Language of document : ECLI:EU:T:2015:856

DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT
DE LA NEUVIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

11 novembre 2015 (*)

« Intervention – Intérêt à la solution du litige – Rejet »

Dans l’affaire T‑712/14,

Confédération européenne des associations d’horlogers-réparateurs (CEAHR), établie à Bruxelles (Belgique), représentée initialement par Mes P. Mathijsen et P. C. Dyrberg, puis par Me M. Sánchez Rydelski, avocats,


partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée initialement par MM. F. Ronkes Agerbeek, M. Farley et C. Urraca Caviedes, puis par MM. Ronkes Agerbeek et A. E. Dawes et Mme J. Norris - Usher, en qualité d’agents,


partie défenderesse,

soutenue par

The Swatch Group SA, représentée par Me A. Israel et M. Jakobs, avocats,

par

LVMH Moët Hennessy-Louis Vuitton, représenté par Me R. Subiotto, Q. C. et Me C. Froitzheim, avocat,

et par

Rolex, SA, représentée par Me M. Araujo Boyd, avocat,

parties intervenantes,

ayant pour objet un recours en annulation de la décision C(2014) 5642 final de la Commission du 29 juillet 2014, rejetant la plainte introduite par la requérante dans l’affaire COMP.39.097 – réparation des montres,

LE PRÉSIDENT DE LA NEUVIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le 20 juillet 2004, la requérante a déposé une plainte auprès de la Commission des Communautés européennes contre plusieurs entreprises, dont les intervenantes (The Swatch Group SA, LVMH Moët Hennessy-Louis Vuitton, Rolex, SA), actives dans le secteur de la fabrication de montres (ci-après les « fabricants de montres suisses »). Dans la plainte, elle dénonçait l’existence d’un accord ou d’une pratique concertée entre les fabricants de montres suisses et faisait état d’un abus de position dominante résultant du refus, par ces fabricants, de continuer à approvisionner les réparateurs de montres indépendants en pièces de rechange.

2        Le 10 juillet 2008, la Commission a adopté la décision C (2008) 3600, fondée sur l’article 7, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures de mise en œuvre par la Commission en application des articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO L 123, p. 18). Par cette décision, après une enquête limitée, elle a rejeté la plainte en invoquant l’absence d’un intérêt communautaire suffisant pour poursuivre l’enquête sur les infractions alléguées (ci-après la « première décision de la Commission »).

3        Par arrêt du 15 décembre 2010, CEAHR/Commission (T‑427/08, EU:T:2010:517), le Tribunal a annulé la première décision de la Commission, en constatant que celle-ci était entachée d’une insuffisance de motivation, d’un défaut de prise en considération des éléments pertinents et d’erreurs manifestes d’appréciation, vices qui ont affecté la conclusion de la Commission relative à l’absence d’un intérêt communautaire suffisant pour la poursuite de l’enquête.

4        Le 1er août 2011, la Commission a ouvert une procédure en vertu du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003, L 1, p. 1). Au cours de son enquête, elle a adressé des demandes de renseignements, en vertu de l’article 18 dudit règlement, notamment à la requérante et aux associations espagnole, britannique, allemande et française représentant des réparateurs indépendants de montres et a tenu des réunions avec certaines de ces associations. La Commission a également adressé des demandes de renseignements à 64 réparateurs indépendants de montres actifs dans cinq États membres de l’Union, ainsi qu’aux fabricants de montres suisses. Enfin, elle a également tenu plusieurs réunions avec la requérante à plusieurs étapes de la procédure administrative.

5        Le 29 juillet 2014, la Commission a adopté la décision C(2014) 5642 final (COMP.39.097 – réparation des montres, ci-après la « décision attaquée »). Elle a considéré qu’il existait une probabilité limitée qu’une infraction aux articles 101 TFUE et 102 TFUE puisse être établie. Dès lors, en exerçant son pouvoir discrétionnaire quant à la définition des priorités, elle a estimé qu’il n’existait pas de motifs suffisants pour continuer l’enquête relative aux infractions alléguées et a rejeté la plainte en vertu de l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 773/2004.

