Language of document : ECLI:EU:T:2021:663

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

6 octobre 2021 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne verbale PORTWO GIN – Appellation d’origine antérieure “Porto” – Notions d’utilisation et d’exploitation d’une appellation d’origine protégée – Article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement (UE) no 1308/2013 »

Dans l’affaire T‑417/20,

Joaquim José Esteves Lopes Granja, demeurant à Vila Nova de Gaia (Portugal), représenté par Me O. Santos Costa, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Gája, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto, IP (IVDP), établi à Peso da Régua (Portugal), représenté par Me P. Sousa e Silva, avocat,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO du 21 avril 2020 (affaire R 993/2019-2), relative à une procédure d’opposition entre Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto, IP et Joaquim Jósé Esteves Lopes Granja,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de M. D. Spielmann, président, Mme O. Spineanu‑Matei et M. R. Mastroianni (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 3 juillet 2020,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 1er décembre 2020,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 12 novembre 2020,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 31 janvier 2017, le requérant, Joaquim Jósé Esteves Lopes Granja a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal PORTWO GIN.

3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 33 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Spiritueux ».

4        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques de l’Union européenne no 024/2017, du 6 février 2017.

5        Le 19 avril 2017, l’intervenante, Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto, a formé une opposition contre l’enregistrement de la demande de marque publiée pour les produits visés au point 3.

6        Le motif invoqué dans l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 4, sous a) du règlement no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 6, du règlement 2017/1001].

7        L’opposition était fondée sur les appellations d’origine protégée (AOP) « Porto » et « Port » sur le territoire du Portugal. L’intervenante a soutenu que l’utilisation de la marque demandée pouvait être interdite en vertu de la loi portugaise concernant la protection des appellations d’origine, de l’article 103, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) no 922/72, (CEE) no 234/79, (CE) no 1037/2001 et no 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 671) et des articles 22 et 23 de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), figurant à l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la Décision du Conseil du 22 décembre 1994 relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de l’Uruguay (1986-1994) (JO 1994, L 336, p. 1).

8        Par décision du 16 avril 2019, la division d’opposition a rejeté l’opposition dans son intégralité, estimant que les conditions de l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 n’étaient pas remplies et que, par conséquent, l’opposition en vertu de l’article 8, paragraphe 6, du règlement 2017/1001 n’était pas fondée.

9        Le 8 mai 2019, l’intervenante a formé un recours contre la décision de la division d’opposition, demandant que celle-ci soit annulée dans son intégralité.

10      Par décision du 21 avril 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours a fait droit au recours, annulé la décision de la division d’opposition et rejeté la marque demandée dans son intégralité.

11      Après avoir exclu l’application de l’article 103, paragraphe 2, sous a), i) et sous b), du règlement no 1308/2013, la chambre de recours a analysé si la marque demandée exploitait l’AOP « Porto » au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du même règlement.

12      En premier lieu, la chambre de recours a indiqué que l’AOP « Porto », en tant que l’un des vins les plus fins et prestigieux au monde, jouissait d’une réputation au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013.

13      En deuxième lieu, la chambre de recours a considéré que, la notion d’utilisation visée à l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013 exigeait que la marque demandée utilise l’AOP elle-même, selon la forme sous laquelle cette dénomination a été enregistrée ou, à tout le moins, sous une forme présentant des liens tellement étroits avec celle-ci, d’un point de vue visuel ou phonétique, que ladite marque ne puisse manifestement pas être dissociée de l’AOP.

14      En troisième lieu, la chambre de recours a indiqué que la marque demandée et l’AOP « Porto » étaient très similaires sur les plans visuel et phonétique. S’agissant de l’aspect visuel, elle a relevé que les quatre premières lettres de ladite marque étaient identiques aux quatre premières lettres de ladite AOP, que la partie initiale des signes était généralement celle qui attirait en premier l’attention du consommateur, que le mot additionnel « gin » de cette marque était totalement descriptif en ce qui concerne les produits en cause et qu’une partie significative du public concerné pouvait percevoir la présence de la lettre « w » comme une faute d’orthographe. S’agissant de l’aspect phonétique, elle a considéré que, tout au moins en français, la sonorité de l’élément initial de la marque en question était identique au son de cette AOP. Elle a indiqué que ledit mot additionnel était totalement descriptif desdits produits et ne serait probablement pas prononcé par le consommateur concerné. Elle a considéré, en outre, que les consommateurs concernés ne scindaient pas cet élément initial en deux parties « port » et « wo » ou « por » et « two ».

