CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE
MME JULIANE KOKOTT
présentées le 16 novembre 2023 (1)
Affaire C‑606/22
Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Bydgoszczy
contre
B. sp. sp. z o.o., anciennement B. sp.j.,
en présence de
Rzecznik Małych i Średnich Przedsiębiorców
[demande de décision préjudicielle formée par le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne)]
« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Base d’imposition – Principe de neutralité fiscale – Erreur sur le taux d’imposition – Régularisation de la dette fiscale en raison d’une modification de la base d’imposition – Pratique nationale de refuser le droit à un remboursement en raison d’une modification de la base d’imposition parce qu’il n’a pas été établi des factures devant préalablement être régularisées – Inutilité d’une rectification de facture en l’absence de factures au consommateur final – Absence de risque de pertes de recettes fiscales – Exception d’enrichissement sans cause – Principe “nemo auditur propriam turpitudinem allegans” »
I. Introduction
1. La législation en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) est un domaine juridique à risque pour les entreprises. Si l’assujetti se base, par erreur, sur un taux d’imposition trop faible, il est néanmoins redevable du montant correct (plus élevé) de l’impôt qu’il doit payer à l’État. En effet, la TVA est toujours incluse dans le prix convenu à hauteur du montant légalement exact de la taxe. Le fait que les parties le sachent ou non ne joue aucun rôle pour le créancier fiscal. Il en va de même lorsque, pour des raisons de droit ou de fait, l’entreprise n’a pas la possibilité de répercuter a posteriori un surcroît de TVA sur ses clients.
2. Dans la présente procédure préjudicielle, la Cour doit à nouveau (2) se pencher sur l’hypothèse inverse, celle dans laquelle le contribuable a par erreur calculé, et payé, la TVA sur la base d’un taux d’imposition trop élevé. Ce qui ne manque pas d’un certain piquant est que, en l’espèce, c’est apparemment uniquement à l’instigation de l’administration fiscale que l’erreur est intervenue. Entre-temps, l’administration fiscale considère finalement le taux d’imposition réduit comme correct. L’assujetti souhaite désormais récupérer le montant trop élevé, mais non dû, de TVA qui a été payé.
3. La question désormais décisive est celle de savoir si, dans ce cas, l’État peut conserver le trop-perçu de TVA ou s’il doit le rembourser à l’assujetti. En effet, la taxe n’est pas matériellement exigible à hauteur du montant qui a été payé. Par ailleurs, étant donné que des factures mentionnant la TVA n’ont pas été établies, la question d’une rectification de la facture ne se pose pas. Or, le droit polonais n’autoriserait pas le remboursement de la dette fiscale (par erreur) trop élevée en l’absence de rectification préalable de la facture.
4. En fait, ce serait le client qui devrait exiger du prestataire le remboursement du montant trop élevé de TVA qu’il a payé. Mais, lorsque cela n’est juridiquement pas possible (par exemple, lorsque le prix convenu l’a été en tant que prix fixe) ou est exclu de fait (par exemple parce que les clients ne sont pas identifiés nommément ou qu’ils ne sont pas au courant du taux de TVA correct), il se pose la question de savoir quelle est la personne qui peut rester définitivement « enrichie » par l’erreur sur le montant correct de la taxe. S’agit-il de l’État ou de l’assujetti ?
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
5. La directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la « directive TVA ») (3) définit le cadre du droit de l’Union. L’article 1er, paragraphe 2, de la directive TVA dispose :
« Le principe du système commun de TVA est d’appliquer aux biens et aux services un impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services, quel que soit le nombre des opérations intervenues dans le processus de production et de distribution antérieur au stade d’imposition.
À chaque opération, la TVA, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix.
[...] »
6. L’article 73 de la directive TVA porte sur la base d’imposition et dispose :
« Pour les livraisons de biens et les prestations de services autres que celles visées aux articles 74 à 77, la base d’imposition comprend tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l’acquéreur, du preneur ou d’un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations. »
7. L’article 78 de la directive TVA définit les éléments qui doivent être inclus dans la base d’imposition ou déduits de celle-ci :
« Sont à comprendre dans la base d’imposition les éléments suivants :
a) les impôts, droits, prélèvements et taxes, à l’exception de la TVA elle‑même ;
[...] »
8. L’article 90, paragraphe 1, de la directive TVA précise les effets de certains événements postérieurs sur la base d’imposition :
« En cas d’annulation, de résiliation, de résolution, de non‑paiement total ou partiel ou de réduction de prix après le moment où s’effectue l’opération, la base d’imposition est réduite à due concurrence dans les conditions déterminées par les États membres. »
9. L’article 203 de la directive TVA régit la dette fiscale par la mention des taxes sur une facture.
« La TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture. »
B. Le droit polonais
10. La Pologne a transposé la directive TVA par la loi du 11 mars 2004, relative à la taxe sur les biens et les services (Ustawa o podatku od towarów i usług, Dz. U. de 2016, position 710, telle que modifiée, ci‑après la « loi sur la TVA »).
