Language of document : ECLI:EU:T:2006:385

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

12 décembre 2006 (*)

« Aides d’État – Législation prévoyant des mesures urgentes d’intensification de la concurrence dans le secteur de la distribution au détail des produits pétroliers – Décision de ne pas soulever d’objections – Recevabilité – Personnes morales – Acte les concernant individuellement – Erreur manifeste d’appréciation – Obligation de motivation – Obligation d’ouvrir la procédure formelle d’examen – Délai raisonnable »

Dans l’affaire T‑95/03,

Asociación de Empresarios de Estaciones de Servicio de la Comunidad Autónoma de Madrid, établie à Madrid (Espagne),

Federación Catalana de Estaciones de Servicio, établie à Barcelone (Espagne),

représentées par Mes J. M. Jiménez Laiglesia, M. Delgado Echevarría et R. Ortega Bueno, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. J. Buendía Sierra, en qualité d’agent, assisté de Mes J. Rivas Andrés et J. Gutiérrez Gisbert, avocats,

partie défenderesse,

soutenue par

Royaume d’Espagne, représenté initialement par M. E. Braquehais Conesa, puis par M. Muñoz Pérez, en qualité d’agents,

et

Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED), établie à Madrid, représentée par Mes J. Pérez-Bustamante Köster et J. Passás Ogallar, avocats,

parties intervenantes,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision C (2002) 4355 final de la Commission, du 13 novembre 2002, relative à la législation espagnole concernant l’ouverture des stations-service par les hypermarchés,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (deuxième chambre élargie),

composé de MM. J. Pirrung, président, A. W. H. Meij, N. J. Forwood, Mme I. Pelikánová et M. S. Papasavvas, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 octobre 2005,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1.     Réglementation espagnole

1        L’article 47, paragraphe 2, de la Constitution espagnole prévoit que « [l]a communauté participera aux plus-values résultant des mesures en matière d’urbanisme adoptées par les entités publiques ».

2        Les articles 3, 7, 8, 14 et 18 de la Ley 6/1998 sobre Régimen del Suelo y Valoraciones (loi sur le régime du sol et les valorisations, ci-après la « LRSV ») prévoient :

« Article 3

La participation de la communauté aux plus-values résultant des mesures en matière d’urbanisme adoptées par les entités publiques aura lieu dans les termes fixés par la présente loi et les autres lois applicables.

[…]

Article 7

Aux fins de la présente loi, le sol est classé en sol urbain, sol urbanisable et sol non urbanisable, ou en classes équivalentes réglementées par la législation urbanistique.

Article 8

Aux fins de la présente loi, sont considérés comme sol urbain :

a)      le sol déjà transformé en ce qu’il dispose, au minimum, d’un accès routier, d’un raccordement à l’eau, d’une évacuation des eaux et de la fourniture d’électricité, ou parce qu’il est consolidé en vue de la construction en la forme et selon les caractéristiques établies par la législation urbanistique ;

b)      les terrains qui ont été urbanisés en exécution de la planification et conformément à celle-ci.

[…]

Article 14

1.       Les propriétaires de terrains urbains consolidés pour l’urbanisation doivent compléter, à leurs frais, l’urbanisation nécessaire pour que ces terrains acquièrent – s’ils ne l’ont pas déjà – la qualité de terrains constructibles, et construire dans les délais requis dans le cas où les terrains sont situés dans des zones pour lesquelles le plan d’urbanisme prévoit une telle obligation, et conformément à celui-ci.

2.      Les propriétaires de terrains urbains non consolidés sont tenus des obligations suivantes :

[…]

c)      céder obligatoirement et gratuitement à l’administration compétente la parcelle correspondant à 10 % du profit tiré de la zone correspondante ; ce pourcentage, qui est un plafond, peut être réduit par la législation urbanistique ; de même, cette législation peut réduire la participation de l’administration compétente aux charges d’urbanisme afférentes audit sol.

[…]

Article 18

La transformation du sol classé comme urbanisable comportera pour les propriétaires de ce dernier les obligations suivantes :

[…]

4)      céder obligatoirement et gratuitement à l’administration compétente la parcelle correspondant à 10 % du profit tiré du secteur ou de la zone correspondants ; ce pourcentage, qui est un plafond, peut être réduit par la législation urbanistique ; de même, cette législation peut réduire la participation de l’administration compétente aux charges d’urbanisme afférentes audit sol.

[…] »

3        La première disposition transitoire (ci-après la « DT 1 ») du Real Decreto Ley 6/2000, de Medidas Urgentes de Intensificación de la Competencia en Mercados de Bienes y Servicios (décret-loi royal portant mesures urgentes d’intensification de la concurrence sur les marchés des biens et des services, ci-après le « décret-loi ») prévoit :

« Les [hypermarchés] qui sont en activité au jour de l’entrée en vigueur du [décret-loi], et qui disposent à cet effet de l’autorisation municipale d’ouverture, peuvent être équipés, conformément à l’article 3 du [décret-loi], d’installations pour la fourniture de produits pétroliers répondant aux prescriptions suivantes :

a)       L’espace occupé par les installations et les équipements indispensables à la fourniture [des produits en cause] n’entre pas dans le calcul de la surface constructible ou de la surface d’occupation.

b)       Les autorisations municipales requises pour la construction d’installations et leur fonctionnement sont considérées comme accordées en cas de silence de l’administration, lorsque celle-ci n’a pas notifié de décision expresse dans les quarante-cinq jours qui suivent la date d’introduction de la demande.

c)       L’établissement commercial est, en tout état de cause, tenu de réaliser les infrastructures de connexion des installations de fourniture des produits pétroliers aux systèmes généraux externes et d’en supporter les frais, en respectant les prescriptions et les conditions fixées dans le plan [d’urbanisme]. »

4        L’article 19, paragraphe 1, de la Ley 16/1989 de Defensa de la Competencia (loi sur la protection de la concurrence) prévoit que « [l]es dispositions du présent article s’entendent sans préjudice des articles 87 à 89 [CE] […] et du règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil, du 22 mars [1999, portant modalités d’application de l’article 88 CE (JO L 83, p. 1)] ».

2.     Décret-loi et DT 1

5        Le 23 juin 2000, le gouvernement espagnol a adopté le décret-loi, dont l’objet était d’intensifier la concurrence sur les marchés des biens et des services espagnols, notamment sur le marché de la distribution au détail des produits pétroliers. Le décret-loi, qui contenait la DT 1, n’a pas fait l’objet d’une notification préalable auprès de la Commission en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE.

3.     Procédure devant la Commission

6        Le 20 juillet 2000, l’Asociación de Empresarios de Estaciones de Servicio de la Comunidad Autónoma de Madrid (Association des exploitants des stations-service de la communauté autonome de Madrid), la Federación Catalana de Estaciones de Servicio (Fédération catalane des stations-service) et la Confederación Española de Estaciones de Servicio (Confédération espagnole des stations-service) ont saisi la Commission d’une plainte au titre de l’article 20 du règlement n° 659/1999. Les plaignantes alléguaient que l’adoption de la DT 1 entraînait l’octroi d’aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE en faveur des propriétaires des hypermarchés et demandaient à la Commission d’enjoindre la suspension de ces aides et d’ouvrir une procédure formelle d’examen en vertu de l’article 4, paragraphe 4, du règlement n° 659/1999.

7        Les plaignantes ont communiqué des informations et des arguments supplémentaires à la Commission à plusieurs reprises au cours des années 2000 et 2001. Des conversations téléphoniques et des rencontres entre les représentants légaux des plaignantes et les fonctionnaires de la Commission ont également eu lieu pendant cette période.

8        Le 28 décembre 2000, la Commission a invité le Royaume d’Espagne à se prononcer sur l’objet de la plainte et à lui fournir des renseignements complémentaires. Le Royaume d’Espagne a transmis sa réponse par lettre du 13 février 2001.

9        Par lettre du 8 février 2002, la Commission a informé les plaignantes que, après avoir procédé à une analyse préliminaire sur la base des informations disponibles, elle estimait que la DT 1 n’était pas financée au moyen de ressources publiques et que, dès lors, il n’y avait pas de motifs suffisants pour poursuivre l’examen.

10      Par lettre du 8 mars 2002, les plaignantes ont formulé des observations supplémentaires. Le 18 septembre 2002, les plaignantes, s’appuyant sur l’article 232 CE, ont demandé à la Commission d’adopter une décision conformément à l’article 13 du règlement n° 659/1999.

4.     Décision attaquée

11      Le 13 novembre 2002, la Commission a adopté la décision C (2002) 4355 final constatant l’absence d’aides d’État (ci-après la « décision attaquée »).

12      En ce qui concerne la DT 1, sous a), la Commission considère, en premier lieu, que cette disposition constitue une modification des caractéristiques du sol établies par le plan général d’aménagement urbain, puisqu’elle permet aux hypermarchés, ayant épuisé la surface maximale constructible fixée par ce même plan, de construire une station-service sans devoir détruire une construction préexistante. Ainsi, les bénéficiaires de la DT 1 n’ont plus à négocier avec les municipalités l’obtention d’une modification des caractéristiques du sol sur lequel ils envisagent d’implanter la station-service. Or, la Commission estime, en s’appuyant sur les articles 8 et 14 de la LRSV que, les hypermarchés étant situés sur des terrains urbains consolidés, leurs propriétaires n’ont pas l’obligation selon le droit espagnol de céder à l’administration locale une partie des plus-values résultant de la possibilité de construction supplémentaire. Dès lors, la DT 1 n’exempterait pas les propriétaires des hypermarchés d’une obligation de cession au profit de l’État. Cette position serait étayée par l’arrêt du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle espagnole) n° 54/2002 (ci-après l’« arrêt 54/2002 »), selon lequel la législation nationale interdit toute cession obligatoire, par les propriétaires des terrains urbains consolidés, des plus-values résultant de l’extension du droit de bâtir.