15      En quatrième lieu, la chambre de recours a considéré qu’il était probable que le consommateur concerné associerait la marque demandée à l’AOP « Porto ». En effet, selon elle, ladite marque et ladite AOP étaient fortement similaires, les produits en cause étaient similaires et destinés aux mêmes consommateurs et cette AOP jouissait d’une réputation exceptionnelle.

16      En cinquième lieu, la chambre de recours a indiqué que l’utilisation de la marque demandée était de nature à porter atteinte aux préférences des consommateurs en les incitant à croire que les spiritueux du demandeur respectaient les exigences strictes et les normes de qualité de l’AOP « Porto », qui jouissait d’une énorme réputation et appréciation auprès des consommateurs de l’Union européenne, pour ses qualités et caractéristiques. Dès lors, selon elle, l’usage de ladite marque, contenant l’élément initial « portwo », en relation avec les spiritueux était susceptible d’en tirer indûment profit et, de ce fait, d’exploiter la réputation exceptionnelle dont les vins de ladite AOP jouissaient auprès des consommateurs de l’Union.

17      Enfin, la chambre de recours a conclu que la marque demandée faisait un usage direct de l’AOP « Porto », et que son usage pour les produits en cause était susceptible d’exploiter la réputation de ladite AOP au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), sous ii), du règlement no 1308/2013.

 Conclusions des parties

18      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        faire droit au recours dans son intégralité ;

–        annuler la décision attaquée et accorder l’enregistrement de la marque demandée ;

–        condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens.

19      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

20      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        en substance, rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens y compris ceux afférents à la procédure devant l’EUIPO et devant la chambre de recours.

 En droit

21      Il y a lieu de constater que, compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 31 janvier 2017, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis notamment par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2014, Bimbo/OHMI, C‑591/12 P, EU:C:2014:305, point 12, et du 18 juin 2020, Primart/EUIPO, C‑702/18 P, EU:C:2020:489, point 2 et jurisprudence citée). Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites à l’article 8, paragraphe 6, du règlement 2017/1001 par la chambre de recours dans la décision attaquée et par les parties dans leurs écritures comme visant l’article 8, paragraphe 4 bis, du règlement no 207/2009, tel que modifié.

22      Le requérant invoque en substance un moyen unique, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 4 bis, du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec l’article 103, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1308/2013 en ce que la chambre de recours aurait, à tort conclu que la marque demandée a fait usage de l’AOP « Porto », et a, par conséquent, exploité sa réputation.

 Observations liminaires

23      Il convient de rappeler que, conformément à l’article 8, paragraphe 4 bis, du règlement no 207/2009, sur opposition de toute personne autorisée en vertu de la législation applicable à exercer les droits qui découlent d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique, la marque demandée est refusée à l’enregistrement, lorsque et dans la mesure où, en application de la législation de l’Union ou du droit national qui prévoient la protection des appellations d’origine ou des indications géographiques : d’une part, une demande d’appellation d’origine ou d’indication géographique avait déjà été introduite, conformément à la législation de l’Union ou au droit national, avant la date de dépôt de la marque de l’Union européenne ou avant la date de la priorité invoquée à l’appui de la demande, sous réserve d’un enregistrement ultérieur et, d’autre part, cette appellation d’origine ou cette indication géographique confère le droit d’interdire l’usage d’une marque postérieure.

24      L’article 8, paragraphe 4 bis, du règlement no 207/2009, doit être lu au regard des dispositions pertinentes du droit de l’Union en matière de détermination et de protection des indications géographiques en ce qui concerne les produits vitivinicoles. Par conséquent, ainsi que l’a relevé à juste titre la chambre de recours, au point 16 de la décision attaquée, il y a lieu de se référer aux AOP et aux indications géographiques protégées (IGP) enregistrées conformément au règlement no 1308/2013.

