intrants de leurs produits, mais le coût moyen de ces intrants sur les marchés étrangers non réglementés.

51      À cet égard, comme le relève à juste titre le Conseil, l’approche de celui-ci et de la Commission ne contraint pas les requérantes à augmenter le prix de leurs ventes sur le marché intérieur. La mesure antidumping retenue dans le règlement attaqué ne restreint pas les possibilités pour les requérantes de pratiquer les prix qu’elles souhaitent sur le marché russe (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 18 décembre 1997, Ajinomoto et NutraSweet/Conseil, T‑159/94 et T‑160/94, Rec. p. II‑2461, point 196).

52      D’autre part, selon les requérantes, les coûts afférents à la production d’un produit dans un pays doté du statut d’économie de marché pourraient être considérés comme trop bas par rapport aux coûts d’un produit équivalent constatés dans l’Union ou sur d’autres marchés étrangers. L’enquête antidumping menée en l’espèce par les institutions se serait substituée, de façon injustifiée, à la réglementation en matière d’aides d’État et, plus particulièrement, au règlement (CE) n° 2026/97 du Conseil, du 6 octobre 1997, relatif à la défense contre les importations qui font l’objet de subventions de la part de pays non membres de la Communauté européenne (JO L 288, p. 1).

53      À cet égard, il importe de rappeler que le règlement de base et le règlement n° 2026/97 visent, ainsi qu’il ressort du considérant 5 de ce dernier règlement, à fixer, sous une forme suffisamment détaillée, les dispositions d’application de ces deux instruments de défense commerciale.

54      Toutefois, rien n’indique que la question en l’espèce, qui porte sur une réglementation qui oblige Gazprom à fournir, en Russie, le gaz naturel à un prix bas, aurait dû être traitée uniquement sous l’angle des aides d’État. Il importe de relever que les requérantes n’ont apporté aucun élément en ce sens.

55      Par ailleurs, rien n’indique non plus que le seul fait que la question puisse, éventuellement, être examinée sous l’angle des aides d’État ait été de nature à empêcher les institutions d’analyser la présente affaire également sous l’angle des dispositions du règlement de base.

56      Ainsi que l’a relevé le Conseil à l’audience, celui-ci et la Commission ont déjà été amenés à examiner certaines situations sous l’angle à la fois des aides d’État et du dumping (arrêt du Tribunal du 17 décembre 2008, HEG et Graphite India/Conseil, T‑462/04, Rec. p. II‑3685).

57      Tout au plus, comme le prévoient l’article 14, paragraphe 1, du règlement de base et l’article 24, paragraphe 1, du règlement n° 2026/97, aucun produit ne peut être soumis à la fois à des droits antidumping et à des droits compensateurs en vue de remédier à une situation résultant d’un dumping ou de l’octroi d’une subvention à l’exportation.

58      Il résulte de ce qui précède que le premier grief n’est pas fondé.

–       Sur le second grief

59      Les requérantes considèrent que les dispositions du règlement de base ont pour objet de mettre en œuvre les règles de l’accord antidumping de 1994 et que les institutions doivent interpréter et appliquer les dispositions du règlement de base conformément à un tel accord.

60      À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que, compte tenu de leur nature et de leur économie, les accords de l’OMC ne figurent pas en principe parmi les normes au regard desquelles le juge de l’Union contrôle la légalité des actes des institutions en vertu de l’article 230, premier alinéa, CE (arrêts de la Cour du 9 janvier 2003, Petrotub et Republica/Conseil, C‑76/00 P, Rec. p. I‑79, point 53, et du Tribunal du 24 septembre 2008, Reliance Industries/Conseil et Commission, T‑45/06, Rec. p. II‑2399, point 87).

