Language of document : ECLI:EU:T:2021:901

ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

15 décembre 2021 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Rémunération – Personnel du SEAE affecté dans un pays tiers – Actualisations annuelle et intermédiaire des coefficients correcteurs – Erreur manifeste d’appréciation »

Dans l’affaire T‑619/20,

FJ,
FL,
FM,
FN,
FP,
représentés par Me J.-N. Louis, avocat,

parties requérantes,

contre

Service européen pour l’action extérieure (SEAE), représenté par MM. S. Marquardt et R. Spáč, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et tendant à l’annulation des bulletins de rémunération du mois de décembre 2019 des requérants en ce qu’ils appliquent, pour la première fois, les coefficients correcteurs fixés, avec effet rétroactif, au 1er avril et au 1er juillet 2019,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de M. J. Svenningsen, président, Mme T. Pynnä (rapporteure) et M. J. Laitenberger, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 21 septembre 2021,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique

1        Aux termes de l’article 64 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, tel que modifié par le règlement (UE, Euratom) no 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013 (JO 2013, L 287, p. 15) (ci-après le « statut »), et qui s’applique par analogie aux agents temporaires et contractuels conformément aux articles 20 et 92 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA »), il est prévu ce qui suit :

« La rémunération du fonctionnaire exprimée en euros, après déduction des retenues obligatoires visées au présent statut ou aux règlements pris pour son application, est affectée d’un coefficient correcteur supérieur, inférieur ou égal à 100 %, selon les conditions de vie dans les différents lieux d’affectation.

Ces coefficients correcteurs sont créés ou retirés et actualisés chaque année conformément à l’annexe XI. En ce qui concerne cette actualisation, toutes les valeurs s’entendent comme étant des valeurs de référence. La Commission publie les valeurs actualisées, dans les deux semaines suivant l’actualisation, dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne à des fins d’information […] »

2        L’article 65 du statut, qui s’applique par analogie aux agents temporaires et contractuels conformément aux articles 20 et 92 du RAA, dispose ce qui suit :

« 1.      Les rémunérations des fonctionnaires et des autres agents de l’Union européenne sont actualisées chaque année, en tenant compte de la politique économique et sociale de l’Union. Sont prises en considération en particulier l’augmentation éventuelle des traitements de la fonction publique des États membres et les nécessités du recrutement. L’actualisation des rémunérations est mise en œuvre conformément à l’annexe XI. Cette actualisation a lieu avant la fin de chaque année sur la base d’un rapport établi par la Commission et fondé sur les données statistiques préparées par l’Office statistique de l’Union européenne en concertation avec les services nationaux de statistiques des États membres ; les données statistiques reflètent la situation au 1er juillet dans chacun des États membres. Ledit rapport contient des informations relatives à l’incidence budgétaire des rémunérations et des pensions des fonctionnaires de l’Union. Il est transmis au Parlement européen et au Conseil.

[…]

2.      En cas de variation sensible du coût de la vie, les montants visés au paragraphe 1 et les coefficients correcteurs visés à l’article 64 sont actualisés conformément à l’annexe XI. La Commission publie les montants et les coefficients correcteurs actualisés, dans les deux semaines suivant l’actualisation, dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne, à des fins d’information […] »

3        L’annexe X du statut contient des dispositions particulières et dérogatoires applicables aux fonctionnaires affectés dans un pays tiers. Elle est applicable par analogie aux agents temporaires et contractuels conformément à l’article 118 du RAA. Elle prévoit ce qui suit :

« Article 11

La rémunération ainsi que les indemnités visées à l’article 10 sont payées en euros dans l’Union européenne. Elles sont affectées du coefficient correcteur applicable à la rémunération des fonctionnaires affectés en Belgique.

Article 12

Sur demande du fonctionnaire, l’autorité investie du pouvoir de nomination peut décider de payer la rémunération, en tout ou en partie, en monnaie du pays d’affectation. Elle est alors affectée du coefficient correcteur du lieu d’affectation et convertie selon le taux de change correspondant.

Dans des cas exceptionnels dûment justifiés, l’autorité investie du pouvoir de nomination peut effectuer tout ou partie de ce paiement dans une monnaie autre que celle du lieu d’affectation selon des modalités appropriées visant à assurer le maintien du pouvoir d’achat.

Article 13

En vue d’assurer dans toute la mesure du possible l’équivalence du pouvoir d’achat des fonctionnaires indépendamment de leur lieu d’affectation, les coefficients correcteurs visés à l’article 12 sont actualisés une fois par an conformément à l’annexe XI. En ce qui concerne cette actualisation, toutes les valeurs s’entendent comme étant des valeurs de référence. La Commission publie les valeurs actualisées, dans les deux semaines suivant l’actualisation, dans la série C du Journal officiel de l’Union européenne, à des fins d’information.

Toutefois, lorsque la variation du coût de la vie mesurée d’après le coefficient correcteur et le taux de change correspondant s’avère supérieure à 5 % depuis la dernière actualisation pour un pays donné, une actualisation intermédiaire de ce coefficient a lieu conformément à la procédure définie au premier alinéa. »

4        L’annexe XI du statut, qui s’applique par analogie aux agents temporaires et contractuels conformément à l’article 20 du RAA, renvoyant aux articles 64 et 65 du statut, décrit les modalités d’application de ces dispositions.

 Antécédents du litige

5        Les requérants, FJ, FL, FM, FN et FP, sont des fonctionnaires ou des agents du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) affectés à la délégation de l’Union européenne à Kinshasa (ci-après la « délégation »), en République démocratique du Congo, ou qui l’ont été pendant la période de référence, s’étendant d’avril à décembre 2019.

