Language of document : ECLI:EU:T:2019:879

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

19 décembre 2019 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne verbale CINKCIARZ – Motifs absolus de refus – Caractère distinctif – Absence de caractère descriptif – Article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement (UE) 2017/1001] – Terme péjoratif ayant un lien avec les produits ou les services en cause »

Dans l’affaire T‑501/18,

Currency One S.A., établie à Poznań (Pologne), représentée par Mes P. Szmidt et B. Jóźwiak, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme D. Walicka, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Cinkciarz.pl sp. z o.o., établie à Zielona Góra (Pologne), représentée par Mes E. Skrzydło-Tefelska et K. Gajek, avocats,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 18 juin 2018 (affaire R 2598/2017‑5), relative à une procédure de nullité entre Currency One et Cinkciarz.pl,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. P. Nihoul, faisant fonction de président, J. Svenningsen (rapporteur) et U. Öberg, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 22 août 2018,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 31 octobre 2018,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 30 octobre 2018,

à la suite de l’audience du 7 mai 2019,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 26 janvier 2015, l’intervenante, Cinkciarz.pl sp. z o.o., a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal CINKCIARZ.

3        Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent des classes 9, 36 et 41 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent notamment à la description suivante :

–        classe 9 : « Logiciels ; logiciels de jeux ; programmes d’ordinateurs enregistrés ; programmes informatiques chargeables ; applications informatiques téléchargeables ; programmes de traitement de données ; programmes informatiques multimédias interactifs ; publications sous forme électronique téléchargeables à partir d[’I]nternet ; matériel et accessoires informatiques supports de données (magnétiques et optiques) ; appareils pour l’enregistrement, la transmission ou la reproduction de sons ou d’images ; lunettes de soleil » ;

–        classe 36 : « Affaires bancaires ; opérations de change ; services de bureaux de change ; service d’information concernant les taux de change ; mise à disposition de devises étrangères ; négociation de devises ; services d’opérations de change en temps réel et en ligne ; informations financières sous forme de taux de change ; établissement du taux de change de devises ; prévision de taux de change ; marché des changes ; services financiers informatisés en matière d’opérations de change ; préparation et cotation d’informations sur les taux de change ; services relatifs aux swaps de taux de change ; service d’information concernant l’évaluation de taux de change ; services d’agences en matière de change de devises ; services de conseils en matière de change de devises ; services de bases de données financières en matière de change de devises ; change et transfert d’argent ; mise à disposition de listes de taux de change ; bureaux de change ; services de commande d’argent, de chèques et d’argent liquide ; transfert électronique de fonds par voie de télécommunications ; services de paiement automatisé ; services de transfert d’argent ; services de paiement électronique ; services d’agents immobiliers ; agences de recouvrement de créances ; analyse financière ; banque directe [home-banking] ; informations financières ; affaires bancaires ; opérations bancaires hypothécaires ; bureaux d’information en matière de crédit ; recouvrement de loyers ; consultation en matière financière ; consultation en matière d’assurances ; gestion financière ; estimations financières en assurances, banques et en ce qui concerne l’immobilier ; consultation en matière financière ; informations financières ; affaires bancaires ; services financiers ; constitution de fonds d’investissement ; services de fonds d’assurance ; cotations boursières ; courtage en Bourse ; garanties en tant que cautions ; informations en matière d’assurances ; informations financières ; placements de fonds ; placement de capitaux ; transfert électronique de fonds ; services liés aux cartes de crédit et de débit ; services de cartes de débits et de cartes de crédits ; émission de cartes de crédit et de débit ; courtage en assurances ; services de courtage en bourse ; cotations boursières ; services d’expertises fiscales ; courtage en bourse ; courtage en assurances ; prêts financiers ; services bancaires ; assurances ; opérations de change ; gestion financière ; gérance de biens immobiliers ; gestion d’actifs » ;

–        classe 41 : « Publication de textes autres que textes publicitaires ; publications électroniques en ligne de matériels non téléchargeables ; publication de matériel accessible via des bases de données ou Internet ; services de jeux électroniques et de concours fournis par le biais d’Internet ; services de renseignements concernant l’éducation fournis en ligne à partir d’une base de données informatique ou d’Internet ; éducation (enseignement) ; éducation (informations en matière d’-) ; services de studios de cinéma ; photographie ; reportages photographiques ; fourniture de jeux d’arcade récréatifs ; services en matière de jeux fournis en ligne ; jeux d’argent ; services de clubs (divertissement ou éducation) ; micro-édition ; démonstrations de formation pratique ; organisation et conduite d’ateliers et de formation ; organisation et conduite de concerts ; organisation et conduite de conférences ; organisation et conduite de congrès ; organisation et conduite de séminaires ; organisation et conduite de symposiums ; organisation et conduite de colloques ; organisation de concours (éducation ou divertissement) ; publication électronique de livres et de périodiques en ligne ; mise à disposition de publications électroniques en ligne non téléchargeables ; publication de livres ; publication de textes autres que textes publicitaires ».

4        La marque contestée a été enregistrée le 15 juin 2015 sous le numéro 13678991 notamment pour les produits et les services visés au point 3 ci-dessus.

5        Le 22 décembre 2015, la requérante, Currency One S.A., a présenté une demande de nullité de la marque contestée, en vertu de l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001], pour tous les produits et les services visés au point 3 ci-dessus, fondée , d’une part, sur l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001, dont le libellé est identique et auquel il sera fait référence ci-après], au motif que le signe composant ladite marque serait descriptif desdits produits et services, et, d’autre part, sur l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, dont le libellé est identique et auquel il sera fait référence ci-après], au motif que ladite marque serait dépourvue de caractère distinctif.