13      En second lieu, la Commission estime que la DT 1, sous a), ne modifie pas la destination du sol sur lequel sont implantés les hypermarchés d’après le plan municipal pertinent. En effet, selon la Commission, cette disposition se réfère uniquement à la surface constructible et aux limites d’occupation. Dès lors, si la destination du sol ne permet pas d’implanter une station-service, son propriétaire serait tenu de demander sa modification selon la procédure administrative prévue.

14      La Commission estime en outre que la DT 1, sous b), ne fait que réduire la durée du silence de l’administration et ne déroge pas à l’obligation du titulaire d’un permis de construire d’acquitter les taxes relatives à sa délivrance.

15      Enfin, la Commission affirme que les propriétaires des hypermarchés sont obligés d’obtenir les autorisations nécessaires pour la construction et le fonctionnement d’installations de vente au détail des produits pétroliers et que ces installations doivent respecter les normes techniques en vigueur. La Commission en déduit que, sur ce point, les propriétaires des hypermarchés ne bénéficient pas d’un traitement plus favorable que les autres opérateurs du secteur.

16      En conclusion, la Commission estime, en s’appuyant sur l’article 14 de la LRSV et sur son interprétation par le Tribunal Constitucional, que la législation espagnole interdit l’imposition de toute obligation de cession d’une partie des plus-values aux propriétaires des terrains urbains consolidés, tels les propriétaires des hypermarchés, visés par la DT 1. La Commission en déduit que la DT 1 ne comporte aucune perte de ressources publiques ou renonciation à la perception de ces dernières et que, dès lors, il s’agit d’une décision étatique de nature réglementaire n’impliquant aucun transfert direct ou indirect des ressources de l’État. Pour cette raison, elle conclut que la DT 1 ne constitue pas une aide d’État au sens de l’article 87 CE.

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 8 mars 2003, l’Asociación de Empresarios de Estaciones de Servicio de la Comunidad Autónoma de Madrid et la Federación Catalana de Estaciones de Servicio ont introduit le présent recours.

18      Le 19 juin 2003, le Royaume d’Espagne a demandé à intervenir au soutien de la partie défenderesse. Par ordonnance du 22 septembre 2003, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a admis cette intervention. Le Royaume d’Espagne a déposé son mémoire en intervention le 5 décembre 2003. Les autres parties ont renoncé à présenter des observations sur celui-ci.

19      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 4 septembre 2003, les requérantes ont renoncé à la présentation d’un mémoire en réplique.

20      Le 11 mars 2004, l’Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución (ANGED, Association nationale des grandes entreprises de distribution) a demandé à intervenir au soutien de la partie défenderesse. La défenderesse et les requérantes ont présenté leurs observations sur cette demande respectivement les 25 et 31 mars 2004. La demande ayant été présentée après l’expiration du délai de six semaines visé à l’article 115, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a admis l’ANGED, par ordonnance du 17 mai 2004, à présenter ses observations lors de la procédure orale en vertu de l’article 116, paragraphe 6, du règlement de procédure.

21      Par lettre du 13 juin 2005, le Tribunal a demandé aux requérantes, à la Commission et au Royaume d’Espagne de lui communiquer un document et de répondre à certaines questions. Les parties ont répondu à cette invitation dans le délai imparti.

22      Le 5 octobre 2005, la Commission a communiqué au Tribunal deux arrêts du Tribunal Superior de Justicia de Madrid (Cour supérieure de justice de Madrid) datant de mai et de juillet 2005 qui seraient, selon elle, pertinents pour la solution du litige. La Commission a indiqué qu’elle a eu connaissance de ces arrêts à la fin du mois de septembre 2005.

23      Le 14 octobre 2005, les requérantes ont présenté leurs observations sur les arrêts du Tribunal Superior de Justicia de Madrid présentés par la Commission. En annexe à leurs observations, les requérantes ont présenté, d’une part, des extraits du dossier administratif relatif à l’un des arrêts du Tribunal Superior de Justicia de Madrid et, d’autre part, une série de conventions urbanistiques conclues par des particuliers avec des autorités locales espagnoles.

24      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 18 octobre 2005.

25      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner la Commission aux dépens.

26      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        se prononcer sur la recevabilité du recours ;

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

27      Le Royaume d’Espagne et l’ANGED concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 Sur la recevabilité

1.     Sur la recevabilité de certaines annexes aux observations des requérantes du 14 octobre 2005

28      En annexe à leurs observations du 14 octobre 2005 relatives aux arrêts du Tribunal Superior de Justicia de Madrid présentés par la Commission, les requérantes ont communiqué une série d’extraits des bulletins officiels des communautés autonomes espagnoles, datés des 9 mai 2003, 17 février 2004, 28 mars et 1er juillet 2005, concernant certaines conventions urbanistiques conclues entre des particuliers et des autorités locales.

29      Il convient d’observer, en premier lieu, que, contrairement aux allégations des requérantes, ces documents ne se rapportent pas aux arrêts du Tribunal Superior de Justicia de Madrid présentés par la Commission et, de ce fait, ne peuvent être considérés comme une réaction à la communication par la Commission desdits arrêts.

30      En deuxième lieu, force est de constater que l’existence des conventions urbanistiques, telles que celles concernées par les extraits communiqués, a été invoquée par les requérantes dans leur requête, ainsi que par ailleurs dans leur plainte devant la Commission. Dès lors, les requérantes ne sauraient prétendre que, en communiquant lesdits extraits au Tribunal, elles répondent à un argument nouveau qui serait soulevé par la Commission dans ses observations du 5 octobre 2005.

31      En troisième lieu, il convient de relever que les requérantes ne font pas valoir de motif pour lequel elles n’étaient pas en mesure de communiquer les extraits concernés à une date antérieure.

32      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’écarter du dossier, en vertu de l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, les extraits des bulletins officiels des communautés autonomes espagnoles déposés en annexe aux observations des requérantes du 14 octobre 2005 en raison de leur présentation tardive.

2.     Sur la recevabilité du recours

 Arguments des parties

33      Sans invoquer une fin de non-recevoir par un acte séparé, la Commission considère que le recours est irrecevable.

34      S’appuyant sur la jurisprudence, la Commission estime que le recours formé par les requérantes, qui sont des associations d’entreprises, peut être recevable dans deux hypothèses seulement. La première hypothèse est celle où les membres des requérantes pourraient également former un recours à titre individuel. Dans la seconde hypothèse, la décision attaquée devrait affecter la position de négociatrices des requérantes. Selon la Commission, le recours présenté par les requérantes ne satisfait à aucune de ces exigences.

35      La Commission est d’avis, en premier lieu, que les membres des requérantes ne sont pas directement et individuellement concernés par la décision attaquée. En effet, la décision attaquée n’affecterait la position concurrentielle des membres des requérantes qu’indirectement et potentiellement. Dès lors, les membres des requérantes ne seraient pas recevables à introduire un recours en annulation contre la décision attaquée. En deuxième lieu, la Commission estime que ni la position de négociatrices des requérantes, ni leur rôle d’interlocuteur important n’ont été affectés par la décision attaquée. Lors de l’audience, la Commission a ajouté que les requérantes n’ont pas présenté de données précises relatives à l’affectation sensible de la position de leurs membres par la DT 1.

36      En réponse à l’argument relatif à l’inexistence de voies de recours nationales, la Commission fait observer que le mécanisme prévu à l’article 19 de la Ley de Defensa de la Competencia, dont l’efficacité est remise en question par les requérantes, ne concerne que l’application des dispositions nationales relatives aux aides d’État. Or, selon la Commission, les requérantes auraient pu se prévaloir devant les juridictions espagnoles de l’effet direct de l’article 88, paragraphe 3, CE, en invoquant la présence d’aides illégales. Dès lors, les requérantes ne seraient pas privées d’une protection juridictionnelle effective.

37      Le Royaume d’Espagne se rallie aux arguments de la Commission. Il souligne que la Confederación Española de Estaciones de Servicio, association à caractère national, n’a pas participé au présent recours alors qu’elle avait participé à la procédure administrative devant la Commission, ce qui confirmerait le défaut de qualité pour agir des requérantes. Lors de l’audience, le Royaume d’Espagne a exposé, d’une part, que les requérantes disposent de voies de recours nationales efficaces et, d’autre part, que la présente affaire ne pouvait pas donner lieu à l’application de la jurisprudence issue des arrêts de la Cour du 19 mai 1993, Cook/Commission (C‑198/91, Rec. p. I‑2487), et du 15 juin 1993, Matra/Commission (C‑225/91, Rec. p. I‑3203), en raison de ce que, en l’espèce, les requérantes n’invoquaient pas une violation de leurs droits procéduraux.

38      Les requérantes considèrent que leur recours est recevable. Elles estiment, en premier lieu, qu’elles ont qualité pour agir, puisque leurs droits sont directement affectés par la décision attaquée. En effet, la DT 1 n’ayant pas été notifiée par le Royaume d’Espagne, la Commission aurait procédé à son examen sur le fondement de leur plainte. En outre, les requérantes seraient restées constamment en contact avec les fonctionnaires de la Commission instruisant l’affaire, elles auraient présenté leurs observations à la Commission et auraient guidé la Commission dans son analyse de la DT 1. Les requérantes font également valoir que la lettre de la Commission du 8 février 2002 contenant la position préliminaire de la Commission (voir point 9 ci‑dessus) leur serait adressée exclusivement et que la décision attaquée, dans laquelle elles ont été mentionnées à plusieurs reprises, leur aurait été remise après avoir été envoyée au Royaume d’Espagne. Enfin, les requérantes auraient agi devant la Commission, par le passé, pour défendre les intérêts professionnels de leurs membres, en conformité avec leurs statuts.

39      En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que leurs membres, qui sont des concurrents directs des bénéficiaires de la DT 1, seraient concernés par la décision attaquée. En effet, l’application de la DT 1 entraînerait un préjudice grave pour les propriétaires des stations‑service déjà installées ou en cours d’installation dans les zones d’influence des hypermarchés. Le fait que les bénéficiaires de la DT 1 ne seraient pas obligés d’effectuer une cession au profit de l’État afin d’ouvrir une station-service représenterait pour eux un avantage concurrentiel par rapport aux autres opérateurs.