6        En 2010, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a décidé de payer aux fonctionnaires et aux agents affectés à la délégation la part de leur rémunération non payée en euros à Bruxelles (Belgique) en dollars des États-Unis pour leur assurer le maintien de leur pouvoir d’achat en raison d’une situation exceptionnelle dûment justifiée, conformément à l’article 12, second alinéa, de l’annexe X du statut.

7        Le 31 octobre 2018, l’Office statistique de l’Union européenne (Eurostat) a publié le rapport prévu à l’article 65 du statut. Ce rapport fixait en annexe le taux annuel du coefficient correcteur applicable aux rémunérations versées aux requérants. Le rapport d’Eurostat sur la mise à jour intermédiaire des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations des requérants pour les mois de février à juin 2018 a été publié le 10 octobre 2018.

8        Les deux rapports d’Eurostat mentionnés au point 7 ci-dessus ont été présentés au groupe technique de rémunération le 30 octobre 2018, en présence de représentants du personnel.

9        Le 9 novembre 2018, le chef d’administration de la délégation a adressé au chef faisant fonction de la division « Droits, obligations et cellule médicale » de la direction générale « Budget et administration » du SEAE un courriel reprenant les éléments factuels et statistiques alléguant une erreur manifeste dans le rapport d’Eurostat publié le 31 octobre 2018 et faisant état du caractère erroné du calcul effectué par Eurostat ainsi que de son incapacité à comprendre les raisons justifiant la baisse de 33,8 % du coefficient correcteur applicable au 1er juillet 2018.

10      Dans ce courriel, le chef d’administration de la délégation précisait que toutes les données statistiques disponibles, à savoir celles de l’institut national de la statistique de la République démocratique du Congo et de la Banque centrale du Congo, indiquaient l’existence d’une inflation de près de 25 % pour la période considérée en République démocratique du Congo, c’est-à-dire de juillet 2017 à juin 2018. Il a également fait mention du rapport annuel de la société EuroCost International, qui publiait un baromètre des villes les plus chères du monde. Il signalait que, dans ce rapport, fondé sur des prix relevés en juin 2018, Kinshasa était placée en troisième position à l’échelle mondiale, du fait d’une inflation soutenue, tandis que la monnaie s’était stabilisée les derniers mois.

11      Le 13 novembre 2018, le responsable des tâches d’audit de la délégation a adressé un courriel au directeur de la direction C « Statistiques macro-économiques » d’Eurostat, précisant les éléments relatifs à la réalité du coût de la vie à Kinshasa.

12      Par note du 21 novembre 2018, enregistrée le 26 novembre 2018, le chef faisant fonction de la division « Droits, obligations et cellule médicale » du SEAE a attiré l’attention du chef d’administration de la délégation sur les rapports annuel et intermédiaire d’Eurostat relatifs, notamment, à l’actualisation des coefficients correcteurs, à l’effet rétroactif et à la récupération des montants trop élevés. Il a également rappelé que, conformément à l’article 12 de l’annexe X du statut, l’AIPN pouvait décider de payer tout ou partie de la rémunération en monnaie locale et que le fonctionnaire ou l’agent pouvait demander que son traitement soit versé en euros. Dans le cas où la rémunération est payée en euros, le coefficient correcteur n’est pas applicable.

13      Par note du 4 décembre 2018 adressée au chef d’administration de la délégation ainsi qu’à son responsable des tâches d’audit, le directeur de la direction C « Statistiques macro-économiques » d’Eurostat a répondu aux courriels des 9 et 13 novembre 2018. Il a précisé que trois éléments avaient été modifiés depuis janvier 2018. En premier lieu, il a indiqué que de nouvelles parités bilatérales avec Bruxelles étaient fondées sur une enquête de prix menée, en septembre 2017, par la Commission de la fonction publique internationale (CFPI) de l’Organisation des Nations unies (ONU). Les nouvelles parités pour l’année 2017 indiquaient des prix significativement inférieurs à ceux relevés en 2016. Compte tenu de l’importance de la différence (plus de 5 %), un mécanisme de lissage avait été appliqué par Eurostat. En deuxième lieu, après avoir expliqué l’absence de modification du montant de la rémunération en ce que celle-ci serait calculée dans une autre monnaie, il a été précisé que, le paiement de la rémunération en dollars des États-Unis étant une exception, Eurostat avait constaté que le franc congolais n’était plus lié au dollar des États-Unis et qu’il avait été confirmé, conformément à l’article 12 de l’annexe X du statut, que la rémunération du personnel de la délégation devait être payée dans la monnaie du pays d’affectation et non plus en dollars des États-Unis. En troisième lieu, il a été indiqué qu’une nouvelle pondération de la consommation régionale avait été introduite en juillet 2018.

14      Le 4 décembre 2018, le chef d’administration de la délégation a, dans une note, fait part à différentes autorités du SEAE et de la Commission européenne de l’incompréhension du personnel de la délégation. Il a contesté la baisse significative du coefficient correcteur de 219,3, en juillet 2017, à 145,1, en juillet 2018, ce qui représentait une diminution de 33,8 % en un an.

15      L’actualisation annuelle des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations des fonctionnaires, agents temporaires et agents contractuels de l’Union européenne affectés dans les pays tiers a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 14 décembre 2018 (JO 2018, C 451, p. 10). Le coefficient correcteur applicable à leur rémunération à partir du 1er juillet 2018 a été fixé à 145,1. Ce coefficient correcteur a été contesté dans le cadre des recours enregistrés sous les numéros d’affaire T‑698/19 et T‑699/19, lesquels ont été rejetés par arrêts du 9 juin 2021, FJ e.a./SEAE (T‑698/19, non publié, EU:T:2021:337), et du 9 juin 2021, FT e.a./Commission (T‑699/19, non publié, sous pourvoi, EU:T:2021:338).