6        Ladite demande en nullité a été rejetée par décision de la division d’annulation du 6 octobre 2017.

7        Le 5 décembre 2017, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001.

8        Par décision du 18 juin 2018 (ci-après la « décision attaquée »), la cinquième chambre de recours a rejeté le recours.

9        S’agissant, d’une part, du motif visé à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001, elle a considéré qu’aucune acception du terme « cinkciarz » n’était descriptive des produits ou des services en cause ou d’une caractéristique essentielle de ceux-ci. En particulier, elle a considéré que ce terme, qui, à l’origine, sous la République populaire de Pologne, désignait les personnes qui se livraient au commerce illégal de devises étrangères, ne comporte, dans son acception actuelle se rapportant à une activité de change de devises, que des connotations négatives, à l’exclusion d’une désignation neutre d’une telle activité. Partant, ledit terme constituerait une appellation de fantaisie, certes suggestive ou allusive, mais qui, de ce fait même, ne serait qu’indirectement descriptive de cette activité et ne pourrait orienter les consommateurs vers les caractéristiques de services en rapport avec ladite activité que par une association mentale. S’agissant, d’autre part, du motif visé à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, la chambre de recours a considéré que le signe CINKCIARZ est perçu par le public pertinent comme une appellation originale, fallacieuse ou ironique et, de ce fait même, surprenante, propre à indiquer l’origine commerciale des services en rapport avec l’activité de change de devises. Enfin, elle a estimé que lesdites appréciations valaient a fortiori pour les autres produits ou services en cause.

 Conclusions des parties

10      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens, y compris les dépens afférents à la procédure devant la chambre de recours.

11      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

12      La requérante présente trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001 en ce qui concerne les services de change de devises, le deuxième, de la violation de cette même disposition et de l’obligation de motivation en ce qui concerne les autres produits et services en cause et, le troisième, de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), dudit règlement.

13      À titre liminaire, il convient de rappeler, d’une part, que, conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci.

14      Pour qu’un signe puisse être considéré comme descriptif et, dès lors, tombe sous le coup de l’interdiction prévue à cette disposition, il faut qu’il présente avec les produits ou les services en cause un rapport suffisamment direct et concret de nature à permettre au public pertinent de percevoir immédiatement, et sans autre réflexion, une description des produits et des services en cause ou d’une de leurs caractéristiques [voir arrêt du 12 janvier 2005, Deutsche Post EURO EXPRESS/OHMI (EUROPREMIUM), T‑334/03, EU:T:2005:4, point 25 et jurisprudence citée].

15      D’autre part, conformément à l’article 7, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, les marques dépourvues de caractère distinctif sont refusées à l’enregistrement.

16      Le caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 signifie que cette marque permet d’identifier le produit ou le service pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit ou ce service de ceux d’autres entreprises (voir arrêt du 21 janvier 2010, Audi/OHMI, C‑398/08 P, EU:C:2010:29, point 33 et jurisprudence citée).

17      Un signe peut être identifié comme provenant d’une entreprise déterminée et ainsi posséder un caractère distinctif lorsqu’il nécessite un effort d’interprétation de la part du public pertinent et présente une certaine originalité et prégnance qui le rendent facilement mémorisable (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2010, Audi/OHMI, C‑398/08 P, EU:C:2010:29, point 59).

18      Il découle de ces considérations liminaires que, afin d’apprécier le bien-fondé des moyens présentés par la requérante, il est nécessaire de déterminer au préalable la signification du terme polonais « cinkciarz », laquelle doit être établie par rapport à la compréhension qu’en a le public pertinent [voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2008, Lancôme/OHMI – CMS Hasche Sigle (COLOR EDITION), T‑160/07, EU:T:2008:261, point 44 et jurisprudence citée].

19      À cet égard, il résulte des pièces produites dans le cadre de la procédure administrative que le terme « cinkciarz » visait une personne qui exerçait clandestinement une activité illégale de change de devises lorsque, à l’époque de la République populaire de Pologne ou immédiatement après celle-ci, cette activité faisait l’objet d’un monopole d’État. Une connotation négative était attachée à ce terme relatif à une activité considérée comme un trafic et exercée par des personnes douteuses. L’exercice de l’activité de change de devises par des personnes de droit privé ayant été légalisé en 1989, cette activité a désormais pu être exercée ouvertement par des bureaux de change, qui, du fait de leur caractère légitime, ont été distingués des personnes visées par ledit terme. À partir de ce moment, ce dernier semble avoir acquis une connotation essentiellement historique, désignant les personnes qui exerçaient jusqu’en 1989 une activité illégale et clandestine de change de devises.

20      Compte tenu du fait que le contexte qui est à l’origine du terme « cinkciarz » n’a pris fin qu’en 1989 et de la notoriété de la figure historique des personnes visées par ledit terme dans la culture polonaise, telle qu’attestée notamment par divers titres d’articles se référant à cette figure (annexes E.20, E.24 à E.26), mais également par des publications récentes sur le sujet (annexes E.19, E.21, E.36 à E.41), il y a lieu de considérer que, au moment de l’introduction de la demande d’enregistrement de la marque contestée, le 26 janvier 2015, la majeure partie du public pertinent connaissait la signification historique de ce terme.

