Language of document : ECLI:EU:T:2022:220

ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

6 avril 2022 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Affaire “Eurostat” – Enquête externe de l’OLAF – Transmission à des autorités judiciaires nationales d’informations relatives à des faits susceptibles de poursuites pénales avant l’issue de l’enquête – Dépôt d’une plainte par la Commission avant l’issue de l’enquête – Procédure pénale nationale – Non-lieu définitif – Absence de violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers »

Dans l’affaire T‑735/20,

Planistat Europe, établie à Paris (France),

Hervé-Patrick Charlot, demeurant à Paris,

représentés par Me F. Martin Laprade, avocat,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. J. Baquero Cruz et Mme F. Blanc, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. J. Schwarcz et R. Norkus (rapporteur), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 3 décembre 2021,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 268 TFUE, les requérants, la société Planistat Europe (ci-après « Planistat ») et M. Hervé-Patrick Charlot, demandent la réparation, d’une part, du préjudice moral que M. Charlot aurait subi en raison de la transmission par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) aux autorités nationales d’informations relatives à des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ainsi que de la plainte déposée par la Commission européenne devant lesdites autorités et, d’autre part, du préjudice matériel qu’ils auraient subi en raison de la résiliation des contrats conclus entre Planistat et la Commission.

 Antécédents du litige

2        En 1996, Eurostat a créé un réseau de points de vente d’informations statistiques (datashops). Dans les États membres, ces datashops, dénués de la personnalité juridique, étaient en principe intégrés dans les instituts nationaux de statistique (ci-après les « INS ») à l’exception de la Belgique, de l’Espagne et du Luxembourg où ils étaient gérés par des sociétés commerciales. À cette fin, des conventions tripartites ont été conclues entre Eurostat, l’Office des publications de l’Union européenne (OP) et l’entité abritant le datashop.

3        De 1996 à 1999, Planistat, dirigée par M. Charlot, a bénéficié de contrats-cadres signés avec Eurostat pour diverses prestations de services incluant notamment la mise à disposition de personnel au sein des datashops.

4        À partir du 1er janvier 2000, Planistat s’est vu confier la gestion des datashops de Bruxelles, de Madrid et de Luxembourg et devait verser à la Commission l’intégralité du chiffre d’affaires réalisé dans ces trois datashops.

5        En septembre 1999, le service d’audit interne d’Eurostat a réalisé un rapport faisant état d’irrégularités dans la gestion des datashops assurée par Planistat.

6        Le 17 mars 2000, la direction générale du contrôle financier de la Commission a transmis ledit rapport à l’OLAF.

7        Le 18 mars 2003, à la suite d’une enquête interne ayant pour objet d’examiner les modalités de mise en place du réseau des datashops, les circuits de facturation, l’utilisation de l’enveloppe financière et l’implication éventuelle de fonctionnaires européens, l’OLAF a décidé d’ouvrir l’enquête externe OF/2002/0510 visant Planistat.

8        Le 19 mars 2003, l’OLAF a transmis aux autorités judiciaires françaises une information relative à des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale dans le cadre de l’enquête en cours (ci-après la « note du 19 mars 2003 »). Sur cette base, le 4 avril 2003, le procureur de la République de Paris (France) a ouvert une information judiciaire devant le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris (France) pour recel et complicité d’abus de confiance.

9        Le 16 mai 2003, cette transmission a été évoquée dans la presse et a fait l’objet de questions écrites adressées à la Commission par des députés européens.

10      La Commission et l’OLAF ont publié plusieurs communiqués de presse, dont seulement deux mentionnaient Planistat. Ainsi, le communiqué de presse de la Commission du 9 juillet 2003 faisait pour la première fois référence à Planistat tandis que, dans celui du 23 juillet 2003, la Commission confirmait sa décision de résilier les contrats conclus avec Planistat.

11      Le 10 juillet 2003, la Commission a déposé une plainte contre X avec constitution de partie civile auprès du procureur de la République de Paris pour délit d’abus de confiance et tous autres délits qui pourraient se déduire des faits énoncés dans la plainte.

12      Le 10 septembre 2003, M. Charlot est mis en examen des chefs d’abus de confiance et de recel d’abus de confiance.

13      Le 25 septembre 2003, l’OLAF a clôturé tant l’enquête interne IO/2000/4097 que l’enquête externe OF/2002/0510.

14      Le 9 septembre 2013, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris a rendu une ordonnance de non-lieu à l’égard de l’ensemble des personnes mises en examen dans le cadre de la procédure pénale, contre laquelle la Commission a interjeté appel.

15      Par arrêt du 23 juin 2014, la cour d’appel de Paris (France) a rejeté le recours de la Commission en confirmant l’ordonnance de non-lieu.

16      Par arrêt du 15 juin 2016, la Cour de cassation (France) a rejeté le pourvoi formé par la Commission mettant ainsi un terme à la procédure judiciaire.

17      Le 10 septembre 2020, les requérants ont adressé à la Commission une lettre de mise en demeure lui enjoignant de leur verser la somme de 11,6 millions d’euros en réparation de préjudices prétendument subis en raison, notamment, de la plainte déposée et des communiqués de presse publiés sur le sujet.

18      Le 15 octobre 2020, la Commission a rejeté la demande des requérants en considérant que les conditions pour engager la responsabilité extracontractuelle de l’Union européenne n’étaient pas réunies.

