Language of document : ECLI:EU:T:2021:716

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

20 octobre 2021 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Procédure disciplinaire – Article 266 TFUE – Enquêtes administratives – Principe de bonne administration – Principe d’impartialité – Recours en annulation et en indemnité »

Dans l’affaire T‑220/20,

Petrus Kerstens, demeurant à La Forclaz (Suisse), représenté par Me C. Mourato, avocat,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M. B. Mongin et Mme A.‑C. Simon, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant, d’une part, à l’annulation de la note de la Commission du 27 mars 2017 informant le requérant de la reprise d’une procédure disciplinaire et de la décision du 11 juillet 2019 lui adressant une mise en garde et, d’autre part, à la réparation du préjudice qu’il aurait subi du fait du déroulement et de la durée de trois procédures disciplinaires,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de MM. R. da Silva Passos, président, V. Valančius (rapporteur) et L. Truchot, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 22 avril 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Petrus Kerstens, est un ancien fonctionnaire de la Commission européenne. Il a travaillé à l’Office « Gestion et liquidation des droits individuels » (PMO), où il a été chef d’unité entre 2003 et 2011, puis comme conseiller attaché à la direction générale (DG) « Ressources humaines et sécurité ». Depuis le 1er avril 2016, il est à la retraite.

2        En premier lieu, en date du 20 juillet 2012, dans le cadre du règlement d’un contentieux qui l’opposait à la Commission, le requérant a rédigé une note interne, à la suite de laquelle la Commission a décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire portant la référence CMS 12/063, au motif que cette note contenait des propos considérés comme insultants. Cette procédure a conduit à l’adoption de la décision du 15 avril 2014 infligeant un blâme au requérant (ci-après la « décision du 15 avril 2014 »).

3        Par l’arrêt du 18 mars 2016, Kerstens/Commission (F‑23/15, EU:F:2016:65), le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne a rejeté le recours formé contre la décision du 15 avril 2014.

4        Le requérant a introduit un pourvoi contre cet arrêt, auquel le Tribunal a fait droit par l’arrêt du 14 février 2017, Kerstens/Commission (T‑270/16 P, non publié, EU:T:2017:74).

5        À cet égard, le Tribunal a relevé, aux points 62 à 70 de l’arrêt du 14 février 2017, Kerstens/Commission (T‑270/16 P, non publié, EU:T:2017:74), que la procédure disciplinaire CMS 12/063 avait été ouverte sans qu’une enquête administrative préalable ait été menée, sans que le requérant ait été préalablement entendu et sans qu’un rapport d’enquête ait été dûment établi à l’issue d’une telle enquête, en méconnaissance des obligations incombant à la Commission. Aux points 88 et 89 dudit arrêt, il en a déduit que la procédure disciplinaire, qui aurait dû être diligentée par l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») sur le fondement d’une telle enquête et d’un rapport qui l’aurait close et après audition du requérant, avait été substantiellement viciée par ces manquements, de sorte qu’il ne pouvait être exclu que cette procédure eût pu aboutir à un résultat différent si les règles applicables à celle-ci avaient été respectées et si le requérant avait été entendu. En conséquence, le Tribunal a annulé la décision du 15 avril 2014.

6        Par une note du 6 avril 2017, l’AIPN a informé le requérant que, au titre de l’exécution de l’arrêt du 14 février 2017, Kerstens/Commission (T‑270/16 P, non publié, EU:T:2017:74), elle avait donné instruction à l’Office d’investigation et de discipline (IDOC) de la Commission, d’une part, de reprendre la procédure disciplinaire CMS 12/063 ab initio et sous un nouveau numéro CMS et, d’autre part, de retirer du dossier personnel du requérant la sanction de blâme infligée à ce dernier par la décision du 15 avril 2014.

7        Le 18 avril 2017, le requérant a introduit une réclamation contre la note de l’AIPN du 6 avril 2017.

8        Le 25 juillet 2017, l’AIPN a rejeté ladite réclamation.

9        En deuxième lieu, le 7 septembre 2015, en raison de soupçons de divulgation d’informations confidentielles à un destinataire externe à l’institution, l’AIPN a décidé d’ouvrir contre le requérant une autre procédure disciplinaire, portant la référence CMS 15/017. Le conseil de discipline a rendu le 7 avril 2016 un avis motivé, dans lequel il a considéré que le requérant n’avait pas respecté son devoir de loyauté et qu’une sanction disciplinaire emportant des conséquences pécuniaires était justifiée. Cependant, en raison du pourvoi formé par le requérant contre l’arrêt du 18 mars 2016, Kerstens/Commission (F‑23/15, EU:F:2016:65), l’AIPN a décidé de suspendre cette procédure disciplinaire dans l’attente de l’issue de ce pourvoi et en a informé le requérant par une note du 19 septembre 2016.

