Language of document : ECLI:EU:T:2021:919

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

21 décembre 2021 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative CLEOPATRA QUEEN – Marque nationale verbale antérieure CLEOPATRA MELFINCO – Articles 15 et 57 du règlement (CE) no 207/2009 [devenus articles 18 et 64 du règlement (UE) 2017/1001] – Preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure – Déclaration de nullité »

Dans l’affaire T‑870/19,

Worldwide Spirits Supply, Inc., établie à Tortola (Îles Vierges britanniques), représentée par Me S. Demetriou, avocate,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. A. Folliard-Monguiral et V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Melfinco S.A., établie à Schaan (Liechtenstein), représentée par Me M. Gioti, avocate,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO du 21 octobre 2019 (affaire R 1820/2018-4), relative à une procédure de nullité entre Melfinco et Worldwide Spirits Supply,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović (rapporteure), présidente, MM. F. Schalin et I. Nõmm, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 20 décembre 2019,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 4 mars 2020,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 15 novembre 2020,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 5 mai 2015, la requérante, Worldwide Spirits Supply, Inc., a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

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3        Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent de la classe 34 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent à la description suivante : « Cigarettes ; cigares ; tabac ; articles pour fumeurs ; allumettes ».

4        Le 3 septembre 2015, la marque contestée a été enregistrée en tant que marque de l’Union européenne sous le numéro 14027338 pour les produits visés au point 3 ci-dessus.                                                            

5        Le 22 décembre 2016, l’intervenante, Melfinco S.A., a formé une demande en nullité de la marque contestée pour tous les produits visés par celle‑ci, conformément à l’article 53, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 60, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001], en raison, notamment, de l’existence d’un risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001].

6        La demande en nullité était fondée notamment sur la marque grecque numéro 155 584, CLEOPATRA MELFINCO, déposée le 3 août 2012 et enregistrée le 29 juillet 2013 pour des produits relevant de la classe 34, à savoir des « cigarettes ».

7        Par décision du 3 août 2018, la division d’annulation a accueilli la demande en nullité de la marque contestée dans son intégralité. La division d’annulation a estimé qu’il existait un risque de confusion à l’égard de l’enregistrement de la marque antérieure.

8        Le 14 septembre 2018, la requérante a formé un recours, auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’annulation.

9        Par décision du 21 octobre 2019 (ci-après la « décision attaquée »), la quatrième chambre de recours a rejeté le recours dans son intégralité et a confirmé l’existence d’un risque de confusion à l’égard de la marque antérieure. En particulier, premièrement, s’agissant de l’affirmation de la requérante selon laquelle l’intervenante n’aurait pas apporté la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure, la chambre de recours a relevé en substance que les conditions de l’article 64, paragraphes 2 et 3, du règlement 2017/1001 – cette disposition étant, selon elle, d’application en l’espèce – n’étaient pas réunies, si bien qu’il n’y avait pas lieu de demander à l’intervenante qu’elle prouvât que la marque antérieure faisait l’objet d’un usage sérieux. À cet égard, la chambre de recours a souligné que la marque antérieure avait été enregistrée le 29 juillet 2013, c’est‑à‑dire moins de cinq ans avant la date de la demande en nullité, le 22 décembre 2016 (voir point 10 de la décision attaquée). Deuxièmement, la chambre de recours a rejeté l’argument de la requérante, selon lequel les marques en conflit auraient coexisté paisiblement pendant une certaine période de temps. Dans ce contexte, elle a indiqué que la requérante n’avait produit aucune preuve concernant la façon dont le consommateur aurait prétendument été confronté aux marques en conflit sur le marché. En effet, la requérante contesterait même le fait que la marque antérieure ait fait l’objet d’un usage sérieux. De plus, selon la chambre de recours, la requérante n’aurait pas non plus démontré que la prétendue coexistence des marques aurait été fondée sur l’absence de risque de confusion de la part du public pertinent (voir point 11 de la décision attaquée).

 Conclusions des parties

10      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, réformer de manière substantielle le contenu de la décision attaquée dans la mesure où l’intervenante devrait être invitée à présenter des preuves d’usage sérieux ou à parvenir à un règlement amiable avec la requérante dans un contexte de coexistence des marques.