 Conclusions des parties

19      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater que la Commission a engagé sa responsabilité non contractuelle en application des dispositions de l’article 340 TFUE ;

–        condamner la Commission au versement de la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice moral subi par M. Charlot ;

–        condamner la Commission au versement de la somme de 11 600 000 euros en réparation de leur préjudice matériel ;

–        condamner la Commission aux dépens.

20      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable ou, en tout état de cause, comme dépourvu de tout fondement en droit ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

21      Au soutien de leur recours, les requérants font valoir que l’OLAF et la Commission ont méconnu le devoir de sollicitude, les principes de bonne administration et de présomption d’innocence ainsi que les droits de la défense tels qu’ils sont consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

22      Les requérants invoquent en substance l’existence de fautes commises par l’OLAF et par la Commission du fait, d’une part, de la transmission aux autorités judiciaires nationales d’informations relatives à des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale et, d’autre part, d’avoir déposé une plainte contre X ayant conduit à l’ouverture d’une procédure pénale à l’encontre des requérants et d’avoir poursuivi cette procédure de manière injustifiée. Selon les requérants, ces fautes commises par l’OLAF et par la Commission présentent un lien de causalité direct avec les préjudices moraux et matériels dont ils demandent réparation.

23      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité, la Commission fait valoir que le recours est irrecevable, car l’action litigieuse serait prescrite et que, en tout état de cause, il est dépourvu de tout fondement en droit.

24      Il convient donc d’examiner en premier lieu la recevabilité du recours.

 Sur la prescription

25      La Commission fait valoir que le recours est prescrit et doit être rejeté comme étant manifestement irrecevable.

26      Selon la Commission, le délai de cinq ans entre les faits qui auraient engagé la responsabilité non contractuelle de l’Union et la présentation de la demande en réparation n’a pas été respecté. À cet égard, elle rappelle que l’OLAF avait transmis des informations aux autorités judiciaires françaises le 19 mars 2003 et que les enquêtes de l’OLAF ont été clôturées le 25 septembre 2003.

27      La Commission rappelle également que le Tribunal s’était prononcé sur la responsabilité de l’Union pour les mêmes faits dans son arrêt du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission (T‑48/05, EU:T:2008:257), et fait valoir que les requérants n’avaient eu nul besoin d’attendre l’issue définitive de la procédure pénale en France avant de réclamer à la Commission une indemnisation pour les mêmes faits et pour les mêmes raisons que ceux faisant l’objet dudit arrêt.

28      En outre, la Commission soutient que l’existence d’une procédure pénale nationale pendante ne pouvait pas avoir un effet suspensif sur l’écoulement du délai de prescription de l’action indemnitaire, laquelle est une action indépendante. Les préjudices allégués par les requérants se seraient concrétisés au moment des comportements prétendument illégaux de l’OLAF ou de la Commission et non au moment où la Cour de cassation a rendu son arrêt.

29      Les requérants font valoir en substance que, le délai de prescription de l’action en responsabilité non contractuelle en droit français étant identique à celui prévu, en droit de l’Union, à l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, ils ont raisonné par analogie avec la jurisprudence de la Cour de cassation et les avis exprimés dans les articles de doctrine en la matière.

30      Il ressortirait ainsi de ladite jurisprudence que le délai de prescription de l’action en responsabilité pour le préjudice résultant d’une dénonciation calomnieuse ne peut courir qu’une fois connu le résultat des poursuites judiciaires engagées contre la personne visée par la dénonciation, et donc après que la fausseté des faits dénoncés a été établie.

31      À titre liminaire, il convient de rappeler que le droit de l’Union se caractérise par le fait qu’il est issu d’une source autonome, constituée par les traités [voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 156 et jurisprudence citée]. Pour garantir la préservation des caractéristiques spécifiques et de l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union, les traités ont institué un système juridictionnel destiné à assurer la cohérence et l’unité dans l’interprétation du droit de l’Union [avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 174].

32      Il en résulte que la computation des délais de procédure devant les juridictions de l’Union ne saurait recevoir une interprétation variant selon les droits des États membres, mais revêt une portée autonome propre aux dispositions procédurales du droit de l’Union.

33      Dans ce contexte, il y a lieu de constater que, en vertu de l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53 dudit statut, les actions contre l’Union en matière de responsabilité non contractuelle se prescrivent par cinq ans à compter de la survenance du fait qui y donne lieu.

34      Ce délai de prescription commence à courir lorsque sont réunies toutes les conditions auxquelles se trouve subordonnée l’obligation de réparation, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le dommage invoqué. En ce qui concerne, en particulier, la condition tenant à la réalité du dommage, la prescription commence à courir lorsque le dommage à réparer s’est concrétisé (arrêt du 17 juillet 2008, Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., C‑51/05 P, EU:C:2008:409, point 54). Ainsi, la prescription court à partir du moment où le préjudice pécuniaire ou moral s’est effectivement réalisé et non à partir de la date du fait préjudiciable (arrêts du 28 février 2013, Inalca et Cremonini/Commission, C‑460/09 P, EU:C:2013:111, point 60, et du 20 février 2013, Nikolaou/Cour des comptes, T‑241/09, non publié, EU:T:2013:79, point 23).

