Language of document : ECLI:EU:T:2014:624

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

10 juillet 2014(*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Gel des fonds – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑182/13,

Moallem Insurance Co., établie à Téhéran (Iran), représentée par Me D. Luff, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Vitro et M. Bishop, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet, premièrement, une demande d’annulation, d’une part, de la décision 2012/829/PESC du Conseil, du 21 décembre 2012, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 356, p. 71), en ce qu’elle a inscrit le nom de la requérante sur la liste figurant dans l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) n° 1264/2012 du Conseil, du 21 décembre 2012, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO L 356, p. 55), en ce qu’il a inscrit le nom de la requérante sur la liste figurant dans l’annexe IX du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) n° 961/2010 (JO L 88, p. 1), ainsi que, deuxièmement, une demande visant à obtenir une déclaration d’inapplicabilité à la requérante de l’article 12 de la décision 2010/413 et de l’article 35 du règlement n° 267/2012,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. M. van der Woude (rapporteur), président, Mme I. Wiszniewska-Białecka et M. I. Ulloa Rubio, juges,

greffier : M. N. Rosner, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 février 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La requérante, Moallem Insurance Co., est une société d’assurances établie en Iran.

2        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives instaurées en vue de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires (ci-après la « prolifération nucléaire »).

3        Le 26 juillet 2010, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2010/413/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO L 195, p. 39). À l’annexe II de cette décision sont énumérées les noms des personnes, des entités ou des organismes, autres que ceux désignés par le Conseil de sécurité des Nations unies ou par le comité des sanctions créé par la résolution 1737 (2006), dont les avoirs sont gelés en application de l’article 20, paragraphe 1, sous b), de ladite décision.

4        L’article 12, paragraphe 1, de la décision 2010/413 se lit comme suit :

« Est interdite la fourniture de services d’assurance ou de réassurance de l’Iran, ou à des entités constituées en Iran ou relevant de sa juridiction, ou à des personnes et des entités agissant pour le compte ou sur leurs ordres, ou à des entités qui sont leur propriété ou sont sous leur contrôle, y compris par des moyens illicites. »

5        En conséquence, dans le cadre du traité FUE, le Conseil a adopté, le 25 octobre 2010, le règlement (UE) n° 961/2010, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (CE) n° 423/2007 (JO L 281, p. 1).

6        Le 23 janvier 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/35/PESC, modifiant la décision 2010/413 (JO L 19, p. 22). L’article 1er, point 7, de cette décision a modifié l’article 20 de la décision 2010/413.

7        Le 23 mars 2012, le Conseil a adopté le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement n° 961/2010 (JO L 88, p. 1). L’article 35 du règlement n° 267/2012 prévoit des dispositions analogues à celles de l’article 12 de la décision 2010/413. L’article 23, paragraphe 2, du règlement n° 267/2012 se lit comme suit :

« 2. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes, entités et organismes énumérés à l’annexe IX, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent. L’annexe IX comprend les personnes physiques et morales, les entités et les organismes qui, conformément à l’article 20, paragraphe 1, points b) et c), de la décision 2010/413/PESC du Conseil, ont été reconnus :

a)      comme participant, étant directement associés ou apportant un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires par l’Iran, y compris en concourant à l’acquisition de biens et technologies interdits, ou appartenant à une telle personne, entité ou organisme, ou se trouvant sous son contrôle, y compris par des moyens illicites, ou agissant pour son compte ou selon ses instructions ;

b)      comme étant une personne physique ou morale, une entité ou un organisme ayant aidé une personne, une entité ou un organisme figurant sur une liste à enfreindre les dispositions du présent règlement, de la décision 2010/413/PESC du Conseil ou des résolutions 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et 1929 (2010) du Conseil de sécurité des Nations unies, ou à s’y soustraire ;

[…]

e)      comme étant une personne morale, une entité ou un organisme détenu ou contrôlé par la compagnie de transport maritime de la République islamique d’Iran (Islamic Republic of Iran Shipping Lines ou IRISL), ou agissant pour son compte. »

8        Le 15 octobre 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/635/PESC, modifiant la décision 2010/413 (JO L 282, p. 58). L’article 1er, paragraphe 8, de cette décision a modifié l’article 20 de la décision 2010/413.