11. L’article 29, paragraphes 4a et 4c, de la loi sur la TVA, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2013 était libellé comme suit :
« 4a. Dans les cas prévus, l’assujetti peut procéder à la réduction de la base d’imposition telle que fixée dans la facture pourvu que, avant l’expiration du délai de dépôt de la déclaration de TVA pour la période imposable au cours de laquelle le preneur du bien ou du service a reçu la facture rectificative, il soit en possession d’un accusé de réception de cette facture par ledit preneur. Lorsque le preneur du bien ou du service a reçu la facture après l’expiration du délai de dépôt de la déclaration fiscale pour une période imposable, l’assujetti a le droit de prendre en compte la facture rectificative pour la période imposable au cours de laquelle il a reçu l’accusé de réception de la part du preneur.
[...]
4c. La disposition du paragraphe 4a s’applique mutatis mutandis en cas de constatation d’une erreur dans le montant de la taxe indiqué sur la facture et de délivrance d’une facture rectificative de la facture faisant mention d’un montant de taxe supérieur au montant dû. »
12. L’article 29a, paragraphes 10, 13 et 14, de la loi sur la TVA, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2014, est libellé comme suit :
« 10. Sous réserve du paragraphe 13, la base d’imposition est réduite :
1) des montants des remises et des réductions de prix accordées après-vente ;
2) de la valeur des biens retournés et de leur emballage, sous réserve des paragraphes 11 et 12 ;
3) du montant remboursé à l’acquéreur consistant en la totalité ou en une partie du paiement reçu avant la vente, lorsque celle-ci n’a pas abouti ;
4) des montants remboursés consistant en des primes, subventions et autres aides de même nature visées au paragraphe 1.
[...]
13. Dans les cas visés au paragraphe 10, points 1 à 3, la réduction de la base d’imposition, telle que fixée dans la facture mentionnant la taxe, est effectuée à condition que l’assujetti soit en possession d’un accusé de réception de la facture rectificative par le preneur du bien ou du service pour lequel la facture a été émise, accusé obtenu avant l’expiration du délai de dépôt de la déclaration de TVA pour la période imposable au cours de laquelle le preneur du bien ou du service a reçu cette facture rectificative. Lorsque le preneur du bien ou du service a reçu la facture rectificative après l’expiration du délai de dépôt de la déclaration fiscale pour une période imposable, l’assujetti a le droit de prendre en compte la facture rectificative pour la période imposable au cours de laquelle il a reçu l’accusé de réception de la part du preneur.
14. La disposition du paragraphe 13 s’applique mutatis mutandis en cas de constatation d’une erreur dans le montant de la taxe indiqué sur la facture et de délivrance d’une facture rectificative faisant mention d’un montant de taxe supérieur au montant dû. »
13. L’article 72, paragraphe 1, de loi polonaise portant code des impôts (Ordynacja podatkowa) du 29 août 1997 (Dz. U. de 2017, position 201, telle que modifiée, ci-après le « code des impôts ») régit le trop-perçu d’impôt :
« On entend par “trop-perçu” tout montant d’impôt :
1) perçu en trop ou indûment perçu ; [...] »
14. L’article 81, paragraphes 1 et 2, du code des impôts régit la rectification des déclarations fiscales :
« 1. Sauf dispositions contraires, les assujettis, les payeurs et les percepteurs peuvent rectifier une déclaration soumise antérieurement.
2. La rectification de la déclaration s’effectue au moyen d’une déclaration rectificative. »
15. L’arrêté du ministre des Finances du 14 mars 2013 sur les caisses enregistreuses (rozporządzenie Ministra Finansów w sprawie kas rejestrujących) du 14 mars 2013 (Dz. U. de 2013, position 363, ci-après l’« arrêté sur les caisses enregistreuses ») contient les dispositions suivantes à l’article 3, paragraphes 5 et 6 :
« 5. Lorsque le registre comporte une erreur manifeste, l’assujetti la rectifie immédiatement en indiquant dans un autre registre :
1) la vente enregistrée de manière erronée (montant brut de la vente et montant de la taxe due) ;
2) une brève description de la raison de cette erreur et des circonstances dans lesquelles elle a été commise, accompagnée du ticket de caisse original attestant de la vente contenant l’erreur manifeste.
6. Dans le cas visé au paragraphe 5, l’assujetti enregistre la vente avec son montant correct au moyen d’une caisse enregistreuse. »
III. Les faits et la procédure préjudicielle
16. Le 27 janvier 2016, B. sp. j. a déposé des déclarations rectificatives de TVA pour certains mois de décompte des années 2012 à 2014. La prestation de services de loisirs (accès sur le terrain d’un club et libre utilisation des installations) serait soumise à un taux de 8 % au lieu du taux normal de 23 % appliqué jusqu’alors.
17. Dans le cadre du présent litige, B a fait valoir qu’elle aurait appliqué le taux normal (23 %) aux services fournis parce que, dans leurs interprétations de la législation fiscale, les autorités fiscales auraient indiqué que de telles prestations de services étaient soumises à ce taux de TVA. Ce n’est qu’une fois que les autorités fiscales ont changé d’avis et ont constaté que ces services devaient être taxés au taux réduit (8 %) que B s’est décidée à rectifier les opérations qu’elle avait mentionnées dans les déclarations fiscales.
18. Par décision du 22 juin 2017, le Naczelnik Drugiego Urzędu Skarbowego (directeur du deuxième centre des impôts) a refusé de constater à l’égard de la requérante un trop-perçu de TVA pour les périodes d’imposition susmentionnées. Cette décision a été confirmée par le Dyrektor Izby Administracji Skarbowej w Bydgoszczy (directeur de la chambre fiscale de Bydgoszcz) par décision du 24 novembre 2017.