21      En constatant au point 10 de la requête, à propos du terme « cinkciarz », que ce « métier [...] n’est pas officiellement reconnu » ou que « son heure de gloire est révolue », la requérante admet implicitement que ledit terme désigne essentiellement une personne pratiquant clandestinement le change de devises à l’époque de la République populaire de Pologne. Par ailleurs, elle admet explicitement, au point 11 de la requête, que ce terme est principalement employé dans les publications pour désigner une telle personne. Elle affirme toutefois, aux deux mêmes points de la requête, que le « métier » consistant à se livrer au « commerce clandestin de devises » n’a pas disparu et qu’une personne se livrant actuellement à une telle activité peut toujours être désignée par le terme « cinkciarz », tout en concédant, au point 12 de la requête, que ce terme a une connotation négative et est employé de façon critique et principalement péjorative.

22      Ces affirmations sont corroborées par certains éléments de preuve produits dans le cadre de la procédure administrative.

23      À cet égard, les définitions extraites de dictionnaires (annexes E.1 à E.15) sont ambiguës. En effet, si elles mentionnent toutes que le substantif « cinkciarz » est un terme familier désignant un trafiquant de devises, les citations paraissent correspondre à l’acception historique de ce terme. Cependant, certains articles publiés sur Internet attestent que ce terme a continué d’être employé et compris pour désigner une personne se livrant actuellement au change de devises effectué d’une manière clandestine et frauduleuse, et de ce fait illégale, à la manière des « cinkciarz » ayant existé à l’époque de la République populaire de Pologne (annexes E.32 et E.33) et, par connexité, à une activité quelconque ayant un caractère frauduleux, irrégulier ou malhonnête, ou considérée comme telle (annexe E.31).

24      Toutefois, en énonçant, au point 10 de la requête, que le terme « cinkciarz » peut également désigner « un opérateur fournissant » des « services de change de devises en dehors du circuit officiel » et, au point 25 de la requête, que ce terme « est communément utilisé dans le contexte de la fourniture de services relatifs au change de devises en dehors du circuit officiel par de multiples opérateurs », ajoutant, au point 24 de la requête, que ledit terme « sert, dans des conditions normales, à présenter les produits ou les services » en cause, la requérante semble sous-entendre que le terme « cinkciarz » peut également être employé de façon neutre, c’est-à-dire dépourvue de connotation négative ou péjorative, pour désigner une personne physique ou morale exerçant une activité de change de devises. La requête ne contient cependant aucun renvoi aux pièces produites dans le cadre de la procédure administrative.

25      Interrogée sur ce point à l’audience, la requérante a indiqué que cette affirmation était étayée par les annexes E.29, E.30 et E.34.

26      Présentant ensuite l’article constituant l’annexe E.30, intitulé « C’est ainsi que les cinkciarz extorquent de l’argent aux voyageurs dans les aéroports », elle a toutefois concédé que cet article visait, de manière critique, une activité consistant en une escroquerie. S’agissant de l’article constituant l’annexe E.29, intitulé « Le gouvernement joue-t-il au cinkciarz ? », elle a seulement souligné que cet article démontrait l’emploi actuel du terme « cinkciarz », sans prétendre qu’il n’avait pas de portée critique.

27      En revanche, la requérante a soutenu, toujours à l’audience, que, dans l’article constituant l’annexe E.34, publié le 17 avril 2014 et intitulé « Les cinkciarz d’Internet. L’histoire de quatre gars qui ont “piqué” 20 milliards aux banques », le terme « cinkciarz » était employé pour désigner de multiples entités économiques différentes, dont la requérante et l’intervenante, ou pour désigner les « services de commerce de devises en dehors du circuit officiel ».

28      Il peut être inféré du contenu de ce dernier article que, par l’expression « entités économiques différentes », la requérante visait des entreprises qui exercent des activités de change de devises par un canal différent, à savoir sur Internet, et en se démarquant des banques en ce qui concerne les taux de change pratiqués. Il résulte dudit article que ces entreprises ont pris leur essor à la faveur d’une loi de 2011 qui a autorisé les emprunteurs ayant souscrit des emprunts libellés en francs suisses auprès de banques polonaises à rembourser les mensualités de ces emprunts avec des devises achetées en recourant à des opérateurs autres que ces banques. L’article en question faisait état de ce que la requérante et l’intervenante se partageaient la quasi-totalité du marché polonais de change de devises sur Internet à parts à peu près égales, une quarantaine d’autres entreprises étant également présentes, de façon très marginale, sur ce marché.

29      Toutefois, contrairement à ce que soutient la requérante, cet article n’établit pas que le terme « cinkciarz » soit employé pour désigner, de façon neutre, certaines entreprises fournissant des services de change de devises, à savoir celles qui sont actives sur Internet, ou pour désigner les services fournis par ces entreprises.

30      En effet, l’article en question traite essentiellement de deux entreprises, dont l’intervenante, dont la dénomination est mentionnée à plusieurs reprises. Dans ce contexte, la présence du terme « cinkciarz » dans le titre et dans un passage de cet article ne saurait être prise en considération en faisant abstraction de la dénomination de l’intervenante. En outre, ainsi qu’il découle du titre dudit article, l’emploi de ce terme dans celui-ci vise non pas les deux entreprises faisant l’objet de l’article concerné en elles-mêmes, mais les quatre personnes qui ont fondé ces entreprises, dont les parcours professionnels sont décrits et dont les propos sont rapportés. De même, lors de son unique occurrence dans le texte dudit article, le terme « cinkciarz » vise non pas ces deux entreprises, mais les fondateurs de celles-ci, lesquelles sont présentées comme « leur entreprise ». D’ailleurs, lorsqu’elles ne sont pas mentionnées par référence à leur dénomination commerciale ou aux noms renvoyant à leurs sites Internet (Currency One, Internetowykantor.pl et Walutomat.pl, d’une part, Cinkciarz.pl, d’autre part), lesdites entreprises sont désignées dans l’article en question par des termes tels que « bureaux de change sur Internet » ou « bureaux de change virtuels ».