11      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

12      L’intervenante n’a pas déposé des conclusions.

 En droit

13      Compte tenu de la date d’introduction de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 5 mai 2015, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2014, Bimbo/OHMI, C‑591/12 P, EU:C:2014:305, point 12, et du 18 juin 2020, Primart/EUIPO, C‑702/18 P, EU:C:2020:489, point 2 et jurisprudence citée).

14      Dans la mesure où les dispositions matérielles pertinentes applicables en l’espèce ont une teneur identique, le fait que les parties se soient référées aux dispositions du règlement 2017/1001 demeure sans incidence aux fins de la présente procédure et il convient d’interpréter leurs arguments comme étant fondés sur les dispositions pertinentes du règlement no 207/2009 [arrêt du 5 octobre 2020, nanoPET Pharma/EUIPO – Miltenyi Biotec (viscover), T‑264/19, non publié, EU:T:2020:470, point 23].

15      Ainsi, dans la mesure où tant les parties que la chambre de recours ont mentionné les articles 18 et 64 du règlement 2017/1001 aux fins de leurs appréciations et arguments, ce sont les articles 15 et 57 du règlement no 207/2009 qui sont d’application.

16      En revanche, en ce qui concerne les dispositions de nature procédurale, à compter du 1er octobre 2017, c’est le règlement 2017/1001 qui s’applique. En effet, selon une jurisprudence constante, les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à tous les litiges pendants au moment où elles entrent en vigueur, à la différence des règles de fond qui sont habituellement interprétées comme ne visant pas des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur (voir arrêt du 8 juillet 2010, Commission/Italie, C‑334/08, EU:C:2010:414, point 60 et jurisprudence citée). Or, le règlement 2017/1001 est entré en vigueur le 1er octobre 2017 (voir l’article 212 de ce règlement).

17      À l’appui de ses différents chefs de conclusions, la requérante invoque deux moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 57, paragraphe 2, et de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, le second vise une violation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), de ce règlement.

 Sur le premier moyen, tiré dune violation de larticle 57, paragraphe 2, et de larticle 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009

18      Dans le cadre de son premier moyen, la requérante reproche en substance à la chambre de recours de ne pas avoir invité l’intervenante à apporter la preuve d’un usage sérieux de la marque antérieure, et ce malgré le fait qu’elle ait formulé une demande en ce sens pendant la procédure devant la chambre de recours. Dans la décision attaquée, la chambre de recours se serait contentée de faire application de l’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 et d’indiquer à cet égard que l’intervenante n’avait pas à prouver l’usage sérieux de la marque antérieure, puisque cette dernière avait été enregistrée le 29 juillet 2013, c’est‑à‑dire moins de cinq ans avant la date de la demande en nullité, le 22 décembre 2016. Or, en argumentant de cette manière, à savoir uniquement sur le fondement dudit article 57, la chambre de recours aurait commis une erreur de droit. Plus précisément, elle aurait méconnu l’énoncé de l’article 15 du règlement no 207/2009. Selon la requérante, cet article 15 prévoit qu’une marque n’ayant pas fait l’objet d’un usage sérieux dans un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement est soumise aux sanctions prévues dans le règlement, à savoir la déchéance. Toujours selon la requérante, en substance, c’est sur la base de cette disposition que la chambre de recours aurait dû demander à l’intervenante de prouver l’usage sérieux de la marque antérieure. En effet, il ressortirait « clairement » du libellé dudit article 15, et en particulier, du terme « est » qui y figure, qu’il s’agirait d’une disposition contraignante qui ne saurait être limitée par les termes de l’article 57 du même règlement. Sauf à aboutir donc à un résultat très inéquitable, les restrictions dudit article 57 ne pourraient pas s’appliquer à des circonstances comme celles du cas d’espèce. À y regarder de plus près, l’interprétation donnée par la chambre de recours au règlement no 207/2009 dans la présente affaire conduirait, selon la requérante, à ce qu’une marque non utilisée, à savoir la marque antérieure, servirait à invalider la marque contestée. Or, l’article 15 du règlement no 207/2009 aurait pour objectif premier de garantir qu’une marque non utilisée ne subsiste pas. L’interprétation privilégiée par la chambre de recours ne serait pas conforme à la finalité du règlement no 207/2009. Compte tenu de ces arguments, la requérante demande au Tribunal d’ordonner à l’intervenante de présenter des preuves d’usage sérieux.