35      Lorsque le préjudice est continu, en ce sens qu’il n’a pas été causé instantanément, mais s’est poursuivi pendant une certaine période, la prescription visée à l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne s’applique à la période antérieure de plus de cinq ans à la date de l’acte interruptif, sans affecter les droits nés au cours des périodes postérieures [voir arrêt du 21 avril 2005, Holcim (Deutschland)/Commission, T‑28/03, EU:T:2005:139, point 70 et jurisprudence citée].

36      En l’espèce, les requérants reprochent à la Commission d’avoir causé un préjudice moral à M. Charlot en raison de sa mise en cause dans la procédure pénale devant les autorités répressives françaises ainsi qu’un préjudice matériel aux requérants en raison de la résiliation de tous les contrats conclus avec Planistat à la suite, d’une part, de la transmission par l’OLAF de la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises et, d’autre part, de la plainte déposée par la Commission devant lesdites autorités.

37      Dans ce contexte, et sans préjudice de la question de savoir si la transmission d’informations aux autorités judiciaires nationales et le dépôt de la plainte sont constitutifs d’actes illicites, il y a lieu de déterminer tout d’abord le moment précis auquel les effets dommageables allégués se sont effectivement produits à l’égard des requérants. Pour ce faire, il convient d’examiner successivement les préjudices moral et matériel dont les requérants demandent réparation.

 Sur le préjudice moral

38      Les requérants invoquent, tout d’abord, un préjudice moral subi par M. Charlot, dirigeant et principal associé de Planistat, en raison de la procédure pénale ouverte à son encontre par les autorités françaises à la suite de leur saisie par l’OLAF. Ils font valoir que les comportements reprochés à l’OLAF et à la Commission ont affecté de manière particulièrement lourde l’honneur et la réputation de M. Charlot, ce dernier ayant eu un profond sentiment d’injustice et d’impuissance. En outre, l’acharnement des services de la Commission dans le cadre de la procédure judiciaire n’aurait fait qu’accroître le préjudice moral du fait de la longueur exceptionnelle de cette procédure.

39      Selon les requérants, M. Charlot a fait l’objet d’une exposition médiatique dans la presse écrite dès le mois de mai 2003.

40      La Commission fait valoir que le prétendu préjudice moral, qu’il soit dû à la transmission de la note du 19 mars 2003, aux fuites attribuées à l’OLAF ou au communiqué de presse du 9 juillet 2003, se serait concrétisé de manière immédiate, sans aucune relation avec l’engagement de la procédure pénale ni avec son très lent déroulement. Les requérants auraient donc dû introduire un recours en responsabilité non contractuelle dans un délai de cinq ans à compter de la date des prétendues illégalités commises par la Commission et par l’OLAF. Au plus tard, ce recours aurait dû être introduit dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle l’arrêt du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission (T‑48/05, EU:T:2008:257), a acquis force de chose jugée, le Tribunal ayant jugé par cet arrêt que l’Union était responsable pour les mêmes faits, bien que dans un recours intenté par des fonctionnaires et qui n’était donc pas nécessairement transposable à la situation des requérants en l’espèce.

41      Ainsi que le font valoir en substance les requérants, d’une part, le prétendu préjudice moral résulterait de la mise en cause de M. Charlot dans la procédure pénale ouverte devant les autorités judiciaires nationales à la suite de la transmission d’informations par l’OLAF et du dépôt de la plainte par la Commission. D’autre part, le préjudice moral serait la conséquence de la médiatisation du nom de M. Charlot en lien avec l’enquête ouverte à l’égard d’Eurostat.

42      Il en ressort que les requérants demandent en réalité l’indemnisation de plusieurs préjudices moraux qui trouvent leur origine respective dans des faits distincts.

43      Sans préjuger, à ce stade, du caractère indemnisable de ces préjudices, il y a lieu de constater qu’ils se sont concrétisés à des moments différents dans le temps, certains d’entre eux étant susceptibles de présenter un caractère continu.

44      À cet égard, il est constant entre les parties que l’OLAF a transmis des informations relatives à des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale aux autorités judiciaires françaises le 19 mars 2003 et que la Commission a déposé plainte contre X auprès du procureur de la République de Paris le 10 juillet 2003. En outre, il ressort de la requête que, à la suite de la plainte déposée par la Commission, M. Charlot a été mis en examen des chefs d’abus de confiance et de recel d’abus de confiance le 10 septembre 2003 et que la procédure pénale devant les juridictions françaises a perduré jusqu’à l’arrêt du 15 juin 2016 de la Cour de cassation.

45      S’il est vrai que la mise en examen de M. Charlot a été décidée par les autorités judiciaires françaises, il n’en reste pas moins que c’est la Commission qui, par les informations qu’elle leur a transmises et le dépôt de la plainte, est à l’origine de la procédure pénale et c’est également la Commission qui a poursuivi cette procédure en interjetant appel et en formant un pourvoi en cassation après l’ordonnance de non-lieu rendue le 9 septembre 2013 par le juge d’instruction.