19. Le directeur de la chambre fiscale de Bydgoszcz a constaté que le montant des ventes au détail, documentées par les tickets émis par une caisse enregistreuse, en ce qui concerne la vente de carnets d’entrées à des installations d’activités physiques et sportives, avait été rectifié dans la déclaration rectificative de TVA, le taux d’imposition, antérieurement de 23 %, passant à 8 %, ce qui a entraîné une réduction de la taxe due. Il a souligné que les dispositions de la loi sur la TVA ne prévoiraient la possibilité de rectifier la base d’imposition que si la transaction a été confirmée par une facture avec TVA. Selon lui, il n’existerait pas de dispositions légales régissant la possibilité de rectifier la base d’imposition et la taxe due dans le cas d’une vente pour laquelle aucune facture n’a été émise.
20. En outre, selon le directeur de la chambre fiscale de Bydgoszcz, les dispositions de l’arrêté sur les caisses enregistreuses ne prévoiraient la possibilité d’une régularisation que dans des cas strictement définis. En revanche, il ne serait pas précisé si un assujetti qui réalise des ventes à des personnes physiques n’exerçant pas d’activité économique et qui perçoit celles-ci au moyen de caisses fiscales peut procéder à une correction en cas d’application d’un taux de TVA erroné.
21. Il s’ensuit, selon le directeur de la chambre fiscale de Bydgoszcz, que, compte tenu de ce qu’elle aurait perçu auprès des consommateurs finals la taxe à hauteur de 23 % au lieu de 8 %, B aurait en toute logique aussi été tenue de reverser au Trésor public, en tant que taxe due, l’intégralité de la somme perçue. Selon lui, ce serait les consommateurs finals qui auraient supporté la charge de la TVA afférente aux services fournis. Si le Trésor public remboursait à B la TVA payée, il accorderait dès lors à celle-ci un avantage indu.
22. B a exercé un recours contre cette décision. Par jugement du 7 mars 2018, le Wojewódzki Sąd Administracyjny w Bydgoszczy (tribunal administratif de voïvodie de Bydgoszcz, Pologne) a annulé la décision.
23. Selon lui, B a le droit de rectifier le montant de la base d’imposition et de la taxe due sur les ventes documentées par des tickets de caisse. Les dispositions de l’arrêté n’énuméreraient pas limitativement tous les cas donnant droit à une rectification. En effet, la possibilité, voire l’obligation, d’effectuer une rectification découlerait directement des dispositions de la loi sur la TVA qui régissent la base et le niveau d’imposition. L’absence du ticket de caisse original délivré à l’acheteur, qui est requis pour les rectifications réalisées en raison d’« erreurs manifestes », conformément à l’article 3, paragraphe 5, de l’arrêté sur les caisses enregistreuses, ne constitue pas un obstacle à cet égard. En cas de mauvaises informations ou d’erreurs, il ne serait pas nécessaire pour pouvoir effectuer une rectification justifiée d’être en possession d’une preuve sous la forme du ticket de caisse original. Prouver l’existence d’une erreur sur le fondement de documents autres que le ticket de caisse original ne serait donc pas incompatible avec la législation applicable.
24. L’administration fiscale a exercé un recours contre ce jugement. Le 4 mai 2022, le Naczelny Sąd Administracyjny (Cour suprême administrative, Pologne), désormais saisi du litige, a posé la question suivante :
« L’article 1er, paragraphe 2, et l’article 73 de la directive [TVA], ainsi que les principes de neutralité, de proportionnalité et d’égalité de traitement doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la pratique des autorités fiscales nationales dans la mesure où celle-ci ne permet pas, pour cause d’absence de fondement juridique en droit national et d’enrichissement sans cause, de rectifier le montant de la base d’imposition et de la taxe due dans le cas d’une vente de biens et de services à des consommateurs à un taux de TVA surévalué, enregistrée au moyen d’une caisse enregistreuse et confirmée par des tickets de caisse plutôt que par des factures avec TVA, sans que cette rectification affecte le prix (montant brut de la vente) ? »
25. Lors de la procédure devant la Cour, B, l’administration fiscale polonaise, le médiateur polonais pour les petites et moyennes entreprises, le gouvernement polonais et la Commission européenne ont présenté des observations écrites sur cette question. La Cour a décidé de ne pas tenir d’audience de plaidoiries conformément à l’article 76, paragraphe 2, du règlement de procédure.
IV. Analyse juridique
A. Sur la question préjudicielle et les différentes étapes de l’examen
26. Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite en substance savoir si un assujetti peut modifier la base d’imposition et faire valoir un droit au remboursement également lorsqu’il a acquitté un montant de TVA qui n’était pas dû (B.) parce que, par erreur, il a calculé son prix en appliquant un taux d’imposition trop élevé.