16      Ensuite, Eurostat a publié, le 29 avril 2019, le rapport sur l’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations des fonctionnaires, agents temporaires et agents contractuels de l’Union affectés dans des délégations situées en dehors de l’Union, conformément à l’article 64 et aux annexes X et XI du statut, pour la période de référence du mois d’août 2018 au mois de janvier 2019.

17      Le 18 juin 2019, la Commission a publié l’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations des fonctionnaires, agents temporaires et agents contractuels de l’Union européenne affectés dans les pays tiers (JO 2019, C 207, p. 9). Il y était fait état des coefficients correcteurs applicables pour les mois d’août 2018 à janvier 2019, où ils étaient fixés, respectivement, à 133,5 et à 94,0. L’application de ces coefficients correcteurs a été contestée dans le cadre des recours enregistrés sous les numéros d’affaire T‑224/20, FT e.a./Commission, et T‑225/20, FJ e.a./SEAE.

18      L’actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs applicables à la rémunération des fonctionnaires, agents temporaires et agents contractuels de l’Union européenne affectés dans les pays tiers (JO 2019, C 420, p. 15) et l’actualisation annuelle des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations des fonctionnaires, agents temporaires et agents contractuels de l’Union européenne affectés dans les pays tiers (JO 2019, C 420, p. 17) ont été publiées le 13 décembre 2019. Le coefficient correcteur a été fixé, d’une part, avec effet rétroactif à partir du 1er avril 2019, à 99,9 et, d’autre part, avec effet rétroactif à partir du 1er juillet 2019, à 106,4.

19      En décembre 2019, les requérants ont reçu leurs bulletins de rémunération établis par le SEAE et par lesquels ce dernier a décidé de faire, pour la première fois, application des coefficients correcteurs, fixés avec effet rétroactif au 1er avril et au 1er juillet 2019 (ci-après les « bulletins de rémunération attaqués »), à la suite des rapports d’Eurostat des 28 et 31 octobre 2019 sur l’actualisation intermédiaire et annuelle des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations des fonctionnaires, agents temporaires et agents contractuels de l’Union, affectés dans des délégations situées en dehors de l’Union, conformément à l’article 64 du statut et à ses annexes X et XI.

20      Le 10 mars 2020, les fonctionnaires et les agents de la Commission ont introduit une réclamation commune, avec les fonctionnaires et les agents du SEAE également affectés à la délégation, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, par laquelle ils ont demandé le retrait de leurs bulletins de rémunération et le remplacement de ceux-ci par de nouveaux bulletins dans le respect du principe d’équivalence du pouvoir d’achat.

21      Les réclamants ont fait valoir une erreur manifeste d’appréciation lors de l’actualisation des coefficients correcteurs déterminant le montant de leur rémunération. À cet égard, ils ont relevé que les données statistiques des institutions de la République démocratique du Congo indiquaient une inflation de près de 25 %, que les organisations de l’ONU avaient augmenté le coefficient multiplicateur applicable aux salaires de leur personnel et que le coût de la vie avait sensiblement augmenté, ce qu’attestaient les prix relevés en juin 2018 par EuroCost International. Ils ont ajouté que le changement de devise ne pouvait expliquer la chute du coefficient correcteur. Les bulletins de rémunération attaqués seraient ainsi illégaux, en ce qu’ils n’assureraient pas l’équivalence du pouvoir d’achat du personnel indépendamment de son lieu d’affectation.

22      Par décision du 23 juin 2020, le SEAE a rejeté la réclamation.

 Procédure et conclusions des parties

23      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 octobre 2020, les requérants ont introduit le présent recours.

24      Par actes séparés, déposés au greffe du Tribunal le même jour, les requérants ont demandé le bénéfice de l’anonymat et la jonction de la présente affaire avec l’affaire T‑618/20, FZ e.a./Commission.

25      Par décision du 1er décembre 2020, le Tribunal a fait droit à la demande d’anonymat.

26      Le 28 décembre 2020, le SEAE a produit le mémoire en défense.

27      Le 17 décembre 2020, FS a informé le Tribunal qu’elle se désistait de son recours.

28      Par ordonnance du 21 janvier 2021, FJ e.a./SEAE (T‑619/20, non publiée, EU:T:2021:36), le nom de FS a été rayé de la liste des requérants.

29      Le 6 avril 2021, les requérants ont demandé, conformément à l’article 106 du règlement de procédure du Tribunal, à être entendus au cours d’une audience.

30      Par lettre du 7 mai 2021, les requérants ont déposé une nouvelle preuve au sens de l’article 85 du règlement de procédure et ont demandé au Tribunal d’ordonner, au titre de l’article 88 du règlement de procédure, au SEAE de produire les éléments qui justifiaient que les coefficients correcteurs applicables à Kinshasa, qui étaient de 239,7 jusqu’au 30 juin 2018, soient passés, à partir du 1er juillet 2018, à 145,1 et, à partir du 1er janvier 2019, à 94,0. Le SEAE a déposé ses observations sur cet acte le 3 juin 2021.

31      Par décision du 10 juin 2021, le président de la huitième chambre du Tribunal a décidé de joindre la présente affaire à l’affaire T‑618/20, FZ e.a./Commission, aux fins de la phase orale de la procédure.

32      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 21 septembre 2021.

33      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les bulletins de rémunération attaqués ;

–        condamner le SEAE aux dépens.

