Language of document : ECLI:EU:T:2023:286

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

24 mai 2023 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Biélorussie – Gel des fonds – Restriction en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription du nom du requérant sur les listes des personnes, des entités et des organismes concernés – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑580/21,

Aleh Haidukevich, demeurant à Semkino (Biélorussie), représenté par Me D. Litvinski, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes S. Lejeune, E. d’Ursel et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, J. Laitenberger et Mme M. Stancu (rapporteure), juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 11 janvier 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Aleh Haidukevich, demande l’annulation de la décision d’exécution (PESC) 2021/1002 du Conseil, du 21 juin 2021, mettant en œuvre la décision 2012/642/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 70), et du règlement d’exécution (UE) 2021/997 du Conseil, du 21 juin 2021, mettant en œuvre l’article 8 bis, paragraphe 1, du règlement (CE) no 765/2006 concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2021, L 219 I, p. 3), en tant que ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.

 Antécédents du litige

2        Le requérant est un ressortissant biélorusse, vice-président de la commission permanente des affaires internationales à la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale et membre de la délégation de cette Assemblée pour les contacts avec l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.

3        La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne depuis 2004, en raison de la situation en Biélorussie en ce qui concerne la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme. Ainsi qu’il ressort des considérants des actes attaqués, elle est plus spécifiquement liée, premièrement, aux élections présidentielles du 9 août 2020 qui ont été jugées incompatibles avec les normes internationales et ternies par l’oppression visant les candidats indépendants et la répression exercée de manière brutale contre des manifestants pacifiques à la suite de ce scrutin ; deuxièmement, à l’escalade des violations graves des droits de l’homme en Biélorussie, et de la violente répression qui s’abat sur la société civile, l’opposition démocratique et les journalistes ainsi que sur les personnes appartenant à des minorités nationales ; troisièmement, à l’atterrissage forcé du vol Ryanair à Minsk (Biélorussie), le 23 mai 2021, au préjudice de la sécurité aérienne, ainsi qu’à la détention par les autorités biélorusses de M. Raman Pratassevitch et de Mme Sofia Sapega.

4        Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 18 mai 2006, sur le fondement des articles [75 et 215 TFUE], le règlement (CE) no 765/2006, concernant des mesures restrictives à l’encontre du président Lukashenko et de certains fonctionnaires de Biélorussie (JO 2006, L 134, p. 1) et, le 15 octobre 2012, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2012/642/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Biélorussie (JO 2012, L 285, p. 1).

5        Le critère sur le fondement duquel ont été adoptées les mesures restrictives individuelles à l’égard du requérant (ci-après le « critère général litigieux ») est prévu, d’une part, à l’article 3, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642 et, d’autre part, à l’article 4, paragraphe 1, sous b), de ladite décision, de même qu’à l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 765/2006, dans leur version en vigueur au moment de l’adoption des actes attaqués.

6        L’article 3, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642 prévoit l’interdiction d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union européenne pour les personnes qui profitent du régime du président Lukashenko ou le soutiennent.

7        L’article 4, paragraphe 1, sous b), de la décision 2012/642, et l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 765/2006, lequel renvoie à la première disposition, prévoient le gel de tous les fonds et ressources économiques des personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui profitent du régime du président Lukashenko ou le soutiennent, ainsi que des personnes morales, entités ou organismes qu’ils détiennent ou contrôlent.

8        Par les actes attaqués, le nom du requérant a été inscrit sur les listes des personnes, entités et organismes visés par les mesures restrictives qui figurent à l’annexe de la décision 2012/642 et à l’annexe I du règlement no 765/2006 (ci-après, prises ensemble, les « listes en cause »).