27. Dans sa question, la juridiction de renvoi souligne que, en l’espèce, le droit polonais ne contient aucune base juridique permettant de rectifier la base d’imposition. Il convient donc de clarifier si une telle base juridique est nécessaire ou si le droit de l’Union prévoit un droit au remboursement en faveur de l’assujetti lorsque celui-ci a (par erreur) acquitté un montant de TVA qui n’était pas dû (C.). Dans l’hypothèse où un tel droit au remboursement existerait en droit de l’Union, la question se pose de savoir si ce droit est éventuellement exclu parce que, faute de facture, une rectification de la facture n’est pas possible. À cette fin, il pourrait être utile d’interpréter l’article 203 de la directive TVA (D.). Par ailleurs, ce droit au remboursement pourrait aussi se voir opposer une exception tirée de l’enrichissement sans cause, étant donné que les clients ont payé l’intégralité du prix, c’est-à-dire y compris le montant trop élevé de TVA (E.). Cela présupposerait toutefois que cette exception puisse être opposée par le créancier fiscal, ce qui paraît douteux en l’espèce. Apparemment, ce n’est que sur « incitation » de l’administration fiscale que l’assujetti a appliqué le taux erroné de TVA (F.).
B. Sur la TVA qui naît et qui est due en cas de calcul de la TVA sur la base d’un taux erroné
28. Il convient donc de répondre d’abord à la question de la TVA effectivement née et due dans le cas où la TVA a été calculée sur la base d’un taux erroné. La réponse découle des dispositions combinées de l’article 73 et de l’article 78, sous a), de la directive TVA et est confirmée par l’article 1er, paragraphe 2, de cette directive.
29. En vertu de l’article 73 de la directive TVA, la base d’imposition comprend « tout ce qui constitue la contrepartie » que reçoit, ou doit recevoir, le prestataire de services. La contrepartie correspond au prix convenu que le destinataire de la prestation doit payer pour le service. L’article 78, sous a), de cette directive précise ensuite que sont à comprendre dans la base d’imposition également tous impôts, à l’exception de la TVA elle-même. C’est sur cette base d’imposition qu’il y a lieu ensuite d’appliquer le taux de TVA ad hoc (article 93 de ladite directive). L’article 1er, paragraphe 2, de la même directive mentionne encore plus clairement que, à chaque opération, la TVA due est calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à celui‑ci, déduction faite du montant de la taxe.
30. Il s’ensuit que, pour déterminer la base d’imposition, il faut, pour chaque contrepartie au sens de l’article 73 de la directive TVA, calculer la TVA conformément à l’article 78, sous a), de cette directive. Or, l’article 78, sous a) (tout comme l’article 1er, paragraphe 2) ne parle pas de TVA éventuelle, de TVA convenue ou de TVA calculée, mais de « la TVA » tout court. Cela ne peut donc que viser la TVA qui est due en vertu de la loi.
31. Dans le cas d’un taux de 8 %, la TVA qui doit être déduite de la contrepartie en vertu de l’article 78, sous a), de la directive TVA est exactement de 8/108e. Si le prix convenu pour la prestation de service (et donc la contrepartie) s’élevait en l’occurrence à 123, alors la TVA comprise dans ce prix est 8/108e de 123, soit 9,11. Cette TVA doit être déduite de 123 de sorte que cela donne, conformément à l’article 73 de cette directive, une base d’imposition de 113,89 sur laquelle est ensuite appliqué le taux prévu par la loi de 8 %, ce qui entraîne une dette au titre de la TVA de 9,11.
32. Cette idée fondamentale, qui se trouve à l’article 1er, paragraphe 2 et à l’article 73, lu conjointement avec l’article 78, sous a), de la directive TVA, a pour conséquence que tout prix (brut) convenu comprend toujours la TVA à hauteur du montant (correct) prévu par la loi. Le point de savoir si les parties au contrat le savaient ou non n’a aucune importance à l’égard de l’impôt qui est dû au créancier fiscal (en l’occurrence l’État polonais).
33. Si le prestataire calcule en appliquant à tort un taux trop bas (le prix serait alors 108), il n’en reste pas moins redevable de la taxe à hauteur du montant correct (23/123e de 108). Le point de savoir s’il peut augmenter a posteriori la contrepartie afin de répercuter sur le destinataire de la prestation cet impôt plus élevé est alors une question qui relève du droit civil et du risque pesant sur le prestataire. Si le prestataire calcule en appliquant à tort un taux d’imposition trop élevé (le prix serait alors 123), il est aussi redevable (uniquement) de l’impôt à hauteur du montant correct (8/108e de 123). Le point de savoir s’il doit réduire a posteriori la contrepartie est ici aussi, encore une fois, une question relevant du droit civil et relevant alors plutôt du risque pesant sur le destinataire de la prestation.
34. Dans tous les cas, c’est sur le destinataire de la prestation que pèse la charge de la TVA prévue par la loi qui doit être versée à hauteur de ce montant par le prestataire au créancier fiscal. Cela est confirmé par le caractère de taxe générale sur la consommation de la TVA qui vise à taxer la charge supportée par le preneur pour une livraison de bien ou une prestation de services (4). C’est également ce que vise l’article 1er, paragraphe 2, de la directive TVA lorsqu’il parle d’un « impôt général sur la consommation exactement proportionnel au prix des biens et des services ». D’éventuelles erreurs de calcul commises par les parties contractantes lors de la fixation des prix n’ont aucune incidence sur les recettes fiscales exactes qui résultent uniquement de la charge pesant sur le destinataire de la prestation (à savoir le prix dû ou payé) et du taux (correct) prévu par la loi.
