Language of document : ECLI:EU:T:2014:622

DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

9 juillet 2014 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds et des ressources économiques – Restrictions d’entrée et de passage en transit sur le territoire de l’Union – Droits de la défense – Droit à un recours juridictionnel effectif – Obligation de motivation – Erreur d’appréciation »

Dans les affaires jointes T‑329/12 et T‑74/13,

Mazen Al-Tabbaa, demeurant à Beyrouth (Liban), représenté par Mme M. Lester, barrister, et M. G. Martin, solicitor,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Kyriakopoulou et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation des actes du Conseil contenant des mesures restrictives concernant le requérant, à savoir, initialement, la décision d’exécution 2012/256/PESC du Conseil, du 14 mai 2012, mettant en œuvre la décision 2011/782/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO L 126, p. 9), ainsi que le règlement d’exécution (UE) n° 410/2012 du Conseil, du 14 mai 2012, mettant en œuvre l’article 32, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO L 126, p. 3),

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de MM. G. Berardis (rapporteur), président, O. Czúcz et A. Popescu, juges,

greffier : Mme S. Spyropoulos, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 mars 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Mazen Al-Tabbaa, est un homme d’affaires syrien qui, à ses dires, est issu d’une famille réputée d’intellectuels musulmans qui aurait défendu la réforme démocratique en Syrie depuis de longues années.

2        Le 9 mai 2011, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2011/273/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO L 121, p. 11).

3        L’article 3, paragraphe 1, de cette décision prévoit que les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie et des personnes qui leur sont liées, dont la liste figure en annexe à ladite décision.

4        L’article 4, paragraphe 1, de cette dernière dispose que tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent à des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie ainsi qu’aux personnes, physiques ou morales, et entités qui leur sont liées, de même que tous les fonds et ressources qu’elles possèdent, détiennent ou contrôlent, sont gelés. Les modalités de ce gel sont définies aux autres paragraphes du même article.

5        À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE et de la décision 2011/273, le règlement (UE) n° 442/2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO L 121, p. 1). L’article 4, paragraphe 1, de celui-ci prévoit le gel de tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités et organismes énumérés à l’annexe II, ou possédés, détenus ou contrôlés par ceux-ci.

6        La liste du 9 mai 2011, annexée tant à la décision 2011/273 qu’au règlement n° 442/2011, comprenait les noms de treize personnes, parmi lesquelles ne figurait pas encore celui de M. Al-Tabbaa.

7        La décision 2011/273 a été remplacée par la décision 2011/782/PESC du Conseil, du 1er décembre 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/273 (JO L 319, p. 56).

8        L’article 18, paragraphe 1, et l’article 19, paragraphe 1, de la décision 2011/782 correspondent respectivement à l’article 3, paragraphe 1, et à l’article 4, paragraphe 1, de la décision 2011/273, avec l’ajout que les mesures restrictives y énoncées s’appliquent également notamment aux personnes bénéficiant des politiques menées par le régime ou soutenant celui-ci.

9        Le règlement n° 442/2011 a été remplacé par le règlement (UE) n° 36/2012 du Conseil, du 18 janvier 2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement n° 442/2011 (JO L 16, p. 1).

10      Le règlement d’exécution (UE) n° 266/2012, du 23 mars 2012, mettant en œuvre l’article 32, paragraphe 1, du règlement n° 36/2012 (JO L 87, p. 45), ainsi que la décision d’exécution 2012/172/PESC du Conseil, du 23 mars 2012, mettant en œuvre la décision 2011/782 (JO L 87, p. 103), précisent que, compte tenu de la gravité de la situation en Syrie, il convient d’ajouter d’autres personnes et entités à la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives qui figure à l’annexe I de la décision 2011/782 et à l’annexe II du règlement n° 36/2012.

11      Ainsi, la décision d’exécution 2012/172 et le règlement d’exécution n° 266/2012 mentionnent pour la première fois le nom du requérant, orthographié « Mazen Al-Tabba », dans leurs annexes, avec le motif suivant :

« Partenaire en affaires avec Ihab Makhlouf et Nizar al-Assad (sanctionné le 23.8.2011) ; co-propriétaire, avec Rami Makhlouf, de la société de change Al-Diyar lil-Saraafa qui soutient la politique de la Banque centrale syrienne. »

12      L’article 21, paragraphes 2 et 3, de la décision 2011/782 prévoit que :

« Le Conseil communique sa décision relative à une inscription sur la liste à la personne ou à l’entité concernée, ainsi que les motifs de l’inscription, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en donnant à cette personne ou entité la possibilité de présenter des observations.

Si des observations sont formulées, ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil revoit sa décision et en informe la personne ou l’entité concernée. »

13      L’article 32, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 36/2012 contient une disposition similaire.

14      Le 24 mars 2012, le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne l’avis à l’attention des personnes et entités auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues par la décision 2011/782, mise en œuvre par la décision d’exécution 2012/172, et par le règlement n° 36/2012, mis en œuvre par le règlement d’exécution n° 266/2012 (JO C 88, p. 9).

15      Le requérant n’a pas formé de recours à l’encontre de ces actes.

16      Le 14 mai 2012, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2012/256/PESC, mettant en œuvre la décision 2011/782 (JO L 126, p. 9), ainsi que le règlement d’exécution (UE) n° 410/2012, mettant en œuvre l’article 32, paragraphe 1, du règlement n° 36/2012 (JO L 126, p. 3). Ces actes maintiennent l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, avec la motivation suivante :

« Partenaire en affaires avec Ihab Makhlouf et Nizar al-Assad (objet de sanctions le 23.8.2011); co-propriétaire, avec Rami Makhlouf, de la société de change Al-Diyar lil-Saraafa (alias Diar Electronic Services) qui soutient la politique de la Banque centrale syrienne. »

17      Le 15 mai 2012, le Conseil a publié au Journal officiel l’avis à l’attention des personnes et entités auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues par la décision 2011/782, mise en œuvre par la décision d’exécution 2012/256, et par le règlement n° 36/2012, mis en œuvre par le règlement d’exécution n° 410/2012 (JO C 139, p. 19).

