Language of document : ECLI:EU:T:2005:365

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

19 octobre 2005 (*)

« Pêche – Conservation des ressources de la mer – Stabilité relative des activités de pêche de chaque État membre – Échange de quotas de pêche – Transfert à la République française d’une partie du quota de pêche d’anchois alloué à la République portugaise – Annulation des dispositions autorisant ce transfert – Diminution pour le Royaume d’Espagne des possibilités de pêche effectives – Responsabilité extracontractuelle de la Communauté – Règle de droit conférant des droits aux particuliers – Réalité du préjudice »

Dans l’affaire T-415/03,

Cofradía de pescadores de « San Pedro » de Bermeo, établie à Bermeo (Espagne), et les autres requérants dont les noms figurent en annexe au présent arrêt, représentés par Mes E. Garayar Gutiérrez, G. Martínez-Villaseñor, Mme A. García Castillo et M. Troncoso Ferrer, avocats,

parties requérantes,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme M. Balta et M. F. Florindo Gijón, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par M. T. van Rijn et Mme S. Pardo Quintillán, puis par MM. van Rijn et F. Jimeno Fernández, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

et

République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme A. Colomb, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

parties intervenantes,

ayant pour objet un recours en indemnité visant à obtenir la réparation du préjudice prétendument subi par les requérants à la suite de l’autorisation par le Conseil du transfert à la République française d’une partie du quota d’anchois alloué à la République portugaise,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de M. M. Jaeger, président, Mme V. Tiili et M. O. Czúcz, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 mars 2005,

rend le présent

Arrêt

 Cadre juridique et antécédents du litige

1.     Totaux admissibles de capture

1        L’article 161, paragraphe 1, sous f), de l’acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume d’Espagne et de la République portugaise et aux adaptations des traités (JO 1985, L 302, p. 23, ci-après l’« acte d’adhésion ») a alloué au Royaume d’Espagne 90 % du total admissible des captures (ci-après le « TAC ») d’anchois dans la division VIII des eaux couvertes par le Conseil international d’exploration de la mer (ci-après la « zone CIEM VIII »), à savoir le golfe de Gascogne, 10 % étant attribués à la République française. Par ailleurs, conformément au principe de stabilité relative des activités de pêche de chaque État membre pour chacun des stocks concernés (ci-après le « principe de stabilité relative »), énoncé, pour la première fois, à l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 170/83 du Conseil, du 25 janvier 1983, instituant un régime communautaire de conservation et de gestion des ressources de pêche (JO L 24, p. 1), le TAC d’anchois des divisions IX et X des eaux couvertes par le Conseil international d’exploration de la mer (ci-après, respectivement, la « zone CIEM IX » et la « zone CIEM X ») et de la division 34.1.1 du plan élaboré par le Comité des pêches de l’Atlantique Centre-Est (ci-après la « zone Copace 34.1.1 »), situées à l’ouest et au sud-ouest de la péninsule ibérique, a été partagé entre le Royaume d’Espagne et la République portugaise, à raison de, environ, 48 % pour le Royaume d’Espagne et 52 % pour la République portugaise.

2        Le règlement (CEE) n° 3760/92 du Conseil, du 20 décembre 1992, instituant un régime communautaire de la pêche et de l’aquaculture (JO L 389, p. 1), adopté sur le fondement de l’article 43 du traité CE, prévoyait, aux termes de son article 2, paragraphe 1 :

« En ce qui concerne les activités d’exploitation, les objectifs généraux de la politique commune de la pêche sont de protéger et de conserver les ressources aquatiques marines vivantes, disponibles et accessibles, et de prévoir une exploitation rationnelle et responsable sur une base durable, dans des conditions économiques et sociales appropriées pour le secteur, compte tenu de ses conséquences pour l’écosystème marin et compte tenu notamment des besoins à la fois des producteurs et des consommateurs.

À cet effet, un régime communautaire de gestion des activités d’exploitation est établi, qui doit permettre d’atteindre de façon durable un équilibre entre les ressources et l’exploitation dans les différentes zones de pêche. »

3        L’article 4 du règlement n° 3760/92 prévoyait :

« 1. Afin d’assurer l’exploitation rationnelle et responsable des ressources sur une base durable, le Conseil, statuant, sauf dispositions contraires, selon la procédure prévue à l’article 43 du traité, arrête les mesures communautaires fixant les conditions d’accès aux zones et aux ressources et d’exercice des activités d’exploitation. Ces mesures sont élaborées à la lumière des analyses biologiques, socio-économiques et techniques disponibles et notamment des rapports établis par le comité prévu à l’article 16.

2. Ces dispositions peuvent notamment comporter, pour chaque pêcherie ou groupe de pêcheries, des mesures visant à :

[...]

b) limiter les taux d’exploitation ;

c) fixer des limites quantitatives pour les captures ;

[...] »

4        L’article 8, paragraphe 1, du règlement n° 3760/92 disposait que, conformément à l’article 4, le taux d’exploitation pouvait être régulé par une limitation, pour la période concernée, du volume des captures autorisées et, au besoin, de l’effort de pêche.

5        Conformément à l’article 8, paragraphe 4, sous i) et ii), du même règlement, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, déterminait pour chaque pêcherie ou groupe de pêcheries, cas par cas, le TAC et/ou le total admissible de l’effort de pêche, le cas échéant sur une base pluriannuelle, et répartissait les possibilités de pêche entre les États membres de façon à garantir le respect du principe de stabilité relative. Toutefois, à la demande des États membres directement concernés, il pouvait être tenu compte du fait que des « mini-quotas » et des échanges réguliers de quotas s’étaient instaurés depuis 1983, sous réserve du respect de l’équilibre global des parts.

6        Les onzième à quatorzième considérants du règlement n° 3760/92 définissaient le principe de stabilité relative comme suit :

« considérant que, pour les types de ressources pour lesquels il y a lieu de limiter les taux d’exploitation, il y a lieu de répartir les possibilités de pêche communautaires sous forme de disponibilités de pêche pour les États membres exprimées en quotas alloués et, au besoin, en termes d’effort de pêche ;

considérant que la conservation et la gestion des ressources doivent contribuer à une plus grande stabilité des activités de pêche et doivent être évaluées sur la base d’une répartition de références reflétant les orientations données par le Conseil ;

considérant […] que cette stabilité, vu la situation biologique temporaire des stocks, doit tenir compte des besoins particuliers des régions dont les populations sont particulièrement tributaires de la pêche et des activités connexes […]

considérant que c’est donc dans ce sens qu’il convient de comprendre la notion de stabilité relative souhaitée ».

7        Sur le fondement de l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 3760/92, le Conseil a déterminé les TAC de certains stocks halieutiques pour les années 1995 à 2001 en adoptant les règlements suivants :

–        règlement (CE) nº 3362/94 du Conseil, du 20 décembre 1994, fixant, pour certains stocks et groupes de stocks de poissons, les TAC pour 1995 et certaines conditions dans lesquelles ils peuvent être pêchés (JO L 363, p. 1), modifié, notamment, par le règlement n° 746/95 du Conseil, du 31 mars 1995 (JO L 74, p. 1) ;

–        règlement (CE) n° 3074/95 du Conseil, du 22 décembre 1995, fixant, pour certains stocks et groupes de stocks de poissons, les TAC pour 1996 et certaines conditions dans lesquelles ils peuvent être pêchés (JO L 330, p. 1) ;

–        règlement (CE) n° 390/97 du Conseil, du 20 décembre 1996, fixant, pour certains stocks et groupes de stocks de poissons, les TAC pour 1997 et certaines conditions dans lesquelles ils peuvent être pêchés (JO 1997, L 66, p. 1) ;

–        règlement (CE) n° 45/98 du Conseil, du 19 décembre 1997, fixant, pour certains stocks et groupes de stocks de poissons, les TAC pour 1998 et certaines conditions dans lesquelles ils peuvent être pêchés (JO 1998, L 12, p. 1) ;

–        règlement (CE) n° 48/1999 du Conseil, du 18 décembre 1998, fixant, pour certains stocks et groupes de stocks de poissons, les TAC pour 1999 et certaines conditions dans lesquelles ils peuvent être pêchés (JO 1999, L 13, p. 1) ;

–        règlement (CE) n° 2742/1999 du Conseil, du 17 décembre 1999, établissant, pour 2000, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans des eaux soumises à des limitations de capture, et modifiant le règlement (CE) n° 66/98 (JO L 341, p. 1) ;

–        règlement (CE) n° 2848/2000 du Conseil, du 15 décembre 2000, établissant, pour 2001, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans des eaux soumises à des limitations de capture (JO L 334, p. 1).

8        S’agissant de la zone CIEM VIII, chacun de ces règlements a fixé un TAC d’anchois de 33 000 tonnes réparties à raison de 29 700 tonnes pour le Royaume d’Espagne et de 3 300 tonnes pour la République française, sans distinction selon les lieux où sont effectuées les captures. En effet, si, dans sa version initiale, le règlement n° 2742/1999 prévoyait un TAC de 16 000 tonnes, réparties à raison de 14 400 tonnes pour le Royaume d’Espagne et de 1 600 tonnes pour la République française, ce règlement, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1446/2000 du Conseil, du 16 juin 2000 (JO L 163, p. 3), a également fixé un TAC de 33 000 tonnes.

9        S’agissant de la zone CIEM IX, de la zone CIEM X et de la zone Copace 34.1.1, pour les années 1995 à 1998, la cinquième rubrique de l’annexe I du règlement n° 746/95, la treizième rubrique de l’annexe du règlement n° 3074/95, la quatorzième rubrique de l’annexe I du règlement n° 390/97 et la quinzième rubrique de l’annexe I du règlement n° 45/98 ont fixé chacune un TAC d’anchois de 12 000 tonnes réparties à raison de 5 740 tonnes pour le Royaume d’Espagne et de 6 260 tonnes pour la République portugaise. Pour l’année 1999, la quinzième rubrique de l’annexe I du règlement n° 48/1999 a fixé un TAC d’anchois de 13 000 tonnes réparties à raison de 6 220 tonnes pour le Royaume d’Espagne et de 6 780 tonnes pour la République portugaise. Enfin, pour les années 2000 et 2001, la neuvième rubrique de l’annexe I D du règlement n° 2742/1999 et la neuvième rubrique de l’annexe I D du règlement n° 2848/2000 ont fixé chacune un TAC d’anchois de 10 000 tonnes réparties à raison de 4 780 tonnes pour le Royaume d’Espagne et de 5 220 tonnes pour la République portugaise.

