Language of document : ECLI:EU:T:2022:217

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

6 avril 2022 (*)

« Aides d’État – Régime d’aides mis en œuvre par le gouvernement de Gibraltar concernant l’impôt sur les sociétés – Exonération fiscale pour des revenus générés par des intérêts et des redevances de propriété intellectuelle – Décisions fiscales anticipées au profit d’entreprises multinationales – Décision de la Commission déclarant les aides incompatibles avec le marché intérieur – Obligation de motivation – Erreur manifeste d’appréciation – Avantage sélectif – Droit de présenter des observations »

Dans l’affaire T‑508/19,

Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific) Pte Ltd, établie à Singapour (Singapour),

MJN Global Holdings BV, établie à Amsterdam (Pays-Bas),

Mead Johnson BV, établie à Nimègue (Pays-Bas),

Mead Johnson Nutrition Co., établie à Chicago, Illinois (États-Unis),

représentées par M. C. Quigley, barrister, MM. M. Whitehouse et P. Halford, solicitors,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. L. Flynn, B. Stromsky et Mme P. Němečková, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle de la décision (UE) 2019/700 de la Commission, du 19 décembre 2018, concernant l’aide d’État SA.34914 (2013/C) mise à exécution par le Royaume-Uni en ce qui concerne le régime d’imposition des sociétés de Gibraltar (JO 2019, L 119, p. 151),

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie),

composé de Mme V. Tomljenović (rapporteure), présidente, M. F. Schalin, Mme P. Škvařilová‑Pelzl, M. I. Nõmm et Mme G. Steinfatt, juges,

greffier : M. I. Pollalis, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 28 juin 2021,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

A.      Adoption de l’Income Tax Act de 2010 et octroi de la décision fiscale anticipée de MJN GibCo de 2012

1        Le 1er janvier 2011, l’Income Tax Act de 2010 (loi relative à l’imposition des sociétés de Gibraltar de 2010, ci-après l’« ITA 2010 »), est entré en vigueur et a abrogé l’Income Tax Act de 1952 (loi relative à l’imposition des sociétés de Gibraltar de 1952, ci‑après l’ « ITA 1952 »). L’ITA 2010 a instauré un taux général d’imposition des sociétés de 10 %. Jusqu’à la modification de l’ITA 2010, entrée en vigueur le 30 juin 2013 en ce qui concerne les revenus générés par des intérêts passifs, puis le 31 décembre de la même année en ce qui concerne les revenus générés par des redevances (ci-après la « modification de 2013 de l’ITA 2010 »), ces revenus n’étaient pas inclus dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010.

2        Jusqu’à sa dissolution, le 16 octobre 2018, MJN Holdings (Gibraltar) Ltd (ci-après « MJN GibCo ») était une société établie à Gibraltar, appartenant au groupe international Mead Johnson Nutrition (ci-après le « groupe MJN »), actif dans la fabrication de produits nutritionnels infantiles ou à destination des enfants. MJN GibCo avait pour activité la détention, en qualité d’associé commanditaire, d’une participation dans le capital de Mead Johnson Three CV (ci-après « MJT CV »), une société en commandite simple de droit néerlandais (commanditaire vennootschap, ci-après « CV néerlandaise »), établie aux Pays‑Bas jusqu’à sa dissolution, le 15 décembre 2017.

3        MJT CV détenait des licences de droits de propriété intellectuelle (notamment des brevets, des marques et des informations techniques) sur lesquels elle concédait, moyennant le versement de redevances, des sous-licences à Mead Johnson BV (ci-après « MJ BV »), une société de droit néerlandais.

4        Les actionnaires de MJT CV étaient, d’une part, MJN GibCo (à 99,99 %) et, d’autre part, MJN Asia Pacific Holding LLC (à 0,01 %), une société à responsabilité limitée de droit américain. La participation de MJN GibCo dans le capital de MJT CV lui ouvrait droit à 99,99 % des bénéfices de cette dernière.

5        Jusqu’en juin 2017, la société mère du groupe MJN était Mead Johnson Nutrition Co. (ci-après « MJN US »), une société établie au Delaware (États-Unis). Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific) Pte Ltd, établie à Singapour (Singapour) et ayant pour activité la fabrication et la vente de produits nutritionnels infantiles, était, quant à elle, la société mère à 100 % de MJN GibCo, jusqu’à la dissolution de cette dernière.

6        Le 11 septembre 2012, à la suite d’une demande introduite le même jour par les avocats de MJN US, la société mère du groupe MJN (ci-après la « demande de décision fiscale anticipée »), les autorités fiscales de Gibraltar ont octroyé à MJN GibCo une décision fiscale anticipée confirmant la non-imposition, à l’égard de MJN GibCo, des revenus de MJT CV générés par des redevances (ci-après la « DFA de MJN GibCo de 2012 »).

7        La demande de décision fiscale anticipée précisait que MJT CV était considérée comme une société en commandite au regard du droit fiscal de Gibraltar. Selon les auteurs de la demande de décision fiscale anticipée, une telle société étant transparente au regard de la fiscalité de Gibraltar, tout revenu généré par une redevance perçue par MJT CV devait être considéré comme étant perçu directement par MJN GibCo. Il était néanmoins indiqué que, selon eux, tout revenu généré par des redevances qui pourrait être perçu ne relèverait pas des catégories de revenus imposables au titre de l’ITA 2010 (« heads of charge taxable under the ITA 2010 »). Ainsi, il était demandé aux autorités de Gibraltar de confirmer cette interprétation de l’ITA 2010 ainsi que le fait que tout revenu généré par des redevances qui serait perçu par MJN GibCo, du fait de sa participation dans MJT CV, ne donnerait lieu à aucun assujettissement à l’impôt.

8        Par la DFA de MJN GibCo de 2012, les services de l’impôt sur le revenu (Income Tax Office) ont répondu que, « sur la base des faits et circonstances présentés dans la [demande de décision fiscale anticipée], [il était] confirmé, au nom du commissaire [de l’impôt sur le revenu de Gibraltar], que […] les futurs revenus générés par des redevances perçus par [MNJ GibCo] ne [seraient] pas assujettis à l’impôt en vertu des dispositions de [l’ITA 2010] ».

B.      Procédure administrative devant la Commission

9        Le 1er juin 2012, le Royaume d’Espagne a déposé une plainte auprès de la Commission européenne au sujet de l’aide d’État prétendument reçue par les sociétés offshore de Gibraltar dans le cadre du régime fiscal établi par l’ITA 2010.

10      Le 16 octobre 2013, la Commission a ouvert la procédure formelle d’examen (ci-après la « décision d’ouverture de la procédure »), afin de vérifier si la non-imposition (« exonération fiscale » dans le texte de ladite décision) des revenus générés par les intérêts passifs et par les redevances de propriété intellectuelle, prévue par l’ITA 2010, avantageait de manière sélective certaines entreprises, en violation des règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État.

11      Le 1er octobre 2014, la Commission a informé le Royaume-Uni de sa décision d’étendre la procédure établie à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, afin d’inclure dans celle-ci la pratique des décisions fiscales anticipées à Gibraltar et, plus particulièrement, l’adoption de 165 décisions fiscales anticipées (ci-après la « décision d’étendre la procédure »).

C.      Décision attaquée

12      Le 19 décembre 2018, la Commission a adopté la décision (UE) 2019/700, du 19 décembre 2018, concernant l’aide d’État SA.34914 (2013/C) mise à exécution par le Royaume-Uni en ce qui concerne le régime d’imposition des sociétés de Gibraltar (JO 2019, L 119, p. 151, ci-après la « décision attaquée »). En substance, la Commission a constaté, d’une part, que l’ « exonération » des revenus générés par les intérêts passifs et par les redevances, applicable à Gibraltar entre 2011 et 2013 au titre de l’ITA 2010, constituait un régime d’aides d’État illégalement mis en œuvre et incompatible avec le marché intérieur et, d’autre part, que le traitement fiscal octroyé par le gouvernement de Gibraltar sur la base de décisions fiscales anticipées accordées à cinq sociétés établies à Gibraltar détenant une participation dans des CV néerlandaises et percevant des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances de propriété intellectuelle (ci-après les « cinq décisions fiscales anticipées ») constituait des aides d’État individuelles illégales et incompatibles avec le marché intérieur.

1.      « Exonération » des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances (régime d’aides)

13      Dans la décision d’ouverture de la procédure, la Commission avait conclu, à titre préliminaire, que l’« exonération » des revenus générés par des intérêts passifs (ci-après la « non-imposition des revenus générés par des intérêts passifs ») et l’« exonération » des revenus générés par des redevances (ci-après la « non-imposition des revenus générés par des redevances ») constituaient chacune un régime d’aides. Afin de tenir compte de la modification de 2013 de l’ITA 2010 aux termes de laquelle les revenus générés par des redevances et par des intérêts passifs ont été introduits parmi les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, intervenue postérieurement à la décision d’ouverture de la procédure, la Commission a limité le champ d’application de la décision attaquée aux revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances reçus ou à recevoir entre l’entrée en vigueur de l’ITA 2010 (le 1er janvier 2010) et le 30 juin 2013 (pour les revenus générés par des intérêts passifs ) ou le 31 décembre 2013 (pour les revenus générés par des redevances).

14      S’agissant de l’analyse du critère de l’avantage, la Commission a constaté, en substance, que les revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances perçus par une entreprise à Gibraltar étaient normalement considérés comme étant générés ou trouvant leur origine à Gibraltar et, donc, normalement soumis à l’impôt à Gibraltar au titre du principe de territorialité. En conséquence, elle a conclu que cette « exonération » introduisait un allégement de l’impôt que les entreprises en bénéficiant auraient autrement dû payer (considérants 81 à 83 de la décision attaquée).

15      S’agissant de l’analyse de la sélectivité, en application de la jurisprudence relative à la sélectivité matérielle de mesures fiscales, la Commission a, d’abord, considéré que le cadre de référence à prendre en compte pour examiner la non-imposition des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances était l’ITA 2010, dont l’objectif était de collecter l’impôt sur les revenus des contribuables percevant des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar. Par ailleurs, elle a précisé que l’« exonération » des revenus générés par des intérêts passifs et des redevances ne résultait pas d’une exonération formelle prévue par le régime fiscal, mais de la non-inclusion de ces revenus dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, en d’autres termes d’une « exonération implicite » (considérants 89 à 93 de la décision attaquée).

16      Ensuite, la Commission a examiné si la non-imposition des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances donnait lieu à un traitement fiscal différent à des entreprises se trouvant dans une situation comparable. Elle a relevé que, en l’absence de l’« exonération » des revenus générés par des redevances et des intérêts passifs, ceux-ci auraient été soumis à l’impôt à Gibraltar en application du principe de territorialité.

17      En outre, après avoir exposé que, lorsque la mesure examinée ne découlait pas d’une dérogation formelle au régime fiscal, il y avait lieu de considérer les effets de celle-ci, afin d’évaluer si elle avantageait de façon significative un groupe d’entreprises particulier, la Commission a considéré, à l’appui de données chiffrées, que la non-imposition des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances avantageait des sociétés appartenant à des groupes multinationaux exerçant des activités telles que l’octroi de prêts intragroupe ou de droits d’utiliser des actifs incorporels. Ces entreprises se trouvant, au regard de l’objectif de l’ITA 2010, dans une même situation juridique et factuelle que les autres entreprises percevant des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar, la Commission en a conclu que ces mesures étaient a priori sélectives (considérants 94 à 104 de la décision attaquée).

18      Enfin, la Commission a considéré que la non-imposition des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances n’était pas justifiée par la logique intrinsèque du régime fiscal de l’ITA 2010. Elle a notamment écarté les justifications invoquées par les autorités du Royaume-Uni telles que la bonne gestion administrative (considérants 105 à 109 de la décision attaquée). En conséquence, la Commission a considéré que ces mesures constituaient chacune un régime d’aides illégal et incompatible avec le marché intérieur.

2.      Cinq décisions fiscales anticipées (mesures d’aides individuelles)

19      Dans la décision d’étendre la procédure, la Commission avait identifié 165 décisions fiscales anticipées octroyées par les autorités fiscales de Gibraltar, pour lesquelles elle avait conclu, à titre préliminaire, qu’elles étaient matériellement sélectives et qu’elles constituaient potentiellement des aides d’État.

20      Dans la décision attaquée, la Commission a estimé que 160 des 165 décisions fiscales anticipées analysées correspondaient à une application normale du régime fiscal de droit commun de Gibraltar, sans que l’on puisse conclure à l’existence d’une aide d’État, pour une autre raison (considérants 132 à 150 de la décision attaquée). En revanche, elle a considéré que les cinq décisions fiscales anticipées, dont la DFA de MJN GibCo de 2012, qui restaient à examiner constituaient des mesures d’aides individuelles. Par les cinq décisions fiscales anticipées, qui étaient restées en vigueur après la modification de 2013 de l’ITA 2010, y compris après des audits menés en 2015, les autorités fiscales de Gibraltar avaient confirmé à leurs destinataires que les revenus générés par des redevances au niveau de CV néerlandaises dont ils détenaient des parts n’étaient pas imposables au titre de l’ITA 2010.

21      Tout d’abord, la Commission a indiqué, au considérant 153 de la décision attaquée, que les cinq décisions fiscales anticipées portaient généralement sur la structure de groupe suivante :

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22      La Commission a précisé que, d’après les communications des autorités du Royaume-Uni, les autorités fiscales de Gibraltar considéraient que les revenus perçus par des CV néerlandaises étaient directement perçus par les entreprises de Gibraltar détenant une participation dans lesdites CV. Elle a ajouté que, dans la mesure où, à la suite des modifications de l’ITA 2010, les revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances ont été inclus dans les catégories de revenus listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010 et seraient devenus imposables à Gibraltar, indépendamment de leur origine, de tels revenus seraient devenus imposables au niveau des partenaires établis à Gibraltar. La Commission a alors identifié, aux considérants 161 et 162 de la décision attaquée, les parts de bénéfices tirées de revenus passifs ou de redevances de propriété intellectuelle qui auraient dû être intégrées à la base imposable des cinq entreprises bénéficiaires de ces décisions, établies à Gibraltar, et imposées selon les règles d’imposition « normales de Gibraltar ». S’agissant de MJN GibCo, elle a indiqué que celle-ci détenait 99,99 % des parts et que ses bénéfices imposables à Gibraltar s’élevaient à 330 785 918,10 dollars des États-Unis (USD) pour 2014, à 254 328 564,60 USD pour 2015, et à 232 375 224,15 USD pour 2016. Ces parts auraient dû, selon elle, être intégrées dans la base imposable de MJN GibCo et imposées selon les règles d’imposition de Gibraltar.

23      S’agissant de l’avantage sélectif, la Commission a, d’abord, considéré que le cadre de référence pertinent pour l’examen de la sélectivité était l’ITA 2010 et a renvoyé, à cet égard, aux considérations développées à la section 7.1.3.1 de la décision attaquée, relative à l’examen de la sélectivité des régimes d’aides consistant en la non-imposition des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances. Elle a ajouté qu’il aurait été nécessaire, en vertu des règles de la common law, de tenir compte de la part des bénéfices ou des plus-values tirés d’une CV, en tant qu’entreprise partenaire, comme si cette part représentait les bénéfices ou les plus-values de l’entreprise établie à Gibraltar.

24      La Commission a ensuite constaté, pour la période précédant la modification de 2013, que les décisions fiscales anticipées faisaient application des régimes d’aides prévoyant l’exonération des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances, qui avaient été examinés dans la section 7 de la décision attaquée. Pour la période postérieure à cette modification, elle a relevé que les cinq décisions fiscales anticipées autorisaient leurs bénéficiaires à continuer de profiter des régimes d’exonération des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances et en a conclu que les autorités fiscales de Gibraltar avaient prolongé l’existence de ce régime dans cinq cas individuels, ce qui constituait une dérogation au régime fiscal ordinaire.

25      Enfin, la Commission a considéré que les cinq sociétés de Gibraltar ayant bénéficié des cinq décisions fiscales anticipées se trouvaient dans une situation juridique et factuelle comparable à celle de toutes les sociétés contribuables, générant des revenus à Gibraltar ou en provenance de Gibraltar, soumises à l’impôt à Gibraltar, et que cette dérogation ne pouvait pas être justifiée par la nature et la logique du système.

26      S’agissant des bénéficiaires des mesures d’aides identifiées, la Commission a considéré que les sociétés mères, propriétaires des sociétés partenaires établies à Gibraltar, étaient, in fine, bénéficiaires de ces mesures. Elle a relevé que les cinq sociétés de Gibraltar bénéficiant des cinq décisions fiscales anticipées, y compris MJN GibCo, faisaient partie de grands groupes internationaux et que la structure des groupes qui comprenait une CV néerlandaise avantageait les sociétés mères, en leur permettant de générer des bénéfices grâce à l’exploitation de droits de propriété intellectuelle, sans que ceux-ci soient imposés. La Commission a ajouté que la structure du groupe d’entreprise comprenant une société à responsabilité limitée néerlandaise, une CV néerlandaise, des sociétés partenaires de Gibraltar et une société mère constituait une seule et même unité économique, au sens de la jurisprudence, de sorte que ces différentes sociétés devaient toutes être considérées comme étant les bénéficiaires de la mesure d’aide dont cette entreprise avait profité.

D.      Dispositif de la décision attaquée

27      Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :

« Article premier

1. Le régime d’aides d’État accordé sous la forme d’une exonération fiscale des revenus liés aux intérêts passifs, applicable à Gibraltar au titre de l’[ITA] 2010 entre le 1er janvier 2011 et le 30 juin 2013 et illégalement mis à exécution par Gibraltar en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE est incompatible avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

2. Le régime d’aides d’État accordé sous la forme d’une exonération fiscale des revenus générés par les redevances de propriété intellectuelle, applicable à Gibraltar au titre de l’[ITA] 2010 entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013 et illégalement mis à exécution par Gibraltar en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE est incompatible avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

Article 2

Les aides d’État individuelles octroyées par le gouvernement de Gibraltar sur la base des décisions fiscales anticipées […] accordées à cinq entreprises établies à Gibraltar détenant une participation dans des [CV] néerlandaises […] et percevant des revenus liés aux intérêts passifs et aux redevances de propriété intellectuelle, qui ont été illégalement mises à exécution par le Royaume-Uni en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

[…]

Article 5

1. Le Royaume-Uni récupère toutes les aides incompatibles accordées sur la base des régimes d’aides visés à l’article 1er ou sur la base des [cinq] décisions fiscales anticipées visées à l’article 2 auprès des bénéficiaires de ces aides.

2. Toute aide individuelle accordée sur la base des [cinq] décisions fiscales anticipées visées à l’article 2 qui ne peut pas être récupérée auprès de l’entreprise concernée établie à Gibraltar en question est récupérée auprès d’autres entités formant une même unité économique avec cette entreprise établie à Gibraltar, c’est-à-dire la société à responsabilité limitée néerlandaise, la CV néerlandaise ou la société mère pertinente de l’entreprise établie à Gibraltar.

[…] »

II.    Procédure et conclusions des parties

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 juillet 2019, les requérantes, Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific), MJN Global Holdings BV, MJ BV et MJN US, ont introduit le présent recours.

29      En application de l’article 106, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, les requérantes ont présenté, le 27 mars 2020, une demande motivée d’audience de plaidoiries.

30      Sur proposition de la deuxième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

31      Le 12 mai 2021, le Tribunal a posé des questions écrites aux parties par la voie d’une mesure d’organisation de la procédure, prévue à l’article 89, paragraphe 3, du règlement de procédure. Les parties ont déféré à la demande du Tribunal dans le délai imparti.

32      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 28 juin 2021.

33      Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’article 1er, paragraphe 2, l’article 2 et l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la décision attaquée en ce qu’ils s’appliquent à elles ;

–        condamner la Commission aux dépens.

34      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme étant irrecevable ou non fondé ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

III. En droit

35      À titre liminaire, il importe de relever que la Commission a renoncé, dans son mémoire en duplique, à se prévaloir de l’irrecevabilité du recours comme étant tardif.

A.      Sur la structure du recours

36      Ainsi qu’il ressort du dispositif de la décision attaquée et des points 13 à 26 ci-dessus, la décision attaquée porte, premièrement, sur deux régimes d’aides, à savoir, d’une part, la non-imposition des revenus générés par des intérêts passifs, visée à l’article 1er, paragraphe 1, de ladite décision, et, d’autre part, la non-imposition des revenus générés par des redevances, visée à l’article 1er, paragraphe 2, de la même décision, et, deuxièmement, sur cinq mesures individuelles octroyées sur la base des cinq décisions fiscales anticipées, visées à l’article 2 de cette même décision.

37      La qualification de mesures d’aides individuelles des cinq décisions fiscales anticipées, pour la période postérieure au 31 décembre 2013 (date à partir de laquelle il a été mis fin aux régimes d’aides), est totalement indépendante de la qualification de la non-imposition des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances de régime d’aides. La décision attaquée contient ainsi deux sections distinctes dans lesquelles les différents critères d’existence d’une aide d’État sont examinés séparément.

38      Par ailleurs, l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la décision attaquée porte sur la récupération des mesures d’aides visées aux articles 1er et 2 de cette même décision.

39      Par leur recours, les requérantes demandent l’annulation partielle de la décision attaquée et, plus particulièrement, l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de l’article 2 ainsi que de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de ladite décision en ce qu’ils s’appliquent à elles.

40      La requête se divise en trois parties distinctes. La première partie du recours tend à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, en ce que la Commission a qualifié de régime d’aides la non-imposition des revenus générés par des redevances ainsi que l’ordre de récupération lié à cette mesure. La deuxième partie du recours tend à l’annulation de l’article 2 de la décision attaquée, en ce que la Commission a conclu que MJN GibCo avait bénéficié de mesures d’aides, pour la période allant jusqu’au 31 décembre 2013, et, pour la période postérieure à cette date, sur la base de la DFA de MJN GibCo de 2012, ainsi que de l’ordre de récupération lié à ces mesures. La troisième partie du recours tend, quant à elle, à l’annulation de l’article 5, paragraphe 2, de la décision attaquée, en ce que la Commission a ordonné la récupération des mesures d’aides auprès de MJN GibCo et, à défaut, auprès des requérantes.

41      Il conviendra donc d’examiner successivement chacune de ces parties.

42      À cet égard, la Commission fait valoir que, pour que le présent recours soit accueilli, les requérantes doivent contester efficacement à la fois l’article 1er, paragraphe 2, et l’article 2 de la décision attaquée. Par ailleurs, elle souligne que, quand bien même le recours serait partiellement accueilli, la contestation de l’ordre de recouvrement formulé à l’article 5 de la décision attaquée ne saurait être acceptée qu’au regard de la partie des aides pour laquelle le recours a été accueilli et uniquement dans la mesure où les requérantes seraient concernées. Les requérantes soutiennent, quant à elles, que la requête comportant des parties distinctes qui tendent à contester des articles différents du dispositif de la décision attaquée, elles pourraient obtenir gain de cause sur l’un des deux ou sur les deux articles faisant l’objet du recours.

43      Selon la jurisprudence, le seul fait que le Tribunal considère comme fondé un moyen invoqué par la partie requérante au soutien de son recours en annulation ne lui permet pas d’annuler automatiquement l’acte attaqué dans son intégralité. En effet, une annulation intégrale ne saurait être retenue lorsqu’il apparaît de toute évidence que ce moyen, visant uniquement un aspect spécifique de l’acte contesté, n’est susceptible d’asseoir qu’une annulation partielle (arrêt du 11 décembre 2008, Commission/Département du Loiret, C‑295/07 P, EU:C:2008:707, point 104).