31      À titre superfétatoire, il peut être relevé que, au point 33 de la décision attaquée, la chambre de recours a fait une analyse, en substance, similaire des documents sur lesquels reposait l’avis constituant l’annexe E.43, seul avis évoquant une signification neutre du terme « cinkciarz ». La requérante n’a pas contesté ladite analyse ni, d’ailleurs, invoqué ledit avis devant le Tribunal.

32      En conclusion sur ce point, il apparaît que deux acceptions du terme « cinkciarz » présentent un rapport avec les services de change de devises. Il s’agit, premièrement, d’une acception historique, dans laquelle il désigne une personne qui se livrait clandestinement et illégalement au change de devises à l’époque de la République populaire de Pologne. Il s’agit, deuxièmement, d’une acception contemporaine dans laquelle ce terme est employé dans un sens dérivé, général, comme synonyme d’escroc ou de fraudeur, mais également, dans un sens proche de l’acception historique, pour désigner une personne pratiquant actuellement encore le commerce clandestin et frauduleux, et donc illégal, de devises. En revanche, ainsi que la chambre de recours l’a correctement constaté, il n’a pas été établi que le terme « cinkciarz » désigne actuellement, de façon neutre, une personne ou une entreprise fournissant des services de change de devises.

33      C’est sur la base de ces acceptions du terme « cinkciarz » qu’il y a lieu d’examiner le bien-fondé des moyens de la requérante.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous c, du règlement 2017/1001 en ce qui concerne les services de change de devises

34      La requérante soutient que le terme « cinkciarz » peut être employé pour désigner un opérateur fournissant des services de change de devises en dehors du circuit officiel et que, en conséquence, il s’agit d’un nom de métier dont il doit pouvoir être fait usage librement, indépendamment du fait qu’il serait principalement utilisé dans un sens négatif.

35      L’EUIPO et l’intervenante contestent le bien-fondé de ce moyen. Selon l’intervenante, le terme « cinkciarz » n’a qu’une signification historique, désignant une personne se livrant à un trafic clandestin de devises à l’époque de la République populaire de Pologne, et n’est pas utilisé pour désigner une activité actuelle de change de devises.

36      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci.

37      Ainsi qu’il a été rappelé au point 14 ci-dessus, pour qu’un signe tombe sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001, il faut qu’il présente avec les produits ou les services en cause un rapport suffisamment direct et concret de nature à permettre au public pertinent de percevoir immédiatement, et sans autre réflexion, une description des produits et des services en cause ou d’une de leurs caractéristiques.

38      L’appréciation du caractère descriptif d’un signe ne peut être opérée que, d’une part, par rapport à la compréhension qu’en a le public concerné et, d’autre part, par rapport aux produits ou aux services concernés (voir arrêt du 8 juillet 2008, COLOR EDITION, T‑160/07, EU:T:2008:261, point 44 et jurisprudence citée).

39      En l’espèce, les produits et les services en cause sont, en substance, s’agissant de la classe 9, les logiciels, les publications électroniques et les supports de données, s’agissant de la classe 36, les services bancaires et financiers, les services liés au change de devises, les services d’agence et de gérance de biens immobiliers, des services de recouvrement de créances, des services liés aux assurances et les services d’expertise fiscale, et, s’agissant de la classe 41, des services de publication et d’édition, des services de jeux et des services liés à l’éducation et à la formation. La chambre de recours a constaté que de tels produits et services sont destinés tant à des professionnels qu’au grand public et que le niveau d’attention du public pertinent varie de moyen à élevé. Elle a considéré, par ailleurs, que l’appréciation du caractère descriptif de la marque contestée devait être opérée du point de vue du public locuteur du polonais, dès lors que cette marque est constituée d’un terme ayant une signification dans cette langue.

40      Ces appréciations ne sont pas contestées et aucun élément ne conduit à les remettre en cause. Il convient toutefois de souligner que le fait que le public pertinent est, pour partie, spécialisé ne saurait avoir une influence déterminante sur les critères juridiques utilisés pour l’appréciation du caractère descriptif d’un signe [arrêt du 7 mai 2019, Fissler/EUIPO (vita), T‑423/18, EU:T:2019:291, point 14].

41      En interdisant l’enregistrement en tant que marque des signes ou indications qu’il vise, l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001 poursuit un but d’intérêt général, lequel exige que les signes ou les indications descriptives des caractéristiques de produits ou de services pour lesquels l’enregistrement est demandé puissent être librement utilisés par tous. Cette disposition empêche, dès lors, que de tels signes ou indications soient réservés à une seule entreprise en raison de leur enregistrement en tant que marque (voir arrêt du 23 octobre 2003, OHMI/Wrigley, C‑191/01 P, EU:C:2003:579, point 31 et jurisprudence citée).