10      Par une note du 27 mars 2017, la Commission a informé le requérant que, à la suite de l’arrêt du 14 février 2017, Kerstens/Commission (T‑270/16 P, non publié, EU:T:2017:74), la procédure disciplinaire CMS 15/017 avait été reprise et que, compte tenu du fait que l’IDOC n’avait pas effectué d’enquête administrative préalablement à l’audition du requérant au titre de l’article 3 de l’annexe IX du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), elle avait donné instruction à l’IDOC de reprendre cette procédure disciplinaire au stade où était intervenue cette irrégularité, du même type que celle qui avait été constatée par le Tribunal s’agissant de la procédure CMS 12/063. La réclamation introduite le 18 avril 2017 par le requérant contre cette note a été rejetée par l’AIPN le 25 juillet 2017.

11      Le 10 novembre 2017, le requérant a introduit un recours en annulation contre ladite note du 27 mars 2017 de même que contre celle du 6 avril 2017 visée au point 6 ci-dessus. Par l’ordonnance du 26 juin 2018, Kerstens/Commission (T‑757/17, non publiée, EU:T:2018:391), le Tribunal a jugé que les notes attaquées ne constituaient pas des actes faisant grief en ce qu’elles devaient être qualifiées d’actes préparatoires dans le cadre de procédures disciplinaires en cours. Cette ordonnance a été confirmée sur pourvoi par l’ordonnance du 22 janvier 2019, Kerstens/Commission (C‑577/18 P, non publiée, EU:C:2019:129).

12      En troisième lieu, le 27 septembre 2016, l’AIPN a ouvert une procédure disciplinaire distincte à l’encontre du requérant, sous la référence CMS 16/009, portant sur des « comportements non statutaires » adoptés par celui-ci à l’égard de membres de l’administration dans le cadre de la procédure disciplinaire CMS 15/017.

13      Par une note du 21 juin 2017, l’IDOC a transmis au requérant les mandats d’enquête dans les procédures CMS 15/017 (devenue CMS 17/009) et CMS 12/063 (devenue CMS 17/010). À la demande du requérant, son audition dans le cadre de ces procédures et dans le cadre de la procédure CMS 16/009 a été reportée à plusieurs reprises. Le 4 avril 2018, l’IDOC a notifié au requérant une note sur les faits reprochés en l’invitant à transmettre ses observations dans un délai de dix jours. Le rapport d’enquête administrative a été transmis à la DG « Ressources humaines et securité » le 1er août 2018. L’audition du requérant a eu lieu le 28 janvier 2019.

14      Par décision du 11 juillet 2019 (ci-après la « décision attaquée »), clôturant les procédures CMS 16/009, CMS 17/009 et CMS 17/010, l’AIPN a constaté que le comportement du requérant constituait un manquement aux articles 11, 12 et 17 du statut. Elle a toutefois décidé de ne pas ouvrir de procédure disciplinaire à son égard et de lui adresser une mise en garde au titre de l’article 3, paragraphe 1, sous b), de l’annexe IX du statut.

15      Le requérant a introduit le 29 août 2019 une réclamation contre cette décision. Cette réclamation a été rejetée par décision de l’AIPN du 19 décembre 2019.

 Procédure et conclusions des parties

16      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 avril 2020, le requérant a introduit le présent recours.

17      La phrase écrite de la procédure a été close le 4 novembre 2020.

18      Le 30 novembre 2020, le requérant a demandé la tenue d’une audience, en vertu de l’article 106 du règlement de procédure du Tribunal.

19      Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (septième chambre) a fait droit à la demande du requérant et a ouvert la phase orale de la procédure.

20      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 22 avril 2021.

21      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ainsi que la note du 27 mars 2017 de l’AIPN l’informant de la reprise de la procédure CMS 15/017 (devenue CMS 17/009) ;

–        condamner la Commission à lui verser la somme de 30 000 euros à titre d’indemnisation du préjudice moral prétendument subi ;

–        condamner la Commission aux dépens.