34      Le SEAE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable ou, à défaut, le rejeter dans son intégralité ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du litige

35      Le présent recours concerne la légalité des actualisations annuelle et intermédiaire du coefficient correcteur applicable en République démocratique du Congo telles qu’elles sont reflétées dans les bulletins de rémunération attaqués. Au titre de l’actualisation intermédiaire, qui se fonde sur un rapport d’Eurostat du 28 octobre 2019, ce coefficient correcteur a été fixé, avec effet au 1er avril 2019, à 99,9. Au titre de l’actualisation annuelle, qui se fonde sur un rapport d’Eurostat du 31 octobre 2019, ce coefficient correcteur a été fixé, avec effet au 1er juillet 2019, à 106,4.

 Sur la recevabilité

36      À titre liminaire, il convient de souligner que les requérants ont reconnu à l’audience que leurs chefs de conclusions contenaient une erreur de plume en ce qui concernait les dépens. Il y a donc lieu de lire « SEAE » au lieu de « Commission ».

37      En outre, sans exciper formellement de l’irrecevabilité du recours au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure, le SEAE fait valoir que la requête devrait être déclarée irrecevable en ce qu’elle tend à l’annulation d’un acte qui ne fait pas grief aux requérants. En effet, selon le SEAE, c’est par les bulletins de rémunération de décembre 2018 et juin 2019 qu’ont été tirées les conséquences des calculs d’Eurostat prenant en compte l’enquête de la CFPI et le lissage subséquent.

38      Lors de l’audience, les requérants ont contesté cette fin de non-recevoir soulevée par le SEAE dans son mémoire en défense.

39      À cet égard, il y a lieu de rappeler la jurisprudence constante en matière de modifications des coefficients correcteurs selon laquelle il doit être considéré que le premier bulletin de rémunération faisant suite à l’entrée en vigueur de l’acte de portée générale, quelle que soit sa forme, modifiant les droits pécuniaires d’une catégorie abstraite de fonctionnaires, traduit nécessairement, à l’égard de son destinataire, l’adoption d’une décision administrative de portée individuelle produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter directement et immédiatement les intérêts du fonctionnaire concerné (voir arrêt du 5 février 2016, Barnett et Mogensen/Commission, F‑56/15, EU:F:2016:11, point 37 et jurisprudence citée).

40      En l’espèce, les bulletins de rémunération attaqués constituent la première concrétisation, sur le plan décisionnel relevant de la sphère de compétence de l’AIPN, des nouveaux coefficients correcteurs applicables à compter du 1er avril et du 1er juillet 2019 en application des actualisations intermédiaire et annuelle de ces derniers.

41      Dès lors, le recours est recevable en ce qu’il est dirigé contre les bulletins de rémunération attaqués.

 Sur le fond

42      Le recours des requérants comporte deux moyens. Le premier moyen est tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement et d’erreurs manifestes d’appréciation, premièrement, dans la détermination des coefficients correcteurs appliqués à leur rémunération à compter du 1er avril et du 1er juillet 2019 et, deuxièmement, en raison de l’utilisation de la monnaie du pays d’affectation en lieu et place du dollar des États-Unis pour évaluer le niveau du coefficient correcteur.

43      Le second moyen est tiré de la violation du principe de sécurité juridique et de la violation du devoir de sollicitude.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation du principe d’égalité de traitement et d’erreurs manifestes d’appréciation

44      Les requérants ont précisé au Tribunal lors de l’audience que la violation alléguée du principe d’égalité de traitement ne constituait pas un grief autonome de la requête, mais qu’une telle violation découlerait des erreurs manifestes d’appréciation dont seraient entachés les bulletins de rémunération attaqués.

–       Sur le grief tiré d’une erreur manifeste d’appréciation dans la détermination des coefficients correcteurs

45      Les requérants se réfèrent aux données statistiques des institutions du pays d’affectation mentionnées par le chef d’administration de la délégation dans sa note du 4 décembre 2018. Selon eux, ces données attestent l’existence d’une inflation et d’une augmentation du coût de la vie à Kinshasa de près de 25 % en glissement annuel sur la période considérée, de juillet 2017 à juin 2018. Ils font valoir que cette inflation touche de la même manière toutes les composantes du « panier de la ménagère » prises en compte par l’institut national de la statistique de la République démocratique du Congo et la Banque centrale du Congo.

46      Selon les requérants, cette augmentation est également constatée par les organisations de l’ONU, le coefficient multiplicateur appliqué aux salaires de son personnel étant passé de 41,3 en juillet 2017 à 43,3 en juin 2018.

47      Les requérants font valoir que, en effectuant, depuis 2010, le travail de collecte des données dans le cadre du Memorandum of understanding de 2009 [accord international de collaboration entre Eurostat, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’ONU], le SEAE n’explique pas comment les mêmes données aboutissent à une hausse des coefficients appliqués aux organisations de l’ONU et à un effondrement des coefficients appliqués, pour la même période, à leur rémunération.

48      Les requérants soutiennent, en outre, que, pendant plusieurs années, Eurostat a utilisé les services d’EuroCost International pour collecter des données et calculer les parités économiques et que, sur la base des données collectées en juin 2018, EuroCost International a placé Kinshasa en troisième position des villes dont le coût de la vie était le plus élevé en raison « d’une inflation soutenue, tandis que la monnaie s’[était] stabilisée ces derniers mois ».

49      Les requérants considèrent que le SEAE n’a pas expliqué comment les coefficients appliqués tenaient compte de ces éléments essentiels et rappellent que l’objectif du système des coefficients correcteurs, tel qu’il ressort des articles 64 et 65 du statut, est de garantir que soit bien reflété le rapport entre le niveau de prix des biens et services constaté localement et celui à Bruxelles et à Luxembourg (Luxembourg) pour assurer une égalité de pouvoir d’achat des fonctionnaires et agents de l’Union, indépendamment de leur lieu d’affectation.