9        Dans les actes attaqués, le Conseil a justifié l’adoption des mesures restrictives visant le requérant en l’identifiant comme vice-président de la commission permanente des affaires internationales à la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale ainsi que membre de la délégation de cette Assemblée pour les contacts avec l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et par la mention des motifs suivants :

« [Le requérant] est vice-président de la commission permanente des affaires internationales à la Chambre des représentants de l’Assemblée nationale, membre de la délégation de l’Assemblée nationale pour les contacts avec l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Il a fait des déclarations publiques, se félicitant du détournement du vol de passagers FR4978 vers Minsk le 23 mai 2021. Cette décision, motivée par des considérations politiques, a été prise sans justification valable et visait à arrêter et à détenir le journaliste de l’opposition [M.] Raman Pratassevitch et [Mme] Sofia Sapega et constitue une forme de répression contre la société civile et l’opposition démocratique en Biélorussie.

En outre, [le requérant] a fait des déclarations publiques suggérant que des dirigeants de l’opposition biélorusse pourraient être détenus à l’étranger et transportés en Biélorussie “dans un coffre de voiture”, soutenant ainsi la répression des forces de sécurité qui s’abat actuellement sur l’opposition démocratique biélorusse et les journalistes.

Il soutient donc le régime [du président Lukashenko] ».

 Conclusions des parties

10      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en tant qu’ils le concernent ;

–      condamner le Conseil aux dépens.

11      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

12      Au soutien de ses conclusions en annulation, le requérant invoque trois moyens, tirés, le premier, du caractère collectif de la responsabilité et de la sanction ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation, le deuxième, d’une erreur d’appréciation et, le troisième, d’une violation du principe de proportionnalité.

13      En outre, lors de l’audience, le requérant a précisé qu’il n’entendait pas soulever un moyen tiré de la violation du principe de liberté d’expression, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal d’audience.

 Sur le premier moyen, tiré du caractère collectif de la responsabilité et de la sanction ainsi que d’une violation de l’obligation de motivation 

14      Le requérant soutient, premièrement, que l’approche retenue par le Conseil ne respecterait pas l’obligation de motivation des « décisions personnelles défavorables ». Deuxièmement, le Conseil n’aurait pas apporté de preuve au sujet de sa prétendue responsabilité personnelle dans la répression contre la société civile et l’opposition démocratique ou dans les activités qui nuisent également gravement à la démocratie et à l’État de droit en Biélorussie, et aurait inscrit son nom sur les listes en cause seulement en raison de son statut de parlementaire, comme cela a été le cas de trois autres parlementaires, à savoir la présidente et les vice-présidents de la commission parlementaire des lois. Selon le requérant, il s’agirait donc d’une sanction collective.

15      Le Conseil conteste ces arguments.

16      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver un acte faisant grief, qui constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense, a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 92 et jurisprudence citée).

17      La motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications des mesures prises et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle (voir arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 93 et jurisprudence citée).

18      La motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure restrictive ne doit pas seulement identifier la base juridique de cette mesure, mais également les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles le Conseil considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil, T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 116 et jurisprudence citée).

19      Cependant, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées par l’acte au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 95 et jurisprudence citée).

20      En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 23 septembre 2014, Ipatau/Conseil, T‑646/11, non publié, EU:T:2014:800, point 96 et jurisprudence citée).

21      Il s’ensuit que, afin de déterminer si les actes attaqués satisfont à l’obligation de motivation, il y a lieu de vérifier si le Conseil a exposé de manière compréhensible et suffisamment précise, dans les motifs énoncés dans ces actes, les raisons l’ayant conduit à considérer que l’inscription du nom du requérant sur les listes était justifiée au regard des critères juridiques applicables (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2015, Chyzh e.a./Conseil, T‑276/12, non publié, EU:T:2015:748, point 119).

22      Premièrement, il ressort de façon claire et non équivoque de l’exposé des motifs cité au point 9 ci-dessus que le nom du requérant a été inscrit sur les listes en cause au motif que le Conseil a considéré qu’il soutenait le régime du président Lukashenko, en raison, tout d’abord, de ses fonctions précises au sein du Parlement biélorusse, ensuite de ses déclarations publiques se félicitant du déroutement du vol de passagers Ryanair FR4978 vers Minsk le 23 mai 2021, et, enfin, de ses déclarations publiques sur les dirigeants de l’opposition. Ce faisant, le Conseil a fourni au requérant les raisons spécifiques et concrètes justifiant l’inscription de son nom sur les listes en cause.