44      Toutefois, l’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que pour autant que les éléments dont l’annulation est demandée soient détachables du reste de l’acte. Il n’est pas satisfait à cette exigence de séparabilité lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci (voir arrêt du 11 décembre 2008, Commission/Département du Loiret, C‑295/07 P, EU:C:2008:707, points 105 et 106 et jurisprudence citée).

45      Il convient de constater, tout d’abord, que les différentes parties du recours tendent chacune à l’annulation partielle de la décision attaquée et portent sur différentes parties du dispositif de cette décision qui concernent chacune des mesures d’aides tout à fait distinctes et indépendantes, de sorte que, si certains des moyens invoqués au soutien de ces parties devaient être accueillis, ils ne pourraient aboutir qu’à une annulation partielle de la décision attaquée. Ensuite, ainsi que les requérantes l’ont confirmé lors de l’audience de plaidoiries, leur recours tend uniquement à l’annulation de l’article 2 de la décision attaquée en ce qu’il vise l’aide octroyée à MJN GibCo et non les aides individuelles accordées aux bénéficiaires des quatre autres décisions fiscales anticipées, de sorte que, si les moyens tendant à l’annulation de cet article devaient être accueillis, cela conduirait uniquement à l’annulation dudit article en ce qu’il vise la mesure d’aide bénéficiant à MJN GibCo et aux requérantes. En outre, si les griefs tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée ou de l’article 2 de ladite décision, en ce que celui-ci s’applique aux requérantes, devaient être accueillis, cela aurait pour conséquence d’entraîner l’annulation de l’article 5 de la décision attaquée en ce qu’il tend à la récupération des sommes versées au titre des mesures d’aides visées par ces différentes parties du dispositif.

B.      Sur la première partie du recours, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée concernant la non-imposition des revenus générés par des redevances ainsi que de l’ordre de récupération lié à cette mesure

46      À l’appui de la première partie de leur recours, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, ainsi que de l’article 5, paragraphe 1, de la décision attaquée, en ce que ces dispositions s’appliquent aux requérantes, celles-ci soulèvent, en substance, trois séries de moyens.

47      Le premier moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, d’une violation du principe d’attribution des compétences, inscrit à l’article 5 TUE, d’une méconnaissance du principe d’autonomie fiscale et de souveraineté fiscale des États membres ainsi que d’un excès de pouvoir de la Commission [section b) de la première partie de la requête].

48      Les deuxième, troisième et quatrième moyens sont tirés d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce que la Commission n’aurait pas établi l’existence d’un avantage, ni le caractère sélectif de celui-ci [sections c), d) et e) de la première partie de la requête].

49      Le cinquième moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et de la violation de l’article 1er, sous c), du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), en ce que la Commission aurait considéré que le régime d’exonération constituait une aide existante [section f) de la première partie de la requête].

50      En outre, dans la section a) de la première partie de la requête, les requérantes identifient plusieurs erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne l’interprétation des dispositions de l’ITA 2010 et de l’ITA 1952, auxquelles il est renvoyé dans les différents moyens tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée.

51      Le Tribunal examinera successivement les différents moyens identifiés aux points 47 à 49 ci-dessus, et considérera, dans ce contexte, les différentes erreurs identifiées dans la section a) de la première partie de la requête.

1.      Sur le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, d’une violation de l’article 5 TUE, d’une méconnaissance du principe de souveraineté fiscale et d’un excès de pouvoir (premier moyen, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée)

52      Dans le cadre de leur premier moyen, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a violé le principe d’attribution des compétences prévu à l’article 5 TUE, en application duquel le domaine de la fiscalité directe relève de la souveraineté et de la compétence des États membres, et a commis un excès de pouvoir, au regard de l’article 17, paragraphe 1, TUE, en utilisant ses pouvoirs en matière d’aides d’État pour lutter contre une double exonération apparente. La Commission contournerait ainsi la procédure prévue à l’article 116 TFUE, lui permettant d’agir lorsqu’elle constate qu’une disparité existant entre les dispositions législatives des États membres fausse les conditions de concurrence sur le marché intérieur.

53      Les requérantes soulignent que le contrôle des aides d’État est sans préjudice du pouvoir des États membres de choisir le régime fiscal qu’ils jugent le plus approprié et, dans ce cadre, de déterminer de manière souveraine les catégories et le mode de calcul des revenus et bénéfices imposables (l’assiette fiscale). Il ressortirait clairement de la jurisprudence que l’existence d’un avantage doit être établie par rapport à l’imposition dite « normale », telle que définie par les règles fiscales nationales, la Commission ne disposant pas de compétence lui permettant de définir de manière autonome l’imposition dite « normale ». Ainsi, si les États membres doivent exercer leur compétence en matière fiscale dans le respect du droit de l’Union, cela ne conférerait pas à la Commission le pouvoir d’étendre le champ d’application des règles fiscales normales constituant le cadre de référence pertinent, ni d’interférer avec les décisions souveraines d’un État membre au-delà de l’élimination des dérogations aux règles constituant ledit cadre.

54      Or, d’une part, les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant que l’objectif de l’ITA 2010 serait d’imposer les sociétés sur le montant total de leurs bénéfices ou de leurs plus-values et en considérant que la non-imposition des revenus (passifs) générés par des redevances constitue une dérogation à l’ITA 2010. D’autre part, elles soutiennent que la Commission aurait fait une application trop extensive de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et du principe selon lequel une aide d’État se détermine par ses effets et que le cas d’espèce se distinguerait de ceux ayant donné lieu aux arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732), et du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981), invoqués dans la décision attaquée.

55      La Commission conteste ces arguments.

56      En premier lieu, s’agissant de l’allégation d’une violation de l’article 5 TUE, il convient de rappeler que, en dehors des domaines dans lesquels le droit fiscal de l’Union fait l’objet d’une harmonisation, la détermination des caractéristiques constitutives de chaque impôt relève du pouvoir d’appréciation des États membres, dans le respect de leur autonomie fiscale, ce pouvoir devant, en tout état de cause, être exercé dans le respect du droit de l’Union. Il en va ainsi, notamment, du choix du taux de l’impôt, qui peut être proportionnel ou progressif, mais aussi de la détermination de son assiette et de son fait générateur (arrêt du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 38).

57      Toutefois, selon une jurisprudence constante, même si la fiscalité directe relève, en l’état actuel du développement du droit de l’Union, de la compétence des États membres, ces derniers doivent néanmoins exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union (voir arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Espagne, C‑269/09, EU:C:2012:439, point 47 et jurisprudence citée). Ainsi, les interventions des États membres, dans les domaines qui n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation dans l’Union, tels que la fiscalité directe, ne sont pas exclues du champ d’application de la réglementation relative au contrôle des aides d’État.

58      En effet, les États membres doivent exercer leur compétence en matière fiscale en conformité avec le droit de l’Union et, dans ce contexte, s’abstenir de prendre toute mesure susceptible de constituer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2010, Commission/Espagne, C‑487/08, EU:C:2010:310, point 37).

59      Partant, la Commission peut qualifier une mesure fiscale d’aide d’État pour autant que les conditions d’une telle qualification soient réunies (voir, en ce sens, arrêts du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, EU:C:1974:71, point 28 ; du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, point 81, et du 25 mars 2015, Belgique/Commission, T‑538/11, EU:T:2015:188, points 65 et 66).

60      Or, s’agissant de la condition selon laquelle la mesure en cause doit octroyer un avantage économique, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, sont considérées comme étant des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises, ou qui doivent être considérées comme octroyant à l’entreprise bénéficiaire un avantage économique que celle-ci n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (voir arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Deutsche Post, C‑399/08 P, EU:C:2010:481, point 40 et jurisprudence citée ; arrêt du 9 octobre 2014, Ministerio de Defensa et Navantia, C‑522/13, EU:C:2014:2262, point 21).

61      Plus précisément, une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises un traitement fiscal avantageux qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que celle des autres contribuables constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C‑387/92, EU:C:1994:100, point 14 ; voir, également, arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 46 et jurisprudence citée). Par ailleurs, dans le cas des mesures fiscales, l’existence même d’un avantage ne peut être établie que soit par rapport à une imposition dite « normale » (arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56), soit par rapport aux règles fiscales définies par l’État membre en vertu de son autonomie fiscale.

62      En conséquence, l’autonomie fiscale des États membres n’implique pas que toute mesure fiscale, qui affecte notamment la base imposable prise en compte par les autorités fiscales, échappe à l’application de l’article 107 TFUE. En effet, si une mesure fiscale opère, en fait, une discrimination entre des sociétés se trouvant dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal normal, constituant le cadre de référence à prendre en compte et, de ce fait, confère aux bénéficiaires de la mesure des avantages sélectifs qui favorisent « certaines » entreprises ou « certaines » productions, elle pourra être considérée comme étant une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 104).

63      Il découle de ce qui précède que, la Commission étant compétente pour veiller au respect de l’article 107 TFUE, elle n’a pas outrepassé ses compétences lorsqu’elle a examiné la non-imposition des revenus générés par des redevances afin de vérifier si cette mesure constituait un régime d’aides et, dans l’affirmative, si elle était compatible avec le marché intérieur, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

64      Aucun des arguments des requérantes n’est de nature à remettre en cause ce constat.

65      Premièrement, il découle, certes, de la jurisprudence exposée au point 57 ci‑dessus que la Commission ne dispose pas, à ce stade du développement du droit de l’Union, de la compétence lui permettant de définir de façon autonome l’imposition dite « normale » d’une entreprise en faisant abstraction des règles fiscales nationales. Toutefois, il convient de relever que, au titre de l’analyse des critères de l’avantage et de la sélectivité, la Commission s’est référée aux dispositions du droit fiscal applicables à Gibraltar, à savoir aux dispositions de l’ITA 2010 et, en particulier, aux articles 11, 16 et 74 de ladite loi et à son annexe 1, ainsi qu’aux observations du Royaume-Uni et des autorités de Gibraltar tendant à clarifier le contenu et les principes directeurs du régime d’imposition mis en place par l’ITA 2010. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission n’a pas défini de manière autonome l’imposition dite « normale » et ne saurait avoir violé, en l’espèce, le principe d’attribution des compétences.

66      Deuxièmement, la Commission ne saurait méconnaître la compétence réservée des États membres en matière de fiscalité directe en procédant à une interprétation des dispositions fiscales applicables à Gibraltar. En effet, la Commission est en mesure, au titre du contrôle des mesures fiscales en matière d’aides d’État, d’apprécier elle‑même les dispositions fiscales nationales, appréciation qui peut être, le cas échéant, contestée par l’État membre concerné ou d’éventuelles parties intéressées dans le cadre d’un recours en annulation devant le Tribunal.

67      Il importe de souligner à cet égard que la Commission a fondé son appréciation des dispositions fiscales applicables à Gibraltar sur les informations communiquées par les autorités du Royaume-Uni et de Gibraltar. En particulier, ainsi que cela ressort du considérant 93 de la décision attaquée et de la note en bas de page n° 46 de la décision attaquée, la Commission a défini le cadre de référence, incluant les principes directeurs d’une imposition normale, ainsi que l’objectif de ce cadre sur la base des informations qui lui ont été communiquées par les autorités du Royaume-Uni dans le cadre de la procédure administrative.

68      Troisièmement, ainsi que le relève la Commission au point 75 de la défense, son pouvoir consistant à contrôler l’existence d’une aide d’État en matière fiscale n’est pas limité au cas où il existerait une dérogation formelle à la règle fiscale nationale. En effet, la technique réglementaire est sans importance aux fins de l’appréciation des effets d’une mesure nationale au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 79). Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission n’a pas outrepassé ses pouvoirs en examinant la non-imposition d’une catégorie de revenus, soit leur non-inclusion dans les catégories de revenus imposables, à la lumière des principes directeurs du régime d’imposition mis en place par l’ITA 2010.

69      Quatrièmement, les erreurs d’appréciation et violations alléguées par les requérantes, notamment en ce qui concerne l’identification de l’objectif et des principes directeurs de l’ITA 2010, l’absence de démonstration d’une éventuelle discrimination ainsi que l’application, au cas d’espèce, des arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732), et du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981), sont inopérantes aux fins d’établir l’éventuelle incompétence de la Commission. De tels arguments visent, au contraire, à faire état soit d’erreurs manifestes d’appréciation ainsi que d’une violation, par la Commission, de l’article 107 TFUE, soit d’erreurs et d’une violation commises dans le cadre de l’exercice même de sa compétence.

70      Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas violé l’article 5 TUE en adoptant la décision attaquée.

71      En deuxième lieu, s’agissant de l’allégation d’un détournement de pouvoir, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles qui sont excipées ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité (voir, en ce sens, arrêts du 16 avril 2013, Espagne et Italie/Conseil, C‑274/11 et C‑295/11, EU:C:2013:240, point 33, et du 12 juillet 2018, PA/Parlement, T‑608/16, non publié, EU:T:2018:440, point 42).

72      Or, en l’espèce, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir commis un détournement de pouvoir en adoptant la décision attaquée, laquelle, à l’issue d’une phase formelle d’examen, vise à constater que la non-imposition des revenus générés par des redevances constitue une aide d’État incompatible avec le marché intérieur.

73      De surcroît, la seule affirmation selon laquelle la Commission aurait utilisé ses pouvoirs en matière d’aides d’État pour lutter contre une double exonération apparente ne constitue pas un ensemble d’indices objectifs, pertinents et concordants permettant de constater qu’elle aurait cherché à contourner la procédure prévue à l’article 116 TFUE. Outre le fait que la décision attaquée ne tend pas à remettre en cause l’application du principe de territorialité, il convient de constater, d’une part, que l’analyse selon laquelle la non-imposition des revenus générés par des redevances constituerait une mesure d’aide ne tient pas compte de la question de savoir si ces revenus sont imposés ou non dans d’autres juridictions fiscales et repose uniquement sur les règles fiscales applicables à Gibraltar. D’autre part, il ne ressort pas de la décision attaquée que la Commission aurait cherché à aligner le droit fiscal applicable à Gibraltar sur les droits applicables dans les différents États membres.

74      Dans ces conditions, il convient de constater que la Commission n’a pas commis de détournement de pouvoir.

75      Au regard des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée.

2.      Sur les moyens tirés d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (deuxième, troisième et quatrième moyens, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée)

76      En substance, les deuxième, troisième et quatrième moyens, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, sont tirés d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce que la Commission a considéré que la non-imposition des revenus générés par des redevances conférait un avantage sélectif à ses bénéficiaires. Les requérantes contestent, premièrement, l’analyse de l’avantage (deuxième moyen, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée), deuxièmement, les conclusions relatives à la sélectivité (troisième moyen, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée) et, troisièmement, l’étendue de l’avantage sélectif constaté par la Commission (troisième moyen, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée). Les différents moyens soulevés par les requérantes renvoient aux erreurs manifestes d’appréciation relatives au contenu et à la portée du droit fiscal de Gibraltar, identifiées dans la section a) de la première partie du recours.

a)      Considérations liminaires

1)      Sur la mesure d’aide faisant l’objet de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée

77      À titre liminaire, il importe de rappeler que, ainsi que cela ressort des considérants 28, 33, 82 de la décision attaquée, la mesure faisant l’objet de l’article 1er, paragraphe 2, de ladite décision est la non-imposition des revenus générés par des redevances, qualifiée par la Commission d’« exonération fiscale des [revenus générés par des] redevances de propriété intellectuelle ». Ainsi que la Commission l’a relevé aux considérants 28, 33 et 93 de la décision attaquée, cette non-imposition résulte de la non-inclusion des revenus générés par des redevances dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, laquelle indique de façon exhaustive les catégories de revenus imposables à Gibraltar.

78      À cet égard, il convient de relever, d’une part, qu’il ressort de la décision d’ouverture de la procédure (voir, notamment, le considérant 34 de ladite décision), à la lumière de laquelle doit être lue la décision attaquée, que la mesure faisant l’objet de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée est, plus précisément, la non-imposition des revenus générés par des redevances en tant que revenus passifs (« passive income »). Une telle lecture ressort également du considérant 76 de la décision attaquée, lu conjointement avec la note en bas de page n° 25 de ladite décision, dans laquelle la Commission a expliqué que l’appréciation contenue dans la décision attaquée ne portait que sur les revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances et que celle-ci ne visait pas d’autres catégories de revenus passifs. D’autre part, ainsi que cela a été précisé au considérant 76 de la décision attaquée, l’examen de la non-imposition des revenus générés par des redevances portait uniquement sur la période comprise entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013.

79      Or, premièrement, dans la mesure où les requérantes font valoir que la Commission a erronément qualifié la non-imposition des revenus générés par des redevances d’« exonération implicite » et méconnu le fait que, selon l’article 11 de l’ITA 2010, seuls les revenus relevant de l’une des catégories listées à l’annexe 1 étaient soumis à l’impôt à Gibraltar, il convient de relever que, au considérant 93 de la décision attaquée, la Commission a bien tenu compte du fait que, selon l’article 11 de l’ITA 2010, seuls les revenus relevant de l’une des catégories listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010 étaient soumis à l’impôt à Gibraltar. En effet, elle a clarifié, dans la décision attaquée, que la non-imposition des revenus générés par des redevances de propriété intellectuelle constituait une « exonération implicite », dans la mesure où les revenus générés par des redevances n’étaient pas inclus dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 et entrant dans le champ d’application du régime fiscal de l’ITA 2010. Il ressort également des considérants 28, 32 et 33 ainsi que de la note en bas de page n° 17 de la décision attaquée que la Commission a bien pris en compte le fait que, entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013, les revenus générés par des redevances n’étaient pas inclus dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010 et n’étaient pas assujettis à l’impôt.

80      Par ailleurs, il convient de rappeler, à cet égard, la jurisprudence constante selon laquelle l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets et, donc, indépendamment des techniques utilisées (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, point 87 et jurisprudence citée).

81      Ainsi, la circonstance que les revenus générés par des redevances ne soient pas assujettis à l’impôt sur les revenus à Gibraltar, du fait de leur non-inclusion dans les catégories de revenus listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, produisait les mêmes effets que si cette catégorie de revenus avait été listée à ladite annexe, mais bénéficiait formellement d’une exonération d’impôt. En effet, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans ses conclusions dans l’affaire Wereldhave Belgium e.a. (C‑448/15, EU:C:2016:808, points 40 et 42), dans les hypothèses de non-assujettissement, le fait générateur ne se produit pas, tandis que, dans les hypothèses d’exonération, il se produit. Dans ces derniers cas, l’obligation fiscale principale est née, en théorie, mais l’assujetti est exonéré par la loi de tout ou partie du paiement, qui, en définitive, ne peut pas être exigé de lui. Ainsi, le « non-assujettissement » et l’« exonération » produisent les mêmes effets, à savoir la non-imposition. Il en découle que la Commission n’a pas commis d’erreur en qualifiant la non-imposition des revenus générés par des redevances d’« exonération implicite ».

82      Deuxièmement, dans la mesure où les requérantes contestent l’affirmation contenue au considérant 33 de la décision attaquée, selon laquelle les revenus générés par des redevances n’étaient jamais imposables en vertu de l’ITA 2010 et font valoir que de tels revenus relevaient, y compris avant la modification de 2013 de l’ITA 2010, de la catégorie A de revenus listée à l’annexe 1 de l’ITA 2010, à savoir des bénéfices « commerciaux, d’entreprise et professionnels », il convient de relever ce qui suit.

83      Ainsi qu’il ressort des points 77 et 78 ci-dessus, la mesure faisant l’objet de l’article 1er, paragraphe 2, de ladite décision est la non-imposition des revenus générés par des redevances, qualifiée par la Commission d’« exonération fiscale des [revenus générés par des] redevances de propriété intellectuelle », telle qu’elle résulte de la non-inclusion des revenus générés par des redevances dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010. Cette mesure concerne spécifiquement les revenus générés par des redevances, en tant qu’ils constituent des revenus passifs. Or, les requérantes admettent elles-mêmes que les revenus de redevances « purement passifs », ne résultant pas d’une activité d’entreprise, ne relevaient d’aucune catégorie de revenus listée à l’annexe 1 de l’ITA 2010 jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2014, des modifications de 2013 de l’ITA 2010 et n’étaient, de ce fait, pas imposables à Gibraltar.

84      Il en découle que les erreurs alléguées par les requérantes ne sont pas de nature à remettre en cause le constat selon lequel les revenus générés par des redevances, lesquels constituent des revenus passifs, n’étaient pas en principe inclus dans les catégories de revenus listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, dans sa version antérieure au 1er janvier 2014, ni, par conséquent, imposables à Gibraltar. En conséquence, ces arguments ne sont pas de nature à remettre en cause la légalité de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée et doivent être écartés comme étant inopérants.

85      En tout état de cause, la Commission n’a pas commis d’erreur en affirmant que les revenus générés par des redevances n’étaient pas imposables à Gibraltar, sans examiner si ces revenus pouvaient être imposés au titre de la catégorie A des revenus listés à l’annexe 1 de l’ITA 2010.

86      En effet, les autorités du Royaume-Uni et de Gibraltar ont constamment confirmé, dans leurs différentes observations soumises dans le cadre de la procédure administrative, que les revenus générés par des redevances de propriété intellectuelle n’étaient pas imposables à Gibraltar en application de l’ITA 2010, dans sa version en vigueur entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013. De plus, le Royaume-Uni a clairement expliqué, dans la présentation de l’ITA 2010 annexée à ses observations du 14 septembre 2012, que les revenus générés par de telles redevances n’étaient pas inclus dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010 et, en particulier, qu’ils ne pouvaient être considérés comme étant des bénéfices commerciaux ou d’entreprise relevant de la catégorie A de revenus listée à ladite annexe.

87      Par ailleurs, il importe de relever que l’interprétation de l’ITA 2010 selon laquelle les revenus générés par des redevances n’étaient jamais imposables à Gibraltar est compatible avec le contenu de la demande de décision fiscale anticipée, en date du 11 septembre 2012, sur la base de laquelle a été octroyée la DFA de MJN GibCo de 2012. En effet, dans ce document, les requérantes avaient elles-mêmes indiqué que, selon elles, tout revenu généré par des redevances, perçu par MJN GibCo, ne relevait d’aucune des catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010.

88      Il en découle que la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que les revenus générés par des redevances n’étaient pas imposables à Gibraltar entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013, ni en examinant si une telle mesure de non-imposition était susceptible de conférer un avantage sélectif à ses bénéficiaires et, ainsi, de constituer une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

2)      Sur l’examen des critères de l’avantage et de la sélectivité

89      Selon la jurisprudence, la qualification d’aide d’État requiert que toutes les conditions visées à l’article 107 TFUE soient remplies. Il est ainsi établi que, pour qu’une mesure puisse être qualifiée d’aide d’État au sens de cette disposition, premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire et, quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence (voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/Hansestadt Lübeck, C‑524/14 P, EU:C:2016:971, point 40 et jurisprudence citée).

90      Il convient de relever, à cet égard, que, dans le cadre de l’analyse des mesures fiscales sous l’angle de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, tant l’examen du critère de l’avantage que de celui de la sélectivité implique, au préalable, de déterminer les règles normales d’imposition formant le cadre de référence pertinent pour cet examen.