22      La Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours dans son intégralité ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

 Sur les conclusions en annulation

23      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, par l’ordonnance du 26 juin 2018, Kerstens/Commission (T‑757/17, non publiée, EU:T:2018:391), le Tribunal a déjà jugé que la note du 27 mars 2017 ne constituait pas un acte faisant grief. Dès lors, il y a lieu de constater que la demande d’annulation de cette note est irrecevable.

24      Au soutien de ses conclusions en annulation, le requérant présente trois moyens. Dans un premier moyen, il invoque une violation de l’article 266 TFUE au motif que la Commission aurait adopté des mesures inappropriées pour l’exécution de l’arrêt du 14 février 2017, Kerstens/Commission (T‑270/16 P, non publié, EU:T:2017:74), concernant la décision du 15 avril 2014 lui ayant infligé un blâme dans le cadre de la procédure disciplinaire CMS 12/063 (devenue CMS 17/010) et aurait violé le principe non bis in idem. Dans un deuxième moyen, il invoque une violation de l’article 266 TFUE, du principe de bonne administration, dont relève l’obligation de traitement impartial et équitable des affaires, du principe de présomption d’innocence et des droits de la défense. Enfin, dans un troisième moyen, il invoque une violation de l’article 266 TFUE, des règles de procédure applicables aux enquêtes administratives et aux procédures disciplinaires, des droits de la défense et de l’obligation de motivation.

25      Le Tribunal estime qu’il convient d’examiner d’abord le deuxième moyen.

26      Dans le cadre de ce moyen, le requérant fait valoir, en substance, que toute nouvelle procédure disciplinaire doit offrir des garanties d’impartialité et d’équité, comme l’exige le principe de bonne administration consacré à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Il souligne que le principe d’impartialité revêt une double dimension, à la fois subjective et objective, qui impose à l’autorité disciplinaire, d’une part, de ne pas manifester par ses comportements de parti pris ou de préjugé personnel et, d’autre part, d’être objectivement impartiale en offrant toutes les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à ce sujet.

27      Selon le requérant, la reprise des procédures disciplinaires en l’espèce a eu pour conséquence que, en violation des principes mentionnés au point 26 ci-dessus, les mêmes autorités administratives et les mêmes responsables ont eu à réexaminer des dossiers qu’il avaient déjà traités.

28      Le requérant soutient en outre que, en regroupant aux fins d’une enquête unique les trois procédures disciplinaires CMS 12/063 (devenue CMS 17/010), CMS 15/017 (devenue CMS 17/009) et CMS 16/009, l’AIPN a manqué à son devoir d’impartialité objective. En effet, ce regroupement traduirait la volonté de l’AIPN d’alourdir les charges à l’égard du requérant et de faire examiner la procédure CMS 12/063 (devenue CMS 17/010) par un conseil de discipline. Selon le requérant, les trois enquêtes administratives ont été diligentées de façon distincte et ce n’est qu’au stade de la conclusion de ces enquêtes que les trois rapports ont été joints comme annexes au rapport final unique de l’IDOC.

29      Le requérant relève enfin que la responsable des enquêtes au sein de l’IDOC pour les deux procédures disciplinaires CMS 12/063 (devenue CMS 17/010) et CMS 15/017 (devenue CMS 17/009) est la dénonciatrice des faits examinés dans le cadre de cette dernière procédure. Il met en cause son impartialité subjective ainsi que celle de la directrice générale de la DG « Ressources humaines et sécurité », impliquée dans plusieurs procédures le concernant. Il met également en cause l’impartialité objective de la procédure d’enquête unique du fait de la participation à cette enquête, en qualité de responsable de la conduite de celle-ci, de ladite dénonciatrice.

30      La Commission fait valoir que les trois procédures disciplinaires concernant le requérant ont été regroupées dans un souci d’économie de la procédure. Selon la Commission, en procédant ainsi, l’IDOC et l’AIPN n’ont pas cherché à aggraver la situation du requérant ou à agir à son détriment, mais ont permis, au contraire, que celui-ci fasse l’objet d’une seule mise en garde pour l’ensemble des faits à l’origine de ces trois procédures.

31      La Commission soutient, s’agissant de la mise en cause de l’impartialité de la responsable des enquêtes ainsi que de celle de la directrice générale de la DG « Ressources humaines et sécurité », que le requérant ne fait état que d’insinuations ou de craintes invérifiables. Il en va de même, selon la Commission, concernant la mise en cause de l’impartialité de la procédure d’enquête du fait de la participation à l’enquête, en qualité de responsable de celle-ci, de la dénonciatrice des faits à l’origine de la procédure CMS 15/017 (devenue CMS 17/009).