10      Les modalités de gestion des TAC et des quotas ont été définies par le règlement (CEE) n° 2847/93, du Conseil, du 12 octobre 1993, instituant un régime de contrôle applicable à la politique commune de la pêche (JO L 261, p. 1), lequel prévoit, aux termes de son article 21 :

« 1. Toutes les captures d’un stock ou d’un groupe de stocks soumis à quota, effectuées par des navires de pêche communautaires, sont imputées sur le quota applicable à l’État membre du pavillon pour le stock ou groupe de stocks en question, quel que soit le lieu du débarquement.

2. Chaque État membre fixe la date à partir de laquelle les captures d’un stock ou d’un groupe de stocks soumis à quota, effectuées par les navires de pêche battant son propre pavillon ou enregistrés sur son territoire, sont réputées avoir épuisé le quota qui lui est applicable pour ce stock ou groupe de stocks. Il interdit provisoirement, à compter de cette date, la pêche de poissons de ce stock ou de ce groupe de stocks par lesdits navires […] Cette mesure est notifiée sans délai à la Commission, qui en informe les autres États membres.

3. À la suite d’une notification faite en vertu du paragraphe 2 ou de sa propre initiative, la Commission fixe, sur la base des informations disponibles, la date à laquelle, pour un stock ou groupe de stocks, les captures soumises à un TAC, un quota ou une autre forme de limitation quantitative et effectuées par les navires de pêche battant pavillon d’un État membre ou enregistrés dans un État membre sont réputées avoir épuisé le quota, l’allocation ou la part dont dispose cet État membre ou, le cas échéant, la Communauté.

À l’occasion de l’appréciation de la situation visée au premier alinéa, la Commission avise les États membres concernés des perspectives d’arrêt d’une pêcherie en raison de l’épuisement d’un TAC.

Les navires de pêche communautaires cessent de pêcher une espèce d’un stock ou d’un groupe de stocks soumis à un quota ou à un TAC à la date à laquelle le quota attribué à cet État pour le stock ou groupe de stocks en question est réputé avoir été épuisé ou à la date à laquelle le TAC pour les espèces constituant ce stock ou groupe de stocks est réputé avoir été épuisé […] »

2.     Échanges de quotas

11      Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 3760/92, les États membres, après notification à la Commission, pouvaient échanger tout ou partie des disponibilités de pêche qui leur avaient été allouées.

12      Le règlement (CE) n° 685/95 du Conseil, du 27 mars 1995, relatif à la gestion des efforts de pêche concernant certaines zones et ressources de pêche communautaires (JO L 71, p. 5), adopté sur le fondement de l’article 43 du traité CE, disposait, en son article 11, paragraphe 1, que les États membres concernés procédaient à un échange des possibilités de pêche qui leur étaient allouées selon les conditions visées à l’annexe IV, point 1.

13      Aux termes du point 1, 1.1 de ladite annexe :

« Les échanges entre la France et le Portugal sont renouvelables par tacite reconduction pour la période allant de 1995 à 2002, sous réserve de la possibilité pour chaque État membre de modifier les conditions chaque année lors de la fixation annuelle des TAC et quotas.

Sont concernés par ces échanges les TAC suivants :

i)      un TAC commun d’anchois étant fixé pour les zones CIEM VIII et IX, 80 % des possibilités de pêche du Portugal sont cédés annuellement à la France, ceux-ci devant être pêchés exclusivement dans les eaux sous souveraineté ou juridiction de la France ;

[...] »

14      Aux termes du point 1, 1.2 de la même annexe :

« Les échanges entre l’Espagne et la France, basés sur l’accord bilatéral de 1992 concernant l’anchois, s’opèrent à partir de 1995 dans une perspective pluriannuelle, en tenant compte des préoccupations des deux États membres, y inclus notamment le niveau de l’échange annuel de quotas, les mesures de contrôle et les problèmes de marché, sous réserve de la possibilité pour chaque État membre de modifier les conditions chaque année lors de la fixation annuelle des TAC et quotas.

Sont concernés par ces échanges les TAC suivants :

[…]

ix)      pour le TAC d’anchois dans la zone CIEM VIII, 9 000 tonnes des possibilités de pêche de l’Espagne sont cédées annuellement à la France. »

15      En ce qui concerne le TAC d’anchois pour la zone CIEM IX, pour la zone CIEM X et pour la zone Copace 34.1.1, la cinquième rubrique de l’annexe I du règlement n° 746/95, la treizième rubrique de l’annexe du règlement n° 3074/95, la quatorzième rubrique de l’annexe I du règlement n° 390/97, la quinzième rubrique de l’annexe I du règlement n° 45/98 et la quinzième rubrique de l’annexe I du règlement n° 48/1999 précisaient chacune, dans leur note 3, que, par dérogation à la règle selon laquelle les quotas d’anchois attribués dans cette zone ne pouvaient être pêchés que dans les eaux soumises à la souveraineté ou à la juridiction de l’État membre concerné ou dans les eaux internationales de la zone considérée, le quota de la République portugaise pouvait « être pêché à hauteur de 5 008 tonnes dans les eaux de la sous-zone CIEM VIII qui relèvent de la souveraineté ou de la juridiction de la France ».

16      De même, la neuvième rubrique de l’annexe I D du règlement n° 2742/1999 précisait, dans sa note 2, que le quota de la République portugaise pouvait « être pêché à hauteur de 3 000 tonnes dans les eaux de la sous-zone CIEM VIII qui relèvent de la souveraineté ou de la juridiction de la France ».

17      Enfin, la neuvième rubrique de l’annexe I D du règlement n° 2848/2000 précisait, dans sa note 2, que le quota de la République portugaise pouvait « être pêché à hauteur de 80 % dans les eaux de la sous-zone CIEM VIII qui relèvent de la souveraineté ou de la juridiction de la France », ce qui représentait 4 176 tonnes.

18      Par requête déposée au greffe de la Cour le 9 juin 1995, le Royaume d’Espagne a, en vertu de l’article 173, premier alinéa, du traité CE, demandé l’annulation du point 1, 1.1, second alinéa, sous i), de l’annexe IV du règlement n° 685/95 ainsi que de la cinquième rubrique de l’annexe I du règlement n° 746/95. La Cour a rejeté ce recours comme étant non fondé (arrêt de la Cour du 5 octobre 1999, Espagne/Conseil, C‑179/95, Rec. p. I‑6475, ci-après l’« arrêt du 5 octobre 1999 »).

19      Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 11 mars 2000 et le 27 mars 2000, 62 armateurs des provinces des Asturies, de la Corogne, de Pontevedra et de Lugo et trois fédérations d’armateurs des provinces de Guipúzcoa, de Cantabria et de Biscaye ont, d’une part, demandé l’annulation, en vertu de l’article 230, quatrième alinéa, CE, de la neuvième rubrique de l’annexe I D du règlement n° 2742/1999 et, d’autre part, invoqué l’illégalité, en vertu de l’article 241 CE, du point 1, 1.1, second alinéa, sous i), de l’annexe IV du règlement n° 685/95. Ces recours ont été rejetés comme étant irrecevables (ordonnance du Tribunal du 19 septembre 2001, Federación de Cofradías de Pescadores de Guipúzcoa e.a./Conseil, T‑54/00 et T‑73/00, Rec. p. II‑2691, ci-après l’« ordonnance du 19 septembre 2001 »).

20      Par l’arrêt du 18 avril 2002, Espagne/Conseil (C‑61/96, C‑132/97, C‑45/98, C‑27/99, C‑81/00 et C‑22/01, Rec. p. I‑3439, ci-après l’« arrêt du 18 avril 2002 »), la Cour a annulé, à la demande du Royaume d’Espagne, la note 3 de la treizième rubrique de l’annexe du règlement n° 3074/95, la note 3 de la quatorzième rubrique de l’annexe I du règlement n° 390/97, la note 3 de la quinzième rubrique de l’annexe I du règlement n° 45/98, la note 3 de la quinzième rubrique de l’annexe I du règlement n° 48/1999, la note 2 de la neuvième rubrique de l’annexe I D du règlement n° 2742/1999 et la note 2 de la neuvième rubrique de l’annexe I D du règlement n° 2848/2000 (ci-après les « dispositions annulées »).

 Procédure

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 décembre 2003, 98 armateurs des provinces espagnoles de Guipúzcoa et de Biscaye ainsi que onze associations de pêcheurs (« Cofradías de pescadores ») des provinces de Guipúzcoa et de Biscaye agissant à la fois au nom de 59 armateurs membres et en leur nom propre (ci-après les « requérants ») ont introduit, sur le fondement de l’article 235 CE et de l’article 288, deuxième alinéa, CE, le présent recours.

22      Conformément à l’article 44, paragraphe 6, du règlement de procédure du Tribunal, les requérants ont, à la demande du greffier, procédé à la régularisation de certaines annexes de leur requête par actes déposés au greffe du Tribunal le 6 et le 13 janvier 2004.

23      Par actes déposés au greffe du Tribunal le 29 mars et le 29 avril 2004, la Commission et la République française, respectivement, ont demandé à intervenir à l’appui des conclusions du Conseil.

24      Par ordonnances respectives du 17 mai et du 15 juin 2004, la Commission et la République française ont été admises à intervenir.

25      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, a invité les parties à produire certaines pièces et à répondre à des questions écrites. Les parties ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.

26      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales lors de l’audience publique du 17 mars 2005.

27      Lors de l’audience, les représentants des requérants ont retiré de la liste des requérants les seize armateurs titulaires des embarcations suivantes : Gure Leporre, Lezoko Gurutze, Ortube Berria, Waksman.

28      Le 31 mai 2005, les requérants ont produit divers documents et ont demandé que soit ordonnée une expertise afin d'examiner l'incidence du transfert illégal et de la surexploitation alléguée de l'anchois sur la situation actuelle de la pêche. Le Conseil et la Commission ont présenté leurs observations, respectivement, les 5 septembre et 4 juillet 2005.

 Conclusions des parties

29      Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater que, en transférant, en application des règlements nº 3074/95, nº 390/97, nº 45/98, nº 48/1999, nº 2742/1999 et nº 2848/2000, une partie du quota d’anchois alloué à la République portugaise dans la zone CIEM IX à la République française de sorte que ce quota puisse être pêché dans la zone CIEM VIII, le Conseil a engagé la responsabilité non contractuelle de la Communauté ;

–        condamner le Conseil à réparer le préjudice subi et, le cas échéant, à payer les intérêts de retard ;

–        condamner le Conseil aux dépens, ainsi que la Commission et la République française à leurs propres dépens.