91      D’une part, dans le cas des mesures fiscales, l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56). En effet, une telle mesure confère un avantage économique à son bénéficiaire dès lors qu’elle allège les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être une subvention au sens strict du mot, est de même nature et a des effets identiques (arrêt du 9 octobre 2014, Ministerio de Defensa et Navantia, C‑522/13, EU:C:2014:2262, point 22). Ainsi, c’est précisément l’imposition dite « normale » qui est établie par le cadre de référence.

92      D’autre part, la qualification d’une mesure fiscale nationale de sélective suppose, dans un premier temps, l’identification et l’examen préalables du régime fiscal commun ou normal applicable dans l’État membre concerné (arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 49).

93      Par ailleurs, la Commission a précisé son interprétation de la notion de cadre de référence dans sa communication relative à la notion d’aide d’État visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE (JO 2016, C 262, p. 1). Cette communication, si elle n’est pas susceptible de lier le Tribunal, peut toutefois servir de source d’inspiration utile (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 26 juillet 2017, République tchèque/Commission, C‑696/15 P, EU:C:2017:595, point 53).

94      Il est notamment indiqué au point 133 de la communication relative à la notion d’aide d’État que le système de référence est composé d’un ensemble cohérent de règles qui s’appliquent de manière générale – sur le fondement de critères objectifs – à toutes les entreprises relevant de son champ d’application tel que défini par son objectif. Il est précisé audit point de la communication relative à la notion d’aide d’État que, le plus souvent, ces règles définissent non seulement le champ d’application du système, mais aussi les conditions dans lesquelles le système s’applique, les droits et les obligations des entreprises qui y sont soumises et les aspects techniques du fonctionnement du système.

95      En l’espèce, si les requérantes ne contestent pas que la Commission a correctement considéré que l’ITA 2010 constituait les règles normales d’imposition formant le cadre de référence pertinent pour examiner la non-imposition des revenus générés par des redevances, elles contestent, au soutien des deuxième à quatrième moyens, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, l’interprétation retenue par la Commission quant au contenu et à l’objectif de l’ITA 2010.

96      En conséquence, il y a lieu d’examiner, dans un premier temps, les arguments des requérantes tendant à contester l’interprétation, par la Commission, du contenu et de l’objectif des règles normales d’imposition des revenus des sociétés à Gibraltar constituant le cadre de référence avant d’examiner successivement, dans un second temps, les différents moyens tendant à contester l’analyse de l’avantage sélectif opérée par la Commission.

b)      Sur les appréciations de la Commission relatives au cadre de référence et aux règles normales d’imposition à Gibraltar

97      Ainsi qu’il ressort des considérants 28 à 30 de la décision attaquée, les dispositions pertinentes de l’ITA 2010 en ce qui concernait le système d’imposition des revenus des sociétés à Gibraltar étaient, principalement, les articles 11, 16 et 74.

98      La partie II de l’ITA 2010, intitulée « Assujettissement à l’impôt » (« Charge to Tax »), incluait notamment l’article 11 de l’ITA 2010, intitulé « L’assujettissement à l’impôt » (« The Charge to Taxation »), qui disposait que :

« 1. L’impôt sera[it], sous réserve des dispositions de [l’ITA 2010] et des règles, dû au taux fixé périodiquement pour chaque année d’imposition ou pour chaque période comptable sur les revenus de toute personne spécifiée aux tableaux A à C […] de l’annexe 1 et générés ou trouvant leur origine à Gibraltar. 

[…]»

99      Dans la version applicable entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013, l’annexe 1, intitulée « Head of charges », à laquelle renvoie directement l’article 11, paragraphe 1, de l’ITA 2010, identifiait trois catégories de revenus imposables à Gibraltar, à savoir :

–        la catégorie A, qui comprenait, d’une part, les bénéfices et les gains d’une entreprise ou d’un trust résultant de tout commerce, de toute entreprise ou de toute profession (trade, business, profession or vocation) et, d’autre part, les revenus de propriété immobilière (real property) ;

–        la catégorie B, qui visait les revenus des personnes exerçant un emploi et des indépendants ;

–        la catégorie C, qui visait les « Autres revenus » (other income), parmi lesquels figuraient, notamment, les dividendes et les revenus tirés de fonds et de régimes de pension.

100    De plus, l’article 74 de l’ITA 2010 définissait la notion de « généré ou trouvant son origine à Gibraltar », employée à l’article 11 de l’ITA 2010, comme suit :

« a)      Sous réserve de b), être défini par référence à l’endroit où sont menées les activités (ou la prépondérance des activités) à l’origine des bénéfices.

b)      aux fins de a), la prépondérance des activités donnant lieu aux bénéfices de l’entreprise [est réputée] avoir pris place à Gibraltar dans le cas où :

i)      une entreprise dont l’activité sous-jacente qui génère le revenu est soumise à une licence et à une réglementation sous l’empire de la loi de Gibraltar ou que ;

ii)      une entreprise qui peut légalement faire des transactions à Gibraltar, par l’intermédiaire d’une succursale ou d’une forme quelconque d’établissement permanent, du fait qu’elle est titulaire d’une licence dans une autre juridiction qui jouit de droits de passage à Gibraltar et qui, à défaut, exigerait une telle licence et serait réglementée à Gibraltar ;

c)      le point b) ne s’applique à aucune succursale ou établissement stable d’une société de Gibraltar exerçant des activités en dehors de Gibraltar à concurrence des activités ainsi exercées à l’extérieur de Gibraltar. »

101    La partie III de l’ITA 2010, intitulée « Calcul de l’impôt » (« computation of assessment »), incluait l’article 16, paragraphe 1, intitulé « Base imposable » (« basis of assessment »), qui disposait que :

« 1. Sauf disposition contraire, les bénéfices ou plus-values imposables d’une entreprise correspondent au montant total des bénéfices ou plus-values enregistrés par la société pour une période comptable .»

102    D’une part, les requérantes font valoir que la Commission a erronément considéré, en méconnaissance du caractère « cédulaire » du système d’imposition des revenus des sociétés à Gibraltar, que l’objectif de l’ITA 2010 était d’imposer le bénéfice comptable et ainsi tous les revenus des sociétés contribuables. D’autre part, elles font valoir que la Commission aurait erronément retenu que, en vertu du principe de territorialité, les revenus générés par des redevances perçus par des sociétés de Gibraltar étaient considérés comme étant générés ou trouvant leur origine à Gibraltar.

103    Dans la mesure où les parties s’opposent sur la charge de la preuve ainsi que sur l’étendue du contrôle à opérer par le Tribunal sur les appréciations de la Commission en ce qui concerne le contenu et la portée du droit fiscal de Gibraltar, il importe de relever que, dans le cadre de l’adoption d’une décision en matière d’aides d’État, la constatation du droit national est une question de fait (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, A2A/Commission, C‑318/09 P, non publié, EU:C:2011:856, point 125 et jurisprudence citée). Ainsi, la question de savoir si et dans quelle mesure la Commission a correctement interprété le contenu et la portée d’une règle nationale relève d’une appréciation factuelle du juge de l’Union et est soumise aux règles sur l’administration de la preuve et sur la répartition de la charge de la preuve (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2015, Comunidad Autónoma del País Vasco et Itelazpi/Commission, T‑462/13, EU:T:2015:902, point 71 et jurisprudence citée).

104    Il importe de rappeler, à cet égard, que, dans le cadre du contrôle des aides d’État, il appartient, en principe, à la Commission de rapporter, dans la décision attaquée, la preuve de l’existence d’une telle aide (voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2007, Olympiaki Aeroporia Ypiresies/Commission, T‑68/03, EU:T:2007:253, point 34, et du 25 juin 2015, SACE et Sace BT/Commission, T‑305/13, EU:T:2015:435, point 95). Dans ce contexte, celle-ci est tenue de conduire la procédure d’examen des mesures en cause de manière diligente et impartiale, afin de disposer, lors de l’adoption d’une décision finale établissant l’existence et, le cas échéant, l’incompatibilité ou l’illégalité de l’aide, des éléments les plus complets et fiables possibles (voir, en ce sens, arrêts du 2 septembre 2010, Commission/Scott, C‑290/07 P, EU:C:2010:480, point 90, et du 3 avril 2014, France/Commission, C‑559/12 P, EU:C:2014:217, point 63).

105    En outre, en matière d’aides d’État, la répartition de la charge de la preuve est subordonnée au respect des obligations procédurales respectives pesant sur la Commission et sur l’État membre concerné, dans le cadre de l’exercice, par cette institution, du pouvoir dont elle dispose pour amener l’État membre à lui fournir toutes les informations nécessaires (voir arrêt du 28 novembre 2008, Hotel Cipriani e.a./Commission, T‑254/00, T‑270/00 et T‑277/00, EU:T:2008:537, point 232 et jurisprudence citée). En particulier, il appartient à l’État membre concerné, en vertu de son devoir de collaboration avec la Commission, et aux parties intéressées dûment invitées à présenter leurs observations conformément à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, de faire valoir leurs arguments et de fournir à la Commission toutes les informations susceptibles de l’éclairer sur l’ensemble des données de l’affaire (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2008, Hotel Cipriani e.a./Commission, T‑254/00, T‑270/00 et T‑277/00, EU:T:2008:537, point 233).

106    En effet, il n’existe pas d’obligation pour la Commission d’examiner d’office et par supputation quels sont les éléments de fait ou de droit qui auraient pu lui être soumis pendant la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 60, et du 14 janvier 2004, Fleuren Compost/Commission, T‑109/01, EU:T:2004:4, point 49).

107    Enfin, il convient de relever que, dans le cadre d’un recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE, la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée en fonction des éléments d’information, notamment en ce qui concerne le cadre juridique national, dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2014, Zweckverband Tierkörperbeseitigung/Commission, T‑309/12, non publié, EU:T:2014:676, point 97 et jurisprudence citée).

108    C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner les différentes erreurs invoquées par les requérantes quant à l’appréciation, par la Commission, du contenu et de la portée de l’ITA de 2010.

1)      Sur l’objectif de l’ITA 2010 et sur l’identification des revenus imposables au titre de cette loi

109    Par une première série d’arguments, les requérantes tendent, en substance, à contester les appréciations de la Commission selon lesquelles l’ITA 2010 visait à imposer l’ensemble du bénéfice comptable et ainsi tous les revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar. Elles reprochent, en particulier, à la Commission de ne pas avoir tenu compte du fait que seules certaines catégories de revenus, listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, étaient imposables à Gibraltar.

110    Les requérantes font valoir que la Commission a erronément considéré, notamment au considérant 90 de la décision attaquée, que le bénéfice comptable constituait la base imposable des sociétés établies à Gibraltar et que l’objectif de l’ITA 2010 était d’imposer l’intégralité du « bénéfice comptable » desdites sociétés, de sorte que tous leurs revenus auraient relevé du champ d’application de l’ITA 2010. En effet, les revenus des sociétés n’auraient été imposables à Gibraltar qu’à la double condition qu’ils relèvent des « catégories de revenus imposables » listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010 (article 11 de l’ITA 2010) et qu’ils soient générés ou trouvent leur origine à Gibraltar (articles 11 et 74 de l’ITA 2010). À cet égard, les requérantes soutiennent que le système d’imposition à Gibraltar était un régime « cédulaire », en ce qu’il consistait à ne soumettre à l’impôt que certaines catégories de revenus précisément définies par la loi. En effet, il n’existerait aucune règle générale en vertu de laquelle les revenus d’une société établie à Gibraltar y auraient généralement été imposés. En outre, la Commission n’aurait pas suffisamment tenu compte de l’article 11 de l’ITA 2010, qui aurait été la disposition fondamentale pour déterminer les revenus qui auraient été imposables à Gibraltar, et au regard de laquelle les autres dispositions de l’ITA 2010, dont l’article 16, auraient dû être lues.

111    En particulier, les requérantes insistent sur le fait que les revenus passifs générés par des redevances n’étaient pas compris dans l’assiette fiscale et ne relevaient donc pas du champ d’application de l’ITA 2010. L’objectif de l’ITA 2010 n’aurait pas été d’imposer les sociétés sur l’intégralité de leur bénéfice comptable, mais uniquement sur les catégories de revenus listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010.

112    En outre, les requérantes font valoir que la Commission aurait erronément affirmé, notamment au considérant 28 de la décision attaquée, que les sociétés qui résidaient habituellement à Gibraltar étaient, en principe, imposables à Gibraltar. Le régime d’imposition à Gibraltar aurait été « fondé sur l’origine » ou « sur la source » des revenus perçus et non « sur la résidence » de la société qui les percevait et l’impôt n’aurait été dû à Gibraltar que pour les revenus qui « [auraie]nt été générés ou trouv[é] leur origine à Gibraltar ».

113    La Commission conteste ces arguments.

114    À titre liminaire, il importe de relever que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission n’a pas affirmé, au considérant 28 de la décision attaquée, que les sociétés qui résidaient habituellement à Gibraltar y étaient, en principe, imposables, ni que le régime d’imposition à Gibraltar était fondé sur l’origine de l’assujetti. En effet, elle s’est bornée à affirmer que les sociétés qui résidaient habituellement à Gibraltar « p[o]uv[ai]ent » être contribuables à Gibraltar. La Commission a d’ailleurs expliqué aux considérants 28 et 30 de la décision attaquée que les catégories de revenus imposables à Gibraltar étaient listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010 et que ces revenus ne pouvaient y être imposés à Gibraltar qu’à la condition qu’ils y aient été générés ou qu’ils y trouvaient leur origine.

115    De plus, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission a bien tenu compte du fait que l’article 11 de l’ITA 2010 prévoyait que seuls les revenus inclus dans les catégories de revenus listées à l’annexe 1 de ladite loi étaient imposables. Un tel constat ressort en particulier du considérant 28 de la décision attaquée, dans lequel la Commission a reproduit les trois catégories de revenus listées dans les tableaux A, B et C de l’annexe 1 de l’ITA 2010, ainsi que du considérant 93 de cette même décision, dans lequel celle-ci a conclu, sur la base du constat que les redevances n’étaient pas incluses dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, que celles-ci étaient implicitement exonérées d’impôt.

116    De même, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission n’a pas considéré, dans la décision attaquée, que l’objectif de l’ITA 2010 était d’imposer les contribuables sur l’intégralité de leur bénéfice comptable. En effet, au considérant 93 de la décision attaquée, la Commission a constaté que l’objectif de l’ITA 2010 était de « collecter l’impôt sur les revenus des contribuables assujettis à Gibraltar (en d’autres termes, les contribuables percevant des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar) ». De plus, il ressort du considérant 82 de la décision attaquée que la Commission a fondé son analyse de la non-imposition des revenus générés par des redevances sur le constat que l’ITA 2010 reposait sur le « principe général selon lequel l’impôt sur les sociétés [étai]t collecté auprès de tous les assujettis qui per[ce]v[ai]ent des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar ».

117    Compte tenu de ces éléments et dans la mesure où les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir tenu compte du fait que le régime fiscal de Gibraltar aurait été un régime cédulaire dont l’objectif aurait été d’imposer uniquement les sociétés sur les catégories de revenus listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, il convient d’analyser si la Commission était fondée à considérer que l’objectif de l’ITA 2010 était d’imposer les revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar.

118    À cet égard, il importe de rappeler que la notion d’objectif ou de nature du système normal d’imposition formant le cadre de référence se réfère aux principes fondateurs ou directeurs de ce système et ne se réfère ni aux politiques qui peuvent, le cas échéant, être financées au moyen des ressources qu’il procure, ni aux finalités qui pourraient être recherchées en instaurant des dérogations à ce système (arrêt du 16 mai 2019, Pologne/Commission, T‑836/16 et T‑624/17, EU:T:2019:338, point 62).

119    Premièrement, il n’est pas contesté qu’il ressort de l’article 11 de l’ITA 2010, intitulé « Assujettissement à l’impôt », tel que reproduit au point 98 ci-dessus, que le système d’imposition de Gibraltar repose sur le principe de territorialité, selon lequel sont imposables les revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar. De surcroît, les autorités du Royaume-Uni ont précisé à plusieurs reprises, notamment dans leurs observations du 14 septembre 2012, que la base territoriale d’imposition constituait la caractéristique centrale ou encore la règle générale (« general norm ») du système d’imposition de Gibraltar.

120    Deuxièmement, il importe de souligner que l’article 16 de l’ITA 2010, intitulé « Base imposable », dispose que les revenus imposables d’une société correspondent au montant total des bénéfices comptables sur une période comptable. Or, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, et ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission, il ressort du titre et du libellé de l’article 16 de l’ITA 2010 (voir point 101 ci-dessus) que celui-ci porte sur l’identification, en tant que telle, de la base imposable et non pas seulement sur la période de référence à prendre en compte pour déterminer ladite base.

121    Il découle de cette disposition que l’ensemble des revenus comptables perçus par le contribuable sont pris en compte aux fins de l’imposition à Gibraltar. Il convient néanmoins de relever, ainsi que cela ressort des considérants 30, 90 et 91 de la décision attaquée, que le calcul de la base imposable des sociétés est effectué sur une base territoriale, ainsi qu’il est indiqué à l’article 11 de l’ITA 2010, de sorte que les revenus comptables ne peuvent être imposés que s’ils sont « générés ou trouvent leur origine à Gibraltar ».

122    Dans ce contexte, il convient de relever que, dans leurs observations du 3 décembre 2012, les autorités du Royaume-Uni ont précisé que toutes les sociétés qui percevaient des revenus qui étaient générés ou trouvaient leur origine à Gibraltar étaient assujetties à l’impôt en application de l’ITA 2010. Elles ont ajouté que le principe de territorialité s’appliquait généralement à toutes les sociétés et à tous les types de revenus de ces dernières. De même, dans leurs observations du 18 avril 2013, les autorités du Royaume-Uni ont encore une fois précisé que le système territorial d’imposition prévu par l’ITA 2010 s’appliquait à toutes les entreprises de tous les secteurs de l’industrie, de la finance et du commerce et qu’un tel principe était universel dans son application.

123    Il ressort donc de la lecture des articles 11 et 16 de l’ITA 2010, tels que cités aux points 98 à 101 ci-dessus, ainsi que des observations soumises par les autorités du Royaume-Uni, lors de la procédure administrative, que ces dispositions devaient être interprétées en ce sens que le régime d’imposition mis en place par l’ITA 2010 reposait sur deux principes directeurs, à savoir le principe de territorialité, selon lequel les revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar étaient soumis à l’impôt, et le principe selon lequel l’ensemble des revenus comptables des contribuables étaient imposables. Il en découle que la Commission a correctement retenu que le régime d’imposition de Gibraltar, tel qu’introduit par l’ITA 2010, reposait sur l’objectif d’imposer tous les assujettis sur leurs revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar.

124    De surcroît, il importe de relever que ni les autorités du Royaume-Uni ni les autorités de Gibraltar n’ont contesté, dans leurs observations respectives sur la décision d’ouverture de la procédure, la lecture de la Commission selon laquelle l’objectif de l’ITA 2010 était d’imposer tous les assujettis sur leurs revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar. En effet, les autorités du Royaume-Uni et de Gibraltar se sont bornées à faire valoir que la non-imposition des revenus générés par des redevances ne constituait pas une mesure sélective, dans la mesure où il s’agissait d’une mesure générale, s’appliquant à tous les secteurs de l’industrie, du commerce et des finances, et disponible pour toutes les entreprises. Elles n’ont formulé aucune observation sur le considérant 32 de la décision d’ouverture de la procédure, dans lequel la Commission a expressément affirmé que le principe directeur du système d’imposition de Gibraltar consistait en l’imposition de toutes les sociétés percevant des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar, évitant ainsi la double imposition et permettant une simplification. De même, les autorités du Royaume-Uni et de Gibraltar n’ont pas contesté le contenu du considérant 35 de la décision d’ouverture de la procédure, dans lequel la Commission a clairement exposé que l’objectif du système d’imposition de Gibraltar était d’imposer toutes les sociétés percevant des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar.

125    À cet égard, dans la mesure où les requérantes remettent en cause la pertinence des observations du Royaume-Uni et font valoir que le fait que ni les autorités du Royaume-Uni ni celles de Gibraltar n’ont contesté l’interprétation des dispositions de l’ITA 2010, opérée par la Commission durant la procédure formelle d’examen, ne ferait obstacle à ce qu’elles remettent en cause cette interprétation, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort des points 103 à 107 ci-dessus, dans le cadre de l’examen d’une mesure fiscale au titre de l’article 107 TFUE, le contrôle de l’interprétation du droit national retenue par la Commission, laquelle constitue une question de fait, doit s’opérer au regard des éléments disponibles au jour de l’adoption de la décision attaquée, et compte tenu des informations communiquées par l’État membre concerné et les parties intéressées. Dans ce contexte, il importe, en particulier, de relever que, dans le cadre de la procédure formelle d’examen, il revient à l’État membre et au bénéficiaire potentiel de la mesure faisant l’objet de ladite procédure d’éclairer la Commission sur l’ensemble des données de l’affaire (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2004, Ferriere Nord/Commission, T‑176/01, EU:T:2004:336, point 93).

126    Or, dès lors que les éléments d’information sur lesquels la Commission s’est fondée pour interpréter le droit national émanaient directement des autorités de l’État membre et du territoire concernés par la procédure et avaient été réitérés dans plusieurs échanges et que la compréhension par la Commission des informations communiquées par ces autorités avait implicitement été confirmée à l’issue de la décision d’ouverture de la procédure, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir considéré que ces informations étaient suffisamment fiables et crédibles. De plus, dans la mesure où les observations formulées par les autorités du Royaume-Uni et de Gibraltar ne contredisaient pas le contenu des dispositions pertinentes de l’ITA 2010 et où la Commission ne disposait pas d’informations de nature à remettre en cause ces observations, elle pouvait, au jour de l’adoption de la décision attaquée, se fonder sur celles-ci pour interpréter le droit fiscal de Gibraltar.

127    Par ailleurs, il importe de relever que les requérantes, bien qu’elles aient été mises en mesure de formuler des observations sur la décision d’ouverture de la procédure et qu’il ressortait clairement de celle-ci que l’objet de la procédure portait sur les revenus, générés par des redevances, perçus par des sociétés de Gibraltar entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013, n’ont pas jugé nécessaire de le faire. Ni le rapport d’expertise produit par les requérantes en annexe au mémoire en réplique (ci-après le « rapport d’expertise »), ni les informations qu’il contenait en ce qui concernait le caractère prétendument cédulaire du régime d’imposition de Gibraltar, n’avaient été communiqués à la Commission par les parties avant l’adoption de la décision attaquée. Or, ainsi qu’il ressort du point 106 ci-dessus, en l’absence d’informations de nature à remettre en cause l’interprétation du droit fiscal national retenue dans la décision d’ouverture de la procédure, la Commission ne pouvait examiner par supputation tous les arguments qui auraient potentiellement pu remettre en cause son interprétation du droit national, laquelle, au demeurant, avait été confirmée par les autorités de l’État membre et du territoire concernés. De surcroît, ainsi qu’il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent, les requérantes ne sont pas parvenues à établir que les informations sur la base desquelles la Commission s’est fondée étaient erronées ou manquaient de fiabilité et de crédibilité.

128    Il découle de ce qui précède que c’est à juste titre que la Commission a considéré que le système d’imposition de Gibraltar était un système d’imposition territorial, selon lequel tous les revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar devaient y être imposés.