23      Deuxièmement, cette conclusion selon laquelle le requérant soutient le régime du président Lukashenko renvoie explicitement au critère général litigieux, mentionné aux points 6 et 7 ci-dessus, dont il ressort que sont inscrits sur les listes en cause les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui ont été identifiées par le Conseil comme profitant du régime du président Lukashenko ou le soutenant. Ainsi, le requérant pouvait aisément identifier la base juridique des actes attaqués et, par conséquent, comprendre sur quel critère reposait l’inscription de son nom sur les listes en cause.

24      Troisièmement, les considérants des actes attaqués, tels que résumés au point 3 ci-dessus, expliquent de façon claire et non équivoque le contexte dans lequel les mesures en cause ont été adoptées par le Conseil. En particulier, il ressort de ces considérants que celles-ci sont liées aux élections présidentielles du 9 août 2020, à l’escalade des violations graves des droits de l’homme en Biélorussie ainsi qu’à l’atterrissage forcé du vol Ryanair FR4978 à Minsk, le 23 mai 2021, et à la détention par les autorités biélorusses du journaliste et opposant M. Pratassevitch et de Mme Sapega.

25      Au vu des considérations qui précèdent, il convient de conclure que les actes attaqués sont motivés à suffisance de droit et d’écarter comme non fondé le grief tiré de la violation de l’obligation de motivation.

26      S’agissant du grief tiré du caractère collectif de la responsabilité, il convient de relever, d’une part, que, ainsi qu’il ressort des points 22 et 23 ci-dessus, le nom du requérant a été inscrit sur les listes en cause en raison de ses fonctions précises au sein du Parlement biélorusse ainsi que de ses déclarations publiques et du fait qu’il soutenait ainsi le régime du président Lukashenko, et non, comme il le soutient, seulement en raison de son statut de parlementaire.

27      D’autre part, et en tout état de cause, les noms des trois autres parlementaires auxquels le requérant se réfère ont été inscrits sur ces listes en raison des fonctions précises de ceux-ci au sein du Parlement biélorusse ainsi que de leur responsabilité conséquente dans les graves violations des droits de l’homme, la répression de la société civile et de l’opposition démocratique, et la grave atteinte à la démocratie et à l’État de droit, et non, comme le soutient le requérant, seulement en raison de leur statut de parlementaire.

28      En outre, il convient de rappeler, à ce dernier égard, que l’inscription des noms de ces trois parlementaires repose sur un critère différent de celui fondant l’inscription du nom du requérant, à savoir celui prévu à l’article 3, paragraphe 1, sous a), et à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2012/642, qui vise les responsables de violations graves des droits de l’homme ou de la répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique, ou dont les activités nuisent gravement, d’une autre manière, à la démocratie ou à l’État de droit en Biélorussie.

29      Ainsi le requérant ne saurait valablement soutenir que le Conseil a adopté à son égard une « sanction collective ».

30      Le second grief du requérant tiré du caractère collectif de la responsabilité et de la sanction doit donc être rejeté.

31      Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter le premier moyen.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation

32      Le requérant soutient que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en lui reprochant d’avoir soutenu le régime du président Lukashenko par ses déclarations publiques et en ne prouvant pas à suffisance de droit que les motifs ayant justifié l’inscription de son nom satisfont au critère général litigieux.

33      Le requérant soutient, en premier lieu, que le Conseil n’a pas prouvé son implication personnelle dans le déroutement du vol Ryanair FR4978 du 23 mai 2021 ou dans l’arrestation du journaliste et opposant M. Pratassevitch et de Mme Sapega. À cet égard, le requérant précise qu’il n’est pas démontré, ni que ses déclarations auraient eu un quelconque écho dans l’opinion publique, ni qu’elles auraient contribué à la répression de l’opposition démocratique biélorusse et des journalistes, ni qu’il aurait encouragé les forces de l’ordre ou les magistrats à perpétrer des violences ou enfreindre les principes de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

34      En deuxième lieu, le Conseil n’aurait pas pris en compte la circonstance que le requérant reçoit régulièrement des menaces.