18      Selon cet avis, tout comme selon l’avis du 24 mars 2012, les personnes et entités concernées peuvent adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle elles ont été inscrites sur les listes annexées aux actes mentionnés au point 17 ci-dessus, en y joignant des pièces justificatives. L’attention des personnes et entités concernées est également attirée sur le fait qu’il est possible de contester la décision du Conseil devant le Tribunal de l’Union européenne, dans les conditions prévues à l’article 275, deuxième alinéa, TFUE et à l’article 263, quatrième et sixième alinéas, TFUE.

19      Par lettre du 24 mai 2012, le requérant s’est adressé au Conseil par le biais de ses représentants afin de protester contre l’inscription de son nom sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives en demandant à ce que lui soient communiqués les documents sur lesquels le Conseil s’est fondé pour ladite inscription et de pouvoir être entendu à ce sujet. En annexe à cette lettre figure une lettre de six membres du Conseil national syrien qui exposent leur soutien au requérant et leur étonnement concernant cette inscription.

20      À la suite des lettres de rappel du requérant des 5 et 18 juillet 2012, soulignant l’urgence de la question, le Conseil a répondu par courrier du 26 juillet 2012 adressé aux représentants du requérant. En réponse à la demande de communication des documents relatifs à la désignation du requérant, le Conseil a fourni la proposition de désignation du requérant émanant d’un État membre. Le Conseil a également rejeté la demande d’audition du requérant, en se fondant sur le point 93 de l’arrêt du Tribunal du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil (T‑256/07, Rec. p. II‑3019).

 Procédure et conclusions des parties

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 juillet 2012, le requérant a introduit le présent recours, qui a été enregistré sous la référence T-329/12.

22      À cette occasion, le requérant a conclu à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision d’exécution 2012/256 et le règlement d’exécution n° 410/2012, pour autant que ces actes le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

23      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours comme étant irrecevable ou à tout le moins non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

24      À la suite du dépôt du présent recours, le Conseil a communiqué, par lettre du 30 novembre 2012 adressée aux représentants du requérant, qu’il avait décidé que le nom de ce dernier devait continuer à figurer dans la liste des personnes visées par les mesures restrictives prévues aux annexes I et II de la décision 2012/739/PESC du Conseil, du 29 novembre 2012, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/782 (JO L 330, p. 21), et aux annexes II et IIbis du règlement n° 36/2012, tel que dernièrement mis en œuvre par le règlement d’exécution (UE) n° 1117/2012 du Conseil, du 29 novembre 2012, mettant en œuvre l’article 32, paragraphe 1, du règlement n° 36/2012 (JO L 330, p. 9). Le Conseil a également publié, à la même date, l’avis à l’attention des personnes et entités auxquelles s’appliquent les mesures restrictives prévues dans la décision 2012/739 et dans le règlement n° 36/2012, mis en œuvre par le règlement d’exécution n° 1117/2012 (JO C 370, p. 6).

25      Par mémoires déposés le 7 février 2013, le requérant a présenté à la fois une requête modifiée visant à annuler la décision 2012/739 et le règlement d’exécution n° 1117/2012 ainsi qu’un nouveau recours à l’encontre de ces mêmes actes, présenté à titre de précaution dans l’affaire T-74/13, au cas où le Tribunal déclarerait le recours initial irrecevable dans la présente affaire.

26      Par lettre du 13 mai 2013, le Conseil a communiqué aux représentants du requérant sa décision de maintenir l’inscription du nom de ce dernier sur les listes en cause et leur a notifié son règlement d’exécution (UE) n° 363/2013, du 22 avril 2013, mettant en œuvre le règlement n° 36/2012 (JO L 111, p. 1), ainsi que sa décision d’exécution 2013/185/PESC, du 22 avril 2013, mettant en œuvre la décision 2012/739 (JO L 111, p. 77).

27      Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 22 mai 2013, le requérant a souhaité étendre sa demande d’annulation dans les affaires T-329/12 et T-74/13 afin de viser également le règlement d’exécution n° 363/2013 et la décision d’exécution 2013/185.

28      Ensuite, par lettre du 3 juin 2013, le Conseil a communiqué aux représentants du requérant sa décision de maintenir l’inscription du nom de ce dernier sur les listes en cause et leur a notifié sa décision 2013/255/PESC, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO L 147, p. 14).

29      Enfin, par lettre déposée au greffe du Tribunal le 2 juillet 2013, le requérant a demandé à pouvoir étendre sa demande d’annulation dans les affaires T-329/12 et T-74/13 afin de viser également la décision 2013/255 et le règlement d’exécution n° 363/2013, tel que modifié en dernier lieu par le rectificatif du 31 mai 2013 (JO L 127, p. 27).

30      Tous ces actes contiennent, en ce qui concerne le nom du requérant, la même motivation que celle qui est reprise au point 16 ci-dessus.

31      Le Conseil a soumis ses observations sur ces deux dernières demandes d’adaptation des conclusions par lettres déposées au greffe du Tribunal le 25 juin et le 25 juillet 2013.

32      Par ordonnance du 14 janvier 2014, le président de la neuvième chambre du Tribunal, les parties entendues, a décidé de joindre les affaires T-329/12 et T-74/13 aux fins de la procédure orale et de l’arrêt, conformément à l’article 50 du règlement de procédure du Tribunal.

33      Par mesure d’organisation de la procédure du 21 janvier 2014, le Tribunal a demandé au Conseil de lui fournir tout élément de preuve ou d’information en sa possession, confidentiel ou non, permettant de justifier l’inclusion du requérant sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives, qu’il estime pertinent en vue de permettre au Tribunal d’exercer son contrôle, conformément aux points 120 à 130 de l’arrêt de la Cour du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi (C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, non encore publié au Recueil, ci-après l’« arrêt Kadi II »).

34      Le Conseil a répondu à cette demande par courrier du 6 février 2014.

 En droit

 Sur la recevabilité

35      Le Conseil avance que tant le recours dans l’affaire T-329/12 que celui formé dans l’affaire T-74/13 sont irrecevables.