50      Les requérants indiquent qu’ils ne mettent pas en cause la méthode utilisée par le SEAE, mais font valoir que celui-ci reste en défaut d’expliquer la baisse du coefficient correcteur de 239,7 à 94,0 entre le 30 juin 2018 et le 1er janvier 2019. Ils précisent qu’ils contestent l’application de ladite méthode ainsi que les données objectives de la CFPI utilisées pour fixer les coefficients correcteurs appliqués à leur rémunération. Ils demandent que le SEAE fournisse les données objectives relatives aux années 2016 à 2018, en précisant comment elles ont été récoltées, et qu’il démontre, par comparaison à la situation de l’ONU et aux données statistiques des institutions de la République démocratique du Congo, que ces coefficients correcteurs leur garantissent effectivement une équivalence de pouvoir d’achat.

51      Les requérants estiment, en substance, que le SEAE ne leur a fourni aucun élément leur permettant de comprendre, dans un premier temps, l’importante diminution des coefficients correcteurs appliqués à leur rémunération entre le 30 juin 2018 et le 1er janvier 2019, qui sont passés de 239,7 à 94,0, et, dans un second temps, l’augmentation de ceux-ci entre le 1er avril et le 30 juin 2019, qui sont passés de 99,9 à 106,4. Selon les requérants, ces fluctuations tant à la baisse qu’à la hausse des coefficients correcteurs démontrent que les bulletins de rémunération attaqués ne se fondent pas sur des données objectives leur garantissant une équivalence de pouvoir d’achat. Par conséquent, les bulletins de rémunération attaqués seraient illégaux.

52      Le SEAE conteste cette argumentation.

53      Il y a lieu de rappeler que le principe d’équivalence de pouvoir d’achat entre les fonctionnaires, lequel résulte, notamment, des dispositions de l’article 64 du statut, implique que les droits pécuniaires des fonctionnaires et des agents procurent, à situations professionnelle et familiale équivalentes, un pouvoir d’achat identique quel que soit le lieu d’affectation. Ce principe est mis en œuvre par l’application de coefficients correcteurs à la rémunération exprimant le rapport entre le coût de la vie à Bruxelles, ville de référence, et celui des différents lieux d’affectation (arrêt du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 45).

54      Le coefficient correcteur est un facteur mathématique reflétant le coût de la vie dans le lieu d’affectation par rapport au coût de la vie à Bruxelles. Il est égal à la parité économique (c’est-à-dire le rapport entre le coût, à une période déterminée, d’un même panier de biens et de services en devises locales dans le pays d’affectation et en euros à Bruxelles) divisée par le taux de change officiel et multipliée par 100 (arrêt du 8 novembre 2000, Bareyt e.a./Commission, T‑175/97, EU:T:2000:259, point 4).

55      Pour atteindre l’objectif visant à assurer, en application du principe d’égalité de traitement, un pouvoir d’achat comparable pour les fonctionnaires, quel que soit leur lieu d’affectation, le législateur a prévu, à l’article 65 du statut, une actualisation annuelle et une actualisation intermédiaire des coefficients correcteurs. Ces deux mécanismes d’actualisation des coefficients correcteurs poursuivent la même finalité et affectent les rémunérations de manière identique. La seule différence entre les deux est que l’actualisation intermédiaire est décidée lorsque la variation du coût de la vie dépasse un certain seuil par référence à la période comprise entre juin et décembre de l’année civile précédente (arrêt du 20 juillet 2017, Barnett et Mogensen/Commission, T‑148/16 P, non publié, EU:T:2017:539, point 64).

56      L’actualisation intermédiaire constitue ainsi un exercice de mise à jour d’un coefficient correcteur établi et appliqué selon la procédure d’actualisation annuelle, en cas de variation sensible du coût de la vie, en conformité avec les articles 4 à 7 de l’annexe XI du statut (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2017, Barnett et Mogensen/Commission, T‑148/16 P, non publié, EU:T:2017:539, points 72 et 73).

57      La première étape permettant d’obtenir la parité économique est l’enquête relative aux prix de biens et de services à Bruxelles et dans le pays d’affectation. Le prix de certains biens ou services peut ne pas être pris en considération ou être évalué selon une méthode retenue par Eurostat (voir, en ce sens, arrêts du 7 décembre 1995, Abello e.a./Commission, T‑544/93 et T‑566/93, EU:T:1995:202, point 64, et du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 64).

58      Il est de jurisprudence constante que le libellé des dispositions des articles 64 et 65 et de l’annexe XI du statut ainsi que le degré de complexité de la matière impliquent que les institutions disposent d’une large marge d’appréciation quant aux facteurs et aux éléments à prendre en considération lors de l’adaptation des rémunérations des fonctionnaires et des agents de l’Union (arrêts du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 47, et du 11 décembre 2014, van der Aat e.a./Commission, T‑304/13 P, EU:T:2014:1055, point 66).

59      Dès lors, l’appréciation du juge de l’Union, en ce qui concerne la définition et le choix des données de base et des méthodes statistiques utilisées par Eurostat pour l’établissement des propositions de coefficients correcteurs, doit se limiter au contrôle du respect des principes énoncés par les dispositions du statut, de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits à la base de la fixation des coefficients correcteurs et de l’absence de détournement de pouvoir (arrêts du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 48, et du 11 décembre 2014, van der Aat e.a./Commission, T‑304/13 P, EU:T:2014:1055, point 67).