35. C’est donc logiquement que la Cour a déjà jugé que, lorsque le prix d’un bien a été fixé par les parties sans aucune référence à la TVA, le prix convenu inclut déjà la TVA (5). Cela s’applique même lorsque les parties ont, frauduleusement et sciemment, décidé de ne pas convenir de la TVA et ont caché l’opération à l’administration fiscale (6). Dans ce cas également, la TVA est déjà incluse dans la contrepartie convenue et est due à hauteur de ce montant.
36. Par conséquent, contrairement à ce que soutient la Commission, il ne saurait être considéré que le destinataire de la prestation (la Commission parle à cet égard du consommateur final) aurait en l’occurrence supporté un surcroît de TVA, ainsi que le souligne également à juste titre B. En présence d’une contrepartie de 123 et d’un taux de 8 %, le destinataire de la prestation a supporté la TVA correcte de 9,11. C’est ce que garantit déjà la directive TVA.
37. Pour autant que l’administration fiscale argue ainsi de la nécessité de modifier la base d’imposition en l’espèce, cet argument aussi est inopérant. La base d’imposition (c’est-à-dire la contrepartie) de la TVA n’a précisément pas changé. Le montant qui a été dépensé par le destinataire de la prestation et perçu par le prestataire reste toujours le même. Ce n’est que sur la TVA incluse dans ce montant qu’une erreur a été commise lors du calcul du prix. Jusqu’ici, il n’est pas envisageable dans ce cas de modifier la base d’imposition en vertu de l’article 90 de la directive TVA.
38. Ce n’est que dans la mesure où une adaptation de la contrepartie intervient par la voie civile a posteriori (par exemple en la faisant passer de 123 à 108) que la base d’imposition sera modifiée. Dans un tel cas, la directive TVA prévoit, à son article 90, paragraphe 1, la rectification correspondante. Ce n’est que cette modification a posteriori du prix qui entraîne une modification a posteriori de la base d’imposition.
39. Contrairement à ce que pense la Commission, ces considérations ne sont nullement remises en cause par les décisions de la Cour (7) portant sur des droits directs du destinataire de la prestation contre l’État membre. En effet, la Cour y a jugé que les principes d’effectivité et de neutralité de la TVA sont respectés lorsqu’il existe un système dans lequel, d’une part, le fournisseur du bien qui a versé par erreur aux autorités fiscales la TVA peut en demander le remboursement et, d’autre part, l’acquéreur de ce bien peut exercer une action de droit civil en répétition de l’indu à l’encontre de ce fournisseur (8). Cette possibilité existe toujours pour les destinataires des prestations de B.
40. Selon la Cour, ce n’est que si le remboursement de la TVA devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité du fournisseur, que le principe d’effectivité peut exiger que l’acquéreur du bien concerné (en l’occurrence il s’agirait des clients de B) puisse diriger sa demande de remboursement directement contre les autorités fiscales (9). Or, un tel droit direct aux fins de mise en œuvre du principe de neutralité n’est envisageable qu’au profit d’un assujetti qui, par ailleurs, s’est déjà auparavant adressé sans succès à son cocontractant.
41. Cependant, en l’espèce, et ainsi que la Commission semble le méconnaître, le consommateur final individuel ne se trouve pas dans un rapport juridique avec le créancier fiscal dans le cadre duquel il pourrait exiger de celui-ci le remboursement de l’excédent de TVA qu’il a supporté.
42. En l’espèce, les destinataires des prestations ne sont pas non plus des assujettis, de sorte que, ne serait-ce que déjà pour cette raison, cette jurisprudence n’est pas pertinente. À mon avis, cette jurisprudence démontre seulement qu’un État membre ne peut pas s’enrichir grâce à des erreurs commises par deux assujettis, par exemple lorsque ceux-ci se sont trompés sur le lieu de la prestation ou sur le montant du taux d’imposition et que la tentative de remédier par la voie civile à cette erreur a échoué. Cela s’applique a fortiori lorsque, comme en l’espèce, l’erreur a été encouragée par l’administration fiscale.
43. En conclusion, il s’ensuit que, même en cas d’erreur de calcul quant au taux, la TVA effectivement née et due résulte uniquement de l’article 1er, paragraphe 2, et de l’article 73, lu conjointement avec l’article 78, sous a), de la directive TVA. Ce qui est déterminant est la contrepartie convenue ou reçue (à savoir le prix) qui, en soi, inclut le montant exact de TVA. La TVA résulte du montant de la contrepartie et doit en être déduite. D’éventuelles erreurs de calcul des parties n’ont, dans un premier temps, aucune incidence sur l’impôt dû par l’assujetti. Ce n’est qu’une modification de la contrepartie (par exemple par la voie d’une adaptation contractuelle avec une adaptation du prix) qui aboutit, par le biais de l’article 90 de la directive TVA, à une modification de la base d’imposition puis à une dette fiscale modifiée.
C. Droit au remboursement du trop-perçu de TVA prévu par le droit de l’Union
44. La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir s’il est conforme à l’article 1er, paragraphe 2, et à l’article 73 de la directive TVA ainsi qu’aux principes de neutralité, de proportionnalité et d’égalité de traitement qu’il n’existe pas, en droit polonais, de base juridique permettant de modifier la base d’imposition. Cela repose sur la circonstance que, en droit polonais, une modification de la base d’imposition présuppose une rectification des factures. En l’espèce, une telle rectification des factures est d’emblée exclue puisque B n’a pas établi de factures. Par ailleurs, le droit polonais ne prévoirait pas une rectification des tickets de caisse.