30      Le Conseil, soutenu par la Commission et la République française, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme irrecevable en ce qui concerne les associations de pêcheurs de Guipúzcoa et de Biscaye, agissant, selon le cas, au nom de leurs membres ou en leur nom propre, les armateurs des embarcations Dios te salve, Gure Leporre, Lezoko Gurutze, Ortube Berria, Tuku Tuku et Waksman, ainsi qu’en ce qui concerne les dommages survenus avant le 18 décembre 1998 ;

–        en tout état de cause, rejeter le recours comme non fondé ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

31      Le Conseil, soutenu par la Commission et la République française, conclut à l’irrecevabilité partielle du recours en ce qu’il est introduit par les associations de pêcheurs de Guipúzcoa de Biscaye et par certains armateurs requérants. Par ailleurs, le Conseil excipe de l’irrecevabilité partielle du recours en raison de la prescription.

32      Il résulte de l’arrêt de la Cour du 26 février 2002, Conseil/Boehringer (C‑23/00 P, Rec. p. I‑1873, point 52), qu’il appartient au Tribunal d’apprécier ce que commande une bonne administration de la justice dans les circonstances de la cause. En l’espèce, le Tribunal estime opportun de se prononcer d’abord sur le fond du recours.

33      À l’appui du présent recours, les requérants font valoir que les conditions auxquelles est subordonné le droit à réparation, en vertu de l’article 288, deuxième alinéa, CE, sont remplies.

34      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, en matière de responsabilité extracontractuelle de la Communauté, pour comportement illicite de ses organes, un droit à réparation est reconnu dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers et que sa violation soit suffisamment caractérisée, que la réalité du dommage soit établie et, enfin, qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation imputable à la Communauté et le dommage subi par les personnes lésées (arrêts du Tribunal du 14 novembre 2002, Rica Foods et Free Trade Foods/Commission, T‑332/00 et T‑350/00, Rec. p. II‑4755, point 222, et du 10 avril 2003, Travelex Global and Financial Services et Interpayment Services/Commission, T‑195/00, Rec. p. II‑1677, point 54 ; voir également, en ce sens, arrêts de la Cour du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 42 ; du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec. p. I‑11355, point 53, et du 10 juillet 2003, Commission/Fresh Marine, C‑472/00 P, Rec. p. I‑7541, point 25).

35      Selon la jurisprudence, dès lors que l’une des conditions relatives à l’engagement de la responsabilité non contractuelle des institutions communautaires n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêts de la Cour du 14 octobre 1999, Atlanta/Commission et Conseil, C‑104/97 P, Rec. p. I‑6983, point 65, et du Tribunal du 28 novembre 2002, Scan Office Design/Commission, T‑40/01, Rec. p. II‑5043, point 18).

36      En l’espèce, il convient de vérifier si ces trois conditions sont remplies.

1.     Sur la violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers

 Arguments des parties

37      Les requérants allèguent qu’en autorisant la flotte portugaise à pêcher dans la zone CIEM VIII, en vertu des dispositions annulées, le Conseil a commis une violation suffisamment caractérisée de règles de droit conférant des droits aux particuliers.

38      En ce qui concerne, en premier lieu, le caractère suffisamment caractérisé de la violation, les requérants rappellent que le critère décisif à cet égard est celui de la méconnaissance manifeste et grave par l’institution communautaire concernée des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Lorsque l’institution en cause ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit communautaire pourrait suffire à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêts Bergaderm et Goupil/Commission, point 34 supra, points 41 et 42, et Commission/Camar et Tico, point 34 supra, point 53).

39      En l’espèce, les requérants relèvent que, en adoptant les dispositions annulées, le Conseil a violé, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 18 avril 2002, le principe de stabilité relative prévu par l’article 8, paragraphe 4, sous ii), du règlement n° 3760/92, et l’article 161, paragraphe 1, sous f), de l’acte d’adhésion. Par ailleurs, les requérants estiment que le Conseil a, de ce fait, d’une part, violé les principes de confiance légitime et de sécurité juridique, en ce que la situation de la flotte espagnole habilitée à pêcher l’anchois dans la zone CIEM VIII a été modifiée par l’action d’une institution communautaire qui n’avait pas compétence pour procéder à une telle modification et qui a agi par des voies différentes de celles prévues pour la modification d’un traité international tel que l’acte d’adhésion et, d’autre part, commis un détournement de pouvoir en augmentant le TAC dans la zone CIEM VIII sans fixer un nouveau TAC sur la base de nouvelles données scientifiques et techniques, comme le prévoit le règlement n° 3760/92, et en éludant les procédures prévues à cet effet, lesquelles exigeaient nécessairement la modification de l’acte d’adhésion.

40      Selon les requérants, le préjudice subi du fait de ces violations résulte de l’inobservation des limites imposées par la législation en vigueur applicable à la répartition des possibilités de pêche. Ces limites seraient claires et précises et ne laisseraient au Conseil aucune marge d’appréciation. La première limite consisterait dans la nécessité d’adopter des mesures qui n’ont pas pour effet de modifier une situation juridique créée par un traité international, en l’occurrence l’acte d’adhésion, à savoir le fait que le Royaume d’Espagne a droit à 90 % du TAC d’anchois dans la zone CIEM VIII. La seconde limite résulterait du point 1, 1.1, deuxième alinéa, sous i), de l’annexe IV, du règlement n° 685/95, et de l’article 8, paragraphe 4, sous ii), du règlement n° 3760/92, lesquels ne confèrent au Conseil aucun pouvoir de décision pour autoriser un échange de quota, l’autorisation étant subordonnée à la réunion des conditions établies par ces dispositions, à savoir la fixation d’un TAC commun et la demande des États concernés. Dans ces conditions, il serait difficile de considérer que le Conseil disposait d’un pouvoir discrétionnaire.

41      À cet égard, les requérants précisent qu’ils ne contestent ni l’exercice par le Conseil de son pouvoir de fixer des TAC par zone, ni son pouvoir d’unifier la gestion de zones distinctes et de fixer un TAC commun, ni même celui d’autoriser in abstracto des transferts de quotas. Ce qui serait en cause en l’espèce serait la manière dont le transfert de quotas entre la République française et la République portugaise a été autorisé in concreto, alors que le principe de stabilité relative excluait tout pouvoir discrétionnaire.

42      Selon les requérants, le Conseil ne disposant pas d’un large pouvoir d’appréciation pour modifier le quota d’anchois alloué au Royaume d’Espagne, il ne saurait être exigé, contrairement à ce qu’il soutient, que la violation revête en outre un caractère grave et manifeste.

43      S’agissant, d’abord, du degré de clarté et de précision de la règle, les requérants estiment qu’il n’est pas pertinent d’invoquer une prétendue divergence entre l’arrêt du 5 octobre 1999 et l’arrêt du 18 avril 2002, en raison de la clarté absolue des dispositions annulées.

44      S’agissant, ensuite, du caractère prétendument excusable de l’erreur de droit commise par le Conseil, les requérants soulignent que les dispositions en cause dans l’arrêt du 5 octobre 1999 ne sont pas les dispositions annulées. Le règlement n° 685/95, qui faisait l’objet du premier arrêt, ne comporterait pas, en effet, une réglementation complète du régime de transfert des quotas qui a été examiné dans le second recours, l’échange de quota déclaré illégal supposant l’existence d’un droit de pêche au profit de la République portugaise dans la zone CIEM VIII. Or, ce droit de pêche n’aurait été instauré que par les dispositions annulées. Il n’y aurait donc pas de divergence d’interprétation jurisprudentielle d’une disposition similaire. Selon les requérants, l’arrêt du 5 octobre 1999 confirme, au contraire, aux points 51 et 52, le fait qu’un transfert qui ne respecte pas l’équilibre total des parts, c’est-à-dire les quotas par zone en application du principe de stabilité relative, ne peut être légal. Au point 45 de l’arrêt du 18 avril 2002, la Cour aurait confirmé, précisément, le caractère impératif du respect des quotas nationaux qui est une condition de transfert entre différentes zones. L’autorisation par le Conseil d’un transfert de quotas d’anchois dans la zone CIEM VIII entre la République portugaise et la République française, sans avoir préalablement fixé un TAC commun pour les zones concernées, constituerait, en outre, une erreur inexcusable, étant donné qu’elle a été commise en violation de réglementations adoptées par le Conseil.

45      S’agissant, enfin, du caractère délibéré de la violation, les requérants estiment que le Conseil était pleinement conscient du fait qu’il a eu recours à un artifice juridique pour priver le Royaume d’Espagne de ses droits à un quota d’anchois équivalent à 90 % des possibilités de pêche dans la zone CIEM VIII, puisque, ainsi qu’il ressort du point 36 de l’arrêt du 18 avril 2002 et du point 25 de l’arrêt du 5 octobre 1999, le Conseil constate lui-même qu’il ne pouvait modifier légalement la répartition des quotas sans avoir obtenu auparavant le renoncement du Royaume d’Espagne à son quota d’anchois ni, à défaut, justifier une augmentation considérable du TAC dans une proportion équivalant dix fois aux possibilités de pêche de l’anchois qu’il se proposait de reconnaître à la République française dans la zone CIEM VIII.

46      En conséquence, le Conseil, en adoptant les dispositions illégales en cause, aurait commis une violation suffisamment caractérisée du droit communautaire.

47      En ce qui concerne l’argument de la Commission selon lequel la Cour ne s’est pas prononcée dans l’arrêt du 18 avril 2002 sur le principe de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, les requérants soutiennent avoir le droit d’invoquer tous les arguments juridiques qui leur semblent appropriés à l’appui de leurs prétentions, que ceux-ci aient été retenus par la Cour dans le cadre du recours en annulation ou non. À leur avis, le recours en annulation étant autonome par rapport à l’action en responsabilité, le seul lien existant entre le recours en annulation introduit par le Royaume d’Espagne et la présente procédure est le fait que la décision rendue dans le premier recours a tranché la question de l’existence d’un agissement illégal de la part du Conseil, l’un des critères exigés pour l’engagement de la responsabilité de la Communauté devant ainsi être considéré comme rempli.

48      En ce qui concerne l’argument de la Commission selon lequel les règlements adoptés par le Conseil fixant les TAC ont un caractère annuel et peuvent légitimement varier d’une année à l’autre, de sorte qu’il n’y a pas eu de violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, les requérants font valoir que l’objet de cette procédure est la répartition des quotas revenant aux États membres une fois le TAC fixé, laquelle devrait, dans tous les cas et pour chaque année où le transfert illégal a été autorisé, être, pour la zone CIEM VIII, d’un rapport de 90/10 entre le quota alloué au Royaume d’Espagne et celui alloué à la République française, ce qui n’a pas été le cas.