36      En premier lieu, s’agissant de la recevabilité du recours dans l’affaire T‑329/12, le Conseil soulève que le délai de deux mois pour former un recours, tel que prévu à l’article 263 TFUE, n’a pas été respecté et souligne qu’il s’agit d’un délai d’ordre public.

37      Le Conseil soutient à cet égard que, bien que le recours dans l’affaire T‑329/12 vise formellement la décision d’exécution 2012/256 et le règlement d’exécution n° 410/2012, il vise en réalité l’annulation de la décision d’exécution 2012/172 et du règlement d’exécution n° 266/2012, qui mentionnent pour la première fois le nom du requérant dans leurs annexes. Les deux actes postérieurs, visés par le présent recours, seraient des actes purement confirmatifs. Or, un recours formé contre un acte purement confirmatif d’un acte antérieur non attaqué dans les délais est irrecevable (arrêt du Tribunal du 12 juillet 2006, Ayadi/Conseil, T‑253/02, Rec. p. II‑2139, point 70).

38      Le Conseil considère, par conséquent, que les mémoires en adaptation des conclusions du requérant déposés dans le cadre du recours T-329/12 sont également irrecevables, en vertu de la jurisprudence selon laquelle de tels mémoires ne sauraient être déclarés recevables que pour autant que le recours initial est lui-même recevable (ordonnance du Tribunal du 20 novembre 2012, Shahid Beheshti University/Conseil, T‑120/12, non publiée au Recueil, point 57).

39      En second lieu, en ce qui concerne le recours déposé dans l’affaire T‑74/13, le Conseil conteste également la recevabilité dudit recours pour cause de litispendance, étant donné que celui-ci vise les mêmes actes et a le même objet que ceux visés par la requête modifiée et les mémoires en adaptation des conclusions du requérant dans l’affaire T‑329/12 (voir arrêt de la Cour du 24 novembre 2005, Italie/Commission, C‑138/03, C‑324/03 et C‑431/03, Rec. p. I‑10043, point 64, et la jurisprudence citée).

40      Le requérant conteste ces arguments.

41      En premier lieu, s’agissant de la recevabilité du recours dans l’affaire T‑329/12, il convient de noter que, dans l’arrêt Ayadi/Conseil, précité, invoqué par le Conseil, le Tribunal a précisé qu’un acte est confirmatif d’un acte antérieur s’il ne contenait aucun élément nouveau par rapport à celui-ci et n’avait pas été précédé d’un réexamen de la situation du destinataire de cet acte antérieur. Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, le Tribunal a constaté que de tels éléments nouveaux étaient présents dans les actes attaqués par le requérant et que l’adoption de ces actes par le Conseil impliquait un réexamen de la situation des personnes inclues dans les listes annexées à ceux-ci (arrêt Ayadi/Conseil, précité, points 71 à 79).

42      Le Conseil a néanmoins fait valoir, en substance, lors de l’audience, qu’un tel réexamen de la situation des personnes inclues dans les listes annexées à la décision d’exécution 2012/256 et au règlement d’exécution n° 410/2012 faisait défaut en l’espèce, alors que ces actes avaient été adoptés en mai 2012, c’est-à-dire près de deux mois après l’inscription initiale du nom du requérant sur la liste des personnes visées par des mesures restrictives. En outre, il n’y aurait aucun élément nouveau dans ces actes par rapport aux premiers actes par lesquels le nom du requérant avait été inscrit sur ladite liste.

43      Ces arguments ne sauraient être accueillis.

44      La Cour a, en effet, confirmé que, même dans un cas où la personne concernée n’est pas nommément mentionnée par un acte subséquent modifiant la liste sur laquelle son nom a été inscrit et même si cet acte subséquent ne modifie pas les motifs pour lesquels le nom de cette personne a initialement été inscrit, un tel acte doit être compris comme constituant une manifestation de la volonté du Conseil de maintenir l’inscription du nom du requérant sur ladite liste, avec pour conséquence le maintien du gel de ses fonds, étant donné que le Conseil a l’obligation de procéder à un examen de cette liste à intervalles réguliers (arrêt de la Cour du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, Rec. p. I‑439, point 103 ; voir également, en ce sens, arrêts du Tribunal du 7 décembre 2010, Fahas/Conseil, T‑49/07, Rec. p. II‑5555, point 35, et du 11 décembre 2012, Sina Bank/Conseil, T‑15/11, non encore publié au Recueil, points 30 à 37).

45      Or, il y a lieu de noter qu’en l’espèce le Conseil est également soumis à l’obligation de procéder à un examen des listes en cause à intervalles réguliers, en vertu de dispositions semblables à celles qui figuraient dans les actes en cause dans les affaires citées au point 44 ci-dessus. En effet, l’article 32, paragraphe 4 du règlement n° 36/2012 prévoit que le Conseil examine les listes à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois, et l’article 25 de la décision 2011/782 prévoit également que cette décision fait l’objet d’un suivi constant.

46      Ainsi, la décision d’exécution 2012/172, mettant en œuvre la décision 2011/782, a été remplacée, près de deux mois après son adoption, par la décision d’exécution 2012/256. Le règlement n° 36/2012 a initialement été mis en œuvre par le règlement d’exécution n° 266/2012 puis, près de deux mois après l’adoption de ce dernier, par le règlement d’exécution n° 410/2012. Ces nouveaux actes témoignent donc de la volonté du Conseil de maintenir l’inscription du nom du requérant sur les listes des personnes visées par les mesures restrictives à la suite d’un réexamen, même bref, de la situation de celui-ci.