45. Il convient cependant à cet égard de distinguer une modification de la base d’imposition (article 90 de la directive TVA) d’une modification de la déclaration fiscale du prestataire.
46. Une modification de la base d’imposition ne présenterait de pertinence que s’il y avait une modification de la contrepartie en raison d’une erreur de calcul (par exemple par le biais d’une adaptation du contrat en vertu du droit civil). Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce. Jusqu’ici, la contrepartie (à savoir le prix convenu et payé) reste inchangée. Il n’existe donc pas de modification de la base d’imposition (voir ci-dessus, point 37). C’est uniquement la déclaration fiscale de l’assujetti qui était inexacte en raison du taux de TVA erronément retenu.
47. Comme dans le cas d’une rectification de factures, la directive TVA ne prévoit aucune disposition relative à la rectification des déclarations fiscales de l’assujetti en cas d’un impôt autocalculé de manière erronée. Faute d’une telle disposition, les modalités de rectification des déclarations fiscales relèvent de la compétence des États membres (principe de l’autonomie procédurale) (10). Néanmoins, cette autonomie est limitée par les principes d’effectivité et d’équivalence (11).
48. Si je comprends bien le droit polonais, le code des impôts polonais (à son article 81) prévoit une rectification de la déclaration fiscale déposée, mais c’est en définitive à la juridiction de renvoi qu’il appartient de le vérifier. En vertu de la législation en matière de TVA, l’entrepreneur n’est que le collecteur des taxes dans l’intérêt de l’État (12) et il n’est donc tenu de s’acquitter que de la taxe légalement due (et non de la taxe qu’il a erronément calculée). En l’espèce, la taxe légalement due s’élève à 8/108e, et non à 23/123e, de la base d’imposition. Le principe d’effectivité exige donc, contrairement à ce que soutient le gouvernement polonais, qu’il soit par principe possible de rectifier la dette de TVA qui a été erronément déclarée de manière à ce qu’elle corresponde à la TVA effectivement due. Contrairement à ce que pense le gouvernement polonais, le remboursement d’un trop-perçu d’impôt non dû n’aboutit pas non plus à un avantage indu pour le contribuable au détriment du budget de l’État.
49. Il semble en outre qu’un tel droit au remboursement d’un trop‑perçu de TVA existe bien en droit national (tant à l’article 81, paragraphe 1, qu’à l’article 72 du code des impôts). Dans l’hypothèse où ce ne serait pas le cas, la Cour a d’ores et déjà admis, de jurisprudence constante, que, ainsi que le souligne à cet égard également à juste titre la Commission, les taxes perçues en violation du droit de l’Union doivent être remboursées (13). Par conséquent, dans l’hypothèse où le droit national ne prévoirait effectivement pas la possibilité de rectifier la déclaration fiscale et de faire valoir un droit à remboursement correspondant, une telle possibilité découle du droit de l’Union.
D. Dette fiscale en vertu de l’article 203 de la directive TVA
50. Néanmoins, il se pourrait que, comme le soutiennent en substance le gouvernement polonais et l’administration fiscale, l’article 203 de la directive TVA puisse faire obstacle à un tel droit à remboursement. Selon eux, une correction, sans doute des tickets de caisse, serait nécessaire pour rendre possible un remboursement de la taxe.
51. L’article 203 de la directive TVA prévoit que l’émetteur d’une facture est redevable de la taxe mentionnée sur cette facture. Ainsi que la Cour l’a déjà précisé, l’article 203 de cette directive ne vise ainsi que les cas dans lesquels il a été facturé à tort une taxe trop élevée (14). Dans un tel cas, l’assujetti est redevable non seulement de la taxe légalement due, mais également du montant trop élevé de TVA qui a été facturé.
52. La finalité de cette disposition est d’empêcher que le titulaire d’une facture erronée puisse éventuellement indûment (15) déduire la TVA en amont et d’éviter ainsi le préjudice fiscal que cela causerait si la taxe effectivement due et acquittée était moins élevée. C’est la raison pour laquelle l’article 203 de la directive TVA constitue une disposition prévoyant une responsabilité objective [pour risque de perte fiscale engendrée par une déduction injustifiée] (16). La condition est donc qu’il existe une facture sur laquelle figure un montant trop élevé de TVA, ce qui engendre le risque que le destinataire de la prestation puisse indûment déduire la TVA en amont.
53. Or, comme l’indique déjà la juridiction de renvoi dans sa question, la vente des prestations a été « confirmée par des tickets de caisse plutôt que par des factures avec TVA ». Dès lors qu’il n’existe pas de factures (et donc pas non plus de factures simplifiées au sens de l’article 226ter de la directive TVA), les conditions d’application de l’article 203 de cette directive ne sont pas réunies. Faute de factures, il ne se pose pas non plus la question de la rectification d’une facture afin d’éviter les conséquences juridiques prévues à l’article 203 de ladite directive.