32      Il convient de rappeler que l’article 41 de la Charte, qui, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, TUE, a la même valeur juridique que les traités, consacre le droit à une bonne administration. Ce droit implique, en vertu de l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, notamment, le droit pour toute personne de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions, les organes et les organismes de l’Union européenne.

33      Selon la jurisprudence, l’administration est tenue, en vertu du principe de bonne administration, d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce dont elle est saisie et de réunir tous les éléments de fait et de droit nécessaires à l’exercice de son pouvoir d’appréciation ainsi que d’assurer le bon déroulement et l’efficacité des procédures qu’elle met en œuvre (voir arrêt du 26 septembre 2014, B&S Europe/Commission, T‑222/13, non publié, EU:T:2014:837, point 39 et jurisprudence citée).

34      Il convient également de rappeler que l’exigence d’impartialité recouvre, d’une part, l’impartialité subjective, en ce sens qu’aucun membre de l’institution concernée chargé de l’affaire ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel et, d’autre part, l’impartialité objective, en ce sens que l’institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure à cet égard tout doute légitime (voir arrêt du 7 novembre 2019, ADDE/Parlement, T‑48/17, EU:T:2019:780, point 43 et jurisprudence citée). Dans le cadre de l’examen de l’impartialité d’une procédure collégiale, le fait que des doutes quant aux apparences d’impartialité n’affectent qu’une seule personne au sein d’un organe collégial n’est pas nécessairement déterminant, compte tenu du fait que cette personne aurait pu exercer une influence décisive lors des délibérations (arrêt du 7 novembre 2019, ADDE/Parlement, T‑48/17, EU:T:2019:780, point 58).

35      S’agissant de l’impartialité subjective, il ressort de la jurisprudence que cette impartialité est présumée jusqu’à preuve du contraire (voir arrêt du 27 novembre 2018, Mouvement pour une Europe des nations et des libertés/Parlement, T‑829/16, EU:T:2018:840, point 49 et jurisprudence citée).

36      À cet égard, il convient de reveler que, en l’espèce, le requérant n’a pas apporté d’élément de preuve conduisant à douter de l’impartialité subjective de la procédure d’enquête.

37      S’agissant de l’impartialité objective d’une enquête, il a déjà été reconnu par le Tribunal qu’elle faisait défaut dès lors qu’il avait été démontré que, antérieurement à l’ouverture de l’enquête, l’un des enquêteurs avait eu connaissance des faits objet de celle-ci, en ayant été consulté personnellement par un plaignant, et alors que l’institution concernée aurait pu désigner comme enquêteur une personne n’ayant aucune connaissance préalable des faits et ne soulevant ainsi aucun doute légitime quant à son impartialité au regard de l’autre partie (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2019, UZ/Parlement, T‑47/18, sous pourvoi, EU:T:2019:650, points 51 à 56).

38      En l’espèce, il est constant que la personne responsable de la conduite de l’enquête unique ouverte pour les trois procédures CMS 16/009, CMS 15/017 (devenue CMS 17/009) et CMS 12/063 (devenue CMS 17/010) est celle qui avait dénoncé les faits faisant l’objet de la procédure CMS 15/017 (devenue CMS 17/009), à savoir la cheffe de l’unité « HR IDOC 1 ».

39      Par ailleurs, il est établi que ladite dénonciatrice a pu avoir un rôle actif ultérieur dans la conduite de l’enquête diligentée dans le cadre de la procédure CMS 15/017 (devenue CMS 17/009), en sa qualité de personne chargée de diriger l’enquête unique pour les trois procédures disciplinaires. En effet, d’une part, par une note du 21 juin 2017, cette personne a indiqué au requérant avoir reçu mandat le 1er juin 2017 pour diriger ladite enquête et a nommé à cet effet deux enquêteurs. D’autre part, le rapport final d’enquête a été signé de sa main, ce qui démontre sa participation effective à l’enquête.

40      À cet égard, la Commission a admis lors de l’audience que, même si le rôle actif de cette personne n’était pas précisément établi, en sa qualité de responsable chargée du suivi, de la qualité et du caractère complet de l’enquête en cause, elle avait la possibilité d’intervenir lors de la réception du projet d’enquête.