60      En l’espèce, il ressort notamment du point 3.3.3 du rapport d’Eurostat du 31 octobre 2019 que, au terme de la période de « lissage » sur douze mois du coefficient correcteur actualisé avec effet au 1er février 2018, Eurostat a constaté ce qui suit :

« La parité a ensuite augmenté de 13,0 % au cours de la période de février 2019 à juillet 2019 en raison d’une inflation locale plus élevée, augmentée d’un facteur de lissage progressif suite à l’intégration de nouvelles données d’enquête sur les prix. Avec relativement peu de mouvement du taux de change, le [coefficient correcteur] a par conséquent augmenté de la valeur de janvier 2019 de 94,0 à la valeur de juillet 2019 de 106,4. »

61      À cet égard, les arguments soulevés par les requérants ne concernent pas cette augmentation du coefficient correcteur litigieux, mais bien la légalité des différentes actualisations de ce coefficient reflétées dans les bulletins de rémunération des mois de décembre 2018 et de juin 2019. Dans la mesure où cette argumentation est sans lien avec l’objet du présent litige, il y a lieu de considérer qu’elle est inopérante.

62      Par ailleurs, la seule circonstance que le coefficient correcteur ait fluctué de manière importante entre le 1er février 2018 et le 1er juillet 2019 ne suffit pas pour démontrer qu’une erreur manifeste d’appréciation a été commise à l’occasion de la fixation des coefficients correcteurs litigieux, avec effet au 1er avril et au 1er juillet 2019.

63      En effet, cette fluctuation s’explique par les variations du coût de la vie qu’Eurostat a constatées dans ses rapports du 31 octobre 2018, du 29 avril 2019 ainsi que des 28 et 31 octobre 2019. Or, les requérants n’ont pas démontré que la fixation du coefficient correcteur aurait eu une autre raison que l’évolution des données recueillies par Eurostat.

64      Il convient de souligner, en outre, qu’il incombe aux parties qui veulent mettre en cause les éléments et la méthode utilisés afin de fixer les coefficients correcteurs de fournir des éléments susceptibles de démontrer qu’une erreur manifeste a été commise (arrêts du 25 septembre 2002, Ajour e.a./Commission, T‑201/00 et T‑384/00, EU:T:2002:224, point 49, et du 11 décembre 2014, van der Aat e.a./Commission, T‑304/13 P, EU:T:2014:1055, point 68).

65      À cet égard, les requérants soutiennent d’abord que de nombreux éléments démontrent l’existence d’une inflation et d’une augmentation du coût de la vie en République démocratique du Congo, ce qui contredirait la réduction importante des coefficients correcteurs appliqués à leur rémunération. Ils se réfèrent notamment aux statistiques des institutions congolaises, à l’augmentation des salaires du personnel des organisations de l’ONU et au classement, établi par EuroCost International, de la ville de Kinshasa en troisième position des villes dont le coût de la vie est le plus élevé.

66      Ainsi qu’il a été rappelé aux points 53 et 57 ci-dessus, l’objectif des enquêtes relatives aux prix de biens et de services à Bruxelles et dans le pays d’affectation est d’obtenir la parité de pouvoir d’achat, c’est-à-dire le rapport entre le coût, à une période déterminée, d’un même panier de biens et de services en devises locales dans le pays d’affectation et en euros à Bruxelles. Cela impose de pouvoir relever les prix de biens ou de services identiques ou adéquatement comparables et, ensuite, d’agréger les prix et de les pondérer afin de pouvoir déterminer les dépenses du « fonctionnaire international moyen ». En outre, les prix de certains biens ou services ne sont pas pris en considération par Eurostat (arrêt du 9 juin 2021, FJ e.a./SEAE, T‑698/19, non publié, EU:T:2021:337, point 54).

67      Il est également nécessaire de rappeler que les coefficients correcteurs sont l’expression de la différence de pouvoir d’achat du personnel de l’Union à Bruxelles et dans un autre lieu d’affectation et qu’ils ne reflètent pas uniquement l’évolution du coût de la vie dans cet autre lieu. Il s’ensuit que la seule baisse du coefficient correcteur, même si elle est importante et ne correspond pas à une diminution du coût de la vie dans le lieu d’affectation, n’est pas un indice permettant de conclure à l’existence d’une erreur manifeste quant au choix des méthodes d’évaluation de l’équivalence du pouvoir d’achat (arrêt du 8 novembre 2000, Bareyt e.a./Commission, T‑175/97, EU:T:2000:259, point 65).

68      À cet égard, il convient de relever que les requérants n’avancent pas d’éléments suffisamment concrets qui seraient susceptibles de remettre en cause le constat selon lequel les coefficients correcteurs litigieux sont l’expression correcte du calcul de l’équivalence du pouvoir d’achat entre Kinshasa et Bruxelles, en application de la méthodologie prévue à cet effet, qu’ils affirment eux-mêmes ne pas contester. En effet, ils se limitent à renvoyer à des différences de prix de certains produits entre Kinshasa et Bruxelles, à l’évolution générale de l’inflation à Kinshasa ou encore à des variations de salaire du personnel des organisations de l’ONU, sans toutefois fonder leur argumentation sur la méthodologie suivie par Eurostat ni sur d’éventuelles erreurs dans son application.

69      Interrogés sur ce point lors de l’audience, les requérants invoquent une impossibilité de fournir de tels éléments en raison du fait qu’ils n’auraient pas eu accès à l’ensemble des données utilisées par Eurostat aux fins du calcul des coefficients correcteurs. Or, au-delà des différences constatées entre les situations à Kinshasa et à Bruxelles qui justifient l’établissement d’un coefficient correcteur, mais qui, en tant que telles, n’en déterminent pas le calcul, les requérants auraient pu apporter à tout le moins des commencements de preuve comparatifs et concrets à l’appui de leur allégation selon laquelle une erreur entacherait ce calcul, fondés sur la méthodologie suivie par Eurostat et ses rapports auxquels ils avaient accès.