46      Dans ces circonstances, le préjudice moral résultant de la procédure pénale ouverte à l’égard de M. Charlot devant les autorités judiciaires françaises, à le supposer suffisamment établi, ne s’est pas réalisé de manière instantanée, mais s’est renouvelé quotidiennement pendant toute la durée de la procédure litigieuse et donc jusqu’à l’arrêt du 15 juin 2016 de la Cour de cassation. En effet, bien qu’elle puisse revêtir différentes formes, l’atteinte à l’honneur et à la réputation est généralement un préjudice qui se renouvelle quotidiennement et se prolonge aussi longtemps qu’il n’a pas été mis fin à la supposée cause d’une telle atteinte (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2017, Guardian Europe/Union européenne, T‑673/15, EU:T:2017:377, point 42). Le présent recours ayant été introduit le 15 décembre 2020, le délai de cinq ans a donc été respecté à l’égard de ce prétendu préjudice moral.

47      En revanche, s’agissant du prétendu préjudice moral résultant de la médiatisation du nom de M. Charlot par le biais d’articles de presse, de questions écrites adressées à la Commission par des députés au Parlement ainsi que de communiqués de presse de la Commission, à le supposer suffisamment établi, force est de constater que ces faits potentiellement générateurs de préjudices se sont produits entre le mois d’avril et le mois de juillet 2003. Le préjudice moral qu’invoquent à ce titre les requérants s’est donc entièrement réalisé à la date de la parution dans les médias de chacune de ces publications, soit plus de cinq ans avant l’introduction du présent recours, et ne s’est pas renouvelé ni a augmenté en proportion du temps écoulé depuis cette date. Le recours a donc été introduit hors délai pour ce qui concerne ce prétendu préjudice.

48      Par ailleurs, l’argument de la Commission selon lequel le délai de recours a commencé à courir au plus tard à partir du moment où l’arrêt du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission (T‑48/05, EU:T:2008:257), a acquis force de chose jugée, ne saurait prospérer. Tout d’abord, il convient de relever qu’aucune des conditions mentionnées au point 37 ci-dessus et qui, lorsqu’elles sont réunies, font courir le délai de prescription de l’action en responsabilité non contractuelle de l’Union ne s’est concrétisée en raison du fait que ledit arrêt est devenu définitif. Ensuite, ainsi qu’il ressort des points 47 à 49 ci-dessus, une partie du préjudice moral prétendument subi par M. Charlot, à le supposer établi, a commencé à se réaliser lors de sa mise en examen par les autorités répressives françaises le 10 septembre 2003, donc bien avant la date où ledit arrêt a acquis force de chose jugée. Enfin, il convient de rappeler qu’il est indifférent, pour le déclenchement du délai de prescription, que le comportement illégal de l’Union ait été constaté par une décision de justice [voir, en ce sens, arrêt du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, EU:C:2007:226, point 31].

49      Compte tenu de ces éléments, il y a lieu de constater que, s’agissant des préjudices moraux, le présent recours est recevable uniquement en ce qu’il tend à l’indemnisation du préjudice moral qu’aurait subi M. Charlot en raison de la procédure pénale devant les autorités judiciaires françaises.

50      En outre, ce préjudice ayant un caractère continu, la prescription visée à l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne s’applique à la période antérieure de plus de cinq ans à la date de l’acte interruptif. Eu égard au fait que les requérants ont adressé une demande de réparation du préjudice à la Commission le 10 septembre 2020, il convient de considérer que le présent recours n’est recevable qu’en ce qu’il tend à l’indemnisation dudit préjudice supporté après le 10 septembre 2015.

 Sur le préjudice matériel

51      Les requérants font valoir que le préjudice moral se double d’un préjudice matériel résultant « notamment » de la résiliation par la Commission, le 23 juillet 2003, de l’ensemble de ses contrats avec Planistat sur le fond de ce qu’ils qualifient de « dénonciation calomnieuse » devant les autorités judiciaires françaises. Tout en précisant que la Commission était le principal client de Planistat au travers d’Eurostat, les requérants estiment que cette société aurait pu continuer à connaître une forte activité en l’absence de ladite dénonciation.

52      En outre, lors de l’audience, les requérants ont fait valoir que, en raison de leur mise en cause dans les articles de presse et devant les autorités judiciaires françaises, il leur a été impossible de conclure des contrats avec d’autres clients, ce qui a généré également un préjudice matériel.

53      La Commission fait valoir, premièrement, que la prétendue dénonciation calomnieuse constitue un fait ponctuel ayant eu lieu en 2003, lequel n’a pas de lien avec la procédure pénale en France, et sur lequel le Tribunal s’est déjà prononcé dans son arrêt du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission (T‑48/05, EU:T:2008:257). Partant, toute action indemnitaire à cet égard serait prescrite.

54      Deuxièmement, la Commission soutient que la résiliation des contrats conclus avec Planistat relève de la responsabilité contractuelle, qu’elle a fait l’objet d’une transaction en 2014 et que les requérants ne peuvent plus revenir sur ces aspects par le biais d’une action en responsabilité non contractuelle. Par ailleurs, une telle action serait également prescrite, car elle aurait dû être introduite dans un délai de cinq ans à partir de la résiliation des contrats, soit au plus tard en juillet 2008.

55      Il convient d’emblée de relever que le préjudice matériel invoqué par les requérants résulte principalement, selon ces derniers, du fait que la Commission a résilié les contrats conclus avec Planistat.