9        Par la décision 2012/829/PESC du Conseil, du 21 décembre 2012, modifiant la décision 2010/413 (JO L 356, p. 71, ci-après la « décision attaquée »), la requérante a été inscrite pour la première fois sur la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives énumérées dans l’annexe II de la décision 2010/413.

10      L’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, tel que modifié successivement par les décisions 2012/35, 2012/635 et 2012/829, se lit comme suit :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes et entités ci-après, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes ou entités possèdent, détiennent ou contrôlent, directement ou indirectement :

[…]

b)      les personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui participent, sont directement associées ou apportent un appui aux activités nucléaires de l’Iran posant un risque de prolifération ou à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, y compris en concourant à l’acquisition des articles, biens, équipements, matériels et technologies interdits, ou les personnes ou entités agissant pour leur compte ou sur leurs ordres, ou les entités qui sont leur propriété ou sont sous leur contrôle, y compris par des moyens illicites, ou les personnes et entités qui ont aidé les personnes ou les entités désignées à se soustraire aux dispositions des RCSNU 1737 (2006), 1747 (2007), 1803 (2008) et 1929 (2010) ou de la présente décision, ou à les enfreindre, ainsi que les autres dirigeants et entités de l’IRGC et de l’IRISL et des entités qui sont leur propriété ou sont sous leur contrôle ou qui agissent pour leur compte ou qui leur fournissent des assurances ou d’autres services essentiels, telles qu’elles sont énumérées à l’annexe II ;

[…] »

11      Conformément à la décision 2012/829, le règlement d’exécution (UE) n° 1264/2012 du Conseil, du 21 décembre 2012, mettant en œuvre le règlement n° 267/2012 (JO L 356, p. 55, ci-après le « règlement attaqué »), a modifié l’annexe IX du règlement n° 267/2012, en y ajoutant notamment le nom de la requérante.

12      Le règlement attaqué reprend, en ce qui concerne la requérante, la motivation suivante, formulée dans la décision attaquée :

« Principal assureur de l’IRISL ».

13      Par lettre du 3 janvier 2013, réceptionnée par la poste iranienne le 23 janvier 2013, le Conseil a communiqué la décision et le règlement attaqués à la requérante.

14      Par lettre du 6 février 2013, la requérante a contesté le motif de son inscription et demandé au Conseil de revoir sa décision et de lever toutes les mesures restrictives à son égard. En outre, la requérante a invité le Conseil à lui communiquer tous les documents pertinents sur la base desquels son inscription sur les listes avait été décidée ainsi que le nom de l’État ou des États ayant proposé de l’inscrire sur ces listes.

15      Par lettre du 19 juin 2013, le Conseil a répondu à la demande de la requérante en joignant les documents non confidentiels concernant sa désignation qui figuraient dans son dossier, à savoir un extrait de la proposition par un État membre pour l’inscription de la requérante (document 5134/13), des extraits des rapports de réunions du groupe de travail COMEM (Moyen-Orient/Golfe) du 9 octobre et du 5 novembre 2012 (documents 6527/13 et 10832/13), le document de réunion MD 229/12 ADD 1 REV 2 RELEX ainsi que les notes du 18 décembre 2012 du secrétariat au Comité des représentants permanents (Coreper) et au Coreper/Conseil (documents 17795/12 et 17525/12 ADD 1 REV 1).

16      Par lettre du 5 juillet 2013, le Conseil a communiqué à la requérante des copies de documents relatifs à des contrats d’assurance qu’elle avait conclus avec certaines sociétés liées aux Islamic Republic of Iran Shipping Lines (IRISL).

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 mars 2013, la requérante a introduit le présent recours.

18      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la septième chambre à laquelle la présente affaire a, par conséquent été attribuée.