40      En dernier lieu, les requérantes font valoir qu’elles n’ont aucun moyen d’action en Espagne pour dénoncer l’octroi d’aides d’État. En effet, la seule voie qui existerait, à savoir le mécanisme prévu à l’article 19 de la Ley de Defensa de la Competencia, serait dépourvue de toute efficacité dans la pratique, puisqu’elle ne permettrait pas aux particuliers de dénoncer des aides octroyées ou de participer à la procédure en tant qu’intervenants. En outre, le Tribunal de Defensa de la Competencia (Tribunal de la concurrence) aurait le pouvoir discrétionnaire d’adopter une décision en matière d’aides et d’émettre un rapport, qui cependant ne lierait pas le gouvernement espagnol en ce qui concerne la modification ou la suppression des mesures litigieuses.

 Appréciation du Tribunal

41      Selon la jurisprudence, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait (arrêts de la Cour du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223 ; Cook/Commission, précité, point 20 ; Matra/Commission, précité, point 14, et du 13 décembre 2005, Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, C‑78/03 P, Rec. p. I‑10737, point 33).

42      De même, une association chargée de défendre les intérêts collectifs d’entreprises n’est en principe recevable à introduire un recours en annulation contre une décision finale de la Commission en matière d’aides d’État que si les entreprises en question le sont également à titre individuel ou si elle peut faire valoir un intérêt propre à la poursuite de l’action, notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l’acte dont l’annulation est demandée (arrêt du Tribunal du 29 septembre 2000, CETM/Commission, T‑55/99, Rec. p. II‑3207, point 23).

43      Il appartient dès lors au Tribunal, dans un premier temps, de vérifier si, en l’espèce, les membres des requérantes, ou du moins certains d’entre eux, peuvent être considérés comme individuellement concernés par la décision attaquée.

44      À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État prévue à l’article 88 CE, doivent être distinguées, d’une part, la phase préliminaire d’examen des aides instituée par le paragraphe 3 de cet article, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide en cause et, d’autre part, la phase d’examen visée au paragraphe 2 du même article. Ce n’est que dans le cadre de cette dernière, qui est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données de l’affaire, que le traité CE prévoit l’obligation, pour la Commission, de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations (arrêts de la Cour Cook/Commission, précité, point 22 ; Matra/Commission, précité, point 16 ; du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, Rec. p. I‑1719, point 38, et Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, point 34).

45      Lorsque, sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, la Commission constate, par une décision prise sur le fondement du paragraphe 3 du même article, qu’une aide est compatible avec le marché commun, les bénéficiaires des garanties de procédure prévues au paragraphe 2 de cet article ne peuvent en obtenir le respect que s’ils ont la possibilité de contester la décision fondée sur le paragraphe 3 devant le juge communautaire (arrêts Cook/Commission, précité, point 23 ; Matra/Commission, précité, point 17 ; Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 40, et Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, point 35).

46      Pour ces motifs, le juge communautaire déclare recevable un recours visant à l’annulation d’une décision fondée sur l’article 88, paragraphe 3, CE, introduit par un intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, lorsque l’auteur de ce recours tend, par l’introduction de celui-ci, à faire sauvegarder les droits procéduraux qu’il tire de cette dernière disposition (arrêt Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, point 35 ; voir également, en ce sens, arrêts Cook/Commission, précité, points 23 à 26, et Matra/Commission, précité, points 17 à 20).

47      Or, les intéressés au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, qui peuvent ainsi, conformément à l’article 230, quatrième alinéa, CE, introduire des recours en annulation, sont les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l’octroi d’une aide, c’est-à-dire notamment les entreprises concurrentes des bénéficiaires de cette aide et les organisations professionnelles (arrêts Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, point 41, et Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, point 36).

48      En revanche, si le requérant met en cause le bien-fondé de la décision d’appréciation de l’aide en tant que telle, le simple fait qu’il puisse être considéré comme intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours. Il doit alors démontrer qu’il a un statut particulier au sens de l’arrêt Plaumann/Commission, précité. Il en serait notamment ainsi au cas où la position sur le marché du requérant serait substantiellement affectée par l’aide faisant l’objet de la décision en cause (arrêt Commission/Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum, précité, point 37).

49      Par le présent recours, les requérantes contestent le bien‑fondé de la décision attaquée. Dès lors, il convient d’examiner si elles ont indiqué de manière pertinente les raisons pour lesquelles la DT 1 est susceptible d’affecter substantiellement la position de certains au moins de leurs membres sur le marché espagnol de la distribution au détail des produits pétroliers.

50      Il y a lieu d’observer à cet égard que, contrairement aux allégations de la Commission, les précisions fournies par les requérantes lors de l’audience en ce qui concerne plus spécifiquement la situation de certains de leurs membres ne sauraient être considérées comme tardives en application de l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure. Elles se situent en effet dans le prolongement du débat entre les parties (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 26 septembre 2002, Sgaravatti Mediterranea/Commission, T‑199/99, Rec. p. II‑3731, points 67 et 70), puisqu’elles se limitent à compléter, en réponse aux arguments d’irrecevabilité de la Commission, l’argumentation avancée dans la requête, selon laquelle la DT 1 aurait un impact négatif sur la position concurrentielle des entreprises exploitant des stations-service, telles que les membres des requérantes. En tout état de cause, les conditions de recevabilité du recours pouvant être examinées à tout moment d’office par le juge communautaire, rien ne l’empêche de tenir compte des indications complémentaires fournies lors de l’audience.

51      Quant aux membres des requérantes, celles‑ci représentent, selon leur réponse écrite aux questions du Tribunal dont l’exactitude n’a pas été contestée, plus d’un quart de toutes les stations‑service existant en Espagne et, plus particulièrement, 85 % des stations-service de la communauté autonome de Madrid et 70 % des stations-service de Catalogne.

52      Il convient ensuite de constater que, ainsi que le Royaume d’Espagne l’a indiqué, la finalité de la DT 1 était de faciliter l’entrée des hypermarchés sur le marché espagnol de la distribution au détail des produits pétroliers afin d’intensifier la concurrence sur ce dernier marché. Or, une telle intensification est susceptible de modifier substantiellement la situation concurrentielle sur le marché de manière défavorable pour certains des autres exploitants de stations-service.

53      Par ailleurs, il ressort des renseignements présentés au Tribunal par la Commission que le nombre de stations‑service intégrées dans des hypermarchés serait passé de 80 à 157 entre 2001 et 2003. Si, ainsi que la Commission l’a fait valoir lors de l’audience, ce dernier chiffre ne représente qu’un pourcentage faible par rapport au nombre total des stations-service en Espagne, qui était de l’ordre de 8 600, il n’en demeure pas moins que l’augmentation considérable du nombre des stations-service ouvertes dans des hypermarchés ne correspond pas à l’évolution du nombre total des stations-service, qui n’a connu qu’une légère hausse de l’ordre de 1 % pendant la période concernée. Or, conformément aux indications fournies par le Royaume d’Espagne lors de l’audience, cette évolution disproportionnée du nombre des stations‑service intégrées dans les hypermarchés est due, tout au moins en partie, aux effets de la DT 1.

54      Enfin, lors de l’audience, les requérantes ont évoqué, sans être contestées par les autres parties, la situation de plusieurs stations-service exploitées par leurs membres qui ont connu une chute importante du volume de leurs ventes, conduisant dans certains cas à la cessation de leur activité, à la suite de l’ouverture d’une station‑service par un hypermarché voisin. Les requérantes ont également fait observer que le volume des produits pétroliers vendus par les stations-service intégrées dans les hypermarchés a augmenté considérablement.

55      Au vu de ces éléments, il y a lieu de constater qu’il a été établi que la mesure étatique litigieuse était susceptible d’affecter substantiellement la situation concurrentielle de certains membres des requérantes, lesquelles ont dès lors qualité pour agir contre la décision attaquée.

56      Pour ces motifs, le recours doit être déclaré recevable, sans qu’il soit nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur la qualité propre à agir des associations requérantes, résultant prétendument de ce que la décision attaquée aurait affecté leur position de négociatrices, ou encore sur l’absence alléguée de voie de recours en droit national espagnol.

 Sur le fond

1.     Sur le premier moyen, tiré d’une appréciation manifestement erronée de la législation espagnole

 Sur la première branche, tirée de l’appréciation manifestement erronée de l’obligation de cession des plus-values

 Arguments des parties

57      Les requérantes affirment que, dans la décision attaquée, lorsqu’elle a conclu que la DT 1 n’exonérait pas les propriétaires des hypermarchés d’une obligation de cession au profit de l’État, la Commission a omis de prendre en compte l’obligation générale de cession des plus-values résultant des mesures en matière d’urbanisme, consacrée par la Constitution espagnole, la législation nationale, les législations des communautés autonomes ainsi que par une pratique administrative. En effet, les propriétaires des hypermarchés seraient exonérés de cette obligation par la DT 1 et seraient dès lors en mesure d’accéder au marché de la distribution au détail des produits pétroliers sans avoir à supporter les charges auxquelles font face les autres opérateurs économiques.

58      Selon les requérantes, en vertu de l’obligation précitée, les propriétaires des terrains de tous types, y compris ceux des terrains urbains consolidés, seraient tenus de céder à l’administration locale une partie des plus-values résultant pour leurs terrains des mesures en matière d’urbanisme adoptées par cette même administration, quelle que soit la forme exacte de ces mesures. Cette obligation serait consacrée par l’article 47, paragraphe 2, de la Constitution espagnole, qui ne serait pas mis en œuvre par les seules obligations de cession prévues à l’article 14 de la LRSV, lequel est le seul article examiné dans la décision attaquée et ne concernerait que la cession obligatoire d’une partie des terrains dans le cadre de l’urbanisation.

59      À cet égard, les requérantes s’opposent à l’interprétation de l’arrêt 54/2002 faite par la Commission, lorsque celle-ci a affirmé au considérant 34 de la décision attaquée que, en vertu de cet arrêt, la législation nationale interdit toute cession obligatoire des plus-values relatives à un terrain urbain consolidé, niant ainsi l’existence de l’obligation générale de cession. Elles soutiennent que, d’une part, cet arrêt n’avait pas pour but de définir la portée de l’article 14 de la LRSV, et que, d’autre part, il ne concernait que l’obligation de cession de terrain prévue à ce même article. Dès lors, cet arrêt ne concernait pas l’obligation de cession plus générale invoquée par elles.