49      En ce qui concerne, en second lieu, la violation de règles de droit conférant des droits aux particuliers, les requérants soutiennent d’abord que le principe de stabilité relative violé par le Conseil dans les dispositions annulées par l’arrêt du 18 avril 2002 constitue une règle supérieure de droit.

50      Selon les requérants, l’article 161, paragraphe 1, sous f), de l’acte d’adhésion contient l’un des principes fondamentaux de la politique commune de la pêche. Par ailleurs, les règlements dont les dispositions ont été annulées seraient des instruments d’application annuelle des règlements n° 3760/92 et n° 685/95. Dès lors, bien qu’il s’agisse de règles de même rang, lesdits règlements devaient respecter, par leur objet et dans leur contenu, les principes établis dans ces derniers règlements, qui déterminent les objectifs fixés par le droit originaire, en particulier à l’article 33 CE.

51      À cet égard, les requérants précisent que la possibilité de céder des droits de pêche alléguée par le Conseil découle également de la mise en œuvre du principe de stabilité relative. En tout état de cause, ce qui serait en cause en l’espèce serait l’attribution préalable de quotas. Or, ainsi qu’il ressortirait du point 47 de l’arrêt du 18 avril 2002, un échange des disponibilités de pêche présupposerait que celles-ci aient été préalablement allouées en conformité avec le principe de stabilité relative et requerrait une demande des États membres concernés. La Cour aurait d’ailleurs reconnu que le principe de stabilité relative est une règle supérieure de droit en annulant les dispositions qui étaient attaquées devant elle.

52      Ensuite, les requérants font valoir que l’acte d’adhésion, en ce qu’il octroie au Royaume d’Espagne 90 % des captures d’anchois dans la zone CIEM VIII, le principe de stabilité relative, qui offre des garanties supplémentaires concernant le maintien de cette part, ainsi que les limites imposées au Conseil par l’article 8, paragraphe 4, sous ii), du règlement n° 3760/92, à savoir l’existence d’une demande de l’État concerné, et par le point 1, 1.1, deuxième alinéa, sous i), de l’annexe IV du règlement n° 685/95, à savoir la fixation d’un TAC unique, créent des droits dont eux-mêmes sont les destinataires, ou à tout le moins une espérance légitime de tels droits. En effet, si un quota de 90 % du TAC d’anchois pour la zone litigieuse revient au Royaume d’Espagne, les destinataires des droits de pêche de cette espèce dans cette zone sont les opérateurs économiques qui effectuent les captures, en l’occurrence les requérants et d’autres entreprises titulaires de bateaux habilités à pêcher.

53      À cet égard, premièrement, les requérants relèvent que, conformément aux douzième et quatorzième considérants du règlement n° 3760/92, la répartition des quotas est réalisée en fonction de l’importance des activités de pêche traditionnelles, des besoins particuliers des régions dont les populations sont particulièrement tributaires de la pêche et des industries connexes ainsi que de la situation biologique temporaire des stocks, ce qui démontre que la situation particulière des agents économiques habilités à opérer dans la zone CIEM VIII ainsi que leurs droits ont été pris en compte lors de la fixation du TAC d’anchois dans ladite zone.

54      Les requérants considèrent que la reconnaissance d’un droit ou l’espérance légitime d’un droit qui découle du principe de stabilité relative en faveur des requérants est la seule interprétation conciliable avec la ratio legis de la règle, à savoir le maintien du niveau de vie des populations en cause et non pas l’« enrichissement » du patrimoine juridique des États par la reconnaissance à ces derniers d’un droit dont la valeur économique est incontestable, en l’occurrence le droit à des possibilités de pêche. Par conséquent, l’État serait seulement détenteur à titre fiduciaire des possibilités de pêche d’anchois attribuées en application du principe de stabilité relative, lequel figure dans l’acte d’adhésion sous la forme d’un quota, les navires de pêche à l’anchois de la flotte espagnole dans les eaux du golfe de Gascogne qui sont inscrits au recensement concerné et autorisés à y exercer leurs activités étant les bénéficiaires économiques réels des possibilités de pêche en cause.

55      En ce qui concerne l’argument de la Commission selon lequel le Tribunal aurait déjà jugé dans son arrêt du 6 décembre 2001, Area Cova e.a./Conseil et Commission (T‑196/99, Rec. p. II‑3597), que le principe de stabilité relative ne saurait conférer de droits subjectifs aux particuliers dont la violation ouvrirait un droit à réparation, les requérants font valoir que la phrase citée par la Commission est un raisonnement obiter dictum, opéré par le Tribunal dans un contexte dans lequel l’application du principe de stabilité relative n’était pas en jeu. Une telle déclaration ne constituerait pas la ratio decidendi de l’arrêt et, par conséquent, l’affirmation qu’elle contient ne pourrait en aucun cas être considérée comme valant jurisprudence aux fins recherchées par la Commission.

56      Les requérants rappellent, en outre, que le Tribunal a clairement établi que les intéressés pouvaient, en tout état de cause, dans la mesure où ils s’estimaient victimes d’un dommage découlant directement de la neuvième rubrique de l’annexe I D du règlement n° 2742/1999, mettre cette disposition en cause dans le cadre de la procédure en responsabilité non contractuelle prévue aux articles 235 CE et 288 CE (ordonnance du 19 septembre 2001, point 85).

57      Ils soutiennent que si on suivait la thèse de la Commission, le principe du droit à une protection juridictionnelle effective serait violé. L’acte illicite du Conseil, en effet, resterait en tout état de cause impuni, puisque les dommages dont il est la cause ne pourraient pas être réparés, étant donné que l’État ne peut pas réclamer une indemnisation. Les armateurs requérants se verraient privés d’un droit de pêche – ou, à tout le moins, de l’espérance légitime d’un tel droit – que le droit communautaire lui-même leur reconnaît et, par conséquent, des captures auxquelles l’exercice de ce droit aurait abouti, et qui cependant ont été réalisées par la flotte bénéficiaire du transfert Enfin, l’attribution effective des disponibilités de pêche une fois les quotas échangés serait intervenue, impunément, en violation des dispositions de l’article 161, paragraphe 1, sous f) de l’acte d’adhésion.

58      Deuxièmement, les requérants rappellent que, en vertu de l’article 33 CE, l’un des objectifs poursuivis par la politique agricole commune est d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu de ceux qui travaillent dans l’agriculture. En vue d’atteindre cet objectif, la finalité des quotas consisterait à assurer à chaque État membre une part du TAC communautaire en fonction des critères précités. Or, soulignent les requérants, ce sont les bateaux de pêche qui battent pavillon de chaque État membre ou qui y sont enregistrés qui seuls peuvent puiser dans les quotas alloués audit État membre (arrêt de la Cour du 14 décembre 1989, Jaderow, C‑216/87, Rec. p. 4509, point 16).

59      Troisièmement, les requérants soulignent que, en vertu de la loi espagnole n° 3/2001, d’une part, la répartition des possibilités de pêche entre les navires peut se concrétiser en un volume de captures et s’effectuer en fonction de l’activité de pêche exercée historiquement et, d’autre part, le réajustement ou la réduction des possibilités de pêche imposées par l’Union européenne ou par les traités internationaux doit affecter de manière proportionnelle chaque navire, selon un principe d’équité, de sorte que les positions relatives de chaque opérateur soient conservées. Il s’ensuivrait que la réduction du quota d’anchois alloué au Royaume d’Espagne a eu des répercussions négatives sur les droits acquis des requérants.

60      Le Conseil, soutenu par la Commission, fait valoir que la première condition pour qu’un droit à réparation soit reconnu par le droit communautaire n’est pas remplie, puisque, d’une part, les règles de droit violées par le Conseil n’avaient pas pour objet de conférer des droits aux particuliers et que, d’autre part, ces violations ne sont pas suffisamment caractérisées.

 Appréciation du Tribunal

61      Ainsi qu’il a été rappelé au point 34 ci-dessus, la première condition pour qu’un droit à réparation soit reconnu par le droit communautaire tient à la violation d’une règle de droit par l’institution communautaire concernée, règle de droit qui doit avoir pour objet de conférer des droits aux particuliers et dont la violation doit être suffisamment caractérisée.

62      Dans ces conditions, il convient, successivement, d’examiner si le Conseil, en adoptant le comportement reproché, a violé une règle de droit et, dans l’affirmative, si cette règle a pour objet de conférer des droits aux particuliers et si sa violation est suffisamment caractérisée.

 Sur l’illégalité du comportement reproché au Conseil

63      À titre liminaire, il convient de déterminer avec précision le comportement du Conseil dont l’illicéité est alléguée par les requérants.

64      Il est constant que, par le présent recours, les requérants visent à obtenir la réparation du préjudice qui leur aurait été causé par les dispositions annulées, par lesquelles le Conseil a autorisé la République portugaise, pour la période comprise entre 1996 et 2001, à pêcher une partie de son quota d’anchois dans les eaux de la zone CIEM VIII qui relèvent de la souveraineté ou de la juridiction de la République française. C’est cette autorisation de pêche octroyée à la République Portugaise dans la zone CIEM VIII qui a été déclarée illégale par la Cour dans l’arrêt du 18 avril 2002.

65      Il convient de rappeler que les dispositions annulées visaient à mettre en œuvre le point 1, 1.1, deuxième alinéa, sous i), de l’annexe IV du règlement n° 685/95, en vertu duquel, dans le cadre d’un accord d’échange de possibilités de pêche renouvelable par tacite reconduction pour la période comprise entre 1995 et 2002, la République portugaise a cédé à la République française 80 % de ses possibilités de pêche dans la zone CIEM IX afin que cette quantité soit pêchée exclusivement dans les eaux sous souveraineté ou sous juridiction de la République française dans la zone CIEM VIII. La République portugaise ne disposant toutefois pas de droits de pêche dans la zone CIEM VIII, les dispositions annulées avaient pour objet de créer de tels droits.

66      Il convient de souligner que, si, dans l’arrêt du 18 avril 2002, la Cour a annulé l’autorisation donnée par le Conseil à la République portugaise de pêcher une partie de son quota d’anchois dans la zone CIEM VIII, en revanche, elle n’a pas statué sur la légalité de la cession par la République portugaise de ses possibilités de pêche à l’anchois dans la zone CIEM VIII à la République française, cette cession ayant été avalisée dans son arrêt du 5 octobre 1999.