 Procédure

6        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 octobre 2014, la requérante a introduit un recours en annulation contre la décision attaquée.

7        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 31 mars 2015, Cousins Material House Ltd (ci-après « Cousins ») a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la requérante.

8        La demande en intervention a été signifiée aux parties, conformément à l’article 116, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991.

9        Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 avril 2015, la Commission a demandé au Tribunal de rejeter la demande en intervention.

10      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 22 avril 2015, la requérante a signalé qu’elle ne s’opposait pas à l’intervention.

 En droit

11      En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige, à l’exclusion des litiges entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, a le droit d’intervenir. Les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien des conclusions de l’une des parties.

12      Il résulte d’une jurisprudence constante que la notion d’intérêt à la solution du litige, au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entend comme un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens soulevés. En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt (ordonnances du 25 novembre 1964, Lemmerz-Werke/Haute Autorité, 111/63, Rec, EU:C:1964:82 ; du 12 avril 1978, Amylum e.a./Conseil et Commission, 116/77, 124/77 et 143/77, Rec, EU:C:1978:81, points 7 et 9 ; ordonnances du 25 février 2003, BASF/Commission, T‑15/02, Rec, EU:T:2003:38, point 26, et du 4 février 2004, Coöperatieve Aan- en Verkoopvereniging Ulestraten, Schimmert en Hulsberg e.a./Commission, T‑14/00, Rec, EU:T:2004:32, point 11). Il convient, notamment, de vérifier que la demanderesse en intervention est touchée directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain [ordonnance du 17 juin 1997, National Power et PowerGen, C‑151/97 P(I) et C‑157/97 P(I), Rec, EU:C:1997:307, point 53 ; ordonnance du 3 juin 1999, ACAV e.a./Conseil, T‑138/98, Rec, EU:T:1999:121, point 14].

13      Il ressort également de la jurisprudence qu’il convient d’établir une distinction entre les demanderesses en intervention justifiant d’un intérêt direct au sort réservé à l’acte spécifique dont l’annulation est demandée et celles qui ne justifient que d’un intérêt indirect à la solution du litige, en raison de similarités entre leur situation et celle d’une des parties (ordonnances du 15 novembre 1993, Scaramuzza/Commission, C‑76/93 P, Rec, EU:C:1993:880 et EU:C:1993:881 ; ordonnances BASF/Commission, point 12 supra, EU:T:2003:38, point 27, et Coöperatieve Aan- en Verkoopvereniging Ulestraten, Schimmert en Hulsberg e.a./Commission, point 12 supra, EU:T:2004:32, point 12).

14      En l’espèce, Cousins fait valoir qu’elle est le grossiste le plus important du Royaume-Uni en pièces de rechange de montres de marque, avec un catalogue actuel de 115 000 pièces. Elle opèrerait dans ce domaine depuis 1969 et fournirait des pièces de rechange aux réparateurs indépendants de montres et aux réparateurs agréés, appartenant aux réseaux des fabricants de montres suisses.

15      En premier lieu, Cousins estime qu’elle a un intérêt direct et actuel au sort du litige puisque, si le Tribunal annule la décision attaquée en raison des erreurs de droit et de fait, ainsi que des erreurs manifestes d’appréciation relevées par la requérante, ceci accorderait un avantage direct à Cousins, tandis que le maintien de la décision aurait un effet grave, défavorable et immédiat sur ses activités.

16      Cousins relève à cet égard, à titre d’exemple, que Swatch Group lui a signalé à l’époque de l’adoption de la décision attaquée qu’à partir du 31 décembre 2015, il cesserait de lui fournir des pièces de rechange. Ainsi, la décision de Swatch Group de mettre fin à l’approvisionnement à Cousins serait directement liée à ladite décision, puisque celle-ci donnerait une légitimité directe et claire aux décisions prises par les fabricants de montres suisses de mettre fin aux approvisionnements de longue date en pièces de rechange, outils et autres composants. Cousins estime que, en général, la décision attaquée donne une justification aux fabricants de montres suisses de maintenir et étendre leur pratique de refus d’approvisionnement, tandis qu’une telle justification n’existerait plus si le Tribunal annulait la décision attaquée.