19      L’EUIPO et l’intervenante contestent ces arguments de la requérante.

20      Le Tribunal estime que, avant de procéder à une interprétation de l’article 57, paragraphe 2, à l’aune de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, telle que proposée par la requérante dans le cadre de son premier moyen pour démontrer l’obligation de la chambre de recours de demander à l’intervenante des preuves concernant l’usage sérieux de sa marque antérieure (voir point 18 ci‑dessus), il convient de procéder à l’analyse de ces dispositions prises isolément.

21      En premier lieu, s’agissant de l’article 57, paragraphe 2, première phrase, du règlement no 207/2009, il importe de rappeler que, selon cette disposition, sur requête du titulaire d’une marque de l’Union, le titulaire d’une marque de l’Union antérieure, partie à la procédure de nullité, apporte la preuve que, au cours des cinq années qui précèdent la date de la demande en nullité, la marque de l’Union antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et sur lesquels la demande en nullité est fondée, ou qu’il existe de justes motifs pour le non-usage, pour autant qu’à cette date la marque de l’Union antérieure était enregistrée depuis cinq ans au moins. Selon l’article 57, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, ledit paragraphe 2 s’applique également pour ce qui est des marques nationales antérieures.

22      En l’espèce, il est constant que la marque antérieure, qui est une marque nationale au sens de l’article 57, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, a été enregistrée le 29 juillet 2013, c’est‑à‑dire moins de cinq ans avant la date de la demande en nullité, le 22 décembre 2016. Compte tenu des termes « pour autant qu’à cette date la marque [de l’Union] antérieure était enregistrée depuis cinq ans au moins », figurant audit article 57, paragraphe 2, il y a lieu de constater que, à la date pertinente en l’espèce, à savoir le 22 décembre 2016, la chambre de recours n’était pas en droit de demander, sur requête de la requérante, à l’intervenante de prouver que la marque antérieure avait fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits pour lesquels elle était enregistrée dans les cinq années précédant la date de la demande en nullité. C’est donc à juste titre que la chambre de recours a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’inviter l’intervenante, sur le fondement de l’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, afin qu’elle prouvât l’existence d’un usage sérieux de la marque antérieure dans les cinq ans précédant la date de dépôt de la demande en nullité.

23      En deuxième lieu, s’agissant de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, il y a lieu de rappeler que, selon cette disposition, si, dans un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement, une marque de l’Union n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque est soumise à certaines « sanctions », sauf juste motif pour le non‑usage, ainsi que l’a relevé la requérante elle-même (voir point 18 ci‑dessus).

24      L’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 ne définit pas lui‑même les « sanctions » auxquelles il se réfère, à savoir les conséquences juridiques précises à tirer d’un éventuel non‑usage d’une marque de l’Union, ni les modalités procédurales permettant de parvenir à de telles conséquences. Lesdites « sanctions » sont prévues dans d’autres dispositions du règlement no 207/2009, telles que l’article 42, paragraphe 2, de ce règlement (en ce qui concerne la procédure d’opposition), l’article 51, paragraphe 1, sous a), du même règlement (pour ce qui est de la procédure de déchéance), et l’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 (s’agissant de la procédure de nullité). À cet égard et en tout état de cause, il convient de souligner que, contrairement à l’interprétation prônée par la requérante dans le cadre de son argumentaire (voir point 18 ci‑dessus), ledit article 15 ne prévoit pas qu’une marque n’ayant pas fait l’objet d’un usage sérieux dans un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement est soumise « à la déchéance ». Pour qu’un titulaire d’une marque puisse être considéré comme étant déchu de ses droits relatifs à une marque, encore faut-il que des conditions qui ne sont pas prévues audit article 15 (mais à l’article 51, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, qui porte sur la procédure spécifique consacrée à la déchéance d’une marque) soient remplies.