61      Toutefois, dans l’hypothèse où l’Union a entendu donner exécution à une obligation particulière assumée dans le cadre de l’OMC, ou dans l’occurrence où l’acte de l’Union renvoie expressément à des dispositions précises des accords de l’OMC, il appartient au juge de l’Union de contrôler la légalité de l’acte de l’Union en cause au regard des règles de l’OMC (arrêts de la Cour Petrotub et Republica/Conseil, point 60 supra, point 54, et du 27 septembre 2007, Ikea Wholesale, C‑351/04, Rec. p. I‑7723, point 30 ; arrêt Reliance Industries/Conseil et Commission, point 60 supra, point 88).

62      Il ressort du considérant 5 du règlement de base que ce dernier a notamment pour objet de transposer dans le droit de l’Union, dans toute la mesure du possible, les règles nouvelles et détaillées contenues dans l’accord antidumping de 1994, au rang desquelles figurent, en particulier, celles relatives au calcul de la marge de dumping, et ce afin d’assurer une application appropriée et transparente desdites règles (arrêt Petrotub et Republica/Conseil, point 60 supra, point 55).

63      La Communauté a, dès lors, adopté le règlement de base pour satisfaire à ses obligations internationales découlant de l’accord antidumping de 1994 et, par l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base, elle a entendu donner exécution aux obligations particulières que comporte l’article 2.2.1.1 de l’accord antidumping de 1994 (voir, en ce sens, arrêt Petrotub et Republica/Conseil, point 60 supra, point 56).

64      Il s’ensuit que l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base doit être interprété, dans la mesure du possible, à la lumière de l’article 2.2.1.1 de l’accord antidumping de 1994 (voir, en ce sens, arrêts Petrotub et Republica/Conseil, point 60 supra, point 57, et Reliance Industries/Conseil et Commission, point 60 supra, point 91, et la jurisprudence citée).

65      Pour cela, il importe de relever, en premier lieu, que les requérantes font référence à l’un des derniers projets avant l’adoption de l’accord antidumping de 1994 qui prévoyait, en ce qui concerne les dispositions qui deviendraient l’article 2.2.1.1 dudit accord, que « les frais ser[aie]nt normalement calculés conformément aux principes comptables généralement acceptés du pays exportateur, dans la mesure où lesdits principes reflètent raisonnablement les frais associés à la production et à la vente du produit considéré ». Il ressortirait d’un tel libellé que l’objet initial de l’article 2.2.1.1 dudit accord, et par voie de conséquence de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base, était de s’assurer que le producteur faisant l’objet de l’enquête applique de bonnes règles comptables, reflétant objectivement les frais réels supportés par le producteur faisant l’objet de l’enquête, et non de vérifier si les prix des intrants payés par le producteur correspondent aux prix des marchés non réglementés.

66      Toutefois, le fait d’invoquer la version d’une disposition sous forme de projet ne suffit pas à démontrer que l’intention des rédacteurs de ladite disposition est restée inchangée, surtout s’il apparaît que le libellé de la disposition, dans sa version finale, se révèle différent de celui de la disposition correspondante, dans sa version au stade de projet, ainsi que le souligne à juste titre, en substance, le Conseil.

67      En second lieu, il apparaît que le libellé de la disposition de l’article 2.2.1.1 de l’accord antidumping de 1994 ne présente pas de différences significatives avec le texte de l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, première phrase, du règlement de base, visant à ce que les registres soient tenus conformément aux principes comptables généralement acceptés du pays exportateur et qu’ils tiennent compte raisonnablement des frais liés à la production et à la vente du produit concerné.

68      Toutefois, comme l’a souligné à juste titre le Conseil, les dispositions visées à l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, seconde phrase, du règlement de base ne sont pas indiquées dans l’accord antidumping de 1994. Le recours à une interprétation à la lumière de l’accord antidumping de 1994 ne paraît donc pas pouvoir s’exercer pleinement en ce qui concerne ces dispositions visant la situation où les frais du produit concerné ne sont pas raisonnablement reflétés dans les registres.