17      La Commission estime que les circonstances mentionnées par Cousins ne permettent pas d’accueillir la demande en intervention, étant donné que l’annulation de la décision attaquée n’entraînerait pas automatiquement un changement dans la situation économique de Cousins.

18      Il y a lieu de relever que, selon l’ordonnance du 16 novembre 2012, Si.mobil/Commission (T‑201/11, EU:T:2012:606), l’annulation d’une décision de la Commission rejetant une plainte introduite en vue d’obtenir la constatation d’une violation des règles de la concurrence de l’Union pourrait conduire cette dernière à enquêter davantage sur le fondement de la plainte, cependant, elle n’aurait pas pour effet de contraindre la Commission à établir une telle violation. Dès lors, les avantages que la demanderesse en intervention peut tirer de l’annulation ne constituent pas un intérêt direct et actuel à la solution du litige, mais il s’agit, tout au plus, d’un intérêt indirect, futur et hypothétique résultant d’une similarité de la situation économique de la requérante et de celle de la demanderesse en intervention (voir, en ce sens, ordonnance Si.mobil/Commission, précitée, point 12).

19      Le caractère hypothétique de l’impact de l’annulation de la décision attaquée sur la situation de Cousins est d’ailleurs corroboré, en l’espèce, par le fait que, à la suite de l’annulation de la première décision de la Commission, celle-ci avait mené une enquête supplémentaire, mais a tout de même considéré, dans la décision attaquée, que la probabilité de l’établissement d’une infraction aux articles 101 TFUE et 102 TFUE restait limitée.

20      Il s’ensuit que le lien entre l’annulation de la décision attaquée et l’éventuel changement de la pratique des fabricants de montres suisses relative à la fourniture des pièces de rechange est trop lointain, de sorte que le présent argument de Cousins ne permet pas d’établir un intérêt direct et actuel à la solution du litige.

21      En deuxième lieu, Cousins relève qu’elle est une société concurrente des fabricants de montres suisses, d’une part, en ce qui concerne l’approvisionnement en pièces de rechange, composants et outils pour les réparateurs autorisés par les fabricants, et, d’autre part, en ce qui concerne la fourniture des pièces de rechange à des réparateurs indépendants de montres. Une telle situation de concurrence justifierait l’intervention selon la jurisprudence. Cousins souligne que le maintien de la décision attaquée impliquerait un changement profond de la structure du marché et son élimination en tant que concurrent des fabricants quant aux deux aspects mentionnés.

22      La Commission estime que dans le cas d’un recours en annulation contre une décision rejetant la plainte en raison d’une probabilité insuffisante d’établir une violation des articles 101 TFUE ou 102 TFUE, la circonstance d’être concurrent des entreprises visées par la plainte ne suffit pas pour justifier l’accueil de la demande en intervention.

23      Il y a lieu de relever que Cousins est effectivement une société concurrente des fabricants de montres suisses notamment en ce qui concerne la vente des pièces de rechange des montres qui sont manufacturés par lesdits fabricants.

24      Cependant, quant à l’argument de Cousins tiré de la jurisprudence, il y a lieu de relever que les précédents sur lesquels elle s’appuie, à savoir l’ordonnance du 21 février 2008, Der Grüne Punkt – Duales System Deutschland/Commission, (C‑385/07 P, EU:C:2008:114) et l’ordonnance du 7 juillet 1998, Van den Bergh Foods/Commission (T‑65/98 R, EU:T:1998:155) concernaient des situations factuelles différentes de celle de l’espèce, dès lors que les recours dans ces affaires ont été introduits contre des décisions de la Commission qui constataient une infraction aux règles de droit de la concurrence de l’Union. L’annulation de telles décisions cause un désavantage immédiat aux concurrents, dès lors que l’acte qui déclare illégal et interdit un certain comportement sur le marché par les entreprises visées, nuisible aux concurrents, disparaît de l’ordre juridique de l’Union. Il en va différemment quant à la décision ataquée, puisque, dans celle-ci, la Commission n’a pas définitivement qualifié le comportement des fabricants de montres suisses de légal ni d’illégal, de sorte que l’annulation de ladite décision aurait eu un impact sur la qualification du comportement qui est beaucoup plus lointain et incertain que dans le cas des décisions constatant une infraction. En effet, la conclusion finale de la décision attaquée était que la Commission n’avait pas de motifs suffisants pour continuer son enquête, eu égard à la probabilité limitée de l’établissement d’une infraction aux articles 101 TFUE ou 102 TFUE. Dès lors, son annulation pourrait amener la Commission à reprendre son enquête, tandis que la qualification juridique du comportement des fabricants de montres suisses demeurerait une question ouverte.