19      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en ce qu’elle a inscrit son nom dans l’annexe II de la décision 2010/413 ;

–        annuler le règlement attaqué en ce qu’il a inscrit son nom dans l’annexe IX du règlement n° 267/2012 ;

–        déclarer l’article 12 de la décision 2010/413 et l’article 35 du règlement n° 267/2012 inapplicables à son égard ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

20      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter comme irrecevable la demande visant à obtenir une déclaration d’inapplicabilité ;

–        rejeter comme non fondé le recours en annulation ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

21      À l’appui de ses conclusions, la requérante invoque huit moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation. Le deuxième moyen est tiré d’une violation de l’obligation de motivation, du principe du respect des droits de la défense ainsi que du droit à un procès équitable. Le troisième moyen est tiré d’une violation de l’article 24, paragraphes 3 et 4, de la décision 2010/413 ainsi que de l’article 46, paragraphes 3 et 4, du règlement n° 267/2012. Le quatrième moyen est tiré d’une violation du principe de bonne administration. Le cinquième moyen est tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime. Le sixième moyen est tiré de l’illégalité de l’article 12 de la décision 2010/413 et de l’article 35 du règlement n° 267/2012. Le septième moyen est tiré d’une violation de l’article 215, paragraphes 2 et 3, TFUE, en tant que base légale du règlement n° 267/2012, ainsi que de l’article 40 TUE. Le huitième moyen est tiré d’une violation des principes d’égalité et de non-discrimination.

22      Avant d’aborder le fond du litige, il est opportun d’apprécier la recevabilité du troisième chef de conclusions de la requérante, ainsi que le sixième moyen y relatif, par lequel la requérante soulève une exception d’illégalité à l’encontre de l’article 12 de la décision 2010/413 et de l’article 35 du règlement n° 267/2012, en vue d’obtenir l’annulation de la décision et du règlement attaqués.

 Sur la recevabilité du troisième chef de conclusions de la requérante

23      Par son troisième chef de conclusions, la requérante demande à ce que le Tribunal déclare l’article 12 de la décision 2010/413 et l’article 35 du règlement n° 267/2012 inapplicables à son égard.

24      Le Conseil a indiqué dans le mémoire en défense, et a confirmé lors de l’audience, qu’aucun acte concernant la requérante n’avait été adopté sur la base des articles susmentionnés, lesquels interdisaient en substance la fourniture de services d’assurance et de réassurance, par les opérateurs de l’Union européenne, à des personnes ou des entités iraniennes (voir points 4 à 7 ci-dessus).

25      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’article 277 TFUE est l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision dont elle est le destinataire ou qui la concerne directement et individuellement, la validité des actes institutionnels antérieurs, qui constituent la base juridique de la décision litigieuse, si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 mars 1979, Simmenthal/Commission, 92/78, Rec. p. 777, points 39 et 40). L’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, LR AF 1998/Commission, T‑23/99, Rec. p. II‑1705, point 273, et la jurisprudence citée).

26      En l’espèce, il suffit, dès lors, de constater que, dans la mesure où il n’existe aucun lien entre la décision et le règlement attaqués, d’une part, et l’article 12 de la décision 2010/413 ainsi que l’article 35 du règlement n° 267/2012, d’autre part, l’exception d’illégalité soulevée à l’encontre de ces articles, dans le cadre du sixième moyen, doit être déclarée irrecevable.

27      Par ailleurs, à supposer même que le troisième chef de conclusions puisse être interprété comme une demande autonome par rapport aux demandes en annulation, laquelle viserait à obtenir une décision déclaratoire, une telle demande devrait être rejetée pour cause d’incompétence manifeste, l’article 263 TFUE ne conférant pas au juge de l’Union compétence pour statuer à titre déclaratoire (ordonnance de la Cour du 25 novembre 2008, TEA/Commission, C‑500/07 P, non publiée au Recueil, point 33).

28      Pour l’ensemble de ces raisons, il y a lieu de rejeter le troisième chef de conclusions de la requérante comme irrecevable.

 Sur le premier moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation

29      La requérante conteste qu’elle est le principal assureur des IRISL. Elle souligne que sa structure de propriété et sa composition ne sont pas celles d’une société qui serait en mesure d’être le principal assureur des IRISL. Elle ajoute que le Conseil n’a apporté aucun élément de preuve étayant ses allégations.