35      En troisième lieu, il serait contradictoire de reprocher à un parlementaire d’avoir exprimé une opinion. Lors de l’audience de plaidoiries, le requérant a ajouté que, s’il ne nie pas avoir tenu de tels propos, ceux-ci avaient été en réalité proférés dans un esprit de camaraderie au soutien des forces de l’ordre biélorusses pour les féliciter du travail accompli lors de l’arrestation du journaliste et opposant M. Pratassevitch et de Mme Sapega, le requérant ayant lui-même été policier avant d’embrasser la carrière politique. En outre, le Conseil ne saurait lui reprocher de soutenir le régime du président Lukashenko, alors même qu’il est membre d’un parti d’opposition avec lequel il se serait présenté comme candidat, lors des élections présidentielles de 2015 et 2020, face à ce dernier.

36      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

37      Tout d’abord, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119 et jurisprudence citée).

38      Il incombe à l’autorité compétente de l’Union, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. À cet effet, il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122).

39      Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (voir, en ce sens, arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).

40      L’appréciation du bien-fondé d’une inscription doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. Le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne ou l’entité sujette à des mesures restrictives et le régime ou, en général, les situations combattues (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Kazembe Musonda/Conseil, T‑177/18, non publié, EU:T:2020:59, point 95 et jurisprudence citée).

41      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le deuxième moyen invoqué par le requérant, par lequel ce dernier remet en cause, en substance, le fait que les déclarations mentionnées dans les actes attaqués (ci-après les « déclarations litigieuses ») démontrent son soutien au régime du président Lukashenko.

42      D’emblée, il ressort des éléments de preuve contenus dans le dossier de preuves WK 6824/2021 INIT du 2 juin 2021 que le requérant a effectivement tenu les propos qui lui sont reprochés, ce qu’il a d’ailleurs confirmé lors de l’audience de plaidoiries.

43      Quant à la teneur de ces déclarations, il convient de relever, s’agissant, en premier lieu, de celles concernant le déroutement du vol Ryanair FR4978 du 23 mai 2021 et l’arrestation du journaliste et opposant M. Pratassevitch, que l’élément de preuve no 6, qui est un article de presse du 23 mai 2021 tiré du site Internet du média « Nasha Niva », relate que le requérant a affirmé sur sa page Facebook que M. Pratassevitch, fondateur de Nexta, avait été arrêté et que les services secrets avaient fait du bon travail. Il s’est également déclaré convaincu qu’il fallait « agir de la même manière que les services spéciaux occidentaux, d’autant plus en raison de la bonne coopération avec la Russie ». Dans le même sens, l’élément de preuve no 8 du dossier de preuves, un article de presse du 24 mai 2021 tiré du site Internet du média « Baltnews », mentionne que le requérant a déclaré, au sujet du déroutement du vol Ryanair FR4978 du 23 mai 2021, que la Biélorussie n’avait violé aucun traité international, que des informations avaient circulé au sujet d’une bombe et que le pilote lui-même avait demandé l’aide de Minsk et y avait atterri. Il a également précisé qu’une assistance complète avait été fournie, qu’un homme avait été arrêté sur le tarmac de l’aéroport, que celui-ci figurait sur la liste des extrémistes, qu’une enquête pénale était ouverte contre lui et que, par conséquent, tout était absolument légal du point de vue du droit international. Le requérant a également ajouté que l’Europe devrait se réjouir de l’arrestation réalisée par les agences de renseignement biélorusses, précisant que ces dernières avaient fait un travail irréprochable et que toutes les agences de renseignement dans le monde devraient agir de cette façon.

44      Pour ce qui est, en second lieu, des propos tenus au sujet des dirigeants de l’opposition, les éléments de preuves nos 3, 4 et 6, tirés respectivement des sites Internet du média « Deutsche Welle », de l’ONG « Our House » et du média « Nasha Niva », relatent que le requérant a affirmé que des dirigeants de l’opposition biélorusse résidant à l’étranger, notamment M. Latushko, pourraient être détenus à l’étranger, transportés en Biélorussie « dans un coffre de voiture » et envoyés directement dans un centre de détention. L’élément de preuve no 3 mentionne également que le requérant a soutenu, à l’instar du chef du KGB biélorusse, M. Tertel, que demander des élections équitables constituait un acte de trahison et d’extrémisme.