67      En effet, dans cet arrêt, la Cour avait rejeté les moyens d’annulation avancés par le Royaume d’Espagne à l’encontre de la disposition prévoyant cette cession, à savoir le point 1, 1.1, deuxième alinéa, sous i), de l’annexe IV du règlement n° 685/95. La compatibilité de cette disposition avec le droit communautaire a ainsi été définitivement tranchée par l’arrêt du 5 octobre 1999, qui revêt sur ce point autorité de chose jugée (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général M. Alber sous l’arrêt du 18 avril 2002, Rec. p. I‑3441, points 47 et 79).

68      Il convient, en revanche, d’examiner si l’autorisation illégale donnée à la République portugaise de pêcher une partie de son quota d’anchois dans la zone CIEM VIII constitue un comportement susceptible de donner lieu à réparation. À cet égard, les requérants font valoir que le comportement du Conseil à l’origine de leur préjudice a violé le principe de stabilité relative, l’acte d’adhésion, les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, et que ce comportement a constitué un détournement de pouvoir.

–       Sur la violation du principe de stabilité relative

69      Il convient de rappeler que, par l’arrêt du 18 avril 2002, la Cour a jugé que, en autorisant, par les dispositions annulées, la République portugaise à pêcher une partie de son quota d’anchois dans la zone CIEM VIII entre 1996 et 2001, le Conseil a violé le principe de stabilité relative étant donné que l’Espagne n’a pas reçu 90 % des possibilités de pêche qui lui étaient allouées dans la zone CIEM VIII.

–       Sur les autres violations alléguées par les requérants

70      Les requérants font valoir que le comportement reproché au Conseil a violé, outre le principe de stabilité relative, l’acte d’adhésion, les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, et que ce comportement a constitué un détournement de pouvoir.

71      Il est vrai que, dans son arrêt du 18 avril 2002, la Cour n’a pas constaté que le Conseil avait commis les violations et détournements précités.

72      Toutefois, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le recours en indemnité est autonome par rapport au recours en annulation (ordonnance de la Cour du 21 juin 1993, Van Parijs e.a./Conseil et Commission, C‑257/93, Rec. p. I‑3335, points 14 et 15, et arrêt du Tribunal du 16 avril 1997, Hartmann/Conseil et Commission, T‑20/94, Rec. p. II‑595, point 115), de sorte que l’annulation de l’acte à l’origine des dommages ou la constatation de son invalidité n’est pas nécessaire pour l’introduction d’un recours en indemnisation.

73      Or, l’existence d’un droit à réparation en vertu du droit communautaire dépend de la nature des violations alléguées, puisque l’application de l’article 288, deuxième alinéa, CE, exige que la violation alléguée soit suffisamment caractérisée et que la règle de droit violée confère des droits aux particuliers.

74      Par conséquent, il y a lieu d’examiner si le comportement reproché au Conseil a violé, outre le principe de stabilité relative, l’acte d’adhésion, les principes de sécurité juridique et de confiance légitime, et si ce comportement a constitué un détournement de pouvoir.

75      D’abord, il convient de constater que la violation de l’acte d’adhésion est établie, dès lors qu’en autorisant la République portugaise à pêcher une partie de son quota d’anchois dans la zone CIEM VIII le Conseil a, comme l’a constaté la Cour au point 42 de l’arrêt du 18 avril 2002, privé le Royaume d’Espagne des 90 % des possibilités de pêche du TAC d’anchois dans la zone CIEM VIII qui lui étaient alloués. En effet, l’allocation au Royaume d’Espagne de 90 % des possibilités de pêche du TAC d’anchois dans ladite zone est prévue par l’article 161, paragraphe 1, sous f), de l’acte d’adhésion.

76      S’agissant, ensuite, des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, le Tribunal constate, en revanche, que leur violation n’a pas été établie. La thèse des requérants se fonde en effet sur la prémisse selon laquelle le Conseil ne pouvait légalement, en tout état de cause, autoriser la République portugaise à pêcher l’anchois dans la zone CIEM VIII. Or, cette prémisse est erronée. À cet égard, il convient de rappeler que, dans l’arrêt du 18 avril 2002, la Cour a jugé :

« 44      Les dispositions attaquées ne peuvent être justifiées par l’article 11, paragraphe 1, lu en combinaison avec le point 1, 1.1, second alinéa, sous i), de l’annexe IV du règlement n° 685/95, cette dernière disposition prévoyant que, une fois qu’un TAC commun d’anchois est fixé pour les zones CIEM VIII et IX, 80 % des possibilités de pêche du Portugal sont cédés annuellement à la France, ceux-ci devant être pêchés exclusivement dans les eaux sous souveraineté ou juridiction de la France.

45      La constatation selon laquelle la cession à la République française des possibilités de pêche de la République portugaise a été effectuée dans le cadre d’un TAC commun couvrant les zones CIEM VIII et IX, qui figure aux points 51 et 52 de l’[arrêt du 5 octobre 1999], se révèle inexacte. Afin que la condition de la fixation d’un TAC commun d’anchois pour les zones CIEM VIII et IX, à laquelle le point 1, 1.1, second alinéa, sous i), de l’annexe IV du règlement n° 685/95 subordonne l’échange des possibilités de pêche entre la République portugaise et la République française, soit remplie, il aurait fallu que le Conseil fixe un TAC d’anchois unique pour les zones CIEM VIII et CIEM IX, X, Copace 34.1.1, ce qu’il n’a pas fait, ainsi qu’il l’a reconnu dans ses écritures. La prétendue gestion commune de deux TAC distincts, alléguée par le Conseil, ne saurait en effet remplir cette condition. Au surplus, il n’est pas contesté en l’espèce que les deux TAC portent sur deux stocks biologiquement différenciés.

[…]

47      Les dispositions attaquées ne sauraient non plus être justifiées par les articles 8, paragraphe 4, sous ii), et 9, paragraphe 1, du règlement n° 3760/92, qui prévoient la conclusion d’accords relatifs à des échanges de quotas. En effet, l’article 8, paragraphe 4, sous ii), dispose expressément qu’une demande des États membres directement concernés est nécessaire pour qu’il soit tenu compte d’un tel échange par le Conseil. Or, en l’espèce, une telle demande n’a pas été faite par le Royaume d’Espagne, qui est pourtant directement concerné puisque l’échange de quotas a eu pour conséquence une augmentation des possibilités de pêche de l’anchois dans la zone CIEM VIII. Quant à l’article 9, paragraphe 1, force est de constater qu’un échange des disponibilités de pêche, tel que prévu par cet article, présuppose que celles-ci ont été préalablement allouées en conformité avec le principe de la stabilité relative. Or, tel n’a pas été le cas pour les années 1996 à 2001, ainsi qu’il ressort du point 42 du présent arrêt. »

77      Il en ressort que le Conseil demeurait, en principe, en droit, en vertu du point 1, 1.1, second alinéa, sous i), de l’annexe IV du règlement n° 685/95, et de l’article 8, paragraphe 4, sous ii), du règlement n° 3760/92, d’autoriser la République portugaise à pêcher l’anchois dans la zone CIEM VIII, pour autant soit qu’un TAC commun d’anchois ait été fixé pour la zone CIEM VIII et pour la zone CIEM IX, soit que tous les États membres directement concernés en fassent la demande.

78      En conséquence, les requérants ne sauraient alléguer que le principe de sécurité juridique a été violé par les dispositions annulées, puisque le cadre réglementaire applicable habilitait, en principe, le Conseil à les adopter. Pour le même motif, les requérants n’étaient pas davantage justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante, dès lors que celle-ci pouvait être modifiée par le Conseil en vertu de son pouvoir d’appréciation, et cela spécialement dans un domaine comme celui de la politique agricole commune, dans le cadre de laquelle les institutions disposent d’un large pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt Area Cova e.a./Conseil et Commission, point 55 supra, point 122).

79      S’agissant, enfin, du détournement de pouvoir allégué, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées par l’institution défenderesse ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité (arrêt Rica Foods et Free Trade Foods/Commission, point 34 supra, point 200).

80      Or, en l’espèce, il convient de constater que les requérants n’avancent aucun indice dont il ressortirait que les dispositions annulées n’ont pas été adoptées aux fins « d’assurer une meilleure exploitation des possibilités de pêche à l’anchois », ainsi que le prévoit le quatrième considérant du règlement n° 746/95.

81      Il résulte de l’ensemble de ces considérations que le comportement reproché au Conseil est illégal en ce qu’il viole le principe de stabilité relative et l’acte d’adhésion.

82      Dans ces conditions, il convient ensuite d’examiner si les règles de droit violées par le Conseil avaient pour objet de conférer des droits aux particuliers et, le cas échéant, si ces violations sont suffisamment caractérisées.

 Sur l’existence d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers

83      Selon la jurisprudence, pour que la responsabilité extracontractuelle de la Communauté soit engagée, l’illégalité reprochée doit concerner la violation d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêts Bergaderm et Goupil/Commission, point 34 supra, point 42, et Commission/Camar et Tico, point 34 supra, point 53).

84      Il convient dès lors d’examiner dans quelle mesure le principe de stabilité relative et l’article 161, paragraphe 1, sous f), de l’acte d’adhésion peuvent être considérés comme ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

85      À cet égard, il doit être noté, à titre liminaire, que, contrairement à ce que soutient le Conseil, il importe peu que la règle violée constitue ou non une règle supérieure de droit (voir, en ce sens, arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, point 34 supra points 41, 42 et 62). Les arguments avancés par les parties sur ce point sont, dès lors, inopérants.

86      Ensuite, il convient d’indiquer que la jurisprudence a considéré qu’une règle de droit a pour objet de conférer des droits aux particuliers lorsque la violation concerne une disposition qui engendre des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder, de sorte qu’elle a un effet direct (arrêt de la Cour du 5 mars 1996, Brasserie du pêcheur et Factortame, C‑46/93 et C‑48/93, Rec. p. I‑1029, point 54), qui engendre un avantage susceptible d’être qualifié de droit acquis (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 janvier 1998, Dubois et Fils/Conseil et Commission, T‑113/96, Rec. p. II‑125, points 63 à 65), qui a pour fonction de protéger les intérêts des particuliers (arrêt de la Cour du 25 mai 1978, HNL e.a./Conseil et Commission, 83/76 et 94/76, 4/77, 15/77 et 40/77, Rec. p. 1209, point 5) ou qui procède à l’attribution de droits au profit des particuliers dont le contenu peut être suffisamment identifié (arrêt de la Cour du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a., C‑178/94, C‑179/94, C‑188/94 à C‑190/94, Rec. p. I‑4845, point 22).