30      Le Conseil soutient que les documents qu’il a communiqués à la requérante, par lettres des 19 juin et 5 juillet 2013, indiquent que cette dernière a bien conclu des contrats d’assurance avec de nombreuses entités, inscrites sur les listes, qui sont détenues ou contrôlées par les IRISL.

31      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne déterminée sur les listes, le juge de l’Union s’assure que cette décision repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt de la Cour du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, non encore publié au Recueil, ci-après l’« arrêt Kadi II », point 119).

32      C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée. Si ces éléments ne permettent pas de constater le bien-fondé d’un motif, le juge de l’Union écarte ce dernier en tant que support de la décision d’inscription ou de maintien de l’inscription en cause (arrêt Kadi II, points 121 à 123).

33      Cependant, afin d’apprécier le bien-fondé de l’inscription du nom de la personne concernée sur les listes, il appartient au juge de l’Union de déterminer, au préalable, les éléments de preuve susceptibles d’être pris en considération, au regard, d’une part, du contenu du dossier du Conseil et des exigences liées aux droits de la défense et à une protection juridictionnelle effective et, d’autre part, d’éventuelles considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales.

34      Il convient de rappeler que la légalité de l’acte attaqué ne peut être appréciée que sur le fondement des éléments de fait et de droit sur la base desquels il a été adopté, et non sur le fondement d’éléments qui ont été portés à la connaissance du Conseil postérieurement à l’adoption de cet acte (arrêt du Tribunal du 26 octobre 2012, Oil Turbo Compressor/Conseil, T‑63/12, non encore publié au Recueil, point 29).

35      Par ailleurs, le Conseil ne saurait invoquer utilement, devant le Tribunal, des éléments de preuve qui n’ont pas été communiqués à la requérante, à sa demande, avant l’introduction du recours (arrêt du Tribunal du 6 septembre 2013, Bank Melli Iran/Conseil, T‑35/10 et T‑7/11, non encore publié au Recueil, points 99 à 102). Admettre une telle possibilité serait contraire au droit fondamental au respect des droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective (arrêt du Tribunal du 12 décembre 2013, Nabipour e.a./Conseil, T‑58/12, non publié au Recueil, point 79).

36      Toutefois, des considérations impérieuses, touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membresou à la conduite de leurs relations internationales, peuvent s’opposer à la communication de certaines informations ou de certains éléments de preuve à la personne concernée (arrêt Kadi II, point 125).

37      En pareil cas, il incombe au Conseil d’établir que la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou la conduite des relations internationales serait effectivement compromise par une communication à l’intéressé de l’ensemble des informations et des éléments à charge complets qui constituent le fondement d’une décision en matière de mesures restrictives (voir, par analogie, arrêt de la Cour du 4 juin 2013, ZZ, C‑300/11, non encore publié au Recueil, point 61).

38      Lorsque le Conseil invoque ainsi le caractère confidentiel de certaines informations, il appartient au juge de l’Union de vérifier le bien-fondé des raisons invoquées par ladite autorité pour s’opposer à la communication de ces informations à la personne ou à l’entité concernée (voir, en ce sens, arrêt Kadi II, point 126).

39      S’il s’avère que les raisons invoquées par le Conseil de l’Union s’opposent effectivement à la communication à la personne concernée d’informations ou d’éléments de preuve produits devant le juge de l’Union, il est nécessaire de mettre en balance de manière appropriée les exigences liées au droit à une protection juridictionnelle effective, en particulier au respect du principe du contradictoire, et celles découlant de la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou de la conduite de leurs relations internationales (arrêt Kadi II, point 128).

40      En l’espèce, premièrement, il convient de relever que la requérante a demandé au Conseil, par lettre du 6 février 2013, soit, près de deux mois avant l’expiration du délai de recours, de lui communiquer les informations contenues dans son dossier. Toutefois, le Conseil n’a fait droit à cette demande qu’après l’introduction du présent recours, par lettres des 19 juin et 5 juillet 2013, soit près de cinq mois après ladite demande.