129    Ce constat n’est pas remis en cause par les autres arguments des requérantes.

130    En particulier, dans la mesure où les requérantes font valoir que le système d’imposition de Gibraltar était un régime cédulaire dont l’objectif était d’imposer les catégories de revenus listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, il convient, certes, de relever que, ainsi que le soutiennent les requérantes, l’article 11 de l’ITA 2010 implique que, pour être imposables, les revenus des sociétés doivent relever de l’une des catégories de revenus listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010. Ainsi, en l’absence d’une telle inclusion, comme dans le cas des revenus générés par des redevances, certains types de revenus pouvaient échapper techniquement à toute imposition au titre de l’ITA 2010.

131    Toutefois, il importe, tout d’abord, de souligner que ni les autorités de Gibraltar ni celles du Royaume-Uni n’ont jamais affirmé que le régime d’imposition de Gibraltar était un régime cédulaire. Au contraire, elles ont précisé, dans leurs observations du 14 novembre 2013, que l’ITA 2010 prévoyait un seul régime d’imposition, indépendamment des catégories de revenus imposables énoncées dans les tableaux A à C de l’annexe 1 de l’ITA 2010. Par ailleurs, dans les différentes observations soumises lors de la procédure administrative, les autorités du Royaume-Uni ont uniquement défini le système d’imposition de Gibraltar comme étant un régime d’imposition territorial.

132    Ensuite, il importe de relever que les règles normales d’imposition ou, en d’autres termes, les règles constituant le cadre de référence, doivent être examinées dans leur globalité et au regard des principes directeurs du système d’imposition national. En effet, une mesure fiscale ne saurait être justement appréciée à l’aune de quelques dispositions qui ont été artificiellement sorties d’un cadre législatif plus large [voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 103].

133    Or, considérer, ainsi que le font valoir les requérantes, que le système d’imposition de Gibraltar mis en place par l’ITA 2010 est un régime cédulaire dont l’objectif est d’imposer les catégories de revenus listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010 reviendrait à faire abstraction des autres dispositions de l’ITA 2010 et, ainsi, de la logique des principes directeurs de ce système d’imposition. En effet, ainsi que cela a été observé au point 121 ci-dessus, l’ITA 2010 repose non seulement sur le principe de territorialité, tel que consacré à son article 11, mais également sur le principe selon lequel l’ensemble des revenus comptables des contribuables sont soumis à l’impôt, tel qu’il découle de son article 16. Ce sont ces deux principes qui doivent être pris en compte aux fins de l’examen de l’objectif poursuivi par l’ITA 2010.

134    Enfin, conformément à la jurisprudence, le recours à une technique réglementaire donnée ne peut permettre à des règles fiscales nationales d’échapper d’emblée au contrôle prévu par le traité FUE en matière d’aides d’État. De même, sauf à faire prévaloir de manière décisive la forme des interventions étatiques sur leurs effets, la technique réglementaire utilisée ne saurait être un élément décisif aux fins de l’examen du contenu et de la portée des règles constituant le cadre de référence [voir, par analogie, arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 92].

135    Or, en l’espèce, la circonstance que l’article 11 de l’ITA 2010, lu conjointement avec l’annexe 1 de l’ITA 2010, prévoit que l’assujettissement à l’impôt soit défini positivement, de sorte que seules les catégories de revenus expressément listées à ladite annexe 1 sont assujetties à l’impôt, produit, en pratique, les mêmes effets qu’une exonération expresse d’imposition ou qu’une situation dans laquelle le non-assujettissement à l’impôt serait défini négativement, de sorte que l’ensemble des revenus seraient assujettis à l’impôt et seules certaines catégories de revenus seraient exclues du champ d’application de l’ITA 2010. En effet, ainsi que cela a été exposé au point 81 ci-dessus, le « non-assujettissement » et l’« exonération » produisent les mêmes effets, à savoir la non-imposition. Partant, ce que les requérantes qualifient de « régime cédulaire » ne constituait, en réalité, que le choix d’une technique réglementaire et non d’une règle d’imposition déterminante aux fins de l’analyse du système d’imposition de Gibraltar.

136    Il importe, à cet égard, de relever que, ainsi que la Commission l’a souligné au considérant 27 de la décision attaquée, l’ITA 2010 a instauré un taux général d’imposition des sociétés de 10 %, applicable aux entreprises de toute l’économie de Gibraltar, à l’exception de certains prestataires de services. Il en découle que les différentes catégories de revenus imposables étaient soumises à un taux unique de 10 % et ne relevaient pas d’un régime d’imposition distinct. Une telle analyse ressort d’ailleurs des observations du 14 novembre 2013, dans lesquelles les autorités du Royaume-Uni ont expliqué que la législation de Gibraltar ne prévoyait pas que l’impôt soit levé par rapport à une catégorie de revenus. Elles ont précisé que le système d’imposition de Gibraltar n’exigeait pas de déterminer, au préalable, la catégorie dont relevaient les revenus perçus, pour pouvoir leur appliquer une imposition qui aurait été spécifique à une catégorie de revenus particulière, mais que ce système d’imposition prévoyait seulement un régime d’imposition général des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar.

137    Il découle donc de ce qui précède que l’article 11 et l’annexe 1 de l’ITA 2010, en ce qu’ils prévoient des catégories de revenus imposables, constituent de simples modalités d’imposition, et que ces dispositions ne sauraient être sorties de manière artificielle de leur contexte, aux fins de la définition de l’objectif de l’ITA 2010. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne saurait être déduit de l’article 11 de l’ITA 2010 que l’objectif du système d’imposition de Gibraltar ait été d’imposer les catégories de revenus listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010.

138    Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de rejeter les griefs des requérantes tirés de ce que la Commission aurait commis une erreur dans l’identification de l’objectif de l’ITA 2010.

2)      Sur l’application du principe de territorialité aux redevances

139    Les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en affirmant, aux considérants 42, 82, 94 et 106 de la décision attaquée, que l’application du principe de territorialité signifiait que les revenus générés par des redevances étaient générés ou trouvaient leur origine à Gibraltar du simple fait qu’ils avaient été perçus par une société de Gibraltar. Les requérantes soutiennent que la déclaration contenue dans la communication du Royaume-Uni du 14 septembre 2012, sur laquelle s’est fondée la Commission pour formuler lesdites appréciations, est incohérente et erronée. Selon les requérantes, les revenus qu’une société de Gibraltar tire d’activités exercées hors de ce territoire, y compris lorsqu’il s’agit de revenus générés par des redevances, n’étaient pas imposables à Gibraltar. Dans la situation où aucun des droits de propriété intellectuelle n’est géré à Gibraltar, où ni ces droits ni le concessionnaire de licence ne sont situés à Gibraltar et où les redevances ne sont pas versées à Gibraltar, les revenus générés par ces dernières ne pourraient être considérés comme ayant été générés ou ayant trouvé leur origine à Gibraltar.

140    La Commission conteste ces arguments.

141    Ainsi que cela a été constaté au point 125 ci-dessus, dans le cadre de l’examen d’une mesure fiscale au titre de l’article 107 TFUE, le contrôle de l’interprétation du droit national retenue par la Commission, laquelle constitue une question de fait, doit s’opérer au regard des éléments disponibles au jour de l’adoption de la décision en cause, et compte tenu des informations communiquées par l’État membre concerné et les parties intéressées.

142    En l’espèce, certes, l’ITA 2010, dans sa version applicable entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2013, ne contenait pas de disposition prévoyant expressément que les revenus générés par des redevances, perçus par des sociétés de Gibraltar, étaient considérés comme générés ou trouvant leur origine à Gibraltar. En effet, une telle règle n’a été expressément incorporée dans l’ITA 2010 qu’à la suite de la modification de 2013 de l’ITA 2010, entrée en vigueur au 1er janvier 2014.

143    Toutefois, ainsi qu’il est indiqué dans la note en bas de page n° 49 de la décision attaquée, l’affirmation selon laquelle les revenus générés par des redevances perçus par des sociétés de Gibraltar étaient nécessairement considérés comme générés ou trouvant leur origine sur ce territoire repose sur une information émanant directement de l’État membre concerné. En effet, dans leurs observations du 14 septembre 2012, les autorités du Royaume-Uni ont expressément affirmé que le principe de territorialité impliquait que « tout revenu généré par des redevances perçu par une société de Gibraltar [était] généré ou trouv[ait] son origine à Gibraltar ».

144    À cet égard, il importe de constater, premièrement, que l’affirmation selon laquelle les revenus générés par des redevances perçus par des sociétés de Gibraltar étaient générés ou trouvaient leur origine à Gibraltar était compatible avec le contenu de l’article 74 de l’ITA 2010 et qu’elle pouvait ainsi découler d’une simple application du principe de territorialité et de la règle selon laquelle il convenait de prendre en compte le lieu de l’activité à l’origine des revenus.

145    En effet, l’article 74 de l’ITA 2010 définissait la notion de « générés ou trouvant leur origine à Gibraltar » en fonction de « l’endroit où [étaie]nt menées les activités […] à l’origine des bénéfices ».

146    Or, dans la mesure où la non-imposition des revenus générés par des redevances concernait des revenus passifs, soit, autrement dit, des revenus qui étaient perçus par des entités qui se contentaient de détenir les droits de propriété intellectuelle, il était cohérent de considérer que « l’activité à l’origine des revenus », au sens de l’article 74 de l’ITA 2010, se situait au lieu de résidence des sociétés qui détenaient les droits de propriété intellectuelle ouvrant droit à ces redevances. Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l’affirmation selon laquelle les revenus générés par des redevances perçus par une société de Gibraltar étaient considérés comme étant générés ou trouvant leur origine à Gibraltar impliquait bien l’existence d’un élément permettant de rattacher lesdits revenus au territoire de Gibraltar.

147    De surcroît, l’affirmation des autorités du Royaume-Uni n’est pas non plus incompatible avec la jurisprudence du Judicial Committee of the Privy Council (Comité judiciaire du Conseil privé, Royaume-Uni, ci-après le « JCPC ») invoquée lors de la procédure administrative, laquelle, bien que non contraignante, était pertinente pour interpréter l’article 74 de l’ITA 2010. En effet, dans la décision adoptée par le JCPC, en ce qui concernait Hong Kong, dans l’affaire Commissioner of Inland Revenue v HK-TVB International Ltd [1992] 2 AC 397, le JCPC avait indiqué que, étaient générés et trouvaient leur origine à Hong Kong les revenus perçus par une société de Hong Kong qui donnait en sous-licence des films à des sociétés établies à l’étranger et qui les exploitaient à l’étranger. Certes, à l’instar des requérantes, il importe de relever que, dans cette affaire, le JCPC avait pris en compte un certain nombre d’éléments spécifiques au cas d’espèce, dont la circonstance que les contrats de sous-licence avaient été préparés à Hong Kong et que certains services additionnels étaient parfois fournis depuis Hong Kong. Toutefois, il importe de relever que le JCPC a également pris en compte le fait qu’une redevance fixe était versée au contribuable situé à Hong Kong. En outre, ainsi que les autorités du Royaume-Uni l’ont souligné dans leurs observations du 14 novembre 2013, ladite décision adoptée par le JCPC confirmait clairement que des revenus générés par des redevances perçus par une société de Gibraltar pouvaient être générés ou trouver leur origine sur ce territoire, même si les droits de propriété intellectuelle étaient exploités uniquement en dehors de celui-ci.

148    Deuxièmement, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, l’affirmation contenue dans les observations du 14 septembre 2012 n’était ni isolée ni incompatible avec les autres informations contenues dans ce document.

149    En effet, cette affirmation était confortée par un graphique, figurant à la page 22 des observations du 14 septembre 2012, ayant pour objet d’illustrer l’impact de la non-imposition des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances en application de l’ITA 2010. Ledit graphique mettait en exergue les montants que représentaient les revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances perçus par les contribuables pour la période postérieure au 1er janvier 2010, tout en opérant une distinction entre les revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar et ceux générés ou trouvant leur origine en dehors de ce territoire. Or, le fait que l’intégralité des revenus générés par des redevances aient été indiqués comme trouvant leur origine à Gibraltar confirmait bien que ceux-ci étaient normalement considérés comme étant des revenus trouvant leur origine à Gibraltar.

150    Par ailleurs, dans la mesure où les requérantes font valoir que l’affirmation des autorités du Royaume-Uni, visée au point 143 ci-dessus, était contradictoire avec l’affirmation, figurant à la page 10 des observations du 14 septembre 2012, selon laquelle « [l]es 785 anciennes “exempt companies” (sociétés exonérées) qui [avaie]nt des revenus imposables non générés ou ne trouvant pas leur origine à Gibraltar [étaie]nt généralement soit propriétaires de biens immobiliers commerciaux en dehors de Gibraltar (et [étaie]nt donc soumises à l’impôt sur les revenus locatifs dans le pays où le bien [étai]t situé), soit per[ce]vaient des [revenus générés par des] dividendes, des intérêts ou des redevances », il convient de relever que, certes, cet extrait pourrait laisser à penser que, selon les autorités du Royaume-Uni, les revenus générés par des redevances constituaient des revenus imposables ne trouvant pas leur origine à Gibraltar.

151    Toutefois, il y a lieu de constater que ledit extrait contient une erreur de plume. En effet, ainsi que le relèvent les requérantes, cette phrase concernait la situation au titre de l’ITA 2010, tel qu’il était en vigueur jusqu’au 31 décembre 2013. Or, les autorités du Royaume-Uni ont expliqué à de nombreuses reprises, dans le document en question, que les revenus générés par des redevances ne constituaient pas des revenus imposables à cette période. En particulier, il ressort de la page 10 des observations du 14 septembre 2012 que les autorités du Royaume-Uni distinguaient bien, parmi les entreprises qui n’étaient pas assujetties à l’impôt à Gibraltar, entre les entreprises qui n’avaient pas de revenu imposable (à savoir celles qui per[ce]vaient des revenus passifs) et celles dont les revenus n’étaient pas générés ou ne trouvaient pas leur origine à Gibraltar.

152    Ainsi, la contradiction relevée par les requérantes n’est pas de nature à remettre en cause la crédibilité de l’affirmation des autorités du Royaume-Uni selon laquelle les revenus générés par des redevances de propriété intellectuelle sont considérés comme étant générés ou trouvant leur origine à Gibraltar.

153    Troisièmement, au considérant 45 de la décision d’ouverture de la procédure, la Commission a expressément précisé que les autorités du Royaume-Uni lui avaient indiqué que le principe de territorialité impliquait que tout revenu généré par des redevances, perçu par une société de Gibraltar, était généré ou trouvait son origine à Gibraltar. Or, le fait que les autorités du Royaume-Uni et de Gibraltar n’aient pas contesté cette affirmation dans leurs observations sur la décision d’ouverture de la procédure confirme bien la bonne compréhension, par la Commission, des informations qui lui avaient été communiquées lors de la procédure administrative ainsi que de l’application du principe de territorialité en ce qui concernait les revenus générés par des redevances.

154    Par ailleurs, il convient de relever que, dans leurs observations sur la décision d’ouverture de la procédure, les autorités du Royaume-Uni et de Gibraltar ont distingué entre, d’une part, les intérêts trouvant leur source à l’étranger (foreign-source interest) et, d’autre part, les revenus générés par des intérêts passifs trouvant leur source à Gibraltar et par des redevances. Le fait que les autorités du Royaume-Uni et de Gibraltar n’avaient pas opéré de distinction, pour les revenus générés par des redevances, entre celles trouvant leur origine à Gibraltar et celles trouvant leur origine à l’étranger confortait l’affirmation selon laquelle ces revenus étaient considérés comme étant générés ou trouvant leur origine à Gibraltar.

155    Quatrièmement, il importe de souligner que ni le rapport d’expertise ni aucune information tendant à remettre en cause l’affirmation du Royaume-Uni quant à l’application du principe de territorialité aux redevances n’ont été communiqués à la Commission lors de la procédure administrative. D’ailleurs, il convient de relever que les requérantes n’ont pas jugé utile de formuler des observations sur la décision d’ouverture de la procédure, alors qu’elles avaient été invitées à le faire et étaient en mesure de comprendre, au regard du contenu de la décision d’ouverture de la procédure, que MJN GibCo était un bénéficiaire potentiel du régime d’aides tel qu’il est identifié par la Commission dans ladite décision. Or, ainsi qu’il ressort du point 106 ci-dessus, la Commission ne pouvait examiner par supputation tous les arguments qui auraient potentiellement pu remettre en cause l’interprétation du droit fiscal national opérée dans la décision d’ouverture de la procédure, laquelle avait, au demeurant, été confirmée par l’État membre concerné.

156    Il découle des considérations exposées aux points 141 à 155 ci‑dessus que l’affirmation du Royaume-Uni concernant l’application du principe de territorialité aux revenus générés par des redevances, qui émane directement de l’État membre concerné, pouvait être considérée par la Commission comme étant une information suffisamment fiable et crédible. Partant, en reprenant l’interprétation du droit fiscal de Gibraltar fournie par les autorités du Royaume-Uni, la Commission n’a commis aucune erreur d’appréciation.

157    De surcroît, aucun des autres arguments soulevés par les requérantes n’est de nature à établir que l’affirmation des autorités du Royaume-Uni concernant l’application du principe de territorialité aux redevances était erronée.

158    Tout d’abord, le seul fait qu’il soit soutenu dans le rapport d’expertise que l’affirmation des autorités du Royaume-Uni est très étrange et que l’auteur dudit rapport explique, en tant que praticien expérimenté du droit fiscal de Gibraltar, qu’il n’a jamais eu connaissance de l’existence, avant l’entrée en vigueur de la modification de 2013, d’une présomption concernant l’application du principe de territorialité aux redevances, ne suffit pas à établir que l’affirmation en ce sens émanant directement de l’État membre concerné et relative à l’application de son propre droit était inexacte.

159    Ensuite, dans la mesure où les requérantes soulignent qu’il n’était pas logique qu’il existât, entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013, une présomption selon laquelle les revenus générés par des redevances perçus par des sociétés de Gibraltar y auraient été générés, alors que cette catégorie de revenus n’aurait pas été imposable à Gibraltar, il suffit de constater qu’il ne ressort pas de l’affirmation des autorités du Royaume-Uni qu’elles auraient soutenu qu’il existait une règle écrite prévoyant un régime spécifique pour l’application du principe de territorialité aux revenus générés par des redevances. En effet, ainsi qu’il ressort des points 144 à 146 ci-dessus, l’affirmation des autorités du Royaume-Uni reflétait une simple application du principe de territorialité, tel qu’il découlait des articles 11 et 74 de l’ITA 2010.

160    Par ailleurs, dans la mesure où les requérantes renvoient, dans leurs écritures, à la communication du commissaire de l’impôt sur le revenu de Gibraltar intitulée « Guide 2018 concernant les revenus générés ou trouvant leur origine », publiée le 25 octobre 2018, il y a lieu de relever que cette communication, qui était postérieure à la modification de l’ITA 2010 intervenue en 2013, n’était pas pertinente pour interpréter l’ITA 2010, dans sa version applicable entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013.

161    Enfin, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le fait de considérer que les revenus passifs étaient générés au lieu où se situait la société qui les percevait, bien qu’elle impliquât de prendre en compte le lieu où ladite société était établie ou immatriculée, ne constituait pas moins une application du principe de territorialité et ne pouvait être assimilée à un assujettissement fondé sur le critère de la résidence. En effet, ainsi qu’il est exposé au point 146 ci-dessus, dans le cas des redevances, qui constituent des revenus passifs, soit, autrement dit, des revenus perçus par des entités qui se contentaient de détenir les droits de propriété intellectuelle, il était cohérent de considérer que « l’activité à l’origine des revenus », au sens de l’article 74 de l’ITA 2010, se situait au lieu de résidence des sociétés qui détenaient les droits de propriété intellectuelle ouvrant droit à ces redevances.

162    Il découle donc de l’ensemble de ce qui précède que c’est à juste titre que la Commission a constaté que les revenus générés par des redevances perçus par des sociétés de Gibraltar étaient considérés comme générés ou trouvant leur origine à Gibraltar.

c)      Sur l’examen du critère de l’avantage (deuxième moyen, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée)

163    Par leur deuxième moyen, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, les requérantes font valoir que la Commission a commis des erreurs manifestes d’appréciation et violé l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où elle n’est pas parvenue à établir l’existence d’un avantage économique.

164    En premier lieu, les requérantes soutiennent que la Commission a opéré une confusion, au considérant 82 de la décision attaquée, entre la notion d’avantage économique et celle de sélectivité. D’une part, elle n’aurait pas expliqué en quoi la non-imposition de revenus générés par des redevances aurait conféré un avantage économique, alors que, selon la jurisprudence de la Cour, elle aurait été tenue d’identifier, d’abord, l’existence d’un avantage économique, puis de procéder à l’analyse de la sélectivité. D’autre part, l’analyse opérée par la Commission aurait relevé de l’appréciation de la sélectivité et non de celle de l’avantage économique.

165    En second lieu, les requérantes font valoir que la Commission a commis une erreur de droit en affirmant, au considérant 83 de la décision attaquée, que l’« exonération » d’impôt des revenus générés par des redevances avait introduit un allègement d’impôt et conféré ainsi un avantage à ses bénéficiaires. En effet, dès lors que les revenus générés par des redevances ne relevaient pas du champ d’application de l’ITA 2010, leur non-imposition ne pouvait pas consister en une exonération, ni en une renonciation des autorités fiscales de Gibraltar à des recettes qu’elles auraient pu collecter. Dans ce contexte, elles font valoir que la Commission a commis plusieurs erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne le contenu et l’objectif de l’ITA 2010 et, notamment, l’appréciation selon laquelle les revenus générés par des redevances perçus par des sociétés de Gibraltar étaient considérés comme générés ou trouvant leur origine à Gibraltar.

166    De plus, les requérantes font valoir que le traitement fiscal transparent des bénéfices d’une CV était prévu uniquement par l’article 18 de l’ITA 2010 et à la condition qu’une activité commerciale, d’entreprise ou professionnelle fût exercée par le biais de cette CV. Elles ajoutent que, en l’espèce, si les revenus de MJT CV pouvaient relever de la catégorie des bénéfices commerciaux et être attribués à MJN GibCo, en application de l’article 18 de l’ITA 2010, ils n’auraient pas été imposables à Gibraltar, dans la mesure où ils n’étaient pas générés, ni ne trouvaient leur origine sur ce territoire.

167    La Commission conteste ces arguments.

1)      Sur le premier grief du deuxième moyen, tiré d’une confusion entre les critères de l’avantage et de la sélectivité

168    Par leur premier grief, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir confondu le critère de l’avantage et celui de la sélectivité. Il convient de rappeler à cet égard que, en principe, la sélectivité et l’avantage constituent deux critères distincts. Pour ce qui est de l’avantage, la Commission doit démontrer que la mesure améliore la situation financière du bénéficiaire (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, EU:C:1974:71, point 33). En revanche, pour ce qui est de la sélectivité, la Commission doit démontrer que l’avantage ne bénéficie pas à d’autres entreprises dans une situation juridique et factuelle comparable à celle du bénéficiaire au regard de l’objectif du cadre de référence (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 49).

169    Il importe néanmoins de préciser que, en matière fiscale, l’examen de l’avantage et celui de la sélectivité coïncident, dans la mesure où ces deux critères impliquent de démontrer que la mesure fiscale contestée conduit à une réduction du montant de l’impôt qui aurait normalement été dû par le bénéficiaire de la mesure, en application du régime fiscal normal et, donc, du régime applicable aux autres contribuables se trouvant dans la même situation. Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ces deux critères peuvent être examinés conjointement, en tant que « troisième condition » prévue par l’article 107, paragraphe 1, TFUE, portant sur l’existence d’un « avantage sélectif » (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2016, Belgique/Commission, C‑270/15 P, EU:C:2016:489, point 32).