25      En l’espèce, il n’est pas contesté que, comme l’a relevé la chambre de recours, aux points 17 et 18 de la décision attaquée, les termes « porto » et « port » constituent des appellations d’origine protégées dans l’Union par le règlement no 1308/2013 pour le vin et que l’intervenante est autorisée à exercer les droits découlant desdites AOP en vertu du droit portugais.

26      L’article 102, paragraphe 1, du règlement no 1308/2013 régit le lien entre les AOP et les marques commerciales comme suit :

« L’enregistrement d’une marque commerciale contenant ou consistant en une [AOP] ou une [IGP] qui n’est pas conforme au cahier des charges du produit concerné ou dont l’utilisation relève de l’article 103, paragraphe 2, et concernant un produit relevant d’une des catégories répertoriées à l’annexe VII, partie II, est :

a)      refusé si la demande d’enregistrement de la marque commerciale est présentée après la date de dépôt auprès de la Commission de la demande de protection de l’appellation d’origine ou de l’indication géographique et que cette demande aboutit à la protection de l’appellation d’origine ou de l’indication géographique ; ou

b)      annulé. »

27      L’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 est libellé comme suit :

« Une [AOP] et une [IGP], ainsi que le vin qui fait usage de cette dénomination protégée en respectant le cahier des charges correspondant, sont protégés contre :

a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte de cette dénomination protégée :

i) pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée ; ou

ii)      dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d’une appellation d’origine ou indication géographique ;

b)      toute usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit ou du service est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite, transcrite, translittérée ou accompagnée d’une expression telle que “genre”, “type”, “méthode”, “façon”, “imitation”, “goût”, “manière” ou d’une expression similaire.

[…] »

28      S’agissant de l’application du règlement no 1308/2013, il convient de rappeler, ainsi qu’il a été indiqué au point 11 ci-dessus, que la chambre de recours a fait exclusivement application de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013 tout en excluant expressément l’application de l’article 103, paragraphe 2, sous a), i) et de l’article 103, paragraphe 2, sous b), du même règlement.

29      Par conséquent, les arguments du requérant tirés de l’absence de caractère comparable des produits en cause au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), i) du règlement no 1308/2013 et des notions d’usurpation, imitation et évocation au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous b), du même règlement sont inopérants en l’espèce.

 Sur la violation de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, lu en combinaison avec l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013

30      Le requérant ne conteste pas la réputation de l’AOP « Porto ». Il soutient, toutefois, que la chambre de recours a conclu à tort, premièrement, qu’il existait une similitude entre les signes en cause, deuxièmement, qu’il y avait un risque d’association entre la marque demandée et ladite AOP et, troisièmement, que l’usage de ladite marque pour les produits en cause était susceptible d’exploiter la réputation de cette AOP.

31      Il convient de relever, d’une part, que le champ d’application de la protection prévue à l’article 103, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1308/2013 est particulièrement large en ce que ces dispositions visent toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une AOP ou d’une IGP et protègent celles-ci contre une telle utilisation tant pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée que pour des produits non comparables dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation de cette AOP ou de cette IGP. L’étendue de cette protection répond à l’objectif, confirmé au considérant 97 dudit règlement, de protéger les AOP et les IGP contre toute utilisation visant à profiter de la réputation associée aux produits répondant aux exigences correspondantes (arrêt du 20 décembre 2017, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑393/16, EU:C:2017:991, point 31).

32      D’autre part, dès lors que les dispositions en matière de protection des appellations d’origine et des indications géographiques contenues dans les différents règlements sectoriels sont rédigées en des termes largement identiques, la Cour reconnaît aux principes dégagés dans le cadre de l’interprétation de chaque régime de protection une application transversale (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑393/16, EU:C:2017:991, point 32).