69      Le second grief n’est donc pas fondé.

70      Il ressort de tout ce qui précède que la première branche du moyen n’est pas fondée.

 Sur la seconde branche du moyen

71      Les requérantes invoquent une violation de l’article 2, paragraphe 5, premier alinéa, seconde phrase, du règlement de base, une erreur manifeste d’appréciation ainsi qu’un défaut de motivation, en ce que, par le règlement attaqué, le Conseil aurait retenu l’ajustement du prix du gaz payé sur la base du prix à Waidhaus, n’aurait pas déduit du montant de l’ajustement les taxes à l’exportation de 30 % applicables au gaz russe et aurait procédé à un ajustement vers le haut de 15 % pour tenir compte des coûts locaux de distribution. Les requérantes contestent, à cet égard, le considérant 19 du règlement attaqué.

72      Celui-ci est rédigé de la sorte :

« […] Le prix ajusté [du gaz] a été établi à partir du prix moyen du gaz russe lorsque celui-ci est vendu à l’exportation à la frontière germano-tchèque (Waidhaus), net de frais de transport et ajusté afin de tenir compte des coûts de distribution locaux. Principale plaque tournante pour les ventes de gaz russe à l’Union européenne, laquelle est le principal débouché du gaz russe et, en même temps, applique des tarifs qui tiennent raisonnablement compte des coûts de revient, Waidhaus peut être considéré comme un marché représentatif. »

73      Les requérantes considèrent, d’une part, que, si les institutions avaient choisi une base différente, telle que le prix à l’exportation du gaz russe vers les États baltes ou tout marché représentatif connaissant les niveaux de prix du gaz les plus proches des niveaux de prix du gaz qui sont les leurs, la marge de dumping aurait été négative ou différente. Les institutions auraient dû choisir une « base raisonnable » au sens de l’article 2, paragraphe 5, deuxième phrase, du règlement de base, plutôt que le prix à Waidhaus.

74      L’erreur manifeste d’appréciation résulterait de ce que, tout d’abord, les marchés représentatifs mentionnés par la Commission comme bases possibles de l’ajustement (à savoir l’Union européenne, le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada ou le Japon) connaîtraient les prix du gaz les plus élevés du monde et ne seraient pas proches des niveaux de prix du gaz des requérantes.

75      Ensuite, l’ajustement relatif au prix du gaz aurait été pratiqué sur la base d’un prix intracommunautaire, à savoir la frontière germano-tchèque, reflétant non seulement les coûts de production et de vente du gaz, mais aussi la marge bénéficiaire intracommunautaire de la plate-forme Waidhaus. La base d’ajustement retenue reviendrait à considérer que, pour la plus grande partie de leurs coûts totaux de production, les requérantes seraient basées à la frontière germano-tchèque et achèteraient le gaz directement sur le marché de Waidhaus. Or, le fait de placer les requérantes dans une position où elles produiraient le produit concerné en Russie, tout en payant les droits à l’exportation et les marges intracommunautaires, ne constituerait pas une « base raisonnable » au sens de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base.

76      Enfin, le marché de Waidhaus serait uniquement le reflet de la situation géographique de Waidhaus, à savoir être sur la voie des principaux gazoducs russes entre la Russie et l’Union européenne, et du nombre de contrats de livraison de gaz ainsi que du volume de gaz négocié. Ces facteurs ne seraient pas pertinents pour qualifier le prix du gaz à Waidhaus de « base raisonnable ».

77      Les requérantes considèrent, d’autre part, que le Conseil aurait également commis une erreur manifeste d’appréciation et entaché le règlement attaqué d’un défaut de motivation en ce qu’il aurait refusé de déduire les droits de 30 % à l’exportation du gaz russe, tout en déduisant les frais de transport, ainsi qu’il résulte des termes du considérant 19 du règlement attaqué.