170    En l’espèce, il y a lieu de relever, en ce qui concerne la non-imposition des revenus générés par des redevances, que la Commission a examiné séparément le critère de l’avantage et celui de la sélectivité dans deux sections distinctes de la décision attaquée, à savoir la section 7.1.2, intitulée « Avantage », et la section 7.1.3, intitulée « Sélectivité ».

171    S’agissant de l’examen du critère de l’avantage, il ressort du considérant 83 de la décision attaquée, lequel s’inscrit dans la section 7.1.2 de ladite décision, que la Commission a bien examiné l’effet de la mesure en cause sur la situation des bénéficiaires. En effet, elle a exposé, dans ce considérant, que l’exonération introduisait un allègement de l’impôt que les entreprises bénéficiaires de la non-imposition des revenus générés par des redevances auraient autrement dû payer. Il en découle que la Commission n’a, en tout état de cause, pas opéré de confusion entre le critère de l’avantage et celui de la sélectivité, mais a cherché à établir que la non-imposition des revenus générés par des redevances améliorait la situation financière des bénéficiaires de cette mesure au sens de la jurisprudence citée au point 168 ci-dessus.

172    Le fait que la Commission ait précisé, au considérant 83 de la décision attaquée, que les bénéficiaires de la non-imposition jouissaient ainsi d’une position financière plus favorable que les autres contribuables n’est pas de nature à remettre en cause ce constat. En effet, la circonstance que la Commission ait également fait référence à des appréciations relevant davantage de l’examen du critère de la sélectivité que de celui du critère de l’avantage n’a aucune incidence sur le fait qu’elle a bien examiné si la mesure en cause conférait un avantage à ses bénéficiaires.

173    En conséquence, il convient de rejeter le premier grief du deuxième moyen, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée.

2)      Sur le second grief du deuxième moyen, tendant à contester l’existence d’un allègement fiscal

174    Par leur second grief, les requérantes contestent que la non-imposition des revenus générés par des redevances constituait un avantage économique au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

175    Selon une jurisprudence constante, sont considérées comme des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises, ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (voir arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Deutsche Post, C‑399/08 P, EU:C:2010:481, point 40 et jurisprudence citée ; arrêt du 9 octobre 2014, Ministerio de Defensa et Navantia, C‑522/13, EU:C:2014:2262, point 21).

176    Ainsi qu’il est exposé au point 91 ci-dessus, l’existence même d’un avantage ne peut être établie que par rapport à une imposition dite « normale » (arrêt du 6 septembre 2006, Portugal/Commission, C‑88/03, EU:C:2006:511, point 56). Partant, une telle mesure confère un avantage économique à son bénéficiaire dès lors qu’elle allège les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être des subventions au sens strict du terme, sont de même nature et ont des effets identiques (arrêt du 9 octobre 2014, Ministerio de Defensa et Navantia, C‑522/13, EU:C:2014:2262, point 22). Ainsi, une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises un traitement fiscal avantageux qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que d’autres contribuables constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 1994, Banco Exterior de España, C‑387/92, EU:C:1994:100, point 14, et du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, EU:C:2011:550, point 46 et jurisprudence citée).

177    En conséquence, afin de déterminer s’il existe un avantage fiscal, il convient de comparer la situation du bénéficiaire résultant de l’application de la mesure en cause avec la situation de celui-ci en l’absence de cette mesure et en application des règles normales d’imposition (voir arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission, T‑760/15 et T‑636/16, EU:T:2019:669, point 147 et jurisprudence citée).

178    En l’espèce, la Commission a considéré, au considérant 82 de la décision attaquée, que la non-imposition des revenus générés par des redevances constituait un avantage, au motif que cette mesure était en contradiction avec le principe selon lequel l’impôt sur les revenus devait être collecté auprès de tous les assujettis qui percevaient des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar. Elle a ajouté que les revenus générés par des redevances perçus par une entreprise à Gibraltar auraient normalement dû être soumis à l’impôt, en application du principe de territorialité, ceux-ci étant considérés comme ayant été générés ou comme trouvant leur origine sur ce territoire. Au considérant 83 de la décision attaquée, la Commission a conclu que l’« exonération » des revenus générés par des redevances introduisait un allègement d’impôt que les entreprises auraient autrement dû payer. À cet égard, il convient de relever que le raisonnement de la Commission, contenu aux considérants 81 à 83 de la décision attaquée, doit être lu au regard de cette décision prise dans son ensemble et, en particulier, du constat, mentionné au considérant 93 de ladite décision, selon lequel la non-imposition des revenus générés par des redevances était le résultat de la non-inclusion de ces catégories de revenus à l’annexe 1 de l’ITA 2010.

179    D’une part, ainsi qu’il ressort des points 116 à 128 ci-dessus, la Commission a correctement retenu, au considérant 82 de la décision attaquée, qu’il existait un principe selon lequel l’impôt sur les revenus devait être collecté auprès de tous les assujettis qui percevaient des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar et qu’un tel principe faisait partie des règles normales d’imposition au regard desquelles elle devait examiner la non-imposition des revenus générés par des redevances. En effet, ainsi que cela a été constaté au point 123 ci-dessus, le régime d’imposition introduit par l’ITA 2010 reposait sur deux principes directeurs, à savoir le principe de territorialité, selon lequel les revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar étaient soumis à l’impôt, et le principe selon lequel l’ensemble des revenus comptables des contribuables devaient être soumis à l’impôt.

180    De même, ainsi qu’il ressort des points 141 à 156 ci-dessus, en application du principe de territorialité, les revenus générés par des redevances perçues par une société à Gibraltar étaient considérés comme générés ou trouvant leur origine à Gibraltar.

181    Il découle de ces constatations que la non-inclusion des revenus générés par des redevances parmi les catégories de revenus listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010 permettait à ces revenus d’échapper à l’impôt sur les revenus à Gibraltar, alors que, conformément aux principes identifiés par la Commission au considérant 82 de la décision attaquée, de tels revenus, qui étaient générés ou trouvaient leur origine à Gibraltar, auraient normalement dû y être soumis.

182    Partant, c’est à juste titre que la Commission a constaté que la non-imposition des revenus générés par des redevances introduisait un allègement de l’impôt que les entreprises percevant de tels revenus auraient autrement dû payer en application des règles d’imposition normales et a conclu à l’existence d’un avantage économique en faveur de ces entreprises.

183    Aucun des autres arguments des requérantes n’est de nature à remettre en cause ce constat.

184    Premièrement, dans la mesure où les requérantes font valoir que la mesure ne pouvait constituer un avantage, au motif que les autorités fiscales, ne bénéficiant pas d’une base les autorisant à imposer ces revenus, n’avaient pu renoncer à imposer les revenus générés par des redevances, il suffit de constater que la non-inclusion de cette catégorie de revenus à l’annexe 1 de l’ITA 2010 constitue une renonciation du législateur de Gibraltar et, donc, des autorités compétentes du territoire concerné. Par ailleurs, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir méconnu la souveraineté fiscale des États membres dans la détermination de l’assiette fiscale aux fins de l’imposition sur le revenu, dès lors que, ainsi qu’il ressort des points 178 et 181 ci-dessus, elle a bien examiné ladite mesure au regard du contenu et de l’objectif de l’ITA 2010 et, ainsi, des règles d’imposition normales.

185    Deuxièmement, dans la mesure où les requérantes font valoir qu’il n’existait aucune règle explicite prévoyant l’imposition des redevances, de sorte que cette catégorie de revenus ne relevait pas du champ d’application de l’ITA 2010, il convient de rappeler que le fait qu’une mesure fiscale soit conçue selon une certaine technique réglementaire n’a pas d’incidence aux fins de l’analyse de ladite mesure au regard de l’article 107 TFUE, au risque que des règles fiscales nationales échappent d’emblée au contrôle en matière d’aides d’État en raison du seul fait qu’elles relèvent d’une autre technique réglementaire bien qu’elles produisent en droit ou en fait, par l’ajustement et la combinaison de diverses règles fiscales, les mêmes effets. Toute autre interprétation heurterait la jurisprudence constante selon laquelle l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne distingue pas selon les causes et les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets, et donc indépendamment des techniques utilisées [voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission, C‑203/16 P, EU:C:2018:505, point 91 et jurisprudence citée].

186    Or, ainsi qu’il est exposé au point 81 ci-dessus, la non-inclusion d’une catégorie de revenus dans l’assiette fiscale et l’exonération d’impôt formelle d’une catégorie de revenus faisant normalement partie de l’assiette fiscale produisent les mêmes effets. Ainsi, la circonstance qu’il n’existait pas, dans l’ITA 2010, de règle explicite prévoyant l’imposition des revenus générés par des redevances ne s’opposait pas à ce qu’une telle mesure conférât un avantage au sens de l’article 107 TFUE.

187    Troisièmement, dans la mesure où les requérantes font valoir que la Commission n’a pas démontré que les potentiels bénéficiaires de l’aide, à savoir les dix entreprises auxquelles il était fait référence au considérant 98 de la décision attaquée, avaient effectivement profité de la non-imposition des revenus générés par des redevances, il suffit de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’une décision portant sur un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause pour apprécier, dans les motifs de sa décision, si, en raison des modalités que ce régime prévoit, celui-ci assure un avantage sensible aux bénéficiaires par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter essentiellement à des entreprises qui participent aux échanges entre États membres. Ainsi, la Commission n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime. Ce n’est qu’au stade de la récupération des aides qu’il sera nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 63 et jurisprudence citée).

188    Il en découle que la Commission n’était pas tenue de démontrer que les dix bénéficiaires potentiels avaient effectivement profité de la mesure fiscale. De tels arguments ne sont pas de nature à entraîner l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée et doivent être rejetés comme étant inopérants.

189    Pour les mêmes motifs, il y a lieu d’écarter comme inopérants les arguments ayant trait à la situation spécifique de MJN GibCo aux fins de l’analyse de la légalité de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée. En particulier, s’agissant des arguments relatifs à la transparence fiscale des CV, il importe de relever que, la Commission n’ayant aucunement fondé son appréciation du régime d’aides découlant de la non-imposition des revenus générés par des redevances sur la question de la transparence fiscale, ils sont dénués de toute pertinence aux fins d’examiner si la Commission a correctement considéré que cette mesure conférait un avantage fiscal à ses bénéficiaires.

190    Au regard de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le second grief du deuxième moyen tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée et, partant, ce moyen dans son ensemble.

d)      Sur l’examen de la sélectivité (troisième moyen tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée)

191    Par leur troisième moyen tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission a commis des erreurs manifestes d’appréciation et violé l’article 107, paragraphe 1, TFUE en considérant que la non-imposition des revenus générés par des redevances était une mesure sélective.

192    En premier lieu, les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur dans la détermination du cadre de référence. Elles précisent que, en matière fiscale, l’appréciation du critère de la sélectivité ne peut se faire qu’au regard de l’imposition dite « normale », dont la définition, à l’instar du choix de la base imposable, relève de la souveraineté des États membres. Si les requérantes confirment que l’ITA 2010 constitue le cadre de référence approprié, elles font valoir que la Commission a commis plusieurs erreurs quant au contenu et à l’objectif de cette loi.

193    En second lieu, les requérantes font valoir que la Commission a erronément identifié une dérogation au cadre de référence.

194    Tout d’abord, la non-imposition des revenus générés par des redevances ne constituerait pas une exonération, une dérogation ou une « dérogation implicite », mais résulterait seulement du fait que ces revenus n’entrent pas dans le champ d’application de l’ITA 2010.

195    Ensuite, la Commission aurait retenu une mauvaise compréhension de la portée du principe selon lequel une mesure constitutive d’une aide d’État devrait être définie par ses effets. Certes, dans les arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732), et du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981), la Cour aurait retenu qu’une mesure pourrait être sélective lorsqu’elle aurait pour effet d’exclure certaines entreprises de la base d’imposition. Toutefois, ces affaires auraient visé des circonstances exceptionnelles et n’auraient pas justifié que la notion d’aide d’État définie par ses effets fût trop distendue. Le Tribunal aurait d’ailleurs clarifié, dans l’arrêt du 16 mai 2019, Pologne/Commission (T‑836/16 et T‑624/17, EU:T:2019:338), qu’une mesure fiscale peut prévoir des différences de traitement sans pour autant être qualifiée de sélective, sous réserve que ces différences ne soient pas arbitraires, qu’elles soient appliquées de manière non discriminatoire et restent conformes à l’objectif de l’impôt concerné.

196    Enfin, les requérantes font valoir que la non-imposition des revenus générés par des redevances n’introduisait pas de différenciation entre des opérateurs économiques se trouvant dans une même situation juridique et factuelle. Elles soutiennent, à cet égard, qu’aucune condition de la non-imposition n’était applicable qu’aux seules entreprises multinationales et que la circonstance que cette mesure profitât essentiellement aux groupes multinationaux n’était qu’une circonstance aléatoire et non un « effet de [celle-ci] ».

197    La Commission conteste ces arguments.

198    Il résulte de la jurisprudence de la Cour que l’appréciation de la sélectivité impose de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime, dans une situation factuelle et juridique comparable et qui subissent, ainsi, un traitement différencié pouvant, en substance, être qualifié de discriminatoire (voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 54 et jurisprudence citée).

199    Lorsque la mesure en cause est envisagée comme un régime d’aides et non comme une aide individuelle, il incombe à la Commission d’établir que cette mesure, bien qu’elle prévoie un avantage de portée générale, en confère le bénéfice exclusif à certaines entreprises ou à certains secteurs d’activité (voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 55 et jurisprudence citée). En effet, une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques ne constitue pas une mesure d’aide au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C‑156/98, EU:C:2000:467, point 22).

200    En matière fiscale, classiquement, la jurisprudence requiert une analyse de la sélectivité en trois étapes. Cette analyse implique, dans un premier temps, d’identifier le régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné, qui constitue le cadre de référence, et, dans un deuxième temps, de démontrer que la mesure fiscale en cause déroge audit cadre de référence, dans la mesure où elle introduit des différenciations entre des opérateurs se trouvant, au regard de l’objectif poursuivi par ce cadre de référence, dans une situation juridique et factuelle comparable (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 57). Dans un troisième temps, il appartient à l’État membre de démontrer que la différenciation introduite par la mesure en cause, laquelle est « a priori sélective », est justifiée, dès lors qu’elle résulte de la nature ou de l’économie du cadre dans laquelle cette mesure s’inscrit (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 58).

201    La condition de la sélectivité est donc remplie lorsque la Commission parvient à démontrer que la mesure déroge au régime fiscal commun ou « normal » applicable dans l’État membre concerné, introduisant ainsi, par ses effets concrets, un traitement différencié entre opérateurs, alors que les opérateurs qui bénéficient de l’avantage fiscal et ceux qui en sont exclus se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime fiscal de cet État membre, dans une situation juridique et factuelle comparable (arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 67).

202    Dans l’arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a. (C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 74), la Cour a, en substance, opéré une distinction entre, d’une part, le cas où la mesure se présentait sous la forme d’un avantage fiscal dérogatoire à un régime fiscal commun et, d’autre part, celui où la mesure se présentait sous la forme de l’application d’un régime fiscal « général » reposant sur des critères eux-mêmes également de nature générale, mais opérant, dans les faits, une discrimination entre certaines entreprises, impliquant ainsi une « sélectivité de facto ». Une telle distinction se fonde directement sur l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732), dans lequel les mesures faisant l’objet de l’examen au titre de l’article 107, paragraphe 1, TFUE étaient les règles relatives à la détermination de l’assiette fiscale aux fins de l’impôt sur les sociétés. Dans cette affaire, la Cour avait considéré que le système d’imposition consistant en un impôt sur le nombre de salariés et en un impôt sur la taille des locaux avait pour effet, tel qu’il était conçu, d’exclure d’emblée toute imposition des sociétés « offshore », du fait qu’elles n’avaient pas de salariés, ni de locaux professionnels.

203    Dans un tel cas de figure, la mesure peut avoir un caractère sélectif, bien qu’elle soit de nature générale et qu’elle ne constitue pas une dérogation au régime commun fiscal, mais qu’elle en fasse partie intégrante (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 91 et 92). Il appartient alors à la Commission de démontrer que le régime fiscal est, en lui-même, manifestement discriminatoire au regard de l’objectif qu’il est censé poursuivre et, ainsi, que les mesures en cause, faisant partie intégrante du régime fiscal, sont contraires à l’objectif poursuivi par celui-ci, en ce qu’elles vident de sa substance l’objectif de l’impôt (voir, en ce sens, arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne, C‑562/19 P, points 42 et 43, et du 16 mai 2019, Pologne/Commission, T‑836/16 et T‑624/17, EU:T:2019:338, points 70, 79 et 94). Tel est le cas lorsque la Commission démontre que le régime, par ses effets, favorise certaines entreprises de par leurs caractéristiques propres et spécifiques (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni, C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732, points 87 et 88, et du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, points 74 à 76).

204    En l’espèce, il y a lieu de constater que, dans la décision attaquée, la Commission a examiné la non-imposition des revenus générés par des redevances non seulement au regard de l’analyse en trois étapes de la sélectivité de mesures fiscales présentant un caractère dérogatoire, mais également en faisant application de l’analyse retenue par la Cour dans l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume-Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732).

205    En effet, d’une part, il ressort clairement des considérants 87, 90 à 94, 100, 103 et 105 à 110 de la décision attaquée ainsi que de l’intitulé des sections 7.1.3.1, 7.1.3.2 et 7.1.3.3 de cette même décision que la Commission a considéré que la non‑imposition des revenus générés par des redevances constituait une mesure dérogatoire et a fait application de l’analyse en trois étapes de la sélectivité.

206    Plus précisément, la Commission a, tout d’abord, retenu que le cadre de référence était l’ITA 2010 dont l’objectif était de collecter l’impôt sur les revenus des contribuables percevant des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar (considérants 90 à 93 et 100 de la décision attaquée) et a considéré que la non-imposition des revenus générés par des redevances constituait une « exonération implicite » de l’imposition sur les revenus. Ensuite, la Commission a considéré, au regard de l’objectif de l’ITA 2010, que les entreprises bénéficiant de la non-imposition des revenus générés par des redevances, à savoir des sociétés appartenant à des groupes multinationaux qui octroyaient des licences sur des droits de propriété intellectuelle, étaient dans une situation juridique et factuelle similaire à celle de toutes les autres entreprises établies à Gibraltar percevant des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar (considérants 100 et 103 de la décision attaquée). Aux fins d’établir que la non-imposition des revenus générés par des redevances conduisait à appliquer un traitement fiscal différent à ces entreprises, alors qu’elles se trouvaient dans une situation comparable, la Commission a relevé que, en l’absence de l’« exonération » des revenus générés par des redevances, le régime d’imposition territorial considérerait que les revenus générés par des redevances perçues par une entreprise établie à Gibraltar trouveraient leur origine à Gibraltar (considérant 94 de la décision attaquée). Enfin, la Commission a écarté les justifications alléguées par les autorités du Royaume-Uni (considérants 105 à 108 de la décision attaquée).

207    D’autre part, la Commission a également précisé que, « lorsque la mesure ne découl[ait] pas d’une dérogation formelle au régime fiscal, il [étai]t particulièrement important de considérer les effets de la mesure afin d’évaluer si celle-ci avantage[ait] de façon significative un groupe d’entreprises particulier » (considérant 97 de la décision attaquée). Elle a alors exposé que la non-imposition des revenus générés par des redevances n’avait profité qu’à dix entreprises faisant toutes partie de groupes d’entreprises multinationaux et qu’aucune entreprise indépendante n’avait perçu de revenus générés par des redevances à Gibraltar (considérant 98 de la décision attaquée). En outre, la Commission a affirmé, au considérant 104 de la décision attaquée, que la circonstance que l’« exonération » des revenus générés par des redevances avantageait essentiellement les groupes multinationaux n’était pas une conséquence aléatoire du régime et que cette règle avait été conçue pour attirer ou avantager les entreprises d’un groupe et, plus particulièrement, les groupes multinationaux exerçant certaines activités (octroi de licences sur des droits de propriété intellectuelle), reprenant ainsi la terminologie utilisée dans l’arrêt du 15 novembre 2011, Commission et Espagne/Government of Gibraltar et Royaume‑Uni (C‑106/09 P et C‑107/09 P, EU:C:2011:732).

208    Il ressort donc des considérants 90 à 104 de la décision attaquée que la Commission a, ainsi qu’elle l’a confirmé en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience de plaidoiries, considéré, à titre principal, que la non-imposition des revenus générés par des redevances constituait une mesure dérogatoire qui était sélective, dans la mesure où elle favorisait les entreprises percevant des revenus générés par des redevances par rapport à toutes les autres entreprises percevant des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar et que, à titre subsidiaire, elle a également examiné la sélectivité « de facto » de la non-imposition des revenus générés par des redevances.

209    Il convient donc, dans un premier temps, d’examiner si la Commission était fondée, aux fins d’établir le caractère sélectif de la non-imposition des revenus générés par des redevances, à considérer, à titre principal, que celle-ci constituait une dérogation par rapport à l’ITA 2010, en ce qu’elle avait pour conséquence d’appliquer aux entreprises de Gibraltar percevant des revenus générés par des redevances un traitement fiscal distinct de celui appliqué aux entreprises imposables à Gibraltar percevant des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar, alors même que ces deux catégories d’entreprises se trouvaient dans des situations comparables, au regard de l’objectif poursuivi par l’ITA 2010.

210     Il importe à cet égard, de relever que, ainsi qu’il ressort des points 118 à 128 ci-dessus, la Commission a correctement constaté que l’objectif de l’ITA 2010 était de collecter l’impôt sur les revenus des contribuables percevant des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar. De même, ainsi qu’il découle des points 141 à 156 ci-dessus, elle a retenu, à juste titre, que les revenus générés par des redevances perçus par des sociétés à Gibraltar étaient considérés comme générés ou trouvant leur origine à Gibraltar. Dans ce contexte, la Commission a correctement considéré que les entreprises de Gibraltar percevant des revenus générés par des redevances auraient normalement dû être soumises à l’impôt à Gibraltar et qu’elles étaient dans une situation juridique et factuelle similaire à celles des autres entreprises percevant des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar.

211    Dès lors, la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant que la non-imposition des revenus générés par des redevances favorisait les entreprises percevant des revenus générés par des redevances par rapport aux autres entreprises percevant des revenus générés ou trouvant leur origine à Gibraltar. Il en découle que c’est à juste titre qu’elle a considéré que la non-imposition des revenus générés par des redevances présentait un caractère dérogatoire à l’ITA 2010 et à son objectif.

212    Ces seules considérations suffisent à établir le caractère a priori sélectif de la non-imposition des revenus générés par des redevances, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si la Commission a correctement considéré que la mesure bénéficiait spécifiquement aux entreprises multinationales exerçant certaines activités, telles que l’octroi de licences sur des droits de propriété intellectuelle. En effet, il n’est pas nécessaire, aux fins de la démonstration de la sélectivité d’une mesure fiscale dérogatoire, que la Commission identifie certaines caractéristiques propres et spécifiques, communes aux entreprises bénéficiaires de l’avantage fiscal, qui permettent de les distinguer de celles qui en sont exclues (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, points 71, 76 et 78). En effet, si aux fins d’établir la sélectivité d’une mesure fiscale, il n’est pas toujours nécessaire que celle-ci ait un caractère dérogatoire par rapport à un régime fiscal commun, la circonstance qu’elle présente un tel caractère est tout à fait pertinente à ces fins lorsqu’il en découle que deux catégories d’opérateurs sont distinguées et font a priori l’objet d’un traitement différencié, à savoir ceux relevant de la mesure dérogatoire et ceux qui continuent de relever du régime fiscal commun, alors même que ces deux catégories se trouvent dans une situation comparable au regard de l’objectif poursuivi par ledit régime (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, points 77 et 78).