33      S’agissant de l’interprétation de l’article 16, sous a), du règlement (CE) no 110/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2008, concernant la définition, la désignation, la présentation, l’étiquetage et la protection des indications géographiques des boissons spiritueuses et abrogeant le règlement (CEE) no 1576/89 du Conseil (JO 2008, L 39, p. 16), dont les termes et la finalité sont analogues à ceux de l’article 103, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1308/2013, la Cour a jugé que l’emploi du terme « utilisation », à cette disposition, exigeait, par définition, que le signe litigieux fasse usage de l’indication géographique elle-même, sous la forme dans laquelle cette dernière avait été enregistrée ou, à tout le moins, sous une forme présentant des liens tellement étroits avec celle-ci, d’un point de vue phonétique et/ou visuel, que le signe litigieux en est à l’évidence indissociable (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C‑44/17, EU:C:2018:415, point 29).

34      Selon la jurisprudence de la Cour, l’usage d’une marque contenant une indication géographique, ou un terme correspondant à cette indication et sa traduction, pour des boissons spiritueuses ne répondant pas aux spécifications correspondantes constitue en principe une utilisation commerciale directe de cette indication géographique, au sens de l’article 16, sous a), du règlement no 110/2008 (arrêts du 14 juillet 2011, Bureau national interprofessionnel du Cognac, C‑4/10 et C‑27/10, EU:C:2011:484, point 55, et du 20 décembre 2017, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑393/16, EU:C:2017:991, point 34).

35      Partant, les situations pouvant être couvertes par l’article 103, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1308/2013 doivent répondre à l’exigence d’un usage, par le signe litigieux, d’une AOP ou d’une IGP identique ou, à tout le moins, fortement similaire, d’un point de vue phonétique et/ou visuel (voir, par analogie, arrêt du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C‑44/17, EU:C:2018:415, point 31).

36      En ce qui concerne le contexte dans lequel s’inscrit l’article 103, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1308/2013, il convient de constater que le champ d’application de cette disposition doit nécessairement se distinguer de celui afférent aux autres règles de protection des AOP ou des IGP figurant à cet article, sous b) à d). Ladite disposition doit, en particulier, être différenciée de la situation couverte par le sous b) dudit article, lequel vise « toute usurpation, imitation ou évocation », c’est-à-dire des situations dans lesquelles le signe litigieux n’emploie pas l’AOP ou l’IGP en tant que telle, mais la suggère d’une manière telle que le consommateur est amené à établir un lien suffisant de proximité entre ce signe et l’AOP ou l’IGP (voir, par analogie, arrêt du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C‑44/17, EU:C:2018:415, point 33).

37      Enfin, il convient de souligner que les dispositions du règlement no 1308/2013 et, en particulier, celles de son article 103 de celui-ci ont vocation à empêcher qu’il soit fait un usage abusif des AOP ou des IGP, et ce non seulement dans l’intérêt des acheteurs, mais aussi dans l’intérêt des producteurs qui ont consenti des efforts pour garantir les qualités attendues des produits portant légalement de telles AOP ou IGP (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2017, EUIPO/Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto, C‑56/16 P, EU:C:2017:693, point 82, et du 20 décembre 2017, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑393/16, EU:C:2017:991, point 38). Dans ce cadre, le sous a) de cet article interdit plus spécifiquement que des opérateurs utilisent à des fins commerciales, pour des produits non couverts par l’enregistrement, une AOP ou une IGP, notamment dans le but de profiter indûment de cette AOP ou IGP (voir, par analogie, arrêt du 7 juin 2018, Scotch Whisky Association, C‑44/17, EU:C:2018:415, point 38).

38      En l’espèce, il convient de vérifier, en premier lieu si, c’est à juste titre que la chambre de recours a constaté une utilisation, au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii) du règlement no 1308/2013, de l’AOP « Porto » par la marque demandée. En deuxième lieu, il convient de vérifier si c’est sans commettre d’erreur que ladite chambre a jugé que le public pertinent, qui est constitué du consommateur moyen de vins dans l’Union, associerait cette marque à ladite AOP. Enfin, en troisième lieu, il convient de vérifier si cette chambre a correctement conclu que ladite marque était susceptible de tirer indûment profit et, de ce fait, d’exploiter la réputation dont jouit cette AOP auprès dudit public.