87      Il doit être rappelé que, en vertu de l’article 8, paragraphe 4, sous i) et ii), du règlement n° 3760/92, le Conseil répartit les possibilités de pêche entre les États membres de façon à garantir la stabilité relative des activités de pêche de chaque État membre pour chacun des stocks concernés. En application de ce principe, l’article 161, paragraphe 1, sous f), de l’acte d’adhésion a alloué au Royaume d’Espagne une part de 90 % du TAC d’anchois dans la zone CIEM VIII, le solde de 10 % étant alloué à la France. C’est cette répartition que le Conseil a violée en adoptant les dispositions annulées en ce que celles-ci ont eu pour effet que le Royaume d’Espagne n’a pas reçu 90 % des possibilités de pêche d’anchois dans ladite zone.

88      À cet égard, il convient de souligner que, dans l’arrêt Area Cova e.a./Conseil et Commission, point 55 supra (point 152), le Tribunal a déjà jugé que, le principe de stabilité relative n’ayant pour objet que les relations entre les États membres, il ne saurait conférer des droits subjectifs aux particuliers dont la violation ouvrirait un droit à réparation sur la base de l’article 288, deuxième alinéa, CE.

89      En effet, le principe de stabilité relative reflète un critère de répartition entre États membres des possibilités de pêche communautaires sous forme de quotas alloués aux États membres. Ainsi que la Cour l’a jugé (arrêt de la Cour du 13 octobre 1992, Portugal et Espagne/Conseil, C‑63/90 et C‑67/90, Rec. p. I‑5073, point 28), le principe de stabilité relative ne confère, dès lors, aux pêcheurs aucune garantie de capture d’une quantité fixe de poissons, l’exigence de stabilité relative devant s’entendre comme signifiant uniquement le maintien d’un droit à un pourcentage fixe pour chaque État membre dans cette répartition.

90      En outre, il convient de souligner également que, en vertu de l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 3760/92, les États membres pouvaient échanger entre eux tout ou partie des disponibilités de pêche qui leur avaient été allouées, comme le démontrent les faits de la présente espèce. La procédure devant être respectée pour la réalisation d’un tel échange ne révélait pas non plus d’indices permettant de conclure à l’existence de droits dont auraient été titulaires les pêcheurs de l’État membre cédant.

91      De même, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 54 de l’ordonnance du 19 septembre 2001, l’article 161, paragraphe 1, sous f), de l’acte d’adhésion a uniquement pour objet de prévoir la répartition du quota d’anchois dans la zone CIEM VIII et ne comporte aucune référence à la situation des pêcheurs d’anchois des deux pays qui sont susceptibles de pêcher dans cette zone ni, a fortiori, d’obligation pour le Conseil de tenir compte de la situation particulière de ces pêcheurs lorsqu’il autorise un transfert de quota d’anchois d’une zone contiguë vers cette zone.

92      Il s’ensuit que l’octroi au Royaume d’Espagne, en vertu du principe de stabilité relative, d’une part de 90 % du TAC d’anchois dans la zone CIEM VIII ne confère, en tant que tel, aux pêcheurs espagnols aucun droit de pêcher l’anchois dans cette zone, de telles possibilités éventuelles de pêche résultant uniquement de la législation nationale déterminant les conditions d’exercice de la pêche à l’anchois dans la zone CIEM VIII.

93      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le principe de stabilité relative et l’article 161, paragraphe 1, sous f), de l’acte d’adhésion identifient avec suffisamment de précision les États comme les titulaires des droits de pêche et définissent le contenu de ces droits de sorte que lesdites règles de droit n’ont pas pour objet de conférer des droits aux particuliers au sens de la jurisprudence précitée.

94      Certes, comme le font valoir les requérants, selon le treizième considérant du règlement n° 3760/92, la stabilité relative prévue par ledit règlement doit tenir compte des besoins particuliers des régions dont les populations sont particulièrement tributaires de la pêche et des activités connexes. Ainsi que la Cour l’a jugé, il en découle que la finalité des quotas de pêche consiste à assurer à chaque État membre une part des TAC communautaires, déterminée essentiellement en fonction des captures dont les activités de pêche traditionnelles, les populations locales tributaires de la pêche et les industries connexes de cet État membre ont bénéficié avant l’institution du régime des quotas (arrêt de la Cour du 19 février 1998, NIFPO et Northern Ireland Fishermen’s Federation, C‑4/96, Rec. p. I‑681, point 47 ; voir également, en ce qui concerne le règlement n° 170/83, arrêts de la Cour du 14 décembre 1989, Agegate, C‑3/87, Rec. p. 4459, point 24, et Jaderow, point 58 supra, point 23).

95      La Cour estime, par conséquent, qu’il incombe au Conseil, lors de la répartition des possibilités de pêche entre les États membres, de concilier, pour chacun des stocks concernés, les intérêts que chaque État membre représente en ce qui concerne notamment ses activités traditionnelles de pêche et, le cas échéant, ses populations ainsi que ses industries locales tributaires de la pêche (arrêt NIFPO et Northern Ireland Fishermen’s Federation, point 94 supra, point 48).

96      Toutefois, il y a lieu de relever que, au point 153 de l’arrêt Area Cova e.a./Conseil et Commission, point 55 supra, le Tribunal a également jugé que les droits traditionnels de pêche sont acquis au profit d’États, à l’exclusion d’armateurs individuels, de sorte que ceux-ci ne sauraient se prévaloir d’un droit subjectif dont la violation leur ouvrirait un droit à réparation sur la base de l’article 288, deuxième alinéa, CE.

97      Il s’ensuit que le principe de stabilité relative et l’article 161, paragraphe 1, sous f), de l’acte d’adhésion n’ont pas pour objet de conférer des droits aux particuliers au sens de la jurisprudence citée. Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner le caractère suffisamment caractérisé de la violation de ces règles par le Conseil, il y a lieu de conclure que la première condition pour qu’un droit à réparation soit reconnu par le droit communautaire n’est pas remplie en l’espèce.

2.     Sur le préjudice allégué

 Arguments des parties

98      Les requérants font valoir que l’illégalité reprochée au Conseil leur a causé quatre types de dommages.

99      En premier lieu, les requérants relèvent que les dispositions annulées ont eu pour effet immédiat de priver la flotte espagnole du golfe de Gascogne du droit de pêcher 90 % des captures dans le « nouveau TAC », calculé en additionnant le TAC formellement approuvé pour chaque campagne dans la zone CIEM VIII et les tonnes supplémentaires d’anchois attribuées à la flotte française dans la zone CIEM VIII à la suite du transfert du quota portugais de la zone CIEM IX, que le Conseil a autorisé. En effet, l’anchois pêché dans la zone CIEM VIII constituerait la seule unité de gestion différenciée. Dès lors, toute capture réalisée en mer par une unité de pêche serait extraite du TAC de la zone CIEM VIII, laquelle ne sera plus disponible pour les autres unités de pêche de la flotte autorisée à y pêcher.

100    Selon les requérants, ce préjudice serait réel et certain. En effet, dès lors que 90 % du TAC d’anchois de la zone CIEM VIII qui est fixé chaque année par le Conseil revenait à la flotte espagnole et que le transfert de quotas entre zones était illégal, une augmentation du TAC sans tenir compte du principe de stabilité relative conduirait inévitablement à conclure que, pendant la période où cette augmentation de fait du TAC était en vigueur, la flotte espagnole et donc les requérants ont été privés d’une partie des droits de pêche qui leur auraient été alloués dans le TAC réellement existant pendant ces années, lequel pourrait être calculé en additionnant au TAC d’anchois fixé dans les règlements, à savoir 33 000 tonnes annuelles, celui qui correspond au transfert autorisé, à savoir 5 008 tonnes pendant les années 1996, 1997, 1998 et 1999, 3 000 tonnes en 2000, et 4 176 tonnes en 2001. Ce préjudice aurait été causé directement aux requérants, puisqu’ils bénéficiaient des droits de pêche sur les quotas.

101    Certes, admettent les requérants, pour que le préjudice soit constitué, les anchois devaient être pêchés et il est probable que la flotte espagnole n’aurait pas pêché la totalité du quota alloué au Royaume d’Espagne, même en l’absence de transfert. Toutefois, il serait avéré qu’il y a eu un transfert et que les anchois ont été pêchés non par la flotte espagnole, mais par la flotte française, et ce au-delà du quota alloué à la République française.

102    Sur la base d’une évaluation économique de leur préjudice effectuée par l’Instituto Tecnológico Pesquero y Alimentario (ci-après le « rapport AZTI »), laquelle est jointe à la requête, les requérants estiment que la cession illégale de quotas s’est traduite par une augmentation moyenne de 4 500 tonnes l’an à pêcher dans la zone CIEM VIII, augmentation qui a été calculée en soustrayant du total des captures effectuées par la flotte française le quota du TAC qui serait revenu à celle-ci sans la cession déclarée illégale. Les requérants évaluent la valeur totale de l’excédent des captures de la flotte française par rapport au quota dont elle aurait pu disposer en l’absence de transfert entre 1996 et 2001 à 51 722 830 euros.

103    Les requérants précisent à cet égard que leur recours ne porte donc pas sur l’excédent des possibilités de pêche de la flotte française, mais sur l’excédent des captures réalisées par rapport aux possibilités de pêche qui revenaient légalement à cette flotte. Le préjudice subi ne saurait dès lors dépendre, comme le Conseil le soutient, du fait que la flotte espagnole pêche ou non une quantité d’anchois proche de la limite des captures fixée par les règlements, mais d’un fait incontestable, à savoir les captures excédentaires réalisées par la flotte française en raison du transfert illégal de quotas.

104    En deuxième lieu, les requérants estiment que l’illégalité commise par le Conseil leur a causé un préjudice supplémentaire en ce qu’elle a entraîné une modification des conditions de marché dans la communauté autonome du Pays basque au cours de la période en cause, tant la demande que les prix ayant diminué. Sur la base du rapport AZTI, les requérants évaluent leur préjudice total à cet égard, pour la période entre 1996 et 2001, à 3 953 989 euros.

105    En troisième lieu, les requérants estiment que l’illégalité reprochée au Conseil a affaibli la position concurrentielle de la flotte espagnole face au renforcement de la flotte française, dès lors que la France a été en mesure de soutenir sa flotte opérant dans la pêcherie en cause grâce, en grande partie, à la cession des possibilités de pêche annulée par la Cour. Les requérants se fondent à cet égard sur trois paramètres pertinents qui permettraient de mesurer l’activité de la flotte française, à savoir l’évolution du nombre de bateaux de pêche et les pratiques utilisées, le total des captures et les limites indirectes de l’effort de pêche qui résultent de l’épuisement prématuré du quota français du TAC d’anchois de la zone CIEM VIII. Il s’ensuivrait, en revanche, que la viabilité de la flotte espagnole du golfe de Gascogne serait gravement compromise à moyen et à long terme, du fait de la surexploitation de ressources communes dans la zone du golfe de Biscaye et de la diminution du stock d’anchois de la zone CIEM VIII qui en résulte. Cela se traduirait à la fois par une baisse des possibilités de captures effectives pour la flotte, indépendamment du TAC fixé, et par un risque significatif de réduction du TAC d’anchois communautaire pour cette pêcherie.