25      En l’espèce, la requérante ne cherche pas à constater la déchéance de la marque antérieure de l’intervenante sur le fondement de l’article 51, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, mais à démontrer que l’EUIPO avait l’obligation de demander à cette dernière la preuve de son usage sérieux dans une procédure de nullité en se prévalant notamment de l’article 15 de ce règlement.

26      Or, force est de constater que l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 ne prévoit aucunement un droit de l’EUIPO d’ordonner au titulaire d’une marque antérieure la présentation des éléments de preuve, tels que ceux mentionnés par la requérante. Dès lors, une violation de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, du fait que la chambre de recours n’a pas demandé à l’intervenante, sur la base de cette disposition, de prouver l’usage sérieux de sa marque antérieure ne saurait être retenue.

27      En troisième lieu, et également contrairement à ce que suggère la requérante, une lecture combinée de l’article 57, paragraphe 2, et de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 n’est pas non plus susceptible d’étayer la thèse selon laquelle la chambre de recours aurait eu l’obligation, en l’espèce, d’inviter l’intervenante à produire des éléments de preuve aptes à démontrer que la marque antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux.

28      Il est vrai que l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, énonce, tout comme, par ailleurs, le considérant 10 de ce règlement, un objectif général, à savoir la règle selon laquelle les droits liés à la marque de l’Union ne sont maintenus qu’à la condition qu’elle soit effectivement utilisée par le titulaire pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Länsförsäkringar, C‑654/15, EU:C:2016:998, point 25). Cette condition s’explique par la considération qu’il ne serait pas justifié qu’une marque non utilisée fasse obstacle à la concurrence en limitant l’éventail des signes qui peuvent être enregistrés par d’autres en tant que marque et en privant les concurrents de la possibilité d’utiliser un signe identique ou similaire à cette marque lors de la mise sur le marché intérieur de produits ou de services identiques ou similaires à ceux qui sont protégés par la marque en cause (voir arrêt du 21 décembre 2016, Länsförsäkringar, C‑654/15, EU:C:2016:998, point 25 et jurisprudence citée).

29      Néanmoins, il y a lieu de constater que l’objectif général mentionné au point 30 ci‑dessus n’a pas été formulé de manière absolue audit article 15, paragraphe 1. Au contraire, ainsi qu’il résulte de cette même disposition, cet objectif se trouve tempéré par la prise en compte des intérêts du titulaire d’une marque de l’Union. Plus précisément, ledit article 15, paragraphe 1, confère au titulaire un « délai de grâce » pour procéder à un usage sérieux de sa marque, au cours duquel il peut se prévaloir du droit exclusif conféré par celle-ci, au titre de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, pour l’ensemble de ces produits et services, sans devoir démontrer un tel usage (arrêt du 21 décembre 2016, Länsförsäkringar, C‑654/15, EU:C:2016:998, point 26). Aucune « sanction » au titre de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 ne saurait être imposée par l’EUIPO au titulaire de la marque antérieure en ce qui concerne l’usage sérieux de cette marque dans l’Union pour les produits et les services concernés, tant que la période de temps existante entre l’enregistrement de la marque antérieure et la date à laquelle une « sanction » a été demandée reste en dessous de cinq ans.

30      L’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, quant à lui, tient compte explicitement dudit « délai de grâce » visé à l’article 15, paragraphe 1 (voir les derniers termes de la première phrase dudit article 57, paragraphe 2 : « pour autant qu’à cette date la marque [de l’Union] antérieure était enregistrée depuis cinq ans au moins »). De fait, ledit « délai de grâce » est une des conditions essentielles dont l’EUIPO doit tenir compte lorsqu’il vérifie, sur le fondement de l’article 57, paragraphe 2, dudit règlement, s’il y a lieu d’ordonner au titulaire d’une marque antérieure la production d’éléments de preuve aptes à démontrer que cette marque a fait l’objet d’un usage sérieux. En l’espèce, la chambre de recours a tenu compte de tous ces éléments.