78      Le raisonnement suivi serait incohérent et contradictoire, car, selon les requérantes, de la même manière que les consommateurs russes n’ont pas à payer le transport du gaz de Russie à Waidhaus, ce qui a conduit à déduire les frais de transport du gaz, aurait dû être aussi déduit le droit de 30 % prélevé à l’exportation du gaz de Russie, droit qu’elles ne supportent jamais pour la production du produit concerné en Russie.

79      Les requérantes ajoutent que, même si les institutions entendaient sanctionner le régime de doubles prix appliqué par les autorités russes dans le secteur du gaz, cela ne devait pas dispenser lesdites institutions de leur obligation de fonder l’ajustement relatif au prix du gaz sur une base raisonnable au sens de l’article 2, paragraphe 5, du règlement de base.

80      À cet égard, s’agissant, en premier lieu, du choix du prix de Waidhaus comme prix de référence, il importe de relever que les institutions ne sont pas tenues de prendre en considération tous les prix de référence possibles dans le cadre d’une procédure antidumping, mais doivent être amenées à examiner de façon approfondie les éventuelles propositions formulées par les parties, en cas de doute sur le choix du prix de référence (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 22 octobre 1991, Nölle, C‑16/90, Rec. p. I‑5163, point 32).

81      En l’espèce, il n’apparaît pas que, dans le règlement attaqué, le Conseil ait commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant le choix du prix à Waidhaus, qui apparaît raisonnable à plusieurs titres.

82      Il n’est pas contesté que Waidhaus soit le principal point d’arrivée des livraisons de gaz russe dans l’Union. Il ressort du dossier que Waidhaus est une ville allemande située sur la voie des principaux gazoducs russes entre la Russie et l’Union et se trouve être, en termes de nombre de contrats négociés d’approvisionnement en gaz ainsi que de volume de gaz concerné, le premier point d’arrivée du gaz exporté par les producteurs russes dans l’Union.

83      Le prix du gaz négocié en ce lieu est donc celui facturé par les vendeurs russes à leurs clients européens et non un prix intracommunautaire, contrairement à ce que tentent de soutenir les requérantes dans la requête.

84      Ensuite, compte tenu du volume de gaz concerné et du nombre de contrats négociés, rien n’indique que le prix du gaz russe à Waidhaus ne soit pas le résultat de forces du marché exemptes de distorsions.

85      Dans la réplique, les requérantes ont invoqué la décision de la Commission du 8 juillet 2009, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE (Affaire COMP/39.401 – E.ON/GDF) (résumé au JO C 248, p. 5), pour soutenir que l’entente sanctionnée par une telle décision avait eu des effets sur les données utilisées par la Commission pour calculer l’ajustement dans la présente affaire. Selon elles, il résulte de ladite décision que le prix du gaz russe à Waidhaus ne serait pas le résultat des forces du marché.

86      Or, il suffit de constater que, si cette décision porte bien sur des ventes de gaz en provenance de Russie, elle concerne seulement l’examen d’un accord de répartition des marchés en Allemagne et en France entre E.ON et GDF pour les ventes de gaz à leurs clients. Elle ne vise pas l’examen du marché d’exportation du gaz russe en gros à destination de l’ensemble de l’Union, ni l’examen des relations de E.ON et GDF avec leur fournisseur de gaz russe.

87      De même, les requérantes ont fait référence à l’arrêt de la Cour du 11 juin 1992, Extramet Industrie/Conseil (C‑358/89, Rec. p. I‑3813), et à l’arrêt du Tribunal du 19 septembre 2001, Mukand e.a./Conseil (T‑58/99, Rec. p. II‑2521), pour justifier l’impact que pourrait avoir un comportement anticoncurrentiel sur des appréciations en matière de dumping.