60      Les requérantes poursuivent en faisant observer que la Constitution espagnole consacre un droit de l’État d’exiger des cessions de plus‑values et, en fin de compte, une obligation de les exiger. Les requérantes expliquent que l’article 47, paragraphe 2, de la Constitution espagnole instaure une obligation irrécusable pour l’État, qui doit être mise en œuvre par la législation, la pratique juridictionnelle et l’action des pouvoirs publics. Elles précisent que le fait de renoncer à exiger le respect de cette obligation dans un cas donné pourrait constituer un traitement favorable discriminatoire et, de ce fait, être considéré comme illégal.

61      Afin d’étayer leur thèse, les requérantes citent des mesures législatives des communautés autonomes qui reflètent selon elles ladite obligation générale et, en même temps, précisent les modalités de son exercice, notamment en déterminant les diverses formes que peut revêtir la cession des plus-values.

62      En outre, les requérantes affirment qu’il existe en Espagne une pratique administrative générale de conclusion de conventions urbanistiques entre les particuliers et les administrations locales. Une telle convention, qui est de nature administrative et dont la conclusion et le régime sont définis par les législations des communautés autonomes, serait conclue lorsqu’un particulier désire obtenir de la part de l’administration locale une certaine mesure urbanistique consistant en une modification de la planification en vigueur. En contrepartie de l’engagement de l’administration locale concernée à adopter la mesure sollicitée, le cocontractant s’engagerait à une prestation, pécuniaire ou autre, correspondant à une partie des plus-values résultant de la mesure en question, au profit de l’administration locale.

63      Les requérantes ajoutent que l’absence de réglementation prévoyant pour chaque cas les modalités précises et le montant de l’obligation de cession du propriétaire du terrain concerné ne peut pas être interprétée comme attestant l’inexistence d’une telle obligation. En effet, cette absence serait due à la nature hétérogène des mesures urbanistiques qui peuvent conduire à la naissance d’une telle obligation, et au fait que la législation ne peut pas prévoir tous les cas de figure possibles. Dès lors, les autorités locales détermineraient et négocieraient les modalités et les montants correspondants cas par cas, pour les fixer ensuite par la signature d’une convention urbanistique avec le particulier concerné. Les requérantes soulignent que, grâce à l’existence de la DT 1, les propriétaires des hypermarchés désirant ouvrir une station-service ne seraient plus soumis à ce procédé, à savoir la négociation avec l’administration locale des conditions de la mesure urbanistique sollicitée, la conclusion d’une convention urbanistique et, finalement, la cession à l’administration des plus-values, sous la forme prévue par la convention.

64      La licéité et la validité de ces conventions urbanistiques ainsi que de l’obligation de cession générale dont elles sont l’expression auraient été confirmées à de nombreuses reprises par les juridictions espagnoles. Le fait que cette pratique est courante serait en outre attesté par l’existence de modèles standard de conventions urbanistiques ainsi que de nombreux écrits doctrinaux consacrés à ce sujet.

65      Le Tribunal de Defensa de la Competencia aurait également reconnu cette pratique administrative comme un mécanisme de négociation pour obtenir une modification de la planification urbanistique de la part de l’administration. Enfin, l’existence de cette pratique ainsi que ses effets néfastes auraient été également constatés par les chefs d’entreprises espagnols.

66      Les requérantes estiment en outre que la seule existence de la DT 1 est une preuve de l’existence de l’obligation générale de cession alléguée. En effet, selon elles, si aucune charge n’était impliquée par l’extension du droit de bâtir, la mesure litigieuse serait dénuée de toute pertinence. Elles ajoutent que, dans la mesure où la législation prévoit l’obligation de l’administration d’indemniser les particuliers au cas où une mesure urbanistique leur causerait un préjudice, un droit corrélatif, celui d’exiger des particuliers une partie des plus-values résultant de la mesure urbanistique, doit également exister.

67      Les requérantes concluent en faisant observer que, si l’interprétation de l’arrêt 54/2002 défendue par la Commission était correcte, l’impôt sur l’augmentation de la valeur des terrains de nature urbaine serait illégal vis-à-vis des propriétaires des terrains urbains consolidés. Or, tel ne serait pas le cas.

68      La Commission réfute l’existence d’une obligation de cession des plus‑values urbanistiques, telle que celle alléguée par les requérantes, qui serait applicable aux propriétaires des terrains urbains consolidés, et donc aux propriétaires des hypermarchés. Elle fait observer qu’une telle obligation, d’une part, ne serait pas prévue par la législation espagnole en vigueur et, d’autre part, ne saurait être imposée par une loi d’une communauté autonome ou par une pratique administrative.

69      Le Royaume d’Espagne nie l’existence des formes de participation de l’État aux plus-values autres que celle prévue à l’article 14 de la LRSV. Il expose que la pratique des conventions urbanistiques n’est ni généralisée ni obligatoire, puisqu’elle relève de la liberté d’action reconnue aux administrations locales par l’ordre juridique espagnol. Dès lors, selon le Royaume d’Espagne, cette pratique ne peut pas être invoquée pour justifier la non-participation de l’État aux plus-values.

 Appréciation du Tribunal

70      Il y a lieu d’examiner la thèse défendue par les requérantes, selon laquelle l’obligation générale de cession des plus-values urbanistiques, applicable aux propriétaires de tous types de terrain, d’une part, est consacrée par l’article 47, paragraphe 2, de la Constitution espagnole, par la législation nationale et par celle des communautés autonomes et, d’autre part, résulte d’une pratique administrative de conclusion de conventions urbanistiques.

–       Sur l’existence d’une réglementation prévoyant une obligation de cession des plus-values

71      En premier lieu, il convient d’observer que l’article 47, paragraphe 2, de la Constitution espagnole, selon lequel « [l]a communauté participera aux plus-values résultant des mesures en matière d’urbanisme adoptées par les entités publiques », est formulé d’une manière générale et abstraite. Il apparaît donc que, ainsi que cela a été soutenu par la Commission et le Royaume d’Espagne, cette disposition doit être mise en oeuvre par la législation. Au vu des éléments du dossier, il y a lieu de conclure que cette mise en œuvre est le fait de la LRSV. En effet, l’article 3 de la LRSV reprend la formulation constitutionnelle en disposant que « [l]a participation de la communauté aux plus-values résultant des mesures en matière d’urbanisme adoptées par les entités publiques aura lieu dans les termes fixés par la présente loi et les autres lois applicables ».

72      Ainsi, l’article 3 de la LRSV prévoit que les obligations de cession des plus-values sont régies par les dispositions de ladite loi ou, le cas échéant, par une autre loi nationale. Les requérantes n’ayant pas invoqué d’autres lois nationales prévoyant des obligations de cession des plus-values, il y a lieu de procéder à l’examen des seules dispositions pertinentes de la LRSV.

73      La LRSV consacre ses articles 14 et 18 aux obligations des propriétaires des différents types de terrains. Des obligations de cession des plus‑values sont prévues à l’article 14, paragraphe 2, sous c), ainsi qu’à l’article 18. Ces obligations s’appliquent respectivement aux propriétaires des terrains urbains non consolidés et aux propriétaires des terrains urbanisables. En revanche, aucune obligation de cession des plus-values n’est prévue à l’article 14, paragraphe 1, qui énumère les obligations des propriétaires des terrains urbains consolidés. Dans la mesure où il n’est pas contesté en l’espèce que les hypermarchés sont situés sur des terrains urbains consolidés, il convient de conclure que la LRSV n’impose aucune obligation de cession des plus-values aux propriétaires de ces derniers.

74      En deuxième lieu, il ressort de l’analyse de l’article 3 de la LRSV, effectuée au point 72 ci‑dessus, que des obligations supplémentaires de cession des plus-values, applicables aux propriétaires des terrains urbains consolidés, ne sauraient être édictées par les communautés autonomes. Cette constatation est corroborée par l’arrêt 54/2002, selon lequel l’exclusion de toute cession obligatoire des plus-values urbanistiques relatives aux terrains urbains consolidés opérée par l’article 14, paragraphe 1, de la LRSV n’est susceptible d’aucune modification par les communautés autonomes. En tout état de cause, il convient d’observer que l’examen des législations des communautés autonomes présentées par les requérantes ne révèle pas l’existence d’obligations de cession des plus-values urbanistiques imposées aux propriétaires des terrains urbains consolidés. Il apparaît, dès lors, que l’objectif de ces législations est de prévoir les modalités d’exécution des obligations prévues par la LRSV plutôt que de poser une obligation de cession des plus-values supplémentaire, applicable à tous les types de terrains.

75      Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas établi l’existence, dans la législation espagnole, d’une obligation générale de cession des plus‑values urbanistiques applicable aux propriétaires des terrains urbains consolidés tels que les propriétaires des hypermarchés.

76      À cet égard, il y a lieu de rejeter la thèse des requérantes selon laquelle l’absence de réglementation prévoyant les modalités précises et le montant de l’obligation de cession ne peut pas être interprétée comme révélant l’inexistence de l’obligation de cession générale alléguée. En effet, ainsi qu’il a été exposé ci‑dessus, le législateur a omis de prévoir l’obligation elle-même, et non pas seulement les modalités de son exercice et de la fixation de son montant. De surcroît, à la lecture de l’arrêt 54/2002, l’omission du législateur semble être volontaire. En effet, le Tribunal Constitucional a observé que l’État disposait d’une large marge d’appréciation en ce qui concerne la participation de la communauté aux plus-values urbanistiques et que, dans le cadre de cette marge, il pouvait légitimement concentrer cette participation à certains types de terrains.