45      Or, au regard de la teneur des déclarations litigieuses telle qu’elle ressort des éléments de preuve mentionnés aux points 43 et 44 ci-dessus, force est de constater que, contrairement à ce que prétend le requérant, ces déclarations attestent d’un soutien au régime. En effet, lesdites déclarations font l’éloge d’un acte extrêmement grave fermement condamné par le Conseil européen dans ses conclusions sur la Biélorussie du 24 mai 2021, à savoir l’orchestration du déroutement d’un vol de passagers en vue de l’arrestation d’un journaliste et opposant au régime du président Lukashenko, et promeuvent, dans des termes virulents et dénués de toute ambiguïté, la répression à l’encontre de l’opposition démocratique.

46      À cet égard, il importe de rappeler qu’il ressort du considérant 6 de la décision 2012/642 que le Conseil a estimé que, compte tenu de la gravité de la situation en Biélorussie, il convenait d’étendre les mesures restrictives imposées à l’encontre de ce pays aux personnes qui soutiennent le régime du président Lukashenko, « en particulier les personnes […] le soutenant financièrement ou matériellement ». Il en découle que la notion de « soutien au régime » au sens du critère général litigieux ne recouvre pas seulement le soutien financier ou matériel à ce régime, mais vise toute forme de soutien à ce dernier, en ce compris des déclarations l’encourageant à poursuivre une politique de répression à l’égard de la société civile ou de l’opposition démocratique.

47      En outre, il convient de constater que le requérant occupe une place importante sur le plan politique biélorusse, de par ses fonctions au sein du Parlement biélorusse ainsi que de par ses liens avec le président Lukashenko lui-même, et que, conformément à la jurisprudence citée au point 40 ci-dessus, ces éléments de contexte doivent être pris en compte lors de l’appréciation du bien-fondé de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause.

48      En effet, en premier lieu, le statut d’homme politique et parlementaire occupant des fonctions à haute responsabilité au niveau national et international permet au requérant de bénéficier d’une plus grande autorité et notoriété auprès du public, accroissant ainsi de façon significative la portée et l’impact de ses déclarations. C’est d’ailleurs en raison de ce statut que ses propos tenus sur les réseaux sociaux, tels que Facebook, ont été relayés par la presse.

49      En second lieu, il ressort de l’élément de preuve no 2, un article de presse tiré du site Internet du média « Office Life », que le requérant a tenu le rôle de « confident » du président Lukashenko dans le cadre des élections présidentielles de 2020, ce qui démontre sa proximité idéologique avec le régime. En outre, le fait que le requérant se serait porté candidat contre le président Lukashenko lors des élections présidentielles de 2015 et 2020 ne saurait infirmer ce constat. En effet, même à supposer que tel ait été le cas pour les élections présidentielles de 2015, le requérant a, à l’occasion des élections présidentielles de 2020 visées par les actes attaqués, retiré sa candidature pour soutenir celle du président Lukashenko, ainsi qu’il ressort de cet élément de preuve dont le requérant ne conteste pas le contenu.

50      Il résulte de tout ce qui précède que, dans le contexte spécifique décrit aux points 48 et 49 ci-dessus, les déclarations litigieuses témoignent à suffisance de droit d’un soutien du requérant au régime du président Lukashenko au sens du critère général litigieux. Le Conseil n’a donc pas commis d’erreur d’appréciation à cet égard.

51      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments du requérant.

52      Premièrement, pour autant que le requérant soutient que le Conseil aurait commis une erreur d’appréciation en considérant qu’il serait impliqué dans le déroutement du vol Ryanair FR4978 vers Minsk le 23 mai 2021 et qu’il serait, de façon plus générale, personnellement responsable de la répression à l’encontre de la société civile et de l’opposition démocratique en Biélorussie, il convient de relever que, dans les motifs d’inscription, le Conseil n’a pas indiqué que le requérant serait personnellement responsable de ladite répression, mais seulement que ce dernier a proféré des déclarations faisant l’éloge des actes qui sont constitutifs d’une telle répression. En effet, le critère général litigieux retenu en l’espèce porte sur le soutien au régime du président Lukashenko et non sur la responsabilité dans la répression à l’encontre de la société civile. Cet argument est donc inopérant.