31      Par ailleurs, il y a lieu de relever que le juge de l’Union a eu l’occasion d’aborder la mise en balance qui doit être opérée entre l’objectif général de l’article 15 du règlement no 207/2009 (voir point 30 ci‑dessus), d’une part, et la protection des intérêts du titulaire de la marque antérieure que confère la mise en œuvre dudit « délai de grâce » de cinq ans (voir point 31 ci‑dessus), d’autre part, lors de l’interprétation d’autres dispositions du règlement no 207/2009. Sur ce point, le libellé de ces dispositions est similaire au libellé de l’article 57, paragraphe 2, du règlement no 207/2009.

32      Ainsi, il y a lieu de rappeler que, selon l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009, en substance, et sous réserve des précisions ultérieures prévues par celui-ci, le titulaire de la marque de l’Union est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’Office ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage. Or, tout ce qui vient d’être exposé aux points 30 et 31 ci‑dessus a été relevé par la Cour non seulement en ce qui concerne l’article 15 du règlement no 207/2009, mais également s’agissant de la procédure de déchéance visée à l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 (arrêt du 21 décembre 2016, Länsförsäkringar, C‑654/15, EU:C:2016:998, points 24 à 29).

33      Ainsi, il convient de rappeler que l’article 42, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 – disposition, qui est au cœur de la procédure d’opposition – ne prévoit d’obligation pour l’opposant de fournir, sur requête du demandeur, la preuve de l’usage sérieux de la marque antérieure que pour autant que, à la date de la publication de la demande d’enregistrement de la marque de l’Union européenne, la marque antérieure était enregistrée depuis cinq ans au moins. À cet égard, le juge de l’Union a d’ores et déjà jugé que, en instituant cette règle, le législateur de l’Union a explicitement fixé un critère concernant la date de référence pour établir la recevabilité des demandes de preuve de l’usage, à savoir la date à laquelle est intervenue la publication de la demande d’enregistrement de la marque, sans que l’éventuelle ouverture ultérieure d’une procédure d’opposition puisse avoir une quelconque influence sur cette date de référence. Ensuite, il y a été jugé qu’il n’existait pas de contradiction entre l’article 42, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 et la finalité de l’obligation de faire usage de la marque, car les parties disposent d’autres voies de recours pour se protéger d’une opposition fondée sur une marque qui risquerait la déchéance pour non-usage au cours de la procédure d’opposition. Tel est le cas, puisque, dans le cas d’une marque de l’Union européenne, une demande de déchéance pour non-usage pourrait à tout moment être déposée, y compris pendant la procédure d’opposition relative à cette marque. Dans le cas d’une marque nationale, la demande doit se conformer aux dispositions nationales que les États membres sont tenus d’adopter [ordonnance du 30 mai 2013, Wohlfahrt/OHMI, C‑357/12 P, non publiée, EU:C:2013:356, points 30 à 32 ; arrêts du 15 juillet 2015, TVR Automotive/OHMI – TVR Italia (TVR ITALIA), T‑398/13, EU:T:2015:503, point 33, et du 8 novembre 2017, Pempe/EUIPO – Marshall Amplification (THOMAS MARSHALL GARMENTS OF LEGENDS), T‑271/16, non publié, EU:T:2017:787, point 21].

34      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de conclure que l’interprétation que donne la requérante des articles 15 et 57 du règlement no 207/2009 procède d’une mauvaise lecture de ces deux dispositions, à savoir, en particulier, de l’obligation, pour l’EUIPO, de respecter le « délai de grâce » de cinq ans dont il est question dans ces deux dispositions, si bien que les arguments soulevés par la requérante dans le cadre de son premier moyen ne peuvent qu’être rejetés comme étant non fondés, tout comme le premier moyen dans son intégralité.

35      Tel est également le cas de la demande, présentée par la requérante dans sa requête, laquelle vise à ce que le Tribunal ordonne, lui-même, à l’intervenante de présenter des preuves sur l’usage sérieux de la marque antérieure. Sans qu’il soit besoin d’aborder sa recevabilité, force est de constater que cette demande repose, tout comme l’ensemble du premier moyen, sur une mauvaise interprétation des articles 15 et 57 du règlement no 207/2009, dont il est question dans les appréciations précédentes.