47      Le Conseil ne saurait donc valablement prétendre, à cet égard, que le premier réexamen de la situation du requérant a eu lieu en novembre 2012 et non en mai 2012 lors de l’adoption de la décision d’exécution 2012/256 et du règlement d’exécution n° 410/2012. Faire droit à un tel argument conduirait en effet à faire dépendre la recevabilité du recours du bon vouloir du Conseil, selon que celui-ci estime avoir effectivement réexaminé ou non le maintien de l’inscription du nom de la personne concernée sur les listes en cause, ce qui irait à l’encontre du principe de sécurité juridique, comme l’a fait valoir à juste titre le requérant lors de l’audience. Le Conseil ne saurait donc faire valoir qu’il n’a opéré aucun réexamen de la situation du requérant, contrairement à ses obligations, afin d’en tirer un bénéfice en ce qui concerne la recevabilité du recours.

48      Par ailleurs, comme le fait valoir le requérant à juste titre également, par un avis du Conseil publié au Journal officiel du 15 mai 2012, il a été expressément informé de son droit de contester les mesures litigieuses prévues par les actes attaqués, soit en demandant un réexamen de sa situation, en fournissant des preuves à l’appui d’une telle demande, soit en formant un recours devant le Tribunal dans les conditions prévues par l’article 263 TFUE. Le Conseil ne saurait donc prétendre, comme il l’a fait lors de l’audience, qu’une telle invitation devrait être comprise comme étant conditionnée au fait que le requérant ait également attaqué les premiers actes par lesquels le nom de ce dernier a été inscrit sur les listes.

49      L’ordonnance du Tribunal du 4 mai 1998, BEUC/Commission (T‑84/97, Rec. p. II‑795), également invoquée par le Conseil lors de l’audience, ne saurait non plus fonder sa thèse selon laquelle les actes attaqués en l’espèce seraient des actes purement confirmatifs. En effet, premièrement, cette ordonnance a été adoptée dans le domaine de la défense commerciale et de l’antidumping, qui est sensiblement différent de celui des mesures restrictives adoptées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune, dont il est question en l’espèce. En outre, ainsi que l’a fait valoir le requérant lors de l’audience, cette ordonnance concerne la notion de partie intéressée, qualité qui avait été refusée dans le cadre de la procédure administrative à la requérante, une organisation de défense des consommateurs, par une lettre antérieure, et non une quelconque décision de maintien de certaines mesures à l’encontre de celle-ci à la suite d’un réexamen.

50      En tout état de cause, il y a lieu de constater que le nom du requérant figure bien dans les annexes de la décision d’exécution 2012/256 et du règlement d’exécution n° 410/2012, accompagné d’une motivation légèrement modifiée par rapport à celle qui figurait dans la décision d’exécution 2012/172 et le règlement d’exécution n° 266/2012, puisque les termes « alias Diar Electronic Services », visant à désigner également la société Diyar lil-Saraafa, ont été rajoutés, ce que le Conseil ne conteste pas. Les actes attaqués contiennent donc des éléments nouveaux, ce qui suffit pour établir qu’ils ne sont nullement des actes confirmatifs, au sens de la jurisprudence Ayadi/Conseil, précitée.

51      Au vu de ce qui précède, l’argument du Conseil selon lequel la décision d’exécution 2012/256 et le règlement d’exécution n° 410/2012 sont des actes purement confirmatifs doit être rejeté.

52      Dès lors, la requête dans l’affaire T-329/12 ayant été déposée dans les délais impartis à cet effet, le recours dans ladite affaire doit être déclaré recevable.

53      En second lieu, il convient de se prononcer sur la recevabilité des demandes d’adaptation des conclusions présentées dans l’affaire T‑329/12.

54      Il convient de rappeler à cet égard que, lorsqu’une décision ou un règlement concernant directement et individuellement un particulier est, en cours de procédure, remplacé par un acte ayant le même objet, celui-ci doit être considéré comme un élément nouveau permettant au requérant d’adapter ses conclusions et moyens. Il serait, en effet, contraire à une bonne administration de la justice et à une exigence d’économie de la procédure d’obliger le requérant à introduire un nouveau recours. Il serait, en outre, injuste que l’institution en cause puisse, pour faire face aux critiques contenues dans une requête présentée au juge de l’Union européenne contre un acte, adapter l’acte attaqué ou lui en substituer un autre et se prévaloir, en cours d’instance, de cette modification ou de cette substitution pour priver l’autre partie de la possibilité d’étendre ses conclusions et ses moyens initiaux à l’acte ultérieur ou de présenter des conclusions et moyens supplémentaires contre celui-ci (voir arrêt Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, précité, point 46, et la jurisprudence citée ; arrêt du Tribunal du 13 septembre 2013, Anbouba/Conseil, T‑563/11, non publié au Recueil, point 26).

55      Par ailleurs, pour être recevable, une demande d’adaptation des conclusions doit être présentée dans le délai de recours de deux mois prévu par l’article 263, sixième alinéa, TFUE, augmenté du délai de distance de dix jours prévu à l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, qui serait applicable en cas de recours autonome contre les actes nouveaux visés. Ce délai de recours est d’ordre public et doit être appliqué par le juge de l’Union de manière à assurer la sécurité juridique ainsi que l’égalité des justiciables devant la loi (voir, en ce sens, arrêt PKK et KNK/Conseil, précité, point 101). Il appartient ainsi au juge de vérifier, le cas échéant d’office, si ce délai a été respecté (ordonnance du Tribunal du 11 janvier 2012, Ben Ali/Conseil, T‑301/11, non publiée au Recueil, point 16).

56      Or, en l’espèce, depuis l’introduction de la requête, la décision 2011/782, telle que mise en œuvre par la décision d’exécution 2012/256 notamment, a été modifiée puis abrogée par la décision 2012/739, dont l’annexe I mentionne toujours le nom du requérant avec les mêmes motifs que ceux qui sont repris au point 16 ci-dessus, si ce n’est que le nom de M. Makhlouf a été, à plusieurs reprises, orthographié « Makhlour ». Cette décision a elle-même été mise en œuvre par la décision d’exécution 2013/185 puis remplacée par la décision 2013/255. Par ailleurs, le règlement n° 36/2012, tel que mis en œuvre par le règlement d’exécution n° 410/2012, a ensuite été mis en œuvre par les règlements d’exécution n° 1117/2012 et n° 363/2013. Tous ces actes ont été visés par les mémoires en adaptation des conclusions du requérant. Il convient dès lors d’en examiner la recevabilité.

