Language of document : ECLI:EU:C:2021:376

Affaire C505/19

WS

contre

Bundesrepublik Deutschland

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgericht Wiesbaden)

 Arrêt de la Cour(grande chambre) du 12 mai 2021

« Renvoi préjudiciel – Convention d’application de l’accord de Schengen – Article 54 – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 50 – Principe ne bis in idem – Article 21 TFUE – Libre circulation des personnes – Notice rouge d’Interpol – Directive (UE) 2016/680 – Licéité du traitement de données à caractère personnel contenues dans une telle notice »

1.        Questions préjudicielles – Recevabilité – Limites – Questions manifestement dénuées de pertinence et questions hypothétiques posées dans un contexte excluant une réponse utile – Questions sans rapport avec l’objet du litige au principal

(Art. 267 TFUE)

(voir points 50, 64-66, disp. 3)

2.        Coopération judiciaire en matière pénale – Protocole intégrant l’acquis de Schengen – Convention d’application de l’accord de Schengen – Principe ne bis in idem – Champ d’application – Décision du ministère public clôturant définitivement une procédure pénale engagée contre un prévenu moyennant l’accomplissement par celui-ci de certaines obligations – Inclusion

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 50 ; convention d’application de l’accord de Schengen, art. 54)

(voir points 73, 74)

3.        Coopération judiciaire en matière pénale – Protocole intégrant l’acquis de Schengen – Convention d’application de l’accord de Schengen – Principe ne bis in idem – Notice rouge publiée par Interpol – Arrestation provisoire de la personne faisant l’objet de ladite notice – Admissibilité – Limite – Existence d’une décision judiciaire définitive dans un État partie à l’accord de Schengen ou un État membre établissant l’application du principe ne bis in idem pour les faits visés par ladite notice

(Art. 21, § 1, TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 50 ; convention d’application de l’accord de Schengen, art. 54)

(voir points 82-92, 106, disp. 1)

4.        Rapprochement des législations – Protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel en matière pénale – Directive 2016/680 – Traitement de données à caractère personnel figurant dans une notice rouge publiée par Interpol – Licéité dudit traitement – Conditions – Limite – Existence d’une décision judiciaire définitive prise dans un État partie à l’accord de Schengen ou un État membre établissant l’application du principe ne bis in idem pour les faits visés par ladite notice

(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 50 ; convention d’application de l’accord de Schengen, art. 54 ; directive du Parlement et du Conseil 2016/680, art. 8, § 1)

(voir points 113-121, disp. 2)

Résumé

Le principe interdisant le cumul des poursuites peut s’opposer à l’arrestation, dans l’espace Schengen et dans l’Union européenne, d’une personne visée par un signalement Interpol

C’est le cas lorsque les autorités compétentes ont connaissance d’une décision judiciaire définitive constatant l’application de ce principe, prise dans un État partie à l’accord de Schengen ou un État membre

En 2012, l’Organisation internationale de police criminelle (ci-après « Interpol ») a publié, à la demande des États-Unis et sur la base d’un mandat d’arrêt émis par les autorités de ce pays, une notice rouge visant WS, un ressortissant allemand, en vue de son extradition éventuelle. Lorsqu’une personne faisant l’objet d’une telle notice est localisée dans un État membre d’Interpol, celui-ci doit, en principe, procéder à son arrestation provisoire ou bien surveiller ou restreindre ses déplacements.

Toutefois, avant même la publication de cette notice rouge, une procédure d’enquête portant, selon la juridiction de renvoi, sur les mêmes faits que ceux à l’origine de cette notice avait été engagée contre WS en Allemagne. Cette procédure a été définitivement clôturée en 2010, après le paiement d’une somme d’argent par WS, et ce conformément à une procédure spécifique de transaction prévue en droit pénal allemand. Par la suite, le Bundeskriminalamt (Office fédéral de la police criminelle, Allemagne) a informé Interpol qu’il considérait que, en raison de cette procédure antérieure, le principe ne bis in idem était applicable en l’espèce. Ce principe, consacré tant à l’article 54 de la Convention d’application de l’accord de Schengen (1) qu’à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), interdit notamment qu’une personne ayant déjà été définitivement jugée soit poursuivie de nouveau pour la même infraction.

En 2017, WS a introduit un recours contre la République fédérale d’Allemagne devant le Verwaltungsgericht Wiesbaden (tribunal administratif de Wiesbaden, Allemagne), pour qu’il lui soit ordonné de prendre les mesures nécessaires au retrait de cette notice rouge. À cet égard, WS invoque, outre une violation du principe ne bis in idem, une violation de son droit à la libre circulation, garanti par l’article 21 TFUE, dans la mesure où il ne peut pas se rendre dans un État partie à l’accord de Schengen ou dans un État membre sans risquer d’être arrêté. Il estime également que, en raison de ces violations, le traitement de ses données à caractère personnel, figurant dans la notice rouge, est contraire à la directive 2016/680, relative à la protection des données à caractère personnel en matière pénale (2).

C’est dans ce contexte que le tribunal administratif de Wiesbaden a décidé d’interroger la Cour sur l’application du principe ne bis in idem et, plus précisément, sur la possibilité de procéder à l’arrestation provisoire d’une personne faisant l’objet d’une notice rouge dans une situation telle que celle en cause. De plus, en cas d’applicabilité de ce principe, cette juridiction cherche à savoir quelles sont les conséquences sur le traitement, par les États membres, des données à caractère personnel contenues dans une telle notice.