56      À cet égard, et sans qu’il y ait lieu d’examiner l’incidence de la transaction mentionnée au point 54 ci-dessus sur la demande d’indemnisation du préjudice matériel ainsi allégué, il y a lieu de relever qu’il ressort avec une clarté suffisante de la requête que les requérants ne contestent, ni du point de vue formel ni quant au fond, la régularité de cette résiliation. Leur recours a uniquement pour objet de reprocher à la Commission d’avoir, d’une part, transmis aux autorités judiciaires nationales la note du 19 mars 2003 et, d’autre part, déposé une plainte contre X, faits qui l’ont amené à procéder à la résiliation des contrats avec Planistat.

57      Dans ces circonstances, contrairement à ce que prétend la Commission, le comportement qui lui est reproché est étranger à l’exécution des obligations nées desdits contrats. La responsabilité recherchée est donc de nature non contractuelle.

58      Ensuite, il convient de constater que la Commission a résilié les contrats en cause en 2003. Le préjudice matériel, à le supposer suffisamment établi, s’est donc réalisé de manière certaine en 2003. Partant, les requérantes étaient en mesure, dès cette date, d’introduire un recours en responsabilité non contractuelle de l’Union, puisque le préjudice lié à la résiliation des contrats était certain dans son principe et pouvait être apprécié dans son étendue.

59      Par ailleurs, le prétendu dommage a été causé instantanément au moment de la résiliation des contrats et ne s’est pas poursuivi pendant la durée de la procédure devant les autorités judiciaires nationales. Il n’a pas augmenté en proportion du nombre de jours écoulés et ne présente donc pas un caractère continu durant la période comprise entre la date de la résiliation et celle de la décision de la Cour de cassation.

60      En outre, les éventuels résultats des procédures judiciaires nationales ne sont pas susceptibles d’affecter l’introduction d’un recours en responsabilité non contractuelle. En effet, dans le cadre d’un tel recours, il n’est pas question de savoir si les faits reprochés aux requérants devant les autorités judiciaires nationales sont établis ou non, cette question ne relevant pas de la compétence du Tribunal. Ainsi, il ne s’agit pas, en l’espèce, de savoir si les requérants ont commis dans leur activité professionnelle des fautes ou non, mais d’examiner la manière dont la Commission a procédé en vue de la résiliation des contrats en cause. Si les requérants sont considérés comme non coupables par les autorités judiciaires nationales, un tel fait ne réparerait pas non plus nécessairement l’éventuel préjudice que ceux-ci auraient alors également subi (voir, par analogie, arrêt du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission, T‑48/05, EU:T:2008:257, point 90).

61      Dès lors, étant donné que le préjudice matériel invoqué dans le cadre d’un recours en responsabilité non contractuelle est distinct de celui que serait susceptible d’attester une déclaration de non-culpabilité des requérants par les autorités judiciaires nationales, la présentation d’une demande en réparation dudit préjudice n’est pas soumise à la condition de l’existence d’une décision définitive des autorités judiciaires nationales (voir, par analogie, arrêt du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission, T‑48/05, EU:T:2008:257, point 91).

62      S’agissant du préjudice matériel qui résulterait de l’impossibilité, pour les requérants, de conclure des contrats avec d’autres clients, il convient de constater que les requérants n’apportent aucun élément de preuve au soutien de cette prétention et permettant d’établir, notamment, le moment précis où un tel préjudice se serait concrétisé.

63      Partant, la demande en réparation du préjudice matériel doit être rejetée comme irrecevable dès lors qu’elle est prescrite.

 Sur le fond

64      Selon une jurisprudence bien établie, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union et la mise en œuvre du droit à la réparation du préjudice subi, en vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, dépendent de la réunion d’un ensemble de conditions afférentes à l’illégalité du comportement reproché aux institutions, à la réalité du dommage et à l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (voir, en ce sens, arrêts du 27 janvier 1982, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, EU:C:1982:18, point 9 ; du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 106, et du 18 mars 2010, Trubowest Handel et Makarov/Conseil et Commission, C‑419/08 P, EU:C:2010:147, point 40).

65      Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (voir arrêt du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission, T‑48/05, EU:T:2008:257, point 94 et jurisprudence citée).

66      S’agissant de la première des conditions, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Pour ce qui est de l’exigence selon laquelle la violation doit être suffisamment caractérisée, le critère décisif permettant de considérer qu’elle est remplie est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution de l’Union concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque cette institution ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit de l’Union peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (voir arrêt du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission, T‑48/05, EU:T:2008:257, point 95 et jurisprudence citée).

67      Les requérants font valoir que des fautes ont été commises à la fois par l’OLAF et par la Commission.

68      Ainsi, il convient d’examiner d’abord la question de savoir si l’OLAF ou la Commission ont commis des violations suffisamment caractérisées d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

 Sur l’illégalité du comportement de l’OLAF et de la Commission en raison d’une dénonciation calomnieuse

69      Les requérants font valoir que l’OLAF et la Commission ont eu un comportement illicite du fait, pour l’OLAF, d’avoir transmis des informations aux autorités judiciaires françaises et, pour la Commission, d’avoir déposé plainte en se constituant partie civile.

70      Selon les requérants, en procédant ainsi, l’OLAF et la Commission se sont rendus coupables de dénonciation calomnieuse. Ils estiment que la qualification de dénonciation calomnieuse est acquise du fait que la non-culpabilité de M. Charlot a été établie à l’issue de la procédure judiciaire pénale.