57      En ce qui concerne la première demande d’adaptation des conclusions du requérant dans l’affaire T-329/12, présentée comme une requête modifiée, il convient de relever que celle-ci a été déposée avant l’expiration du délai que celui-ci aurait dû respecter s’il avait choisi de former un nouveau recours contre les actes visés par cette demande, à savoir la décision 2012/739 et le règlement d’exécution n° 1117/2012.

58      En effet, en vertu de la jurisprudence Gbagbo (arrêt de la Cour du 23 avril 2013, Gbagbo e.a./Conseil, C‑478/11 P à C‑482/11 P, non encore publié au Recueil, points 59 à 62), la publication de l’avis prévu dans les dispositions des actes attaqués ne fixe le point de départ du délai de recours que lorsqu’il était impossible pour le Conseil de procéder à la communication directe des actes en cause.

59      Or, en l’espèce, le Conseil a communiqué la décision 2012/739 et le règlement d’exécution n° 1117/2012 à la fois directement aux représentants du requérant, par lettre du 30 novembre 2012, et en publiant un avis au Journal officiel le même jour. C’est donc à partir de cette date qu’a commencé à courir le délai de deux mois prévu à l’article 263 TFUE. Ce délai doit, dans les deux cas, encore être augmenté d’un délai forfaitaire de 10 jours en vertu de l’article 102, paragraphe 2, du règlement de procédure, ce qui fixe le délai de recours, au plus tôt, à la date du 11 février 2013 (ordonnance du Tribunal du 20 novembre 1997, Horeca-Wallonie/Commission, T‑85/97, Rec. p. II‑2113, point 25). Le premier mémoire en adaptation des conclusions du requérant est donc recevable, puisqu’il a été déposé le 7 février 2013.

60      En ce qui concerne la deuxième demande d’adaptation des conclusions du requérant, déposée par courrier du 22 mai 2013, il convient de relever que celle‑ci a été déposée avant l’expiration du délai que celui-ci aurait dû respecter s’il avait choisi de former un nouveau recours contre les actes visés par cette demande, à savoir contre la décision d’exécution 2013/185 et le règlement d’exécution n° 363/2013.

61      En effet, ces actes ont été communiqués aux représentants du requérant par lettre du 13 mai 2013, ce qui implique que le délai pour former un recours à l’encontre de cette décision a pris fin le 23 juillet 2013. La deuxième demande d’adaptation des conclusions du requérant, présentée le 22 mai 2013, est, dès lors, également recevable.

62      Enfin, en ce qui concerne la troisième demande d’adaptation des conclusions du requérant, déposée par courrier du 2 juillet 2013, il convient de relever que celle-ci a été déposée avant l’expiration du délai que celui-ci aurait dû respecter s’il avait choisi de former un nouveau recours contre les actes visés par cette demande, à savoir contre la décision 2013/255 et le règlement d’exécution n° 363/2013, tel que modifié en dernier lieu par le rectificatif du 31 mai 2013, mettant en œuvre le règlement n° 36/2012.

63      En effet, ces actes ont été communiqués aux représentants du requérant par courrier du 3 juin 2013, ce qui implique que le délai pour former un recours à l’encontre de cette décision a pris fin le 13 août 2013. La troisième demande d’adaptation des conclusions du requérant, présentée le 2 juillet 2013 est, dès lors, également recevable.

64      Enfin, s’agissant du recours dans l’affaire T-74/13, étant donné que celui-ci porte sur les mêmes actes que ceux qui sont visés par les trois mémoires en adaptation des conclusions du requérant dans l’affaire T‑329/12, qu’il concerne les mêmes parties et a le même objet, et étant donné qu’il a été introduit par le requérant à titre subsidiaire uniquement, au cas où le recours dans l’affaire T-329/12 eût été déclaré irrecevable, il y a lieu de considérer qu’il n’y a pas lieu de statuer sur ce recours.

 Sur le fond 

65      À l’appui du recours dans l’affaire T-329/12, le requérant invoque, en substance, quatre moyens, tirés, premièrement, de ce que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en décidant d’appliquer les mesures restrictives à son égard, deuxièmement, d’une violation de l’obligation de motivation, troisièmement, d’une violation des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif et, quatrièmement, d’une violation de ses droits fondamentaux tels que le droit de propriété et la liberté d’entreprendre ainsi que le droit du respect de sa réputation et de sa vie privée et familiale.

66      Le requérant fait valoir, dans le cadre du premier moyen, tiré de ce que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en lui appliquant les mesures restrictives, qu’il n’existe aucune raison valable pour laquelle il pourrait être dûment décrit comme étant lié ou associé au régime, responsable de la répression violente contre la population civile, ou comme soutenant les politiques menées par le régime ou en bénéficiant, ce qui constituerait le seul fondement juridique valable pour l’inscription de son nom sur les listes en cause.

67      Le requérant prétend avoir toujours été un adversaire véhément du régime du président Bachar Al Assad en Syrie. Les membres de sa famille seraient des opposants notoires audit régime, qui auraient été menacés et arrêtés par ce régime à plusieurs reprises. Il prétend lui-même avoir été arrêté et emprisonné par le régime syrien pendant trois mois en 2008 sur de fausses accusations, de même que son cousin germain, qui a été arrêté par les forces de sécurité en février 2012 et est toujours porté disparu.

68      Dès lors, le requérant conteste vigoureusement les motifs qui ont été retenus à son égard dans les actes attaqués, tels que repris aux points 11 et 16 ci-dessus.

69      Tout d’abord, le requérant fait valoir qu’il n’est pas un partenaire en affaires avec M. Ihab Makhlouf, ni avec M. Nizar al-Assad, et qu’il n’est pas propriétaire, avec M. Rami Makhlouf, de la société Diar Electronic Services, mais n’en est qu’un actionnaire minoritaire. Par ailleurs, il conteste que M. Makhlouf soit propriétaire de ladite société et qu’il ait des intérêts dans cette société. Enfin, il ne comprend pas dans quelle mesure la société en cause, une société de changes, soutiendrait la politique de la Banque centrale syrienne.