42      Le choix, par le législateur de l’Union européenne, du terme « caractéristique » met en exergue le fait que les signes visés à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001 ne sont que ceux qui servent à désigner une propriété, facilement reconnaissable par le public pertinent, des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé. Ainsi, un signe ne saurait être refusé à l’enregistrement sur le fondement de cette disposition que s’il est raisonnable d’envisager qu’il sera effectivement reconnu par le public pertinent comme une description de l’une desdites caractéristiques (voir, en ce sens, (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2011, Agencja Wydawnicza Technopol/OHMI, C‑51/10 P, EU:C:2011:139, point 50, et du 7 mai 2019, vita, T‑423/18, EU:T:2019:291, point 43).

43      Pour que l’enregistrement d’un signe soit refusé sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001, il n’est pas nécessaire que les signes et les indications composant la marque visés à cet article soient effectivement utilisés, au moment de la demande d’enregistrement, à des fins descriptives de produits ou de services tels que ceux pour lesquels la demande est présentée ou des caractéristiques de ces produits ou de ces services. Il suffit, comme l’indique la lettre même de cette disposition, que ces signes et indications puissent être utilisés à de telles fins (arrêt du 23 octobre 2003, OHMI/Wrigley, C‑191/01 P, EU:C:2003:579, point 32).

44      Enfin, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du même règlement, l’article 7, paragraphe 1, de ce dernier est applicable même si les motifs de refus n’existent que dans une partie de l’Union, cette partie pouvant se limiter un seul État membre (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2006, Storck/OHMI, C‑25/05 P, EU:C:2006:422, point 83).

45      Par le présent moyen, la requérante soutient que le terme « cinkciarz » est descriptif des services de change de devises, de sorte que l’enregistrement de la marque contestée, qui est constituée exclusivement de ce terme, aurait dû être annulé en tant que cette marque couvre lesdits services.

46      Il résulte des considérations figurant aux points 19 à 32 ci-dessus que le terme « cinkciarz », dans ses acceptions pertinentes en l’espèce, d’une part, présente un rapport historique mais également actuel avec les services de change de devises et, d’autre part, a une connotation exclusivement péjorative, c’est-à-dire comportant une idée négative dépréciant la personne désignée, à savoir une personne qui se livre à des trafics, à des escroqueries ou à des actes considérés comme malhonnêtes, en particulier, mais non exclusivement, dans le cadre d’opérations de change de devises réalisées clandestinement.

47      La requérante soutient que l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001 ne requiert pas qu’une indication descriptive soit positive ou neutre, mais seulement qu’elle décrive un produit ou un service couvert par une demande d’enregistrement ou une caractéristique de ceux-ci. En outre, la connotation négative du terme « cinkciarz » pourrait disparaître avec le temps.

48      Conformément à la jurisprudence rappelée aux points 37 et 38 ci-dessus, l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001 n’est possible que si, tenant compte de la compréhension qu’a le public pertinent du signe contesté, celui-ci présente avec le service en cause un rapport suffisamment direct et concret de nature à permettre à ce public de percevoir immédiatement, et sans autre réflexion, une description de ce service ou d’une de ses caractéristiques.

49      Cette jurisprudence doit être rapprochée de celle selon laquelle les signes et les indications descriptifs au sens de ladite disposition sont ceux qui peuvent servir, dans un usage normal du point de vue du consommateur, pour désigner soit directement, soit par la mention de l’une de ces caractéristiques essentielles, un produit ou un service tel que celui pour lequel l’enregistrement est demandé (voir arrêt du 28 juin 2012, XXXLutz Marken/OHMI, C‑306/11 P, non publié, EU:C:2012:401, point 77 et jurisprudence citée).

50      À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de son considérant 3, le règlement 2017/1001 vise à contribuer à l’élimination des obstacles à la libre circulation des marchandises et à la libre prestation des services dans le marché intérieur. Or, ces libertés ne concernent que les marchandises qui sont introduites de façon licite dans le circuit économique et commercial de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010, Josemans, C‑137/09, EU:C:2010:774, point 42) et, par analogie, la fourniture de services licites. Il en découle que la protection prévue par le droit des marques de l’Union ne peut être accordée à une marque qu’en tant que celle-ci désigne des produits et des services licites et fournis légalement.

51      Il y a lieu de présumer que le consommateur moyen, réputé normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, est conscient de ce fait, à tout le moins parce qu’il sait que les valeurs de l’État de droit sont à la base de l’Union, ainsi qu’il découle de l’article 2 TUE, et qu’il est inhérent à un État de droit que la loi ne saurait avoir pour objet de protéger ou de favoriser les actes illégaux, cette caractéristique d’un État de droit étant de notoriété publique. À cet égard, il convient de souligner que, contrairement à ce que soutient la requérante, le terme « cinkciarz » ne saurait être considéré comme désignant un « métier », alors qu’il vise exclusivement l’accomplissement d’actes illégaux.

52      Partant, en l’espèce, le public pertinent est conscient du fait que les services couverts par la marque contestée ne peuvent pas être des activités clandestines et illégales de change de devises.

53      Il en découle que le terme « cinkciarz », qui constitue cette marque et qui désigne de telles activités clandestines et illégales, ne peut pas servir, dans un usage normal du point de vue du public pertinent, pour désigner les services de change de devises licites. Un rapprochement peut être fait, à cet égard, avec la jurisprudence selon laquelle, s’agissant de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner la provenance géographique du produit ou du service pour lequel l’enregistrement est demandé, l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001 ne s’oppose pas à l’enregistrement des noms géographiques pour lesquels, en raison des caractéristiques du lieu désigné, il n’est pas vraisemblable que les milieux intéressés puissent envisager que la catégorie de produits concernée provienne de ce lieu (voir arrêt du 6 septembre 2018, Bundesverband Souvenir – Geschenke – Ehrenpreise/EUIPO, C‑488/16 P, EU:C:2018:673, point 39 et jurisprudence citée).