213    Par ailleurs, il importe de constater que les requérantes ne contestent pas les conclusions de la Commission selon lesquelles la non-imposition des revenus générés par des redevances n’était pas justifiée par la nature ou l’économie générale du régime fiscal de Gibraltar. Partant, c’est à bon droit que la Commission a conclu au caractère sélectif de la non-imposition des revenus générés par des redevances et a considéré que cette non-imposition, du fait de la non-inclusion, entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2013, des revenus générés par des redevances dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, constituait un régime d’aides. Dans la mesure où l’analyse en trois étapes de la sélectivité suffit à soutenir cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner les arguments des requérantes tendant à contester le raisonnement subsidiaire de la Commission, selon lequel la non-imposition des revenus générés par des redevances était de facto sélective. En effet, dans la mesure où certains motifs d’une décision sont, à eux seuls, de nature à justifier à suffisance de droit celle-ci, les vices dont pourraient être entachés d’autres motifs de l’acte sont, en tout état de cause, sans influence sur son dispositif. Par ailleurs, dès lors que le dispositif d’une décision de la Commission repose sur plusieurs piliers de raisonnement dont chacun suffirait à lui seul à fonder ce dispositif, il n’y a lieu d’annuler cet acte, en principe, que si chacun de ces piliers est entaché d’illégalité. Dans cette hypothèse, une erreur ou une autre illégalité qui n’affecterait qu’un seul des piliers du raisonnement ne saurait suffire à justifier l’annulation de la décision litigieuse, dès lors que cette erreur n’a pu avoir une influence déterminante quant au dispositif retenu par l’institution auteur de cette décision (voir arrêt du 1er mars 2018, Pologne/Commission, T‑316/15, non publié, EU:T:2018:106, point 91 et jurisprudence citée).

214    En particulier, il convient de relever que les arguments des requérantes relatifs aux conséquences à tirer, dans le cas d’espèce, des arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201), et du 16 mars 2021, Commission/Hongrie (C‑596/19 P, EU:C:2021:202), ainsi que des arrêts du 16 mai 2019, Pologne/Commission (T‑836/16 et T‑624/17, EU:T:2019:338), et du 27 juin 2019, Hongrie/Commission (T‑20/17, EU:T:2019:448), sont inopérants, dans la mesure où ils portent sur l’analyse de la sélectivité de facto et non sur l’analyse en trois étapes de la sélectivité.

215    Par ailleurs, dans la mesure où les requérantes contestent, dans le cadre de leurs arguments relatifs à l’analyse de la sélectivité, l’affirmation de la Commission, au point 95 de la défense, selon laquelle elle n’aurait pas été tenue d’expliquer en détail les raisons qui l’avaient amenée, dans la décision attaquée, à conclure que la non-imposition des revenus générés par des redevances constituait un régime d’aides simplement du fait qu’elle aurait déjà examiné ces éléments, en détail, dans la décision d’ouverture de la procédure, il convient de relever, d’une part, que le Tribunal a déjà jugé que la décision d’ouverture de la procédure formelle faisait partie du contexte de la décision mettant fin à cette procédure et que la première pouvait être prise en compte dans le cadre de l’examen de la motivation de la seconde (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2018, Autriche/Commission, T‑356/15, EU:T:2018:439, point 535). D’autre part et en tout état de cause, ainsi qu’il ressort des points 204 à 208 ci-dessus, la décision attaquée exposait en détail les éléments qui avaient amené la Commission à considérer que la non-imposition des revenus générés par des redevances constituait une mesure sélective.

216    Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le troisième moyen tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée.

e)      Sur l’étendue de l’avantage sélectif (quatrième moyen, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée)

217    Par leur quatrième moyen, les requérantes font valoir que, en tout état de cause et à supposer même que la non-imposition des revenus générés par des redevances ait effectivement conféré un avantage sélectif, la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation et une erreur de droit en considérant que cet avantage sélectif s’étendait aux redevances générées par des activités et des droits de propriété intellectuelle ne se situant pas à Gibraltar, ces revenus n’entrant pas dans le champ d’application territorial de l’ITA 2010.

218    Selon les requérantes, les revenus qu’une société de Gibraltar tirait d’activités exercées hors de ce territoire, y compris lorsqu’il s’agissait de revenus générés par des redevances, n’étaient pas imposables à Gibraltar. Elles font valoir que, dans leur situation où aucun des droits de propriété intellectuelle n’est né à Gibraltar, où ces droits ne sont pas situés à Gibraltar, où les concessionnaires de licence ne sont pas situés à Gibraltar et où les revenus générés par des redevances ne sont pas versés à Gibraltar, ces derniers ne seraient pas générés, ni ne trouveraient leur origine à Gibraltar. Ainsi, les requérantes soutiennent que, en l’espèce, en dépit de la transparence fiscale, la part de MJN GibCo dans les revenus de MJT CV n’était pas imposable dans la mesure où ces revenus n’étaient pas générés ou ne trouvaient pas leur origine à Gibraltar.

219    La Commission conteste ces arguments.

220    Dans la mesure où, ainsi qu’il a été constaté aux points 141 à 162 ci‑dessus, la Commission n’a pas commis d’erreur en constatant que les revenus générés par des redevances perçus par des sociétés de Gibraltar étaient considérés comme générés ou trouvant leur origine à Gibraltar, il y a lieu de rejeter les arguments des requérantes selon lesquels les revenus générés par des redevances concernant des activités et des droits de propriété intellectuelle ne se situant pas à Gibraltar ne rentraient pas dans le champ d’application territorial de l’ITA 2010, et selon lesquels la Commission aurait ainsi commis une erreur en considérant que l’avantage sélectif conféré par la non-imposition des revenus générés par des redevances s’étendait aux redevances précitées.

221    Par ailleurs, dans la mesure où les requérantes soutiennent que, dans le cas de MJN GibCo, les revenus générés par des redevances n’étaient pas générés ou ne trouvaient pas leur origine à Gibraltar, un tel argument n’est pas de nature à remettre en cause l’analyse de la Commission selon laquelle la non-imposition des revenus générés par des redevances constituait un régime d’aides, ni la légalité de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, et doit être rejeté comme inopérant. En effet, à le supposer fondé, cet argument permettrait, tout au plus, de remettre en cause la qualité de bénéficiaire de l’aide de MJN GibCo. Or, l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée se borne à constater que la non-imposition des revenus générés par des redevances constitue un régime d’aides, sans identifier les potentiels bénéficiaires dudit régime. De plus, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence exposée au point 187 ci-dessus, dans une décision qui porte sur un régime d’aides, la Commission n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée, dans chaque cas individuel, sur le fondement d’un tel régime.

222    Au regard de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée.

3.      Sur le moyen tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une violation de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999 (cinquième moyen tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée) 

223    Par leur cinquième moyen tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, les requérantes contestent la conclusion découlant de la section 7.2 de la décision attaquée, selon laquelle la non-imposition des revenus générés par des redevances constituait une aide nouvelle au sens de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999.

224    D’une part, les requérantes allèguent que la décision attaquée ne contient pas une analyse de la qualification d’aide nouvelle de la mesure consistant en la non-imposition des revenus générés par des redevances. Elles font valoir que, si la Commission avait effectivement affirmé, dans la décision d’ouverture de la procédure, que les revenus générés par des redevances avaient été exclus du champ d’application de l’imposition sur les revenus pour la première fois dans l’ITA 2010, la décision attaquée ne contenait pas une telle constatation.

225    D’autre part, elles font valoir que, quand bien même la non-imposition des revenus générés par des redevances aurait constitué une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il y aurait eu lieu de la considérer comme étant une aide existante, dans la mesure où les revenus passifs générés par des redevances n’étaient pas imposés à Gibraltar sous l’ITA 1952, en vigueur avant l’adoption de l’ITA 2010, de sorte que cette règle était déjà applicable au 1er janvier 1973, date à laquelle le Royaume-Uni était devenu un État membre. En particulier, les requérantes soutiennent que, si l’article 6, paragraphe 1, de l’ITA 1952 listait, parmi les six catégories de revenus imposables, la catégorie « Loyers, redevances, primes et autres bénéfices découlant de droits de propriété », une telle catégorie ne visait, en réalité, que les droits de propriété immobiliers. Le terme « redevances » aurait uniquement visé les redevances découlant de l’exploitation minière.

226    La Commission conteste ces arguments.

227    En substance, les requérantes soulèvent deux griefs, tirés, d’une part, d’un défaut de motivation, en violation de l’article 296 TFUE, en ce que la Commission n’aurait pas expliqué, dans la décision attaquée, en quoi la non-imposition des revenus générés par des redevances aurait constitué une aide nouvelle, et, d’autre part, d’une violation de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999, en ce que la Commission a erronément considéré que ladite mesure constituait une mesure d’aide existante.

228    Conformément à une jurisprudence constante, l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 146 et jurisprudence citée, et du 14 mai 2014, Donau Chemie/Commission, T‑406/09, EU:T:2014:254, point 28 et jurisprudence citée). Il convient donc de traiter, en premier lieu, le grief tiré, en substance, d’une violation de l’obligation de motivation, prévue à l’article 296 TFUE, puis, en second lieu, le grief tiré de la violation de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999.

a)      Sur le premier grief, tiré d’un défaut de motivation au sens de l’article 296 TFUE

229    En vertu de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, les actes juridiques sont motivés. Selon une jurisprudence constante, la motivation exigée doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et faire apparaître, de façon claire et non équivoque, le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. S’agissant, en particulier, de la motivation des décisions individuelles, l’obligation de motiver de telles décisions a ainsi pour but, outre de permettre un contrôle judiciaire, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si la décision est éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (voir arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, points 146 à 148 et jurisprudence citée ; arrêts du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, points 114 et 115, et du 13 décembre 2016, Printeos e.a./Commission, T‑95/15, EU:T:2016:722, point 44).

230    Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 150 ; du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 116, et du 13 décembre 2016, Printeos e.a./Commission, T‑95/15, EU:T:2016:722, point 45).

231    En l’espèce, il importe de constater que, si la Commission a considéré que la non-imposition des revenus générés par des redevances constituait une aide illégale (considérants 216 et 217 de la décision attaquée), la décision attaquée ne contient aucun élément, y compris dans la section intitulée « Caractère d’aide nouvelle de la mesure » (considérants 118 à 121 de la décision attaquée), tendant à expliquer en quoi ladite mesure constituait une aide nouvelle. En effet, les éléments contenus dans cette section portent uniquement sur le régime d’aides relatif à la non-imposition des revenus générés par des intérêts passifs.

232    Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 230 ci-dessus, le respect de l’obligation de motivation doit être examiné au regard du contenu de l’acte, mais également de son contexte et des règles juridiques applicables. Par ailleurs, dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État, la décision finale, prise à l’issue de la procédure formelle d’examen, constitue un acte dont l’élaboration s’effectue en plusieurs phases. Le Tribunal a ainsi déjà jugé que la décision d’ouverture de la procédure formelle faisait partie du contexte de la décision mettant fin à la procédure formelle et que la première pouvait être prise en compte dans le cadre de l’examen de la motivation de la seconde (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2018, Autriche/Commission, T‑356/15, EU:T:2018:439, point 535).

233    Or, d’une part, il ressort des considérants 217 et 221 de la décision attaquée que la non-imposition des revenus générés par des redevances était une mesure d’aide illégale devant être récupérée, de sorte que la Commission avait nécessairement considéré, dans la décision attaquée, que ladite mesure était une mesure d’aide nouvelle. En effet, ainsi qu’il découle de l’article 108, paragraphes 1 et 3, TFUE ainsi que de l’article 1er, sous f), du règlement no 659/1999, seule une mesure d’aide nouvelle, mise à exécution sans autorisation de la Commission, peut être qualifiée de mesure d’aide illégale. Les régimes d’aides existants font, quant à eux, l’objet d’un examen permanent, dans le cadre duquel la Commission propose les mesures utiles exigées par le développement progressif ou le fonctionnement du marché intérieur.

234    D’autre part, il ressort des considérants 45, 66 et 67 de la décision d’ouverture de la procédure que la Commission avait qualifié la non-imposition des revenus générés par des redevances d’aide nouvelle au motif que les revenus générés par des redevances étaient soumis à l’impôt à Gibraltar en vertu de l’ITA 1952, et ce jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ITA 2010.

235    Ainsi, dans la mesure où le constat, opéré dans la décision attaquée, selon lequel la mesure en cause était une mesure d’aide illégale était compatible avec l’analyse contenue dans la décision d’ouverture de la procédure et où cette décision et la décision attaquée ne contenaient pas d’éléments pouvant laisser penser que la Commission aurait modifié sa position sur ce point précis, il y a lieu de considérer que, dans le cas d’espèce, la décision d’ouverture de la procédure faisait partie du contexte dans lequel la décision attaquée avait été adoptée et devait être prise en compte aux fins de l’analyse de la motivation de cette dernière, en ce qui concernait la qualification de la non-imposition des revenus générés par des redevances de mesure d’aide nouvelle.

236    Par ailleurs, il importe de relever que les requérantes contestent l’analyse selon laquelle la non-imposition des revenus générés par des redevances était une aide nouvelle et, en particulier, le fait que ces revenus étaient soumis à l’impôt sur le revenu en vertu de l’ITA 1952. Cela démontre bien qu’elles étaient en mesure de connaître les motifs pour lesquels la Commission avait considéré que la non-imposition des revenus générés par des redevances constituait une mesure d’aide nouvelle illégale.

237    Compte tenu de ce qui précède, il convient de rejeter le grief tiré d’un défaut de motivation de la décision attaquée.

b)      Sur le second grief, tiré de la violation de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999

238    Aux termes de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE, une aide nouvelle est constituée de toute aide, à savoir de tout régime d’aides ou de toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante.

239    Or, conformément à l’article 1er, sous b), i), ii) et v), du règlement no 659/1999, constitue une aide existante, toute aide autorisée, à savoir les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil de l’Union européenne, toute aide existant avant l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné, à savoir les régimes d’aides et les aides individuelles mis à exécution avant, et toujours applicables après ladite entrée en vigueur, ainsi que toute aide qui est réputée existante, parce qu’il peut être établi qu’elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite, en raison de l’évolution du marché commun, et sans avoir été modifiée par l’État membre concerné.

240    Doivent ainsi être considérées comme des aides nouvelles, les mesures prises après l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné qui tendent à instituer ou à modifier des aides (voir arrêt du 20 mai 2010, Todaro Nunziatina & C., C‑138/09, EU:C:2010:291, point 46 et jurisprudence citée).

241    C’est par référence aux dispositions qui la prévoient, à leurs modalités et à leurs limites qu’une aide peut être qualifiée de nouveauté ou de modification du régime existant (voir arrêt du 16 décembre 2010, Pays-Bas et NOS/Commission, T‑231/06 et T‑237/06, EU:T:2010:525, point 180 et jurisprudence citée).

242    En l’espèce, les requérantes se bornent à contester le constat de la Commission selon lequel les revenus générés par des redevances étaient imposés en application de l’ITA 1952 et n’avaient été exclus du champ d’application de l’impôt sur les revenus à Gibraltar qu’avec l’adoption de l’ITA 2010.

243    Or, à cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi que la Commission l’a fait observer dans la décision d’ouverture de la procédure, l’article 6, paragraphe 1, sous e), de l’ITA 1952, qui a été abrogé par l’ITA 2010, listait expressément les revenus générés par des redevances (« royalties ») parmi les catégories de revenus imposables à Gibraltar. De tels revenus étaient donc soumis à l’impôt sur le revenu à Gibraltar jusqu’à l’entrée en vigueur de l’ITA 2010, le 1er janvier 2011.

244    Les arguments des requérantes selon lesquels le terme « redevance » (« royalties »), visé à l’article 6, paragraphe 1, sous e), de l’ITA 1952, couvrait exclusivement les revenus générés par des redevances perçus liés à des biens immobiliers et désignait les redevances découlant de l’exploitation minière ne peuvent prospérer.

245    D’une part, l’analyse des requérantes est en contradiction avec les informations communiquées par les autorités du Royaume-Uni lors de la procédure administrative. En effet, celles-ci ont expressément affirmé, à plusieurs reprises et, notamment, dans leurs observations des 14 septembre et 3 décembre 2012, que, « avant l’adoption de [l’ITA 2010], les [revenus générés par des redevances] étaient imposés et ne donnaient pas lieu à d’importantes recettes fiscales », raison pour laquelle ils avaient été exclus de l’imposition par la loi de 2010. Il ressort du contexte de ces observations que les autorités du Royaume‑Uni faisaient bien référence aux redevances de propriété intellectuelle et non aux redevances liées à l’exploitation minière.

246    De surcroît, ainsi que le soutient la Commission, les autorités du Royaume-Uni et de Gibraltar n’ont pas contesté son analyse de l’ITA 1952 contenue dans la décision d’ouverture de la procédure. Or, ainsi qu’il ressort du point 106 ci-dessus, en l’absence d’informations de nature à remettre en cause l’interprétation du droit fiscal national opérée dans la décision d’ouverture de la procédure, la Commission ne pouvait examiner, par supputation, tous les arguments qui auraient potentiellement pu remettre en cause ladite interprétation, laquelle, au demeurant, reposait directement sur des informations émanant de l’État membre concerné, qui pouvaient être considérées comme suffisamment fiables et crédibles.

247    D’autre part, les arguments contenus dans le rapport d’expertise, communiqué en annexe à la réplique, ne permettent pas de remettre en cause le constat selon lequel les revenus générés par des redevances de propriété intellectuelle étaient soumis à l’impôt sur les revenus en application de l’article 6, paragraphe 1, sous e), de l’ITA 1952. En effet, si le terme « redevances » était inséré, au sein de l’article 6, paragraphe 1, sous e), de l’ITA 1952, entre les termes « loyers » (rents), « primes » (premium) et « autres bénéfices découlant de propriétés », il ne ressortait pas du libellé de cet article que l’ensemble de ces catégories de revenus se rapportait à des biens immobiliers. En effet, le terme « propriété » (property) pouvait faire référence tant à des propriétés immobilières qu’à toute autre forme de propriété, y compris intellectuelle.

248    Par ailleurs, dans la mesure où le rapport d’expertise se fonde sur la jurisprudence du JCPC relative à l’interprétation du droit applicable dans d’anciennes colonies caractérisées par leur richesse minière, il convient de relever, à l’instar de la Commission, qu’il est incohérent d’appliquer une telle jurisprudence, par analogie, à la situation de Gibraltar, dont le territoire est dépourvu de telles caractéristiques, afin de conclure que le terme « redevance », au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous e), de l’ITA 1952 ne vise que les redevances d’exploitations minières.

249    Il découle donc de ce qui précède que la Commission a correctement considéré que la non-imposition des revenus générés par des redevances avait été introduite avec l’adoption de l’ITA 2010. Partant, la Commission n’a pas commis d’erreur en qualifiant cette non-imposition de mesure d’aide nouvelle et illégale.

250    Il y a donc lieu de rejeter le deuxième grief et, partant, le cinquième moyen tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée.

251    Partant, il convient de rejeter le recours en tant qu’il tend à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, concernant la non-imposition des revenus générés par des redevances ainsi que de l’ordre de récupération lié à cette mesure.

C.      Sur la deuxième partie du recours, tendant à l’annulation de l’article 2 de la décision attaquée en ce qui concerne l’aide d’État individuelle octroyée à MJN GibCo ainsi que de l’ordre de récupération lié à cette mesure

252    La deuxième partie du recours tend à l’annulation de l’article 2 de la décision attaquée, aux termes duquel la Commission a constaté que les aides d’État individuelles octroyées sur la base de cinq décisions fiscales anticipées, accordées à cinq sociétés établies à Gibraltar, détenant une participation dans des CV néerlandaises et percevant des revenus générés par des intérêts passifs et des redevances de propriété intellectuelle, étaient illégales et incompatibles avec le marché intérieur. La DFA de MJN GibCo de 2012 fait partie des cinq décisions fiscales anticipées visées à l’article 2 de la décision attaquée.

253    Ainsi qu’il ressort du point 40 ci-dessus, le présent recours tend à l’annulation des articles 2 et 5 de la décision attaquée uniquement en ce qu’ils concernent la situation de MJN GibCo.

254    Au soutien de leurs conclusions en annulation de l’article 2 ainsi que de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la décision attaquée, les requérantes soulèvent quatre moyens :

–        le premier moyen est tiré de la violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 6 du règlement no 659/1999, en ce que la Commission s’est abstenue de donner suffisamment d’informations dans la décision d’extension de la procédure formelle d’examen sur l’objet de cette procédure [section a) de la deuxième partie de la requête] ;

–        les deuxième et troisième moyens sont tirés d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et d’erreurs manifestes d’appréciation quant à la signification et aux effets de la DFA de MJN GibCo de 2012 ainsi qu’à sa qualification de mesure d’aide individuelle [sections b) et c) de la deuxième partie de la requête] ;

–        le quatrième moyen est tiré d’un détournement de pouvoir, en ce que la Commission aurait recouru à la procédure de contrôle des aides d’État afin de contester le recours à une CV dans les structures des groupes multinationaux combiné au principe territorial d’imposition [section d) de la quatrième partie de la requête].

1.      Considérations liminaires sur la portée de l’article 2 de la décision attaquée 

255    L’article 2 de la décision attaquée dispose que « [l]es aides d’État individuelles octroyées par le gouvernement de Gibraltar sur la base des [cinq] décisions fiscales anticipées […], accordées à cinq entreprises établies à Gibraltar, détenant une participation dans des [CV] néerlandaises […] et percevant des revenus [générés par des] intérêts passifs et [par des] redevances de propriété intellectuelle, qui ont été illégalement mises à exécution par le Royaume-Uni en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ». À cet égard, il importe de rappeler que la DFA de MJN GibCo de 2012 est l’une des cinq décisions fiscales anticipées en cause.

256    Par leur recours, les requérantes demandent l’annulation de la décision attaquée, en ce qu’elle a jugé que la DFA de MJN GibCo de 2012 constituait une aide individuelle octroyée à MJN GibCo, tant pour la période allant jusqu’au 31 décembre 2013 que pour la période postérieure à cette date. En particulier, il ressort des réponses des requérantes aux questions écrites du Tribunal que celles-ci ont considéré que l’article 2 de la décision attaquée disposait que, pour la période allant jusqu’au 31 décembre 2013, une aide individuelle leur avait été octroyée sur la base du régime d’aides identifié à l’article 1er, paragraphe 2, de ladite décision. La Commission a, quant à elle, précisé, en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience de plaidoiries, que l’article 2 de la décision attaquée portait uniquement sur la période postérieure au 31 décembre 2013.

257    Il convient donc d’examiner si l’article 2 de la décision attaquée vise seulement la mesure d’aide individuelle ad hoc octroyée sur la base de la DFA de MJN GibCo de 2012 pour la période postérieure au 31 décembre 2013 ou si cette partie du dispositif doit être interprétée en ce qu’elle constate également que, pour la période allant jusqu’au 31 décembre 2013, MJN GibCo a bénéficié d’une mesure d’aide individuelle, en application du régime d’aides visé à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée.

258    Premièrement, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 1er, sous e), du règlement no 659/1999, constitue une « aide individuelle », une aide qui n’est pas accordée sur la base d’un régime d’aides, ou qui est accordée sur la base d’un régime d’aides, mais qui doit être notifiée.