41      Deuxièmement, le Conseil n’a invoqué aucune raison touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationalessusceptible de s’opposer à la communication des éléments contenus dans les lettres des19 juin et 5 juillet 2013.

42      Dans ce contexte, dans la mesure où les éléments contenus dans les lettres des 19 juin et 5 juillet 2013 n’ont été communiqués à la requérante qu’après l’introduction du présent recours, ils ne sauraient être pris en considération pour justifier son inscription, conformément à la jurisprudence citée au point 35 ci-dessus. De plus, il y a lieu de constater que les éléments contenus dans la lettre du 19 juin 2013 et ses annexes ne comportent, en tout état de cause, aucune information supplémentaire par rapport aux motifs contenus dans les actes attaqués.

43      Troisièmement, en réponse à une question écrite du Tribunal, le Conseil a déclaré que l’ensemble des informations et des éléments de preuve pris en considération, lors de l’adoption des actes attaqués en ce qu’ils concernaient la requérante, ont été communiqués à cette dernière en annexe à la lettre du 19 juin 2013.

44      Il apparaît ainsi que les contrats d’assurance, transmis ultérieurement à la requérante, en annexe à la lettre du 5 juillet 2013, ne figuraient pas dans le dossier du Conseil lors de l’inscription de la requérante sur les listes.

45      Partant, la requérante fait valoir à juste titre que ces contrats ne sauraient être invoqués utilement par le Conseil devant le Tribunal. En effet, ces contrats n’ont non seulement pas été communiqués à la requérante en temps utile, ainsi qu’il a été constaté au point 42 ci-dessus, mais ils n’avaient pas non plus été portés à la connaissance du Conseil avant la date d’adoption de la décision et du règlement attaqués.

46      Pour l’ensemble de ces raisons, seuls les éléments repris dans la motivation énoncée dans la décision et le règlement attaqués sont susceptibles d’être pris en considération par le Tribunal, aux fins de l’appréciation du bien-fondé de l’inscription de la requérante sur les listes.

47      Or, dans la mesure où, dans la motivation de l’inscription de la requérante sur les listes, le Conseil se limite à affirmer que la requérante est le principal assureur des IRISL, ce que la requérante conteste, et où le Conseil n’a utilement avancé aucun élément de preuve à l’appui d’une telle affirmation, il y a lieu de constater que cette inscription se fonde sur une allégation qui n’est pas étayée.

48      Partant, l’inscription de la requérante sur les listes doit être considérée comme entachée d’une erreur d’appréciation.

49      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient d’annuler le règlement et la décision attaqués, en ce qu’ils concernent la requérante, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens avancés par la requérante.

 Sur les effets dans le temps de l’annulation du règlement et de la décision attaqués

50      Dans leurs écritures, ni la requérante ni le Conseil ne prennent position sur les effets dans le temps d’une éventuelle annulation du règlement et de la décision attaqués.

51      En réponse à une question du Tribunal, le Conseil a soutenu, lors de l’audience, que l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, prévoyant le maintien en vigueur d’un règlement à la suite de son annulation, jusqu’à l’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’au rejet de celui-ci par la Cour, devait s’appliquer en l’espèce, conformément au principe de sécurité juridique. Il a fait valoir la nécessité d’éviter, dans le cas où la Cour serait saisie d’un pourvoi et où elle annulerait l’arrêt du Tribunal, d’une part, un préjudice économique pour les tiers et, d’autre part, le retrait de ses avoirs par la requérante, à la suite de l’arrêt du Tribunal, ce qui priverait l’appel de tout effet utile.

52      La requérante a demandé, lors de l’audience, que l’annulation du règlement et de la décision attaqués prenne effet immédiatement. Elle a fait valoir que l’inscription du nom d’une personne ou d’une entité sur les listes présentait la nature d’une décision individuelle

53      Cette demande de la requérante ne saurait prospérer.

54      En effet, sans qu’il soit nécessaire d’examiner la question de savoir si la décision d’inscrire le nom de la requérante sur les listes litigieuses a une nature réglementaire au sens de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour, il suffit de relever que l’article 264, second alinéa, TFUE permet, en tout état de cause, au juge de l’Union d’indiquer, s’il l’estime nécessaire, ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. À cet égard, il ressort de la jurisprudence que le Tribunal peut décider, sur la base de cette disposition, de la date de prise d’effet de ses arrêts en annulation (voir, en ce sens, arrêt Nabipour e.a./Conseil, précité, points 250 et 251).