54      Par conséquent, le terme « cinkciarz » ne permet pas au public pertinent de percevoir immédiatement, et sans autre réflexion, une description des services de change de devises licites ou d’une entité fournissant de tels services. En effet, dès lors qu’une caractéristique consubstantielle audit terme, à savoir qu’il désigne des activités clandestines et illégales, est en complète opposition avec une caractéristique de tels services, à savoir leur nature intrinsèquement licite, le public pertinent ne pourra établir un lien entre la marque contestée et les services licites de change de devises qu’en surmontant cette contradiction pour parvenir à la conclusion que, par ironie et l’effet d’un jeu de l’esprit, ladite marque, contrairement à sa signification, couvre des services de change de devises fournis de manière licite.

55      Partant, la marque contestée ne présente pas un rapport suffisamment direct et concret avec les services de change de devises couverts par celle-ci.

56      Cette conclusion est corroborée par un examen au regard du but d’intérêt général poursuivi par l’interdiction d’enregistrement prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001, but qui doit être pris en compte dans le cadre de l’examen concret de tous les éléments pertinents caractérisant une demande d’enregistrement (voir, par analogie, arrêt du 8 avril 2003, Linde e.a., C‑53/01 à C‑55/01, EU:C:2003:206, point 75) ou, comme en l’espèce, un enregistrement dont la nullité est demandée.

57      Conformément à la jurisprudence rappelée au point 41 ci-dessus, cette disposition vise à préserver la libre utilisation par tous les opérateurs intéressés des signes ou des indications descriptives des caractéristiques des services en cause. En effet, si une entreprise était autorisée à monopoliser l’usage d’un terme descriptif, il en découlerait une limitation de l’étendue du vocabulaire dont disposeraient ses concurrents pour décrire leurs propres produits [voir, en ce sens, arrêt du 16 octobre 2014, Larrañaga Otaño/OHMI (GRAPHENE), T‑458/13, EU:T:2014:891, point 18 et jurisprudence citée]. Ce but d’intérêt général s’inscrit lui-même dans le cadre du système de concurrence non faussé que le traité FUE entend établir et maintenir, et dont le droit des marques constitue un élément essentiel (voir, par analogie, arrêt du 6 mai 2003, Libertel, C‑104/01, EU:C:2003:244, points 48 à 52).

58      Or, il résulte des constatations opérées en ce qui concerne la signification du terme « cinkciarz » que celui-ci est indissociablement lié à un aspect essentiel de l’activité qu’il désigne, à savoir son caractère clandestin et illégal, qui est en complète opposition avec une caractéristique des services de change de devises en cause, à savoir leur nature intrinsèquement licite.

59      Enfin, il est certes vrai que, conformément aux termes mêmes de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001, les signes et les indications dont l’enregistrement est interdit au titre de cette disposition sont ceux qui sont simplement susceptibles d’être utilisés à des fins descriptives, sans qu’il soit requis que ces signes ou indications soient effectivement utilisés au moment de la demande d’enregistrement.

60      Néanmoins, une telle possibilité d’utilisation ne saurait être prise en considération que s’il est raisonnable d’envisager que le signe en cause constitue dans l’avenir, aux yeux des milieux intéressés, une description des caractéristiques des produits ou des services concernés (voir, par analogie, arrêt du 12 février 2004, Koninklijke KPN Nederland, C‑363/99, EU:C:2004:86, point 56 et jurisprudence citée). Dès lors, ladite possibilité ne saurait reposer sur de simples spéculations, mais doit au contraire être étayée par certains éléments qui la rendent notamment raisonnablement plausible [voir, en ce sens, arrêt du 12 mars 2008, Compagnie générale de diététique/OHMI (GARUM), T‑341/06, non publié, EU:T:2008:70, point 43].

61      Or constitue une telle spéculation l’éventualité, envisagée par la requérante, que le terme « cinkciarz » perde à l’avenir la connotation négative liée au caractère clandestin et illégal de l’activité qu’il vise, qui lui est consubstantielle, et, en conséquence, désigne de façon neutre l’exercice d’une activité de change de devises.

62      À cet égard, il convient de rappeler que, comme il résulte des pièces produites dans le cadre de la procédure administrative et des constatations opérées aux points 19, 23 et 32 ci-dessus, depuis son origine, le terme « cinkciarz », dans ses acceptions pertinentes en l’espèce, a revêtu une signification négative liée au caractère illégal et clandestin de l’activité des personnes qu’il désigne et, après la modification du contexte historique dans lequel il est apparu, sa portée a évolué en mettant en avant cet aspect négatif, puisque son emploi s’est généralisé pour viser une personne se livrant à une activité considérée comme illégale, frauduleuse ou malhonnête. En outre, ainsi qu’il résulte des points 29 et 30 ci-dessus, il n’existe pas d’indice pertinent que ledit terme serait également employé de façon neutre pour désigner un opérateur fournissant des services de change de devises.

63      Au vu de ces éléments, il n’apparaît pas qu’il eût été raisonnable d’envisager, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, que le terme « cinkciarz » constituerait dans l’avenir, aux yeux des milieux intéressés, une description des services en cause.