88      Or, il convient de relever que ces arrêts ne portent pas sur la question de savoir si la base utilisée par les institutions pour déterminer les coûts du gaz était raisonnable. Notamment, le premier arrêt porte sur l’obligation pour les institutions d’examiner si le préjudice qu’elles entendent retenir pour instituer un droit antidumping découle effectivement des importations qui ont fait l’objet d’un dumping ou s’il découle d’autres facteurs (arrêt Extrament Industrie/Conseil, point 87 supra, point 16). Le second arrêt porte également sur la question de savoir si, lors de la détermination du préjudice et du lien de causalité entre ce préjudice et les importations faisant l’objet de subventions, d’autres facteurs sont de nature à être à l’origine du préjudice causé à l’industrie communautaire (arrêt Mukand e.a./Conseil, point 87 supra, point 41). Ces arrêts ne permettent pas de conclure que les institutions auraient commis une erreur manifeste d’appréciation dans le choix de la base utilisée pour déterminer les coûts du gaz à prendre en compte en l’espèce.

89      Enfin, si les requérantes contestent que le prix de Waidhaus soit bien plus élevé que celui du gaz vendu sur le marché intérieur russe, elles n’ont pas soutenu qu’il soit bien supérieur à celui négocié aux États-Unis ou au Canada. Les requérantes ont affirmé que les prix du gaz en provenance du Qatar, de Trinidad, d’Australie et de Libye étaient inférieurs au prix de Waidhaus, sans pour autant préciser si le gaz importé de ces pays correspondait à un volume significatif ou représentatif pour l’Union. Les institutions n’ont donc pas choisi le prix de référence le plus élevé du marché. Il n’est, en outre, pas certain que le prix du gaz à l’exportation vers les États baltes ne soit pas comparable à celui du gaz qui transite par Waidhaus.

90      S’agissant, en second lieu, de la décision de ne pas déduire les taxes à l’exportation prélevées en Russie, seuls les frais de transport faisant l’objet d’une déduction, les requérantes soutiennent qu’elle est incohérente et erronée et invoquent, à cet égard, une affaire ayant donné lieu au règlement (CE) n° 954/2006 du Conseil, du 27 juin 2006, instituant un droit antidumping définitif sur les importations de certains tubes et tuyaux sans soudure, en fer ou en acier, originaires de Croatie, de Roumanie, de Russie et d’Ukraine, abrogeant les règlements (CE) n° 2320/97 et (CE) n° 348/2000, clôturant le réexamen intermédiaire et le réexamen au titre de l’expiration des mesures des droits antidumping applicables aux importations de certains tubes et tuyaux sans soudure, en fer ou en acier non allié, originaires, entre autres, de Russie et de Roumanie et clôturant les réexamens intermédiaires des droits antidumping applicables aux importations de certains tubes et tuyaux sans soudure, en fer ou en acier non allié, originaires, entre autres, de Russie et de Roumanie et de Croatie et d’Ukraine (JO L 175, p. 4).

91      Le Conseil répond que, dans cette affaire, la Commission et lui n’ont procédé qu’à une déduction des droits d’accises dus pour les ventes intérieures de gaz, mais à aucune déduction des taxes à l’exportation.

92      Il ressort en effet du considérant 97 du règlement n° 954/2006 que les coûts du gaz russe ont été ajustés en prenant pour base le prix du gaz exporté vers les pays d’Europe occidentale, hors frais de transport et droits d’accises. Il n’est pas fait référence aux taxes à l’exportation, contrairement à ce que la requérante prétend.

93      Le Conseil justifie l’absence de déduction des taxes à l’exportation par le fait que la tarification opérée par Gazprom n’est pas influencée par le montant des taxes à l’exportation. À l’appui de cette affirmation, le Conseil a communiqué, en annexe B2 au mémoire en défense, des données relatives à l’évolution des prix du gaz russe qui témoignent du fait que ce prix apparaît, dans une large mesure, ne pas dépendre du montant des taxes à l’exportation. Le Conseil a ajouté, notamment, que Gazprom essayait toujours d’augmenter autant qu’il était possible le prix du gaz qu’il vendait et que la tarification de ce prix n’était pas influencée par le montant des taxes à l’exportation, mais seulement par le prix que les clients de Gazprom étaient disposés à payer. À l’audience, le Conseil a réitéré son analyse selon laquelle c’est le prix payé à Waidhaus qui importe, sans qu’il soit pertinent de savoir ce que ce prix comprend.