70      En l’espèce, les requérants n’ont pas démontré en quoi les statistiques des institutions congolaises, visées au point 10 ci-dessus et qu’ils citent pour démontrer l’existence d’une inflation en République démocratique du Congo pour la période concernée, étaient susceptibles d’être comparées et, a fortiori, de remettre en cause les statistiques d’Eurostat élaborées en prenant en considération des éléments différents et une finalité différente, notamment celle de déterminer la différence d’évolution globale des prix entre Bruxelles et le lieu d’affectation, à savoir la République démocratique du Congo. Il s’ensuit que l’argumentation des requérants comparant les variations de l’indice des prix en République démocratique du Congo et celles des coefficients correcteurs pour Bruxelles et la République démocratique du Congo doit être écartée (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, FJ e.a./SEAE, T‑698/19, non publié, EU:T:2021:337, point 56).

71      Il en va de même de l’argumentation concernant l’augmentation des salaires du personnel des organisations de l’ONU. Les requérants ont fait valoir, dans leur requête, que le SEAE n’expliquait pas comment les mêmes données aboutissaient à une hausse des coefficients appliqués aux organisations de l’ONU et à un effondrement des coefficients appliqués, pour la même période, à leur rémunération. Toutefois, le SEAE a affirmé qu’il était inexact que les données utilisées par l’ONU et par Eurostat étaient les mêmes.

72      À cet égard, il convient de rappeler que, afin de respecter le principe d’équivalence de pouvoir d’achat prévu par l’article 64 du statut, Eurostat tient compte de la pondération des dépenses effectuées par les fonctionnaires afin de pouvoir déterminer le rapport entre le coût d’un même panier de biens et de services dans le pays d’affectation et à Bruxelles. Dès lors, quand bien même les données utilisées par l’ONU et Eurostat seraient les mêmes ainsi que le soutiennent les requérants, l’augmentation des coefficients correcteurs appliqués aux salaires du personnel des organisations de l’ONU ne saurait permettre, à elle seule, de remettre en cause ni la réduction ni l’augmentation moins importante des coefficients correcteurs décidées par l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, FJ e.a./SEAE, T‑698/19, non publié, EU:T:2021:337, point 58).

73      Quant au classement, établi par EuroCost International, de Kinshasa en troisième position des villes dont le coût de la vie est le plus élevé en raison d’une inflation soutenue, constatée sur la base de prix collectés en 2018, il n’est nullement établi par les requérants qu’une telle organisation applique la même méthodologie que celle d’Eurostat ou de la CFPI. Au contraire, selon les exemples présentés par le SEAE, il existe des différences de méthodologie importantes concernant, par exemple, la sélection des magasins, les critères d’analyse et la validation des données. Par conséquent, les résultats publiés par EuroCost International ne sauraient être comparables à ceux d’Eurostat (arrêt du 9 juin 2021, FJ e.a./SEAE, T‑698/19, non publié, EU:T:2021:337, point 59).

74      Il s’ensuit que les requérants n’ont pas établi que la réduction des coefficients correcteurs procédait d’une erreur manifeste d’appréciation. La constatation de différences de prix de certains produits entre Kinshasa et Bruxelles, l’existence de taux d’inflation différents entre les deux sites d’affectation ou encore le renvoi aux résultats découlant de méthodologies suivies par d’autres organismes ne constituent pas des indices suffisants susceptibles de remettre en cause le calcul d’Eurostat. En l’absence d’une argumentation plus circonstanciée, les requérants ne sont pas parvenus à remettre en cause l’application correcte de la méthodologie suivie en vue de la détermination des coefficients correcteurs.

75      Partant, le premier grief du premier moyen doit être rejeté.

–       Sur le grief tiré d’une erreur manifeste d’appréciation en raison de l’utilisation de la monnaie du pays d’affectation en lieu et place du dollar des États-Unis pour évaluer le niveau du coefficient correcteur

76      Au soutien de ce grief, les requérants renvoient à la note du 4 décembre 2018 du chef d’administration de la délégation, dans laquelle celui-ci a expliqué les raisons qui justifiaient le paiement de tout ou partie de la rémunération des réclamants en dollars des États-Unis. Ils indiquent que cette note mentionnait, notamment, l’obligation de payer l’essentiel des biens et des services en dollars des États-Unis, les risques physiques d’utiliser le franc congolais ainsi que les risques sérieux de non-convertibilité des francs congolais et les risques de dévaluation de cette monnaie. Eu égard à une évolution quasi identique du dollar des États-Unis et du franc congolais relativement à l’euro, selon un graphique présenté par le chef d’administration de la délégation, celui-ci en concluait que le changement de devise de référence ne pouvait expliquer à lui seul la chute du coefficient correcteur de 219,3 en juillet 2017 à 145,1 en juillet 2018.

77      De surcroît, les requérants affirment ne pas comprendre l’explication du SEAE relative à l’abandon du dollar des États-Unis comme monnaie de référence dans sa décision de rejet de la réclamation, à savoir le fait que la situation exceptionnelle qui justifiait le paiement en dollars des États-Unis était devenue caduque dès lors que le franc congolais avait cessé d’augmenter de manière similaire au dollar des États-Unis. Ils soutiennent, d’une part, que les achats se font toujours en dollars des États-Unis en raison de la volatilité du franc congolais due à l’inflation, et, d’autre part, que le dollar des États-Unis devrait être la seule monnaie de référence étant donné que le franc congolais a cessé d’évoluer de manière similaire au dollar des États-Unis. La prise en compte des prix exprimés en monnaie locale dans l’enquête de prix de la CFPI serait à l’origine de la baisse importante des coefficients correcteurs, suivie par une hausse rapide, et ce en raison de l’inflation soutenue du franc congolais, ce qui serait également la raison pour laquelle le SEAE a décidé de se référer au dollars des États-Unis.