64      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la chambre de recours a décidé à bon droit que la marque contestée ne saurait être annulée en vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001 en ce qui concerne les services de change de devises. En conséquence, le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001 et de l’obligation de motivation en ce qui concerne les produits et les services en cause autres que les services de change de devises

65      La requérante soutient que la décision attaquée est entachée d’une insuffisance de motivation en ce qui concerne le rejet de la demande en nullité en tant que celle-ci était fondée sur le caractère descriptif des produits et des services en cause autres que le change de devises, du fait que la chambre de recours aurait pris en considération ces autres produits et services globalement, et non catégorie par catégorie.

66      Au point 59 de la décision attaquée, en s’appropriant, à cet égard, la motivation de la décision de la division d’annulation, la chambre de recours a constaté que, dès lors que le terme « cinkciarz » n’était pas descriptif des services de change de devises, il en était a fortiori ainsi pour les autres services et produits en cause, dont le lien avec ledit terme était encore plus faible.

67      Il convient de rappeler que l’obligation de motivation qui s’impose à la chambre de recours, qui découle notamment de l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001, a pour double objectif de permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre leurs droits et, d’autre part, au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision concernée. La motivation doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte, sans qu’il soit nécessaire que cette motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait auxdites exigences devant cependant être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2018, EUIPO/Puma, C‑564/16 P, EU:C:2018:509, points 64 et 65 et jurisprudence citée).

68      À cet égard, il y a lieu de relever que l’argumentation que la requérante avait développée devant les instances de l’EUIPO, ainsi d’ailleurs qu’elle la présente dans la requête, se limitait à indiquer en quoi certaines catégories de produits et de services en cause, autres que les services de change de devises, pouvaient présenter, selon elle, un rapport avec ces derniers services ou avec les personnes fournissant de tels services. Elle en déduisait que le terme « cinkciarz », qu’elle considérait comme descriptif en ce qui concerne les services de change, était également descriptif d’une caractéristique de ces autres produits ou services.

69      Dans un tel contexte, et dès lors que la chambre de recours avait préalablement constaté que le terme « cinkciarz » n’était pas descriptif pour les services de change de devises, écartant ainsi la prémisse sur laquelle était fondée l’argumentation de la requérante relative aux produits et aux services autres que les services de change de devises, elle pouvait se limiter à donner une motivation globale pour tous les produits ou services concernés.

70      En effet, l’EUIPO est autorisé à adopter une motivation globale, au regard d’un motif absolu de refus d’enregistrement, pour des produits ou des services qui présentent entre eux un lien suffisamment direct et concret, au point qu’ils forment une catégorie de produits ou de services d’une homogénéité suffisante notamment sur la base des caractéristiques qui leur sont communes et qui présentent une pertinence pour l’analyse de l’opposabilité du motif de refus concerné. L’appréciation doit être effectuée in concreto dans chaque cas d’espèce, sans qu’il soit exclu que les produits et les services visés par une demande d’enregistrement présentent tous une caractéristique pertinente pour l’analyse d’un motif absolu de refus et que, dès lors, ils puissent être regroupés, aux fins de l’examen de la demande d’enregistrement en cause par rapport au motif absolu de refus considéré, dans une seule catégorie d’une homogénéité suffisante (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 2017, EUIPO/Deluxe Entertainment Services Group, C‑437/15 P, EU:C:2017:380, points 30 à 34).

71      Or, en l’espèce, la requérante avait elle-même catégorisé les produits et les services en cause autres que les services de change de devises par rapport à une caractéristique globale et unique qui aurait justifié que soit reconnu le caractère descriptif du signe CINKCIARZ relativement à ces autres produits et services, à savoir qu’ils présenteraient tous un lien avec l’activité de change de devises.

72      Partant, après avoir considéré que la marque contestée n’était pas descriptive en ce qui concerne les services de change de devises eux-mêmes, la chambre de recours a pu, dans le cadre d’un examen suffisant, considérer que cette conclusion valait a fortiori pour des produits et des services autres que des services de change de devises qui présenteraient un certain rapport avec ces derniers. En effet, ce faisant, elle a procédé à une appréciation in concreto, en se prononçant quant au lien sur lequel la requérante fondait elle-même sa demande en annulation, au titre de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001, à l’égard de ces autres produits et services. Au surplus, cet examen a abouti à une conclusion conforme à cette disposition.

73      Il y a dès lors lieu de rejeter le deuxième moyen comme étant non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001

74      En premier lieu, la requérante soutient que l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 s’impose en raison du caractère descriptif du signe CINKCIARZ, un signe descriptif étant nécessairement dépourvu de caractère distinctif.

75      En second lieu, la requérante reproche à la chambre de recours de n’avoir pas examiné le caractère distinctif de la marque contestée par rapport aux produits et aux services en cause et à la perception que le public pertinent a de cette marque. En particulier, le caractère péjoratif du terme « cinkciarz » ne s’opposerait pas à ce qu’un défaut de caractère distinctif soit constaté. En l’occurrence, dès lors que ledit terme serait communément utilisé dans le cadre de la fourniture de services de change de devises en dehors du circuit officiel, la marque consistant en ce terme ne pourrait pas remplir la fonction d’identification de l’origine commerciale des produits et des services en cause. Pour la même raison, ledit terme ne présenterait pas d’aspect fantaisiste, atypique, inattendu ou surprenant pour le public polonais.

76      La chambre de recours a considéré que le signe verbal CINKCIARZ serait compris par le public pertinent comme désignant une personne qui se livre au commerce illégal de devises, un spéculateur, un escroc. Utilisé en rapport avec les produits et les services en cause, il serait perçu par ce public comme une appellation originale, fallacieuse ou ironique et, de ce fait même, surprenante, propre à indiquer l’origine commerciale des produits ou des services en cause et de nature à être facilement retenue en tant que telle.

