Language of document : ECLI:EU:T:2023:16

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

25 janvier 2023 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne verbale SCHEIBEL – Cause de nullité absolue – Article 7, paragraphe 1, sous c), et article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 40/94 [devenus article 7, paragraphe 1, sous c), et article 59, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑351/22,

De Dietrich Process Systems GmbH, établie à Mayence (Allemagne), représentée par Me M. Körner, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. M. Eberl et T. Klee, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Koch-Glitsch LP, établie à Wichita, Kansas (États-Unis),

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. D. Spielmann, président, R. Mastroianni et T. Tóth (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, De Dietrich Process Systems GmbH, demande l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 1er avril 2022 (affaire R 1107/2021‑1) (ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 12 mars 2020, la requérante a présenté à l’EUIPO une demande de nullité de la marque de l’Union européenne ayant été enregistrée à la suite d’une demande déposée le 26 avril 2004 pour le signe verbal SCHEIBEL.

3        Les produits couverts par la marque contestée pour lesquels la nullité était demandée relevaient de la classe 7 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondaient à la description suivante : « Colonnes d’extraction liquide-liquide ».

4        Les causes invoquées à l’appui de la demande en nullité étaient celles visées à l’article 59, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du même règlement.

5        Le 29 avril 2021, la division d’annulation a fait droit à la demande en nullité sur le fondement de l’article 59, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), dudit règlement, et a annulé la marque contestée.

6        Le 23 juin 2021, Koch-Glitsch LP a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

7        Par la décision attaquée, la chambre de recours a accueilli le recours, annulé la décision de la division d’annulation et rejeté la demande en nullité. En substance, après avoir indiqué que le public pertinent était composé des professionnels de l’industrie chimique, pétrolière, pharmaceutique, alimentaire, des biotechnologies et de l’hydrométallurgie (ci-après les « professionnels de l’industrie »), elle a considéré que les éléments de preuve produits par la requérante étaient insuffisants pour prouver que le terme « scheibel » était perçu par ce public comme décrivant les caractéristiques des colonnes d’extraction liquide-liquide à la date de la demande d’enregistrement de la marque contestée. Selon la chambre de recours, la simple utilisation dans des publications scientifiques et des documents relatifs à des brevets du nom de l’inventeur d’une colonne d’extraction liquide-liquide particulière ne saurait suffire à établir une signification descriptive. Par ailleurs, elle a souligné que, étant donné que l’invention de M. E. G. Scheibel avait été réalisée en 1958 et que les « colonnes Scheibel » ne semblaient plus être pertinentes sur le plan commercial, rien n’indiquait non plus que le terme « scheibel » serait nécessaire à l’avenir pour désigner les caractéristiques des colonnes d’extraction liquide-liquide. La chambre de recours en a conclu que la requérante n’avait pas prouvé l’existence de motifs absolus de refus au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement 2017/1001.

 Conclusions des parties

8        La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

9        L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

10      À titre liminaire, il convient de souligner que, compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 26 avril 2004, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis  par les dispositions matérielles du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1) (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée).

11      Partant, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites  par la chambre de recours dans la décision attaquée et par les parties dans leur argumentation à l’article 59, paragraphe 1, sous a), et à l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement 2017/1001 comme visant l’article 51, paragraphe 1, sous a), et l’article 7, paragraphe 1, sous b) et c), d’une teneur identique, du règlement  no 40/94.

12      Par ailleurs, dans la mesure où, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le litige est régi par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001.

13      À l’appui de son recours, la requérante soulève deux moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement  no 40/94, lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous c), du même règlement et, le second, de la violation de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement  no 40/94, lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous b), du même règlement.

14      Au soutien du premier moyen, la requérante fait valoir que c’est à tort que la chambre de recours a considéré que la marque contestée n’était pas descriptive des produits en cause, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 40/94.

15      L’EUIPO conteste les arguments de la requérante.

16      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler, d’une part, que l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 40/94 dispose que la nullité de la marque de l’Union européenne est déclarée lorsqu’elle a été enregistrée contrairement aux dispositions de l’article 7 de ce règlement et, d’autre part, que la seule date pertinente aux fins de l’examen d’une demande en nullité fondée sur l’article 51, paragraphe 1, sous a), dudit règlement est celle du dépôt de la demande de la marque contestée.

17      Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement no 40/94, sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci.