70      En outre, le requérant rappelle les effets préjudiciables qui découlent de l’adoption des actes attaqués en ce qui le concerne et se plaint d’avoir écrit à plusieurs reprises au Conseil afin d’obtenir les documents et informations sur lesquels celui-ci s’est fondé pour adopter la décision de le désigner dans les annexes desdits actes et de ne pas avoir obtenu de réponse de celui-ci. Le seul élément qui lui aurait été communiqué, après le dépôt du présent recours, consisterait en la lettre du Conseil du 26 juillet 2012, à laquelle a été jointe une proposition émanant d’un État membre, non identifié, d’inscrire son nom sur les listes en cause, pour les mêmes motifs que ceux qui figurent dans les actes attaqués.

71      Enfin, le requérant produit, à l’appui de ses affirmations, divers témoignages et lettres de membres du Conseil national syrien, de l’Association des éditeurs arabes (Arab Publishers Association) et d’anciens partenaires en affaires de différents pays.

72      Le Conseil, dans sa défense, avance en premier lieu que le Tribunal est tenu d’exercer un contrôle restreint en ce qui concerne, en particulier, l’appréciation des considérations d’opportunité sur lesquelles sont fondées les décisions imposant des mesures restrictives sur le fondement de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union.

73      En deuxième lieu, sur le bien-fondé de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause, le Conseil conteste que la déclaration du Conseil national syrien, produite par le requérant, puisse être de nature à soutenir ses affirmations, dès lors qu’elle n’est signée que par quelques-uns de ses membres, qui ne sont pas membres de ses organes dirigeants.

74      Le Conseil estime, en outre, que le requérant est lié, commercialement, à des personnes bénéficiant des politiques menées par le régime syrien ou soutenant celui-ci. En effet, les trois partenaires en affaires du requérant, à savoir MM. Rami Makhlouf, Ihab Makhlouf et Nizar Al-Assad, seraient des personnes très proches dudit régime et auraient également été inscrites sur les listes des personnes visées par les mesures restrictives. En outre, le Conseil avance que le requérant fait partie des personnes soutenant ce régime en tant que copropriétaire de la société Diar Electronic Services, qui soutient la politique de la Banque centrale syrienne.

75      Il convient de répondre, à titre liminaire, à l’argument du Conseil selon lequel le Tribunal ne pourrait exercer qu’un contrôle restreint en ce qui concerne l’inscription du nom du requérant sur les listes des personnes visées par les mesures restrictives.

76      Il y a lieu de rappeler que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant aux éléments à prendre en considération en vue de l’adoption de mesures de sanctions économiques et financières au titre de la politique extérieure et de sécurité commune. Le juge de l’Union ne pouvant, en particulier, substituer son appréciation des preuves, faits et circonstances justifiant l’adoption de telles mesures à celle du Conseil, le contrôle exercé par le Tribunal sur la légalité de décisions de gel de fonds et de ressources économiques doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir. Ce contrôle restreint s’applique, en particulier, à l’appréciation des considérations d’opportunité sur lesquelles de telles décisions sont fondées (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, Rec. p. II‑4665, point 159).

77      Contrairement à ce que fait valoir le Conseil, toutefois, il ne saurait être soutenu que le contrôle restreint du Tribunal devrait s’appliquer également à l’examen du bien-fondé d’une mesure d’inscription individuelle. En effet, un tel examen relève du contrôle de l’exactitude matérielle des faits et de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits, tel que prévu par la jurisprudence citée par le Conseil (arrêt du Tribunal du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, Rec. p. II‑3967, point 36). Par ailleurs, des considérations d’efficacité ne sauraient justifier un allègement du contrôle juridictionnel exercé sur les mesures restrictives adoptées à l’égard de personnes physiques ou morales (arrêt de la Cour du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, point 326, et arrêt du Tribunal du 6 septembre 2013, Bateni/Conseil, T‑42/12 et T‑181/12, non publié au Recueil, point 41).

78      En outre, s’agissant de la procédure juridictionnelle, la Cour a précisé que le droit à un contrôle juridictionnel effectif, garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, exige également que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire le nom ou de maintenir l’inscription du nom d’une personne déterminée sur une liste figurant en annexe d’un acte prévoyant des mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays‑Bas/Al‑Aqsa, C‑539/10 P et C‑550/10 P, non encore publié au Recueil, point 68). Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt Kadi II, point 119).

79      À cet égard, il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen. C’est, en effet, à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’exposé fourni par l’État membre à l’origine de l’inscription. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (voir, en ce sens, arrêt Kadi II, points 120 à 122).

80      Si l’autorité compétente de l’Union est dans l’impossibilité d’accéder à la demande du juge de l’Union, il appartient alors à ce dernier de se baser sur les seuls éléments qui lui ont été communiqués, à savoir, en l’occurrence, les indications contenues dans l’exposé des motifs fourni par l’État membre à l’origine de l’inscription, les observations et les éléments à décharge éventuellement produits par la personne concernée ainsi que la réponse de l’autorité compétente de l’Union à ces observations. Si ces éléments ne permettent pas de constater le bien-fondé d’un motif, le juge de l’Union écarte ce dernier en tant que support de la décision d’inscription ou de maintien de l’inscription en cause (voir, en ce sens, arrêt Kadi II, point 123).

81      Si, en revanche, l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne concernée à leur sujet (arrêt Kadi II, point 124).

82      Certes, des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales peuvent s’opposer à la communication de certaines informations ou de certains éléments de preuve à la personne concernée. En pareil cas, il incombe toutefois au juge de l’Union, auquel ne saurait être opposé le secret ou la confidentialité de ces informations ou éléments, de mettre en œuvre, dans le cadre du contrôle juridictionnel qu’il exerce, des techniques permettant de concilier, d’une part, les considérations légitimes de sécurité quant à la nature et aux sources de renseignements ayant été pris en considération pour l’adoption de l’acte concerné et, d’autre part, la nécessité de garantir à suffisance au justiciable le respect de ses droits procéduraux, tels que le droit d’être entendu ainsi que le principe du contradictoire (arrêt Kadi II, point 125).