259    Ainsi, il découle de la jurisprudence de la Cour qu’une décision de la Commission constatant l’existence d’une aide d’État ne saurait être interprétée en ce sens qu’elle porte, à la fois, sur un régime d’aides et sur les décisions individuelles mettant en œuvre ce régime, et ce en dépit même du fait que la Commission se soit prononcée, dans les motifs et le dispositif de ladite décision, sur les aides individuellement octroyées à certains bénéficiaires, nommément désignés, en indiquant que ces aides devaient être considérées comme étant illégales et incompatibles avec le marché (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, points 70 à 77).

260    En l’occurrence, d’une part, il ressort des considérants 183 et 196 de la décision attaquée que la Commission a précisé que la non-imposition des revenus générés par des redevances accordées aux bénéficiaires de la DFA de MJN GibCo de 2012 constituait, pour la période allant jusqu’au 31 décembre 2013, une aide d’État accordée sur la base du régime d’aides qui avait été examiné dans la section 7 de la décision attaquée. En effet, la DFA de MJN GibCo de 2012 concernait un « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement no 659/1999, et non une mesure individuelle, dès lors que la non-imposition des revenus générés par des redevances était susceptible de bénéficier, du fait de la seule non-inclusion de ces revenus parmi les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, à chacune des entreprises de Gibraltar percevant de tels revenus, définies d’une manière générale et abstraite, pour une période et un montant indéterminés, et ce sans qu’il soit nécessaire de prendre des mesures d’application supplémentaires et sans que ces dispositions soient liées à la réalisation d’un projet spécifique. Il convient, en outre, d’observer que les dispositions fiscales permettant aux sociétés percevant des revenus générés par des redevances de bénéficier de la non-imposition desdits revenus figuraient dans une mesure de portée générale, à savoir l’ITA 2010, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2013.

261    D’autre part, au considérant 183 de la décision attaquée, la Commission a précisé que, en ce qui concernait la période allant jusqu’au 30 juin 2013 et au 31 décembre 2013 respectivement, la part des cinq décisions, la part des cinq décisions fiscales anticipées portant sur l’exonération des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances ne faisait que confirmer l’application des dispositions fiscales applicables à l’époque, à savoir que ces revenus n’étaient pas imposables à Gibraltar. Or, à cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que des mesures individuelles qui se bornent à mettre en œuvre un régime d’aides qui, en tant que tel, aurait dû être notifié à la Commission par l’État membre concerné constituent de simples mesures d’exécution du régime général, qui ne doivent pas, en principe, être notifiées à cette institution. Une telle mesure ne constitue donc pas une « aide individuelle », au sens de l’article 1er, sous e), du règlement no 659/1999.

262    Deuxièmement, il importe de rappeler que, dans le cas d’un régime d’aides, il y a lieu d’établir une distinction entre l’adoption du régime, d’une part, et l’octroi d’aides sur la base dudit régime, d’autre part (voir arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 66 et jurisprudence citée).

263     En effet, dans le cas spécifique d’un régime d’aides, la Commission peut se borner à étudier les caractéristiques du régime en cause pour apprécier, dans les motifs de la décision, si, en raison des modalités que ce régime prévoit, celui-ci assure un avantage aux bénéficiaires des aides octroyées dans le cadre de celui-ci par rapport à leurs concurrents et est de nature à profiter à des entreprises qui participent aux échanges entre les États membres. Ainsi, la Commission, dans une décision qui porte sur un tel régime, n’est pas tenue d’effectuer une analyse de l’aide octroyée dans chaque cas individuel sur le fondement d’un tel régime. Ce n’est qu’au stade de la récupération des aides qu’il sera nécessaire de vérifier la situation individuelle de chaque entreprise concernée (arrêts du 9 juin 2011, Comitato « Venezia vuole vivere » e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 63 ; du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C‑630/11 P à C‑633/11 P, EU:C:2013:387, point 114, et du 29 juillet 2019, Azienda Napoletana Mobilità, C‑659/17, EU:C:2019:633, point 27).

264    Il s’ensuit que, aux fins de déterminer l’existence de l’avantage, la Commission devait exclusivement examiner, dans la décision attaquée, le « régime d’aides », au sens de l’article 1er, sous d), du règlement no 659/1999, tel qu’il est identifié à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, et non les aides accordées sur la base et en application automatique de ce régime. Dans ce contexte, il a été jugé qu’était sans incidence le fait que les motifs et le dispositif de la décision attaquée aient identifié directement de potentiels destinataires de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona, C‑362/19 P, EU:C:2021:169, points 70, 71, 74, 75 et 86).

265    Il convient d’ailleurs de relever que la décision attaquée ne contenait pas une analyse détaillée de la situation de MJN GibCo, afin de vérifier si celle-ci avait effectivement bénéficié d’un avantage en application du régime d’aides visé à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, mais se bornait, en ses considérants 183 et 196, à renvoyer à l’analyse du régime d’aides qui avait été effectuée dans sa section 7.

266    Il découle des considérations qui précèdent que, dès lors que, dans la décision attaquée, la Commission a constaté que la non-imposition des revenus générés par des redevances constituait un régime d’aides incompatible et illégal, son article 2 ne saurait être interprété comme constatant, pour la période allant jusqu’au 31 décembre 2013, qu’une mesure d’aide individuelle avait été octroyée à MJN GibCo en application de ce régime, et ce indépendamment du fait que les motifs de la décision attaquée identifiaient MJN GibCo comme étant un bénéficiaire potentiel du régime d’aides en question. En effet, la question de l’identification de MJN GibCo et des requérantes en tant que bénéficiaires effectifs du régime d’aides ne concernait que le stade de la récupération de l’aide.

267    En conséquence, il y a lieu de considérer que l’article 2 de la décision attaquée ne se rapportait qu’aux mesures d’aides octroyées sur la base des cinq décisions fiscales anticipées, et non aux aides mises en œuvre sur la base du régime d’aides visé à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, et ne visait ainsi que la période postérieure au 31 décembre 2013.

268    Partant, il convient d’écarter comme inopérants les arguments des requérantes tendant à contester l’article 2 de la décision attaquée, en ce qu’il aurait visé des mesures d’aides individuelles qui auraient été accordées sur la base de la DFA de MJN GibCo de 2012, pour la période allant jusqu’au 31 décembre 2013.

2.      Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 6 du règlement no 659/1999 (premier moyen tendant à l’annulation de l’article 2 de la décision attaquée)

269    Par leur premier moyen tendant à l’annulation de l’article 2 de la décision attaquée, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir satisfait, dans la décision d’étendre la procédure, à l’exigence, découlant de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 6 du règlement no 659/1999, consistant à récapituler les éléments pertinents de fait et de droit ainsi qu’à inclure une évaluation provisoire visant à déterminer si la mesure examinée dans ladite décision présentait le caractère d’une aide et à exposer les raisons qui l’incitaient à douter de sa compatibilité avec le marché intérieur. Elles rappellent qu’une décision d’ouvrir, ou d’étendre, la procédure formelle d’examen doit permettre aux intéressés de participer utilement à la procédure et de répondre aux conclusions préliminaires de la Commission. En conséquence, la Commission serait tenue de définir suffisamment le cadre de son examen pour que le droit des intéressés de présenter leurs observations ne soit pas vidé de son contenu et ne pourrait pas adopter une décision finale sur des questions qui n’auraient pas été abordées dans la décision d’ouverture de la procédure. Or, en l’espèce, la décision d’étendre la procédure n’aurait pas contenu d’éléments leur permettant d’anticiper les appréciations, contenues dans la décision attaquée, selon lesquelles la DFA de MJN GibCo de 2012 constituait une aide d’État individuelle pour la période postérieure au 31 décembre 2013.

270    Premièrement, les requérantes font valoir que le raisonnement retenu par la Commission, dans la décision attaquée, concernant les cinq décisions fiscales anticipées, dont la DFA de MJN GibCo de 2012, reposait sur une base totalement différente de celle identifiée dans la décision d’étendre la procédure. Selon elles, la Commission aurait abordé la problématique du paiement des revenus générés par des redevances par le biais de structures fondées sur des groupes de sociétés comportant des CV, ainsi que la structure du groupe MJN, pour la première fois dans la décision attaquée, et rien ne leur permettait de prévoir, à la lecture de la décision d’étendre la procédure, que la Commission allait examiner ces questions. La seule préoccupation liée à l’imposition des revenus générés par des redevances, identifiée par la Commission dans la décision d’étendre la procédure, aurait résidé dans le fait que des décisions fiscales anticipées auraient été accordées à des sociétés de Gibraltar sans que les autorités fiscales de ce territoire aient vérifié le lieu où se trouvait l’utilisateur des droits de propriété intellectuelle. Or, dans la mesure où il serait clairement ressorti de leur demande de décision fiscale anticipée que l’utilisateur des droits de propriété intellectuelle se situait en dehors de Gibraltar, les requérantes n’auraient pas estimé utile de présenter des observations à la Commission, et ce quand bien même la DFA de MJN GibCo de 2012 aurait figuré en annexe de la décision d’étendre la procédure.

271    Deuxièmement, selon les requérantes, il ne ressortait pas clairement de la décision d’étendre la procédure que l’examen de la Commission portait non seulement sur la pratique des décisions fiscales anticipées, en tant que régime d’aides, mais également sur des décisions fiscales anticipées prises individuellement, en dehors de l’application de ce régime. La circonstance que la Commission aurait identifié, dans la décision d’étendre la procédure, certains aspects de la pratique des décisions fiscales anticipées ne lui aurait pas donné le droit d’examiner tous les aspects de l’ensemble des 165 décisions fiscales anticipées pour vérifier leur conformité avec le droit fiscal de Gibraltar. Les requérantes ajoutent que, à la lecture de la décision d’étendre la procédure, le seul motif pour lequel la Commission aurait pu examiner la question de l’imposition des revenus générés par des redevances dans le cadre de structures de CV était la question du lieu d’établissement des utilisateurs des droits de propriété intellectuelle.

272    Troisièmement, les requérantes font grief à la Commission de ne pas avoir indiqué qu’elle étendait son examen à des aides individuelles qui avaient été potentiellement consenties postérieurement au 31 décembre 2013. À cet égard, les requérantes soulignent que la DFA de MJN GibCo de 2012 avait cessé d’être en vigueur après cette date, dans la mesure où elle avait été remplacée par la décision fiscale anticipée de 2014.

273    Quatrièmement, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir modifié son analyse de la sélectivité entre l’adoption de la décision d’étendre la procédure et celle de la décision attaquée. Dans la décision attaquée, la Commission aurait comparé les bénéficiaires des cinq décisions fiscales anticipées non seulement avec les entreprises multinationales, mais également avec l’ensemble des autres sociétés contribuables à Gibraltar, y compris les sociétés appartenant à des groupes multinationaux, les bénéficiaires des autres décisions fiscales anticipées et les sociétés nationales.

274    Selon les requérantes, ces défaillances les auraient privées de la possibilité de présenter utilement leurs observations au cours de la procédure formelle d’examen, notamment en ce qui concernait l’existence de la DFA de 2014 qui aurait remplacé celle de 2012.

275    La Commission conteste ces arguments.

276    En substance, elle fait valoir que la décision d’étendre la procédure contenait suffisamment d’éléments sur l’objet de la procédure d’examen et définissait de manière suffisante la mesure d’aide individuelle résultant de la DFA de MJN GibCo de 2012.

277    Premièrement, la Commission indique que la décision d’étendre la procédure faisait expressément référence à la DFA de MJN GibCo de 2012, laquelle contenait une description de la structure du groupe et faisait expressément référence à MJN US, MJ BV et Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific). MJN GibCo et les requérantes auraient donc nécessairement été informées du fait qu’elle avait ouvert une procédure d’examen concernant la DFA de MJN GibCo de 2012 et que cette procédure concernait d’autres entités du groupe MJN que MJN GibCo. Par ailleurs, s’agissant de la DFA de MJN GibCo de 2014, la Commission souligne que celle-ci ne lui a pas été soumise par les autorités du Royaume-Uni et que, en tout état de cause, cette DFA ne contredisait pas la DFA de MJN GibCo de 2012, ni ne prévalait sur celle-ci, dans la mesure où elle traitait de la situation fiscale d’une entité différente, à savoir de MJT CV. La Commission ajoute que le rapport de contrôle du 16 décembre 2015, établi par le centre des impôts de Gibraltar à l’issue d’un contrôle exhaustif de la DFA de MJN GibCo de 2012, confirmait bien que ladite DFA était toujours applicable en 2015.

278    Deuxièmement, la Commission estime que la décision d’étendre la procédure était claire et précise quant à la nature et à la source de l’aide potentielle, à savoir le large pouvoir d’appréciation des autorités fiscales de Gibraltar et l’éventuelle mauvaise application des dispositions fiscales par celles-ci. Elle précise que l’ampleur de ses doutes et le champ d’application de la procédure d’examen ressortait clairement du considérant 52 de la décision d’étendre la procédure. Le champ d’application de cette procédure n’aurait pas été limité aux exemples identifiés aux considérants 32 et 53 de cette dernière décision. La Commission explique que, compte tenu de l’objet de la DFA de MJN GibCo de 2012, les requérantes ne devaient avoir aucun doute quant au fait qu’elle était préoccupée par les revenus générés par des redevances et perçus par MJN GibCo au titre de sa participation dans MJT CV.

279    Troisièmement, la Commission fait valoir que rien dans la décision attaquée n’indiquait que l’objet de la procédure formelle d’examen se limitait à la période antérieure à l’entrée en vigueur des modifications de 2013.

280    Quatrièmement, elle estime qu’il ressortait clairement du considérant 68 de la décision d’étendre la procédure que la procédure formelle d’examen ne portait pas seulement sur l’éventuel régime d’aides découlant d’une pratique récurrente, mais également sur les 165 cas individuels de décisions fiscales anticipées.

281    Cinquièmement, en réponse aux arguments selon lesquels elle aurait modifié son appréciation de la sélectivité entre l’adoption de la décision d’étendre la procédure et celle de la décision attaquée, la Commission allègue qu’elle est libre de faire évoluer son appréciation entre la décision d’ouverture de la procédure et la décision finale.

282    En substance, par le premier moyen, tendant à l’annulation de l’article 2 de la décision attaquée, les requérantes soutiennent que la Commission a violé l’article 108, paragraphe 2, TFUE et l’article 6 du règlement no 659/1999 ainsi que leur droit d’être associées à la procédure formelle d’examen, en retenant, dans la décision attaquée, une analyse de la DFA de MJN GibCo de 2012 différente de celle contenue dans la décision d’étendre la procédure. Elles n’auraient donc pas été en mesure de faire valoir utilement leurs observations au cours de la procédure formelle d’examen.

283    À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 108, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE, lorsque la Commission décide d’ouvrir une procédure formelle d’examen, elle est tenue de mettre les intéressés en demeure de présenter leurs observations.

284    Comme il ressort de la jurisprudence, l’article 108, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE vise, d’une part, à obliger la Commission à faire en sorte que toutes les personnes potentiellement intéressées soient averties et aient l’occasion de faire valoir leurs arguments ainsi que, d’autre part, à permettre à la Commission d’être complètement éclairée sur l’ensemble des données de l’affaire avant de prendre sa décision (arrêt du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T‑371/94 et T‑394/94, EU:T:1998:140, point 58).

285    L’article 6, paragraphe 1, du règlement no 659/1999, intitulé « Procédure formelle d’examen », prévoit que la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen récapitule les éléments pertinents de fait et de droit, inclut une évaluation préliminaire, par la Commission, de la mesure proposée visant à déterminer si elle présente le caractère d’une aide, expose les raisons qui incitent à douter de sa compatibilité avec le marché intérieur et invite l’État membre concerné et les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai déterminé.

286    Dans ce contexte, il convient de rappeler que la jurisprudence reconnaît aux parties intéressées essentiellement le rôle de sources d’information pour la Commission dans le cadre de la procédure administrative engagée au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Il s’ensuit que les intéressés, loin de pouvoir se prévaloir des droits de la défense reconnus aux personnes à l’encontre desquelles une procédure est ouverte, disposent du seul droit d’être associés à la procédure administrative dans une mesure adéquate tenant compte des circonstances du cas d’espèce (arrêts du 25 juin 1998, British Airways e.a./Commission, T‑371/94 et T‑394/94, EU:T:1998:140, points 59 et 60, et du 30 novembre 2009, France et France Télécom/Commission, T‑427/04 et T‑17/05, EU:T:2009:474, point 147). En particulier, le droit à l’information des intéressés ne saurait s’étendre au droit général de s’exprimer sur tous les points potentiellement capitaux soulevés lors de la procédure formelle d’examen (arrêt du 30 novembre 2009, France et France Télécom/Commission, T‑427/04 et T‑17/05, EU:T:2009:474, point 149).

287    Si la Commission ne peut être tenue de présenter une analyse aboutie à l’égard de l’aide en cause dans sa communication relative à l’ouverture de la procédure formelle d’examen, il est nécessaire qu’elle définisse suffisamment le cadre de son examen afin de ne pas vider de son sens le droit des intéressés de présenter leurs observations (voir arrêt du 12 juillet 2018, Autriche/Commission, T‑356/15, EU:T:2018:439, point 703 et jurisprudence citée).

288    La décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen doit ainsi mettre les parties intéressées en mesure de participer de manière efficace à ladite procédure lors de laquelle elles auront la possibilité de faire valoir leurs arguments. À cette fin, il suffit que les parties intéressées connaissent le raisonnement qui a amené la Commission à considérer provisoirement que la mesure en cause pouvait constituer une aide nouvelle incompatible avec le marché intérieur (voir arrêt du 13 décembre 2018, Ryanair et Airport Marketing Services/Commission, T‑165/15, EU:T:2018:953, point 82 et jurisprudence citée).

289    Par ailleurs, il convient de rappeler que toute divergence entre la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen et la décision finale ne saurait être considérée en soi comme étant constitutive d’un vice entachant la légalité de cette dernière. Seule une modification affectant la nature des mesures en cause serait susceptible de déclencher une obligation pour la Commission d’informer les parties intéressées une nouvelle fois (arrêt du 12 juillet 2018, Autriche/Commission, T‑356/15, EU:T:2018:439, point 727). Ainsi, lorsque la Commission modifie son raisonnement, à la suite de la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen, sur des faits ou une qualification juridique de ces faits qui s’avèrent déterminants dans son appréciation de l’existence d’une aide ou de sa compatibilité avec le marché intérieur, elle se doit de rectifier la décision d’ouverture de ladite procédure ou d’étendre celle-ci, afin de permettre aux parties intéressées de présenter utilement des observations (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2019, UPF/Commission, T‑747/17, EU:T:2019:271, point 77).

290    Dans ce contexte, il y a lieu de relever que l’obligation à la charge de la Commission, au stade de la décision d’ouverture de la procédure, de mettre les intéressés en mesure de présenter leurs observations revêt le caractère d’une formalité substantielle (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2008, Commission/Freistaat Sachsen, C‑334/07, EU:C:2008:709, point 55). Ainsi, la violation d’une telle formalité entraîne l’annulation de l’acte vicié, indépendamment de la question de savoir si cette violation a causé un préjudice à celui qui l’invoque ou si la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent (voir, en ce sens, arrêt du 22 février 2006, Le Levant 001 e.a./Commission, T‑34/02, EU:T:2006:59, points 95 à 99).

291    Par conséquent, l’obligation de rectifier ou d’étendre la procédure formelle d’examen, aux fins de mettre les intéressés en mesure de présenter leurs observations, doit revêtir également le caractère de formalité substantielle lorsque la Commission a modifié son raisonnement, entre la décision d’ouverture de la procédure et la décision finale, en se fondant sur des faits ou sur une qualification juridique des faits qui s’avèrent déterminants dans son appréciation relative à l’existence d’une aide et qui affectent la nature même de la mesure en cause.

292    En effet, en pareille circonstance, la modification de la position de la Commission est telle qu’elle modifie l’objet et la portée de la procédure formelle d’examen. Or, laisser à la Commission la possibilité de modifier, postérieurement à la décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen ou, comme en l’espèce, de la décision d’extension de ladite décision d’ouverture de la procédure, l’objet de ladite procédure ainsi que les éléments les plus substantiels sur la base desquels elle a considéré que la mesure examinée constituait potentiellement une mesure d’aide, sans adopter de décision rectificative déposséderait les parties intéressées de leur possibilité de formuler leurs observations sur l’objet modifié de la procédure formelle d’examen. Cela priverait d’effet l’obligation qui incombe à la Commission de définir de manière suffisamment précise le cadre de son examen pour permettre aux parties intéressées de participer de manière efficace à ladite procédure, lorsqu’elles feront valoir leurs observations, et ainsi de définir suffisamment le cadre de son examen. Ainsi que cela a été exposé au point 290 ci-dessus, cette obligation revêt le caractère d’une formalité substantielle.

293    Cette appréciation n’est pas remise en cause par l’arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo (C‑56/18 P, EU:C:2020:192, points 76 à 82), dans lequel la Cour a reproché au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en constatant que le droit des parties intéressées de présenter des observations revêtait le caractère d’une formalité substantielle sans établir que la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent. En effet, il ressort des points 78 à 82 dudit arrêt que le constat de cette erreur était justifié par les circonstances propres du cas d’espèce, à savoir que, même si les parties intéressées n’avaient pas été invitées à présenter leurs observations sur l’incidence d’un changement de régime juridique intervenu après l’adoption de la décision d’ouverture de la procédure, une telle circonstance ne revêtait pas le caractère d’une formalité substantielle, dans la mesure où ledit changement n’était pas susceptible de changer le sens de cette décision.

294    De surcroît, ainsi qu’il ressort du point 85 de l’arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo (C‑56/18 P, EU:C:2020:192), si, en principe, les modifications substantielles d’une base juridique sur laquelle est fondée une décision de la Commission sont susceptibles d’influer sur cette décision, tel n’était pas le cas de l’espèce dans la mesure où la décision en question était fondée, en outre, sur une base juridique autonome qui n’avait pas changé et qui suffisait pour fonder ladite décision. Il en découle que la jurisprudence citée au point 290 ci-dessus, selon laquelle la Commission doit mettre les parties intéressées en mesure de présenter leurs observations lorsqu’elle décide d’ouvrir la procédure formelle d’examen et selon laquelle cette obligation revêt le caractère d’une formalité substantielle, n’est pas remise en cause.

295    En l’espèce, afin d’analyser l’existence d’une violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, de l’article 6 du règlement no 659/1999 et de l’obligation, pour la Commission, de mettre les parties intéressées en mesure de présenter utilement leurs observations, il y a lieu d’examiner si l’analyse contenue dans la décision d’étendre la procédure contenait les éléments déterminants sur lesquels la Commission a fondé son appréciation, dans la décision attaquée, selon laquelle la DFA de MJN GibCo de 2012, postérieurement au 31 décembre 2013, constituait une mesure d’aide d’État individuelle octroyée par le gouvernement de Gibraltar et, ainsi, si elle permettait d’identifier la nature de la mesure faisant l’objet de l’article 2 de la décision attaquée.

296    À cette fin, il importe, tout d’abord, d’examiner les éléments déterminants du raisonnement ayant amené la Commission à considérer notamment, à l’article 2 de la décision attaquée, que, postérieurement au 31 décembre 2013, les effets produits par la DFA de MJN GibCo de 2012 constituaient une aide d’État individuelle.