Dans son arrêt de grande chambre, la Cour juge que l’article 54 de la CAAS ainsi que l’article 21, paragraphe 1, TFUE, lus à la lumière de l’article 50 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à l’arrestation provisoire, par les autorités d’un État partie à l’accord de Schengen, ou par celles d’un État membre, d’une personne visée par une notice rouge publiée par Interpol, à la demande d’un État tiers, sauf s’il est établi, dans une décision judiciaire définitive prise dans un État partie à cet accord ou dans un État membre, que cette personne a déjà été définitivement jugée respectivement par un État partie audit accord ou par un État membre pour les mêmes faits que ceux sur lesquels cette notice rouge est fondée. La Cour juge également que les dispositions de la directive 2016/680, lues à la lumière de l’article 54 de la CAAS et de l’article 50 de la Charte, doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas au traitement des données à caractère personnel figurant dans une notice rouge émise par Interpol, tant qu’il n’a pas été établi, par la voie d’une telle décision judiciaire, que le principe ne bis in idem s’applique s’agissant des faits sur lesquels cette notice est fondée, pour autant qu’un tel traitement satisfait aux conditions prévues par cette directive.

Appréciation de la Cour

À titre liminaire, la Cour rappelle que le principe ne bis in idem est susceptible de s’appliquer dans une situation telle que celle en cause, à savoir dans un contexte où a été adoptée une décision clôturant de manière définitive une procédure pénale moyennant le respect par l’intéressé de certaines conditions, notamment le paiement d’une somme d’argent fixée par le ministère public.

Cette précision étant faite, la Cour juge, en premier lieu, que l’article 54 de la CAAS, l’article 50 de la Charte, ainsi que l’article 21, paragraphe 1, TFUE ne font pas obstacle à l’arrestation provisoire d’une personne visée par une notice rouge d’Interpol, tant qu’il n’est pas établi que celle-ci a été définitivement jugée par un État partie à l’accord de Schengen ou par un État membre pour les mêmes faits que ceux fondant la notice rouge et que, partant, le principe ne bis in idem s’applique.

À cet égard, la Cour indique que, lorsque l’applicabilité du principe ne bis in idem demeure incertaine, une arrestation provisoire peut constituer une étape indispensable en vue de procéder aux vérifications nécessaires tout en évitant la fuite de l’intéressé. Cette mesure est alors justifiée par l’objectif légitime d’éviter l’impunité de celui-ci. En revanche, dès lors que l’application du principe ne bis in idem a été constatée par une décision judiciaire définitive, tant la confiance mutuelle existant entre les États parties à l’accord de Schengen que le droit de libre circulation s’opposent à une telle arrestation provisoire ou au maintien de cette arrestation. La Cour précise qu’il incombe aux États parties à l’accord de Schengen et aux États membres d’assurer la disponibilité de voies de recours permettant aux personnes concernées d’obtenir une telle décision. Elle relève encore que, lorsqu’une arrestation provisoire est incompatible avec le droit de l’Union, en raison de l’application du principe ne bis in idem, un État membre d’Interpol s’abstenant de procéder à une telle arrestation ne manquerait pas aux obligations lui incombant en tant que membre de cette organisation.

En second lieu, s’agissant de la question relative aux données à caractère personnel figurant dans une notice rouge d’Interpol, la Cour indique que toute opération appliquée à ces données, telle que leur enregistrement dans les fichiers de recherche d’un État membre, constitue un « traitement » relevant de la directive 2016/680 (3). En outre, elle considère, d’une part, que ce traitement poursuit une finalité légitime et, d’autre part, qu’il ne saurait être considéré comme illicite au seul motif que le principe ne bis in idem pourrait s’appliquer aux faits sur lesquels la notice rouge est fondée (4). Ce traitement, par les autorités des États membres, peut d’ailleurs s’avérer indispensable, précisément afin de vérifier si ledit principe s’applique.

Dans ces conditions, la Cour juge, de même, que la directive 2016/680, lue à la lumière de l’article 54 de la CAAS et de l’article 50 de la Charte, ne s’oppose pas au traitement des données à caractère personnel figurant dans une notice rouge, tant qu’une décision judiciaire définitive n’a pas établi que le principe ne bis in idem s’applique en l’espèce. Toutefois, un tel traitement doit respecter les conditions prévues par cette directive. Dans cette perspective, il doit notamment être nécessaire à l’exécution d’une mission, effectuée par une autorité nationale compétente, à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites ou d’exécution de sanctions pénales (5).

En revanche, lorsque le principe ne bis in idem s’applique, l’enregistrement, dans les fichiers de recherche des États membres, des données à caractère personnel figurant dans une notice rouge d’Interpol n’est plus nécessaire, étant donné que la personne en cause ne peut plus faire l’objet de poursuites pénales pour les faits couverts par ladite notice et, par conséquent, être arrêtée pour ces mêmes faits. Il s’ensuit que la personne concernée doit pouvoir demander l’effacement de ses données. Si cet enregistrement est néanmoins maintenu, il doit être accompagné par l’indication que la personne en cause ne peut plus être poursuivie dans un État membre ou un État contractant pour les mêmes faits, en raison du principe ne bis in idem.


1      Convention d’application de l’accord de Schengen, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (JO 2000, L 239, p. 19) (ci-après la « CAAS »).


2      Directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la décision-cadre 2008/977/JAI du Conseil (JO 2016, L 119, p. 89).


3      Voir article 2, paragraphe 1, et article 3, point 2, de la directive 2016/680.


4      Voir article 4, paragraphe 1, sous b), et article 8, paragraphe 1, de la directive 2016/680.


5      Voir article 1er, paragraphe 1, et article 8, paragraphe 1, de la directive 2016/680.