83      À cette fin, il incombe au juge de l’Union, en procédant à un examen de l’ensemble des éléments de droit et de fait fournis par l’autorité compétente de l’Union, de vérifier le bien-fondé des raisons invoquées par ladite autorité pour s’opposer à une telle communication (arrêt Kadi II, point 126).

84      Si le juge de l’Union conclut que ces raisons ne s’opposent pas à la communication, à tout le moins partielle, des informations ou des éléments de preuve concernés, il donne la possibilité à l’autorité compétente de l’Union de procéder à celle-ci à l’égard de la personne concernée. Si cette autorité s’oppose à la communication de tout ou partie de ces informations ou éléments, le juge de l’Union procédera alors à l’examen de la légalité de l’acte attaqué sur la base des seuls éléments qui ont été communiqués (arrêt Kadi II, point 127).

85      En revanche, s’il s’avère que les raisons invoquées par l’autorité compétente de l’Union s’opposent effectivement à la communication à la personne concernée d’informations ou d’éléments de preuve produits devant le juge de l’Union, il est nécessaire de mettre en balance de manière appropriée les exigences liées au droit à une protection juridictionnelle effective, en particulier au respect du principe du contradictoire, et celles découlant de la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou de la conduite de leurs relations internationales (arrêt Kadi II, point 128).

86      Aux fins d’une telle mise en balance, il est loisible de recourir à des possibilités telles que la communication d’un résumé du contenu des informations ou des éléments de preuve en cause. Indépendamment du recours à de telles possibilités, il appartient au juge de l’Union d’apprécier si et dans quelle mesure l’absence de divulgation d’informations ou d’éléments de preuve confidentiels à la personne concernée et l’impossibilité corrélative pour celle-ci de faire valoir ses observations à leur égard sont de nature à influer sur la force probante des éléments de preuve confidentiels (arrêt Kadi II, point 129).

87      Eu égard à la nature préventive des mesures restrictives en cause, si, dans le cadre de son contrôle de la légalité de la décision attaquée, le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés dans l’exposé fourni par l’État membre à l’origine de l’inscription est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision. Dans l’hypothèse inverse, il procédera à l’annulation de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt Kadi II, point 130).

88      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le premier moyen du requérant.

89      Il convient de constater, tout d’abord, que le requérant s’est prévalu des possibilités qui sont offertes par l’article 21, paragraphes 2 et 3, de la décision 2011/782 et l’article 32, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 36/2012 de présenter des observations au Conseil afin que celui-ci revoie sa décision et en informe la personne concernée.

90      En effet, le requérant s’est d’abord adressé au Conseil, par lettre du 24 mai 2012, afin de protester contre l’inscription de son nom sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives en demandant à ce que lui soient communiqués les documents sur lesquels le Conseil s’est fondé pour ladite inscription et de pouvoir être entendu à ce sujet. Il conteste de manière détaillée, dans cette lettre, les motifs de cette inscription, à savoir qu’il serait partenaire en affaires avec MM. Ihab Makhlouf et Nizar Al-Assad, et qu’il serait copropriétaire, avec M. Rami Makhlouf, de la société Diar Electronic Services. Il dément également que cette société soutiendrait la politique de la Banque centrale syrienne. En annexe à cette lettre figure une déclaration de six membres du Conseil national syrien qui exposent leur soutien au requérant et leur étonnement concernant cette inscription.

91      Or, dans sa lettre du 26 juillet 2012 répondant au requérant, le Conseil s’est limité à produire une proposition d’inscription du nom du requérant sur les listes des personnes visées par les mesures restrictives émanant d’un État membre, contenant les mêmes motifs que ceux qui figuraient déjà aux côtés du nom du requérant dans les actes attaqués, sans aucune autre précision.

92      De même, à la suite des contestations du requérant dans le cadre du présent recours, et en réponse aux moyens de preuve présentés par celui-ci, le Conseil s’est limité à contester la valeur de la déclaration de plusieurs membres du Conseil national syrien, sans avoir apporté aucun élément de preuve au soutien des motifs qui sont évoqués pour l’inscription du nom du requérant sur la liste des personnes visées par les mesures restrictives.

93      Or, il convient de rappeler que le Conseil national syrien, l’un des principaux groupes d’opposition en Syrie, a été reconnu par l’Union comme étant le représentant légitime des Syriens. Le fait que la déclaration de plusieurs de ses membres au soutien du requérant n’émane pas des instances dirigeantes de celui-ci ne suffit pas pour écarter une telle déclaration ou pour lui dénier toute valeur probante.

94      Le Conseil affirme comme une évidence le fait que le requérant serait un partenaire en affaires de MM. Ihab Makhlouf et Nizar Al-Assad sans apporter le moindre élément de preuve à cet égard, et alors même que celui-ci dément ces accusations. Le Conseil avance également que les noms de MM. Ihab Makhlouf et Nizar Al-Assad ont eux-mêmes été inscrits sur les listes des personnes visées par les mesures restrictives, mais sans apporter aucun élément de preuve permettant d’expliquer dans quelle mesure le requérant serait lié ou associé en affaires à ces personnes.

95      De même, le Conseil réaffirme dans ses mémoires que le requérant est copropriétaire de la société Diar Electronic Services, qui soutient la politique menée par la Banque centrale syrienne. Or, même à supposer que, en tant qu’actionnaire minoritaire, le requérant puisse être considéré comme copropriétaire de ladite société, le Conseil n’a apporté aucun élément permettant de démontrer dans quelle mesure cette société soutiendrait la politique de la Banque centrale syrienne, ni même pour quelles raisons cela justifierait qu’un de ses actionnaires se voit imposer les mesures restrictives en cause.