25      Il s’ensuit que l’intérêt de Cousins se rapporte aux constatations du Tribunal dans l’arrêt futur quant aux moyens soulevés par la requérante, comme elle le souligne d’ailleurs dans son argumentation (voir le point 15 ci-dessus), et ne constitue pas un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes.

26      En tout état de cause, il ressort de l’ordonnance Si.mobil/Commission (point 18 supra, EU:T:2012:606) que la relation de concurrence entre l’entreprise dont le comportement est qualifiée d’infraction aux règles de concurrences de l’Union et la demanderesse en intervention est en soi insuffisante pour établir que celle-ci a un intérêt direct et actuel à la solution du litige, étant donné que le Tribunal n’a pas pris en compte cet élément bien connu par lui et avancé par la demanderesse en intervention, et a rejeté la demande en intervention (ordonnance Si.mobil/Commission, précitée, points 10 à 12, voir aussi arrêt du 17 décembre 2014, Si.mobil/Commission, T‑201/11, EU:T:2014:1096, point 4).

27      En troisième lieu, Cousins souligne que, étant le plus grand grossiste indépendant du Royaume-Uni spécialisé dans la fourniture de pièces de rechange pour le secteur des réparateurs indépendants de montres, elle est censée soutenir les intérêts de ce secteur d’une manière qui est analogue mais différente de celles des associations professionnelles telles que CEAHR.

28      À cet égard, il y a lieu de relever que, même si Cousins partage de toute évidence un intérêt économique avec des réparateurs indépendants de montres, il existe une relation fournisseur-client entre elle et lesdits réparateurs, et elle ne saurait être considérée comme une organisation représentant les intérêts de ceux-ci. Dès lors, sa situation est fondamentalement différente de CEAHR, qui est une organisation internationale sans but lucratif, dont la seule mission est de représenter les intérêts des réparateurs indépendants de montres.

29      Au demeurant, s’agissant du partage de l’intérêt avec les réparateurs indépendants de montres et les associations les représentant en ce qui concerne la continuité de l’approvisionnement en pièces de rechange, il y a lieu de relever que le seul fait qu’un opérateur économique se trouve dans une situation analogue à celle de la requérante ne suffit pas, à lui seul, à justifier un intérêt à intervenir au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour (ordonnances du 20 mars 1998, CAS Succhi di Frutta/Commission, T‑191/96, EU:T:1998:60, point 34, et Si.mobil/Commission, point 18 supra, EU:T:2012:606, point 7).

30      Dès lors, cet argument ne saurait, non plus, justifier l’accueil de la demande en intervention.

31      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter la demande en intervention.

 Sur les dépens

32      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, applicable en l’espèce en vertu de l’article 144, paragraphe 6, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Cousins ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens afférents à la présente demande qui ont été exposés par la Commission, conformément aux conclusions de celle-ci. La requérante n’ayant pas présenté de conclusions quant aux dépens afférents à la présente demande, il convient d’ordonner qu’elle supporte ses propres dépens exposés à cet égard.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA NEUVIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      La demande en intervention est rejetée.

2)      Cousins Material House Ltd supporte ses propres dépens ainsi que ceux de la Commission qui sont afférents à la demande en intervention.

3)      Confédération Européenne des Associations d’Horlogers-Réparateurs (CEAHR) supporte ses propres dépens afférents à la demande en intervention.

Fait à Luxembourg, le 11 novembre 2015.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      G. Berardis


* Langue de procédure : l’anglais.