71      À cet égard, ils soutiennent qu’il ressort de la jurisprudence des juridictions françaises que la légèreté fautive ou la témérité d’une plainte ou d’une dénonciation suffisent pour engager la responsabilité civile de son auteur. En outre, il ressortirait de la même jurisprudence que la faute est caractérisée lorsque la dénonciation n’intervient pas en application d’une obligation légale.

72      Or, les requérants font valoir que rien n’obligeait l’OLAF à les dénoncer aux autorités françaises, car la transmission d’informations aux autorités nationales serait seulement facultative dans le cadre des enquêtes externes. De manière identique, la Commission n’aurait pas été obligée de déposer plainte avec constitution de partie civile à l’encontre des requérants à un stade où l’enquête de l’OLAF n’était pas encore finalisée.

73      La Commission conteste les arguments des requérants.

74      Afin de soutenir l’existence d’une dénonciation calomnieuse, les requérants se fondent sur des dispositions de droit pénal français, sur la jurisprudence des juridictions françaises ainsi que sur la doctrine française en la matière.

75      Or, s’il est vrai que les juridictions de l’Union ont une compétence exclusive pour statuer sur les recours en réparation d’un dommage imputable aux institutions de l’Union, l’interprétation et l’encadrement juridique en droit pénal français des faits allégués par les requérants ne relèvent pas de la compétence du juge de l’Union.

76      Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter comme inopérants les arguments des requérants tirés de l’existence d’une dénonciation calomnieuse.

 Sur les autres faits reprochés à l’OLAF

77      Les requérants font valoir que l’OLAF a fait preuve d’un comportement illicite lorsqu’il a transmis aux autorités nationales la note du 19 mars 2003. En particulier, l’OLAF aurait méconnu les principes de bonne administration et de la présomption d’innocence et les droits de la défense tels qu’ils sont consacrés par la Charte, ainsi que le droit à la protection de la confidentialité des données à caractère personnel.

78      En premier lieu, les requérants font valoir que l’OLAF a violé le principe de bonne administration en transmettant de manière précipitée des informations aux autorités nationales, sans avoir respecté un délai raisonnable. En outre, les requérants soutiennent que la Commission a méconnu son devoir de vérification des données communiquées aux autorités judiciaires françaises.

79      En deuxième lieu, les requérants font valoir que l’OLAF a violé leurs droits de la défense et le principe du contradictoire, car ils n’ont été ni informés ni entendus à propos des faits les concernant avant que l’OLAF n’ait transmis la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises.

80      En troisième lieu, les requérants soutiennent que certains termes, tels que « pillage », utilisés par l’OLAF dans sa note du 19 mars 2003 laissaient peu de doute quant à leur culpabilité, ce qui constituerait une violation du principe de la présomption d’innocence.

81      La Commission conteste les arguments des requérants.

–       Sur le grief tiré de la violation du principe de bonne administration

82      À titre liminaire, il convient de rappeler que le principe de bonne administration est consacré par l’article 41 de la Charte, qui figure parmi les garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives (voir ordonnance du 7 juin 2017, De Masi/Commission, T‑11/16, non publiée, EU:T:2017:385, point 35 et jurisprudence citée). Aux termes du paragraphe 1 de cet article, toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions de l’Union.

83      Ensuite, il convient de relever qu’il ressort des dispositions de l’article 9, paragraphes 1 et 3, du règlement (CE) no 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, relatif aux enquêtes effectuées par l’OLAF (JO 1999, L 136, p. 1), que ce sont les conclusions contenues dans le rapport final d’une enquête externe que l’OLAF transmet, conformément à la réglementation relative à ce type d’enquêtes, aux autorités compétentes des États membres concernés.

84      Toutefois, aux termes de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1073/1999, « l’Office peut transmettre à tout moment aux autorités compétentes des États membres concernés des informations obtenues au cours d’enquêtes externes ».

85      En outre, il ressort du considérant 13 de ce règlement que les conclusions de l’OLAF contenues dans un rapport final ne sauraient aboutir d’une manière automatique à l’ouverture de procédures judiciaires ou disciplinaires, dès lors que les autorités compétentes sont libres de décider de la suite à donner au rapport final et sont donc les seules autorités à pouvoir arrêter des décisions susceptibles d’affecter la situation juridique des personnes à l’endroit desquelles le rapport aurait recommandé l’engagement de telles procédures.

86      Force est donc de constater que l’OLAF est en droit de saisir l’autorité judiciaire, y compris avant la fin de l’enquête externe, s’il estime disposer d’informations ou d’éléments pouvant justifier l’ouverture d’une enquête judiciaire ou constituer des éléments de preuve utiles à une telle enquête.

87      En l’espèce, il ressort de la note du 19 mars 2003 que les informations qui y sont contenues sont le résultat d’une enquête ayant commencé sur la base d’un rapport d’audit interne d’Eurostat daté de septembre 1999, soit près de trois ans et demi auparavant. En outre, ladite note expose le cadre institutionnel dans lequel celle-ci s’inscrit, présente l’historique des faits visés par l’enquête en partant de la création du réseau des datashops dans les années 1995 et 1996, explique les relations financières au sein de ce réseau et détaille les constatations faites au cours de l’enquête.

88      Il en résulte que l’OLAF disposait d’ores et déjà, le 19 mars 2003, des informations ou des éléments permettant de considérer que les faits en cause étaient susceptibles de recevoir une qualification pénale.