 Sur le second moyen, tiré dune violation de larticle 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009

36      Dans le cadre de son second moyen, la requérante fait valoir que les considérations de la chambre de recours quant à une coexistence des marques en conflit, telles qu’elles découlent du point 11 de la décision attaquée (voir point 9 ci‑dessus), sont entachées d’erreur. Certes, elle aurait soutenu devant l’EUIPO qu’il y avait lieu de demander à l’intervenante de prouver l’usage sérieux à l’égard du public pertinent, à savoir le public grec. De plus, elle aurait soutenu devant l’EUIPO que, dans le cadre de son enregistrement européen, la marque contestée avait été utilisée dans plusieurs États membres de l’Union, en ne désignant pas spécifiquement la Grèce. Mais, contrairement à ce qui ressort de la décision attaquée, ces deux moyens ne devraient pas être examinés conjointement et ne s’annuleraient pas l’un l’autre, même si l’absence de preuves contraires devrait être un indice d’une absence d’usage sérieux dans le contexte de la Grèce. En l’espèce, il y a donc lieu, selon la requérante, d’interpréter son affirmation concernant la « coexistence paisible » comme visant au maintien du statu quo pour les deux marques, le titulaire de la marque grecque poursuivant ses activités (si tant est qu’elles existent) en Grèce, tandis que le titulaire de la marque de l’Union européenne poursuit les siennes au sein de l’Union, à l’exclusion de la Grèce.

37      L’EUIPO et l’intervenante contestent ces arguments.

38      À titre liminaire, il y a lieu de souligner que la requérante remet en cause les appréciations de la chambre de recours concernant l’existence d’un risque de confusion, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, uniquement sous l’angle de ce que la chambre de recours a relevé au regard de la coexistence des marques en conflit sur le marché pertinent. Il convient de préciser, à cet égard, que, dans la procédure devant la chambre de recours, la requérante n’avait pas non plus avancé d’arguments concernant le risque de confusion autres que ceux liés à l’existence d’une éventuelle coexistence des marques en conflit. En particulier, elle n’avait pas remis en cause les appréciations de la division d’annulation en ce qui concerne la comparaison des services, la comparaison des signes ou l’appréciation globale du risque de confusion. Dans la mesure où elles étaient non contestées, la chambre de recours a, quant à elle, fait siennes les appréciations de la division d’annulation (voir point 12 de la décision attaquée).

39      Afin de répondre au second moyen de la requérante, il convient de rappeler que la coexistence des marques en conflit sur le marché pertinent figure au nombre des facteurs pertinents à prendre en considération dans le cadre de l’appréciation globale du risque de confusion dont il est question à l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

40      Une telle coexistence des marques en conflit peut, conjointement à d’autres éléments, aboutir à amoindrir le risque de confusion entre ces marques dans l’esprit du public pertinent [voir arrêt du 12 juin 2018, Cotécnica/EUIPO – Mignini & Petrini (cotecnica MAXIMA), T‑136/17, non publié, EU:T:2018:339, point 84 et jurisprudence citée]. Dans des cas particuliers, la coexistence de marques antérieures sur le marché peut éventuellement éliminer totalement le risque de confusion entre deux marques en conflit [voir, en ce sens, arrêts du 2 octobre 2013, Cartoon Network/OHMI – Boomerang TV (BOOMERANG), T‑285/12, non publié, EU:T:2013:520, point 55, et du 27 janvier 2021, Turk Hava Yollari/EUIPO – Sky (skylife), T‑382/19, non publié, EU:T:2021:45, point 46].

41      Pour que la coexistence de deux marques puisse avoir de telles conséquences, certaines conditions doivent être remplies.