54. Quand bien même les tickets de caisse en cause constitueraient des factures, la Cour a d’ores et déjà jugé que l’article 203 de la directive TVA ne s’applique pas s’il n’existe aucun risque de perte de recettes fiscales au motif que les bénéficiaires de ce service sont exclusivement des consommateurs finals ne bénéficiant pas d’un droit à déduction de la TVA payée en amont (17). Eu égard à la nature des prestations de services fournies (activités de loisirs et services relatifs à la forme physique), il est vraisemblable que ce cas de figure existe aussi en l’espèce (18), ce qu’il appartiendrait à la juridiction de renvoi de vérifier.
55. En conclusion, B n’est redevable d’aucune TVA qui aurait été indûment mentionnée sur une facture. C’est la raison pour laquelle il n’est pas non plus nécessaire de rectifier les tickets de caisse.
E. Sur l’exception d’enrichissement sans cause
56. Par la question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite en outre savoir s’il fait obstacle à un éventuel droit à remboursement de B que la TVA surévaluée a été supportée par les consommateurs finals dans le cadre du prix, de sorte que, en définitive, un remboursement de la TVA enrichirait sans cause l’assujetti prestataire (en l’occurrence B).
57. Le droit de l’Union permet qu’un système juridique national refuse la restitution de taxes indûment perçues lorsque celle-ci entraîne un enrichissement sans cause des ayants droit (19). Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, il n’existe toutefois pas nécessairement déjà un enrichissement lorsque la taxe contraire au droit de l’Union a été répercutée par le biais du prix sur le consommateur final et qu’elle a donc été supportée par ce dernier. En effet, même dans l’hypothèse où la taxe a été complètement intégrée dans le prix pratiqué, l’assujetti peut avoir subi un préjudice lié à une diminution de volume de ses ventes (20).
58. Dans la présente affaire, une entreprise en concurrence avec B qui aurait appliqué le taux correct aurait été nettement mieux positionnée sur le marché, puisque ce concurrent pouvait proposer un prix inférieur. En revanche, à prix égal, le concurrent aurait une marge bénéficiaire nettement supérieure à celle de B. Tout cela plaide déjà en l’espèce contre un enrichissement sans cause de B.
59. Ainsi que la Cour l’a également relevé, la condition pour qu’un État membre puisse soulever avec succès une exception d’enrichissement est que la charge économique que la taxe indûment perçue a fait peser sur l’assujetti ait été intégralement neutralisée (21).
60. Dès lors, l’existence et la mesure de l’enrichissement sans cause que le remboursement d’une imposition indûment perçue au regard du droit communautaire engendrerait pour un assujetti ne pourront être établies, en vertu de la jurisprudence de la Cour, qu’au terme d’une analyse économique qui tienne compte, ainsi que le souligne également à juste titre l’administration fiscale, de toutes les circonstances pertinentes (22). À cet égard, la charge de la preuve d’un enrichissement sans cause pèse sur l’État membre (23). On ne saurait toutefois admettre que, en cas de taxes indirectes (il en va de même pour la TVA indirectement perçue en l’espèce), il existe une présomption selon laquelle la répercussion a eu lieu (24). Cette preuve ne semble pas avoir été apportée par le gouvernement polonais.
61. À cet égard, il reste à tenir compte de ce que, dans un cas tel que celui de la présente affaire dans laquelle l’identité des consommateurs finals qui sont les véritables redevables de la TVA n’est pas connue, le trop-perçu de TVA collecté par erreur est conservé soit par l’État, soit par l’entrepreneur prestataire. En l’espèce, en vertu de la loi fiscale polonaise, l’État ne peut exiger pour les prestations fournies par B qu’une TVA à taux réduit (à savoir 8/108e de la contrepartie). Le montant allant au-delà a donc matériellement en substance pour conséquence un « enrichissement sans cause » de l’État. En revanche, en vertu du droit civil, B avait, ainsi que je l’ai souligné ci-dessus (aux points 28 et suivants), droit à l’intégralité du prix convenu avec les consommateurs finals. Tant que n’intervient pas une adaptation des contrats, B ne s’est, en tout état de cause, pas enrichie sans cause, ce que semble également méconnaître la Commission. En effet, le cocontractant a consenti à ce prix.
62. À cet égard, la Cour a déjà jugé que, dans le cadre de l’appréciation d’ensemble qui s’impose, le point de savoir si les contrats conclus entre les parties prévoient, à titre de rémunération des services, des montants fixes ou des montants de base, majorés le cas échéant des taxes applicables, peut présenter une pertinence. Dans le premier cas, à savoir celui où un montant fixe a été convenu, il pourrait éventuellement ne pas exister d’enrichissement sans cause du prestataire (25).
63. Aux termes de la question préjudicielle, les prix ne seraient pas affectés en cas de rectification de la base d’imposition et de la taxe due. Dans cette mesure, il existe en l’espèce des montants fixes (« montants bruts des ventes ») à l’égard desquels une adaptation a posteriori – que ce soit tant en faveur qu’au détriment du consommateur final (26) – paraît être exclue. Par conséquent, en présence d’un montant fixe convenu avec un consommateur final, j’exclurai en soi un enrichissement sans cause de l’assujetti. Au moment de l’opération, ce dernier a dû se résoudre soit à avoir une marge bénéficiaire inférieure, soit à être moins compétitif que ses concurrents.
64. La situation peut, certes, être différente lorsqu’il a été expressément convenu dans le contrat d’un prix de base « majoré de la TVA légalement due ». Néanmoins, cette situation – qui au demeurant ne concernerait elle aussi au premier chef que la relation entre le prestataire et le destinataire de la prestation (et relèverait donc du droit civil) et non la relation entre le débiteur fiscal et le créancier fiscal – n’existe pas en l’espèce.