78      Selon les requérants, le passage du dollar des États-Unis au franc congolais a eu un impact sérieux sur les données récoltées et exploitées. Ils concluent à l’illégalité des bulletins de rémunération attaqués en ce que le SEAE n’aurait pas disposé des données objectives lui permettant de fixer les coefficients correcteurs dans le respect de la garantie de l’équivalence de pouvoir d’achat.

79      Le SEAE conteste cette argumentation.

80      À cet égard, il convient d’emblée de relever que l’essentiel des éléments évoqués par les requérants concernant l’utilisation du dollar des États-Unis, ainsi que cela ressort expressément de la requête et ainsi qu’il est rappelé au point 76 ci-dessus, sont liés à la décision de ne plus payer tout ou partie de leur rémunération en dollars des États-Unis, laquelle décision n’a été ni identifiée ni contestée dans le cadre du présent recours.

81      Il en découle que, à défaut pour les requérants d’avoir expliqué en quoi ces éléments s’avéreraient également pertinents au soutien du présent moyen, il doit être considéré qu’ils ne sont pas susceptibles d’établir l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation dans la détermination des coefficients correcteurs applicables aux rémunérations litigieuses (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, FJ e.a./SEAE, T‑698/19, non publié, EU:T:2021:337, point 65).

82      Pour le surplus, les requérants reprochent essentiellement au SEAE, d’une part, d’avoir retenu, comme devise de référence utilisée dans la détermination des coefficients correcteurs, non plus le dollar des États-Unis, mais le franc congolais et, d’autre part, d’avoir estimé, dans ses écritures, que ce changement de devise de référence n’avait, en tant que tel, eu aucun impact sur le niveau de ces coefficients.

83      Or, s’agissant du changement de devise de référence, il convient de relever que les requérants se bornent à contester l’opportunité de ce changement sans fournir le moindre élément de nature à établir l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation commise par le SEAE, compte tenu notamment des éléments d’explication fournis aux requérants par le directeur de la direction C « Statistiques macro-économiques » d’Eurostat dans sa note du 4 décembre 2018. En effet, ces éléments repris par le SEAE dans son mémoire en défense figuraient déjà dans ladite note, ainsi que dans la décision de rejet de la réclamation des requérants.

84      S’agissant de l’allégation relative au fait que le SEAE aurait estimé, dans ses écritures, que le changement de devise de référence pour la détermination des coefficients correcteurs litigieux n’avait, en tant que tel, eu aucun impact sur le niveau de ces coefficients, il suffit de rappeler que les requérants ne peuvent se limiter à remettre en cause la méthode prétendument adoptée par le SEAE sans étayer leur grief. Au contraire, il leur appartient d’apporter la preuve d’une erreur manifeste d’appréciation dans la collecte ou le traitement des données statistiques litigieuses ayant servi à l’élaboration des coefficients correcteurs litigieux, ce qu’ils n’ont clairement pas fait (voir, en ce sens, arrêt du 9 juin 2021, FJ e.a./SEAE, T‑698/19, non publié, EU:T:2021:337, point 69).

85      Par conséquent, le second grief du premier moyen n’est pas fondé. Il s’ensuit que le premier moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, doit être rejeté, sans qu’il soit besoin d’examiner la violation alléguée du principe d’égalité de traitement qui en résulterait.

 Sur le second moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique et du devoir de sollicitude

86      Le SEAE fait valoir que le recours est irrecevable en ce qu’il porte sur le moyen tiré de la violation du principe de sécurité juridique et du devoir de sollicitude, étant donné qu’il ne contient aucune motivation ou explication qui y est afférente, et que les requérants ne peuvent se fonder sur des moyens soulevés dans une autre affaire pour faire valoir leurs droits. Il relève que ces moyens ne font l’objet d’aucune explication.

87      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal, conformément à l’article 53, premier alinéa, du même statut, ainsi que de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, la requête doit contenir l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Ces éléments doivent être suffisamment clairs et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations (ordonnance du 13 mai 2020, Lucaccioni/Commission, T‑308/19, non publiée, EU:T:2020:207, point 34).

88      En particulier, la requête doit expliciter en quoi consiste le moyen sur lequel le recours est fondé, de sorte que sa seule énonciation abstraite ne répond pas aux exigences du règlement de procédure (voir arrêt du 25 mars 2015, Belgique/Commission, T‑538/11, EU:T:2015:188, point 131 et jurisprudence citée ; ordonnance du 27 novembre 2020, PL/Commission, T‑728/19, non publiée, EU:T:2020:575, point 64).

89      Force est de constater en l’espèce que, après avoir énoncé de manière abstraite un moyen tiré de la violation du principe de sécurité juridique et du devoir de sollicitude, les requérants ne développent aucune argumentation juridique spécifique au soutien de ce moyen dans les motifs au fond de leur requête.

90      En conséquence, il y a lieu de rejeter le second moyen comme étant irrecevable, à défaut de satisfaire aux exigences minimales de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, au sens de la jurisprudence citée au point 87 ci-dessus.

91      Aucun des moyens présentés par les requérants n’étant fondé ou recevable, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la demande de mesure d’instruction et la nouvelle preuve déposées par les requérants le 7 mai 2021.

 Sur les dépens

92      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions du SEAE.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      FJ, FL, FM, FN et FP sont condamnés aux dépens.

Svenningsen

Pynnä

Laitenberger

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 décembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.