94      Or, il apparaît que les requérantes n’ont pas été en mesure d’expliquer ni de démontrer en quoi la tarification opérée par Gazprom à Waidhaus aurait pu être influencée par le montant des taxes à l’exportation. Il convient donc de considérer que le Conseil n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en ne déduisant pas lesdites taxes du prix payé à Waidhaus.

95      Les requérantes se bornant également à contester, sans plus d’éléments, le caractère raisonnable des coûts locaux de distribution retenus pour le calcul de la valeur normale construite, il convient aussi de considérer que le Conseil n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation à cet égard.

96      Au demeurant, il importe de relever que, dans la mesure où avaient été déduits les frais de transport pour le calcul du prix du gaz, il apparaît logique d’ajuster par ailleurs ce calcul en prenant en compte les coûts locaux de distribution.

97      Au considérant 42 du règlement attaqué, que les requérantes n’ont pas contesté, le Conseil a précisé la raison pour laquelle il a décidé de procéder à un ajustement par le haut pour tenir compte des coûts locaux de distribution. Le Conseil a, à cet égard, indiqué que les exportateurs russes n’avaient pas été en mesure de fournir des informations ou des éléments de preuve supplémentaires permettant de déterminer si les coûts de distribution étaient effectivement compris dans le prix de Waidhaus. Il a ajouté que, dans la mesure où les clients sur le marché intérieur russe achetaient du gaz auprès de fournisseurs locaux, il convenait de considérer qu’ils payaient, tout au moins pour les services de vente, les coûts locaux de distribution qui, en tant que tels, n’étaient pas inclus dans le prix non ajusté de Waidhaus.

98      Enfin, il y a lieu de rejeter l’argumentation des requérantes tirée d’un défaut de motivation concernant le refus de déduire les taxes à l’exportation du gaz russe et l’ajustement opéré pour les coûts locaux de distribution. En effet, la motivation du règlement attaqué doit être appréciée en tenant compte notamment des informations qui ont été communiquées à la requérante et des observations qu’elle a soumises durant la procédure administrative (arrêt du Tribunal du 4 mars 2010, Foshan City Nanhai Golden Step Industrial/Conseil, T‑410/06, Rec. p. II‑879, point 127).

99      En l’occurrence, il ressort de l’annexe A13 de la requête que les requérantes ont été informées des conclusions relatives aux frais de vente, dépenses administratives et autres frais généraux ainsi que de l’absence de déduction des taxes à l’exportation et de l’ajustement vers le haut pour les coûts locaux de distribution en ce qui concerne le calcul de la valeur normale et qu’elles ont pu apporter des observations à cet égard, ce qui dispensait le Conseil de réitérer ces explications dans le corps du règlement attaqué, pour s’en tenir aux motifs de fait et de droit constituant le fondement dudit règlement.

100    La seconde branche du moyen n’est donc pas fondée.

101    Il résulte de ce qui précède que le moyen doit être rejeté ainsi que, en conséquence, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

102    S’agissant tout d’abord de l’argument des requérantes selon lequel Fertilizers Europe ne serait pas recevable à demander que ses dépens soient mis à leur charge, il suffit de constater que les dépens constituent une question accessoire à la procédure principale et que, normalement, seule la partie intervenante a intérêt à demander que ses dépens soient supportés par une autre partie.

103    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Conseil et Fertilizers Europe, conformément aux conclusions de ces derniers.

104    La Commission supportera ses propres dépens, conformément à l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Acron OAO et Dorogobuzh OAO sont condamnées à supporter leurs propres dépens, en plus de ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne et Fertilizers Europe.

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Truchot

Kanninen

Martins Ribeiro

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 7 février 2013.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.