65. Contrairement à la position de l’État polonais, il ne peut pas non plus être vu dans la restitution une différence de traitement par rapport aux prestataires qui émettent des factures. Ceux-ci aussi ne modifieraient pas en principe le prix de la prestation (par exemple 123), mais adapteraient uniquement le montant de la TVA à facturer (à savoir en l’occurrence 9,11 = 8/108e de 123). Ce n’est qu’une fois que survient aussi une modification du prix (par exemple en vertu du droit civil) qu’intervient une rectification de la base d’imposition. Et ce indépendamment de ce que le prestataire ait ou non émis une facture. Il n’existe pas non plus à cet égard de différence de traitement.
66. Ainsi, la circonstance que les consommateurs finals aient payé un prix final qui a été calculé de manière erronée (parce qu’il comportait une part de TVA trop élevée et donc une marge bénéficiaire trop faible) ne fait pas obstacle à un remboursement de la taxe. Il n’existe en tout état de cause pas d’enrichissement sans cause de l’assujetti du fait qu’un « montant fixe » (prix fixe) a été convenu.
F. Subsidiairement : contribution causale pertinente
67. Quand bien même il serait présumé en l’espèce que B s’est enrichie sans cause, il resterait à clarifier le point de savoir si l’État polonais peut conserver par‑devers lui l’impôt qui n’était pas légalement dû alors même qu’il est lui-même à l’origine de l’erreur de calcul. Dans ce dernier cas, il semble contradictoire – à tout le moins pour un État de droit – que celui qui est à l’origine du calcul erroné de la TVA dans le chef de l’assujetti puisse opposer à ce dernier un enrichissement sans cause afin de pouvoir conserver par-devers lui un impôt qui n’a, de par la loi, jamais pris naissance.
68. Ce n’est que très récemment que la Cour a fait application dans une décision du principe nemo auditur propriam turpitudinem allegans (nul ne peut se prévaloir de son propre comportement illégal) et qu’elle a jugé qu’il ne saurait être admis qu’une partie tire des avantages économiques de son comportement illicite (27). Les précédentes déclarations de la Pologne vis-à-vis de B, selon lesquelles ce serait le taux normal qui s’appliquerait, étaient fausses et donc illégales. Refuser la restitution de l’impôt qui a été ainsi indûment perçu de ce fait reviendrait à laisser à la Pologne les avantages économiques qui n’ont été engendrés que par son propre comportement illégal.
69. De surcroît, en tant qu’assujettie, B s’acquitte de la taxe due pour le compte et dans l’intérêt de l’État (28). Dans cette mesure, elle a une position d’intermédiaire. Ce faisant, c’est avant tout sur elle que pèse le risque d’un calcul exact de l’impôt dû, étant donné que, si, par erreur, un taux trop bas est retenu, sa marge bénéficiaire diminue (voir ci‑dessus, point 58). En revanche, le créancier fiscal perçoit toujours la taxe à concurrence du montant exact.
70. Dès lors que l’État perçoit toujours l’impôt correct et qu’ainsi aucun risque ne pèse sur lui, il serait inéquitable, voire contradictoire, de refuser un remboursement de la TVA indûment versée qui a été générée uniquement du fait que l’État a d’abord lui‑même exigé l’application d’un taux erroné. En effet, par définition, il y aura nécessairement un enrichissement sans cause soit de l’État, soit de l’assujetti. Or, en l’espèce, de ces deux parties, c’est l’État polonais qui, en « imposant l’application » d’un taux erroné, est à l’origine de la perception d’un impôt trop élevé et, partant, de l’enrichissement.
71. Comme le reconnaît la Commission elle-même et ainsi que le souligne à juste titre le médiateur, en l’espèce, l’assujettie (à savoir B) a agi de bonne foi. Or, en raison de cette contribution causale de l’État polonais, il serait contradictoire d’opposer désormais précisément à B, qui pouvait se fier, et qui s’est fiée, aux informations fournies par l’administration fiscale, « l’enrichissement » qui en a résulté et de permettre à l’auteur de l’erreur (en l’occurrence l’État polonais) de conserver par-devers lui un impôt qui, légalement, n’est pas né à hauteur de ce montant.
72. Ainsi, même en présumant, à titre subsidiaire, l’existence d’un enrichissement sans cause, il n’est pas possible à l’État polonais de se prévaloir en l’espèce de cette circonstance étant donné que c’est lui‑même qui en est à l’origine.
V. Conclusion
73. Par conséquent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la question préjudicielle posée par le Naczelny Sąd Administracyjny la (Cour suprême administrative, Pologne) :
L’article 1er, paragraphe 2, et l’article 73, lu conjointement avec l’article 78, sous a), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée s’opposent à une pratique des autorités fiscales nationales en vertu de laquelle une rectification dans la déclaration fiscale de la taxe due est considérée comme illicite lorsque des livraisons et des services à des consommateurs ont été fournis à un taux de TVA trop élevé et que seuls les tickets de caisse – c’est-à-dire pas de factures de TVA – ont été établis. En tout état de cause, dans le cas où un montant fixe a été convenu avec un consommateur final, il n’y a pas enrichissement sans cause de l’assujetti.