41      Dans le même sens, il a déjà été jugé qu’un enquêteur exerce ses pouvoirs d’enquête sous l’autorité du responsable de l’enquête administrative, qui peut lui adresser des instructions (arrêt du 5 octobre 2020, Broughton/Eurojust, T‑87/19, non publié, EU:T:2020:464, point 70). Il en résulte que la fonction de responsable d’une enquête administrative ne se limite pas à une situation passive et laisse toujours à ce dernier la faculté d’intervenir dans le cadre d’une enquête en cours.

42      Ainsi, il y a lieu de considérer que la situation en cause, caractérisée par l’identité de personnes constatée au point 38 ci-dessus, présentait le risque objectif que la personne responsable de la conduite de l’enquête unique ait pu avoir une idée préconçue ou un préjugé sur l’implication du requérant dans les faits qui lui étaient reprochés dans le cadre de la procédure CMS 15/017 (devenue CMS 17/009) avant même que l’enquête ait eu lieu. Au vu, en particulier, du rôle de ladite personne dans le déroulement de l’enquête et de l’influence qu’elle a pu avoir sur le contenu du rapport final de celle-ci, il y a lieu de considérer qu’une telle situation est susceptible de faire naître dans l’esprit du requérant des doutes légitimes sur l’impartialité objective de cette enquête. À cet égard, selon la jurisprudence de la Cour, le Tribunal n’est pas tenu de vérifier si la responsable de la conduite de l’enquête unique avait effectivement un préjugé à l’égard du requérant, étant suffisant qu’un doute légitime existe et ne puisse pas être dissipé (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2019, August Wolff et Remedia/Commission, C‑680/16 P, EU:C:2019:257, point 37).

43      Dans de telles circonstances, le requérant est fondé à soutenir que la Commission n’a pas organisé la procédure d’enquête menée lors de la reprise des trois procédures disciplinaires de manière à lui offrir des garanties suffisantes quant à l’impartialité objective de cette procédure. Cette circonstance est de nature à vicier la procédure disciplinaire dans son ensemble.

44      Il est toutefois de jurisprudence constante que, pour qu’une irrégularité procédurale puisse justifier l’annulation d’un acte, il faut que, en l’absence de cette irrégularité, la procédure ait pu aboutir à un résultat différent (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2017, Kerstens/Commission, T‑270/16 P, non publié, EU:T:2017:74, point 74 et jurisprudence citée).

45      Dans le cadre de cet examen, il doit être tenu compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce et, notamment, de la nature des griefs et de l’ampleur des irrégularités procédurales commises par rapport aux garanties dont le fonctionnaire a pu bénéficier (arrêt du 15 avril 2015, Pipiliagkas/Commission, F‑96/13, EU:F:2015:29, point 65).

46      Or, la procédure disciplinaire établie par l’annexe IX du statut prévoit deux phases distinctes. La première phase est constituée par la tenue d’une enquête administrative impartiale, engagée par une décision de l’AIPN, suivie de la rédaction d’un rapport d’enquête et close, après que l’intéressé a été entendu sur les faits qui lui étaient reprochés, par des conclusions tirées dudit rapport. La seconde phase est constituée par la procédure disciplinaire proprement dite, engagée par l’AIPN sur la base de ce rapport d’enquête, et consiste soit en l’ouverture d’une procédure disciplinaire sans consultation du conseil de discipline, soit en la saisine dudit conseil, sur la base d’un rapport établi par l’AIPN en fonction des conclusions de l’enquête et des observations qu’a présentées la personne concernée à l’égard de celle-ci.

47      Il s’ensuit que l’enquête administrative a un rôle important et est de nature à influencer la procédure disciplinaire. En effet, c’est sur le fondement de cette enquête et de l’audition du fonctionnaire concerné que l’AIPN apprécie, premièrement, s’il y a lieu d’ouvrir une procédure disciplinaire, deuxièmement, si celle-ci doit conduire, le cas échéant, à la saisine du conseil de discipline et, troisièmement, lorsqu’elle engage la procédure devant le conseil de discipline, les faits dont est saisi ledit conseil.

48      Dès lors, il ne peut être exclu que, si l’enquête administrative avait été conduite avec toutes les garanties d’impartialité, ladite enquête aurait pu entraîner une autre appréciation des faits et, ainsi, déboucher sur des conséquences différentes (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2017, Kerstens/Commission, T‑270/16 P, non publié, EU:T:2017:74, point 82).