106    En quatrième lieu, les requérants soutiennent que la cession de possibilités de pêche au profit de la flotte française dans la zone CIEM VIII est l’une des causes principales de la surexploitation des ressources, car elle permet à cette flotte de pêcher pratiquement pendant toute l’année. Pour preuve, les requérants relèvent que la flotte espagnole n’a pas été en mesure d’épuiser son quota du TAC d’anchois au cours des dernières années, en raison des captures excessives réalisées sur ce stock par la flotte française. Le préjudice réel et certain causé à la flotte espagnole du fait de la surexploitation des ressources par la flotte française se serait concrétisé jusqu’à présent par l’impossibilité de réaliser des captures plus importantes. Il consisterait à l’avenir dans des possibilités inférieures de captures effectives, puisque le stock d’anchois se réduit, affectant la viabilité économique à moyen et à long terme de la flotte espagnole.

107    Selon les requérants, l’affaiblissement de la position concurrentielle de la flotte espagnole et la surexploitation des ressources sont des dommages réels et certains, indépendamment du fait que leur calcul précis doit être effectué ultérieurement et séparément.

108    Quant aux critiques avancées par le Conseil à l’encontre de la méthode retenue par le rapport AZTI, les requérants font valoir, d’une part, que toute évaluation d’un lucrum cessans ou d’un damnum emergens implique nécessairement une évaluation préalable des bénéfices qui auraient pu être réalisés si le fait générateur du dommage ne s’était pas produit et, d’autre part, que le rapport AZTI a utilisé la méthode que les économistes considéraient comme la plus valable scientifiquement pour attribuer à chaque navire de la flotte espagnole appartenant à l’un des requérants sa part du préjudice global. Si le Conseil entend contester la qualité de cette méthode ou sa rigueur scientifique, il devrait en exposer les motifs.

109    Le Conseil estime que les requérants n’ont pas apporté la preuve qu’ils ont subi un quelconque dommage.

 Appréciation du Tribunal

110    Selon la jurisprudence, pour que la responsabilité extracontractuelle de la Communauté soit engagée au titre de l’article 288, deuxième alinéa, CE, la personne lésée doit établir la réalité du dommage allégué. Ce préjudice doit être réel et certain (arrêt de la Cour du 27 janvier 1982, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80 et 5/81, Rec. p. 85, point 9 ; arrêt du Tribunal, du 2 juillet 2003, Hameico Stuttgart e.a./Conseil et Commission, T‑99/98, Rec. p. II‑2195, point 67), ainsi qu’évaluable (arrêt du Tribunal du 16 janvier 1996, Candiotte/Conseil, T‑108/94, Rec. p. II‑87, point 54). En revanche, un dommage purement hypothétique et indéterminé ne donne pas droit à réparation (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal 11 juillet 1997, Oleifici Italiani/Commission, T‑267/94, Rec. p. II-1239, point 73).

111    Il incombe aux requérants d’apporter des éléments de preuve au juge communautaire afin d’établir l’existence et l’ampleur de son préjudice (arrêts du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T‑575/93, Rec. p. II‑1, point 97, et du 28 avril 1998, Dorsch Consult/Conseil et Commission, T‑184/95, Rec. p. II‑667, point 60 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 21 mai 1976, Roquette Frères/Commission, 26/74, Rec. p. 677, points 22 à 24).

112    Il convient dès lors d’examiner si les requérants ont démontré avoir subi un dommage réel et certain.

113    En premier lieu, les requérants font valoir qu’ils ont subi un dommage en ce qu’ils ont été privés du droit de pêcher 90 % des captures du « nouveau TAC » calculé en additionnant au TAC fixé pour la zone CIEM VIII le quota transféré. Dans leur requête, les requérants estiment que leur dommage à cet égard équivaut à la valeur de l’excédent des captures effectuées par la flotte française par rapport à son quota légal.

114    Il convient de rappeler que, au point 42 de l’arrêt du 18 avril 2002, la Cour a constaté que, en raison de l’autorisation donnée à la République portugaise de pêcher une partie de son quota d’anchois dans la zone CIEM VIII, le Royaume d’Espagne, s’il s’est effectivement vu allouer 90 % du TAC d’anchois fixé pour ladite zone, n’a en revanche pas reçu, en violation du principe de stabilité relative, 90 % des possibilités de pêche de l’anchois dans cette zone. En effet, l’autorisation donnée à la République portugaise de pêcher une partie de son quota d’anchois dans la zone CIEM VIII a augmenté les possibilités de pêche de l’anchois dans ladite zone, sans que le Royaume d’Espagne soit en mesure de disposer de 90 % de ce quota supplémentaire d’anchois.

115    Par ailleurs, il est également constant que l’augmentation des possibilités de pêche de l’anchois dans la zone CIEM VIII entre 1996 et 2001 a permis à la République française, en raison de la cession par la République portugaise de son quota dans cette zone en vertu de l’annexe IV du règlement n° 685/95, d’effectuer davantage de captures d’anchois dans cette zone.

116    Cependant, contrairement à ce que soutiennent les requérants, aucune des circonstances précitées ne démontre qu’ils ont subi un dommage réel et certain.

117    En effet, il convient de rappeler que, comme la Cour l’a déjà jugé, le principe de stabilité relative signifie uniquement le maintien d’un pourcentage fixe du volume des prises disponibles pour chacun des stocks concernés, volume qui est susceptible d’évoluer, et non la garantie d’une quantité fixe de prises (arrêt de la Cour du 16 juin 1987, Romkes, 46/86, Rec. p. 2671, point 17).

118    Il s’ensuit que le quota de 90 % du TAC fixé pour la zone CIEM VIII alloué au Royaume d’Espagne constitue uniquement une limite théorique de capture maximale qui ne doit, en aucun cas, être dépassée par la flotte espagnole. Ledit quota ne signifie, en revanche, nullement que la flotte espagnole soit assurée de pêcher effectivement 90 % du TAC d’anchois dans la zone CIEM VIII. À cet égard, il doit être relevé que, si les parties sont en désaccord sur la question de savoir si les autorités espagnoles disposaient d’un pouvoir discrétionnaire pour l’octroi des droits de pêche, en revanche, il est constant que les pêcheurs actifs dans la zone CIEM VIII ne sont titulaires d’aucun quota individuel octroyé par les autorités espagnoles sur la base de la législation nationale.

119    Dans ces conditions, le simple fait que les requérants n’ont pas reçu 90 % des possibilités de pêche de l’anchois dans la zone CIEM VIII révèle uniquement un dommage théorique et hypothétique, dont la réalité dépend des captures effectives réalisées par la flotte espagnole. Les requérants le reconnaissent d’ailleurs, de manière explicite, lorsqu’ils indiquent, dans leur mémoire en réplique, que « la flotte espagnole n’aurait probablement pas pêché la totalité de son quota à défaut de transfert ».

120    Quant à la circonstance que la flotte française a réalisé des excédents de captures par rapport à son quota initial avant transfert, elle ne prouve nullement, en tant que telle, que la flotte espagnole a subi un dommage en termes de moindres captures. En effet, dès lors que la part attribuée dans le TAC d’anchois constitue une limite théorique maximale, le seul fait que la flotte française pêche davantage ne démontre pas, contrairement à ce qu’allèguent les requérants, que la flotte espagnole a pêché moins ou qu’elle ait été empêchée de pêcher plus.

121    Il s’ensuit que les circonstances invoquées dans la requête ne prouvent pas l’existence d’un dommage réel et certain.

122    En toute hypothèse, la valeur de l’excédent français, évalué à 51 722 830 euros, ne saurait démontrer l’étendue du préjudice subi par les requérants. En effet, il n’existe aucune corrélation entre le volume des captures effectivement réalisé par l’ensemble de la flotte française et le volume des captures que les requérants auraient pu réaliser.

123    Dans la mesure où le préjudice allégué par les requérants se fonde sur le seul fait que la flotte française a effectué des captures excessives par rapport à son quota légal, il convient de rejeter les arguments présentés par les requérants.

124    Ensuite, il convient d’observer que le dommage hypothétique invoqué par les requérants présenterait un caractère réel et certain s’il apparaissait que les captures d’anchois effectuées par la flotte française dans la zone CIEM VIII sur le quota supplémentaire attribué à la République portugaise dans ladite zone ont restreint les possibilités effectives, pour la flotte espagnole active dans cette zone, de pêcher l’anchois en l’empêchant de réaliser des captures additionnelles dans la limite des 90 % de possibilités de pêche dans la zone CIEM VIII, compte tenu du quota que la République portugaise a été autorisée à pêcher dans cette zone.

125    À cet égard, force est toutefois de constater que, si les requérants ont mis en exergue les quantités excédentaires pêchées par la flotte française par rapport au quota dont elle disposait légalement dans la zone CIEM VIII, ils n’ont, en revanche, à aucun moment cherché à quantifier le volume des captures additionnelles qu’ils auraient pu réaliser en l’absence des dispositions annulées.

126    Par ailleurs, il convient d’observer qu’il n’est pas contesté que, au cours de la période comprise entre 1996 et 2001, le Royaume d’Espagne n’a jamais épuisé son quota de 90 % du TAC fixé initialement pour la zone CIEM VIII, quota qui correspond, pour chacune des années en cause, à 29 700 tonnes d’anchois.

127    Dès lors que la flotte espagnole n’a, pour aucune des années en cause, pas épuisé son quota d’anchois dans la zone CIEM VIII, le fait que la flotte française a, quant à elle, excédé le quota qui lui a été légalement alloué est sans pertinence pour démontrer que la flotte espagnole a subi un préjudice, puisque, en tout état de cause, cette flotte avait la possibilité de pêcher davantage d’anchois dans la zone CIEM VIII dans le cadre du TAC fixé pour cette zone.

128    À cet égard, il convient d’observer que les requérants n’ont, par ailleurs, pas soutenu que la flotte espagnole se serait restreinte elle-même dans ses captures en vue de répartir celles-ci sur toute l’année sans excéder le quota de 29 700 tonnes, de sorte que si ladite flotte avait été informée qu’elle disposait d’un quota supplémentaire d’anchois, elle en aurait pêché davantage.