77      De même, il n’y a pas lieu d’accueillir l’argument des requérantes tiré de la diversité de formes que peut revêtir la contrepartie exigée du propriétaire d’un terrain au titre de la cession des plus-values. En effet, s’il est vrai que les articles pertinents de la LRSV prévoient que l’obligation revêtira la forme de la cession d’une parcelle, il n’en demeure pas moins que certaines législations des communautés autonomes citées par les requérantes prévoient la possibilité de remplacer la cession d’une parcelle par une autre forme de contrepartie. En outre, il a été constaté au point 74 ci‑dessus que des obligations supplémentaires de cession des plus-values ne sauraient être édictées par les communautés autonomes. Dès lors, il apparaît que les diverses formes de contrepartie ne sont que des expressions des obligations de cession prévues par la LRSV et que cette circonstance n’est donc pas susceptible d’établir l’existence d’une obligation de cession générale telle qu’alléguée par les requérantes.

78      Il y a également lieu de rejeter l’argument tiré de ce que la législation prévoit l’obligation pour l’administration d’indemniser les particuliers au cas où une mesure urbanistique leur causerait un préjudice. En effet, cette circonstance n’a pas pour conséquence inévitable l’existence d’un droit ou encore d’une obligation de l’État d’exiger des particuliers une partie des plus-values résultant de la mesure urbanistique. Il convient de rappeler à cet égard que, ainsi que cela a été exposé au point 76 ci‑dessus, il ressort de l’arrêt 54/2002 que l’État espagnol peut légitimement renoncer à la perception des plus-values liées à un certain type de terrain, et, par conséquent, ne pas prévoir d’obligation de cession correspondante.

79      En dernier lieu, l’argument des requérantes relatif à l’impôt sur l’augmentation de la valeur des terrains de nature urbaine doit également être écarté. En effet, il n’est pas contesté que la DT 1 n’a pas exonéré les propriétaires des hypermarchés de son acquittement, dans quelque mesure que ce soit. De même, il convient d’observer que cet impôt ne grève pas spécifiquement les plus-values urbanistiques, mais toute augmentation de valeur d’un terrain urbain indépendamment de sa cause. Dès lors, il n’apparaît pas que cet impôt pourrait être analysé comme une cession des plus-values urbanistiques. Enfin, les modalités générales de la perception de cet impôt sont prévues par la législation nationale, en l’espèce la Ley 39/1988, Reguladora de las Haciendas Locales (loi sur la régulation des finances locales). Ainsi, même dans l’hypothèse où cet impôt serait analysé dans la perspective d’une cession des plus-values urbanistiques, sa perception ne serait pas incompatible avec les dispositions de la LRSV et leur interprétation par l’arrêt 54/2002, exposées aux points 72 et 74 ci‑dessus, qui n’excluent pas que des obligations supplémentaires puissent être prévues par la législation nationale.

–       Sur l’existence d’une pratique administrative autorisant l’État à exiger la cession des plus-values

80      En ce qui concerne la pratique administrative alléguée par les requérantes, il ressort des éléments du dossier ainsi que des écrits des parties que les autorités locales ont la possibilité de procéder aux modifications de la planification par le biais des conventions urbanistiques conclues avec les particuliers. Cependant, l’interprétation par le Tribunal Constitucional des dispositions pertinentes de la LRSV, exposée au point 74 ci‑dessus, suggère que, lorsqu’une telle convention porte sur un terrain urbain consolidé, l’autorité locale ne peut pas exiger une contrepartie du particulier.

81      En tout état de cause, les éléments présentés par les requérantes ne permettent pas d’établir l’existence d’une pratique administrative généralisée, en vertu de laquelle les autorités locales s’engageraient systématiquement à modifier la planification applicable au profit du propriétaire d’un terrain urbain consolidé en contrepartie du transfert d’une partie des plus-values résultant de la modification.

82      En effet, en premier lieu, les législations des communautés autonomes présentées par les requérantes se bornent à prévoir, de façon générale, les modalités de la conclusion et de l’exécution de toutes sortes de conventions urbanistiques. Or, le simple fait que ce cadre juridique existe ne permet pas de conclure qu’il est utilisé de façon généralisée par les autorités locales, ou encore qu’il est utilisé pour exiger la cession des plus-values urbanistiques de la part des propriétaires des terrains urbains consolidés. À cet égard, force est d’observer que les réglementations citées par les requérantes ne prévoient pas que l’autorité locale serait tenue de conclure une convention urbanistique, ou encore que cette convention devrait impérativement prévoir une contrepartie de la part du particulier.

83      Les mêmes observations s’appliquent, en deuxième lieu, à la doctrine et aux modèles de conventions urbanistiques. En effet, les écrits doctrinaux présentés confirment en général que les autorités locales ont la possibilité de conclure des conventions urbanistiques pour modifier la planification en vigueur et les modèles montrent la forme que ces conventions peuvent prendre. Ces éléments ne permettent toutefois pas de vérifier dans quelle mesure la faculté offerte aux administrations locales est mise à profit, ni les modalités de son application.

84      En troisième lieu, en ce qui concerne les exemples de conventions urbanistiques et la jurisprudence des tribunaux espagnols présentés en annexe à la requête, il convient d’observer qu’une partie importante de ces éléments est fondée sur la législation nationale antérieure à la LRSV. Dès lors, en tant que tels, ils ne sauraient être invoqués à l’encontre de la motivation de la décision attaquée, qui est fondée principalement sur cette dernière loi et sur son interprétation par le Tribunal Constitucional. En outre, les conventions et les jugements communiqués concernent généralement des types de terrain autres que les terrains urbains consolidés, ou encore ne permettent pas de déterminer le type de terrain visé. Ainsi, ne sont-ils pas susceptibles d’établir l’existence d’une pratique administrative portant sur les terrains urbains consolidés.

85      En quatrième et dernier lieu, les rapports du Tribunal de Defensa de la Competencia ainsi que les observations des chefs d’entreprises traitent de problèmes généraux liés au système d’urbanisme espagnol en vigueur et à son application par les autorités locales. Cependant, les passages de ces documents cités par les requérantes, d’une part, se focalisent sur le processus d’urbanisation plutôt que sur les modifications des conditions d’utilisation des terrains déjà urbanisés et, d’autre part, ne présentent pas la problématique de la conclusion des conventions urbanistiques de manière suffisamment détaillée.

86      Il s’ensuit que les requérantes n’ont pas établi à suffisance de droit l’existence d’une pratique administrative généralisée en vertu de laquelle les autorités locales exigeraient, par le biais d’une convention urbanistique, des propriétaires des terrains urbains consolidés tels que les propriétaires des hypermarchés une cession des plus-values urbanistiques résultant d’une modification des conditions d’utilisation desdits terrains.

87      Pour conclure, il convient d’observer que la DT 1 a pour finalité de faciliter l’entrée des hypermarchés sur le marché de la distribution des produits pétroliers en supprimant certaines limitations d’ordre urbanistique et en allégeant les procédures administratives liées à l’implantation d’une station-service. Cependant, les requérantes n’ont pas établi que, par le biais de ces mesures, les propriétaires des hypermarchés étaient exonérés d’une obligation quelconque de cession au profit de l’État, prévue par la législation espagnole applicable ou résultant d’une pratique administrative généralisée des autorités locales. Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste en estimant que la DT 1 ne comportait pas de transfert direct ou indirect de ressources publiques et que, dès lors, elle ne pouvait pas être considérée comme une aide d’État. Il y a donc lieu de rejeter la première branche du premier moyen.

 Sur la seconde branche, tirée d’une appréciation manifestement erronée de la modification de la destination du sol

 Arguments des parties

88      Les requérantes soutiennent que, contrairement à ce qu’a indiqué la Commission au considérant 37 de la décision attaquée, la DT 1 modifie la destination du sol. Elles font valoir à cet égard que, en vertu de la DT 1, les propriétaires des hypermarchés seront en mesure d’implanter une station-service sur un terrain précédemment classé comme une zone verte ou un parking. Dès lors, la destination du terrain en question serait modifiée. Elles ajoutent que cette circonstance est établie par les arrêts du Tribunal Superior de Justicia de Madrid, présentés par la Commission le 5 octobre 2005. En effet, ces arrêts confirmeraient que les hypermarchés peuvent être équipés de stations-service indépendamment de la destination du sol concerné et sans paiement d’une contrepartie à l’État.

89      La Commission conteste la thèse des requérantes. Elle estime que, la destination du sol n’étant pas mentionnée dans la DT 1, cette dernière ne peut la modifier. En outre, cette question ne serait pas pertinente en l’espèce, puisque, en toute hypothèse, l’obligation prévue à l’article 14 de la LRSV ne s’appliquerait pas aux terrains urbains consolidés.

90      La Commission, soutenue par les parties intervenantes, ajoute que sa thèse, selon laquelle la DT 1 n’affecte pas la destination du sol, est corroborée par les arrêts du Tribunal Superior de Justicia de Madrid, communiqués par elle le 5 octobre 2005. Elle explique à cet égard que, selon ceux‑ci, la DT 1 ne constitue pas une requalification de la destination du sol concerné et, de ce fait, ne modifie ni ne viole les plans d’aménagement.

 Appréciation du Tribunal

91      La question de savoir si la DT 1 modifie la destination du sol pourrait être pertinente uniquement s’il était établi que, dans le cas d’une telle modification, les propriétaires des hypermarchés seraient tenus de céder une partie des plus-values en résultant pour les terrains correspondants. Or, ainsi qu’il a été constaté au point 87 ci‑dessus, les requérantes n’ont pas établi l’existence d’une quelconque obligation de cession applicable aux propriétaires des hypermarchés. Dès lors, la DT 1 n’est pas susceptible d’exonérer les propriétaires des hypermarchés d’une obligation de cession au profit de l’État et ne comporte donc pas de transfert direct ou indirect de ressources publiques, indépendamment de la modification de la destination du sol qu’elle pourrait éventuellement prévoir.

92      En conséquence, la seconde branche doit être rejetée comme inopérante. Les deux branches du premier moyen ayant été écartées, il y a lieu de rejeter le premier moyen dans son intégralité.