18      Il convient enfin de rappeler que l’appréciation du caractère descriptif d’un signe ne peut être opérée que, d’une part, par rapport à la perception qu’en a le public concerné et, d’autre part, par rapport aux produits ou aux services concernés [arrêts du 27 février 2002, Eurocool Logistik/OHMI (EUROCOOL), T‑34/00, EU:T:2002:41, point 38, et du 7 juillet 2011, Cree/OHMI (TRUEWHITE), T‑208/10, non publié, EU:T:2011:340, point 17].

19      S’agissant de la définition du public pertinent, la chambre de recours a estimé, au point 25 de la décision attaquée, que les produits en cause s’adressaient uniquement aux professionnels de l’industrie.

20      La requérante conteste cette appréciation. À l’instar de la division d’annulation, elle soutient que, en plus des professionnels de l’industrie, le public pertinent est constitué des scientifiques et des chercheurs.

21      L’EUIPO réfute l’argument de la requérante en faisant valoir que, d’une part, celle-ci n’a produit que quelques articles scientifiques sans préciser si les scientifiques du domaine de l’extraction de liquide-liquide comprenaient le terme « scheibel » et que, d’autre part, elle n’a pas établi que le public visé par ces articles était le même que le public auquel s’adressent les produits en cause.

22      Il ressort de la jurisprudence que la définition du public pertinent est liée à l’examen des destinataires des produits concernés, car c’est par rapport à ceux-ci que la marque doit développer sa fonction essentielle [arrêt du 29 septembre 2010, CNH Global/OHMI (Combinaison des couleurs rouge, noire et grise pour un tracteur), T‑378/07, EU:T:2010:413, point 38].

23      À cet égard, il y a lieu de relever qu’il est constant entre les parties que les colonnes d’extraction liquide-liquide, relevant de la classe 7, s’adressent aux professionnels de l’industrie. Cependant, ainsi que l’ont souligné à juste titre tant la division d’annulation que la requérante, l’extraction liquide-liquide est susceptible d’être réalisée dans des laboratoires chimiques, généralement au moyen d’une colonne d’extraction. Il s’agit d’appareils très spécifiques, utilisés par des chimistes de laboratoire hautement qualifiés ainsi que par des scientifiques et des chercheurs. Cela est au demeurant corroboré par l’article Wikipédia relatif à l’extraction liquide-liquide produit par Koch-Glitsch devant les instances de l’EUIPO, dont il ressort que cette technique d’extraction est une technique de base utilisée dans les laboratoires chimiques. Ainsi, il y a lieu de considérer que les colonnes d’extraction liquide-liquide s’adressent également aux scientifiques et aux chercheurs.

24      Il en résulte que, aux fins de l’appréciation du caractère descriptif de la marque contestée, le public à prendre en considération est composé des professionnels de l’industrie ainsi que des scientifiques et des chercheurs.

25      Partant, c’est à tort que la chambre de recours a exclu du public pertinent les scientifiques et les chercheurs. Cette erreur implique que la chambre de recours a nécessairement omis d’apprécier le caractère descriptif de la marque contestée par rapport à la perception qu’en avait cette partie du public pertinent.

26      Dans ces circonstances, le Tribunal ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour vérifier le bien-fondé de l’appréciation telle qu’opérée par la chambre de recours dans la décision attaquée. En effet, il n’est pas exclu que l’examen du bien-fondé des arguments et des éléments de preuve présentés par la requérante au cours de la procédure devant l’EUIPO, quant au caractère descriptif de la marque contestée, eût amené la chambre de recours à adopter une décision ayant un contenu différent de celui de la décision attaquée si elle avait tenu compte de la perception de cette marque par les chercheurs et les scientifiques.

27      Or, il convient de rappeler que la compétence attribuée au Tribunal par l’article 72, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 ne lui confère pas le pouvoir de se substituer à la chambre de recours sur une appréciation factuelle que celle-ci a omis d’effectuer (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, points 71 et 72).

28      Par conséquent, il convient d’accueillir le premier moyen et, partant, d’annuler la décision attaquée, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur le second moyen.

 Sur les dépens

29      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

30      L’EUIPO ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 1er avril 2022 (affaire R 1107/20211) est annulée.

2)      L’EUIPO est condamné aux dépens.

Spielmann

Mastroianni

Tóth

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 janvier 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.