89      De plus, les renseignements contenus dans la note du 19 mars 2003 ont été confirmés par le rapport final de l’enquête. Ainsi, il ressort dudit rapport que la source initiale d’information a été l’enquête interne IO/2000/4097, dont il constituait le volet externe. De même, le rapport final réitère les constatations factuelles faites à l’égard de Planistat et exposées dans la note du 19 mars 2003. En tout état de cause, les conclusions dudit rapport final n’auraient apporté aucun élément d’information au bénéfice des requérants par rapport à la note du 19 mars 2003.

90      Dans ces circonstances, il convient de constater que l’OLAF n’a commis aucune faute et, en particulier, n’a pas violé le principe de bonne administration en procédant à l’information des autorités judiciaires françaises avant d’avoir finalisé le rapport de l’enquête externe.

91      S’agissant de l’argument des requérants tiré de la violation du principe du respect d’un délai raisonnable, il convient de le rejeter d’emblée. En effet, la violation de ce principe, à la supposer établie, ne saurait engager la responsabilité non contractuelle de la Commission qu’en tant qu’elle serait une cause de préjudice en raison d’un écoulement excessif du temps. Par conséquent, les requérants ne sauraient utilement se fonder sur ledit principe pour soutenir que l’OLAF a transmis la note du 19 mars 2003 de manière précipitée.

92      Il y a donc lieu de rejeter ce grief comme non fondé.

–       Sur le grief tiré de la violation des droits de la défense

93      Le respect des droits de la défense constitue un principe général du droit de l’Union qui trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief (voir arrêt du 14 décembre 2018, East West Consulting/Commission, T‑298/16, EU:T:2018:967, point 132 et jurisprudence citée).

94      En vertu de ce principe, les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur lesquels l’administration entend fonder sa décision. Cette obligation pèse sur l’administration lorsqu’elle prend des décisions entrant dans le champ d’application du droit de l’Union, alors même que la législation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité. L’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte dispose également que toute personne a le droit d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard (voir arrêt du 14 décembre 2018, East West Consulting/Commission, T‑298/16, EU:T:2018:967, point 133 et jurisprudence citée).

95      S’agissant, en particulier, des actes de l’OLAF et, plus spécifiquement, d’une décision de transmettre des informations aux autorités judiciaires nationales, la Commission relève à juste titre qu’une telle décision ne saurait être considérée comme un acte faisant grief, dès lors qu’elle ne modifie pas de façon caractérisée la situation juridique de l’intéressé. En effet, l’obligation de coopération loyale inscrite à l’article 4, paragraphe 3, TUE impose aux autorités judiciaires nationales de traiter avec sérieux une transmission d’informations par l’OLAF au titre de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no°1073/1999. Toutefois, ladite obligation n’impose aux autorités nationales aucun devoir d’adopter des démarches spécifiques si elles estiment que les informations transmises par l’OLAF ne les justifient pas. Ainsi, la décision prise, le cas échéant, par les autorités nationales, de donner suite à la transmission d’informations par l’OLAF découle de l’exercice autonome des pouvoirs dont ces autorités sont investies (voir, en ce sens, arrêt du 20 mai 2010, Commission/Violetti e.a., T‑261/09 P, EU:T:2010:215, point 47 et jurisprudence citée).

96      Par conséquent, le principe du respect des droits de la défense ne saurait être utilement invoqué par les requérants pour critiquer le fait qu’ils n’avaient pas été entendus préalablement à la transmission des informations aux autorités judiciaires nationales.

97      Il convient donc de rejeter ce grief comme non fondé.

–       Sur le grief tiré de la violation du principe de la présomption d’innocence

98      Les requérants font valoir que des termes tels que « pillage » employés par l’OLAF dans la note du 19 mars 2003 laisseraient peu de doute quant à leur culpabilité et constitueraient ainsi une violation du principe de la présomption d’innocence.

99      Il convient de rappeler que le principe de la présomption d’innocence, qui constitue un droit fondamental énoncé à l’article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, confère aux particuliers des droits dont le juge de l’Union garantit le respect (voir arrêt du 4 avril 2019, Rodriguez Prieto/Commission, T‑61/18, EU:T:2019:217, point 91 et jurisprudence citée).

100    En l’espèce, il convient toutefois de replacer le terme « pillage » mis en exergue par les requérants dans le contexte plus large de la note du 19 mars 2003. Ainsi, il ressort de ladite note que, après avoir exposé le développement historique du réseau des datashops et les constatations faites au cours de l’enquête, l’OLAF a exprimé, sous le titre « 3. Les infractions pénales », son avis sur l’encadrement juridique des faits constatés et a indiqué les motifs pour lesquels il considérait que la loi pénale française était applicable et que les juridictions répressives françaises étaient compétentes. Parmi les faits qui, selon la note de l’OLAF, caractérisaient certaines des infractions retenues figurait notamment celui d’avoir disposé d’une partie considérée comme importante des recettes appartenant à l’Union à des fins étrangères à l’intérêt de l’Union. Toutefois, il ressort tout particulièrement de l’avant-dernier paragraphe de la note du 19 mars 2003 que l’OLAF a laissé à l’appréciation des autorités judiciaires compétentes la qualification juridique des faits qui y sont mentionnés.