2.     Sur le deuxième moyen, tiré d’une interprétation et d’une application erronées des éléments constitutifs de la notion d’aide d’État

 Arguments des parties

93      En premier lieu, les requérantes affirment que, au considérant 49 de la décision attaquée, la Commission considère erronément que, pour qu’un transfert indirect des ressources d’État, consistant dans l’omission par ce dernier de percevoir des recettes, puisse être constaté, l’obligation de cession concernée doit être prévue par une loi. Elles font valoir à cet égard que ni le traité CE ni la jurisprudence de la Cour en la matière ne prévoient qu’un transfert indirect des ressources publiques peut résulter uniquement de la renonciation de l’État aux recettes dues en vertu d’une législation. Au contraire, la Cour, ainsi que la Commission dans sa pratique courante, reconnaîtraient qu’un tel transfert indirect peut également exister dans d’autres hypothèses, telles qu’une omission de l’État de recouvrir une dette due en vertu d’un contrat ou, comme c’est le cas en l’espèce, l’exonération d’une obligation prévue par une pratique administrative constante et licite.

94      En deuxième lieu, les requérantes affirment que, en l’espèce, à la différence des affaires dans lesquelles ont été rendus les arrêts de la Cour du 17 mars 1993, Sloman Neptun (C‑72/91 et C‑73/91, Rec. p. I‑887), du 7 mai 1998, Viscido e.a. (C‑52/97 à C‑54/97, Rec. p. I‑2629), et du 13 mars 2001, PreussenElektra (C‑379/98, Rec. p. I‑2099), les charges découlant pour l’État de l’octroi d’un avantage ne sont pas purement accessoires à la mesure, celle-ci ayant un objet substantiellement différent. Au contraire, la DT 1 viserait spécifiquement l’objectif de dispenser les hypermarchés des obligations qu’ils auraient à supporter en vertu du droit espagnol applicable.

95      En dernier lieu, les requérantes soutiennent que l’élément déterminant permettant de constater l’existence d’une aide d’État est l’octroi d’un avantage par l’État. Pour cette raison, l’exigence d’un transfert direct ou indirect de ressources publiques serait subordonnée à ce critère essentiel. Les requérantes en déduisent qu’il convient d’analyser les mesures pouvant constituer des aides par rapport à leurs effets sur la concurrence. Dès lors, de telles mesures devraient relever du champ d’application de l’article 87, paragraphe 1, CE dès qu’elles entraînent une distorsion de concurrence. La question d’un déboursement actif ou passif par l’État, prévu par une loi, serait alors sans pertinence en l’espèce.

96      La Commission estime que les requérantes partent d’une lecture incorrecte du considérant 49 de la décision attaquée. En effet, de ce considérant, lu dans son contexte, il ne ressortirait pas que le transfert indirect des ressources d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE soit subordonné à l’existence d’une obligation de perception prévue par la législation nationale, ou encore qu’un tel transfert ne puisse être fondé uniquement sur une pratique administrative de perception. Ce considérant se bornerait simplement à indiquer que, en l’espèce, on ne peut exiger de l’État espagnol qu’il perçoive une somme ou un bien auquel il n’a pas droit.

97      Le Royaume d’Espagne soutient que la DT 1 ne favorise pas certaines entreprises, n’affecte pas les échanges entre les États membres et, en fin de compte, ne fait que renforcer la concurrence sur le marché de la distribution au détail des produits pétroliers.

 Appréciation du Tribunal

98      En ce qui concerne le premier grief, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, la formulation exacte du considérant 49 de la décision attaquée, selon laquelle « l’État ne peut renoncer à percevoir des ressources que si la législation impose une obligation de les payer ».

99      Il convient d’observer ensuite que, selon une interprétation littérale, cette formulation semble conforter la thèse des requérantes. Néanmoins, le contexte de la décision attaquée s’oppose à ce que cette interprétation soit retenue.

100    En effet, outre la formulation du considérant 49, rien dans la décision attaquée ne laisse considérer que la Commission aurait nié la pertinence d’une pratique administrative dans l’examen de l’existence d’un transfert indirect de ressources d’État.

101    De même, le refus par la Commission de prendre en compte la pratique administrative alléguée par les plaignantes est motivé au considérant 52 de la décision attaquée, selon lequel « la Commission ne peut considérer qu’il existe une perte de ressources ou une renonciation à la perception de ces dernières parce que la loi espagnole en vigueur ([la LRSV]) interdit expressément l’imposition de cession des plus-values sur un terrain urbain consolidé ». Ainsi, selon la Commission, « [l]es propriétaires des hypermarchés […] ne peuvent se voir imposer le paiement d’un montant au titre des plus-values sur le sol ». Dès lors, la Commission ne s’est pas fondée sur le fait que des pratiques administratives seraient a priori sans pertinence par rapport à la question de l’existence d’un transfert indirect des ressources d’État, mais sur le fait qu’une pratique administrative, telle que celle invoquée par les plaignantes, serait contraire à la législation nationale applicable.

102    Dès lors, au regard de l’ensemble de la motivation de la décision attaquée, il n’apparaît pas que la Commission a fondé la décision de ne pas soulever d’objection à l’encontre de la DT 1 sur la thèse selon laquelle, pour qu’un transfert indirect des ressources de l’État, consistant en l’omission par ce dernier de percevoir des recettes, puisse être constaté, l’obligation de cession concernée doit être prévue par une loi. Le premier grief n’est, dès lors, pas fondé.

103    Ensuite, il convient d’observer que la conclusion de la Commission au sujet de l’absence de transfert direct ou indirect de ressources d’État n’est pas fondée sur la nature purement accessoire des charges découlant pour l’État de l’adoption de la DT 1. Dès lors, le deuxième grief des requérantes, qui conteste cette nature, est inopérant.

104    En ce qui concerne, enfin, le troisième grief, relatif au rôle prétendument secondaire de l’existence d’un transfert direct ou indirect de ressources dans l’analyse des aides d’État, il suffit d’observer que, selon une jurisprudence constante, seuls les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État sont considérés comme des aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE (arrêts Sloman Neptun, précité, point 19 ; Viscido e.a., précité, point 13, et PreussenElektra, précité, point 58). Dès lors, une mesure étatique ne comportant pas de transfert direct ou indirect de ressources d’État ne peut pas être qualifiée d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, même si elle remplit les autres conditions prévues par ladite disposition (voir, en ce sens, arrêt Viscido e.a., précité, points 14 à 16).

105    Aucun des griefs des requérantes ne pouvant être accueilli, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.

3.     Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

106    Les requérantes rappellent que la Commission était tenue d’exposer les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués dans leur plainte n’ont pas suffi à démontrer l’existence d’une aide d’État. Elles font observer que la Commission omet de se prononcer sur des questions soulevées par elles, s’appuie sur des arguments incomplets, énonce des affirmations non fondées et non étayées, interprète la jurisprudence nationale de manière erronée et présente une argumentation non linéaire, comportant des ruptures. Elles ajoutent que le seul motif clair avancé dans la décision attaquée, à savoir le fait que l’article 14 de la LRSV n’est pas applicable aux propriétaires des hypermarchés visés par la DT 1, est erroné. Les requérantes en concluent que la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée.

107    À cet égard, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêt de la Cour du 22 mars 2001, France/Commission, C‑17/99, Rec. p. I‑2481, point 35). Il s’ensuit que les griefs des requérants relatifs au bien-fondé de la décision attaquée, qui ont en outre été déjà examinés dans le cadre des premier et deuxième moyens du présent recours, sont dénués de pertinence dans le cadre du présent moyen.

108    Ensuite, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce. La question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 253 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. S’agissant plus particulièrement d’une décision de la Commission qui conclut à l’inexistence d’une aide d’État dénoncée par un plaignant, la Commission est tenue d’exposer de manière suffisante au plaignant les raisons pour lesquelles les éléments de fait et de droit invoqués dans la plainte n’ont pas suffi à démontrer l’existence d’une aide d’État. Toutefois, la Commission n’est pas tenue de prendre position sur des éléments qui sont manifestement hors de propos, dépourvus de signification ou clairement secondaires (voir arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, points 63 et 64, et la jurisprudence citée).

109    C’est à la lumière de ces règles qu’il convient d’examiner le bien-fondé du présent moyen.

110    La décision attaquée conclut à l’inexistence d’une aide d’État au motif qu’une des conditions prévues à l’article 87, paragraphe 1, CE n’est pas remplie. En effet, selon la Commission, la DT 1 ne comporte pas de transfert direct ou indirect de ressources publiques, puisque, contrairement aux allégations des plaignantes, elle n’exonère pas les propriétaires des hypermarchés d’une obligation quelconque de cession des plus‑values au profit de l’État (considérants 43 à 53 de la décision attaquée).

111    En ce qui concerne la dérogation aux limites de la surface constructible et de la surface d’occupation, prévue par la DT 1, sous a), la Commission s’est fondée sur les motifs suivants, exposés aux considérants 30 à 35 et 50 à 52 de la décision attaquée, pour conclure que ladite disposition n’exonère pas les propriétaires des hypermarchés d’une obligation quelconque de cession des plus-values au profit de l’État :

–        les obligations de cession des plus-values prévues par la LRSV ne s’appliquent pas aux hypermarchés, qui sont tous situés sur des terrains urbains consolidés ;

–        la législation espagnole nationale ne prévoit pas d’autres obligations de cession des plus-values qui seraient applicables aux propriétaires des hypermarchés dans l’hypothèse d’une dérogation telle que celle prévue par la DT 1, sous a) ;

–        de ce fait, indépendamment de l’existence de la DT 1, les propriétaires des hypermarchés n’ont pas d’obligation de cession des plus‑values au profit de l’État ;

–        à défaut de modification de la législation nationale applicable, l’imposition d’une telle obligation aux propriétaires des hypermarchés serait en outre anticonstitutionnelle.

112    Pour répondre aux autres griefs des plaignantes, la décision attaquée expose que la DT 1 ne modifie pas la destination du sol, que la réduction de la durée du silence administratif n’exonère pas les propriétaires des hypermarchés du paiement des taxes administratives et que ces propriétaires sont tenus d’obtenir toutes les autorisations nécessaires pour l’ouverture et l’exploitation des stations-service (considérants 36 à 42 de la décision attaquée).