 Sur l’utilisation de l’AOP « Porto »

39      Le requérant fait valoir que les signes en cause ne présentent aucune similitude. Selon lui, la marque demandée n’utilise pas l’AOP « Porto » en ce que l’élément initial « portwo » de ladite marque est un terme fantaisiste qui ne reproduit même pas la totalité de ladite AOP. En outre il considère que le mot additionnel « gin » de cette marque est l’élément le plus significatif et distinctif, qui attire immédiatement l’attention du public pertinent et qui identifie clairement un produit manifestement différent du vin. De plus ledit élément initial et ce mot additionnel seraient compris par ce public comme étant une seule unité logique et conceptuelle.

40      En l’espèce, il convient de relever, s’agissant de l’aspect visuel, que la chambre de recours a, aux points 43 et 44 de la décision attaquée, relevé, à juste titre, que les quatre premières lettres de la marque demandée étaient identiques aux quatre premières lettres de l’AOP « Porto ». Elle a, en outre, correctement indiqué que la partie initiale desdits signes était généralement celle qui attirait en premier l’attention du consommateur. De plus, elle a considéré qu’il ne pouvait pas être exclu qu’une partie significative du public concerné pourrait percevoir la présence de la lettre « w » comme une faute d’orthographe.

41      S’agissant de l’aspect phonétique, la chambre de recours a considéré, à bon droit, que, tout au moins en français, la sonorité de l’élément initial de la marque demandée était identique au son de l’AOP « Porto ».

42      En ce qui concerne le mot additionnel « gin », contrairement à ce que fait valoir le requérant, la chambre de recours a, à juste titre, considéré qu’il était descriptif des produits visés par la marque demandée. En effet, ainsi que le soutient l’EUIPO, puisque ladite marque couvre des spiritueuxrelevant de la classe 33, ce mot additionnel est dépourvu de caractère distinctif et joue un rôle très limité dans l’analyse de cette marque. L’élément le plus distinctif est, en revanche, l’élément initial « portwo » de la même marque.

43      Il convient, en outre, de souligner que l’ajout d’un mot à l’élément litigieux ne peut pas modifier la conclusion relative à l’usage d’une AOP antérieure dans la marque demandée (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑393/16, EU:C:2017:991, point 35).

44      Il s’ensuit que les conditions permettant de conclure à l’« utilisation » de l’AOP « Porto » dans la marque demandée sont remplies en ce que, conformément à la jurisprudence, il existe des liens tellement étroits entre les signes d’un point de vue phonétique et visuel que le signe dont l’enregistrement est contesté est à l’évidence indissociable de l’AOP antérieure.

 Sur l’association entre la marque demandée et l’AOP « Porto »

45      Le requérant soutient qu’il ne peut y avoir d’association entre la marque demandée et l’AOP « Porto ». Selon lui, le mot additionnel« gin » dans ladite marque fait référence à un produit différent du vin. Bien que les lettres « p », « o », « r » et « t » fassent partie intégrante de la marque en cause, le consommateur moyen ne pourrait pas, face à un gin portant cette marque, l’associer à un vin de Porto bénéficiant de l’AOP en question. Cette appréciation serait confirmée par les différences non négligeables entre les caractéristiques respectives d’un vin de Porto et d’un gin, notamment en termes d’ingrédients, de teneur en alcool et de saveur, qui seraient bien connues du consommateur moyen.

46      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’incorporation dans une marque d’une dénomination protégée au titre du règlement no 1308/2013, telle que l’appellation d’origine « Porto », ne saurait être considérée comme étant de nature à exploiter la réputation de cette appellation d’origine, au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), dudit règlement, lorsque cette incorporation ne conduit pas le public pertinent à associer cette marque ou les produits pour lesquels celle-ci est enregistrée avec l’appellation d’origine concernée ou le produit vitivinicole pour lequel celle-ci est protégée (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2017, EUIPO/Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto, C‑56/16 P, EU:C:2017:693, point 115).