55       Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal considère, pour les raisons exposées ci-après, qu’il est nécessaire de suspendre la prise d’effet du présent arrêt jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

56      Le programme nucléaire mis en œuvre par la République islamique d’Iran est une source de préoccupations vives tant sur le plan international que sur le plan européen. C’est dans ce contexte que le Conseil a graduellement élargi le nombre de mesures restrictives prises à l’encontre de cet État, en vue de faire obstacle au développement d’activités mettant en péril la paix et la sécurité internationale, dans le cadre de la mise en œuvre de résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.

57      Dès lors, l’intérêt de la requérante à obtenir une prise d’effet immédiate du présent arrêt en annulation doit être mis en balance avec l’objectif d’intérêt général poursuivi par la politique de l’Union en matière de mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran. La modulation des effets dans le temps de l’annulation d’une mesure restrictive peut ainsi se justifier par la nécessité d’assurer l’efficacité des mesures restrictives et, en définitive, par des considérations impérieuses touchant à la sûreté ou à la conduite des relations internationales de l’Union et de ses États membres (voir, par analogie avec l’absence d’obligation de communication préalable à l’intéressé des motifs de son inscription initiale sur les listes, arrêt de la Cour du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, non encore publié au Recueil, point 67).

58      Or, l’annulation avec effet immédiat du règlement et de la décision attaqués en ce qu’ils concernent la requérante permettrait à cette dernière de transférer tout ou partie de ses actifs hors de l’Union, sans que le Conseil ait pu faire une application en temps utile de l’article 266 TFUE en vue de remédier aux irrégularités constatées dans le présent arrêt, de sorte qu’une atteinte sérieuse et irréversible risquerait d’être causée à l’efficacité de tout gel de fonds susceptible d’être, à l’avenir, décidé par le Conseil à son égard.

59      S’agissant de l’application de l’article 266 TFUE dans le cas d’espèce, il y a lieu de relever que l’annulation par le présent arrêt de l’inscription du nom de la requérante sur les listes découle du fait que les motifs de cette inscription ne sont pas étayés par des preuves suffisantes (voir points 47 et 48 ci-dessus). Bien qu’il appartienne au Conseil de décider des mesures d’exécution de cet arrêt, une nouvelle inscription du nom de la requérante ne saurait être exclue d’emblée. En effet, dans le cadre de ce nouvel examen, le Conseil a la possibilité de réinscrire le nom de la requérante sur la base de motifs étayés à suffisance de droit.

60      Il s’ensuit que les effets de la décision et du règlement attaqués doivent être maintenus à l’égard de la requérante, jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi ou, si un pourvoi est introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

 Sur les dépens

61      L’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il y a lieu de le condamner aux dépens de la présente instance, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision 2012/829/PESC du Conseil, du 21 décembre 2012, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, est annulée en ce qu’elle a inscrit le nom de Moallem Insurance Co. sur la liste figurant dans l’annexe II de la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC.

2)      Le règlement d’exécution (UE) n° 1264/2012 du Conseil, du 21 décembre 2012, mettant en œuvre le règlement (UE) n° 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran, est annulé en ce qu’il a inscrit le nom de Moallem Insurance sur la liste figurant dans l’annexe IX du règlement (UE) n° 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) n° 961/2010.

3)      Les effets de la décision 2012/829 et du règlement d’exécution n° 1264/2012 sont maintenus, en ce qui concerne Moallem Insurance, depuis leur entrée en vigueur jusqu’à la date d’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, jusqu’au rejet du pourvoi.

4)      Le Conseil de l’Union européenne supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par Moallem Insurance.


van der Woude

Wiszniewska-Białecka

Ulloa Rubio

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 juillet 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.