53      Deuxièmement, en ce qui concerne l’argument par lequel le requérant reproche au Conseil de ne pas avoir pris en considération les menaces qu’il subirait, il convient de relever que le requérant ne présente pas la moindre preuve afin d’étayer l’existence de telles menaces ni n’explique dans quelle mesure le Conseil aurait dû tenir compte de cet élément dans le cadre de l’adoption des actes attaqués.

54      Eu égard à tout ce qui précède, il convient de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

55      Le requérant fait valoir que les mesures restrictives adoptées à son encontre présentent un caractère disproportionné, notamment l’interdiction d’entrée et de transit sur le territoire de l’Union.

56      Premièrement, il avance que l’expression en tant que parlementaire d’une position sur un sujet d’actualité est un acte isolé et constitue l’essence de son activité en tant que membre du Parlement. Deuxièmement, il ne serait pas démontré que cette prise de position a contribué à la répression de la société civile. Troisièmement, il serait illogique d’interdire au requérant, qui est chargé des relations entre son pays et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, de se rendre sur le territoire de l’Union, dès lors qu’une telle interdiction risquerait d’empêcher tout dialogue entre la Biélorussie et les États membres de l’Union. Quatrièmement, une telle interdiction serait incohérente par rapport à la promotion des valeurs démocratiques, telles que prévues par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans la mesure où elle empêcherait le requérant de voyager dans l’Union afin de s’en imprégner et d’en prendre connaissance. Enfin, le Conseil ne saurait sanctionner le requérant en sa qualité de membre d’organes collectifs, tels que le Parlement qui est composé de 110 parlementaires ou la commission permanente des affaires internationales qui est composée de 10 personnes.

57      Le Conseil conteste ces arguments.

58      Il y a lieu de rappeler que, par l’adoption d’actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), le Conseil peut, en principe, limiter le droit à la liberté de circulation et de séjour dans l’Union aux ressortissants de pays tiers. Cependant, il convient de vérifier si le Conseil a agi dans le respect du principe de proportionnalité (voir arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, point 89 et jurisprudence citée).

59      Le principe de proportionnalité fait partie des principes généraux du droit de l’Union et exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (voir arrêt du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 52 et jurisprudence citée).

60      En l’espèce, il convient de constater que, contrairement à ce que soutient le requérant, il existe un rapport raisonnable entre les mesures restrictives adoptées à son encontre et l’objectif poursuivi par celles-ci.

61      Premièrement, il y a lieu d’observer que, par les mesures restrictives adoptées notamment en application du critère général litigieux, le Conseil vise à faire pression sur le régime du président Lukashenko pour qu’il mette fin à ses politiques et activités ayant pour effet le non-respect persistant des droits de l’homme, de la démocratie et de l’État de droit en Biélorussie, ce qui correspond à l’un des objectifs de la PESC, notamment l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE qui est ainsi libellé :

« L’Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin : […] de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international. »

62      Dans ce contexte, l’adoption par le Conseil de mesures restrictives visant le requérant en raison de ses propos en faveur des actions et des politiques du régime du président Lukashenko exerçant une répression à l’encontre de la société civile et de l’opposition démocratique ne peut pas être considérée comme étant une restriction disproportionnée, dès lors que, si tel était le cas, le Conseil se verrait dans l’impossibilité de poursuivre son objectif politique de faire pression sur le gouvernement biélorusse en adressant des mesures restrictives non seulement aux personnes qui sont responsables des actions ou des politiques de ce gouvernement, mais aussi aux personnes apportant un soutien à ces dernières (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, points 112 et 113).