47      En l’espèce, il y a lieu de relever que, entre les spiritueux de la classe 33 et les vins de Porto, il existe un certain degré de proximité, étant donné que ce sont des boissons alcoolisées, qu’ils sont destinés au même type de public, qu’ils sont consommés dans les mêmes occasions et qu’ils partagent les mêmes canaux de distribution et de vente.

48      Par conséquent, à la lumière des fortes similitudes entre la marque demandée et l’AOP « Porto », du degré de proximité des produits en cause et de la réputation exceptionnelle de ladite AOP, que, par ailleurs, n’est pas contestée par le requérant, c’est sans commettre d’erreur que la chambre de recours a conclu qu’il était probable que le consommateur concerné associerait ladite marque et cette AOP.

 Sur l’exploitation de la réputation de l’AOP « Porto »

49      Le requérant fait valoir que, compte tenu de ses arguments relatifs à l’utilisation de l’AOP « Porto » et de l’absence de similitude entre les signes en cause ou de toute association entre la marque demandée et ladite AOP, il ne peut manifestement être conclu que ladite marque exploite cette AOP. Une AOP aurait pour seule fonction juridique de garantir que les consommateurs soient informés du fait que l’origine d’un produit particulier soit celle indiquée sur ce produit. Le requérant soutient que l’intention ne peut être de monopoliser le nom d’une ville, comme c’est le cas en l’espèce, étant donné que l’appellation d’origine en cause en l’espèce – « Porto » – utilise le nom de la deuxième ville du Portugal et correspond exactement à ce nom.

50      Selon la jurisprudence, l’exploitation de la réputation d’une AOP, au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013, suppose une utilisation de cette AOP visant à profiter indûment de la réputation de celle-ci (arrêt du 20 décembre 2017, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑393/16, EU:C:2017:991, point 40).

51      En l’espèce, la chambre de recours a, au point 53 de la décision attaquée, à juste titre, relevé que l’utilisation de la marque demandée pour les spiritueux compris dans la classe 33 était de nature à porter atteinte aux préférences des consommateurs en les incitant à croire que lesdits spiritueux respectaient les exigences strictes et les normes de qualité de l’AOP « Porto », qui, ce qui n’est pas contesté par le requérant, jouissait d’une réputation exceptionnelle et d’une appréciation auprès du public pertinent, pour ses qualités et ses caractéristiques.

52      En effet, il y a lieu de relever que l’image particulière et les qualités distinctives que possède, aux yeux du public pertinent, l’AOP « Porto » pour les vins sont transférables aux produits couverts par la marque demandée. Il convient de constater, à l’instar de l’EUIPO, que le titulaire d’une marque de l’Union européenne pour du gin qui utilise dans cette marque une AOP jouissant d’une réputation et d’une reconnaissance exceptionnelles auprès du public pertinent pour du vin en tire indument profit, s’il utilise cette AOP comme élément le plus distinctif et dominant de sa marque.

53      Il s’ensuit que c’est à bon droit que la chambre de recours a conclu que la marque demandée exploiterait la réputation de l’AOP « Porto » au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), sous ii), du règlement no 1308/2013.

54      Compte tenu de ce qui précède, le moyen unique doit être déclaré non fondé dans son intégralité et le présent recours, qui s’appuie sur ce moyen unique, doit lui-même être rejeté, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par l’EUIPO, tirée de l’irrecevabilité de la seconde partie du deuxième chef de conclusions du requérant, tendant à ce que le Tribunal accorde l’enregistrement de la marque demandée.

 Sur les dépens

55      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents à la présente procédure, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante. Par ailleurs, s’agissant des dépens exposés par l’intervenante dans la procédure d’opposition et devant la chambre de recours, il suffit de relever que, étant donné que le présent arrêt rejette le recours dirigé contre la décision attaquée, c’est le dispositif de celle-ci qui continue à régler ces dépens [voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2019, Lotte/EUIPO – Générale Biscuit-Glico France (PEPERO original), T‑459/18, non publié, EU:T:2019:119, point 194].

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Joaquim José Esteves Lopes Granja est condamné aux dépens.

Spielmann

Spineanu-Matei

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 octobre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.