129    Par ailleurs, dès lors qu’en l’espèce la partie non utilisée des possibilités de pêche a toujours excédé 25 % du quota, atteignant même plus de 50 % entre 1996 et 1998, il ne saurait être soutenu que la flotte espagnole se soit appliquée une quelconque limitation dans ses activités de pêche à l’anchois.

130    En toute hypothèse, même à supposer que l’excédent des captures réalisées par la flotte française dans la zone CIEM VIII soit de nature à démontrer que la flotte espagnole a été restreinte dans ses possibilités de pêche, il convient de constater qu’en l’espèce les requérants ne peuvent se prévaloir d’aucun dommage réel et certain à cet égard. En effet, les possibilités de pêche d’anchois non utilisées par la flotte espagnole dans le quota alloué au Royaume d’Espagne au cours de la période comprise entre 1996 et 2001 ont toujours atteint un volume supérieur aux excédents de captures réalisées par la flotte française dans cette zone au cours de cette période, tels que déterminés par les requérants.

131    Dès lors, même si les captures françaises avaient été effectuées au détriment des captures espagnoles, il apparaît que les requérants disposaient encore de possibilités de pêche non épuisées et attribuées au Royaume d’Espagne dans le respect de la limite de 90 % du TAC fixé pour la zone avant le transfert autorisé par les dispositions annulées, soit 29 700 tonnes.

132    L’impossibilité pour la flotte espagnole d’épuiser le quota attribué au Royaume d’Espagne, ou même d’en utiliser une partie substantielle, est encore attestée par le fait que, en vertu du point 1, 1.2, second alinéa, sous ix), de l’annexe IV du règlement n° 685/95, le Royaume d’Espagne a accepté de céder à la République française, sur une base annuelle, 9 000 tonnes (12 000 tonnes en 2000) de ses possibilités de pêche du TAC d’anchois de la zone CIEM VIII, à partir de 1996, de sorte que le quota effectif dont pouvait disposer le Royaume d’Espagne dans ladite zone à compter de 1996 s’est, en réalité, élevé, non pas à 29 700 tonnes, mais à 20 700 tonnes (17 700 tonnes en 2000). Ainsi, alors que les requérants font valoir, par le présent recours, qu’ils ont subi un dommage du fait que la République française a été autorisée à pêcher environ 5 000 tonnes supplémentaires dans la zone CIEM VIII en plus du quota initial de 3 300 tonnes allouées en vertu de l’acte d’adhésion, il apparaît que, dans le même temps, le Royaume d’Espagne a cédé près d’un tiers du quota qui lui était alloué dans cette zone par l’acte d’adhésion.

133    Pour ces motifs, les requérants ne sauraient prétendre avoir subi une restriction de leurs possibilités de pêche effectives dans la zone CIEM VIII. Cela est d’ailleurs confirmé par le fait que, selon des données fournies par le Conseil, non contestées par les requérants, il apparaît que, tant en 1994, soit avant que la République portugaise ne dispose de l’autorisation de pêcher l’anchois dans la zone CIEM VIII, qu’en 2002, soit après l’annulation de cette autorisation, le Royaume d’Espagne a été loin d’épuiser son quota, les captures d’anchois effectuées dans la zone VIII pour ces années s’élevant, respectivement, à 11 230 et à 7 700 tonnes. Il en ressort que les requérants n’ont, dès lors, subi aucune restriction réelle et certaine de leurs possibilités de pêche au cours de la période en cause.

134    En conséquence, pour l’ensemble des motifs exposés ci-dessus, il y a lieu de conclure que ni le fait que les requérants n’ont pas bénéficié des 90 % des possibilités de pêche revenant au Royaume d’Espagne dans la zone CIEM VIII ni le fait que la flotte française a réalisé des excédents de captures dans cette zone ne démontrent que les requérants ont subi un dommage réel et certain susceptible de donner lieu à réparation dans le cadre du présent recours.

135    En deuxième lieu, les requérants font valoir que l’illégalité reprochée au Conseil a entraîné une diminution des prix et de la demande.

136    À cet égard, il suffit de constater qu’aucun élément du dossier, et en particulier aucune donnée produite dans le rapport AZTI, ne démontre la réalité d’une telle diminution. En particulier, il convient de relever que ce rapport se borne à présenter, selon un tableau qui figure également dans la requête, l’évaluation des « pertes » financières prétendument subies par la flotte espagnole, en exposant des formules mathématiques dont les paramètres ne sont pas expliqués, sans proposer d’éléments concernant les prix du marché au cours de la période en cause. Par ailleurs, au vu des éléments produits par les parties à la suite d’une question écrite posée par le Tribunal, il s’est avéré que le prix moyen des anchois n’a pas diminué de 1996 à 2001. Partant, les arguments des requérants selon lesquels l’illégalité reprochée au Conseil a entraîné une diminution des prix et de la demande ne sauraient prospérer.

137    En troisième lieu, les requérants prétendent avoir subi un dommage du fait de l’affaiblissement de leur position concurrentielle par rapport à la flotte française.

138    À cet égard, ainsi que le Conseil le soutient à juste titre, les requérants n’ont apporté aucun élément concret de nature à étayer le prétendu affaiblissement de leur position concurrentielle, mais se bornent à formuler des affirmations vagues et générales. Le recours des requérants est, dès lors, non fondé sur ce point.

139    En quatrième lieu, les requérants soutiennent qu’ils ont subi un préjudice du fait de la surexploitation et de l’érosion des ressources.

140    Force est de constater également que les requérants n’apportent aucun élément concret de nature à étayer leur allégation relative à l’érosion des ressources, mais se bornent à cet égard à formuler des affirmations vagues et générales. Tout au plus font-ils valoir que l’érosion serait démontrée par le fait que le Royaume d’Espagne n’a jamais pu épuiser son quota. Toutefois, cette seule allégation apparaît dénuée de fondement, dès lors que le TAC pour la période en cause, lequel était fixé annuellement en tenant compte, conformément aux dispositions des articles 4 et 8 du règlement n° 3760/92, de l’état des ressources naturelles, à la lumière des avis scientifiques disponibles, n’a pas été modifié au cours de la période en cause, étant maintenu à 33 000 tonnes.

141    Enfin, pour autant que les requérants demanderaient la réparation d’un dommage futur, il suffit de constater qu’ils n’ont pas établi que ce dommage allégué était imminent et prévisible avec une certitude suffisante (voir, en ce sens, arrêt Hameico Stuttgart e.a./Conseil et Commission, point 110 supra, point 63).

142    Les requérants allèguent, à cet égard, que le TAC d’anchois serait réduit à 11 000 tonnes en 2003. Or, cette affirmation est erronée. En effet, il ressort de l’annexe I D du règlement (CE) n° 2341/2002, du Conseil, du 20 décembre 2002, établissant, pour 2003, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture (JO L 356, p. 12), que le TAC d’anchois pour la zone CIEM VIII relatif à l’année 2003 a été fixé à 33 000 tonnes. Par ailleurs, il convient de relever que ledit TAC a été maintenu à 33 000 tonnes tant en 2002 [annexe I D du règlement (CE) n° 2555/2001 du Conseil, du 18 décembre 2001, établissant, pour 2002, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture (JO L 347, p. 1)] qu’en 2004 [annexe I B du règlement n° 2287/2003, du Conseil, du 19 décembre 2003, établissant, pour 2004, les possibilités de pêche et les conditions associées pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux communautaires et, pour les navires communautaires, dans les eaux soumises à des limitations de capture (JO L 344 p. 1)].

143    Enfin, en ce qui concerne la demande de mesures d'instruction introduite par les requérants le 31 mai 2005, il convient de rappeler qu'une demande de mesures d'instruction présentée après la clôture de la procédure orale ne peut être retenue que si elle porte sur des faits de nature à exercer une influence décisive sur la solution du litige et que l'intéressé n'avait pu faire valoir avant la fin de la procédure orale (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Hoechst/Commission, C‑227/92 P, Rec. p. I‑4443, point 104). En l'espèce, il y a lieu d'observer, d'une part, que les requérants n'ont pas avancé la moindre justification en vue d'établir que, lors de l'introduction de leur requête, ils n'auraient pas pu étayer leur affirmation concernant la surexploitation et l'érosion des ressources. En particulier, ils n'expliquent pas pourquoi il ne leur a pas été possible, au stade de la requête ou à tout le moins de la réplique, de demander une expertise. Il s'ensuit que la demande est irrecevable.

144    En outre, force est de constater que, en tout état de cause, la demande de mesures d'instruction est dénuée de pertinence. En effet, il convient d'observer qu'aucune des pièces apportées par les requérants n'établit ni même n'émet l'hypothèse que la diminution des captures ou que le mauvais état biologique du stock en 2005 pourraient être dus aux dispositions annulées par l'arrêt du 18 avril 2002 ou à une surexploitation antérieure de l'anchois. Tout au contraire, il ressort du rapport « Arrantza 2003 », élaboré par l'’Instituto Tecnológico Pesquero y Alimentario, annexé à la duplique, que le cycle de vie de l'anchois est très court et la population d'anchois très variable, de sorte qu'il peut y avoir, d'une année à l'autre, des périodes de crise dans sa population, voir des périodes de pénurie. Ainsi, selon ledit rapport, en 2002, la biomasse de reproducteurs se situait dans des limites biologiques sûres, étant estimée à 56 000 tonnes, c'est-à-dire, au-delà de la biomasse de précaution de 36 000 tonnes. Dans ces conditions, les pièces apportées par les requérants ne sauraient avoir une influence décisive sur la solution du litige.

145    Il y a, dès lors, lieu de rejeter la demande de mesures d'instruction introduite par les requérants.

146    Pour l’ensemble de ces motifs, il y a lieu de conclure que les requérants n’ont pas apporté la preuve de la réalité des préjudices qu’ils allèguent.

147    Dès lors que les requérants n’ont prouvé ni l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers ni la réalité du préjudice allégué, il convient de conclure que la responsabilité de la Communauté ne saurait être engagée, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si la condition relative au lien de causalité entre l’illégalité alléguée et le préjudice invoqué est établie.

148    Il résulte de tout ce qui précède qu’il convient de rejeter le recours intenté par les requérants comme non fondé, sans qu’il soit besoin de statuer sur les arguments concernant la recevabilité.

 Sur les dépens

149    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions du défendeur.

150    En application de l’article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Les requérants supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil.

3)      La République française et la Commission supporteront leurs propres dépens.

Jaeger

Tiili

Czúcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 19 octobre 2005.

Le greffier

 

      Le président

E. Coulon

 

      M. Jaeger


* Langue de procédure : l’espagnol.