42      Ainsi, l’éventualité qu’une coexistence de marques antérieures sur le marché puisse amoindrir le risque de confusion constaté ne saurait être prise en considération que si, à tout le moins, au cours de la procédure concernant des motifs relatifs de refus devant l’EUIPO, le demandeur de la marque de l’Union européenne a démontré à suffisance que ladite coexistence reposait sur l’absence d’un risque de confusion, dans l’esprit du public pertinent, entre les marques antérieures dont il se prévaut et la marque antérieure qui fonde l’opposition, et sous réserve que les marques antérieures invoquées par le demandeur et les marques en conflit soient identiques [voir arrêts du 12 juin 2018, cotecnica MAXIMA, T‑136/17, non publié, EU:T:2018:339, point 85 et jurisprudence citée, et du 27 février 2020, Knaus Tabbert/EUIPO – Carado (CaraTour), T‑202/19, non publié, EU:T:2020:75, point 84 et jurisprudence citée]. Si la marque antérieure sur laquelle est fondée l’opposition est une marque de l’Union européenne, il incombe à la partie invoquant une coexistence entre cette marque antérieure et d’autres marques de la prouver sur le territoire de l’ensemble des États membres [voir arrêt du 20 novembre 2017, Cotécnica/EUIPO – Visán Industrias Zootécnicas (cotecnica OPTIMA), T‑465/16, non publié, EU:T:2017:825, point 99 et jurisprudence citée].

43      Par ailleurs, tout argument tiré d’une coexistence implique au préalable notamment la démonstration de l’usage effectif de la marque dont la requérante se prévaut [voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2015, La Rioja Alta/OHMI – Aldi Einkauf (VIÑA ALBERDI), T‑489/13, EU:T:2015:446, point 81]. En outre, dans la mesure où il ressort également de la jurisprudence que la coexistence de deux marques doit être suffisamment longue pour qu’elle puisse influer sur la perception du consommateur pertinent, la durée de la coexistence constitue également un élément essentiel [voir arrêt du 12 juillet 2019, Ogrodnik/EUIPO – Aviário Tropical (Tropical), T‑276/17, non publié, EU:T:2019:525, point 80 et jurisprudence citée]. De plus, ladite coexistence doit être effectivement paisible. Ainsi, l’existence d’un contentieux entre les titulaires des marques antérieures empêche que la coexistence soit retenue.

44      Enfin, la coexistence entre deux marques doit être démontrée par le titulaire ou le demandeur de la marque contestée, au cours de la procédure concernant les motifs relatifs de refus devant l’EUIPO, qui peut, dans le cadre de la démonstration du fait que cette coexistence repose sur l’absence d’un risque de confusion, avancer un faisceau d’indices en ce sens. À cet égard, sont particulièrement pertinents les éléments attestant de la connaissance de chacune des marques en cause par le public pertinent avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée [arrêt du 9 mars 2018, Recordati Orphan Drugs/EUIPO – Laboratorios Normon (NORMOSANG), T‑103/17, non publié, EU:T:2018:126, points 88 et 89].

45      En l’espèce, ainsi qu’il ressort du dossier devant l’EUIPO, la requérante n’a produit aucun élément de preuve concernant la façon dont le consommateur aurait prétendument été confronté aux marques en conflit sur le marché de l’Union dans sa globalité ou en Grèce. Elle n’a pas non plus démontré que la prétendue coexistence des marques aurait été fondée sur l’absence de risque de confusion de la part du public pertinent. Par ailleurs, aucun élément quant à la durée de la prétendue coexistence des marques sur le marché pertinent, ni en ce qui concerne son caractère paisible n’a été fourni par la requérante.

46      Dès lors, sans qu’il soit besoin d’approfondir l’assertion de la requérante selon laquelle il y a lieu de comprendre son affirmation concernant la coexistence paisible des marques en conflit comme visant, en réalité, le maintien du statu quo pour les deux marques (utilisation de la marque antérieure en Grèce et utilisation de la marque contestée dans le reste de l’Union), le second moyen de la requérante doit être rejeté comme étant non fondé.

47      Il s’ensuit que le premier chef de conclusions doit être rejeté.

48      Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur le deuxième chef de conclusions de la requérante.

 Sur les dépens

49      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

50      La requérante ayant succombé, et l’EUIPO ayant conclu en ce sens, il y a lieu de condamner la requérante à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par l’EUIPO.

51      L’intervenante n’ayant pas conclu à la condamnation de la requérante aux dépens, il y a lieu de décider qu’elle supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Worldwide Spirits Supply, Inc. est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).

3)      Melfinco S.A. est condamnée à supporter ses propres dépens.

Tomljenović

Schalin

Nõmm

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 décembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.