63      Deuxièmement, les mesures en cause sont réversibles et temporaires.

64      Tout d’abord, conformément à l’article 8 de la décision 2012/642 et à l’article 8 bis, paragraphe 4, du règlement no 765/2006, le maintien du nom du requérant sur les listes en cause fait l’objet d’un suivi constant visant à vérifier que le maintien de sa désignation est compatible avec les critères d’inscription.

65      Ensuite, l’article 5 de la décision 2012/642 et l’article 3 du règlement no 765/2006 prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques.

66      Enfin, conformément à l’article 3, paragraphe 6, de la décision 2012/642, les États membres peuvent déroger aux mesures imposées au paragraphe 1 du même article lorsque le déplacement d’une personne se justifie pour des raisons humanitaires urgentes, ou lorsque la personne se déplace pour assister à des réunions intergouvernementales, y compris à des réunions dont l’initiative a été prise par l’Union ou organisées par celle-ci, ou à des réunions accueillies par un État membre assurant alors la présidence de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), lorsqu’il y est mené un dialogue politique visant directement à promouvoir la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit en Biélorussie.

67      Ainsi, si le requérant soutient que les mesures restrictives en cause constituent une atteinte à sa liberté d’aller et venir, force est de constater que de telles restrictions ont pu légalement être apportées à son droit à la liberté de circulation et de séjour dans l’Union, étant donné que, en l’espèce, elles respectent le principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2016, Alsharghawi/Conseil, T‑485/15, non publié, EU:T:2016:520, point 92).

68      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments du requérant.

69      En premier lieu, quant à l’argument du requérant selon lequel les déclarations litigieuses constituent un « acte isolé », il convient de relever que le caractère prétendument « isolé » de ces déclarations ne saurait empêcher le Conseil d’adopter des mesures restrictives à l’encontre du requérant, dès lors que ni l’article 29 TUE, ni l’article 215 TFUE, ni les actes attaqués adoptés sur le fondement de ces dispositions ne font de distinction quant au caractère isolé ou répété des actes et/ou des activités incriminés ou encore quant à la nature des actes et/ou des activités des personnes physiques ou morales pouvant faire l’objet de mesures restrictives. En outre, ainsi qu’il a été relevé au point 50 ci-dessus, les déclarations litigieuses du requérant, proférées dans le contexte spécifique décrit aux points 48 et 49 ci-dessus, témoignent indubitablement de son soutien au régime du président Lukashenko.

70      En deuxième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel le requérant n’aurait pas contribué à la répression de la société civile, il convient de relever que cet argument est inopérant, puisque, ainsi qu’il a été relevé au point 52 ci-dessus, le Conseil n’a pas, dans les actes attaqués, reproché au requérant d’être responsable de la répression de la société civile.

71      En troisième lieu, s’agissant des arguments du requérant selon lesquels les mesures restrictives adoptées à son encontre par les actes attaqués l’empêcheraient d’exercer ses fonctions de membre de la délégation de l’Assemblée nationale pour les contacts avec l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ainsi que de s’imprégner et de prendre connaissance des valeurs démocratiques européennes, il convient de relever que, comme il résulte du point 66 ci-dessus, il n’est pas exclu que le requérant puisse se rendre dans les États membres pour assister, par exemple, à des réunions visant directement à promouvoir la démocratie, les droits de l’homme et l’État de droit en Biélorussie.

72      En quatrième lieu, pour autant que le requérant soutient que le Conseil ne saurait le sanctionner en sa qualité de membre d’organes collectifs, il convient de rappeler que, comme il résulte du point 26 ci-dessus, le nom du requérant a été inscrit sur les listes en cause en raison de ses fonctions précises au sein du Parlement biélorusse ainsi que de ses déclarations publiques et du fait qu’il soutenait ainsi le régime du président Lukashenko, et non, comme il le soutient, uniquement à cause de son statut de parlementaire.

73      Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter le troisième moyen comme non fondé et, partant, le recours dans sa totalité.

 Sur les dépens

74      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

75      En l’espèce, le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Aleh Haidukevich est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.

Svenningsen

Laitenberger

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 mai 2023.

Le greffier faisant fonction

 

Le président

T. Henze

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.