101    Dans ces circonstances, comme la Commission le fait valoir à juste titre, le terme « pillage » peut être compris comme une référence aux opérations entreprises au détriment du budget de l’Union que la note du 19 mars 2003 avait mises en évidence et non comme établissant, par lui-même, la culpabilité des requérants.

102    Cette appréciation est renforcée notamment par les dispositions de l’article 2 du règlement no 1073/1999, aux termes duquel les enquêtes de l’OLAF ont pour objectif « d’établir, le cas échéant, le caractère irrégulier des activités contrôlées » et « [c]es enquêtes n’affectent pas la compétence des États membres en matière de poursuites pénales. » Il en résulte qu’il était de la compétence de l’OLAF d’établir, dans la note du 19 mars 2003, l’irrégularité des faits constatés dans le cadre des enquêtes visant le déroulement des contrats conclus avec les requérants, tout en laissant aux autorités compétentes nationales la charge de les qualifier sur le plan pénal et de décider des éventuelles poursuites pénales.

103    Ce grief ne saurait donc prospérer.

104    Partant, il y a lieu de constater que l’OLAF n’a pas commis de faute en transmettant aux autorités judiciaires nationales des informations relatives à des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale.

 Sur les autres faits reprochés à la Commission

105    Les requérants font valoir en substance que la Commission a fait preuve d’un comportement illicite en déposant plainte avec constitution de partie civile. Ils estiment que la Commission, en se constituant partie civile dès le dépôt de la plainte et avant même d’avoir obtenu les résultats définitifs de l’enquête de l’OLAF, a méconnu le principe de bonne administration ainsi que celui du délai raisonnable. À cette fin, ils se réfèrent aux conclusions du Tribunal dans l’arrêt du 11 juin 2019, De Esteban Alonso/Commission (T‑138/18, EU:T:2019:398). En outre, la Commission aurait fait preuve de partialité en privilégiant ses propres intérêts financiers.

106    La Commission conteste les arguments des requérants.

107    Aux termes de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 1073/1999, le rapport établi à la suite d’une enquête externe et tout document utile qui y est afférent sont transmis aux autorités compétentes des États membres concernés conformément à la réglementation relative aux enquêtes externes.

108    Force est de constater que ni la disposition précitée ni aucune autre disposition n’interdisent expressément à la Commission de saisir l’autorité judiciaire avant la fin de l’enquête de l’OLAF si elle estime disposer d’informations ou d’éléments pouvant justifier l’ouverture d’une enquête judiciaire ou constituer des éléments de preuve utiles à une telle enquête (voir, par analogie, arrêt du 10 juin 2021, Commission/De Esteban Alonso, C‑591/19 P, EU:C:2021:468, points 56 et 57).

109    S’agissant de l’argument des requérants tiré de la violation du principe du respect d’un délai raisonnable en ce que la Commission s’est constituée partie civile de manière précipitée, il convient de rappeler que la violation de ce principe, à la supposer établie, ne saurait engager la responsabilité non contractuelle de la Commission qu’en tant qu’elle serait une cause de préjudice en raison d’un écoulement excessif du temps. Par conséquent, les requérants ne sauraient utilement prétendre que la Commission a violé ledit principe en se constituant partie civile avant d’avoir reçu le rapport final dans le cadre de l’enquête externe.

110    Par ailleurs, comme les requérants le relèvent eux-mêmes, les dispositions applicables du code de procédure pénale français permettaient à la Commission de se constituer partie civile « à tout moment au cours de l’instruction ».

111    S’agissant du prétendu manquement au devoir d’impartialité dont la Commission aurait fait preuve en demandant la réparation d’un préjudice devant les juridictions compétentes, il convient de rappeler que le fait de pouvoir faire valoir ses droits par la voie juridictionnelle et le contrôle juridictionnel qu’il implique est l’expression d’un principe général du droit qui se trouve au fondement des traditions constitutionnelles communes aux États membres et qui a également été consacré par les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et par l’article 47 de la Charte. L’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait, pour une institution, d’intenter une action en justice est susceptible de constituer une faute de service (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2019, Rodriguez Prieto/Commission, T‑61/18, EU:T:2019:217, point 75 et jurisprudence citée).

112    En l’espèce, il convient de constater que, quoi qu’il en soit des termes de l’ordonnance de non-lieu et de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 juin 2014 confirmant cette ordonnance, les circonstances de l’espèce n’apparaissent pas exceptionnelles au point de mener à la conclusion que l’appel interjeté contre ladite ordonnance et le pourvoi en cassation introduit contre cet arrêt constituaient des fautes de service de la Commission. En outre, comme les requérants l’ont fait valoir à l’audience, la longueur assez conséquente de cette procédure était due, notamment, à la complexité des faits ainsi qu’à des facteurs internes à la juridiction nationale et, par conséquent, hors du contrôle de la Commission.

113    Il y a donc lieu de rejeter les arguments des requérants.

114    Partant, il convient de constater que la Commission n’a pas commis de faute en déposant plainte contre X et en se constituant partie civile.

115    Il résulte de tout ce qui précède qu’aucun comportement fautif imputable à l’OLAF ou à la Commission n’a été établi. En conséquence, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’examen quant à la réalité du préjudice et à l’existence d’un lien de causalité.

116    Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter le recours comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.

 Sur les dépens

117    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Planistat Europe et M. HervéPatrick Charlot sont condamnés aux dépens.

Marcoulli

Schwarcz

Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 avril 2022.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.