49      Dans ces conditions, le requérant pouvait nourrir des doutes légitimes sur l’impartialité objective de l’enquête et, dès lors, des procédures disciplinaires dont il a fait l’objet.

50      Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’accueillir le deuxième moyen et, en conséquence, d’annuler la décision attaquée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens invoqués par le requérant.

 Sur les conclusions indemnitaires

51      Le requérant demande au Tribunal de condamner la Commission à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il estime avoir subi. Il fait valoir que les trois procédures disciplinaires en cause, qui ont duré près de huit ans, six ans et quatre ans, lui ont causé du stress ainsi que des problèmes de santé. En outre, il soutient qu’elles ont porté atteinte à sa réputation et à son honorabilité, alors que sa carrière avait été irréprochable jusqu’à leur survenance.

52      La Commission conteste les arguments du requérant et conclut au rejet de la demande indemnitaire.

53      Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante dans le domaine de la fonction publique, l’engagement de la responsabilité de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution concernée, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir, en ce sens, arrêts du 1er juin 1994, Commission/Brazzelli Lualdi e.a., C‑136/92 P, EU:C:1994:211, point 42, et du 16 décembre 2010, Commission/Petrilli, T‑143/09 P, EU:T:2010:531, point 45 et jurisprudence citée). Ces trois conditions sont cumulatives, ce qui implique que, dès lors que l’une d’elles n’est pas remplie, la responsabilité de l’Union ne peut être retenue (voir arrêt du 26 octobre 2017, Paraskevaidis/Cedefop, T‑601/16, EU:T:2017:757, point 78 et jurisprudence citée).

54      Il s’ensuit que, même dans l’hypothèse où une faute d’une institution ou d’un organe ou organisme de l’Union est établie, la responsabilité de l’Union ne peut être engagée que si, notamment, la partie requérante est parvenue à démontrer la réalité de son préjudice (voir arrêt du 26 octobre 2017, Paraskevaidis/Cedefop, T‑601/16, EU:T:2017:757, point 79 et jurisprudence citée).

55      Il convient également de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité peut constituer en elle-même la réparation adéquate et, en principe, suffisante de tout préjudice moral que cet acte peut avoir causé (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 1987, Hochbaum et Rawes/Commission, 44/85, 77/85, 294/85 et 295/85, EU:C:1987:348, point 22, et du 9 novembre 2004, Montalto/Conseil, T‑116/03, EU:T:2004:325, point 127 et jurisprudence citée).

56      Toutefois, l’annulation d’un acte entaché d’illégalité ne peut constituer en elle-même une réparation adéquate lorsque la partie requérante démontre avoir subi un préjudice moral détachable de l’illégalité fondant l’annulation et n’étant pas susceptible d’être intégralement réparé par cette annulation (voir arrêt du 19 novembre 2009, Michail/Commission, T‑49/08 P, EU:T:2009:456, point 88 et jurisprudence citée).

57      En l’espèce, il convient de constater que le préjudice moral allégué par le requérant résulte directement de l’illégalité entachant la procédure d’enquête engagée lors de la reprise des trois procédures disciplinaires en cause.

58      Toutefois, si le requérant prétend que lesdites procédures, en raison de leur durée, lui ont causé du stress ainsi que des problèmes de santé et qu’elles ont porté atteinte à sa réputation et à son honorabilité, il n’apporte, à l’appui de ses allégations, aucun élément précis susceptible d’établir la réalité d’un tel préjudice.

59      Dès lors, le Tribunal estime que tout préjudice moral que le requérant pourrait avoir subi sera réparé de manière adéquate et suffisante par l’annulation de la décision attaquée.

60      Partant, les conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

61      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être accueilli en ce qu’il tend à l’annulation de la décision attaquée et rejeté pour le surplus.

 Sur les dépens

62      Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, le Tribunal peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

63      Le recours ayant été partiellement accueilli, il sera fait une juste appréciation des circonstances de la cause en décidant que le requérant supportera un tiers de ses propres dépens, le reste de ses dépens étant supporté par la Commission, cette dernière supportant par ailleurs ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision de la Commission européenne du 11 juillet 2019 infligeant à M. Petrus Kerstens une mise en garde est annulée.

2)      Le recours est rejeté pour le surplus.

3)      La Commission supportera, outre ses propres dépens, deux tiers des dépens de M. Kerstens.

da Silva Passos

Valančius

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 20 octobre 2021.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

S. Papasavvas


*      Langue de procédure : le français.