96      Dans ces conditions, le Tribunal, n’étant pas en mesure de vérifier le bien-fondé des allégations du Conseil, a, par mesure d’organisation de la procédure du 21 janvier 2014, demandé au Conseil de lui fournir tout élément de preuve ou d’information en sa possession, confidentiel ou non, permettant de justifier l’inclusion du requérant dans la liste des personnes visées par les mesures restrictives, qu’il estime pertinent en vue de permettre au Tribunal d’exercer son contrôle, conformément à la jurisprudence de la Cour énoncée ci-dessus.

97      Toutefois, le Conseil a eu pour seule réponse de renvoyer à l’extrait de proposition d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause émanant d’un État membre, qui contient les mêmes motifs que ceux qui sont repris au point 16 ci-dessus, sans autre précision.

98      Dès lors, étant donné qu’aucun élément de preuve suffisamment précis et concret ne permet d’étayer au moins l’un des motifs mentionnés dans les actes attaqués au soutien de l’inscription du nom du requérant sur les listes des personnes visées par les mesures restrictives qui sont annexées à ces actes, il y a lieu d’annuler lesdits actes, pour autant qu’ils concernent le requérant.

99      Le premier moyen du requérant étant fondé, il y a lieu d’accueillir le recours, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres moyens soulevés par le requérant.

 Sur les effets dans le temps de l’annulation partielle des actes attaqués

100    Pour ce qui est des effets dans le temps de l’annulation, en ce qu’elle concerne le requérant, de l’annexe II du règlement n° 36/2012 tel que modifiée par le règlement d’exécution 363/2013, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 60, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, par dérogation à l’article 280 TFUE, les décisions du Tribunal annulant un règlement ne prennent effet qu’à compter de l’expiration du délai de pourvoi visé à l’article 56, premier alinéa, dudit statut ou, si un pourvoi a été introduit dans ce délai, à compter du rejet de celui-ci.

101    Or, le règlement d’exécution n° 363/2013, modifiant l’annexe II du règlement n° 36/2012, a la nature d’un règlement, dès lors que son article 2, second alinéa, prévoit qu’il est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre, ce qui correspond aux effets d’un règlement tels que prévus à l’article 288 TFUE (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, non encore publié au Recueil, point 45, et arrêt Sina Bank/Conseil, précité, point 84).

102    En ce qui concerne la décision 2013/255, il convient de relever que l’annulation de cette décision en ce qu’elle vise la requérante entraînerait la disparition immédiate de l’inscription de cette dernière sur la liste figurant à l’annexe I de celle-ci.

103    En vertu de l’article 264, second alinéa, TFUE, le Tribunal peut, s’il l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets de l’acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs.

104    En l’espèce, l’existence d’une différence entre la date d’effet de l’annulation partielle de l’annexe II du règlement n° 36/2012, tel que modifiée par le règlement d’exécution n° 363/2013, et de celle de l’annexe I de la décision 2013/255, serait susceptible d’entraîner une atteinte sérieuse à la sécurité juridique, ces deux actes prévoyant des mesures identiques.

105    Les effets de l’annexe I de la décision 2013/255 doivent dès lors être maintenus en ce qui concerne la requérante jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle de l’annexe II du règlement n° 36/2012, tel que modifiée par le règlement d’exécution n° 363/2013 (voir, en ce sens, arrêt Sina Bank/Conseil, précité, point 89).

 Sur les dépens

106    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

107    Le Conseil ayant succombé dans l’affaire T-329/12, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

108    Aux termes de l’article 87, paragraphe 6, du règlement de procédure, en cas de non-lieu à statuer, le Tribunal règle librement les dépens.

109    Or, en l’espèce, il y a lieu de tenir compte du fait que le recours dans l’affaire T-74/13 a été formé par le requérant à titre de précaution, étant donné que le Conseil contestait la recevabilité du recours dans l’affaire T-329/12 dans son intégralité, contestation qui s’est avérée manifestement non fondée. Les frais exposés par le requérant dans l’affaire T-74/13 auraient donc pu être évités en grande partie si le Conseil n’avait pas contesté la recevabilité du recours dans l’affaire T‑329/12.

110    Il convient, dès lors, de condamner le Conseil à supporter les trois quarts des dépens de la partie requérante dans l’affaire T-74/13, outre ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision d’exécution 2012/256/PESC du Conseil, du 14 mai 2012, mettant en œuvre la décision 2011/782/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, ainsi que le règlement d’exécution (UE) n° 410/2012 du Conseil, du 14 mai 2012, mettant en œuvre l’article 32, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie, sont annulés, pour autant qu’ils concernent M. Mazen Al-Tabbaa.

2)      La décision 2012/739/PESC du Conseil, du 29 novembre 2012, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie et abrogeant la décision 2011/782 et le règlement d’exécution (UE) n° 1117/2012 du Conseil, du 29 novembre 2012, mettant en œuvre l’article 32, paragraphe 1, du règlement n° 36/2012, sont annulés, pour autant qu’ils concernent M. Al-Tabbaa.

3)      Le règlement d’exécution (UE) n° 363/2013 du Conseil, du 22 avril 2013, mettant en œuvre le règlement n° 36/2012, ainsi que la décision d’exécution 2013/185/PESC du Conseil, du 22 avril 2013, mettant en œuvre la décision 2012/739, sont annulés, pour autant qu’ils concernent M. Al-Tabbaa.

4)      La décision 2013/255/PESC du Conseil, du 31 mai 2013, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, est annulée, pour autant qu’elle concerne M. Al-Tabbaa.

5)      Les effets de la décision 2013/255 sont maintenus en ce qui concerne M. Al-Tabbaa jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution n° 363/2013, mettant en œuvre le règlement n° 36/2012.

6)      Il n’y a pas lieu de statuer sur le recours dans l’affaire T‑74/13.

7)      Le Conseil de l’Union européenne supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par le requérant dans l’affaire T-329/12 et les trois quarts des dépens exposés par celui-ci dans l’affaire T-74/13.

8)      Le requérant supportera un quart de ses dépens dans l’affaire T-74/13.

Berardis

Czúcz

Popescu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juillet 2014.

Signatures


* Langue de procédure : l’anglais.