113    Il convient de constater que cette motivation permet aux intéressés de comprendre les justifications de la décision attaquée dans la mesure où elle expose, de façon claire et non équivoque, le raisonnement qui a conduit la Commission à conclure que la condition du transfert direct ou indirect de ressources publiques n’était pas remplie, et partant, à décider de ne pas soulever d’objections. Il y a lieu de remarquer à cet égard que, au vu de l’articulation de la requête, les requérantes semblent avoir été en mesure de comprendre les motifs exprimés dans ladite décision. En effet, par leur premier moyen, elles remettent en cause les différents arguments exposés au point 111 ci‑dessus, ainsi que l’affirmation selon laquelle la DT 1 ne modifie pas la destination du sol. Leur deuxième moyen, quant à lui, est dirigé contre l’examen général de la DT 1 au regard du droit communautaire, entrepris par la Commission dans la décision attaquée et résumé au point 110 ci‑dessus.

114    De même, la motivation de la décision attaquée permet au Tribunal d’exercer le contrôle de la légalité de celle-ci. Il s’ensuit que la décision attaquée est suffisamment motivée et, par conséquent, qu’il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

4.     Sur le quatrième moyen, tiré de la violation du principe de bonne administration, de l’article 88, paragraphe 2, CE et de l’article 4, paragraphe 4, du règlement n° 659/1999

 Arguments des parties

115    Les requérantes soutiennent, en premier lieu, que la Commission a violé le principe de bonne administration, puisqu’elle n’aurait pas procédé à un examen diligent et impartial de leur plainte.

116    Elles exposent à cet égard que la Commission a procédé à une instruction longue qui a porté préjudice tant à elles-mêmes qu’à leurs membres. En effet, pendant l’instruction qui a duré presque deux ans et demi, la DT 1 aurait déployé pleinement ses effets, permettant aux hypermarchés d’ouvrir de nombreuses stations‑service. Les requérantes rappellent dans ce contexte que, selon la jurisprudence communautaire, la Commission ne peut pas prolonger la phase préliminaire d’examen au-delà d’un délai qui lui permet de se former une première opinion sur la qualification des mesures litigieuses et leur compatibilité avec le marché commun. Or, selon elles, dans le cas d’espèce, l’examen détaillé de la question par la Commission ne justifiait pas le délai écoulé, qui est de plus de vingt-sept mois. En particulier, les requérantes s’interrogent sur le délai de neuf mois écoulé entre la lettre du 8 février 2002, contenant la position provisoire de la Commission, et la date de la décision attaquée, intervenue le 13 novembre 2002.

117    En deuxième lieu, les requérantes estiment que la Commission a manqué de méthode et qu’elle a exprimé des avis différents non justifiés dans la plupart des cas. Selon elles, la Commission n’a pas non plus répondu aux documents présentés par les requérantes concernant les questions suscitant des doutes.

118    En troisième lieu, les requérantes font valoir que, en refusant d’ouvrir la procédure formelle d’examen malgré l’existence de doutes sérieux concernant la compatibilité de la DT 1 avec le marché commun, la Commission a violé l’article 88, paragraphe 2, CE et l’article 4, paragraphe 4, du règlement n° 659/1999.

119    Elles estiment à cet égard que, en l’espèce, un premier examen n’a pas permis à la Commission de surmonter toutes les difficultés concernant la qualification d’aide d’État de la DT 1. Outre la durée prétendument excessive de l’examen préliminaire, l’existence des difficultés serait démontrée par des changements d’avis significatifs de la Commission. En effet, tout au long de l’instruction, la Commission aurait affirmé que la DT 1 constituait une aide et elle aurait ensuite reconnu qu’il s’agissait d’une mesure d’effet équivalent à une aide d’État. Elle aurait émis des réserves uniquement à propos de la question de l’existence d’un transfert direct ou indirect de ressources d’État. Enfin, avant la décision attaquée, la Commission n’aurait jamais fait référence à l’article 14 de la LRSV même si elle avait connaissance de cette disposition.

120    La Commission estime qu’elle a procédé à un examen diligent et impartial de la plainte et que les requérantes n’ont pas indiqué de faits qui pourraient contredire cette conclusion. Elle ajoute, d’une part, que les requérantes n’ont pas expliqué en quoi elles avaient été lésées ou quel préjudice elles avaient subi du fait de l’instruction et, d’autre part, que la DT 1 peut légitimement produire ses effets, étant donné qu’elle ne réunit pas les éléments constitutifs d’une aide d’État. La Commission soutient également que la durée de l’instruction est moins due aux doutes qu’elle éprouvait qu’à l’étude, à l’analyse et à l’attention qu’elle a consacrées à chacune des allégations et informations supplémentaires présentées par les requérantes.

 Appréciation du Tribunal

 Sur la durée de l’examen

121    Selon la jurisprudence, dans le cas où les mesures étatiques litigieuses n’ont pas été notifiées par l’État membre concerné, la Commission n’est pas tenue de procéder à un examen préliminaire de ces mesures dans un délai déterminé. Cependant, lorsque des tiers intéressés ont soumis à la Commission des plaintes relatives à des mesures étatiques n’ayant pas fait l’objet de notification, l’institution est tenue, dans le cadre de la phase préliminaire prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE, de procéder à un examen diligent et impartial de ces plaintes, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité CE relatives aux aides d’État. Il en résulte, notamment, que la Commission ne saurait prolonger indéfiniment l’examen préliminaire de mesures étatiques ayant fait l’objet d’une plainte, cet examen ayant seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la qualification des mesures soumises à son appréciation et sur leur compatibilité avec le marché commun (voir arrêt du Tribunal du 10 mai 2000, SIC/Commission, T‑46/97, Rec. p. II‑2125, points 103, 105 et 107, et la jurisprudence citée).

122    Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure d’examen préliminaire doit s’apprécier en fonction des circonstances propres de chaque affaire et, notamment, du contexte de celle-ci, des différentes étapes procédurales que la Commission doit suivre, de la complexité de l’affaire ainsi que de son enjeu pour les différentes parties intéressées (arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, Gestevisión Telecinco/Commission, T‑95/96, Rec. p. II‑3407, point 75).

123    En l’espèce, il convient d’observer que, dans leur plainte et dans leurs observations ultérieures, les plaignantes ont présenté à la Commission un certain nombre d’allégations concernant les différents aspects de la DT 1, étayées par des analyses juridiques, des références à la législation et à la jurisprudence espagnoles ainsi que de nombreux documents. Dans ce contexte, la Commission rappelle à bon droit qu’elle était tenue d’examiner l’ensemble des éléments de fait et de droit que les plaignantes ont portés à sa connaissance.

124    Cependant, ces circonstances ne justifient pas la durée de l’examen préliminaire mené par la Commission, qui a été de presque vingt-huit mois.

125    En effet, en premier lieu, s’il est vrai que les éléments communiqués par les plaignantes étaient relativement nombreux, leur volume total n’était cependant pas important au point qu’il pourrait expliquer le délai d’examen écoulé. Il convient d’ajouter à cet égard que les observations des plaignantes postérieures à la plainte étaient dans leur majeure partie destinées à développer, à préciser ou à illustrer certaines questions débattues dans le cadre de la procédure administrative, plutôt qu’à soulever de nouvelles allégations à l’encontre de la DT 1. Dès lors, la communication successive de ces observations ne saurait non plus être à l’origine d’un prolongement important de l’examen préliminaire.

126    Quant à la période écoulée entre la lettre du 8 février 2002, contenant la position préliminaire de la Commission, et la décision finale du 13 novembre 2002, s’il est vrai que, afin de réagir à la prise de position préliminaire par la Commission, les requérantes ont envoyé à cette dernière, le 8 mars 2002, des observations d’une vingtaine de pages accompagnées de plusieurs annexes, il n’en demeure pas moins que ces observations représentaient une synthèse des éléments essentiels que les plaignantes ont fait valoir tout au long de la procédure administrative. Ainsi, la nécessité pour la Commission de conduire un examen diligent de ces éléments ne justifie pas la période écoulée, qui a duré plus de neuf mois.

127    En deuxième lieu, en ce qui concerne les démarches procédurales entreprises par la Commission, il y a lieu de relever que, outre les réunions et les conversations téléphoniques avec les représentants des plaignantes, celle-ci s’est bornée à adresser, en décembre 2000, une demande de renseignements au Royaume d’Espagne. Or, le Royaume d’Espagne a répondu à l’invitation en février 2001 par des observations sommaires, fondées exclusivement sur l’interprétation de la législation espagnole applicable. Ainsi, les démarches entreprises par la Commission ne justifient non plus la durée de l’examen.

128    En troisième lieu, rien ne permet de considérer que l’affaire en cause serait complexe au point qu’elle aurait requis un examen préliminaire de plus de deux années. En effet, dans la mesure où sa conclusion quant à l’absence de transfert direct ou indirect de ressources publiques est fondée essentiellement sur l’examen de la législation espagnole applicable, il n’apparaît pas que la Commission ait été obligée de conduire des vérifications extensives des faits ou à prendre d’autres mesures nécessitant un temps important. De même, la longueur relativement peu importante de la lettre contenant la position préliminaire ainsi que de la décision attaquée semblent s’opposer à ce que l’affaire en cause puisse être qualifiée de particulièrement complexe.

129    Il s’ensuit que, en menant un examen préliminaire de la plainte pendant presque vingt-huit mois, la Commission n’a pas adopté la décision attaquée dans un délai raisonnable, et a de ce fait manqué à son obligation de procéder à un examen diligent.

130    Toutefois, si l’observation d’un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives constitue un principe général de droit communautaire, applicable dans le contexte d’une procédure d’examen d’une aide d’État et dont le juge communautaire assure le respect, le seul fait d’avoir adopté une décision au-delà d’un tel délai ne suffit pas à rendre illégale une décision prise par la Commission à l’issue d’un examen préliminaire mené au titre de l’article 88, paragraphe 3, CE (voir, en ce sens, ordonnance du président du Tribunal du 1er août 2003, Technische Glaswerke Ilmenau/Commission, T‑378/02 R, Rec. p. II‑2921, point 65, et la jurisprudence citée).