77      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont dépourvues de caractère distinctif.

78      Ainsi qu’il a été rappelé au point 16 ci-dessus, le caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 signifie que cette marque permet d’identifier le produit ou le service pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit ou ce service de ceux d’autres entreprises (voir arrêt du 21 janvier 2010, Audi/OHMI, C‑398/08 P, EU:C:2010:29, point 33 et jurisprudence citée).

79      Ce caractère distinctif doit être apprécié, d’une part, par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et, d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent (voir arrêt du 29 avril 2004, Henkel/OHMI, C‑456/01 P et C‑457/01 P, EU:C:2004:258, point 35 et jurisprudence citée).

80      Tout d’abord, il convient d’emblée de constater que, compte tenu des réponses apportées aux premier et deuxième moyens, l’argumentation de la requérante doit être écartée en tant qu’elle repose sur l’affirmation du caractère descriptif de la marque contestée pour les produits et les services en cause.

81      Ensuite, il résulte des points 53 et 54 de la décision attaquée que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la chambre de recours a procédé à un examen du caractère distinctif de la marque contestée en tenant compte de la perception du public pertinent ainsi que des produits et des services en cause. Si, certes, il se dégage du contexte que, implicitement, l’analyse contenue dans ces points concerne essentiellement les services de change de devises, il y a lieu de tenir compte du fait que, aux points 59 et 60 de ladite décision, la chambre de recours a étendu son raisonnement en considérant que les constatations opérées en ce qui concerne les services de change de devises valaient a fortiori pour les autres produits et services contestés compte tenu du lien plus faible qui existe entre ces autres produits et services et le terme « cinkciarz ».

82      Enfin, en tant que l’affirmation du défaut de caractère distinctif de la marque contestée repose sur l’allégation selon laquelle le terme « cinkciarz » est « communément utilisé dans le contexte de la fourniture de services relatifs au change de devises en dehors du circuit officiel », il convient de relever qu’il a été constaté, dans le cadre de la réponse au premier moyen, que cette allégation n’est pas établie en tant qu’elle suppose que ce terme puisse désigner de façon neutre des activités de change de devises, indépendamment de leur caractère légal ou illégal.

83      En revanche, eu égard à l’emploi normal du terme « cinkciarz » relativement à une activité clandestine et illégale de change de devises, emploi connu du public pertinent, il y a lieu d’admettre, à l’instar de la chambre de recours, que ce terme présente un caractère allusif ou suggestif à l’égard des services licites de change de devises.

84      Toutefois, comme cela a été constaté au points 54 ci-dessus, dès lors qu’une caractéristique consubstantielle au terme « cinkciarz », à savoir qu’il désigne des activités clandestines et illégales, est en complète opposition avec une caractéristique des services de change de devises en cause, à savoir leur nature intrinsèquement licite, le public pertinent ne pourra établir un lien entre la marque contestée et les services licites de change de devises qu’en surmontant cette contradiction pour parvenir à la conclusion que, par ironie et l’effet d’un jeu de l’esprit, ladite marque, contrairement à sa signification, couvre des services de change de devises fournis de manière licite. Il s’en déduit que, s’agissant de ces services, ce terme nécessite un effort d’interprétation de la part dudit public et présente, de ce fait même, une certaine originalité et prégnance qui le rendent facilement mémorisable (voir, par analogie, arrêt du 21 janvier 2010, Audi/OHMI, C‑398/08 P, EU:C:2010:29, point 59) et est apte à indiquer au consommateur l’origine commerciale des produits ou des services en cause. Partant, il y a lieu de reconnaître audit terme un caractère distinctif à l’égard des services de change de devises.

85      Ces considérations sont également applicables en ce qui concerne les services en cause relevant de la classe 36 qui présentent un lien avec les services de change de devises, à savoir, en substance, les services bancaires et financiers.

86      S’agissant des autres produits et services en cause, ainsi que la chambre de recours l’a constaté, le lien entre la signification du terme « cinkciarz » mise en avant par la requérante, à savoir celle relative à une activité illégale et clandestine de change de devises, et ces autres produits et services, qui ne sont pas directement liés au commerce de devises, est faible, voire inexistant. En conséquence, la marque contestée pourrait présenter, tout au plus, un caractère allusif très réduit pour certains de ces autres produits ou services, de sorte que l’argumentation de la requérante, qui est essentiellement fondée sur le caractère descriptif de ladite marque en ce qui concerne les services de change de devises et sur le rapport qui existerait entre ces services et les autres produits et services en cause, ne saurait prospérer. Au demeurant, il peut être relevé que les considérations énoncées au point 84 ci-dessus sont également valables, dans leur essence, pour les autres produits et services en cause, eu égard à la signification générale dudit terme, désignant une personne se livrant à une activité quelconque considérée comme illégale, frauduleuse ou malhonnête. En effet, le contre-pied résultant de l’utilisation de ce terme pour désigner des produits ou des services licites crée un effet de surprise et nécessite une réflexion dont résulte un certain caractère distinctif.

87      En conséquence, il y a également lieu d’écarter le troisième moyen comme étant non fondé et, dès lors, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

88      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

89      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens de l’EUIPO et de l’intervenante, conformément aux conclusions de ces derniers.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Currency One S.A. est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et Cinkciarz.pl sp. z o.o.

Nihoul

Svenningsen

Öberg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 décembre 2019.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.