297    Premièrement, il convient de relever que l’article 2 de la décision attaquée visait « [l]es aides d’État individuelles octroyées par le gouvernement de Gibraltar sur la base des [cinq] décisions fiscales anticipées […], accordées à cinq entreprises de Gibraltar détenant une participation dans des [CV] néerlandaises […] et percevant des revenus [générés par des] intérêts passifs et [par des] redevances de propriété intellectuelle ». De plus, dans la section 12, intitulée « Conclusion », et, plus précisément, au considérant 246 de cette même décision, il était précisé que c’était « le traitement fiscal octroyé par le gouvernement de Gibraltar sur la base des [cinq] décisions fiscales anticipées accordées à cinq entreprises détenant une participation dans des [CV] néerlandaises […] et percevant des revenus liés aux intérêts passifs et aux redevances de propriété intellectuelle » qui constituaient des mesures d’aides individuelles.

298    Dans ce contexte, il importe de relever que la Commission a indiqué, au considérant 152 de la décision attaquée, que les cinq décisions fiscales anticipées, dont la DFA de MJN GibCo de 2012, étaient « restées en vigueur et n’[avaie]nt pas été révoquées par les autorités fiscales à la suite des modifications de l’ITA 2010 en 2013 soumettant les [revenus générés par des] intérêts [passifs] et [par des] redevances à l’impôt, ni après les audits menés en 2015 ».

299    De même, aux considérants 180, 182 et 184 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que, s’il était vrai que, au moment de l’octroi des cinq décisions fiscales anticipées et, donc, de la DFA de MJN GibCo de 2012, celles-ci étaient conformes aux dispositions fiscales applicables, depuis le 1er juillet 2013 et le 1er janvier 2014 respectivement les revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances étaient désormais inclus dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010. Ainsi, elle a constaté que les autorités fiscales de Gibraltar avaient prolongé l’existence du régime de non-imposition des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances en autorisant les bénéficiaires des cinq décisions fiscales anticipées, dont MJN GibCo, à profiter de ces décisions après l’entrée en vigueur des modifications de 2013 de l’ITA 2010. Il importe de relever, à cet égard, que la Commission a constaté, dans la note en bas de page n° 92 et au considérant 152 de la décision attaquée, que les cinq décisions fiscales anticipées étaient restées en vigueur au moins jusqu’en 2015, date à laquelle un audit avait été réalisé par les autorités fiscales de Gibraltar.

300    Il ressort de ces éléments que ce n’était pas la DFA de MJN GibCo de 2012 en tant que telle, ni son adoption, mais le traitement fiscal octroyé à MJN GibCo par les autorités fiscales de Gibraltar « sur la base » de cette décision fiscale anticipée confirmant la non-imposition des revenus des redevances et, plus particulièrement, le maintien de cette décision postérieurement au 31 décembre 2013 qui constituaient une aide d’État individuelle, ce que la Commission a confirmé lors de l’audience de plaidoiries, en réponse à une question du Tribunal.

301    Deuxièmement, il importe de relever que la Commission a concentré son analyse des cinq décisions fiscales anticipées et, ainsi, de la DFA de MJN GibCo de 2012 sur la structure, rapportée dans les demandes de décisions fiscales anticipées, caractérisée par la présence d’une CV néerlandaise détenant les droits de propriété intellectuelle et par des sociétés partenaires établies à Gibraltar, détenant les parts dans la CV, ainsi que sur le caractère transparent des CV néerlandaises aux fins de l’application de l’ITA 2010 (considérants 153 à 159 de la décision attaquée). En particulier, la Commission a retenu que, d’après les communications des autorités du Royaume-Uni, il semblait que, en l’absence de règles spécifiques dans l’ITA 2010, Gibraltar appliquait les principes de la common law et considérait les CV néerlandaises comme des entités transparentes, de sorte que la part correspondante des revenus perçus par les CV devait être considérée comme étant directement reçue par les sociétés de Gibraltar détenant la participation dans la CV (considérant 155 de la décision attaquée). Elle en a conclu, aux considérants 161 et 162 de la décision attaquée, que les parts de chacune des cinq sociétés établies à Gibraltar qui étaient bénéficiaires des cinq décisions fiscales anticipées, dont MJN GibCo, dans le montant des bénéfices réalisés au niveau des CV néerlandaises auraient dû être intégrées dans la base imposable de ces cinq entreprises et imposées à Gibraltar.

302    Il résulte de ce qui précède que le raisonnement sur la base duquel la Commission a considéré que le maintien de la DFA de MJN GibCo de 2012 était constitutif d’une mesure d’aide individuelle reposait essentiellement sur le fait que cette décision fiscale anticipée portait sur une structure de groupe impliquant une CV néerlandaise, à savoir MJT CV, et un partenaire établi à Gibraltar, à savoir MJN GibCo, ainsi que sur la question de savoir si MJT CV constituait une entité fiscalement transparente, de sorte que les revenus générés par des redevances qu’elle percevait devaient être directement imposés à l’égard de MJN GibCo, comme si ces revenus avaient directement été perçus par cette dernière. En effet, le constat de l’existence d’un avantage sélectif reposait sur la constatation que, en application du droit fiscal de Gibraltar, dans sa version en vigueur à compter du 1er janvier 2014, les sociétés partenaires auraient normalement dû être soumises à l’impôt sur le revenu des sociétés à Gibraltar à hauteur de leur part dans les bénéfices de la CV néerlandaise.

303    Ces différents éléments étaient donc déterminants dans l’appréciation de la Commission, sous-tendant l’article 2 de la décision attaquée, selon laquelle, postérieurement au 31 décembre 2013, le maintien de la DFA de MJN GibCo de 2012 présentait le caractère d’une aide d’État individuelle octroyée par le gouvernement de Gibraltar.

304    Au vu des appréciations qui précèdent, il convient d’examiner si la décision d’étendre la procédure contenait suffisamment d’informations, quant à la nature de l’aide d’État individuelle octroyée à MJN GibCo, postérieurement au 31 décembre 2013, par la DFA de MJN GibCo de 2012, telle que visée à l’article 2 de la décision attaquée, pour que la Commission puisse adopter ladite décision sans violer le droit des parties intéressées à faire valoir utilement leurs observations, conformément à l’article 108, paragraphe 2, TFUE et à l’article 6 du règlement no 659/1999.

305    Certes, ainsi que la Commission le fait valoir, dans la décision d’étendre la procédure, celle-ci a identifié la DFA de MJN GibCo de 2012 comme pouvant potentiellement constituer une mesure d’aide individuelle. De même, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission n’a pas circonscrit la procédure formelle d’examen à l’analyse de la pratique des décisions fiscales anticipées en tant que potentiel régime d’aides.

306    En effet, il ressort clairement des considérants 62 et 69 de la décision d’étendre la procédure et de la partie « Conclusions » de cette décision que l’extension de la procédure formelle d’examen portait non seulement sur la pratique des décisions fiscales anticipées, mais également sur 165 décisions fiscales anticipées prises individuellement, lesquelles pouvaient, chacune potentiellement, constituer une mesure d’aide individuelle. La DFA de MJN GibCo de 2012 figurant dans la liste des 165 décisions fiscales anticipées, annexée à la décision d’étendre la procédure, elle faisait partie de l’objet de la procédure formelle d’examen, en tant que potentielle mesure d’aide individuelle.

307    Toutefois, il importe de constater que les éléments pris en compte par la Commission, dans la décision attaquée, aux fins de conclure qu’une aide individuelle avait été octroyée sur la base de la DFA de MJN GibCo de 2012, tels qu’ils ont été identifiés aux points 297 à 303 ci-dessus, différaient de l’évaluation provisoire des effets produits par la DFA de MJN GibCo de 2012, postérieurement au 31 décembre 2013, contenue dans la décision d’étendre la procédure.

308    Premièrement, l’analyse contenue dans la décision d’étendre la procédure se concentrait principalement sur l’adoption des décisions fiscales anticipées et sur l’absence de vérification que les conditions décrites dans les demandes de décisions fiscales anticipées avaient effectivement été satisfaites.

309    En effet, aux considérants 31, 32 et 53 de la décision d’étendre la procédure, la Commission a expliqué, au regard des 165 décisions fiscales anticipées examinées dans le cadre de la procédure préliminaire d’examen, dont la DFA de MJN GibCo de 2012, que plusieurs demandes de décisions fiscales anticipées auraient dû soulever des doutes, auprès des autorités fiscales de Gibraltar, quant à la question de savoir si les activités étaient réellement exemptes d’imposition au motif qu’elles n’avaient pas été générées ou trouvé leur origine à Gibraltar. La Commission a ainsi fondé son analyse préliminaire des décisions fiscales anticipées sur le fait que les autorités fiscales de Gibraltar s’étaient abstenues, de manière générale, de procéder à un véritable examen des obligations fiscales des entreprises dans l’exercice de ses pouvoirs discrétionnaires.

310    Un tel constat a été réitéré au considérant 62 de la décision d’étendre la procédure, dans lequel la Commission a retenu qu’il y avait potentiellement une aide d’État dans « toutes les 165 décisions fiscales anticipées », dans la mesure où « aucune d’elles n’[avait été] fondée sur suffisamment d’informations pour garantir que le niveau d’imposition des activités concernées [étai]t conforme à l’impôt payé par d’autres entreprises dans une situation similaire et aux dispositions fiscales applicables ».

311    Deuxièmement, si la Commission a affirmé, dans la décision d’étendre la procédure, que les décisions fiscales anticipées examinées allaient au-delà de la non-imposition des revenus passifs, telle qu’elle résultait de la version de l’ITA 2010 applicable au moment de leur adoption, les seules préoccupations identifiées par la Commission concernant les décisions fiscales anticipées relatives à des revenus générés par des redevances, telles que la DFA de MJN GibCo de 2012, concernaient le fait que 22 décisions fiscales anticipées auraient été octroyées à des sociétés de Gibraltar qui percevaient des redevances auprès de sociétés qui utilisaient les droits de propriété intellectuelle et qui étaient situées en dehors de Gibraltar, sans vérifier où se situait l’utilisateur de la propriété intellectuelle. Selon la Commission, l’« exonération » des revenus générés par des redevances, sans procéder à une telle vérification, aboutissait à ce que ces revenus ne soient soumis nulle part à l’impôt.

312    Ainsi que la Commission l’a confirmé en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience de plaidoiries, la décision d’étendre la procédure ne contenait pas d’autres observations sur les décisions fiscales anticipées relatives à la non-imposition des revenus générés par des redevances.

313    Troisièmement, il importe de constater que, bien que la décision d’étendre la procédure ait été adoptée le 1er octobre 2014, soit postérieurement à l’entrée en vigueur, le 1er janvier de la même année, des modifications de 2013 de l’ITA 2010, et qu’elle ait fait expressément référence à ces modifications (voir, notamment, le considérant 32 de ladite décision), il ne ressort pas de cette décision que l’analyse de la Commission portait sur le maintien de l’application de décisions fiscales anticipées confirmant la non-imposition des revenus générés par des redevances après l’entrée en vigueur des modifications de 2013 de l’ITA 2010. De surcroît, aucun élément de la décision d’étendre la procédure ne permettait de comprendre que, selon la Commission, les effets produits par la DFA de MJN GibCo de 2012 avaient été maintenus après le 31 décembre 2013.

314    Quatrièmement, la décision d’étendre la procédure ne contenait aucun élément en ce qui concerne les règles relatives à la transparence fiscale, la situation factuelle des bénéficiaires des cinq décisions fiscales anticipées et, plus spécifiquement, la DFA de MJN GibCo de 2012 ou le recours à des structures de groupe incluant des CV néerlandaises.

315    L’analyse préliminaire contenue dans la décision d’étendre la procédure divergeait donc, en tous points, du raisonnement retenu par la Commission dans la décision attaquée. D’une part, ce dernier portait sur une application erronée de l’ITA 2010, dans sa version postérieure au 31 décembre 2013, et non sur le fait que, pour la période allant jusqu’au 31 décembre 2013, les revenus générés par des redevances n’étaient soumis à l’impôt dans aucune juridiction fiscale. D’autre part, l’application erronée de l’ITA 2010 par les autorités de Gibraltar, telle qu’elle était constatée dans la décision attaquée, portait sur la question de savoir si les revenus générés par des redevances, qui étaient désormais inclus dans les catégories des revenus imposables à Gibraltar, listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, étaient générés ou trouvaient leur origine sur ce territoire, du fait de la transparence fiscale de la société les ayant perçus en dehors de Gibraltar, et non sur la détermination du lieu dans lequel se situait l’utilisateur de la propriété intellectuelle.

316    Il découle des considérations qui précèdent que les appréciations, factuelles ou juridiques, contenues dans la décision d’étendre la procédure, n’étaient pas suffisantes pour permettre de comprendre que la procédure formelle d’examen portait non seulement sur l’octroi des décisions fiscales anticipées, mais également sur le maintien des effets produits par certaines de ces décisions, dont la DFA de MJN GibCo de 2012, après la modification de 2013 de l’ITA 2010, en dépit de l’inclusion des redevances dans les catégories de revenus imposables à Gibraltar listées à l’annexe 1 de l’ITA 2010, ainsi que sur la conformité de ces décisions à cette dernière loi, dans sa version en vigueur au 1er janvier 2014. Or, ces derniers éléments étaient déterminants pour identifier la mesure faisant l’objet de l’examen de la Commission et pour constater, à l’article 2 de la décision attaquée, qu’une aide d’État individuelle avait été octroyée à MJN GibCo, sur la base de la DFA de MJN GibCo de 2012, après le 31 décembre 2013.

317    Aucun des arguments de la Commission n’est de nature à remettre en cause ce constat.

318    Premièrement, le fait que la décision d’étendre la procédure ait identifié la DFA de MJN GibCo de 2012 comme pouvant potentiellement constituer une mesure d’aide individuelle et la circonstance qu’il ait été indiqué, aux considérants 32 et 53 de ladite décision, que l’analyse des différentes catégories de décisions fiscales anticipées était opérée à titre illustratif ou en tant qu’« exemples » du comportement reproché aux autorités fiscales de Gibraltar ne suffisaient pas pour considérer que la Commission avait respecté l’obligation, qui lui incombait en vertu de l’article 6 du règlement no 659/1999, de mettre les parties intéressées en mesure de présenter utilement leurs observations. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence exposée aux points 287 à 290 ci-dessus, il incombait à la Commission de déterminer avec suffisamment de précision le cadre de son examen et il n’appartenait pas aux requérantes, en tant que parties intéressées, d’anticiper tous les motifs pour lesquels la Commission pourrait éventuellement considérer qu’une aide d’État individuelle trouvait son origine dans le maintien des effets produits par la DFA de MJN GibCo de 2012, après le 31 décembre 2013.

319    Deuxièmement, dans la mesure où la Commission fait valoir qu’il ressortait clairement de la décision d’étendre la procédure que l’objet de son examen portait sur le large pouvoir d’appréciation dont disposaient les autorités de Gibraltar, en ce qui concernait l’application laxiste et, éventuellement, erronée de l’ITA 2010, il suffit de relever que ces éléments ne permettaient pas de comprendre que la procédure formelle d’examen portait sur le maintien des effets produits par certaines décisions fiscales anticipées, dont la DFA de MJN GibCo de 2012, après l’entrée en vigueur de la modification de 2013 de l’ITA 2010, et sur les conséquences à tirer de la transparence fiscale des CV néerlandaises, telles que MJT CV.

320    Troisièmement, la circonstance, invoquée par la Commission, selon laquelle la demande de décision fiscale anticipée de MJN, à laquelle il était fait référence en annexe à la décision d’étendre la procédure, décrivait la structure du groupe MJN et faisait référence à la MJT CV, ne suffisait pas à considérer que cette question ainsi que les conséquences à tirer de la transparence fiscale des CV néerlandaises faisaient précisément l’objet de la procédure formelle d’examen. En effet, rien n’indiquait, dans le corps de la décision d’étendre la procédure, que la Commission allait examiner cette question dans le cadre de la procédure formelle d’examen. Ainsi que cela a été exposé au point 318 ci-dessus, il n’appartenait pas aux requérantes, en tant que parties intéressées, d’anticiper tous les motifs pour lesquels la Commission aurait pu considérer qu’une aide d’État individuelle aurait trouvé son origine dans le maintien des effets produits par la DFA de MJN GibCo de 2012 après le 31 décembre 2013.

321    Il découle de l’ensemble des considérations qui précèdent que les divergences entre l’analyse contenue dans la décision d’étendre la procédure et la décision attaquée, en ce qu’elles portent sur des éléments d’appréciation déterminants aux fins de la qualification d’aide d’État individuelle des effets produits par la DFA de MJN GibCo de 2012 après le 31 décembre 2013, sont telles que la Commission aurait dû adopter une décision rectificative ou une seconde décision d’étendre la procédure, afin de mettre les requérantes en mesure de participer de manière efficace à la procédure (voir points 287 et 289 ci-dessus).

322    Par ailleurs, il convient de relever que la Commission a reconnu aux considérants 212 à 215 de la décision attaquée qu’elle abandonnait la thèse quant à la sélectivité des 165 décisions fiscales anticipées, qu’elle avait soutenue dans le cadre de la décision d’étendre la procédure. Partant, les divergences entre l’analyse contenue dans la décision d’étendre la procédure et la décision finale constituent des modifications substantielles qui sont susceptibles de changer le sens de ladite décision finale.

323    Or, ainsi qu’il découle des points 287 à 290 ci-dessus, l’existence de divergences, entre la décision d’étendre la procédure et la décision attaquée, portant sur des éléments d’appréciation déterminants aux fins de la qualification d’aide d’État individuelle des effets produits par la DFA de MJN GibCo de 2012, après le 31 décembre 2013, suffit à entraîner l’annulation de l’article 2 de la décision attaquée, en ce qui concerne la DFA de MJN GibCo de 2012 ainsi que de l’ordre de récupération lié à cette mesure.

324    Partant, il convient d’accueillir le premier moyen tendant à l’annulation de l’article 2 de la décision attaquée, en ce qu’il vise l’aide d’État individuelle octroyée à MJN GibCo et aux requérantes sur la base de la DFA de MJN GibCo de 2012, et d’annuler ledit article ainsi que l’article 5, paragraphes 1 et 2, de cette même décision, en ce qu’ils concernent ladite aide, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens soulevés par les requérantes.

D.      Sur la troisième partie du recours, tendant à l’annulation de l’article 5 de la décision attaquée

325    Dans la troisième partie de leur recours, les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur de droit en constatant que la CV néerlandaise, les sociétés partenaires et la société mère constituaient une seule et même unité économique et en décidant, à l’article 5, paragraphe 2, de la décision attaquée, que l’aide pouvait être récupérée auprès des entités formant cette unité économique, dans le cas où elle ne pourrait être récupérée auprès de l’entreprise concernée établie à Gibraltar, à savoir, en l’espèce, de MJN GibCo.

326    Elles reprochent à la Commission de ne pas avoir cherché à établir l’exercice d’un contrôle effectif par MJN US ou Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific) sur MJN GibCo, ainsi que l’exigerait la jurisprudence, ni le fait que MJN Global Holdings et MJ BV ont tiré un profit, direct ou indirect, de l’aide prétendument accordée à MJN GibCo.

327    La Commission conteste ces arguments.

328    Compte tenu, premièrement, du rejet du recours en tant qu’il tend à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée, ainsi que de l’ordre de récupération lié à cette mesure, deuxièmement, de l’annulation de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la décision attaquée, en ce qu’il concerne l’aide individuelle octroyée à MJN GibCo et aux requérantes, et, troisièmement, du fait que l’article 5, paragraphe 2, de la décision attaquée ne porte que sur la récupération de la mesure d’aide visée par l’article 2 de ladite décision, il n’y a plus lieu d’examiner les présents moyens, soulevés par les requérantes, tendant à l’annulation de l’article 5, paragraphe 2, de cette même décision, en ce qu’ils les concernent.

IV.    Sur les dépens

329    Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs de conclusions, chaque partie supporte ses propres dépens. Les requérantes et la Commission ayant partiellement succombé, il y a lieu de condamner chaque partie à supporter ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      La décision (UE) 2019/700 de la Commission, du 19 décembre 2018, concernant l’aide d’État SA.34914 (2013/C) mise à exécution par le Royaume-Uni en ce qui concerne le régime d’imposition des sociétés de Gibraltar, est annulée en ce qu’il est constaté, à l’article 2, que l’aide individuelle octroyée par le gouvernement de Gibraltar sur la base du maintien, après le 31 décembre 2013, de la décision fiscale anticipée accordée à MJN Holdings (Gibraltar) Ltd est illégale et incompatible avec le marché intérieur et en ce qu’il est ordonné, à l’article 5, paragraphes 1 et 2, la récupération de cette aide.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      Mead Johnson Nutrition (Asia Pacific) Pte Ltd, MJN Global Holdings BV, Mead Johnson BV, Mead Johnson Nutrition Co. et la Commission supporteront chacune leurs propres dépens.

Tomljenović

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Nõmm

 

      Steinfatt

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 avril 2022.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

A. Adoption de l’Income Tax Act de 2010 et octroi de la décision fiscale anticipée de MJN GibCo de 2012

B. Procédure administrative devant la Commission

C. Décision attaquée

1. « Exonération » des revenus générés par des intérêts passifs et par des redevances (régime d’aides)

2. Cinq décisions fiscales anticipées (mesures d’aides individuelles)

D. Dispositif de la décision attaquée

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Sur la structure du recours

B. Sur la première partie du recours, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée concernant la non-imposition des revenus générés par des redevances ainsi que de l’ordre de récupération lié à cette mesure

1. Sur le moyen tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, d’une violation de l’article 5 TUE, d’une méconnaissance du principe de souveraineté fiscale et d’un excès de pouvoir (premier moyen, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée)

2. Sur les moyens tirés d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (deuxième, troisième et quatrième moyens, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée)

a) Considérations liminaires

1) Sur la mesure d’aide faisant l’objet de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée

2) Sur l’examen des critères de l’avantage et de la sélectivité

b) Sur les appréciations de la Commission relatives au cadre de référence et aux règles normales d’imposition à Gibraltar

1) Sur l’objectif de l’ITA 2010 et sur l’identification des revenus imposables au titre de cette loi

2) Sur l’application du principe de territorialité aux redevances

c) Sur l’examen du critère de l’avantage (deuxième moyen, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée)

1) Sur le premier grief du deuxième moyen, tiré d’une confusion entre les critères de l’avantage et de la sélectivité

2) Sur le second grief du deuxième moyen, tendant à contester l’existence d’un allègement fiscal

d) Sur l’examen de la sélectivité (troisième moyen tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée)

e) Sur l’étendue de l’avantage sélectif (quatrième moyen, tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée)

3. Sur le moyen tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et d’une violation de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999 (cinquième moyen tendant à l’annulation de l’article 1er, paragraphe 2, de la décision attaquée)

a) Sur le premier grief, tiré d’un défaut de motivation au sens de l’article 296 TFUE

b) Sur le second grief, tiré de la violation de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999

C. Sur la deuxième partie du recours, tendant à l’annulation de l’article 2 de la décision attaquée en ce qui concerne l’aide d’État individuelle octroyée à MJN GibCo ainsi que de l’ordre de récupération lié à cette mesure

1. Considérations liminaires sur la portée de l’article 2 de la décision attaquée

2. Sur le moyen tiré d’une violation de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 6 du règlement no 659/1999 (premier moyen tendant à l’annulation de l’article 2 de la décision attaquée)

D. Sur la troisième partie du recours, tendant à l’annulation de l’article 5 de la décision attaquée

IV. Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.