131    Dans ce contexte, les requérantes invoquent deux circonstances prétendument exceptionnelles. D’une part, elles observent que l’application de la DT 1 pendant la durée de l’examen a porté préjudice à elles-mêmes ainsi qu’à leurs membres. D’autre part, le délai excessif de l’examen préliminaire mené par la Commission indiquerait que celle-ci s’est heurtée à des difficultés sérieuses qui justifiaient l’ouverture de la procédure formelle d’examen en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE.

132    Or, l’argument tiré du préjudice causé aux requérantes et à leurs membres est inopérant dans le cadre du présent litige, qui concerne exclusivement l’annulation de la décision attaquée et donc le seul contrôle de sa légalité. S’agissant du dépassement du délai raisonnable dans le contexte de l’obligation éventuelle de la Commission d’ouvrir une procédure formelle d’examen, sa pertinence sera appréciée dans le cadre du grief correspondant, examiné ci-après.

 Sur le défaut d’ouverture de la procédure formelle d’examen

133    Il convient d’observer que, ainsi qu’il a été rappelé au point 44 ci‑dessus, dans le cadre de l’article 88 CE, doivent être distinguées, d’une part, la phase préliminaire d’examen des aides instituée par le paragraphe 3, qui a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion tant sur le caractère d’aide d’État de la mesure concernée que sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide en cause avec le marché commun, et, d’autre part, la phase formelle d’examen visée par le paragraphe 2. Ce n’est que dans le cadre de cette dernière, qui est destinée à permettre à la Commission d’avoir une information complète sur l’ensemble des données de l’affaire, que le traité CE prévoit l’obligation, pour la Commission, de mettre en demeure les intéressés de présenter leurs observations.

134    Il ressort de l’article 4, paragraphe 4, du règlement n° 659/1999 et de la jurisprudence que la Commission est tenue d’ouvrir la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE si un premier examen ne lui a pas permis de surmonter toutes les difficultés soulevées par la question de savoir si une mesure étatique soumise à son contrôle constitue une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, à tout le moins lorsque, lors de ce premier examen, elle n’a pas été en mesure d’acquérir la conviction que la mesure concernée, à supposer qu’elle constitue une aide, est en tout état de cause compatible avec le marché commun (arrêt du Tribunal du 15 septembre 1998, BP Chemicals/Commission, T‑11/95, Rec. p. II‑3235, point 166).

135    Or, l’écoulement d’un délai excédant notablement ce qu’implique normalement un premier examen opéré dans le cadre des dispositions de l’article 88, paragraphe 3, CE peut, avec d’autres éléments, conduire à reconnaître que la Commission a rencontré des difficultés sérieuses d’appréciation exigeant que soit ouverte la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE (arrêt SIC/Commission, précité, point 102).

136    Ainsi qu’il a été exposé aux points 121 à 129 ci‑dessus, le délai écoulé a excédé notablement ce qu’implique normalement un premier examen opéré dans le cadre des dispositions de l’article 88, paragraphe 3, CE. Force est toutefois de constater que, en l’espèce, l’existence d’éléments autres que le dépassement du délai raisonnable n’a pas été établie.

137    En effet, en ce qui concerne les doutes qu’aurait eus la Commission quant à la qualification d’aide, il apparaît, en premier lieu, que la thèse selon laquelle la Commission aurait affirmé tout au long de l’instruction que la DT 1 constituait une aide n’est pas fondée dans la mesure où elle est contredite par des éléments du dossier, ainsi que par la chronologie de la procédure administrative, présentée par les requérantes dans leur requête.

138    En deuxième lieu, s’il est vrai que la Commission a indiqué, dans la lettre du 8 février 2002 qui contenait sa position provisoire, que « les dispositions de la DT 1 pourraient être considérées comme des mesures ayant un effet équivalent à celui des aides d’État », il est également vrai qu’elle a poursuivi la phrase en relevant qu’« elles ne sont [cependant] pas financées par des ressources d’État et, de ce fait, ne sont pas soumises à la […] prohibition [prévue à l’article 87, paragraphe 1, CE] ». Ainsi, la position exprimée dans la lettre du 8 février 2002 correspond à celle exprimée dans la décision attaquée, dont le bien-fondé a été examiné dans le cadre des premier et deuxième moyens. En conséquence, la formulation précitée de la lettre du 8 février 2002 ne permet pas de reconnaître que la Commission aurait rencontré des difficultés sérieuses au cours de l’examen préliminaire.

139    En troisième lieu, s’agissant des prétendus changements de position de la Commission, la circonstance que celle-ci émet, sur la base des éléments en sa disposition, des doutes sur le caractère d’aide d’État d’une mesure étatique, alors qu’elle n’exprime plus les mêmes réserves après la communication d’éléments supplémentaires par les plaignantes, ne permet pas de reconnaître que la Commission se serait heurtée à des difficultés sérieuses. En effet, si elle ne dispose d’aucun pouvoir discrétionnaire quant à la décision d’engager la procédure formelle d’examen, lorsqu’elle constate l’existence de telles difficultés, la Commission jouit néanmoins d’une certaine marge d’appréciation dans la recherche et dans l’examen des circonstances de l’espèce afin de déterminer si celles-ci soulèvent des difficultés sérieuses. Conformément à la finalité de l’article 88, paragraphe 3, CE et au devoir de bonne administration qui lui incombe, la Commission peut, notamment, engager un dialogue avec les plaignantes afin de surmonter, au cours de la procédure préliminaire, des difficultés éventuellement rencontrées (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2001, Prayon-Rupel/Commission, T‑73/98, Rec. p. II‑867, point 45). Or, cette faculté présuppose que la Commission puisse adapter sa position en fonction des résultats du dialogue engagé, sans que cette adaptation doive être a priori interprétée comme établissant l’existence de difficultés sérieuses.

140    En quatrième et dernier lieu, si les requérantes reprochent à la Commission de ne pas s’être référée explicitement, avant l’adoption de la décision attaquée, à l’article 14 de la LRSV, elles n’ont pas établi la pertinence de cette circonstance dans le contexte de l’examen de l’existence de difficultés sérieuses. Dans la mesure où la Commission n’a pas d’obligation d’engager un débat contradictoire avec les plaignantes (arrêt Commission/Sytraval et Brink’s France, précité, points 58 et 59), elle n’est pas tenue d’indiquer à celles-ci la base légale sur laquelle elle entend se fonder dans sa décision. Par conséquent, la seule absence d’une telle indication n’implique pas que la Commission se serait heurtée à des difficultés.

141    En outre, dans la lettre du 8 février 2002, la Commission indique que « l’information dont dispose la Commission montre qu’il n’y a pas d’obligation légale exigeant le paiement d’une […] compensation par le [propriétaire d’un hypermarché demandant une modification des conditions d’utilisation des terrains sur lesquels celui‑ci est situé] ». Cette formulation implique que la Commission s’est appuyée sur un examen du droit espagnol applicable, dont la LRSV représente une partie essentielle. Il apparaît donc que, même si la Commission n’a pas indiqué expressément aux requérantes que son analyse se fondait sur la LRSV, elle a néanmoins pris ce texte en considération avant même l’adoption de la décision attaquée.

142    Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que, même si la durée de la procédure administrative a excédé notablement ce qu’implique normalement un premier examen opéré dans le cadre de l’article 88, paragraphe 3, CE, il n’a pas été établi à suffisance de droit que la Commission aurait rencontré de difficultés sérieuses qui justifieraient l’ouverture de la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE.

 Sur les autres défauts de l’examen opéré par la Commission

143    Enfin, il convient d’observer que, pour autant qu’elles invoquent que la Commission a manqué de méthode, qu’elle a exprimé des avis différents non justifiés et qu’elle n’a pas répondu aux documents présentés par les plaignantes concernant les questions suscitant des doutes, les requérantes se sont bornées à formuler des allégations sommaires non étayées par de plus amples renseignements ou par des éléments de preuve. Il y a dès lors lieu de rejeter ces allégations comme non fondées.

144    Aucun des griefs présentés dans le cadre du quatrième moyen n’ayant été retenu, il y a lieu de rejeter ce moyen.

5.     Sur la demande de production de preuves

145    Les requérantes demandent la production par la Commission de son dossier administratif, y compris la réponse du Royaume d’Espagne à la demande d’informations de la Commission et les allégations formulées ultérieurement par le Royaume d’Espagne ou par des tiers.

146     À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Commission a produit, en annexe à son mémoire en défense, la réponse du Royaume d’Espagne à la demande d’informations. Dans la mesure où le Tribunal a pu examiner l’ensemble des moyens des requérantes sur le fondement des pièces versées dans le dossier, il n’y a pas lieu de demander la production de documents supplémentaires à la Commission. La demande de production de preuves présentée par les requérantes doit donc être rejetée.

147    Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

148    Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens pour des motifs exceptionnels. En l’espèce, il convient d’observer que, si les requérantes ont succombé sur leur chef de conclusion visant à l’annulation de la décision attaquée, l’examen mené par le Tribunal a néanmoins révélé que la Commission a violé son obligation de procéder à un examen diligent des plaintes qui lui sont soumises. Dans ces circonstances, il y a lieu de décider que les requérantes supporteront trois quarts de leurs propres dépens, trois quarts des dépens exposés par la Commission et les entiers dépens exposés par l’ANGED. La Commission supportera un quart de ses propres dépens et un quart des dépens exposés par les requérantes.

149    Aux termes de l’article 87, paragraphe 4, premier alinéa, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Dès lors, le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Les requérantes supporteront trois quarts de leurs propres dépens, trois quarts des dépens exposés par la Commission et les entiers dépens exposés par l’Asociación Nacional de Grandes Empresas de Distribución.

3)      La Commission supportera un quart de ses propres dépens et un quart des dépens exposés par les requérantes.

4)      Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.

Pirrung

Meij

Forwood

Pelikánová

 

       Papasavvas

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 décembre 2006.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

 

       J. Pirrung

Table des matières


* Langue de procédure : l’espagnol.